Je reviens de Toulouse. Je n'ai pas encore corrigé les coquilles du dernier article. Ici, je propose des liens littéraires intéressants.
J'ai parlé de Musset. Il s'agit d'une vraie figure problématique pour l'approche de la poésie rimbaldienne. Or, là on a la chance, du moins en ce moment même, d'avoir sur youtube une très bonne conférence de Frank Lestringant sur Musset. Je ne peux que la mettre en lien, c'est compréhensible par tous et c'est du costaud. Je connais aussi les travaux de Lestringant sur des auteurs du seizième siècle, notamment sur Les Tragiques d'Agrippa d'Aubigné. En plus, dans les années quatre-vingt-dix, je possédais le volume des poésies de Musset dans la collection "Poésie Gallimard". On avait juste une juxtaposition d'un recueil Premières poésies et d'un second Poésies nouvelles, mais cela ne formait qu'un ensemble amaigri des poésies de Musset, et il fallait aller consulter dans les bibliothèques les textes en vers qui manquaient. Le problème, c'est que le théâtre en vers des poésies il fallait encore aller le dénicher là où on pouvait. Or, en 2006, une nouvelle édition a vu le jour au Livre de poche par les soins de Frank Lestringant. On subit la nouvelle mode de la présentation franchement compacte au format de poche de cette collection, mais on a droit à un appareil critique de qualité et surtout nous avons un établissement du recueil Contes d'Espagne et d'Italie, une section Un spectacle dans un fauteuil avec les pièces-poèmes La Coupe et les Lèvres et A quoi rêvent les jeunes filles. Nous avons le texte des "Marrons du feu" ou celui de "La loi sur la presse". Découvrir ce volume en librairie, pour moi, c'était l'acheter.
Les liens littéraires un peu pointus ne sont pas si nombreux sur le site "youtube", donc profitons-en.
Le jeune homme d'un bien beau passé ? (conférence de Frank Lestringant sur Alfred de Musset en 2005)
J'ai regardé une autre émission, la musique est en train de tourner, mais normalement c'est le lien vidéo suivant, un podcast en provenance de France Inter, 2000 ans d'Histoire. Ceci dit, ça m'a agacé, car l'invitée attaque Hugo au profit de Musset, ce qui est idiot comme d'habitude, d'autant que Musset s'est fameusement inspiré du théâtre en vers d'Hugo, notamment au plan de la versification. En plus, pour une femme qui étudie et lit Musset, je ne comprends pas pourquoi elle prononçait "Lorenzakio", alors que tout le monde y compris l'animateur qu'elle avait en face d'elle prononce correctement le nom à l'italienne !?
J'en profite pour proposer d'autres liens. Je suis en train d'écouter Workingman's café de Ray Davies, donc je ne peux pas évaluer ce que je mets, mais je suis aussi en train d'étudier des aspects importants de la poésie d'Alfred de Vigny. L'autre fois, j'ai suivi un documentaire plutôt ancien sur le château détenu par Vigny dans une région qui n'était pas la sienne, c'était intéressant. Là, j'ai une émission radio de France culture avec André Jarry et Jean-Pierre Lassalle, ce dernier a été mon professeur de linguistique à l'Université. Il était passionné par Isidore Ducasse, sur lequel il a pas mal mais obscurément publié, et c'est un compagnon de route des surréalistes dernière époque, exécuteur testamentaire de Benjamin Péret notamment si je ne m'abuse. Je regarderai cela plus tard.
Si on tape "Théophile Gautier", on ne tombe pas sur grand-chose comme conférences et documentaires, on sera plus heureux avec Nerval ou Lamartine, mais je ne vais pas mettre tous les liens d'un coup.
Que puis-je offrir en bonus ? J'ai acheté le volume Conversations avec Poutine d'Oliver Stone. On vit vraiment dans une époque de tarés. Il y a des gens pour croire avec le plus grand sérieux que les russes ont influencé les élections américaines. Mais comment peut-on en arriver à des croyances pareilles ? Il y a vraiment des gens bêtes et fous. J'ai plein de lectures en retard. Des volumes de Richard Labévière, le livre Où en sommes-nous ? d'Emmanuel Todd. J'ai d'autres retards encore. Je sacrifie trop de choses à ma spécialisation sur Rimbaud.
Sinon, je suis tombé sur un livre de Tolstoï Les Récits de Sébastopol. J'ai adoré le vouvoiement de la première partie. J'étais jusqu'ici dans l'idée arrêtée naïve que Michel Butor avait été le premier à créer un récit à la deuxième personne et qu'il avait juste été suivi par Pérec dans un roman dont le nom m'échappe faute de l'avoir lu. Dans La Modification de Butor, le vouvoiement est tout de même artificiel, il ne m'a jamais satisfait. Ici, dans Les Récits de Sébastopol, on a une première partie "Sébastopol en décembre". Cela commence, du moins on le dirait, par un récit à la troisième personne : "Les lueurs de l'aube commencent à peine à colorer l'horizon au-dessus du Sapoun. La surface d'un bleu sombre de la mer s'est déjà débarrassée des ombres de la nuit et attend le premier rayon du soleil pour reluire d'un éclat joyeux. De la rade arrivent une brume et le froid. Il n'y a pas de neige, le sol est noir partout, mais la gelée matinale vous coupe le visage et craque sous les pas, et le murmure incessant et lointain de la mer, interrompu de temps à autre par les volées du canon à Sébastopol, rompt seul le silence du matin. A bord des vaisseaux, le sablier de huit heures sonne sourdement." Je viens de vous citer tout le premier paragraphe. Le motif de la lumière et du spectacle de la Nature, mer et ciel, c'est essentiel dans ce roman, mais avez-vous remarqué cette première marque de deuxième personne subrepticement mise là dans le récit : "vous coupe le visage". Nous pouvons à ce stade de la lecture considérer qu'il s'agit d'une passerelle de connivence entre le narrateur et le lecteur. Balzac ou d'autres s'adressent parfois à leurs lecteurs, et Stendhal fait visiter à son lecteur les rues de Verrières au début de son roman Le Rouge et le Noir. Le second paragraphe a l'air de nous offrir la suite d'un récit à la troisième personne : "Dans le quartier Siéviernaia, les occupations du jour remplacent peu à peu la tranquillité de la nuit. A tel endroit passe la relève des sentinelles dans un cliquetis d'armes ; en tel autre, un médecin se hâte déjà vers l'hôpital ; en un autre, un pauvre soldat sort de sa hutte de terre, lave dans une eau glacée son visage hâlé [belle réussite prosodique du traducteur à base de "é" et "a" notamment] et, se tournant vers l'orient rougissant, fait sa prière avec de rapides signes de croix ; en un autre encore, un haut et lourd chariot, attelé de chameaux, traîne en grinçant vers le cimetière des cadavres ensanglantés dont il est chargé presque jusqu'au bord... Vous vous approchez du port : une odeur particulière de charbon de terre, de fumier, d'humidité et de viande fraîche vous saisit. [...]" Je vous ai peut-être tout gâché en vous guidant par la main, mais ce passage soudain au vouvoiement m'a séduit. Il n'y a pas cette grâce dans le récit de Michel Butor, ni je m'en doute dans le roman qui a suivi de Pérec. Ce vouvoiement qui, à la différence du premier, n'est pas discret et vous impose comme personnage du récit suit immédiatement la mention d'un débordement de cadavres, ce vous est donc impliqué par une fonction du livre : décrire les horreurs de la guerre comme jamais auparavant à rebours de la littérature valorisant l'héroïsme. Le second paragraphe se prolonge quelque peu, mais sans aucune autre marque de la deuxième personne. Le troisième paragraphe est en fait un passage au discours direct avec le tiret introducteur de paroles rapportées. Nous retrouvons le vouvoiement "Votre Noblesse, si vous le voulez ?", présence justifiée dans des paroles rapportées au discours direct, si ce n'est que nous pressentons déjà que ce vouvoiement s'adresse au lecteur assimilé à un personnage de l'histoire. Et le quatrième paragraphe confirme avec le "Vous" à l'attaque et avec une occurrence verbale amusante "choisissez" vu que nous ne saurions changer aucune ligne du récit qui s'impose à notre lecture : "Vous choisissez celui qui est le plus à votre portée, vous enjambez la carcasse à demi pourrie d'un cheval bai, qui est là dans la boue à côté d'une barque et vous vous mettez au gouvernail. [...]"
Le personnage auquel nous devons nous identifier a une conception de la guerre où l'héroïsme est encore possible, où l'héroïsme est la norme, mais il va progressivement affronter le spectacle qui désenchante, désenchantement par les atrocités, mais aussi par la forme morne et passive de l'activité humaine sous les bombes à Sébastopol. Il est aussi question d'une transformation psychologique du personnage auquel le lecteur doit s'assimiler dans La Modification, mais la construction de Tolstoï me semble autrement pertinente et efficace. C'est infiniment supérieur à la tentative de Butor. Il y a d'autres passages que je pourrais citer et commenter dans ce livre. Je me demandais comment forger un prétexte pour parler de cette découverte récente que j'ai faite en lisant Tolstoï sur mon blog rimbaldien, mais voilà c'est fait comme dirait le comte de Lautréamont.
Je vous laisse, je dois changer de disque, je vais m'écouter Roky Erickson. Je n'ai pas l'album Don't slander me sous la main, ni le 33 tours à cinq titres Clear night of love de 1985, mais qu'est-ce que vous diriez de l'album de 1980 Roky Erickson and the Aliens avec une série de chansons sur martiens, cerbères, vampires et zombies ? Roky Erickson a incroyablement résisté à l'abus des drogues et surtout à la violence d'internements psychiatriques répétés où on l'a détruit avec de fortes doses de neuroleptiques. Les trois albums que j'ai cités sont des perles de sensibilité avec une maestria dans la conduite musicale. Allez hop, on s'en met un !
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