On pourrait s'amuser à étudier les modes et les temps verbaux dans l'oeuvre de Rimbaud, ou bien l'emploi des adverbes en "-ment".
Pour le conditionnel, voici l'ouvrage de Pierre Patrick Haillet dans la collection "l'essentiel français" éditée par Ophrys en 2002. Le titre est Le Conditionnel en français : une approche polyphonique.
Je cite le début de l'introduction.
Partant du principe que la séquence Max serait très heureux donne lieu à des interprétations différentes suivant le contexte, comme l'illustrent - sans prétendre à l'exhaustivité - ces quelques exemples :
Nous étions tous certains que Max serait très heureux dans cette maison.Si Léa venait se joindre à nous, Max serait très heureux.A en croire Léa, Max serait très heureux ; mais d'après Thomas, c'est juste l'impression qu'il s'efforce de donner.
nous [sic] nous fixons, ici, [sic] un double objectif. Il s'agira, d'une part, de proposer des critères permettant de rendre compte de ces différentes interprétations - et d'autre part, de déterminer le point commun à l'ensemble des emplois du conditionnel.
Pour ce qui est des environnements syntaxiques dans lesquels peut apparaître une occurrence de cette forme verbale, la distinction s'établit entre les assertions d'un côté et les questions de l'autre ; c'est dans cet ordre que nous examinons ici les énoncés au conditionnel, en appliquant les principes d'analyse exposés ci-après.
Le lecteur ne peut lire cela que de manière résolument passive, cela est très clair quant au partage non justifié ici entre assertions et questions. Les phrases données en exemples ne sont pas commentées et ne le seront jamais.
Or, les citations sont justifiées à la suite de l'exposition d'une thèse non démontrée, la séquence "Max serait très heureux" s'interpréterait différemment selon les phrases. Je lis et relis ces trois phrases, et je ne vois pas en quoi j'interprète de trois manières différentes cette séquence de quatre mots. Mais alors pas du tout.
L'auteur pense bien à trois effets de sens distincts liés aux phrases au conditionnel, sauf qu'au lieu de parler de phrases au conditionnel, l'auteur se permet d'associer l'effet de sens à la forme verbale elle-même. D'ailleurs, l'effet de sens n'est pas tant selon le contexte non plus que selon les phrases construites.
L'auteur pense bien à trois effets de sens distincts liés aux phrases au conditionnel, sauf qu'au lieu de parler de phrases au conditionnel, l'auteur se permet d'associer l'effet de sens à la forme verbale elle-même. D'ailleurs, l'effet de sens n'est pas tant selon le contexte non plus que selon les phrases construites.
Voilà une de ces classiques situations d'inconfort dans lesquelles les étudiants apprennent la grammaire aujourd'hui.
L'auteur veut distinguer trois grandes catégories et je vais d'ailleurs citer les expressions de l'auteur lui-même puisqu'elles manquent en plus de précision : il parle grossièrement de conditionnel temporel, de conditionnel d'hypothèse, de conditionnel d'altérité énonciative.
Le conditionnel temporel, c'est l'idée de futur par rapport à une action située dans le passé. Le conditionnel d'hypothèse appellerait des précisions, mais cela renvoie en gros à nos intuitions sur l'existence du conditionnel et la raison de ses emplois en général.
Le conditionnel d'altérité énonciative désigne le cas d'un énoncé rapporté mais non pris en charge.
Voilà en gros.
Les effets de sens plus fins se rattacheraient tous à l'une de ces catégories.
Mais on l'a vu avec l'introduction l'auteur pose très mal le problème et de toute façon il ne se justifie même pas.
L'auteur va aussi souligner l'interprétation divergente de "a effacé" dans les deux phrases suivantes
Max a effacé le premier croquis et en a dessiné un autre.
Max a effacé le tableau avant de quitter l'amphi.
L'auteur prétend régler le problème en soulignant la différence de sens selon la possibilité ou impossibilité de certaines paraphrases.
"Max a fait disparaître le croquis..."
mais on ne peut pas dire "Max a fait disparaître le tableau..."
Mais l'auteur doit encore démontrer que le sens d'effacer est "faire disparaître", condition sans laquelle sa paraphrase ne prouve rien.
En effet, dans un cas, l'effacement porte sur le complément "le premier croquis" et dans l'autre sur le contenu du tableau.
Mais pourquoi le sens du verbe n'admettrait-il pas un tel glissement sans solution de continuité?
Certes, le rapport contenant-contenu ou le rapport de proximité permet à certains mots de changer de sens, le bureau par exemple qui peut désigner une pièce, un meuble, une personne, un immeuble, etc., etc.
Mais ici dans le cas du verbe "effacer", voilà qu'on doit admettre cela comme une évidence sans aucun temps de réflexion.
Or, étant donné que ce genre de vérités administrées s'accumulent sans arrêt dans les ouvrages de grammaire, le cerveau ne fonctionne plus, ne pratique plus aucune opération discriminante, et au final ne retient rien de ce qu'on lui soutient.
Je pense que c'est très largement un effet désastreux de la communication intellectuelle aujourd'hui.
Je continue toujours avec le même ouvrage.
Pour soutenir sa méthode de la paraphrase, voici un exemple étonnant que l'auteur se permet de nous soumettre. Nous ne sommes qu'à la page 2, en principe un fort moment de vigilance intellectuelle de la part et d'un auteur et d'un lecteur :
Ainsi, nous dirons que l'emploi du syntagme la rénovation de la cathédrale produit l'effet de sens paraphrasable par "La cathédrale a été rénovée" dans (c) - mais non dans (d) :
(c) La rénovation de la cathédrale a coûté plus cher que prévu.
(d) La rénovation de la cathédrale débutera l'été prochain et durera au moins deux mois.
Enfin, soyons sérieux. Le lecteur pressé de lire un ouvrage de 150 pages risque de ne pas remettre en cause ligne après ligne l'auteur à la page 2. Il va admettre passivement ce qu'on lui dit, sans l'interroger de manière critique.
Mais tout de même, en aucun cas, le groupe nominal "La rénovation de la cathédrale" n'admet la paraphrase sujet et verbe "La cathédrale a été rénovée", ni dans un cas ni dans l'autre.
Je commence une phrase par "La rénovation de la cathédrale..." et je m'arrête un instant avant de reprendre, pendant un temps vous attendez la suite et il n'est pas vrai que vous fixiez la rénovation comme passée, présente ou à venir, sauf si vous savez déjà ce dont je parle.
L'auteur applique ici la valeur temporelle du verbe "débutera" pour dire que là il n'est pas possible d'imaginer la rénovation comme ayant déjà été effectuée.
Mais il y a pire. Dans le cas de (c), l'auteur profite du temps verbal "a coûté" pour dire que là la paraphrase est possible.
Mais qu'elle soit possible est une chose (et encore au plan de la phrase entière, pas du groupe nominal seul, l'auteur introduisant dans le groupe nominal un élément temporel, une conjugaison même, qui lui est extérieur), qu'elle s'impose en est une autre.
Mais qu'elle soit possible est une chose (et encore au plan de la phrase entière, pas du groupe nominal seul, l'auteur introduisant dans le groupe nominal un élément temporel, une conjugaison même, qui lui est extérieur), qu'elle s'impose en est une autre.
Outre que "la rénovation de la cathédrale" n'est pas un groupe nominal situé dans le temps comme le serait "la rénovation de telle année", le coût déjà consenti ne préjuge pas de l'accomplissement de la rénovation. Les travaux sont-ils seulement commencés?
Si on avait "que prévu avant les travaux" passe encore, mais là non.
Et de toute façon, le caractère accompli de la rénovation ne vient que de l'information livrée par la phrase et le temps du verbe, pas par le groupe nominal, ni même par le temps verbal seul.
La suite de l'introduction est plus intéressante, puis les chapitres manquent nettement de lisibilité, on nage en pleine panade.
Passons à un autre ouvrage, celui dans la même collection de Claude Guimier sur "le cas des adverbes en -ment".
L'introduction se débarrasse rapidement du problème de définition des adverbes en nous assénant qu'il existe des opérateurs, etc. On est d'emblée invités à ne rien comprendre et à admettre ce qui défile à vive allure dans cet ouvrage.
La collection "l'essentiel français" est pourtant pour moi particulièrement intéressante pour méditer des sujets de grammaire.
Au passage, l'auteur propose sa nouvelle manière d'abréger "c'est-à-dire", "c.-à-d." devient "càd", allez open bar pour tout le monde.
L'auteur souligne alors trois binômes à partir desquels il va classer les modes de fonctionnement des adverbes en "-ment". Le premier "incident"-"portée" est clairement défini, le suivant "intra-prédicatif"-"extra-prédicatif" on comprend, mais le troisième "endophrastique" et "exophrastique" c'est du charabia et on ne voit pas bien la différence avec "intra-prédicatif" et "extra-prédicatif". L'auteur souligne lui-même le problème, mais il ne fera aucun effort pour bien définir et donc bien opposer les binômes.
Mais, les problèmes ne s'arrêtent pas là et je vais vous montrer par des exemples simples que tout se passe réellement avec le consentement passif du lecteur qui fait mine à soi-même d'admettre qu'il comprend clairement et lucidement de quoi il retourne.
L'incidence est ce à quoi un mot syntaxiquement se rattache, la portée est ce qu'il modifie au plan du sens. Effectivement dans "bal masqué" masqué désigne plus les danseurs que le mot "bal" auquel il est syntaxiquement rattaché. Ce phénomène serait plus criant quant aux adverbes.
L'auteur prétend dégager trois cas contrastés par les exemples suivants.
Pierre travaille manuellement.
Pierre travaille jovialement.
Pierre travaille minutieusement.
Dans le premier cas, la portée va dans le sens de l'incidence, c'est le travail qui est manuel.
Dans le second cas, la portée s'en éloignerait, ce serait Pierre qui serait jovial et pas le travail.
Dans le troisième cas, la portée pourrait aussi bien concerner le verbe dont il est incident "travail minutieux" que s'éloigner de l'incidence pour présenter un sujet minutieux.
Mais toute cette habile distinction ne tient qu'à un fil. Si dans le second cas, on demande en quel honneur la jovialité n'est pas un trait du travail effectué par Pierre, on met tout par terre, puisqu'alors dans les trois cas l'incidence et la portée vont bien de pair.
L'auteur prétend que l'opposition pour l'adverbe peut valoir aussi à l'intérieur d'un groupe adjectival. Il cite le cas d'ambiguïté suivant :
Nous nous sentions bizarrement gênés
Montrer que les phrases peuvent être ambiguës est un grand dada des linguistes depuis quelques décennies. Je ne suis pas franchement convaincu pour ce qui est de la phrase précédente que je lis automatiquement ainsi "nous ressentions une gêne bizarre", lecture qui suppose donc que l'adverbe "bizarrement" est intra-prédicatif, il modifie l'adverbe "gênés" dont il est par ailleurs incident, avec ici donc une bonne coopération incidence-portée. Mais l'auteur soutient que cette phrase peut avoir un deuxième sens : "le fait que nous soyons gênés était bizarre", ce qui veut dire que l'adverbe est alors extra-prédicatif.
Mais, outre que je n'arrive pas à lire la phrase avec ce second sens, même si je mets des virgules qui imposeront cette lecture extra-prédicative : "Nous nous sentions, bizarrement, gênés", le raisonnement de l'auteur doit justifier pourquoi il suppose que l'adverbe "bizarrement" fait partie du groupe adjectival, et en quoi "Nous nous sentions, bizarrement, gênés" est différent de "Bizarrement, nous nous sentions gênés", où là effectivement l'adverbe "bizarrement" est extra-prédicatif, mais par rapport à la phrase et non simplement par rapport à la signification du groupe adjectival.
Or, le but de l'auteur était de reporter complètement le binôme au sein du groupe adjectival. Pour moi, avec ses exemples, il est en situation d'échec.
L'auteur prétend que l'opposition pour l'adverbe peut valoir aussi à l'intérieur d'un groupe adjectival. Il cite le cas d'ambiguïté suivant :
Nous nous sentions bizarrement gênés
Montrer que les phrases peuvent être ambiguës est un grand dada des linguistes depuis quelques décennies. Je ne suis pas franchement convaincu pour ce qui est de la phrase précédente que je lis automatiquement ainsi "nous ressentions une gêne bizarre", lecture qui suppose donc que l'adverbe "bizarrement" est intra-prédicatif, il modifie l'adverbe "gênés" dont il est par ailleurs incident, avec ici donc une bonne coopération incidence-portée. Mais l'auteur soutient que cette phrase peut avoir un deuxième sens : "le fait que nous soyons gênés était bizarre", ce qui veut dire que l'adverbe est alors extra-prédicatif.
Mais, outre que je n'arrive pas à lire la phrase avec ce second sens, même si je mets des virgules qui imposeront cette lecture extra-prédicative : "Nous nous sentions, bizarrement, gênés", le raisonnement de l'auteur doit justifier pourquoi il suppose que l'adverbe "bizarrement" fait partie du groupe adjectival, et en quoi "Nous nous sentions, bizarrement, gênés" est différent de "Bizarrement, nous nous sentions gênés", où là effectivement l'adverbe "bizarrement" est extra-prédicatif, mais par rapport à la phrase et non simplement par rapport à la signification du groupe adjectival.
Or, le but de l'auteur était de reporter complètement le binôme au sein du groupe adjectival. Pour moi, avec ses exemples, il est en situation d'échec.
Au début du chapitre I, on apprend qu'une épithète détachée est attribut, à rebrousse-poil d'un enseignement scolaire qui, cas à part de l'emploi adverbial invariable "coûter cher") définit trois fonctions possibles pour l'adjectif, soit chez les traditionnel épithète-apposition-attribut, soit chez les théoriciens modernes auxquels je ne souscris pas le charabia épithète liée - épithète détachée - attribut
L'auteur ici ne se justifie même pas, n'explique pas la nouveauté de son propos. Prenez ça à ronger, et c'est tout :
Il faut distinguer l'épithète intégrée au groupe nominal qui, selon les cas, précède ou suit son support (une gentille fillette, une fillette blonde) de l'épithète détachée, séparée de son support par une virgule marquant une rupture intonative (la fillette, naïve, répondit que...). Dans le second cas, l'adjectif est attribut. L'adverbe peut entrer dans un groupe adjectival épithète ou attribut et, dans un premier tempos, nous examinerons séparément les deux constructions.
Les caractères gras, c'est gonflé. La classification grammaticale est sabordée sans explication, et ceux qui font confiance en se disant que ça va s'éclairer au fur et à mesure de la lecture du livre oublieront puisque le livre va les emmener ailleurs et ne plus revenir là-dessus.
Maintenant, vous êtes étudiant, vous voulez approfondir la question de la syntaxe de l'adverbe. Vous prenez le troisième volume de la Grammaire transformationnelle du français de Maurice Gross dont c'est le sujet "3 - Syntaxe de l'adverbe".
Le volume est épais, 650 pages, mais ouf un index fleuve et des tableaux, cela ramène l'ouvrage à 300 pages.
Je pourrais encore une fois parler du problème de lisibilité d'un tel ouvrage et bien sûr de ce rythme soutenu d'assertions invérifiables sans s'arrêter de longues heures à essayer d'éprouver ce qui est dit.
Mais, je m'arrête à un fait simple. On sait qu'en grammaire on étudie la nature et la fonction des mots.
On sait qu'il y a neuf catégories canoniques pour les mots, ce qu'on allonge par les groupes de mots et par les propositions. Face à cela, il y a les fonctions dont la grande majorité commence par le mot "complément".
On sait que l'adverbe est une nature de mot et que le complément circonstanciel c'est une fonction pour un groupe de mots.
Maurice Gross ne se contente pas d'assimiler à des adverbes des locutions adverbiales du genre "sur-le-champ", il parle d'une correspondance adverbe-complément circonstanciel.
Comment voulez-vous être clair après ça?
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