Sur son site Arthur Rimbaud le poète, Alain Bardel a proposé une nouvelle présentation d'ensemble des textes. Il essaie de présenter une structure en fonction des dossiers manuscrits, ce que complètent les cas particuliers de textes imprimés dont nous ne possédons pas les manuscrits. Cette présentation inclut les lettres de Rimbaud et essaie de rendre compte des différentes versions connues des poèmes. Ajoutons que, pour des raisons de commodité, Alain Bardel a tenu compte d'une division année par année. En effet, dans l'absolu, il ne devrait exister qu'un seul dossier Demeny, qu'un seul dossier Izambard, qu'un seul dossier Banville et même qu'un seul dossier Forain-Millanvoye.
Certains textes sont isolés dans cette présentation : "Les Etrennes des orphelins", la lettre à Jean Aicard avec une version du poème "Les Effarés", le récit en prose "Le Rêve de Bismarck", la version intitulée "Trois baisers" d'un poème paru dans la revue La Charge, le poème "Les Corbeaux", les deux versions de "Paris se repeuple", le dizain "L'Enfant qui ramassa les balles...", le texte imprimé du livre Une saison en enfer.
D'autres textes sont isolés, mais cette fois il s'agit de choix effectués par Alain Bardel lui-même. Je traiterai donc ces autres cas isolés dans les paragraphes suivants où je vais parler de la cohérence des dossiers année par année, des quelques oublis et aussi des dossiers de base qu'Alain Bardel a pu scinder. Par exemple, pour l'année 1870, nous ne devrions avoir affaire qu'à six dossiers. A côté des cas isolés "Les Etrennes des orphelins", "Trois baisers" et "Le Rêve de Bismarck", nous ne devrions relever que la lettre à Banville qui contient trois poèmes, puis un dossier de manuscrits en provenance d'Izambard et enfin un dossier en provenance de Demeny. Alain Bardel a scindé en deux le dossier Izambard, et d'une façon qui mérite débat, puisque nous avons d'un côté un ensemble poèmes et lettres, et de l'autre la seule nouvelle Un coeur sous une soutane. On aurait pu imaginer une séparation différente entre œuvres littéraires et lettres, par exemple. Il faut d'ailleurs considérer que, parmi les lettres, il y en a une qui date de la fin du premier séjour douaisien, puisque Bardel a inclus la lettre de protestation du 25 septembre, mais surtout nous en trouvons une autre qui date du deux novembre 1870 et qui est postérieure à tout le dossier remis à Demeny en 1870, alors que les poèmes remis à Izambard et aussi la nouvelle sont admis comme des dons antérieurs aux copies remises à Demeny. Selon moi, ou il y a un seul dossier Izambard, ou il y en a trois (les poèmes, la nouvelle, les lettres), mais le fait d'isoler Un coeur sous une soutane d'un ensemble qui reste hétérogène : lettres et poèmes, n'a pas de sens pour moi. C'est une scission qui n'est pas très importante à dénoncer, mais qui reste à mi-chemin de deux options divergentes.
Pour l'année 1871, les dossiers Demeny et Izambard sont donnés d'un seul tenant chacun : lettres et poèmes ensemble, ce qui était inévitable. Nous avons également un nouveau dossier Banville, assez justifié celui-là dans la mesure où les lettres à Banville n'ont pas été révélées au même moment au public. Mais, pour l'année 1871, on voit que le classement est soumis à certains aléas qui imposent des choix hétérogènes : isolement du cas du "Bateau ivre", isolement des versions de poèmes publiés dans les Poètes maudits, isolement très particulier pour "Voyelles" et "Oraison du soir". L'Album zutique a tout à fait sa place dans les ensembles consacrés à l'année 1871, mais pour le dossier Verlaine paginé, deux remarques sont à faire. Premièrement, ce dossier fait partie d'un dossier Forain-Millanvoye plus large qui contient encore "Les Déserts de l'amour" et quatre poèmes de "mai 1872". Je vais revenir sur ce sujet plus loin. Deuxièmement, et Alain Bardel nous en prévient dans son "avertissement" comme dans la parenthèse qui accompagne la mention du dossier Verlaine : certains des poèmes ont pu être composés en 1872. Sur l'ensemble des dossiers référencés par Bardel, cela s'aggrave du fait que deux des poèmes présentés isolément pour l'année 1871 ne sont pas nécessairement des compositions de 1871, à savoir "Le Bateau ivre" et "Paris se repeuple" qui peuvent dater du début de l'année 1872. On peut penser que l'isolement de "Voyelles" et "Oraison du soir" doit être considéré comme un second volet du seul "dossier Verlaine paginé". Là encore se pose la question de la datation réelle de deux poèmes qui dans le meilleur des cas datent de la toute fin de l'année 1871, mais qui peuvent fort vraisemblablement dater de 1872. Enfin, Bardel a proposé également les trois sonnets "Immondes" et les "Vers pour les lieux" en-dessous du dossier de l'Album zutique. Cette fois, du moins sur la page de sommaire intitulée "Tous les textes", nous observons un traitement différent entre le "Sonnet du Trou du Cul" qui est mentionné dans deux dossiers distincts, alors que les sonnets "Voyelles" et "Oraison du soir", sans parler du dossier des Poètes maudits, sont eux séparés du dossier Verlaine paginé. Toutefois, sur les autres sommaires, ceux établis dossier par dossier, l'anomalie semble résorbée, "Voyelles" est bien intégré au "dossier Verlaine paginé". Mais surtout, Bardel réunit en un seul dossier les "Immondes" et les deux quatrains coiffés du titre "Vers pour les lieux", alors qu'il s'agit de deux dossiers distincts, et surtout il néglige que ces compositions peuvent dater de 1872, ce qui est d'ailleurs le cas des "Vers pour les lieux" selon le témoignage de Verlaine. Précisons qu'une solution serait selon nous décaler les bornes : au lieu d'un ensemble pour l'année 1871, un ensemble janvier 1871 - mars 1872 qui minimisera les risques d'erreurs. Et en conséquence, il faudra limiter le dossier pour l'année 1872.
Nous ne nous attarderons pas sur les multiples mentions inévitables d'un poème de 1870 "Les Effarés" dans les dossiers consacrés à l'année 1871. En revanche, nous observons un oubli important. Même s'il n'y a pas de consensus en la matière et même si certains mentions sont sujettes à caution, Delahaye a cité un certain nombre de vers inédits qu'il attribue à Rimbaud. Je ne crois pas que Delahaye ait inventé le poème "Oh ! si les cloches sont de bronze,...", et encore moins qu'il ait eu le don rimbaldien du vers pour composer le fragment "[...] Vous avez / Menti sur mon fémur, [...]" dont les qualités littéraires sont suffisamment réelles que pour le prendre au sérieux. En revanche, et Bardel lui-même n'en a heureusement pas tenu compte, je rejette les reconstitutions proposées par Labarrière qui ne sont qu'une aimable plaisanterie. Je n'en suis pas à confondre le talent de Rimbaud avec celui du facétieux Labarrière. Alain Bardel ne référence pas non plus les deux versions connues, l'une étant sans doute erronée, d'un vers attribué à Rimbaud, cité pour la première fois par ce béotien d'Octave Mirbeau, vers qui serait des "Veilleurs" et que Mirbeau citait tendancieusement pour se moquer de la phrase de Verlaine dans Les Poètes maudits où il déplorait ne pas se souvenir d'un seul vers des "Veilleurs", car il va de soi que, n'en déplaise à Pierre Michel, il n'y a aucune illusion à se faire sur la lucidité poétique des citations d'Octave Mirbeau qui sentaient le mépris à plein nez. Un problème similaire se pose pour une version des "Chercheuses de poux" citée par Félicien Champsaur. Octave Mirbeau et Félicien Champsaur auraient cité des pièces du dossier Forain-Millanvoye lui-même.
Nous ne nous attarderons pas sur les multiples mentions inévitables d'un poème de 1870 "Les Effarés" dans les dossiers consacrés à l'année 1871. En revanche, nous observons un oubli important. Même s'il n'y a pas de consensus en la matière et même si certains mentions sont sujettes à caution, Delahaye a cité un certain nombre de vers inédits qu'il attribue à Rimbaud. Je ne crois pas que Delahaye ait inventé le poème "Oh ! si les cloches sont de bronze,...", et encore moins qu'il ait eu le don rimbaldien du vers pour composer le fragment "[...] Vous avez / Menti sur mon fémur, [...]" dont les qualités littéraires sont suffisamment réelles que pour le prendre au sérieux. En revanche, et Bardel lui-même n'en a heureusement pas tenu compte, je rejette les reconstitutions proposées par Labarrière qui ne sont qu'une aimable plaisanterie. Je n'en suis pas à confondre le talent de Rimbaud avec celui du facétieux Labarrière. Alain Bardel ne référence pas non plus les deux versions connues, l'une étant sans doute erronée, d'un vers attribué à Rimbaud, cité pour la première fois par ce béotien d'Octave Mirbeau, vers qui serait des "Veilleurs" et que Mirbeau citait tendancieusement pour se moquer de la phrase de Verlaine dans Les Poètes maudits où il déplorait ne pas se souvenir d'un seul vers des "Veilleurs", car il va de soi que, n'en déplaise à Pierre Michel, il n'y a aucune illusion à se faire sur la lucidité poétique des citations d'Octave Mirbeau qui sentaient le mépris à plein nez. Un problème similaire se pose pour une version des "Chercheuses de poux" citée par Félicien Champsaur. Octave Mirbeau et Félicien Champsaur auraient cité des pièces du dossier Forain-Millanvoye lui-même.
Passons donc aux dossiers pour l'année 1872. Bardel aurait dû présenter un seul dossier Forain-Millanvoye, il a scindé ce dossier en trois : d'un côté le "dossier Verlaine paginé" reporté à l'année 1871, le dossier des "Déserts de l'amour" et le dossier de quatre poèmes du mois de mai 1872. La scission ne peut se justifier que si elle est systématiquement appliquée à d'autres dossiers hétérogènes similaires, essentiellement le dossier Izambard de 1870 et les brouillons de la Saison dont nous parlons plus bas. Il se trouve que c'est à peu près le cas dans la page de présentation de Bardel, donc nous pouvons admettre l'autonomie des trois dossiers Forain-Millanvoye. Toutefois, il y a un risque que les notices pour les trois dossiers doivent prendre en charge. En effet, pour l'interprétation des dossiers, il est bon de savoir que le dossier Verlaine paginé a été remis à Forain en même temps que les manuscrits des "Déserts de l'amour" et que quatre poèmes nouvelle manière datés de mai 1872. Nous allons nous expliquer là-dessus plus bas. Je n'ai rien d'autre à dire pour l'instant sur les dossiers proposés par Bardel pour l'année 1872, à ceci près que dans le dossier 1886 de poèmes nouvelle manière il y a un doublon qui interpelle dans la confrontation entre "Enfer de la soif" et une version sans titre.
Pour l'année 1873, Bardel a finalement opté pour une séparation en deux dossiers des brouillons et des proses dites "évangéliques". Nous aurions pu n'avoir qu'un seul dossier, vu que les brouillons sont au dos des textes inédits qui forment une parodie des écrits johanniques en quelque sorte. La séparation procède ici d'une logique identique à celle qui a divisé en trois le dossier Forain, à celle qui a isolé Un cœur sous une soutane du dossier Izambard de 1870. Cette séparation a son intérêt. Dans la mesure où elles sont associées par le document manuscrit à la genèse du livre Une saison en enfer, ces proses ont été assimilées d'office à une sorte de dossier sur les origines du livre Une saison en enfer. Mais, objectivement, malgré la thématique religieuse, ce sont des textes autonomes. Après tout, Rimbaud aurait pu entamer la genèse d'Une saison en enfer au dos d'un manuscrit de "Matinée d'ivresse" (à supposer certes que, comme je le pense, il ait écrit ce poème en prose avant Une saison en enfer), et nous aurions eu alors tendance à enquêter sur les liens profonds qui unissent "Matinée d'ivresse" et Une saison en enfer, travail de comparaison qui n'aura rien de particulièrement éprouvant. J'ai signalé ce problème à Alain Bardel qui a été spontanément d'accord pour modifier son sommaire à ce sujet. Il faudrait peut-être aussi supprimer pour les brouillons la mention "1872" dans la parenthèse. On peut conserver l'idée que l'espèce de "suite johannique" a pu être composée en 1872, mais cela n'est pas franchement tenable pour les brouillons de la Saison. Deux remarques encore, pour les brouillons de la Saison, il me semble qu'ils devraient passer non avant mais après le texte des proses dites "évangéliques", et la mention entre guillemets "Proses évangéliques" a l'inconvénient de faire passer pour authentique un titre apocryphe : il est vrai que pour l'instant il est difficile de s'accorder sur une manière neutre de désigner ces proses.
Alain Bardel offre enfin deux derniers ensembles pour la période 1873-1875 : celui délicat à dater des Illuminations avec prise en compte des seuls poèmes en prose comme cela est devenu le cas depuis la thèse de Bouillane de Lacoste et un ensemble de lettres à Delahaye avec de derniers exercices poétiques. En revanche, il manque un dossier dans cet ensemble, celui des versions du sonnet "Poison perdu", même si son attribution à Rimbaud continue d'être couverte par quelques ombres problématiques. En effet, le dizain "L'Enfant qui ramassa les balles..." signé "PV" est admis dans les dossiers, mais pas les reconstitutions hautement plausibles de Delahaye, ni le sonnet "Poison perdu" dont un manuscrit est tout de même accompagné de la mention "Arthur Rimbaud".
Dans la mesure où la page "Tous les textes" s'adresse à ceux qui veulent connaître l'état de la recherche rimbaldienne et les problèmes philologiques qui se posent, il convient que le dossier soit complet.
Passons maintenant à un autre problème. Dans son avertissement, Alain Bardel a prévenu avec un second paragraphe qu'il recourait à trois notions distinctes "archives", "dossiers" et "recueils". Ce dont je n'ai tenu aucun compte dans ce qui précède où j'ai parlé systématiquement de dossiers. Pour Bardel, le mot "archives" convient à une réunion aléatoire de documents, le mot "recueil" à un projet en tant que tel de la part du poète et le mot "dossier" conviendrait à une compilation non aléatoire.
Pour Bardel, la notion de recueil s'applique aux seuls poèmes en prose des Illuminations, ce qui tend à entériner la séparation critique avec les poèmes en vers nouvelle manière opérée par les éditeurs depuis la thèse de Bouillane de Lacoste. Je ne veux pas traiter ce sujet ici, même s'il y serait quelque peu à sa place : je me contente d'attirer l'attention sur ce fait.
L'important, c'est que Bardel a renoncé à la désignation traditionnelle "Recueil de Douai" ou "Recueil Demeny" dans le cas des manuscrits remis au poète douaisien en 1870. Pour faire le point sur ce sujet, je précise que sur le blog Rimbaud ivre de Jacques Bienvenu, j'ai publié un article que je mets en lien ici et qui s'intitulait "La Légende du 'recueil Demeny' ". Cette idée de recueil était également contestée par André Guyaux, et son édition des Œuvres complètes d'Arthur Rimbaud en 2009 en témoigne, mais mon article, assez long, développe la contre-argumentation dans pratiquement tous les détails et fait un historique assez précis pour donner à comprendre aux lecteurs pourquoi plusieurs critiques rimbaldiens ont eu ce consensus depuis les années 1980 de considérer que nous avions affaire à un recueil. L'hypothèse n'est pas raisonnable, et je vais même plus loin. Bardel opte pour l'appellation "dossier", ce qui signifie que, malgré tout, la collection n'est pas aléatoire. Mais comment définir l'aléatoire ? Demeny a reçu des poèmes composés à Douai, tels que "Roman" ou "Les Effarés" dont les manuscrits sont datés. Il a reçu la primeur de sonnets qui relataient un passage en Belgique, juste avant le second séjour douaisien. Est-ce que la différence est bien réelle avec les dons de manuscrits à Izambard pour lequel Bardel parle d'archives ? Quittant Douai, Rimbaud ne semble plus avoir envoyé un seul poème à Demeny avant plusieurs mois. Enfin, je vais dire ma conviction : Rimbaud remettait l'ensemble de ce qu'il considérait comme sa production poétique à un poète déjà publié, histoire de l'épater. C'est un jeune qui arrive seulement sur ses seize ans, il n'a pas un recueil publié, mais il a besoin de lecteurs. Il donne tout ce qu'il a, c'est uniquement ça l'histoire des manuscrits remis tant à Izambard qu'à Demeny. Izambard a reçu moins de manuscrits parce qu'il y a eu par la suite un conflit entre les deux hommes, parce que certains aléas du séjour à Douai ont fait que Rimbaud a dû avoir le tort de s'imaginer que tout ce qu'il donnait à Demeny il aurait peu de mal à le communiquer ensuite à Izambard qu'il estimait son ami et qui habitait la même ville que lui. Enfin, nous pouvons soupçonner qu'Izambard a détruit du courrier contenant des poèmes, puisqu'il cite de Rimbaud des formules non attestées par les lettres qui nous sont parvenues, et notamment il prétend avoir possédé une version sans titre de "Mes petites amoureuses". Quand Rimbaud demande à Demeny de brûler ce qui lui a été confié, il ne parle pas d'un recueil. Le site d'Alain Bardel prend acte en tout cas de ce basculement critique et ne confère pas de légitimité à la mention de recueil pour les manuscrits de 1870, puisqu'il écrit dans la notice sur ce "dossier Demeny" : "Mais si l'espoir d'être publié ne paraît pas douteux, on n'est pas en mesure d'affirmer que Rimbaud a composé ce dossier de textes offert à Demeny comme un 'recueil' à proprement parler." Mes deux réserves sont les suivantes. Je me méfie des implications du singulier "dossier" conforté par l'accord au singulier pour "offert" (un accord au pluriel avec "textes" était envisageable), puisque les pliures des manuscrits et les différents papiers utilisés témoignent d'une constitution lente du soi-disant "dossier offert", avec même l'hypothèse que les manuscrits n'ont pas tous été transmis lors du même séjour. Quant à l'idée que la volonté d'être publié ne soit pas douteuse, elle est ambiguë. Personne ne conteste le désir du jeune Rimbaud d'être publié, alors que la formulation ici placée prend un autre sens en laissant entendre que les manuscrits sont remis dans l'espoir de servir à une publication, ce que rien ne prouve, pas même l'amusante réplique rapportée par Izambard selon laquelle, pour Rimbaud, on n'écrit pas au verso des manuscrits prévus pour l'impression, tant la boutade ne porte pas à conséquence.
Un autre dossier en vers pose débat en ce sens, c'est celui du "dossier Verlaine paginé". Sur ce sujet encore, j'ai publié un article sur le blog Rimbaud ivre que je mets en lien et qui s'intitulait "Dossier Forain ou Recueil Verlaine". Alain Bardel rend compte donc des diverses positions dans le débat et par conséquent de l'article que nous venons de mentionner, puis il précise qu'il a préféré la mention "dossier" aux mentions "archives" comme "recueil". Il ne prétend pas trancher le débat en notre faveur, mais rester sur la réserve face à un sujet qu'il considère compliqué. L'appellation "dossier" est cette fois bien justifiée à cause de la pagination. Alain Bardel fait remarquer dans sa notice que l'ordre des poèmes dans la suite paginée n'est pas le même que dans la page de sommaire qui lui correspond. On peut faire un sort rapide à ce sujet. Verlaine comptait les vers et a effectué des regroupements ne tenant aucun compte de l'ordre réel de la suite paginée. Il s'agit d'une variante parce qu'il n'avait pas le scrupule de compter les vers des poèmes dans l'ordre. L'argument important, c'est bien évidemment que sur la page de sommaire Verlaine cite plusieurs titres de poèmes qui ne figurent pas dans la suite paginée, ce qui veut clairement dire qu'il ne les a pas eus sous la main, ce qui veut bien dire que la suite paginée est un portefeuille de recopiages en fonction des manuscrits disponibles. Verlaine prévoyait de compléter cette liste, mais pour des raisons inconnues cela ne s'est pas fait. Cette collection avait l'intérêt de fixer l'état d'une production rimbaldienne pour la conserver par-devers soi et pour l'évaluer. Cela pouvait être un support de réflexion pour échafauder un projet de recueil, mais il n'y a évidemment aucun recueil là-dedans.
Je vais même en profiter pour proposer des pistes de réflexion. Tout à l'heure, j'ai insisté sur le problème que posait la scission en trois parties du dossier Forain-Millanvoye. D'abord, une lettre de Delahaye à Maurevert nous apprend que le dossier contenait également une version du "Sonnet du Trou du Cul". Pour des raisons évidentes, ce sonnet n'a pas été publié par Messein en 1919 : ceci indique au passage qu'un manuscrit inédit courrait dans la nature, à moins qu'il ne s'agisse de la version publiée par les surréalistes. Maurevert n'avait-il pas entre les mains les trois sonnets dits "Immondes" ? Je me pose quelque peu la question. Autre problème, les vers inédits cités par Delahaye ne viendraient-ils pas eux aussi de Maurevert ? Il faudra un jour une étude fouillée sur les publications dans les Revues d'Ardennes et d'Argonne, il y a en tout cas pour moi des choses pas très claires dans l'histoire de Maurevert, du dossier Forain-Millanvoye et des vers inédits cités par Delahaye. En tout cas, le dossier Forain-Millanvoye tel que nous le connaissons coïncide avec le retour à Paris de Rimbaud en mai 1872 quand Forain s'occupe de protéger les manuscrits et, avec Verlaine, de trouver une chambre à Rimbaud. Le dossier Forain-Millanvoye contient une prose, sans doute de la poésie en prose (Les Déserts de l'Amour), quatre poèmes datés de mai 1872, ce qui veut probablement dire des poèmes commencés un peu avant mais terminés, mis au point, recopiés définitivement, en mai 1872. Quand Rimbaud est revenu à Paris, il n'aurait pas remis à Verlaine d'autres poèmes première manière à Verlaine pour qu'il les recopie. Ne soyons pas aussi catégoriques, car tout de même, le manuscrit des "Mains de Jeanne-Marie" est assez déconcertant où la main de Verlaine se mêle à celle de Rimbaud pour établir deux versions distinctes d'un même poème, mais deux versions superposées en un résultat hybride. Surtout, un état manuscrit de "L'Homme juste" a été remplacé par un nouveau allongé de deux quintils qui ont selon toute vraisemblance été écrits au plus tôt en mars 1872, puisqu'ils portent la rime "daines"::"soudaines" qui vient d'un passage d'Ernest d'Hervilly cité par Banville dans une recension en revue qui date de mars 1872, la fameuse "cerise sur le gâteau" dans mon déchiffrement du prétendu vers illisible de "L'Homme juste" dont je parlerai plus bas. Le dossier paginé a été remanié, mais pas complété en mai 1872, à moins que tous les recopiages ne datent de mai 1872. En tout cas, le travail de compilation et recopiage a été brutalement interrompu en mai 1872, et à la place des poèmes manquants, dont "Le Bateau extravagant" ou "Bateau ivre", nous avons quatre poèmes "nouvelle manière" et un poème en prose "Les Déserts de l'amour".
En juillet 1872, Verlaine et Rimbaud partent précipitamment pour la Belgique, deux mois après ils gagnent l'Angleterre, d'où Verlaine va découvrir l'étendue du scandale qu'il laisse derrière lui. Verlaine reprochera désormais la détention, puis la destruction d'un ensemble important de manuscrits de Rimbaud. Mathilde s'en défendra, avouant tout de même la destruction de poèmes déjà publiés "Voyelles" ou "Les Chercheuses de poux". Le fait d'avoir retrouvé des manuscrits remis à Forain au vingtième siècle invite à tort selon nous la critique rimbaldienne à considérer que Verlaine s'est trompé et que Mathilde était de bonne foi sur le sujet. Ce n'est pas parce qu'en septembre-décembre 1872, par exemple, Rimbaud et Verlaine n'ont rien fait pour récupérer les manuscrits auprès de Forain que la famille Mauté ne s'était pas emparée des doubles. On peut parier qu'elle est tombée sur une série d'autographes rimbaldiens, ceux mêmes qui ont servi à la confection du dossier paginé. Car où seraient passées les sources des copies de Verlaine autrement ? Il n'y a que trois hypothèses : ou Rimbaud a tout ramené à Charleville, et c'est là qu'ils auraient été détruits un jour ou l'autre, peut-être par la famille après novembre 1891, ou (mais pour quelle obscure raison) Rimbaud les aurait remis à Bretagne, mais la famille a déclaré aux chercheurs n'avoir rien conservé de la correspondance même de Bretagne avec ses amis poètes, ou Rimbaud aurait laissé tous ses poèmes à Verlaine en mai 1872. Peut-être que "Tête de faune", poème à la versification surprenante, ne fait pas partie du dossier des nouveaux vers, uniquement pour des raisons contingentes. Les versions manuscrites étaient entre les mains de la famille Mauté et entre celles de Forain à partir de juillet 1872. Je n'affirme rien, j'essaie de montrer qu'il faut bien réfléchir avant d'affirmer que tel poème fait partie ou non de tel projet, etc. Notez que dans ce raisonnement je point du doigt l'anomalie flagrante que pose "Tête de faune" dans un prétendu recueil paginé par Verlaine. Tout indique qu'il est une composition de transition avec la nouvelle manière des vers du printemps et de l'été 1872. Il n'est même pas une transition, il en est le premier exemple. Cela suffit à rendre très suspecte l'idée d'un projet de recueil arrêté où "Tête de faune" aurait été l'exception. Il me paraît extrêmement court de répliquer qu'il aurait été le signe avant-coureur du second recueil prévu. Pour en finir avec le dossier paginé par Verlaine, on peut même nuancer l'idée selon laquelle Verlaine n'avait pas sous la main "Paris se repeuple", "Le Bateau ivre", etc. Il pourrait s'agit d'un cas de poèmes non encore recopiés, mais en sa possession dans la maison de la belle-famille, jusqu'à ce que le départ du 7 juillet 1872 bouleverse tout. Il faut garder ouvert le champ des hypothèses.
Nous avons l'air de "gamberger" comme on dit, mais il ne faut pas cacher cet aspect du problème posé par l'histoire critique de la poésie rimbaldienne.
Ne pouvant traiter tous les aspects du travail d'Alain Bardel en un seul article, je vais en venir enfin à quelques derniers points de détail, mais des points qui sont en lien avec mon activité critique personnelle.
Au sujet du poème "L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple", la notice précise que j'ai publié un article sur les problèmes que pose ce poème dont aucun manuscrit n'est parvenu entre nos mains. Il est aussi question d'un problème d'établissement du texte, et il me faudra répertorier ici les divergences que j'ai avec l'établissement du texte actuel. Il y a une partie de l'établissement qui se fonde sur deux quatrains manuscrits d'une main autre que celle de Rimbaud, et je prétends que pour les majuscules les leçons adoptées ne sont pas correctes. Je prétends aussi m'intéresser à deux vers qui ont pu être retouchés par les typographes travaillant pour Vanier : il s'agit du conflit étrange de la variante "pudeur"::"putain" et du conflit sur l'établissement du vers "L'orage t'a sacré suprême poésie", avec sa licence grammaticale, pas d'accord au féminin sur "sacré". La leçon "L'orage a sacré ta suprême poésie" est au crayon et n'a pas du coup le statut de variante, puisque les variantes étaient d'office transcrites à l'encre. Le nouveau vers serait le fait d'une personne ayant collaboré avec Vanier lors de la préparation d'une édition rimbaldienne pour l'année 1895. La leçon "pudeur" a un sort étrange sur les séries d'épreuves. Il faut donc vraiment se reporter à mon article sur ces questions. Il y a aussi un problème posé par la ponctuation que permet de cerner la confrontation du texte imprimé de "Paris se repeuple" et les strophes allographes sur l'exemplaire du Reliquaire avec les annotations de quelqu'un faisant partie du "personnel" de Vanier.
Pour "Les Corbeaux", Alain Bardel a remanié sa notice et il évacue l'ambiguïté sur la datation. Le lecteur pourra se faire une opinion personnelle. Bardel m'attribue une datation problématique mars-avril pour la remise du poème aux dirigeants de la revue. En fait, le poème a été remis selon moi à la revue La Renaissance littéraire et artistique en février 1872, sinon au début du mois de mars, avant même que la revue n'ait lancé son premier numéro, mais, tout de même, à l'époque où avance la composition du "Coin de table", à une époque où il faut rassembler de la matière pour la future revue. Je ne crois même pas à un don au début du mois de mai 1872 quand Verlaine y publie ses premiers poèmes. Je ne crois même pas qu'il aurait été impossible de publier "Larme" ou "La Rivière de Cassis" dans la revue. Rimbaud n'était pas à Paris en mars-avril pour l'essentiel, et il part avec Verlaine pour la Belgique puis l'Angleterre à partir du 7 juillet 1872. Enfin, en juin 1872, Rimbaud a écrit son mépris pour la revue à Delahaye sous forme de propos scatologique. Rimbaud n'a pu remettre son manuscrit que vers février, sinon en mai. L'histoire d'un manuscrit envoyé depuis l'Angleterre où il vient à peine de débarquer est complètement absurde et invraisemblable. Il est en revanche plus intéressant de noter que c'est au moment où la correspondance de Verlaine avec Blémont témoigne du désir de Verlaine de récupérer les numéros de la revue que la petite malice de publier enfin un poème de Rimbaud survient, un Rimbaud qui a visiblement tant attendu qu'il ne l'espérait plus. L'idée d'un poème envoyé depuis l'Angleterre défie toute logique. D'ailleurs, pourquoi pas plutôt un poème de Verlaine qui avait déjà publié dans la revue en mai et juin ? Pourquoi la collaboration ne se serait-elle pas prolongée ? On voit bien que la thèse ne consiste qu'à justifier la date tardive de publication d'un poème de Rimbaud. Il est un peu court de dire que, puisque ce poème est publié en septembre 1872 et n'a jamais fait parler de lui avant, c'est que Rimbaud vient de le composer et de l'envoyer pour être publié dans une revue qui l'impatientait trois mois auparavant. Tous les indices concordent pour considérer que ce poème était déjà assez ancien quand il fut publié : départ des deux poètes depuis le 7 juillet, forme de versification régulière dont Rimbaud ou un autre comme Verlaine n'ont plus donné d'attestation pour un quelconque poème daté depuis les mois de février-mars 1872 (derniers exemples datés connus : "Les Mains de Jeanne-Marie", un quatrain au moins de "Vers pour les lieux"), un vers proche de "La Rivière de Cassis" sachant qu'il y a moins d'écart entre février-mars et mai 1872 qu'entre mai et septembre, une mention qui contextualise l'hiver, ce qui convient forcément mieux aux mois de février et mars qu'aux mois d'août et septembre, détention de manuscrits comme "Oraison du soir" et "Voyelles" par Blémont et Valade. Face à autant d'arguments, pourquoi donner un crédit plus favorable à l'idée d'une composition toute fraîche envoyée exprès pour une publication rapide, pour ne pas dire immédiate ? Si ce n'était pour "Les Corbeaux", sinon "Voyelles" ou l'obscène "Oraison du soir", pourquoi Rimbaud s'impatientait-il alors en juin 1872 face à cette revue ?
Autre point important. Bardel a rendu compte du problème d'attribution du dizain "L'Enfant qui ramassa les balles..." Il a remanié sa notice dans le sens de la neutralité. Ce n'est pas moi qui ai découvert le premier la signature "PV" au bas du manuscrit "L'Enfant qui ramassa les balles...", mais ce n'est pas le problème ici. L'enjeu, c'est que, en même temps qu'il a recensé ce fait, Steve Murphy l'a minoré au nom d'une conviction. Cette conviction de Murphy est partagée par d'autres apparemment, puisque Lefrère et Guyaux sont favorables à cette attribution rimbaldienne également, malgré la signature "PV". J'ai refusé que soit minorée la signature "PV" et j'ai publié un article à ce sujet où, en prime, je développe des arguments pour plaider l'attribution à Verlaine. Mais je voudrais ici me contenter de poser ce qui s'impose en termes d'approche philologique.
Deux arguments plaident pour l'attribution à Verlaine : le témoignage de Régamey et la signature "PV". Certes, le dizain, qui fait partie en fait d'un diptyque que personne ne semble pressé de reconstituer soit dit en passant, a été recopié par Rimbaud, mais, pour l'attribution du poème à Rimbaud il aurait fallu que cela ne soit mis en balance que par le seul témoignage de Régamey dont on aurait pu mettre en doute la mémoire, la fiabilité de l'appréciation. Ce que je trouve anormal, c'est de minimiser la signature "PV". Dire que Régamey aurait lui-même ajouté cette signature, c'est un argument qui ne se fonde sur rien, pas même sur une expertise graphologique, et c'est un argument qui n'a pas le mérite de la vraisemblance. A défaut de la moindre expertise, il va de soi que la signature "PV" ne peut que se comprendre comme ayant été reportée lors de la transcription des dizains et dessins. Cette signature est vraisemblablement de la main soit de Verlaine, soit de Rimbaud. On ne peut pas décider sans argument sérieux que ce "PV" a été ajouté ultérieurement par une autre main, celle de Régamey. Une approche scientifique et philologique doit exclure ce genre de travers. Qu'on pense que malgré tout le dizain a des chances d'être Rimbaud, on a le droit de le penser et d'argumenter en ce sens, mais il faut considérer qu'il y a une hiérarchie des preuves à respecter. Signé "PV", le dizain est donc attribué à Verlaine, et cela dès le mois de septembre 1872. Si on n'est pas en mesure de prouver le contraire, on n'a pas à maintenir l'attribution à Rimbaud, ni au nom de l'intime conviction, ni au nom d'arguments critiques qui n'ont pas le statut de preuves. Le débat sur l'attribution de ce poème est en train d'être confisqué au nom de l'intime conviction, et ça ce n'est pas acceptable. Alain Bardel ne tranche pas la question de l'attribution, mais sa notice remaniée expose au moins les termes du débat en permettant aux lecteurs d'apprécier le problème et en les laissant se forger leur intime conviction personnelle sans être orientés par un avis intimidant. Car le lecteur a le droit à l'intime conviction, mais le critique n'a pas lui le droit d'imposer la sienne. Le poème doit être attribué à Verlaine à cause d'une preuve de premier ordre, la signature "PV", mais il est tout à fait loisible d'ouvrir le débat sur l'attribution à Rimbaud. Personnellement, j'estime que le poème a peu de chances d'être de Rimbaud malgré les mentions "Enghien chez soi" et "Habitude". Surtout, là encore, le dizain a une versification régulière (en un certain sens parnassien bien sûr) qui favorise l'attribution à Verlaine ou qui invite à penser que la composition est ancienne et ne date pas de septembre 1872 même. Je pense que les indices rimbaldiens "Enghien chez soi" et "Habitude" sont relatifs, Verlaine pouvant très bien faire écho à Rimbaud qui avait exhibé "Enghien chez soi" dans le sonnet "zutique" "Paris", tandis que nous ignorons la date de composition du poème en prose "H" et ne pouvons exclure que Rimbaud fasse allusion au dizain "L'Enfant qui ramassa les balles..." ou qu'à l'inverse le dizain qui serait de Verlaine fasse allusion au poème en prose "H" de Rimbaud. Bref, je ne vois pas comment prouver quoi que ce soit en s'appuyant sur les mentions "Enghien chez soi" et "Habitude". Par ailleurs, d'après ce que nous savons, c'est Verlaine et non pas Rimbaud qui a inventé la mode du dizain à la manière de Coppée et la reconstitution du diptyque doit nous rappeler qu'au moins Verlaine a recopié de sa main la première moitié d'un groupement de deux poèmes. C'est un élément important pour apprécier le problème, non ?
Quand il fut révélé que "L'Enfant qui ramassa les balles..." avait été recopié par Rimbaud, Bouillane de Lacoste avait pris l'habitude de le considérer comme un poème de Verlaine. Il a considéré que, malgré tout, le poème pouvait être de Verlaine. Il n'y a aucun mérite à le féliciter pour cela maintenant que nous avons connaissance de la signature "PV" absente de l'ancien fac-similé. Son avis était subjectif, il n'avait aucune preuve, ni aucune lucidité particulière sur le style du poème, qui l'aurait invité à maintenir l'attribution à Verlaine. C'est l'habitude justement qui jouait dans sdon appréciation. Dans le cas des commentaires de Murphy, Guyaux et Lefrère, nous avons affaire à la même question de l'habitude. Voilà des décennies qu'ils lisent ce dizain comme un poème de Rimbaud, ils ont même publié des écrits, sinon des commentaires, sur ce dizain. Ceci doit montrer assez que la signature "PV" est une preuve objective face à des impressions subjectives. On peut imaginer l'effondrement un beau jour de la preuve objective, mais en attendant elle est là et elle rend peu vraisemblable l'attribution à Rimbaud, car pourquoi mentir devant Régamey ? C'est ça qu'il convient de mettre en avant.
Pour le manuscrit de "L'Homme jsute", la transcription d'Alain Bardel préfère conserver l'état lacunaire du dernier quintil et reporté dans une note 4 notre déchiffrement "ou daines". Là, mon discours est très clair. Le manuscrit qui n'est en rien raturé comporte clairement la leçon "ou daines" qui n'est ni une conjecture, ni une proposition. Le manuscrit est clairement déchiffré : il comporte la leçon "ou daines", mais avec deux défauts, pas d'espace entre le "ou" et le nom "daines", un "o" mal bouclé, mais reconnaissable malgré tout dans le mouvement suivi par la plume, d'autant qu'on peut le comparer au "o" de la rime correspondante "soudaines". Je remarque que par ailleurs Bardel admet quand même le rétablissement de l'interjection "Ô", ce qui est une conséquence de mon déchiffrement, puisqu'il était considéré comme biffé, d'où les leçons souvent proposées "à bedaines", "à fredaines", qui ne s'expliquent que par la suppression du "Ô", vu le problème du décompte des syllabes. Enfin, au vers suivant, la partie lacunaire est également déchiffrée, Murphy avait proposé la leçon "Nuit", et j'affirme que c'est bien ce qu'il faut déchiffrer sur le manuscrit, simplement la barre horizontale du "t" est un peu éloignée de la hampe. Dans l'édition de la Pléiade en 2009, André Guyaux a signalé comme conjecture mon déchiffrement des vers de "L'Homme juste", mais il a opté pour une transcription ", de daines", ce qui pose plusieurs problèmes. D'abord, cette transcription n'est pas mienne, je n'ai jamais proposé la conjecture ", de daines", j"ai déchiffré "'ou daines". Ensuite, la leçon ", de daines" implique une virgule supplémentaire qui ne figure nulle part sur le manuscrit et enfin une étude du fac-similé permet assez facilement de faire la discrimination entre "de" et "ou". Murphy, qui n'a pas su résoudre la difficulté dans son édition critique de 1999, n'a pas admis également ce déchiffrement, mais quand il en a rendu compte il a systématiquement déformé ma solution en "d'aines" ou d'autres transcriptions inexactes. Cette leçon, plein de gens, considèrent que j'ai bien évidemment absolument raison de la donner, et ce déchiffrement ne demande pas des compétences rimbaldiennes particulières. Malheureusement, ce sujet est pour l'instant confisqué par les éditeurs de Rimbaud, et par les écrits de Guyaux et Murphy. Je ne peux malheureusement pas citer ni les non rimbaldiens qui considèrent que mon déchiffrement va de soi, ni les rimbaldiens qui m'ont fait savoir en privé que j'avais raison. Je ne peux qu'inciter les rimbaldiens à réagir et à s'exprimer, et je précise que je trouve tendancieuse la non acceptation de ce déchiffrement. C'est exactement comme s'il était soutenu que "Comme je descendais" n'était pas le premier hémistiche du "Bateau ivre". On me dira que ce n'est pas le même problème. Mais, si ! Dans les deux cas, les passages manuscrits sont lisibles et non surchargés de ratures, sauf que, dans un cas, la décision arbitraire est prise de ne pas l'admettre. Certes, pour "L'Homme juste", il y a eu de fait une longue époque pendant laquelle le manuscrit a été considéré comme illisible. Mais ce manuscrit n'est accessible à tous que depuis la divulgation d'un fac-similé pour le public dans les années 1990, en 1994 je crois. Et peu de gens peuvent être considérés comme des spécialistes des manuscrits de Rimbaud, même depuis cette date. Enfin, dans les avis que j'ai pu recueillir et dans les expériences que j'ai pu tenter avec des proches, il apparaît qu'en effet le manuscrit est difficile à déchiffrer. Les gens échouent à identifier le "ou" et à reconnaître comme mot "daines" le féminin peu connu de "daims". En revanche, malgré le problème que je rencontre avec les fins de non recevoir de Bardel, Murphy, Guyaux et Cervoni, tout le monde considère qu'une fois que je donne la solution elle se lit aisément sur le manuscrit. Tout le monde arrive alors à opérer le déchiffrement après coup. Je brûle d'envie de citer les rimbaldiens qui me donnent raison, avec l'affirmation forte que c'est une évidence. C'est ridicule de devoir faire semblant qu'il y a encore débat sur ce passage de "L'Homme juste", c'est complètement loufoque.
Passons à un dernier sujet. Il s'agit même d'un point fort intéressant. Au sujet du livre Une saison en enfer, Bardel apporte quelques notes sur le problème des coquilles, mais il conteste l'idée que la mention du texte imprimé "outils" soit une coquille pour la leçon clairement attestée par le brouillon manuscrit "autels". Là, Bardel est la seule personne que je connaisse qui me conteste ma démonstration, même s'il est vrai que d'autres écrits n'en parlant pas semblent donc la rejeter. J'ai publié ce résultat en 2009-2010, année de parution de plusieurs études sur Une saison en enfer qui n'ont guère pu profiter de cette révélation, et depuis les publications se sont raréfiées. Précisons tout de même que mon analyse d'une coquille "outils" pour "autels" est prise au sérieux par Tim Trzaskalik qui en rend compte dans son volume à paraître le 4 décembre. Il s'agit d'une traduction en allemand de la "Correspondance" de Rimbaud sur le modèle du tome publié par Jean-Jacques Lefrrère, mais avec une publication des poèmes en accompagnement et des notes critiques. Je ne citerai pas cet ouvrage à paraître, mais je fais confiance au fichier que j'en possède. Or, cerise sur le gâteau, j'apprends, ce que j'ignorais, que dans les nouveaux tirages du volume des Œuvres complètes d'Arthur Rimbaud, André Guyaux, s'il n'a pas corrigé pour le texte de "L'Homme juste", a modifié le texte même d'Une saison en enfer : la mention "autels" remplace la mention "outils" dans la révision du tirage 2015 de cette édition, et une note lapidaire précise que c'est sur la foi du brouillon correspondant. J'ai là encore plusieurs personnes pour me dire que j'ai absolument raison, mais je suis là assez content du coup de tonnerre que j'apprends au sujet de l'édition de la Pléiade. Je vais essayer de consulter ce nouveau tirage dans les prochains jours. Désormais, l'idée de la coquille a le vent en poupe. Or, si je l'ai appris, c'est que Bardel nous offre en référence un article que je ne connaissais pas d'un certain Takeshi Matsumura que je mets en lien sous son format numérique comme l'a fait Bardel et qui s'intitule : Sur les Oeuvrezs complètes de Rimbaud dans la Pléiade 2015. Des retouches superficielles ou une immense révision ?
Le titre de cet article parodie celui de la thèse de Yoshikazu Nakaji sur Une saison en enfer et le travail de recensement est énorme de toutes les modifications du texte de la Pléiade au fur et à mesure des tirages successifs de 2009, 2011 et 2015. Le remaniement est tel que Matsumura considère que l'édition est révisée et augmentée, et qu'il conviendrait de le mentionner clairement. Matsumura demande des comptes avec insistance : pourquoi des remaniements si discrets, et pourquoi les travaux à l'origine de ces remaniements ne sont-ils pas systématiquement mentionnés ? Il envisage bien sûr la raison de cela. Quand il révise pour de nouveau tirages l'édition de 2009, Guyaux est obligé de demeurer au plus près de la mise en page originelle, il ne peut pas la bouleverser. Il s'agit d'un exercice acrobatique. C'est ce qui explique la discrétion, y compris sur ce qui vient des travaux de l'un ou l'autre critique. Il est vrai que cette discrétion peut être irritante et ne va pas sans poser problème. Il faut tout de même considérer que les travaux ultérieurs préciseront l'origine de toutes ces mises au point, l'important étant que l'édition de la Pléiade puisse établir un texte de référence, d'où le désir pressant que tout le monde devrait partager de corriger le texte de "L'Homme juste", ce dont Matsumura ne parle pas je crois dans son article. Je ne sais pas s'il parle aussi de la correction minimale, la disparition du trait d'union pour "Taurin Cahagne", car je sais qu'il en était question. Ceci dit, le travail de Matsumura est considérable et vaut la peine d'être épluché. Et donc il déplore que sur la correction "autels" qui est vraiment un fait d'importance Guyaux n'ait pas fourni des explications plus amples absolument nécessaires.
C'est vraiment quelque chose de décisif qui s'est joué, je ne sais pas si beaucoup prennent la mesure de l'événement.
Je vais essayer en tout cas de préciser pourquoi pour un esprit un tant soit peu perspicace la coquille est évidente.
La différence entre "autels" et "outils" peut sembler relever du choix d'une idée distincte. Le problème, c'est que seul ce mot-là est remplacé. Pour le reste, il y a des différences, des ajouts, par exemple la mention "le temps", mais ici il s'agit d'une substitution. Or, elle ne consiste qu'à remplacer un mot par un autre.
Vu que Rimbaud a permis l'élaboration de bien des considérations sur la libre association d'idées dans le domaine de la création poétique, ce qui est très discutable sans être le sujet ici, certains prétendront à l'hallucination des mots et par exemple il a été question de glissement phonétique. Mais, outre que le lecteur face au mot "outils" n'est pas censé remonter le glissement phonétique de "autels" à "outils", du point de vue créateur, on ne peut même pas parler de glissement phonétique. Le "ou" s'oppose au "au", voyelle plus proche d'un "o" que du "ou" par ailleurs, et la seconde syllabe varie bien plus encore, d'un côté [tèl], de l'autre [ti]. Seule demeure l'attaque du [t]. Le nombre de phonèmes n'est pas le même. Or, c'est là qu'il faut être intelligent. Entre "autels" et "outils", la variation graphique est moins importante que la variation phonétique ! Les plus résistants soutiendront que c'est Rimbaud lui-même qui a volontairement travaillé au plan de l'hallucination graphologique des mots, je ne parle même pas d'hallucination orthographique d'ailleurs, c'est bien d'hallucination graphologique qu'il doit être question au sens strict. Franchement, ceux qui veulent soutenir l'hallucination graphologique, vous allez bien vous amuser dans la constitution d'un dossier justificatif. Qu'est-ce que vous allez bien pouvoir sortir comme explications suivies ? Evidemment que c'est l'ouvrier-typographe qui l'a eue l'hallucination et qui a confondu "autels" avec "outils", évidemment que la substitution s'explique par la ressemblance du "a" et du "o" et par la possibilité d'un "e" où la boucle est si faible qu'il ressemble à un "i", à tel point que les tenants d'une hallucination graphologique de Rimbaud seront obligés de la prendre en compte et de dire que Rimbaud lui-même a été frappé de la ressemblance graphique du mot "autels" avec le mot "outils". On voit bien que les deux mots ne sont pas synonymes et qu'ils ne justifient aucun rapprochement de près ou de loin. Remplacer un mot par un autre, évidemment que ça change tout. Il faut vraiment être moutonnier que pour ne pas comprendre que la leçon "outils" c'est une coquille. Je m'attends à encore quelques années de débat sur la question, mais bon je vois que la brèche est ouverte : ce n'est plus qu'une question de temps pour que cela soit admis.
Voilà un petit peu tout ce que m'a inspiré une analyse pourtant encore rapide du site remanié d'Alain Bardel, j'ai laissé certains sujets de côté. A mes lecteurs d'apprécier le débat et les signes d'une forte évolution en cours.
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