lundi 17 juillet 2017

19 juillet 1870

Le 19 juillet 1870, déclaration de guerre de la France à la Prusse.
Le lecteur peut se demander pourquoi approfondir notre connaissance des événements de la guerre franco-prussienne, qui fut en réalité franco-allemande. Avec les articles qui ont été publiés, nous aurions déjà une bonne compréhension des six sonnets concernés par l'événement.
Ce n'est en fait pas si simple que cela.
Je laisse de côté le cas du poème "A la Musique" qui demande de trancher entre une influence ou non de la crise allant du 2 sinon 6 juillet au 19 juillet.
Le cas important à soulever est celui du poème "Rages de Césars". C'est le prochain poème que nous allons d'ailleurs traiter dans notre série en cours. Ce sonnet revient à l'évidence sur la défaite de Napoléon III, mais il évoque aussi l'idée d'un empereur fait prisonnier, ce qui invite à le dater postérieurement à l'arrivée de Napoléon III au château de Wilhelmshöhe. Sous le Premier Empire, ce château encore récent avait été rebaptisé Napoléonshöhe, car c'est là que demeura Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie. Suite à la défaite de Sedan, c'est dans ce château que Napoléon III a été maintenu en résidence surveillée à partir du 5 septembre. Selon toute vraisemblance, les sonnets "Le Châtiment de Tartufe" et "Rages de Césars" ont été composés après le 5 septembre, d'autant que Rimbaud doit alors sortir de prison pour rejoindre Izambard à Douai, et au-delà de l'influence des Châtiments, Rimbaud a a dû s'inspirer de la soudaine libération de la presse qui a profité de l'abdication pour effectuer un virage à 180° et critiquer, voire moquer, rabaisser l'empereur publiquement. Les attaques contre la tartufferie de Napoélon III qui ont inspiré Rimbaud ont deux sources strictes : Les Châtiments de Victor Hugo et la presse des lendemains de la défaite de Sedan. J'ai personnellement un article à citer du journal Le Monde illustré qui pourrait être une source aussi bien au "Châtiment de Tartufe" qu'au sonnet "Rages de Césars". Je ne connais pour l'instant aucun autre document de la presse du mois de septembre 1870 qui ait été cité dans le domaine des études rimbaldiennes pour expliquer les deuix sonnets de Rimbaud. Mais "Rages de Césars" pose un autre problème à cause de la mention de "Saint-Cloud". Après Sedan, la guerre a repris sous un gouvernement de défense nationale républicain. Or, le 14 octobre 1870, le château de Saint-Cloud a été bombardé et a disparu dans un incendie. Le château de Saint-Cloud avait une importance précise dans l'histoire des Bonaparte, puisque c'est dans l'orangerie de ce château que se joua le coup d'état du 18 brumaire, c'est-à-dire que se joua le basculement du Directoire au Consulat, marche-pied à la création du Premier Empire. Saint-Cloud était une résidence à forte valeur symbolique pour Napoléon III. Il peut sembler naturel que Rimbaud y fasse allusion dans un sonnet, mais le problème est le suivant : "Rages de Césars" a été composé en septembre ou octobre 1870, mais pas au-delà puisque le manuscrit en a été remis à Paulo Demeny, tandis que le château de Saint-Cloud a été détruit par les flammes le 14 octobre ; Rimbaud fait-il allusion à cette incendie dans son sonnet ("cigare en feu", "fin nuage bleu", "comme aux soirs de Saint-Cloud") ou s'agit-il à nouveau d'une coïncidence comme dans le cas du poème "A la Musique" ? Si jamais nous considérons que le poème fait inévitablement allusion à l'incendie du 14 octobre, cela bouleverse tout le consensus sur les manuscrits remis à Demeny. Premièrement, l'ensemble des sept sonnets "Ma bohême", "Rêvé pour l'hiver", "Le Dormeur du Val", "Au Cabaret-vert", "La Maline", "Le Buffet", "L'Eclatante victoire de Sarrebruck" ne serait plus chronologiquement postérieur à un quelconque des quinze autres poèmes remis à Demeny à cette époque. Deuxièmement, si nous avons publié sur le blog "Rimbaud ivre" un article sur "La Légende du 'Recueil Demeny' " prouvant clairement qu'il ne s'agissait pas d'un recueil, nous avons soutenu l'idée d'une transmission en deux temps des manuscrits qui pourrait être remise en cause par une réévaluation de la date de composition de "Rages de Césars". Car si "Rages de Césars" devait apparaître comme une composition postérieure au 14 octobre, cela voudrait dire que Rimbaud a remis en un seul séjour l'ensemble des poèmes manuscrits et que, contrairement à ce que nous avons toujours cru, il aurait recopié la série des sept sonnets avant de recopier au propre quinze autres poèmes. L'idée est d'autant plus intéressante qu'il faut aussi considérer qu'il est plus naturel d'envisager Rimbaud emmenant avec lui tous ses manuscrits lors d'une seconde fugue plus organisée que lors d'une première fugue où il se rendait à Paris, sans doute sans adresse précise, première fugue s'étant terminée en prison avec ensuite un séjour douaisien non initialement prévu. Dans sa lettre à Demeny de juin 1871 où Rimbaud demande de brûler tous ses manuscrits anciens, il parle d'un unique séjour. Voilà donc pourquoi il est important de travailler en historien et en éplucheur de la presse d'époque au sujet du sonnet "Rages de Césars".
Le deuxième cas à étudier est celui du "Dormeur du Val". L'interprétation traditionnelle consistait à en faire un poème pacifiste, dénonçant la guerre. Steve Murphy a livré dans son livre Rimbaud et la ménagerie impériale une étude importante pour montrer que le sonnet daté d'octobre 1870 ne pouvait pas ainsi prendre à contre-pied les opinions de Rimbaud une fois passée la date de Sedan. A ce moment-là, le jeune poète ardennais veut la guerre contre l'Allemagne au nom d'un idéal de défense de la République où le peuple en quelque sorte "insurgé" se remémore les dates révolutionnaires comme Valmy. Je ne suis pas d'accord en tout point avec cette étude, mais je la rejoins dans les grandes lignes, surtout que "Le Dormeur du Val" a des liens intertextuels avec d'autres poèmes de Rimbaud, ce qui permet de prouver que Rimbaud entend les choses ainsi. Mais surtout la lecture patriotique prend du relief à partir du moment où sont révélées les images christiques. Steve Murphy s'appuyait sur l'étude capitale de Jean-François Laurent qui avait montré, sans s'intéresser à la question du patriotisme pourtant, qu'il y avait une imitation toute en inversions de la crucifixion du Christ. Il n'y a pas deux études importantes chacune de leur côté, l'étude de Jean-François Laurent précipite nécessairement une lecture engagée et patriotique du "Dormeur du Val", patriotique au sens révolutionnaire de l'époque.
Le troisième sonnet qui demande une attention d'historien est "Le Mal". Sans approche d'historien, le poème est certes bien compréhensible et il est loisible de l'envisager dans une portée de sens générale et universelle. Ceci dit, nous avons surtout retenu de la guerre franco-prussienne la débâcle française. Le poème décrit, lui, des massacres d'une importance égale entre les deux armées. Je trouve donc pertinent de revenir sur les massacres du mois d'août 1870, en montrant que la victoire allemande allait de pair avec une stratégie extrêmement coûteuse en vies humaines, d'autant que l'infanterie française était considérée avec raison comme le seul point sur lequel les français étaient supérieurs militairement face aux allemands en 1870. Plutôt que de se contenter d'une lecture valant pour toutes les époques, je voudrais dégager ce que le sonnet "Le Mal" révèle d'appréhension par Rimbaud de la situation concrète au moment où il apprend les nouvelles, déformées qui plus est, des combats en cours.
Enfin, pour ce qui concerne le sonnet "Morts de Quatre-vingt-douze..."; il faut envisager les représentations révolutionnaires qu'avait le poète, représentations décisives dans son engagement en septembre-octobre 1870, puis dans son adhésion à la Commune.
Pour l'instant, est en préparation l'étude sur "Rages de Césars".

Je mets en ligne cet article le 17 et non le 19 juillet, mais invitons le lecteur à méditer l'écoulement de l'été. Le lecteur peut le faire pour ce qui concerne la guerre franco-prusssienne de 1870, comme il peut le faire pour le séjour en Belgique de 1872 ou comme il a pu le faire pour le drame de Bruxelles en juillet 1873. Il faudra que j'étudie pour l'année prochaine un système de publication en fonction des dates clés de ces trois étés. Comment se représenter le temps vécu par le poète autrement que par l'attention prêtée à un mode de transposition ?

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