La suite de mes études métriques va arriver, mais je rencontre une difficulté.
En Poésie Gallimard comme en Garnier-Flammarion, les vers suivants du poème "La Dryade" coince entre virgules l'expression "un moment joyeuse". Or, la mention est à cheval entre deux vers. On comprend que "joyeuse" n'est pas adjectif épithète de "moment", la construction suppose une complémentation plus complexe : la dryade est joyeuse pour un moment, etc. La configuration métrique est étonnante : il y a un rejet de l'adjectif "joyeuse" ou un contre-rejet de "un moment". Je galère un peu avec l'analyse du passage et je me demande comment bien en parler au plan de la versification.
Un métricien que j'ai sollicité m'a fait remarquer que l'édition de 1822 ne comportait qu'une seule virgule, ce que je n'avais pas vérifié, ça arrive.
Donc, comme il y a eu plusieurs éditions du vivant de l'auteur, j'estime que tout risque d'erreur a été contrôlé.
Sur Gallica, j'ai consulté l'édition originale de 1822 et sur GoogleBooks une édition de 1859. Il n'y a en effet qu'une seule virgule et, mieux encore, une correction est apportée dans l'un de ces vers mais à un autre endroit, la virgule après "feu divin" de 1822 est devenue point-virgule en 1859, si je ne m'abuse.
Donc, voici comment ces vers devraient être édités, je flanque des crochets pour rappeler l'endroit de la virgule dans les éditions courantes actuelles.
[...]
Le chêne ému tremblait, la flûte de Bathylle
Brilla d'un feu divin ; la Dryade[] un moment
Joyeuse, fit entendre un long frémissement,
Doux comme les échos dont la voix incertaine
Murmure la chanson d'une flûte lointaine.
On comprend que Bathylle a enchanté la dryade et que le jeu de la flûte porte le coup de grâce. Nous avons "Le chêne ému trembl[ant]" et une double reprise de "doux" et de "flûte" qui confirme qu'il y a un duo. La flûte a un effet divin, puisque la Dryade répète avec douceur le motif de la flûte, pour dire cela prosaïquement. Vigny a écrit en gros : la flûte de Bathylle est divine ,la dryade frémit douce comme la douceur de quelqu'un (des échos) qui imite (diffusent) le motif joué par une flûte. Ce n'est pas ce que j'ai trouvé de plus adroit, en fait, mais bon...
La virgule sépare abruptement le sujet du verbe, sorte d'effet rythmique, il y en a un chez Rimbaud un peu de la sorte je crois.
Ceci dit, le sujet de "fit entendre un long frémissement" est obligatoirement "la Dryade", puisque la proposition précédente est close : "la flûte de Bathylle Brilla d'un feu divin", ce qui empêche de reprendre par exemple "le chêne ému" en fonction sujet.
Donc la dryade fit entendre un long frémissement.
L'expression "un moment joyeuse" qualifie la dryade, et "un moment" qualifie "joyeuse", donc la dryade devient joyeuse mais juste un moment. Et ce moment coïncidera au plan poétique avec la durée du "long frémissement". La joie retombe à la fin du frémissement.
La virgule est rythmique, mais elle est aussi justifiée par la prédication selon moi. La dryade étant pour un moment joyeuse, elle fit entendre un long frémissement...
Ma lecture est-elle exacte ? Je galère un peu. J'espère résoudre la difficulté avant une semaine. Je suis absent jusqu'à mercredi.
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Une petite note en plus : on m'a peut-être pris pour un fou de citer comme ça "et l'Albertine de Marat" d'une page de Charles Demailly des Goncourt en pensant y trouver matière à développement avec le roman proustien.
En fait, quand j'ai parlé de Renée Mauperin, j'ai indiqué que j'avais repéré deux phrases qui me rappelaient une phrase de transition entre la fin des amours avec Albertine et le volume du Temps retrouvé : "Il faut laisser les jolies filles aux hommes sans imagination", citation de mémoire.
Or, à la fin du chapitre avec ma citation "Albertine de Marat", nous avons une phrase qui fait à nouveau écho avec la phrase de Proust : "Au fond, -reprit Demailly, - l'amour est la poésie de l'homme qui ne fait pas de vers, l'idée de l'homme qui ne pense pas, et le roman de l'homme qui n'écrit pas... Il est l'imagination de l'homme positif, sérieux, de l'homme de prose, de l'homme d'affaires, épicier ou homme d'Etat, autour d'un corps ou d'une robe... mais pour l'homme de pensée, qu'est-il ?
-Le rêve ! - dit Lamperière.
Peu de chapitres plus loin, Demailly est rapidement marié à Marthe, sachant que ça va très mal tourner et que c'est donc l'inverse de la distribution proustienne.
Le chapitre où se trouvent les deux citations contient des réflexions sur ce qu'est la femme, avec de la misogynie, par exemple la femme en intelligence par rapport à l'homme elle est à 16 contre 17, ce qui, au passage, est un aveu que cela ne peut pas se prouver mais qu'à la limite cela pourrait s'envisager comme des tendances (je ne souscris pas, je dis que là le débat n'est pas clos). En effet, à tout le moins, il est impossible, d'après moi, de prouver les différences d'intelligence entre les femmes et les hommes, ça n'a forcément aucun sens, puisque l'intelligence a des degrés divers tant chez les hommes que chez les femmes, etc. Par ailleurs, l'intelligence se manifeste par des formes diverses, il y a plusieurs formes d'intelligence (mobilisation de la mémoire, répartie, vitesse de réaction adaptée dans le concret, intelligence dans le recours à son corps, compréhension, cohérence, finesse d'observation, etc.). Surtout, comment mesurer les réflexions intelligentes ? Dans la vie, on fait ou on ne fait pas des réflexions intelligentes, mais en-dehors de l'élaboration complexe de la pensée, comment juge-t-on dans la vie quotidienne du degré d'intelligence d'un comportement, d'une résolution de problème ? Cela n'a pas trop de sens, puisque le sens commun cartésien nous l'avons tous et que les échecs ne sont pas à chercher dans un problème d'intelligence pure dans la plupart des cas. L'élaboration de la pensée va distinguer des individus, pas des groupements humains non arrangés. En plus, l'intelligence que nous estimons le plus, c'est celle qui apporte des résultats, elle est alimentée par l'endurance et une sorte de refus de révérer quoi que ce soit comme supérieurement intelligent. Donc je ne crois pas à une mesure de l'intelligence. Un autre argument, c'est que la femme serait plus proche de la vie des sens que l'homme. Là, c'est une opinion qui demande débat. Rappelons qu'une vidéo d'interview de Jacques Brel déployait aussi des considérations étonnantes sur les rapports hommes-femmes ("la femme elle veut le nid, elle prend la liberté de l'homme, etc."). Aujourd'hui, notre civilisation subit une dictature étrange, on nous impose de l'ingénierie sociale avec des évidences qui n'en sont pas, mais il faut au moins analyser les auteurs du passé dans le cadre qu'ils n'hésitaient pas à exprimer, sous peine de ne pas comprendre ce qu'ils écrivaient.
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