De retour avec quelques livres nouveaux !
J'avais repéré le roman de 1842 Mon oncle Benjamin de Claude Tillier avec la citation de Georges Brassens : "Quiconque n'a pas lu Mon oncle Benjamin, ne peut se dire de mes amis." Quel snob ce chanteur sétois ! On verra, d'autant que je dois encore lire La Femme immortelle de Ponson du Terrail. Après, j'ai découvert un Folio classique réunissant deux contes de deux auteurs différents. Il y a un récit du dix-huitième siècle La Petite maison de Jean-François de Bastide, et juste avant deux versions du conte Point de lendemain qui a intéressé Balzac. La première version est de 1812 et la seconde de 1777, elles ne défilent pas dans l'ordre chronologique. L'auteur est un certain Vivant Denon, ce qui fait un tel calembour qu'on a du mal à croire à son existence. Son prénom serait Dominique et non Vivant. Je verrai. Je me suis enfin acheté La Nef des fous de Sébastien Brant : "C'est ma prièère", ah non ce n'est pas ça ! Il s'agit d'un poème satirique de la fin du Moyen Âge. J'ai songé au motif du vaisseau dans la section finale d'Une saison en enfer, cela va enrichir mon bagage sur le plan de l'iconographie chrétienne, je pense.
En revanche, pour quelques semaines, je n'ai plus sous la main le livre de Margaret Davies sur Une saison en enfer. Impossible donc de finir le raisonnement sur la prose liminaire. Je n'ai plus non plus le livre d'Alain Coelho, j'en ai arrêté la lecture aux premières pages sur la prose liminaire. Je vous en cite quelques extraits que j'ai relevés, parce que ça vaut son pesant de cacahuètes, on a droit à du mauvais Mallarmé :
Ce qui se donne en premier lieu dans le livre de Rimbaud, c'est le titre. Et ce titre, Une saison en enfer, se prolonge dès l'abord tel incomplet, résonne singulièrement à la manière d'un incipit, comme la sommation d'ouvrir un texte qui le densifiera et qui le fixera.
Le titre est d'ailleurs assimilé à un hexamètre parce que l'auteur s'accorde le droit de ne pas compter le "e" du déterminant "une" : "un' saison en enfer". Poursuivons les citations :
Jamais sans doute l'imaginaire soufré de l'Enfer n'aura connu de rétention si fine, de pondération si douce que ce "saison" figé )à l'habitude dans le champ bucolique.
Au passage, l'auteur pense que le titre est "perceptible hors de tout référent religieux".
En fait, le titre "Une saison en enfer" induit une direction et une singularité, plutôt qu'il ne résout un sens, et à fortiori un livre.
[...] le titre de Rimbaud "change" sensiblement de nature, de sens, et se précise au fil du livre, franchissant un à un des paliers de symbolisme poétique, primordial, mais aussi d'un gisement radicalement romanesque, jusqu'à poser - en en sa langue propre et nouvelle - ses questions et ses enjeux ; [...]
Le titre relèverait d'une stratégie de "réception convenue" avec "mystère littéraire", "mémoire tutélaire du roman noir du dix-huitième siècle", "veine gothique d'Hoffmann" et "lignée tonale des histoires d'Edgar Poe." Le texte est en lui-même une "poussée continue, obsessionnelle, orale", tout à la fois "confession, auto-analyse, discernement rêvé", avec je suppose une allusion à "dégagement rêvé".
Et l'auteur précise :
L'outrance et la frénésie semblent en devenir alors le ciment, non le but, la marque d'une absolue urgence et d'une frénétique légitimité.
Celui qui dit est celui qui survit.
Une saison en enfer n'est pas un livre du seuil mais un livre de l'adieu, c'est-à-dire d'une voix à trouver pour la langue et la vie de cet Adieu.
[...] elle est du verbe accolé sur - préexistant jusqu'à la lassitude - du verbe.
[...] Une saison en enfer va de la polyphonie au rien, c'est-à-dire au réel.
Heu ? La citation suivante sera plus intéressante avec la symbolique du soir :
Et "ce soir" est au sens propre une fin de lumière, il matérialise la chute dans le temps, irréparable en regard du grand corps initial, indistinct, non morcelé, le matin, et qui "fut".
(un instant "assise sur les genoux", c'.-à-d. épousée.)
Ah ! bien !
des réminiscences de voix, telles étrangères, mais mêlées, qui s'insèrent dans le flot textuel, dans l'évidence brutale et elliptique du souvenir, lequel est reproduit, mimé au plus urgent à l'intérieur de la voix "générale" du narrateur, celle-là obscure qu'il cherche à trouver, désencombrée de toutes les autres voix également "vivantes".
Le livre rend compte ici d'un cerveau devenu théâtre, exténuation de la scène, vomissement de l'impureté : [...]
Le prologue ou linteau nous révèle"[...] une volonté nette de lieu, d'ordre dans le sens, de préfiguration du livre entier".
Sous la modulation du "Jadis", s'exprime l'immédiate réalité de l'affect qui habite le texte (lequel nous met en prise directe sur la douleur et sur l'humeur de celui qui parle.)
L'auteur parle de "l'effleurement", de "la nostalgie en demi-teintes du Paradis", et il prétend qu'il est question de "la petite enfance, toujours épargnée par Rimbaud même à ses pires heures d'exécration".
L'inversion du monde est l'agir même.
L'auteur a au moins le mérite de cerner à peu près le vrai pour ce qui est de la "Beauté" : "celle - conventionnelle - vécue et respectée dans l'enfance". Il fait un rapprochement plus discutable avec la confusion des valeurs au début de Macbeth : "Le laid est le beau et le beau laid".
Et ça continue :
[...] poussée instinctuelle de la parenthèse à mi-voix "si je me souviens bien" l'imprécision du temps qui n'est plus trône comme impossibilité même d'approcher, dans le domaine du réel, à nouveau la vérité dérobée, du moins sous un mode autre que l'allégorie ou la littérature.
La citation suivante laisse sans voix :
La littérature - qui est donc l'ordre et l'édification sur la page des contours de ce qui fut réel - n'est pas alors la vie, mais une pensée dans un naufrage, une prothèse.
J'ai relevé les définitions lapidaires suivantes du livre de Rimbaud : "une parade scintillante, donnée d'emblée comme une perte de vérité", une "tentative forcenée d'une constitution nouvelle de soi". Il s'agirait selon l'auteur de "dire ce qui s'est déchiré dans la grande unité du "Jadis" ", sauf que c'est une pseudo évidence. Nous ne sommes pas du tout conduit par un raisonnement précis auquel se fier, même si l'auteur peut paraître pertinent, puisqu'il ajoute que ce "Jadis", "une ombre le ternit à jamais".
J'en ai eu assez, j'ai renoncé à travailler sur cet ouvrage, mais je tenais à en rendre compte sur ce blog. J'ai d'ailleurs noté un passage que j'ai accompagné d'une mention "non" personnelle : "elle fut la fascination [non], et demeure l'aliénation", mais je ne me rappelle plus de quoi exactement il était question. Ce que le lecteur peut comprendre, c'est que le livre d'Alain Coelho est une sorte de charabia ampoulé qui suit son cours, mais comme il est indéniable qu'il dit des choses sur le texte on pourrait être tenté de lui faire confiance, alors que son manque de précision laisse passer d'importants contresens et surtout laisse échapper des éléments majeurs pour la compréhension. Cet ouvrage d'analyse littéraire, c'est de la broderie sans queue ni tête. L'auteur ne formule même pas l'enjeu du texte, alors que c'est quand même explicite cette dialectique charité et mort du damné qui pousse le poète à une double révolte, contre dieu et contre le piège de Satan. Il faut tout de même des idées directrices dans un raisonnement ou dans une analyse. Les citations que j'ai faites laissent assez bien deviner les insuffisances réelles de l'analyse d'Alain Coelho. Je ne vais donc pas investir mes énergies à rendre compte de cette étude finalement peu utile à la lecture critique de la poésie rimbaldienne.
Le texte est assez difficile à lire à cause de ses contours syntaxiques, et puis tout d'un coup on a droit à une explication qui éclaire la clarté elle-même :
Une saison en enfer commence par des guillemets, ouverts, et qui ne seront pas refermés ; s'y imbriqueront d'autres voix, avec des guillemets chaque fois refermés.
[...] le démon, lequel "se récrie" (il écoutait donc !)
[...] le "etc." [...] "quel langage désabusé pour un diable [....] le narrateur qui semble le conclure (comme un air ressassé) d'un "etc..." agacé. Ainsi l'auteur interfère lui aussi dans les voix qu'il libère ; il les entend, les anticipe et, comme par lassitude, les modifie, déjà résonances en lui à l'heure où il les livre, échos.
Je vais juste citer pour finir un passage qui a quand même un mérite, et il faut des gens comme moi pour s'en apercevoir, celui de relier la mention "hideux" à la mention initiale "beauté" :
Fragments d'une Saison ("quelques feuillets"), l'ouvrage de Rimbaud est un livre de l'horreur, beauté inversée, laideur frénétique ("des hideux feuillets") et de la perte de soi (notes d'un "damné") [....]
Je reviendrai un de ces jours à la lecture de cet ouvrage, mais ce sera vraiment par acquis de conscience et dans un moment où il me sera loisible d'y consacrer une journée ou deux. Je peux en apprécier quelques détails, car cet auteur a une lecture proche de la nôtre et de celle de Margaret Davies pour les alinéas sur le rejet de la charité comme clef. Il a aussi un discours sur la "beauté" qui montre bien qu'un lecteur non pollué par les prétendus intertextes de Baudelaire et Vigny comprend spontanément qu'il faut opposer une beauté trop conventionnelle à une poésie de "hideux feuillets" adressés à un "Satan" perçu comme "lecteur avisé", "fin lettré".
Parce que, pour l'instant, le consensus sur Une saison en enfer, c'est qu'il y a allusion à la "beauté" des Fleurs du Mal, que la "charité" comme "clef" n'est pas spécifiquement chrétienne, que les "pavots" expliquent les rêves du poète, y compris celui du "festin ancien".
On voit qu'une tradition de lecture se constitue, à rebours des premières lectures, à rebours des lectures spontanées. L'érudition intimidante selon laquelle Rimbaud évoque la beauté baudelairienne fait des dégâts dans le commentaire critique sur Une saison en enfer. Je relie cela à la phrase finale d'Alchimie du verbe : "Cela s'est passé. Je sais aujourd'hui saluer la beauté." Les rimbaldiens hésitent entre deux lectures : soit il s'agit de rendre hommage, soit il s'agit de congédier. Je fais partie des lecteurs qui considèrent que la beauté est congédiée. Pour le soutenir, je m'appuie sur la lecture du texte, mais je ne vais pas enchaîner sur le détail du texte ici, car je m'appuie aussi tout simplement sur le brouillon correspondant. Le brouillon d'Alchimie du verbe se termine par quatre phrases ou amorces de phrase sur l'art et la beauté. Jusqu'à présent, les rimbaldiens éditent les phrases en suivant. J'ai déclaré que les quatre phrases n'avaient pas être lues à la suite l'une de l'autre sur le brouillon, mais qu'il s'agissait de quatre essais. Rimbaud n'avait besoin que d'une phrase en clausule, mais il cherchait une phrase à effet. Or, pour deux essais, Rimbaud a écrit "L'art est une sottise", ce qui prouve sans appel que "saluer la beauté" cela veut dire congédier la beauté et non pas lui rendre hommage.
Le problème, c'est que les lecteurs critiques de Rimbaud ont une propension à refuser l'évidence. Ils préfèrent supposer que du brouillon au texte définitif le poète a très bien pu dire le contraire de son idée de départ. En gros, le poète conserverait le même texte, mais il inverserait juste la conclusion. Je remarque que dans son livre Se dire et se taire Danielle Bandelier qui assimilait déjà le passage de "autels" à "outils" en tant que glissement phonétique, au lieu d'y voir une confusion graphologique de l'ouvrier-typographe, considère que la répétition "l'art est une sottise" sur le brouillon est peut-être une maladresse involontaire. Effectivement, l'analyse de la poésie rimbaldienne offre le spectacle d'une guerre d'une "logique bien imprévue", parce qu'il faut expliquer à tout moment pourquoi il est pertinent de considérer que tel changement est une corruption et non une variante, pourquoi tel texte ne doit pas se lire paresseusement de la première à la dernière ligne, mais doit être pensée différemment. Enfin, il faut sans arrêt aller récupérer des paroles alliées, parce qu'un consensus d'une majorité de commentaires se contrefiche de la solidité des raisonnements.
C'est pour cela que je n'hésite pas à rendre compte de tout ce qui me tombe sous la main au sujet d'Une saison en enfer. Il faut absolument que les gens sentent qu'au-delà de l'hermétisme du texte rimbaldien la critique a aussi une histoire et que les éditions en rendent compte auprès de nouveaux lecteurs de Rimbaud, ce qui crée des conditionnements où certains contresens perdurent parce qu'ils ont pignon sur rue.
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