Hélas victime de quelques aléas dans la préparation des épreuves, une traduction en allemand de la correspondance de Rimbaud devait sortir depuis quelques années déjà en 2013, mais, prévue cette fois pour le salon du livre à Francfort qui a eu lieu en octobre et où la France était l'invitée, elle devrait enfin voir le jour le quatre décembre. Elle a été conçue sur le modèle donné par Jean-Jacques Lefrère, mais elle était dès le départ totalement indépendante du travail du feu médecin français, malgré la dédicace à sa mémoire au début de l'ouvrage. Cette indépendance explique que de nombreuses références à mes travaux aient été possibles dans l'annotation.
Je n'ai jamais appris l'allemand, je ne peux donc ni le parler, ni le comprendre, ni le lire. Je possède pourtant les fichiers d'épreuves des trois tomes sous format PDF et je peux ponctuellement me faire traduire un passage par des connaissances. Il va de soi que je ne citerai aucun extrait de ces fichiers sur mon blog, pas même l'un ou l'autre où je suis mentionné. Par exemple, là, je suis en ce moment sur une fausse page de titre, comme on dit, où il est écrit : Korrespondenz / Briefe, Texte und Dokumente / Band I / 1868-1886 / (ouf "zumma..." quoi ?, "herausgegeben" ?) Zusammengestellt und herausgegeben von / Jean-Jacques Lefrère / Ûberbarbeitet, ergänzt und übersetzt / von Tim Trzaskalik / Matthes & Seitz Berlin.
C'est à l'époque même de l'affrontement sur la photographie du "Coin de table à Aden" que Tim Trzaskalik que je ne connaissais pas du tout m'a contacté par courriel. Son travail se réclamait du modèle de la correspondance alors publiée par Lefrère et j'étais inévitablement méfiant, vu les circonstances. Je ne sais plus comment je m'y suis pris, mais j'ai téléphoné directement à Tim Trzaskalik, sans prévenir. J'ai alors considéré que je pouvais avoir confiance et j'ai communiqué avec lui sur son projet, pas en quantité, mais assez pour l'orienter sur ce qu'il y avait d'important à dire sur l'état de mes recherches rimbaldiennes personnelles. Ce que j'avais du mal à comprendre, d'autant que, rebelle, je n'ai du coup pas acheté les volumes de la Correspondance par Jean-Jacques Lefrère, c'est pourquoi cette correspondanceexigeait autant de remarques critiques sur les poèmes. J'avais plutôt l'impression de répondre à une demande pour une édition critique des poèmes eux-mêmes. Il se trouve que cette Correspondance s'accompagne d'une mise en perspective des lettres par rapport aux oeuvres. J'observe que les poèmes publiés dans des revues ou insérés dans les lettres sont systématiquement traduits et transcrits (Les Etrennes des orphelins, [Sensation], Ophélie, Credo in unam, Trois baisers, Le Rêve de Bismarck, etc.). Par exemple, je bascule à l'instant sur la page de transcription du récit publié dans le Progrès des Ardennes : "Le Progrès des Ardennes, Freitag, 25. November 1870 / Bismarcks Traum / (Fantasie)". Et la transcription avec l'inévitable mention des lacunes est suivie d'une traduction du "Dormeur du Val" en tant que candidat hypothétique à une publication initiale dans Le Progrès des Ardennes. Personnellement, je me demande si Des Granges, en 1833, n'a pas confondu avec la publication de Rodolphe Darzens dans une anthologie poétique. Dans son édition philologique de 1999, le tome I des Oeuvres complètes de Rimbaud intitulé Poésies, Steve Murphy a traité l'histoire éditoriale du "Dormeur du Val" de manière expéditive à mon sens. L'unique version connue est transcrite à la page 296 et la fiche critique tient en une page et demie (pages 297 et 298). Murphy mentionne que, dans la "lettre de Paul Demeny à Rodolphe Darzens du 25 oct. 1887", Demeny "oublie Le Dormeur du Val dans son énumération des poèmes du recueil". Outre que j'ai déjà fait un sort à cette lubie, il n'y a pas d'autre mot pour dire les choses, d'un prétendu état de recueil pour les manuscrits remis à Demeny, Murphy précise ensuite que Darzens a précisément publié ce sonnet dans le tome IV d'une Anthologie des poètes français éditée par Lemerre en 1888, ce qui vaut publication originale. "Le Dormeur du Val" n'a pas été le seul poème publié dans cette anthologie, mais les remarques que j'ai à faire sont les suivantes. Aucun document ne nous est parvenu de la part de Rimbaud ou Verlaine sur l'importance du "Dormeur du Val". A s'en fier à Verlaine et Rimbaud, c'est le poème "Les Effarés" qui devrait occuper une position de prestige parmi les compositions précoces de 1870. C'est donc entre Demeny et Darzens que s'est déterminé le prestige ultérieur du "Dormeur du Val" et la publication originale du sonnet rimbaldien dans une anthologie parnassienne a précipité la gloire de ce sonnet. Le succès du "Dormeur du Val" n'est pas venu d'un choix du public, des critiques : il vient de Rodolphe Darzens lui-même pour l'essentiel. Par chance, il n'a pas commis une faute de goût, mais la réputation de ce sonnet est en réalité un événement aléatoire lié à l'histoire de l'édition des oeuvres de Rimbaud. C'est ça qui doit intéresser les études philologiques. Ceci étant bien posé, nous comprenons que Charles-Marie Des Granges, en 1933, n'est pas un spécialiste de Rimbaud, mais il sait que le sonnet "Le Dormeur du Val" est cité de préférence à d'autres oeuvres. A cette aune, vu que nous n'avons jamais retrouvé aucune collection de numéros de la revue du Progrès des Ardennes qui contiendrait une version du "Dormeur du Val", et significativement pas même du côté des contacts de Charles Des Granges, il y a fort à parier, même si comme tout un chacun j'aimerais me tromper, que Rimbaud n'a jamais publié "Le Dormeur du Val" dans le Progrès des Ardennes, mais que Des Granges savait par ouï-dire que "Le Dormeur du Val" avait été publié avant de figurer dans l'édition sulfureuse du Reliquaire, et cette information sommaire s'est déformée, amplifiée, pour non pas fixer l'état de ce qui est, publication par les soins de Darzens dans une anthologie en 1888, mais pour fixer une hypothèse qui semble devenue invérifiable à jamais : Rimbaud aurait publié son poème à l'époque même de sa composition. Je ne le crois pas, parce que je trouverais la coïncidence remarquable qui veut que Rimbaud ait publié le sonnet même que Darzens choisira de mettre en avant. Demeny aurait pu témoigner en ce sens, mais le poème aurait été publié après le second séjour douaisien dans tous les cas, et nous voyons bien que Demeny ne s'intéressait pas vraiment aux poésies de l'adolescent Rimbaud, pas même dans les années 1880 quand les jeunes poètes parisiens pourraient lui mettre enfin la puce à l'oreille.
Arrêtons-là la digression. Ce premier tome fait plus de 800 pages et je ne peux pas en rendre compte. Je parviens seulement à comprendre que la transcription et traduction du "Dormeur du Val" permet aux lecteurs allemands une confrontation à l'entrefilet de Jacoby dans sa revue, quand il demande à "Baudry et Dhayle" alias Rimbaud et Delahaye d'enlever leur "loup" et de se laisser identifier. Le lecteur allemand pourra ainsi apprécier concrètement le problème tel qu'il se pose pour les lecteurs français.
Le texte "La Muse des méphitiques" est également traduit et placé en regard de la lettre à Izambard du 13 mai 1871. Il s'agit en réalité d'une composition tardive d'Izambard, des années 1880 au plus tôt, et utilisée à des fins tactiques pour éviter d'admettre avoir été raillé par Rimbaud sur son incompréhension totale des objectifs poétiques du "voyant".
Il me plairait d'étudier les traductions de "Chant de guerre Parisien" et "Ce qu'on dit au Poète à propos de fleurs", mais je n'en suis pas capable.
Heu ? C'est quoi cette carte de visite d'Arthur Rimbaud en 1872 "A. Rimbaud 18 Bvard Montrouge" ? Je n'étais même pas au courant ! Je vais prendre le temps de régler ce problème-là.
Dans cet ouvrage, je suis donc suivi pour un certain nombre de poèmes et notamment "Les Corbeaux", "Voyelles", "Le Bateau ivre" et la coquille "outils" pour "'autels" dans Une saison en enfer.
Il n'existe aucune édition en français qui rende compte de mes lectures d'un quelconque poème de Rimbaud, à l'exception des pièces de l'Album zutique. Les allemands vont brutalement découvrir qu'il existe une interprétation cohérente ety pas farfelue du tout de "Voyelles" avec des retours incessants au détail du texte, alors que le public français n'est même pas au courant. Cela ne leur fera peut-être pas autant plaisir que les brevets du TGV passés sous le contrôle de Siemens, mais quand même... c'est génial pour les amateurs de littérature en Allemagne. Pour "Les Corbeaux", précisons que, si Alain Bardel, qui est la vitrine française sur le net de l'état de la recherche rimbaldienne, vient de remanier la présentation des textes en fonction des dossiers philologiques, des manuscrits et publications originales, il rédige, dans sa présentation des "Corbeaux", un discours sur le poème qui est inféodé à une hypothèse critique qui ne s'appuie sur rien, si ce n'est l'improbable finesse d'intuition du beau-frère posthume que fut Paterne Berrichon : "[Ce poème publié dans la revue La Renaissance littéraire et artistique le 14 septembre 1872] aurait donc été probablement écrit en 1872, à une date proche de sa publication [...] Ce contexte expliquerait la relative sagesse de la versification (surprenante à cette date, chez Rimbaud) et l'ambiguïté voulue du message politique. Les Corbeaux pourraient être considérés, au moins à titre d'hypothèse, comme une 'réécriture conventionnelle de La Rivière de Cassis' [citation de Steve Murphy], poème très proche par son inspiration mais sensiblement plus avant-gardiste dans sa forme, dont le manuscrit est daté de mai 1872."
Le débat n'est pas simplement de déterminer si le poème a été composé en 1872 ou dans les années antérieures, 1870 ou 1871, même si cela a intéressé certains débats critiques autour de cette composition. Ainsi, quand dans l'extrait cité plus haut, nous observons que Bardel précise que le poème a dû être écrit en 1872 à proximité de sa date de publication, ce qui va échapper au lecteur c'est l'escamotage de la difficulté réelle. Que comprendre à la remarque selon laquelle la versification régulière est surprenante à cette date, puisque Bardel n'a pas indiqué "septembre" ou "été", mais uniquement l'année 1872 ? Sur son site, Bardel lui-même rappelle que certains poèmes en vers réguliers ont dû être composés en 1872, bien qu'ils soient pas commodité rangés à la suite des compositions avérées pour l'année 1871.
Le fond du problème est le suivant. Blémont détenait un manuscrit de "Voyelles", poème à la versification régulière longtemps considéré comme une création de 1871. Valade détenait un poème "Oraison du soir", autre sonnet à la versification régulière qui lui est toujours considéré, bien que sans certitude, comme une création de 1871. Le dossier d'une suite paginée de transcriptions manuscrites établi par Verlaine contient un poème en octosyllabes à la versification régulière, comme "Les Corbeaux", qui s'intitule "Les Mains de Jeanne-Marie" et qui est daté de février 1872 par la main de Verlaine. La revue La Renaissance littéraire et artistique a publié donc un poème de Rimbaud à la versification régulière, à une époque où Rimbaud n'est plus en France.
La question qui se pose, c'est depuis combien de temps les dirigeants de la revue détenaient-ils un manuscrit des "Corbeaux". La revue a débuté au mois de mars, en mai et juin elle publie déjà des compositions, d'ailleurs nouvelles, de Verlaine. Rimbaud a été éloigné de Paris en mars-avril en gros, et il a quitté Paris avec Verlaine depuis le 7 juillet. En juin, Rimbaud confie à Delahaye tout le mal qu'il pense de cette revue, ce qui est à rapprocher de son départ le 7 juillet, puisque cela laisse bien entendre que Rimbaud n'envisage plus aucun avenir littéraire à Paris. Il s'estime dans l'impasse. Rimbaud n'a pu remettre des poèmes manuscrits à la revue qu'avant son éloignement en mars-avril, éventuellement en mai. Cerise sur le gâteau, les poèmes "Les Corbeaux" et "Le Bateau ivre" ont des points communs intéressants : la rime "crépuscule embaumé"::"papillon de mai" face à "soir charmé" :: "fauvettes de mai" et ils contextualisent tous les deux l'hiver : "Moi, l'autre hiver", face à "Tournoyez, n'est-ce pas, l'hiver [...]" Enfin, autant nous avons plusieurs poèmes en vers irréguliers datés de mai 1872, autant nous n'avons aucune mention d'un poème en vers irréguliers à une date antérieure, à l'exception de "Tête de faune" qui, justement, est le cas exceptionnel mélangé à un dossier de poèmes en vers réguliers dans la suite paginée par Verlaine.
Avec autant d'indices, force est d'admettre que se dégage entre "Les Mains de Jeanne-Marie" de février 1872 et les "Fêtes de la patience," "Comédie de la soif", "Bonne pensée du matin", "Larme", etc., datés de mai 1872, une zone tampon de deux mois : mars-avril 1872, qui inclut vingt et un jours d'hiver, sans oublier que nous pouvons spéculer sur le jour de février actant la composition des "Mains de Jeanne-Marie" comme sur la difficulté de déterminer si oui ou non "Les Corbeaux" ont été composés avant ou après "Les Mains de Jeanne-Marie". Bardel déclarant lui-même que le poème "Les Corbeaux" a dû être composé en 1872, il admet implicitement que le poème peut avoir été composé en janvier ou février, sinon en mars. Or, c'est ça le noeud du débat sur la datation des "Corbeaux", et on voit là l'énorme différence entre l'annotation critique de Tim Trzaskalik qui reprend nos arguments et le consensus de la revue Parade sauvage autour d'une hypothèse d'une personne aussi peu autorisée que Paterne Berrichon, hypothèse en contradiction flagrante avec les indices que nous venons de rappeler. Nous n'avons même pas débattu ici de l'interprétation du poème. Nous allons revenir sur cette lecture dans un prochain article du blog, car il s'impose de rendre compte d'un article récent de la revue Parade sauvage qui prend le parti de la lecture et datation du poème par Steve Murphy, mais qui en formule les limites et fait quelques aveux sur le caractère problématique de cette lecture. Le site de Bardel tient un discours également tendancieux au sujet de l'attribution du poème "L'Enfant qui ramassa les balles...", en privilégiant des arguments d'autorité, au sens d'affirmations sans preuves par des critiques autorisés, au mépris du détail philologique qu'il mentionne en le minimisant, la signature "PV" au bas de la transcription manuscrite. Le public français est pris en otage, et le public allemand va jouir, sur certains points philologiques, d'une approche plus rigoureuse et d'une plus grande liberté pour se forger en conscience sa propre opinion.
Toutefois, il faut que je vérifie ce qui est dit sur le dizain "L'Enfant qui ramassa les balles...", sa transcription ne concerne pas le premier volume apparemment. Je ne sais pas si cela y figure, je n'ai pas trouvé malgré la fonction "recherche dans le document".
En revanche, il va être question de la coquille "outils" pour "autels" dans le cas du livre Une saison en enfer. Cela ne semble être traité que dans une note de fin d'ouvrage, mais au moins, pour la première fois, un public amateur de Rimbaud va découvrir une coquille évidente du texte initialement imprimé en 1873. Nous avons la chance inespérée de connaître les brouillons de certains passages du livre Une saison en enfer et les éditeurs mettent un point d'honneur à les déchiffrer, transcrire et éditer. Le problème, c'est qu'ils n'ont que le prestige du premier jet qui va être opposé à la qualité du travail définitif. Or, grâce à un brouillon concernant "Mauvais sang", nous savons que Rimbaud n'a pas écrit "outils" mais "autels" sur ce qui correspond à la fin de la section "Mauvais sang". Nous sommes d'accord pour considérer que le mot "autels" écrit de la main de Rimbaud est un témoignage plus fort que le mot "outils" imprimé par quelqu'un d'autre que Rimbaud. Ce n'est pas Rimbaud qui, chez l'imprimeur Poot, a composé son texte avec des caractères d'imprimerie et l'a mis sous presse. Pourtant, personne ne semble vouloir en tirer la conclusion qui s'impose : le prote a mal déchiffré le mot "autels" qu'il a confondu avec "outils", tant il est facile de confondre un "a" avec un "o", un "e" sans doute mal ponctué avec un "i", et tant ses erreurs sont monnaie courante dans l'édition. C'est fatigant pour les yeux de déchiffrer tout un texte manuscrit, cela demande une attention de tous les instants. Nos éditions modernes des oeuvres de Rimbaud, d'Isidore Ducasse (je sais pourquoi je le nomme), etc., contiennent à l'heure actuelle des coquilles nouvelles à l'occasion, parce qu'un prote dans les années 1980 ou 1990 ou 2000 a fait une faute de frappe.
Ce fut le cas pour Une saison en enfer. Or, bien que les éditeurs admettent la leçon "autels" du manuscrit, le prestige sacré du texte imprimé veut que la leçon "outils" soit admise sans aucune autre forme de procès en tant que variante.
J'ai sous la main le volume de Yann Frémy "Te voilà, c'est la force", Essai sur Une saison en enfer de Rimbaud, paru en 2010 aux éditions Classiques Garnier. A la suite de Pierre Brunel, patronage revendiqué, l'auteur étudie un dossier considéré comme les "avant-textes" d'Une saison en enfer. Il s'agit de la lettre à Delahaye de mai 1873, des proses dites "évangéliques" au dos des brouillons connus de la saison et de ces brouillons eux-mêmes. Je passe ici sur le caractère problématique ou hybride de la notion d'avant-texte appliquée aux proses "évangéliques". Voici ce que dit Frémy de l'opposition entre "autels" et "outils" à la page 113 de son livre, lorsqu'il étudie le brouillon correspondant à "Mauvais sang" :
[...] Le remplacement d' "autels" par "outils" est significatif, étant donné ce que l'on sait de la "France fille aînée de l'église", mais la mention des "outils" liée à l'idée de travail l'est également. Les sèmes /mouvement/ et /effort/ associés au mot "outils" participent au dynamisme textuel généralisé, contrairement au mot "autels" associé plutôt au sème /recueillement/. La substitution relève également d'un glissement phonétique. La mention des "armes" est logiquement conservée, dès lors que le thème principal de cette section est le service militaire ou une guerre. Dans le texte définitif, Rimbaud mentionne un semblant de concept absent de l'ébauche : le "temps". Au vu de la logique intensive qui domine ici l'écriture rimbaldienne de l'énergie, est-ce là une notation hétérogène, quelque brisure ou manoeuvre dilatoire au coeur d'un texte essentiellement conçu en tant que corps conducteur des intensités ? On ne peut répondre que par la négative car la notion de "temps" se trouve sur le même plan que celle d' "outils" et d' "armes" : elle est purement matérielle et associée au sème /vitesse/. Par ailleurs, le "temps" n'est envisagé ni comme une notion, ni comme un concept, mais comme un élément dramatique supplémentaire qui est parfaitement imbriqué aux précédents. Rimbaud propose donc une approche totalement intensive du "temps" et confère un aspect concret à ce qui n'eût pu être qu'une pernicieuse abstraction au sein d'un texte profondément matérialiste.
Je n'ai pas tout compris, mais je suis à même de critiquer ce qui ne va pas dans l'extrait précédent.
Dans le texte, le poète est entraîné de force dans un mouvement de foule. Il se demande si on va au combat, à "la bataille", et au plan du brouillon il s'écrie : "les autels, les armes." Le brouillon est autographe, c'est du Rimbaud de première main. Au plan du texte imprimé, inévitablement du Rimbaud de seconde main, d'autant que nous ne savons même pas s'il a relu des épreuves, nous avons une autre leçon, bien que le texte soit loin d'être réellement remanié, car il s'écrie cette fois : "Les outils, les armes... le temps !...."
Dans son analyse, Frémy déclare abruptement qu'il est significatif que Rimbaud ait remplacé le mot "autels" par le mot "outils", ce qui sans que le lecteur ne s'en rende compte force celui-ci à penser qu'il s'agit d'une variante volontaire, puisque l'adhésion est implicite. Frémy ne dit pas que c'est une variante, mais c'est une implication subreptice de son commentaire. Nous ne saurons pas en quoi ce remplacement est significatif dans la suite de l'extrait que je viens de citer et j'ai lu hier même l'ouvrage en question, du moins la partie sur les avant-textes, je peux garantie que ce n'est pas en allongeant ma citation qu'on comprendra ce que nous sommes censés savoir sur le rapport entre le mot "outils" et l'étendard de la "France fille aînée de l'église". Personnellement, je donne ma langue au chat. En fait, je comprends que la phrase est mal formulée. Comme l'auteur de l'étude part du texte que nous connaissons tous pour aller étudier les brouillons, sa phrase porte une ambiguïté chronologique : car, dans les faits, ce n'est pas le mot "autels" qui remplace le mot "outils", c'est le mot "outils" qui a remplacé le mot "autels". Je comprends mieux alors la phrase : le choix du mot "autels" se comprend aisément quand on songe que plus haut Rimbaud nous a rappelé le slogan de la "France fille aînée de l'église". Là où j'ai du mal; c'est avec les sèmes des mots. Je sais que la thèse de Frémy s'intéresse aux notions de force et d'énergie dans l'oeuvre de Rimbaud, mais je ne comprends pas pourquoi il est pertinent de remplacer par un terme d'énergie et de force, en l'occurrence le mot "outils" qui suggère le mouvement, l'effort, un terme préalablement choisi, à savoir "autels", lequel aurait le tort de correspondre peu à la force et à l'énergie, mais plutôt au "recueillement". C'est comme s'il suffisait à Rimbaud de relire tout ce qu'il a écrit et de remplacer les mots qui n'expriment pas une idée de force et d'énergie. Ce n'est sans doute pas ce que Frémy veut dire, mais c'est l'impression qu'il laisse. C'est le texte et la syntaxe de Rimbaud qu'il convient de commenter, pas les perceptions que nous pouvons avoir à partir de mots rapprochés entre eux. Ce que veut montrer Frémy, c'est que le texte définitif semble plus dynamique, plus énergique, mais cela peut être vrai en étant un aspect bien secondaire du sens, si pas être un aspect dérisoire par rapport à la question du sens. Frémy parle ensuite d'un glissement phonétique de "autels" à "outils", mais la notion de glissement phonétique pose problème. En réalité, un mot en remplace un autre : "autels" cède la place à "outils", coquille ou pas, comme nous pourrions avoir une substitution de mots qui n'ont pas une forme semblable : "Esquirol" va devenir "l'écureuil" ou "the squirrel" (ceci, il n'y a que Reboul et Bardel qui peuvent comprendre s'ils prennent le métro) dans un mauvais déchiffrement de manuscrit, mais on pourrait aussi avoir la mention "la bataille" remplacée par une expression synonyme "le combat", c'est justement( le cas pour le passage du brouillon au texte imprimé de la fin de "Mauvais sang". Pour le lecteur de la Saison, à moins de l'accès récent aux textes des brouillons, il ne sait même pas qu'il y a eu les leçons antérieures "bataille" et "autels". Par conséquent, il n'est nullement question de glissement phonétique. Dans un cas on lit "bataille" et "autels", dans un autre on lit "combat" et "outils", mais le glissement phonétique de "autels" à "outils" il reste à prouver. Evidemment, le critique pense à une forme de création volontaire de la part de Rimbaud. Il lit son brouillon et son oreille l'inciterait à passer du mot "autels" au mot "outils". Mais il faudrait admettre que Rimbaud néglige le sens de son discours. Il partirait de déformations phonétiques du premier jet pour découvrir les possibilités de mots qui sonnent différemment. Si certains s'appuieront sur "Alchimie du verbe" pour prétendre que Rimbaud pratique ainsi sa révolution de "l'hallucination des mots", il restera à expliquer deux choses : 1) pourquoi dans la confrontation au brouillon tous les mots ne sont-ils pas modifiés de la sorte ? Pourquoi s'en limiter à la variation "autels"-"outils", il serait tellement génial et surréaliste d'appliquer cela six fois ou plus par phrase ? 2) En quoi ce procédé peut-il être perçu comme génial par le lecteur, d'autant qu'il ne jouira que du point d'arrivée du délire et pas de tout le déroulé des divagations butinantes du poète ? Il est d'ailleurs amusant de constater que je ne vois là aucun glissement phonétique, mais un glissement orthographique par mauvais déchiffrement du manuscrit, ce qui n'implique pas le rendu acoustique des mots, seulement leurs formes graphiques.
Face à ce qu'il estime une variante de "autels" à "outils", Frémy considère que, en revanche, la mention "armes" est "logiquement conservée". Le thème de la guerre sinon du service militaire justifie son maintien. Mais, les mentions "autels" et "outils" sont-elles dispensées d'une justification thématique par le contexte du discours tenu par le poète. Frémy en avancé une pour le mot "autels", le rappel de la "France fille aînée de l'église". Nous aurions tôt fait d'étoffer cette direction de l'analyse. En revanche, le mot "outils" n'est justifié que par ce qu'il exprime une idée d'énergie et de force, mais pas du tout par l'épreuve du discours tenu par le poète dans son récit.
Frémy revient à la page 239 à la fin du texte "Mauvais sang", il ne compare plus le texte définitif au brouillon. Cette fois, il est dans la poursuite d'une analyse linéaire du livre Une saison en enfer. Or, en s'appuyant sur les études antérieures, voici ce qu'il dit de la signification de la mention "les outils" : "Selon Jean-Luc Steinmetz, ' Rimbaud résume elliptiquement ce qu'est la vie française : le travail journalier ('les outils'), le service, voire la carrière, militaires ('les armes'). il songe à se dérober à l'un et à l'autre.' Si les composants narratifs sont clairement identifiés, on ne peut pour autant dire que Rimbaud résume : cette section consiste essentiellement en une exposition obscène d'une force apparemment hors de tout contrôle." Cette idée me déconcerte quelque peu, car il me semble que cette force "hors de tout contrôle", c'est simplement la société française qui plie la volonté de l'individu. Je ne trouve pas que ce soit vraiment l'image d'une force hors de tout contrôle. Ce sont six nouvelles pages qui sont consacrées à cette huitième section de "Mauvais sang", que nous savons très courte. Il n'est plus jamais fait mention du mot "outils" et donc de son sens. Une définition a été sommairement appliquée : "les outils" cela veut dire "le travail journalier", ce qui nous étonne à plus d'un titre, puisque le poète est un homme de lettres, puisque la société n'est pas composée que de paysans et d'ouvriers, puisque le mot "outils" me semble moins convenir que le mot "instruments" pour les ustensiles d'un coiffeur, d'un boucher, d'un cuisinier, etc. Même si on peut employer le mot "outils", il faudrait admettre qu'il soit courant en société de dire "les outils" pour désigner tout ce qui sert à travailler. Force est d'admettre que l'explication ne tient pas, rien de cela n'est naturel à l'esprit humain. En revanche, les armes et les autels sont un moyen contraignant pour mettre le poète "en marche" dans le sentier de l'honneur et de la vie française. Le brouillon porte explicitement la trace de ce discours, puisqu'il comporte la leçon "autels" qui ainsi insérée dans un discours quasi identique à la version finale impose l'image coercitive célèbre de l'union du sabre et du goupillon.
L'ouvrage de Yann Frémy est récent. Sa thèse est plus ancienne de quelques années, mais cet essai a été publié en 2009. L'auteur a tenu compte de toute la critique sur Une saison en enfer jusqu'à 2009, et, cependant, il n'arrive pas à fixer le sens du mot "outils" dans la version définitive, tout en se référant à des travaux de Jean-Luc Steinmetz et de Pierre Brunel. Il est clair que la leçon "outils" pose problème. Je viens de citer volontairement un extrait d'analyse critique où la leçon "outils" est admise sans procès comme une variante, mais, dans l'analyse qui a suivi, dès que je suis revenu sur le discours critique j'ai facilement montré que ce qui était annoncé comme logique et significatif ne l'était pas. Aucune justification n'est livrée. Le commentaire échoue complètement et à rendre du compte du mot "outils" et à rendre compte du passage du mot "autels" au mot "outils" dont il est prétendu qu'il est nécessairement une variante voulue par Rimbaud. On comprend en ce cas le mérite de Tim Trzaskalik d'avoir voulu donner au public allemand un discours critique un peu au-delà des certitudes acquises des éditions françaises. Notre influence sur le travail de Trzaskalik n'aura été que ponctuelle, mais il faut considérer que c'est déjà un énorme travail que de traduire, adapter, la correspondance annotée par Lefrère, sachant que bien des mises au point importantes y figurent qui profiteront au public germanophone. Ce qu'il faut féliciter, c'est la liberté d'approche qui fait qu'on ne se contente pas de la lettre du travail de Lefrère et des avis critiques autorisés consensuels. Nous allons vers autre chose qu'un copier-coller. Il n'était pas évident du tout de choisir de citer un inconnu tel que moi de préférence ou peu s'en faut aux critiques qui annotent les éditions de Rimbaud diffusées dans le commerce, de préférence à un professeur d'université, etc.
J'en profite pour le signaler. Je ne rends pas compte ici de l'essentiel. Il va être question en allemand de ma lecture de "Voyelles" et, ça, ça me rend très satisfait.
Edit : Je viens de vérifier en utilisant mon propre nom dans la fonction "rechercher sur un document PDF". Je suis en effet cité pas mal de fois, mais uniquement dans les notes du troisième fichier PDF. Cela concerne bien plus que ce que j'ai indiqué ci-dessus et, d'ailleurs, j'ai remarqué que la fonction "rechercher" ne fonctionne pas bien et que mon nom est cité encore plus de fois que ce que la fonction "rechercher" m'accorde comme arrêt sur des mentions de mon nom. Mêrme si je ne connais pas la langue allemande, j'ai cru identifier une page finale de remerciements "dank" où des "arbeiten", des travailleurs quoi ?, sont mentionnés : il y a moi, Murphy, Cornulier, Claisse et Bienvenu. Ce dernier est cité plusieurs fois aussi au sujet de Banville, de son traité, de la pagination des Illuminations, de l'établissement de la lettre de Gênes. Je le suis pour l'établissement de "Paris se repeuple" ou pour une lettre mal datée quand Rimbaud est en Allemagne en 1875, ou encore pour la datation de "A une Raison" et "Being Beauteous" face à "Beams" de Verlaine. Le blog Rimbaud ivre est souvent référencé pour des articles de moi ou Bienvenu. Je sais que j'ai été pris en compte au sujet de la versification, mais je me ferai traduire certains passages quand j'aurai mon exemplaire du livre à paraître.
Edit : Je viens de vérifier en utilisant mon propre nom dans la fonction "rechercher sur un document PDF". Je suis en effet cité pas mal de fois, mais uniquement dans les notes du troisième fichier PDF. Cela concerne bien plus que ce que j'ai indiqué ci-dessus et, d'ailleurs, j'ai remarqué que la fonction "rechercher" ne fonctionne pas bien et que mon nom est cité encore plus de fois que ce que la fonction "rechercher" m'accorde comme arrêt sur des mentions de mon nom. Mêrme si je ne connais pas la langue allemande, j'ai cru identifier une page finale de remerciements "dank" où des "arbeiten", des travailleurs quoi ?, sont mentionnés : il y a moi, Murphy, Cornulier, Claisse et Bienvenu. Ce dernier est cité plusieurs fois aussi au sujet de Banville, de son traité, de la pagination des Illuminations, de l'établissement de la lettre de Gênes. Je le suis pour l'établissement de "Paris se repeuple" ou pour une lettre mal datée quand Rimbaud est en Allemagne en 1875, ou encore pour la datation de "A une Raison" et "Being Beauteous" face à "Beams" de Verlaine. Le blog Rimbaud ivre est souvent référencé pour des articles de moi ou Bienvenu. Je sais que j'ai été pris en compte au sujet de la versification, mais je me ferai traduire certains passages quand j'aurai mon exemplaire du livre à paraître.
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