Je viens enfin d'obtenir mon volume du nouveau Parade sauvage, le numéro 27 de 2016 (mais parution donc en 2017). Le volume est plus mince que par le passé (217 pages en incluant les résumés). Pour ce qui est de l'hommage à Antoine Fongaro, je suis un peu étonné. Même s'il lançait beaucoup de remarques acides injustifiées, plaquait une lecture réductrice sur certains textes et se trompait abondamment dans ses lectures des poèmes irréguliers de 1872, Fongaro a été très présent dans les études rimbaldiennes et il fait partie du lot fermé de ceux qui ont pas mal apporté sur Rimbaud. Je m'attendais à un numéro d'hommage le concernant, ce qui serait autrement justifié que le numéro d'hommage en cours pour Jean-Jacques Lefrère, lequel a un autre poète qu'il préférait et lequel n'a pas apporté grand-chose sur Rimbaud, y compris au plan biographique. A quoi sert-il de rappeler que Fongaro n'était pas carriériste, s'il est le seul à ne pas avoir son volume d'hommages ?
Ici, l'hommage consiste en deux articles pour saluer sa mémoire, mais aucun article de fond. Peut-être y aura-t-il un volume à venir et que je tance trop vite ? Je l'ignore.
Je vais éviter de parler du compte rendu sur l'édition en Garnier-Flammarion de l'Album zutique et des Dixains réalistes. Si vous voulez un jour une belle édition critique de l'Album zutique, vous savez d'ores et déjà à qui vous devez vous adresser.
Pour la section de "Singularités", évidemment on comprend maintenant la feinte de Charles Cros envisageant Rimbaud en "nourrisson des Muses", mais c'est l'autre brève de Cornulier qui retient nettement mon attention "Le 'frère Milotus' des 'Accroupissements' comme frère des écoles chrétiennes". J'ai lu cet article sous forme de fichier PDF il y a peu et c'est peut-être la principale étude du volume (sept pages). L'idée, c'est que le "frère" n'est pas un moine, ni un curé, mais un "frère Ignorantin" comme il en est également question dans l'Album zutique, et cela va de pair avec une forte contextualisation politique. La Commune a instauré bien avant la Troisième République la séparation de l'Eglise et de l'Etat, et un des grands combats des communeux était de retirer l'éducation scolaire aux gens d'église.
Je n'ai pas eu le temps de lire beaucoup d'articles. Le premier m'a d'emblée attiré car je prévois justement de publier une étude à ce sujet. Il s'agit d'une nouvelle étude sur le poème "Le Forgeron" par Corinne Saminadayar-Perrin. L'article s'appuie sur de nombreuses références littéraires et reprend attentivement ce qui a été mis en avant, parfois en plusieurs étapes, par les prédécesseurs que sont Marc Ascione, Steve Murphy, etc. Je n'ai pas relu l'article de Steve Murphy dans le volume de La Ménagerie impériale, mais je ne me rappelle pas qu'il insistait beaucoup sur La Grève des forgerons de Coppée. Cette mise en relief est venue plus tard, je pense. Peu importe. Effectivement, La Grève des forgerons, la réplique de Vermersch, la réédition en 1868 de la grande Histoire de la Révolution française de Michelet, tout cela est important, capital. L'imitation d'Hugo est primordial. D'autant que la version manuscrite d'Izambard est inaboutie, j'ai tendance à penser que le poème "Le Forgeron" a été composé en juillet 1870 et qu'il est en relation étroite avec la captation d'héritage des Cassagnac que fustige le sonnet "Morts de Quatre-vingt-douze..." Pour répliquer avec une certaine envergure aux Cassagnac, Rimbaud a composé un poème donnant une autre vision du soulèvement révolutionnaire de 89, au lieu de s'emparer directement de la matière d'actualité. Rimbaud n'a que 15 ans et demi et il va seulement commencer à écrire en masse des poèmes engagés, il me semble donc probable que "Le Forgeron" soit la prise en main d'un discours politique. L'actualité, il la traitera progressivement. Au mois d'août, il fait publier un poème érotique dans la revue La Charge et de se voir imprimé le 13 août cela a pu lui donner l'élan d'une composition d'une certaine étendue "Ce qui retient Nina", mais petit à petit les grandes journées de batailles : 4-6 août, 14-20 août, Sedan enfin, lui permettent de prendre de l'assurance, encore que sous la forme surprenante de sonnets, pour composer sur des sujets d'actualité.
Mais, je compte revenir sur la figure du "Forgeron" par rapport aux discours d'époque et par rapport aux grèves. L'auteure de l'article sur "Le Forgeron" le dit elle-même : "La figure du forgeron cristallise un certain nombre de représentations mythiques, idéologiques et politiques très actives en 1869-1870" ou bien elle rappelle que le sujet du poème de Coppée venait "d'une grève mémorable des mineurs de la Ricamarie". Je pense qu'en fait il faut une mise au point d'historien sur les grèves à la fin de l'Empire. J'ai commencé à rassembler des éléments en ce sens, et je publierai mon propre article le moment venu. Par ailleurs, je me demande ce que l'auteure entend quand elle dit : "La figure du forgeron révolutionnaire revêt une connotation sociale, explicite, en ce qu'elle fait du prolétariat l'instigateur de la dynamique révolutionnaire". Je veux dire : fait-elle le départ entre le discours prométhéen du forgeron et le développement des révolutions, et notamment de la Commune de Paris ? Je n'ai encore lu que rapidement cet article, mais cela me laisse perplexe, d'autant que là j'ai les deux livres de Jacques Rougerie sous la main Procès des communards, Paris libre 1871, ainsi que le livre de Robert Tombs Paris, bivouac des révolutions, la Commune de 1871, d'autres encore, j'ai lu de 1879 le volume de Camille Pelletan Le Comité central et la Commune (homonyme du livre de Ludovic Hans alias Armand Silvestre), j'ai écouté les conférences d'Henri Guillemin sur la Commune, et j'ai quand même l'impression que l'idée de la révolution par le prolétariat a fait son temps.
On le voit, rien n'est à laisser au hasard. Une mise au point sur "Le Forgeron" est capitale pour comprendre la genèse communarde de la pensée de Rimbaud.
Il est une autre étude que j'ai rapidement lue dans le n°27 de Parade sauvage. Etant un lecteur au cerveau normalement constitué, j'ai toujours lu la première ligne de "Solde" comme une mise en boîte agressive qui, évidemment, ne pouvait qu'être pudiquement refoulée par le critique contemporain. J'avais été très surpris par le dernier en date des articles de Bruno Claisse sur "Solde" qui en présentait une lecture édulcorée insoutenable. Murphy revient sur cette première ligne de "Solde" qu'on peut difficilement, comme il le dit, "balayer sous le tapis". L'essentiel est dit, mais en passant. Rimbaud est tout à fait dans la lignée du discours communard d'époque, de Blanqui, Proudhon, et pas mal d'autres. Je remarque toutefois qu'il n'y a pas un mot sur le décret Crémieux qui concerne quand même la guerre franco-prussienne, épisode que doit connaître sur le bout des doigts tout chercheur rimbaldien et qu'une "polyphonie", concept anachronique, inviterait à penser que Rimbaud ne prend pas en charge ses propos. Certes, le sujet est sensible, mais si le but de l'article c'est de ne pas en demeurer à des approximations, j'ai l'impression que l'objectif n'est pas atteint. D'ailleurs, je ne vois pas non plus ce que viennent faire là les pages sur le mythe du "juif errant" qui n'ont rien à voir, puisqu'il s'agit d'une figure de maudit propre au christianisme. Il faudrait revenir sans doute aussi sur l'illusion d'une affaire Dreyfus où la gauche, trop confondue avec le parti radical, semble entièrement associée au dreyfusisme dans les mémoires, d'autant que Rimbaud n'a pas du tout une idéologie politique à la Hollande ou à la Macron, ni même à la Mélenchon.
J'observe enfin un quatrième effort, après les articles de Bataillé, Murphy et Vaillant, pour nous convaincre que les "corbeaux" du poème de ce nom sont une métaphore de prêtres. Cela ressemble à une foire à l'autopersuasion. Que qui nous ayant lu veut bien penser que les corbeaux du poème "Les Corbeaux" sont des prêtres se fasse connaître et publie un énième article sur le sujet ! C'est désespérant. Les rimbaldiens sont nombreux à ne pas être d'accord avec cette thèse, plusieurs l'ont écrit dans leurs articles déjà ! Moi, Antoine Fongaro, Alain Bardel (même si ce n'est pas vraiment un chercheur rimbaldien), Yves Reboul, etc. Le débat en étant là, que nous ayons un article où les arguments sont opposés sur des bases bien campées et que quelqu'un songe à apporter les preuves nécessaires ! En attendant, dans une étude qui n'identifie pas du tout les "corbeaux" à des "prêtres", j'ai proposé depuis plusieurs années déjà de voir dans la fin du poème "Les Corbeaux" non seulement une rime du "Bateau ivre" justifiant une lecture communarde, mais une rime du poème anticommunard "Plus de sang" de Coppée justifiant dès lors l'idée d'une réplique. L'argument du poème, c'est d'opposer la commémoration de la seule guerre franco-prussienne par des Coppée, Déroulède et consorts qui ne sont pas des prêtres au mépris intolérable de la semaine sanglante infligée aux communeux. Je cite la fin de "Plus de sang" :
[...]
Alors, ô jeunes fils de la vaillante Gaule,
Nous jetterons encor le fusil sur l'épaule,
Et, le sac chargé d'un pain bis,
Nous irons vers le Rhin pour laver notre honte,
Nous irons, furieux, comme le flot qui monte
Et nombreux comme les épis.
- Dis-leur cela, ma mère, et, messagère ailée,
Mon ode ira porter jusque dans la mêlée
Le rameau providentiel.
Sachant bien que l'orage affreux qui se déchaîne
Et qui peut d'un seul coup déraciner un chêne,
Epargne un oiseau dans le ciel.
Avril 1871.
Je cite maintenant l'avant-dernier quatrain du "Bateau ivre" :
Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesses, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.
Et enfin, je cite l'ultime strophe des "Corbeaux" :
Mais, saints du ciel, en haut du chêne,
Mât perdu dans le soir charmé,
Laissez les fauvettes de mai
Pour ceux qu'au fond du bois enchaîne,
Dans l'herbe d'où l'on ne peut fuir,
La défaite sans avenir.
Il faudrait ajouter la citation des vers "Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses, / Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau", pour avoir les liens complets entre nos citations. A "soir charmé" correspond "crépuscule embaumé", à "mât perdu" fait écho "bateau perdu", à "papillon de mai" fait place "fauvettes de mai", et bien sûr la rime "chêne"::"enchaîne" est une adaptation de la rime "déchaîne"::"chêne" du poème de Coppée dont rappeler la date qui vaut tous les discours 'avril 1871", sachant qu'il est à chaque fois question d'épargner un ou plusieurs oiseaux fragiles. Ce lien n'est pas évoqué, ni établi dans l'article de Julien Weber intitulé "Prière d'Arthur Rimbaud". L'auteur s'est contenté d'affirmer la clef de lecture suivante : "Quant aux corbeaux, dont le poète appelle la venue dès les premières strophes, c'est aux prêtres qu'ils se réfèrent, selon les conventions de la littérature anticléricale du XIXe siècle. La prière de Rimbaud est alors à lire sur un mode ironique [...]" Je peux comprendre que face à un poème hermétique le critique propose un mode d'emploi, mais on n'affirme pas par pétition de principe une clef de lecture établissant une relation de comparant à comparé. Où sont les preuves qui font que cette lecture n'est pas un simple tour de force impressionniste ?
Je serai bien évidemment amené à revenir sur l'opposition des thèses qui concerne la lecture du poème "Les Corbeaux", mais avec la crainte que rien ne change tant que la décision pour un consensus est purement dans la force de frappe éditoriale.
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