Les dates commémoratives approchant, je pourrais m'amuser à publier des articles sur la guerre franco-prussienne en fonction des dates historiques : un article sur l'entrée en guerre, un article le jour de l'article de Cassagnac cité par Rimbaud, un article le 2 août pour Sarrebruck et ainsi de suite. Le lecteur aurait ainsi l'occasion d'éprouver un écoulement du temps comparable à ce qu'a vécu Rimbaud.
Je pense que je vais encore m'aguerrir un an sur la question (pardon du jeu de mots) et je le ferai en 2018 peut-être.
Je ne vous cache pas non plus que je suis dans un projet qui prendra quelques années de biographie de Rimbaud dans un style littéraire.
Je ne résiste cependant à l'envie de partager les glanes suivantes.
Je ne sais pas ou je ne sais plus si cela est relevé dans la biographie de Rimbaud parue chez Fayard, mais je trouve vraiment cocasse que les Cassagnac soient parents, carrément cousins avec Lissagaray, un ami réfugié communeux de Rimbaud à Londres qui a écrit la plus célèbre histoire de la Commune à l'époque. Tout cela est développé sur les pages Wikipédia correspondant à Lissagaray et aux Cassagnac. Sur la toile, on trouve même jusqu'à l'arbre généalogique réunissant les deux branches si vous voulez vérifier. Les cousins étaient ennemis : querelles juridiques et duels les séparaient encore, au-delà des positions politiques les opposant.
Dans son chapitre sur le poème Le Mal, l'analyse étant à sensiblement retravailler à mon avis, Steve Murphy évoque dès les premières lignes les défaites de Wissembourg, Froeschwiller et Forbach. Rappelons que le livre La Ménagerie impériale rassemble des études sur des poèmes d'opposition à l'Empire. Il y a donc une liaison avec l'article précédent sur "L'Eclatante victoire de Sarrebruck". Mais on ne sait pas quand ont été composés la plupart de ces poèmes.
Pour ce qui concerne le sonnet "Le Mal", si on se contente de mentionner Wissembourg, Froeschwiller et Forbach, il me semble qu'on ne fait pas entendre "les cuirassiers de Reichsoffen", ce qui me paraît quand même très parlant pour les bataillons croulant en masse dans le feu. Qui plus est, il y a cet épisode de film d'horreur du colonel Lafutsun de Lacarre, décapité par un boulet prussien, dont le corps continue à charger en bon maintien sur son cheval. J'ai plein de récits de charges inutiles où un bataillon, et notamment des cuirassiers, vont effectivement crouler sous le feu de la mitraille. Il y a eu d'autres attaques de cuirassiers, y compris à la toute fin du mois d'août après la lettre à Izambard datée du 25 août, attaques inutiles.
Le poème "Le Mal" a-t-il été composé si près des événements de Wissembourg, Froeschwillet et Forbach, peu après le 6 août donc.
Rimbaud s'applique quand même à décrire une égalité de traitement entre les deux armées, ce qui ne me paraît pas cadrer avec la surprise des premières défaites. Il y a eu ensuite d'autres combats, où, même si aux plans tactique et stratégique la victoire était prussienne on pouvait considérer dans la presse et selon les camps qu'il y avait eu plutôt une victoire du camp qu'on favorisait. Car, les victoires prussiennes étaient tactiques et stratégiques, mais elles ne s'accompagnaient pas du fait d'avoir pris une position ou d'avoir fait battre en retraite l'adversaire.
En plus, dans la lettre du 25 août, Rimbaud écrit que son principe est ne pas remuer les bottes, et cela m'a l'air de faire écho au poème "Le Mal" qui était sans doute une composition encore fraîche à l'époque, à moins que Rimbaud n'ait composé "Le Mal" dans la foulée juste après la lettre du 25 août.
Si on analyse le rythme des batailles, on a quand même une sorte d'ellipse entre le 6 août et le 16 août, ellipse qu'on retrouve dans le roman La Débâcle de Zola. Dans la première partie de son roman qui s'inspire d'un ouvrage-témoin d'époque, Zola décrit une troupe qui comprend le paysan Jean Macquart et le frère du Douay tué à Wissembourg. Zola commence son récit au lendemain de Wissembourg et à la veille de Froeschwiller et Forbach; dressant ces deux batailles comme le basculement dans la débâcle. Zola n'a pas fait commencer son roman par les événements de juillet, ni par Sarrebruck. Il veut directement traumatiser avec le 6 août. Les hommes sous le commandement de Jean Macquart, par ailleurs, ne vont pas au combat, ils battent en retraite. Ils se révoltent, il y a une scène de mutinerie où ils abandonnent leurs fusils dans les champs, parce qu'ils souffrent de privation, ne peuvent pas manger, sont mobilisés n'importe comment sans jamais se battre. Cette mutinerie a paru une invention invraisemblable de la part de Zola et il faut dire qu'elle arrive comme un cheveu sur la soupe. Cependant, cette mutinerie, il l'aurait trouvée, mais racontée comment, c'est ce que je vais aller vérifier !, dans le livre de 1872 qu'il a utilisé comme source. Le laisser-aller est confirmé comme une réalité d'époque, avant même les premiers affrontements. Le pasteur Klein témoignait en ce sens : "Le soldat [...] faisait ou ne faisait pas ce qui était ordonné, il était seul arbitre de ses actes." Mais, si je reviens à son récit, Zola qui ne fait pas non plus se battre ses personnages romanesques autour des 16-20 août, nous fait l'ellipse du 6 au 16 (il y a eu quelques combats entre-temps, mais surtout l'affrontement à Borny le 14). Donc, le 25 août, quand il écrit à Izambard, Rimbaud est au courant de deux périodes importantes pour les combats : les défaites du 4 au 6 août et les batailles du 16 au 20 août, où, quoiqu'on en pense, l'armée prussienne progresse vers les villes de Metz et Strasbourg pour les assiéger. Bazaine n'a pas su profiter de sa supériorité numérique, ni exploiter l'offensive à reprendre le 17, et le 18 ce fut la défaite importante de Saint-Privat qui continua d'asseoir la prévisible victoire allemande. Pourtant, la veille, ils avaient eu très chaud et ils ont eu à Gravelotte un équivalent amer des "cuirassiers de Reichshoffen".
J'ai tendance à penser que "Le Mal" est en relation avec les nouvelles du front du 16 au 20 août plutôt qu'avec le traumatisme premier du 4 au 6 août.
Qui plus est, même si dès la période du 4 au 6 août, il y a eu des massacres prussiens inutiles, cela est particulièrement sensible du 16 au 20 août. Les prussiens progressent, mais on a certaines batailles où leurs pertes sont plus énormes que les françaises.
Bizarrement, les historiens eux-mêmes ne s'intéressent pas aux problèmes dynastiques suite à Sarrebruck. Je faux, "je m'ai trompé". Les historiens parlent du Prince Impérial à Sarrebruck et du "Prince Rouge", prince sanguinaire royal de Prusse, à Wissembourg, Forbach, etc. Mais jusqu'à présent je ne vois pas de comparaison entre les deux princes, ce qui, malgré les différences de situation et d'âge, me semble devoir être un réflexe de plume. Le prince royal de Prusse a gagné à Wissembourg et Forbach, alors que le Prince Impérial a fait rire l'opposition à Sarrebruck.
Mais, la suite humoristique, c'est que ce Prince Impérial se sépare de son père et se réfugie à Mézières le 26 août même. Rimbaud aurait pu aller lui serrer la pince et lui demander en vrai ce qu'il avait pensé de son poème en vers latins de 1868. Peut-être que Rimbaud a écrit "L'Eclatante victoire de Sarrebruck" quand il a su que le prince impérial logeait dans la ville voisine, comme son ami Delahaye ?
Dans mon article précédent sur la guerre franco-prussienne et les poèmes de Rimbaud, je disais qu'à la lecture de la lettre du 25 août de Rimbaud à Izambard je ne percevais pas une pleine conscience de la détresse de l'armée française. Rimbaud perçoit le danger et l'horreur de la guerre sur Metz et Strasbourg, il comprend comme tout un chacun que la guerre est en France et qu'il faut se reprendre, mais le 25 août il ne pense pas à une défaite à venir. D'ailleurs, dès septembre, il croira à la victoire romantique au nom d'une République entraînant une levée en masse enthousiaste sur le modèle de 1792.
Il faut se rappeler que Mézières n'est pas très loin de la frontière et que Rimbaud aurait pu envisager la menace comme se rapprochant.
La menace se matérialise pour l'instant par la venue du Prince Impérial à Mézières au lendemain de la lettre à Izambard.
Je ne sais pas encore trop quoi dire sur le gouvernement de la France à la fin du mois d'août. Napoléon III semble être écarté du pouvoir par l'impératrice elle-même. Ce n'est pas clair, je dois encore étudier de près tout cela. Mais, à côté des ridicules du Prince Impérial, il y a les ridicules de Napoléon III lui-même, lequel est après tout l'auteur de la dépêche sur le courage de son fils à Sarrebruck. Dans le sonnet "L'Eclatante victoire de Sarrebruck", Rimbaud est bien au courant des difficultés de l'Empereur à se tenir à cheval. Rappelons qu'il a la maladie de la pierre. Je ne résiste pas à la citation de cette dépêche de l'Empereur à l'impératrice le 30 août : "Il y a encore eu un petit engagement aujourd'hui sans grande importance, et je suis resté à cheval assez longtemps !"
Voilà qui fait un superbe écho au "raide sur son dada" du persiflage rimbaldien. Sinon, la petite bataille en question, c'est une bataille qu'on appelle la "Surprise de Beaumont" et elle précipite la défaite de Sedan.
Le premier lecteur un peu facétieux venu vous le dira : le soldat Duval meurt le flanc droit percé de deux balles.
RépondreSupprimerZola décrit parfaitement cette scène dans le rapport que vous citez : la nature nous somme de regarder ce tableau viride exactement comme elle. Avec indifférence.
J'aime vous sentir.
J'oubliais, dans "Le Mal", il est question de "cent milliers d'hommes" devenant un "tas fumant". La Débâcle première partie, chapitre V : Maurice s'est blessé le pied, il a pu se retirer dans la ville pour la nuit, il est à nouveau près de l'empereur et reçoit de précieuses informations. Il médite tout ça : "Le plan du général Palikao [...] déjà téméraire le 23 [...] possible peut-être encore le 25 [...]devenait, le 27, un acte de pure démence [...] Ce fut la nuit du crime, la nuit abominable d'un assassinat de nation ; car l'armée dès lors se trouvait en détresse, cent mille hommes étaient envoyés au massacre." Zola va m'aider à dater "Le Mal" de la toute fin août pratiquement.
SupprimerMouais. Je me réfère à La Débâcle pour contextualiser, mais si vous voulez du facétieux, on peut encore prolonger avec un écho au cabaret-vert : (Première partie, III) Maurice, croyant qu'on va repartir sur Paris, s'offre une journée libre pour aller manger. "Et c'était bon enfant, gai et joli, toute la vieille guinguette française. / Une belle fille, de poitrine solide, vint lui demander, en montrant ses dents blanches : "Est-ce que monsieur déjeune ? / - Mais oui, je déjeune !... Donnez-moi des oeufs, une côtelette, du fromage!.... Et du vin blanc!""
RépondreSupprimerJe vous épargne les passages avec l'expression "cigare aux dents" et toute la superficialité de la fumée tabagique.