Le chapitre "Commune" du livre de 2009 Rimbaud dans son temps d'Yves Reboul ne traite pas de l'hypothèse de la présence ou non du poète à Paris du temps même de la Commune, mais de la présence de la Commune dans l’œuvre de Rimbaud. Yves Reboul souligne qu'en-dehors de certains textes traitant assez explicitement de la Commune, Rimbaud a rendu le repérage thématique difficile par un recours évident à l'allégorie. Reboul cite Chant de guerre Parisien et Les Mains de Jeanne-Marie pour les exemples, sans doute parce que le troisième exemple flagrant Paris se repeuple a connu une histoire critique chaotique, l'idée d'allusion à la Commune ayant été contestée dans le passé au profit d'une lecture sacrément absurde selon laquelle il aurait été question des lendemains du premier siège franco-prussien. A la page 95 de son livre, Reboul revient alors sur cette question pour dire que quatre poèmes seulement de la période mars 1871 - mars 1872 parlent ouvertement de la Commune : il inclut alors "L'Etoile a pleuré rose..." et Paris se repeuple. Toutefois, après une lecture d'ensemble des écrits de Reboul sur Rimbaud, on remarque que l'idée d'un traitement allégorique du sujet est fortement minimisée. L'auteur cite le quatrain "L'Etoile a pleuré rose..." au sujet duquel il a lui-même publié un article décisif permettant d'identifier la Commune, mais il passe à côté des allusions communardes sensibles de poèmes comme "Voyelles" ou "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,...", et pour le poème du "Bateau ivre", il cite comme étude de référence dans sa bibliographie un article de Steve Murphy où l'allégorie du poème superpose des strates distinctes, fragilisant énormément la lecture allégorique suivie assez évidente du poème. Pour remédier à tout cela, je prévois des articles futurs sur la culture métaphorique des communeux; en analysant de près en particulier les métaphores clichés de Vallès, Louise Michel, etc.
C'est à partir du témoignage de Verlaine que Reboul réinvestit la pertinence de la lecture communeuse de "Paris se repeuple", et à l'instar d'autres rimbaldiens il l'implique du coup pour le poème "Les Veilleurs" dont le texte nous est demeuré inconnu, à l'exception d'un unique vers que le malveillant Octave Mirbeau a livré dans la presse en 1885. Yves Reboul insiste alors sur l'identification des "barbares" aux communeux dans l'attaque du poème "Paris se repeuple".
L'auteur énumère ensuite, en indiquant quelques hypothèses de lecture, des poèmes qui sont nettement porteurs de significations politiques communalistes : "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,...", Michel et Christine, Bonne pensée du matin, La Rivière de Cassis et Les Corbeaux.Rappelons que ce livre réunit des études de poèmes qui tendent avec raison à établir la présence d'un discours communard : "Jeanne-Marie la sorcière", "A propos de L'Homme juste", "Michel et Christine ou les nouveaux barbares", "Quelques mots sur 'L'Etoile a pleuré rose...' ", "Faites vos Paris ?", "Bonne pensée du matin au pied de la lettre" et citons encore la plus discutable analyse suivante "Barbare ou l’œuvre finale". On remarquera au passage la désastreuse influence de la datation partisane des Corbeaux qui trahit l'immense travail philologique de Steve Murphy dans son édition des Poésies de Rimbaud chez Honoré Champion en 1999. Voici la note 1 page 86 : "Il n'es pas impossible que Les Corbeaux, longtemps considéré comme un poème relativement ancien, soiyt en fait postérieur à La Rivière de Cassis." J'ai fait une nouvelle mise au point toute récente sur la datation des "Corbeaux", rappelant cruellement l'absence totale d'argument sérieux pour envisager que le poème Les Corbeaux puisse être postérieur au mois de mars 1872. Bien plus intéressante est la note 1 de la page 87 qui envisage une influence d'un texte de Vallès sur Rimbaud qui montre que la lecture anticléricale n'est décidément pas partagée par les chercheurs rimbaldiens : "Ces corbeaux, les mêmes apparemment que ceux qui sont 'crieur[s] du devoir' dans Les Corbeaux, on les doit peut-être à Vallès. Dans son article 'Paris vendu' (Le Cri du peuple, 22 février 1871), ce dernier écrivait en effet : 'Dans tout ce tas de députés, il y en aura bien quelques-uns, je pense, qui sauront nous venger. [...] Mais étoufferait-on leurs voix, le corbeau bat des ailes au-dessus de la France ruinée, au-dessus des fermes sans semailles !' Rimbaud, arrivé à Paris le 25 et qu'enthousiasmaient les 'fantaisies admirables' de Vallès, a fort bien pu connaître ce texte."
Passée cette phase de mise au point, Reboul entre alors dans le vif du sujet. Si l'auteur fait un sort au problème du déni, il s'attaque surtout à la doxa d'une interprétation de la Commune comme "république ouvrière d'inspiration socialiste", expression qu'il reprend à Alain Bardel, mais qui cible en même temps bien des analyses communalistes de l’œuvre de Rimbaud, y compris des rimbaldiens ayant finement contribué à une meilleure compréhension des textes comme Steve Murphy ou Marc Ascione. Reboul signale d'abord comme références au plan de l'Histoire de la Commune les livres désormais classiques de Jacques Rougerie : Procès des Communards (Julliard, coll. "Archives", 1964) et Paris libre 1871 (Le Seuil, 1871). Ils sont mentionnés à la note 1 de la page 88. Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'il ne s'agit pas simplement d'un chapitre pour montrer que le thème de la Commune traverse toute l’œuvre poétique de Rimbaud, bien que selon des formes allégoriques qui peuvent passer inaperçues du lecteur ; il s'agit( d'une étude pour présenter une analyse de la Commune sous un angle d'attaque nouveau qui ne se réclamerait pas du cliché de la révolution ouvrière, prolétarienne, qu'ont imposé tant les marxistes que les écrivains hostiles à la Commune à l'époque. Et cela est à ce point pour Reboul qu'une expression en italique souligne nettement un retour sur le titre même du livre Rimbaud dans son temps : "On n'écrit pas ici un livre d'Histoire, mais si l'on veut comprendre ce que fut l'adhésion de Rimbaud à la Commune et, plus encore, le rôle qu'elle aj oué dans son œuvre, force est de rappeler ce que fut en son temps cette flambée révolutionnaire." Reboul répond alors à la question de savoir ce qu'a été réellement la Commune par une synthèse ramassée : "Fille de la guerre, la Commune est née après l'interminable siège de Paris des frustrations de toute une population, persuadée qu'elle aurait pu vaincre comme en 1793 sans la trahison de dirigeants conservateurs ; et mouvement parisien, elle plonge ses racines dans la culture politique des milieux populaires de la capitale, laquelle s'était structurée pour longtemps dans les affrontements de la Révolution de 1789. Il n'est que de voir les ennemis que se reconnaît le Communeux du rang : le prêtre, le hobereau, le riche oisif, on a là comme une liste des objets de haine du sans-culotte." En s'appuyant sur des citations des ouvrages de Rougerie, Reboul rappelle alors que la Commune, si elle est socialiste, l'est au sens "mal défini" pris par le mot autour de 1848, et pas du tout au sens moderne ou marxiste. Les communeux ne sont pas socialistes, ils sont essentiellement jacobins, se partageant en robespierristes ou hébertistes.
Je ne veux pas remplacer la lecture du chapitre "Commune" du livre d'Yves Reboul. Il s'agit juste d'indiquer sur ce blog une mise au point sur la Commune qui va dans le même sens que moi et qui est antérieure à mes propres articles de mise au point. Il s'agit aussi d'ouvrir quelques pistes de réflexion. Ainsi, à la page 90, il est question du sentiment d'imminence de la fin catastrophique du second Empire, citation de Victor Hugo à l'appui. Cette catastrophe était attendue comme une délivrance et une nouvelle aurore. Ce lien symbolique à Napoléon III est important, car quand on lit les contributions de l'Album zutique on se rend compte d'un nombre élevé de charges à l'égard de l'église et de Napoléon III, alors que, depuis la chute de Sedan, il y a eu le conflit du gouvernement de Défense nationale avec les républicains en appelant à la "Sociale" ou à la "Commune"', et il y a eu justement cet épisode de la Commune de Paris, la semaine sanglante, et au moment des contributions zutiques de Rimbaud des procès et déportations sont en cours, tandis qu'une presse revancharde conspue les vaincus condamnés à se taire. On sait également que la Commune a été envisagée comme une nouvelle aurore par Vallès, Louise Michel, ce que les historiens n'ignorent guère. Jacques Rougerie met en doute l'idée d'aurore de la Commune en constatant que ce fut le crépuscule du Paris révolutionnaire par exemple. Ce que je trouve extraordinaire, c'est que la compréhension métaphorique des images de mer et d'aurore dans la poésie de Rimbaud ne soit pas spontanément associée à la Commune dans l'esprit des lecteurs. Ce n'est pas normal que "Le Bateau ivre" ne soit considéré, y compris par Reboul et Murphy, que comme un récit évoquant partiellement la Commune. J'ai essayé dans mon article de 2006 de montrer que le poème était un récit allégorique qui ne parlait précisément que de la Commune, mais en termes métaphoriques parfois délicats à cerner. C'est en ce sens que je ne souscris pas du tout à l'étude qui a suivi de Steve Murphy, puisque cette fois il envisage une superposition compliquée de lectures allégoriques, ménageant la chèvre et le chou des régimes interprétatifs appliqués jusque-là à ce poème.
Reboul insiste encore sur la prégnance dans la poésie de Rimbaud des mots clefs d'un messianisme laïc romantique qui montre que son discours puise dans des sources assurant une filiation nette avec les représentations issues de la Révolution de 1789.
En soulignant que la Commune n'est pas une révolution ouvrière, Reboul propose alors des lectures communalistes de poèmes dont il faut mesurer la distance avec les interprétations plus proches de lectures marxistes. C'est le cas pour le sonnet zutique "Paris" où sur la question des maires et du rétablissement du second Empire il offre une analyse inconciliable avec l'étude antérieure du même poème par Steve Murphy. Si on ne prend pas garde à ces divergences d'interprétations historiques de la Commune, les conclusions de Murphy et Reboul risquent de s'imposer comme similaires et complémentaires, alors que ce qui ressort nettement c'est une différence d'approche du phénomène qu'a été cette tentative révolutionnaire réprimée dans le sang.
Reboul insiste ensuite dans son travail sur le fait que, finalement, Rimbaud du temps qu'il était poète a toujours fréquenté des milieux communalistes. Un premier argument important, et je suppose que Reboul est le premier à établir ce point que je n'ai jamais vu nulle part ailleurs, c'est que ce n'est qu'à une erreur de transcription de son nom "Merlaine" que Verlaine a échappé à la déportation, puisqu'il nous est rapporté, page 97, que "le 31 août 1872" le conseil de guerre a "condamné par contumace à la déportation" un "nommé Merlaine, chef sous la Commune du Bureau de la presse à l'Hôtel de Ville". Verlaine avait justement accepté ces fonctions, ce qui nous permet de nous assurer d'une identification fort heureusement manquée par la justice de Versailles. L'auteur de Rimbaud dans son temps évoque plus loin une confusion probable entre Varlin, mort sous la Commune, et Verlaine dans les rapports de police sur les exilés londoniens, et il rappelle les incarcérations de proches de Verlaine, Lepelletier et Charles de Sivry. Nous pourrions rappeler également que plusieurs meneurs assez sanguinaires de la Commune furent des connaissances de Verlaine sous le second Empire. Dans son ouvrage, Reboul identifie sur la base d'une étude plus large de la vie et des écrits de Verlaine que ce que permettent les études rimbaldiennes un positionnement hébertiste et blanquiste de Verlaine.
Le parcours communeux de Rimbaud et Verlaine en Belgique et en Angleterre est rapidement identifié en tant que tel, et viennent alors des pages sur la vie de nos deux poètes en Angleterre qui, à la différence des biographies connues, se centrent sur les fréquentations politiques. Verlaine a publié dans le journal L'Avenir de Vermersch un poème engagé "Des Morts", il a participé à des conférences littéraires de Vermersch sur Gautier, Vigny et encore... Blanqui. Reboul précise que "c'est même dans le cadre de cette dernière que Des Morts a trouvé sa place [...]". L'auteur de Rimbaud dans son temps ne se contente pas de souligner l'importante fréquentation de trois célèbres réfugiés communeux : Vermersch, Lissagaray et Andrieu. Il explique alors que "ce groupe se trouvait alors au cœur d'un débat virulent sur les leçons à tirer de l'échec de la Commune." Ce qui nous est montré, c'est que Rimbaud et Verlaine fréquentent très clairement le groupe de la minorité des communeux qui refusa en vain "la création d'un Comité de salut public, sur le modèle de celui de 1793", et ce clivage était demeuré violent parmi les exilés londoniens. Un extrait de Vermersch paru dans le journal L'Avenir en novembre 1872 illustre cette importante polémique : "Nous ne faisons pas suite aux hommes de 89 et de 93, mais aux hommes de 1830 d'abord, à ceux de 1848 et de 1851 surtout. Si l'on avait mieux su tout ce que contenaient les cinquante dernières années, peut-être bien des maladresses indicibles n'eussent-elles pas été faites." Et Reboul insiste alors sur la relation à établir entre l'exil londonien de nombreux communeux et la crise rencontrée précisément en 1872 par l'Internationale : "Or il ne s'agissait pas là de simples règlements de comptes sur fond d'amertume de l'exil. C'est qu'en cet automne de 1872, le conflit qui avait déchiré la Commune avait rebondi du fait du débat qui, au sein même de l'Internationale, opposait alors Marx et les partisans d'un principe autoritaire à des groupes d'ailleurs divers, mais au nombre desquels se comptaient assurément ceux qui éditaient L'Avenir. La controverse venait d'aboutir avec le Congrès de La Haye au triomphe de Marx, largement dû à l'appui des Blanquistes français, membres sous la Commune de la majorité et qui, à l'égal des Jacobins, ne cessaient de se référer à 1793." Le journal L'Avenir ironisait sur l'archaïsme et les modèles chrétiens du "communisme". Rimbaud et Verlaine fréquentaient encore le Cercle des Etudes Sociales fondé par Andrieu et Lissagaray. Ce cercle s'opposait à la "ligne marxienne et blanquiste". N'étant pas spécialiste, j'ai pour l'instant du mal à travailler sur la plus ou moins grande proximité de Rimbaud et Verlaine avec les idées de Proudhon ou Blanqui, avec l'hébertisme. Les oppositions ne sont pas claires et systématiques, d'après l'ensemble de mes lectures, j'attends encore de mieux me former sur ces questions. En attendant, même si une majorité de communeux a donné son appui à Marx, la Commune n'était pas une révolution ouvrière, et d'ailleurs les marxistes seraient allés plus loin en ce sens que Marx lui-même, et, dans la foulée, Rimbaud fréquentait une minorité de communeux hostile au Comité de Salut Public et à la dictature du prolétariat. Rimbaud semble plus dans une mouvance libertaire et individualiste. S'il n'est pas proche de Marx, le serait-il plus de Bakounine ? Ce sont des sujets à travailler. Précisons par-delà notre espèce de compte rendu du chapitre "Commune" de Reboul que Karl Marx a publié un livre sur la Commune La Guerre civile en France. J'en ai une édition avec l'appel avant la page de faux-titre : "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !" Il s'agit d'un livre imprimé en Chine populaire : "Editions en langues étrangères, Pékin, 1972". J'en rendrai compte dans les mois à venir. J'ai aussi un livre de septembre 1970 aux éditions "Sparracus" qui réunit des "Textes sur l'organisation" de Marx et Engels dont celui-ci qui correspond à ce que nous venons d'aborder dans l'étude d'Yves Reboul : "Les prétendues scissions dans l'Internationale (1872)". Il s'agira là encore d'un ouvrage dont je prévois de rendre compte sur ce blog dans les mois à venir.
Revenons à l'étude de Reboul. Il traite alors de la figure de Jules Andrieu et surtout de son livre Notes pour servir à l'histoire de la Commune de Paris que j'ai découvert et acheté récemment en librairie. Or, l'existence manuscrite de ce texte est attestée, comme le rappelle Reboul, "dès avant l'arrivée de Rimbaud à Londres". Je vais moi-même rendre compte de l'ouvrage d'Andrieu sur ce blog, toujours dans les prochains mois et je reviendrai sur le discours du livre Rimbaud dans son temps à ce sujet. Il faut en tout cas savoir que Reboul s'appuie sur le discours du livre d'Andrieu pour tenter d'éclairer idéologiquement certains passages des poèmes en prose des Illuminations. Le problème qui se pose pour moi, c'est que, malgré cela, les lectures des poèmes en prose de Rimbaud par Reboul (Barbare, Dévotion, Being Beauteous) ne me satisfont pas ou ne me convainquent pas, le cas est différent pour l'étude de Mystique. Pourtant, en-dehors d'une lecture de Voyelles que je trouve insoutenable, les études de Reboul ont toujours été pertinentes. Il y a donc un problème posé par les poèmes en prose des Illuminations sur lequel il faudra là aussi revenir.
Ce compte rendu était nécessaire sur le blog, dans la mesure où j'ai parlé récemment d'une conception de la Commune révisée depuis les travaux de Jacques Rougerie, dans la mesure où j'ai parlé aussi du livre de Jules Andrieu (au moins une fois, comme on dirait en Belgique), et je vais continuer dans cette voie. J'envisage aussi de travailler sur les écrits de Proudhon, sur l'anarchisme, sur les écrits de Max Stirner et d'autres encore. Il s'agit simplement pour moi d'atteindre à une compréhension politique non déformée de la Commune et de Rimbaud. J'ai tout un stock de livres sur la guerre de 1870 et la Commune, des témoignages d'époque, des mises au point d'historiens, etc. Cela m'empêche d'étudier à la loupe le texte de Rimbaud pendant quelque temps, mais il s'agit d'un travail utile et nécessaire.
Bonjour monsieur! C'est Alissia, j'étais votre élève l'année dernière en 2nde9. Je voulais vous communiquer mes résultats du bac français; j'ai eu 20 à l'oral et 16 à l'écrit! Comme quoi je n'étais pas si bête que ça! Passez de bonnes vacances :)
RépondreSupprimerLu !
SupprimerBelle surprise, ce message. Juste que comme le blog est public je me retiens de poser quelques questions.
Félicitations et bonnes vacances!