mercredi 26 juin 2024

Spécial oral du bac de français sur les "Cahiers de Douai"... (ils n'existent pas !)

Faisons-nous plaisir avec quelques considérations funambulesques !
J'ai l'archet en main, je commence par la révision de la figure de style du jour : l'euphémisme répété.
Prenons le sonnet "Le Dormeur du Val", il paraît que dans ce sonnet le verbe "dort" est un euphémisme pour "meurt" ou plus précisément pour "est mort".
Donc, dans "Dormeur", on entend le côtoiement des deux formes verbales : "dort" et "meurt", sauf que le soldat serait plutôt déjà mort : il est tranquille et ne sent plus les parfums, le corps est même déjà froid. Bref, "meurt" est une association d'idée déjà bancale.
Le sonnet est la répétition de deux phrases clefs.

Le premier quatrain superpose une longue phrase et une phrase courte qui ont la même structure grammaticale et à peu près le même sens : autrement dit, la fin du vers 4 est une forme ramassée de tout ce qui vient d'être dit : "c'est un petit val qui mousse de rayons" reprend tout le début : "C'est un trou de verdure..."
C'est un trou de verdure / c'est un petit val
Les propositions subordonnées relatives, malgré une certaine variété, renferment toute l'idée d'une lumière liquide communiquant la vie :
où chante une rivière / Accrochant follement aux herbes des haillons / D'argent ;
où le soleil, de la montagne fière, / Luit ;
qui mousse de rayons.
Derrière les pronoms relatifs "où" et "qui" nous avons un entremêlement des idées de force liquide et de lumière : "mousse" exprime un débordement liquide mais appliqué à la lumière "rayons", le verbe "Luit" en rejet condense l'idée de lumière du "soleil" qui est nommé et de reflet liquide, le reflet luisant du soleil suggère l'humidité fécondante. La mention "D'argent" est en rejet comme "Luit" et fait partie des mentions de la lumière, tandis que "rivière" est une mention explicite de l'eau, mais les "haillons / D'argent" sont ceux de la rivière, dont comme pour le verbe "Luit", le mot "argent" superpose la référence à la lumière et à la liquidité.
La fin du premier quatrain est une répétition, une réduction à l'essentiel du propos, et notez le parallélisme entre les fins des deux quatrains, puisque la fin du vers 8, si elle ne reprend pas la structure grammaticale "c'est" répète l'idée de "petit val qui mousse de rayons" :
trou de verdure / petit val / lit vert
où chante une rivière... D'argent
où le soleil... Luit
qui mousse de rayons
où la lumière pleut.
Sans parler des échos de "lumière" avec d'un côté "Luit" et de l'autre "rivière", nous retrouvons l'idée d'un assimilation de la lumière à un liquide : "pleut" verbe dont le sujet est "lumière". Appréciez aussi l'articulation synthétique du vers 8 : "Pâle dans..." Le second quatrain décrit le personnage malade après un quatrain fixant un cadre digne du poème "Soleil et Chair". En clair, la Nature vénusienne est le moyen de guérir le soldat, et nous avons le balancement de sa pâleur au bain guérissant de lumière qu'offre ce coin de Nature.
Or, selon la lecture traditionnelle du sonnet qui sera celle de la totalité des examinateurs à l'oral du bac, le bain de lumière ne veut pas exprimer la foi du poème "Soleil et Chair", il s'agit simplement d'opposer le contraste violent d'une belle Nature à la dure réalité qui nous est progressivement dévoilée sur le corps du soldat.
A partir du deuxième quatrain, une répétition phrastique domine dans le poème qui serait un long euphémisme :
Un soldat jeune [...] Dort
Il est étendu dans l'herbe [...] dans son lit vert [...]
Les pieds dans les glaïeuls, il dort.
Souriant [...], il fait un somme.
Il dort dans le soleil [...]
Seules les phrases suivantes échappent à la répétition du prétendu euphémisme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine[.]

Il a deux trous rouges au côté droit.
Ces trois phrases sont plutôt vers la fin du poème et témoignent d'une note dramatique indéniable. Toutefois, l'injonction à la Nature répond à l'idée que la Nature soigne dans un "lit vert" celui qui est "comme un enfant malade". Notez que le rejet "Dort" au vers 7 s'aligne sur les rejets précédents : "D'argent" et "Luit", avec équivoque "Dort" / D'or" que justifie a posteriori l'expression "Il dort dans le soleil". La préposition "dans" superpose le "soleil" réparateur à l'image d'hôpital du "lit vert".
Le vers : "Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;" (où observer l'idée clef du "frisson" : "frissons des bois", etc.) est conditionnée par l'appel à la Nature à guérir le soldat qui déjà a froid. La dernière phrase semble elle résolument dramatique, comme si elle venait empêcher le poète d'affirmer sa foi en la régénération du soldat par l'effet vénusien de la Nature pleine du rayonnement solaire, source de vie. Toutefois, les "trous rouges" reprennent "trou de verdure", tandis que l'expression qui clôt tout le sonnet assimile le dormeur à un Christ, donc on finit bien sur l'évocation symbolique d'un personnage sur le point de ressusciter : "au côté droit".
Plutôt qu'un poète de l'euphémisme au soleil, Rimbaud apparaît plutôt ici comme un vendeur de perroquets plein de mauvaise foi, non ?

 
***

A propos de "Ma Bohême", dans son livre L'Art de Rimbaud paru en 2003, Michel Murat énumère les rimes reprises au seul recueil des Odes funambulesques de Banville et le sujet étant la bohème il ajoute une remarque incendiaire à propos du romancier Henry Murger, auteur des Scènes de la vie de bohème.
Cette mise au point de Murat s'étend sur quelques pages, de la page 180 à la page 183, et il enchaîne avec des remarques sur le poème envoyé en 1871 à Banville "Ce qu'on dit au Poète à propos de fleurs".
Je cite la remarque négative à l'égard du romancier Murger (page 180) :

   Ma Bohême, chef-d'œuvre de la première manière de Rimbaud, celle de la "liberté libre", présente trois caractéristiques formelles : le sonnet libertin, le vers enjambant et un usage dialogique de la rime. Les deux premiers traits font voir "ma Bohême", comme un renouveau du romantisme de 1830, dont la "Bohème" parisienne de Murger serait la descendance dégénérée - "crevée" et sans "vigueur". [...]

Murat ne justifie pas sa lecture. Il part du principe que le possessif claironne un dépassement du romantisme de 1830 (déclaré objet d'admiration dans la lettre à Banville de mai 1870 de quelques mois antérieure à "Ma Bohême") et il présuppose que Rimbaud daube l'idée de la bohème à la Murger qui serait une décadence de l'esprit de 1830. Murat emploie le terme fort "descendance dégénérée", avec une lecture assez suspecte de "poches crevées". Rimbaud crèverait le vêtement bohémien qu'est le paletot, alors que pour moi le paletot est plutôt embourgeoisant dans l'esprit de révolte du bohémien.
Plein de choses ne vont pas dans les affirmations enchaînées de Michel Murat. Pour les caractéristiques formelles envisagées, Rimbaud montre qu'il est en phase avec son époque, et il va sans doute se différencier d'un élève qui préfère imiter les vers classiques. A l'époque (1870), dans les classes, on n'étudie pas  tellement les poèmes de Victor Hugo, encore moins les recueils parnassiens récents de la décennie qui vient de s'écouler, voire qui s'achève. De toute façon, le sonnet libertin est une création romantique, très vive en 1830, que ne font que reprendre les parnassiens. Rimbaud peut vite s'apercevoir de l'audace des premiers sonnets de Musset, Gautier et Sainte-Beuve. Les enjambements entre les vers c'est un développement qui vient du théâtre en vers de Victor Hugo avec la bataille d'Hernani qui spécifie l'origine romantique du procédé. Peut-on parler d'un renouveau pour autant avec l'emploi rimbaldien ? C'est plutôt une continuité. Puis, l'opposition à Murger n'est pas claire. Murat pense sans doute exclusivement au romancier. Or, Murger a écrit des poèmes, et j'ai montré récemment que "Ophélie" de Rimbaud s'inspirait du poème "Ophélia" de Murger, poème qui a aussi inspiré "Harmonie du soir" à Baudelaire et le premier poème des Fêtes galantes à Verlaine. Excusez du peu. Murger est un ami proche de Banville qui lui dédie plusieurs poèmes dont certains avec à la rime le nom "Ophélie" dans ses recueils dévorés d'attention par Rimbaud. Et dans "Ma Bohême", Rimbaud reprend des rimes de Banville et même plus. Le poème "Sensation" s'inspire lui aussi d'un poème des Nuits d'hiver de Murger. Loin de mépriser la bohème de Murger, Rimbaud la revendique. D'ailleurs, pourquoi Murat joint le romantisme de 1830 et l'esprit de la bohème de Murger ? En fait, les petits romantiques de 1830, la Jeunesse du Doyenné, les Jeune-France, à savoir Gautier, nerval, Houssaye et quelques autres n'ont pas imposé un nom, et le succès de Murger avec le concept de bohème a été clairement identifié comme un succès de Murger, là où les petits romantiques ont échoué à se donner un nom, à créer un "poncif" comme dirait Baudelaire. Et Houssaye a encouragé Nerval à employer lui aussi le concept de la bohème.
Loin d'être un continuateur dégénéré, Murger est un modèle admiré à la fois par les petits romantiques et par les nouveaux venus Banville, Verlaine et Rimbaud.
Murat part du principe que le possessif du titre "Ma Bohême" est une sorte de grande opération de promotion polémique de la part de Rimbaud : "Ma Bohème" ne sera pas celle des prédécesseurs, je vais renouveler tout ça.
Ben non ! Désolé pour ceux qui y voient un discours ambitieux, mais Rimbaud en disant "Ma Bohème" sollicite l'admiration de Murger et Banville, il veut montrer qu'il est digne d'eux. Certes, il radicalise le désir de nudité, mais il n'y a pas cette idée d'opposition à Murger, aux romantiques de 1830 et à Banville que s'imaginent les rimbaldiens. Murat affirme dans ces quelques pages que Rimbaud donne une leçon à Banville. Pas du tout ! D'abord, il reprend des rimes dont le mérite de création est banvillien. Rimbaud dépasserait Banville si en reprenant ses rimes il en faisait un support de discours tout à fait étonnant, avec des perspectives que n'avaient pas envisagées Banville. Or, ce n'est pas du tout ce qui ressort à la lecture, on va se pencher sur ces rimes plus loin, vous allez voir. Ces rimes sont cités par connivence, et Rimbaud est alors immensément loin de donner une quelconque de poésie à Banville. Pire, Rimbaud commet une faute d'orthographe dans le titre "Ma Bohême" pour "Ma Bohème". Evidemment qu'il faut corriger le titre dans les éditions des poésies de Rimbaud. Je vous en ficherai moi de l'accent circonflexe. Rimbaud, il est humain, il commet une faute d'orthographe, pareil pour "Sarrebruck" où il suit la presse en mettant un tréma erroné.
Il faut arrêter de sacraliser des fautes d'orthographe : "Ma Bohême" ou "Sarrebrück" ! C'est ridicule ! Moi, dans mon article précédent, il y a des coquilles, "ces" pour "ses", d'autres, ben si vous m'éditez, vous les corrigerez automatiquement, vous n'y chercherez pas un sens caché...
Maintenant, il y a le cas des rimes. Murat cite une édition anachronique des Odes funambulesques, l'édition commentée par Banville de 1873-18741 (édition qui contient une pièce introductive datée d'octobre 1873, et qui est tantôt dite de 1873, tantôt de 1874, mais édition postérieure dans tous les cas à la mise sous presse d'Une saison en enfer).
Murat identifie trois rimes reprises aux Odes funambulesques. Cela avait déjà été dit avant Murat, ce n'est pas une découverte sienne. Cependant, il faut apprécier les détails.
Rimbaud n'a pu consulter que deux éditions des Odes funambulesques. Il a pu connaître l'édition originale de 1857 ou bien la seconde ou deuxième édition de 1859. Deux des trois rimes reprises par Rimbaud figurent bien dans l'édition originale de 1857, et partant dans toutes les éditions connues des Odes funambulesques. Rimbaud a repris la rime "élastique(s)" / "fantastique(s)" au poème final du recueil "Le Saut du tremplin", et il a repris la rime "frous-frous" / "trous" à une des pièces de l'ensemble sur Evohé la Némésis intérimaire, à la longue pièce "L'Académie royale de musique". Mais la rime "ourses" / "courses" ne figure pas dans l'édition originale, puisqu'il s'agit d'un ajout de l'édition de 1859 avec le poème "La Voyageuse". Murat cite également pour son thème le poème "La Sainte Bohème" en le qualifiant de discours niais. Je serais plus réservé sur la prétendue niaiserie de Banville qui risque ici de rejaillir sur l'admiration évidente de Rimbaud à son égard et surtout il s'agit là encore d'un poème ajouté aux Odes funambulesques en 1859.
En clair, il ne faut ni citer l'édition originale de 1857, ni l'édition commentée de 1873 ou 1874, puisque Rimbaud a tout simplement eu accès à l'édition augmentée et révisée de 1859. Cette édition est particulière, puisqu'elle contient des hommages d'autres artistes, sous forme en particulier de lettres, documents qui disparaissent de l'édition commentée. Vous avez un message de Victor Hugo, une lettre ouverte d'Hippolyte Babou (je crois que j'ai donné des cours de français particulier à un de ses descendants qui porte toujours son nom, et dire que ça doit être l'inventeur du titre Les Fleurs du Mal si je ne m'abuse) et vous avez un poème en octosyllabes d'Auguste Vacquerie qu'il n'est pas absurde de rapprocher du poème en octosyllabes "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs". D'ailleurs, ce dernier titre fait penser à l'étrange titre de la lettre de Babou, de mémoire "Lettre sur l'auteur des Odes funambulesques à Banville", dissociation expliquée par la lettre.
La seconde édition de 1859 se termine par une page d'errata, et une note des éditeurs qui détaille le nom des pièces ajoutés et qui recense aussi les cinq poèmes que Banville voulait retrancher à l'édition de 1857.
Puis, l'intérêt ne s'arrête pas là.
Dans l'édition de 1857, vous avez pour tout le début du recueil une construction frappante où un poème alterne avec un poème triolet. Il y a un système de mélange des poèmes très particulier dans l'édition de 1857, alors que l'édition de 1859 regroupe les poèmes par catégories. On a alors une section de "Triolets" avec d'abord tous les poèmes en un seul triolet, et puis les deux poèmes de triolets enchaînés.
Il reste toujours possible que Rimbaud ait eu accès aux deux versions du recueil, mais au bas mot Rimbaud fut avant tout un lecteur de l'édition de 1859. C'est l'édition de référence pour exécuter un travail sérieux d'analyse poétique rimbaldienne.
Je n'ai pas la même idée de l'influence des triolets sur Rimbaud selon que je lis l'édition de 1857 ou l'édition de 1859, parce que dans l'édition de 1857 l'alternance donne un prestige considérable aux triolets, mais je dois y renoncer vu que j'ai compris que Rimbaud avait surtout un lecteur de l'édition de 1859.
Outre l'influence des documents de Vacquerie, Hugo et Babou sur "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" et sur une certaine idée de reconnaissance publique de Banville flattée par les pairs, la fin de l'édition de 1859 renforce la lecture banvillienne de "Ma Bohême" avec non seulement le cas de "La Sainte Bohème", mais l'idée d'une impression d'ensemble d'au moins les trois derniers poèmes du recueil des Odes funambulesques, avec "La Sainte Bohème" et "Le Saut du tremplin". Dans l'édition de 1857, comme le dit Babou, c'est surtout l'ouverture et la clôture par "La Corde raide" et "Le Saut du tremplin" qui ressort.
Maintenant, il y a d'autres choses à dire encore sur les rimes de "Ma Bohème". Murat souligne la rime "féal"/"idéal" comme un jeu de poète troubadour, et ces pages sur "Ma Bohème" de Murat ont eu une influence importante sur jacques Bienvenu qui a écrit ensuite un article (après une conférence à Paris) pour souligner que la rime "féal"/"idéal" était reprise à un sonnet de Mallarmé publié dans le Parnasse contemporain de 1866 et une note de bas de page de l'article de Murat est à mettre en relation avec les études de Bienvenu du côté de Glatigny avec l'idée de rapprocher la "Chanson de la plus haute Tour" du "château romantique". Mais, je ne peux pas tout faire à la fois et traiter ici de la rime "idéal"/"féal". Je ne le peux pas non plus de la rime "rêvées"/"crevées". En clair, pour les rimes, c'est tout le premier quatrain que je dois laisser de côté.
En revanche, tout le reste du poème est lié à Banville.
Deux des trois rimes empruntées à Banville forment le couple de rimes du second quatrain de "Ma Bohème". La rime "course" / "Grande Ourse" reprend une rime du poème "La Voyageuse" ajouté aux Odes funambulesques en 1859, et la rime "trou"/"frou-frou" reprend son équivalent au pluriel dans le poème "L'Académie royale de musique" (titre de la section "Evohé" par opposition au triolet qui porte aussi ce titre).
Murat prétend que Rimbaud donne une leçon de poésie à celui dont il reprend des rimes.
Pas du tout !
Banville emploie la rime "trous"/"frou-frous" lorsqu'il décrit un public bourgeois assisant prosaïquement à une représentation musicale bien mondaine. Verlaine écrira des poèmes de cette sorte. Banville décrit les réactions d'un public qui n'écoute pas attentivement la musique : les gens parlent entre eux, et ne parlent pas forcément de la musique, ils font parfois des remarques sottes sur ce qu'ils entendent, etc. Or, la rime "trous" / "frou-frous" est associée à la description de vieilles bourgeoises particulièrement laides. Et vous remarquerez que "trous" est employé pour dire que non pas l'habit mais les visages sont abîmés, tandis que l'expression "jupons évidés" est d'évidence à comparer à l'expression qui certainement s'en inspire "poches crevées".
L'idée des habits déchirés ou à enlever est exprimée dans d'autres vers du même poème de Banville.
Rimbaud fait écho à cette idée, et il pratique une inversion : au lieu de déshabiller des bourgeois en signe de mépris, il se déshabille lui-même pour s'opposer à ces bourgeois. L'opposition aux bourgeois que revendique Rimbaud est exactement celle formulée par Banville dans "Le Saut du tremplin". Alors que le femmes viennent rêver d'amour en étant hideuses dans ce spectacle mondain, avec des "frou-frous" ridicules, Rimbaud rêve d'amours splendides avec le frou-frou des étoiles au ciel. L'inversion ne suppose en aucun cas une critique parodique de Banville. C'est plutôt renforcer l'accord avec Banville en jouant sur l'autre versant de l'opposition rhétorique mise en place dans "L'Académie royale de musique". Je note aussi que dans les vers voisins à l'emprunt de la rime "trou(s)"/"frou-frou(s)", il est question de caillloux pour gêner l'orchestre. Il n'y a pas de mention du mot "cailloux" dans le poème de Rimbaud, mais le mot "rimes" clairement banvillien y supplée, le poète en Petit-Poucet ne disperse pas des cailloux, mais des rimes. Et preuve que je ne me trompe pas en relevant la mention "cailloux" dans le poème de Banville, comme par hasard, le début du poème contemporain "Au cabaret-vert" offre un équivalent de la destruction des habits bourgeois par le bohème : "J'avais déchiré mes bottines..." avec une mention du mot "cailloux" : "Aux cailloux des chemins", et de mémoire il y a une mention frappante de "bottines" dans toujours le même poème de Banville : un tel m'a marché sur la bottine, je crois.
Pire encore, loin de s'opposer à Murger, Rimbaud fait d'une pierre deux coups. La vraie raison de la mention "frou-frou" dans "Ma Bohème" n'est pas Banville, mais le discours sur Murger de Jules Janin qui figure dans l'édition posthume de 1861 des Nuits d'hiver. L'idéologie du bohème qui s'est apprécié l'apparat du frou-frou des robes en passant sans heurt de la misère au profit de la richesse c'est le discours sur Murger de Janin avec le mot "frou-frou" en clef de voûte.
Dans "Ma Bohème", Rimbaud se déclare un disciple de Banville et Murger, c'est l'inverse de ce que soutient Murat qui dit que Murger est une version "dégénérée" du romantisme de 1830 méprisée par Rimbaud et que "Ma Bohème" aurait été perçu par Banville comme une leçon de littérature si cette pièce lui avait été envoyée.
Pas du tout ! En enrichissant le dossier des sources, j'ai toutes les preuves en main pour dire que c'est l'inverse.
Enfin, Rimbaud n'a pas repris que la rime "élastique"/"fantastique" au "Saut du tremplin". Murat cite le sizain, mais il le coupe, il l'introduit et n'en cite que cinq vers tels quels. Murat ne remarque pas que l'ensemble des deux tercets de "Ma Bohême" est une démarcation du sizain de Banville. Murat ne relève pas la symétrie d'enjambement entre "plein / D'inspiration fantastique" et "au milieu + des ombres fantastiques" (+ indique la césure), ni le relief du "moi" à la rime repris en "je" calé à la césure dans le dernier tercet de "Ma Bohème", mais aussi au vers 2 de "Au cabaret-vert", sonnet dont nous avons montré plus haut qu'il partageait une influence du poème "L'Académie royale de musique" avec "Ma Bohème", et il n'identifie pas le tremplin-cœur au "pied près de mon cœur". Murat, qui tacle Banville pour une rime volumineuse mais faible entre deux adjectifs réunis par un même suffixe : "fantastique"/"élastique" préfère considérer que Rimbaud se réapproprie personnellement et avec génie tout le matériel pour montrer qu'il est infiniment plus pertinent que Banville, et il faudrait opposer le sens du mot "fantastique" chez Rimbaud à celui de Banville. La lecture de Murat est entièrement conçue en fonction d'un préjugé, et le problème c'est que c'est contradictoire avec les intentions de Rimbaud.
J'aurais encore énormément de choses à dire sur les "triolets rythmiques" et le Parnassiculet contemporain, sur le fait que des poèmes précis des Odes funambulesques de Banville fournissent des rimes à un an de distance à des poèmes "Ma Bohème" et "Ce qu'on dit au Poète à propos de fleurs" qu'on oppose esthétiquement à cause de la bascule de la théorie du voyant formulée le 15 mai 1871, et il y aurait des choses à dire encore sur l'équivoque à la rime "Keller" / "quel air", sur la mention du mot "chambrée" à la rime dans un autre poème des Odes funambulesques, puisqu'il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que Rimbaud écrivant à Delahaye en octobre 1875 a eu accès à la nouvelle édition commentée de 1874 des Odes funambulesques et s'est rappelé son émulation poétique de 1870.
Mario Richter, il est intervenu à plusieurs reprises sur le dernier poème par lettre de Rimbaud : il a dit ce que je viens de dire ? Je parie que non ! Est-ce que dans tout ce qui précède je ne fais que redire des choses qui vont de soi ? Est-ce qu'une fois qu'on a dit que Rimbaud reprend trois rimes à Banville, tout ce que j'apporte sur "Ma Bohème" est du détail ?
Au fait, j'ai survolé les vidéos de conférence d'Adiren Cavallaro sur la présence au baccalauréat des dits "Cahiers de Douai". Il répète ce que je dis dans mon article "La Légende du Recueil Demeny" : il n'y a rien qui permette d'affirmer que Rimbaud a voulu créer un recueil, personne ne parle jamais d'ailleurs de recueil, ni Rimbaud, ni Demeny, ni personne. Mon article est passé sous silence, puis après quinze ans les conclusions que j'ai faites sont du domaine public. Il est vrai que Guyaux contestait aussi l'idée du recueil, mais tous les arguments mis en ordre dans une démonstration, c'est mon travail.
Ceci dit, mon article a des défauts, et je pense y revenir à cause de "Saint-Cloud", et de l'ordre des poèmes à partir du moment où le sonnet "Le Dormeur du Val" est extrait du dossier.
Cavallaro dit que Demeny a oublié de mentionner ce titre. C'est faux ! Demeny fixe scrupuleusement l'ordre des manuscrits. En réalité, il a déjà refilé "Le Dormeur du Val" à Darzens et c'est pour ça que le poème a été publié dans une anthologie poétique en 1888, quelques années avant l'édition du Reliquaire. Parce qu'on n'a pas la preuve du don préalable, au lieu d'estimer la convergence d'une publication d'époque, on se lance dans une hypothèse qu'on déclare probable et intimidante : Demeny aurait oublié de mentionner ce poème, alors même que sa lettre témoigne d'un décompte scrupuleux (voyez pour les feuillets de "Soleil et Chair"). Les rimbaldiens sont vraiment désespérants.

3 commentaires:

  1. "Le Dormeur du Val" pourrait s'intituler "Le Sonnet du Trou de Verdure" ou même "Le Sonnet du Trou de Balle". Dans une lettre à un ami, Rimbaud écrit : « La mother m'a mis là dans un triste trou. » Il semble pertinent d'explorer cette thématique des trous chez Rimbaud, dans toutes ses dimensions.

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    1. Vous écrivez ça pour la blague ou vous faites passer un sentiment d'énervement ?
      En tout ças, ça me permet de revenir sur un développement non suivi dans l'article ci-dessus. Je n'ai pas approfondi la boucle de "trou de verdure" à vie microscopique dans les "trous rouges", propos déjà tenu par J.-F. Laurent dans son article sur ce sonnet (lecture de Laurent soutenue non seulement par moi, mais par Murphy qui le cite dans son étude personnelle du sonnet, puis d'autres). Ma lecture de "Voyelles" (obligé de l'appeler mienne puisque les rimbaldiens font comme si ce n'était pas ça le sens) parle de la vie microscopique qui reprend avec les mouches sur les cadavres. Puis, je n'ai pas commenté le rejet de "rouges", car évidemment on me dira qu'on interprète l'adjectif selon la lecture qu'on met en avant. Mais, dans la lecture symbolique, le rouge est le sang du poème "Credo in unam".
      Mais, bref, ce qui est passionnant du point de vue intellectuel, c'est qu'on touche ici au problème de la lecture. Les élèves étudient des procédés qui sont de l'ordre de la lisière pour bébés. C'est le dernier vers, c'est la chute. La Nature c'est joli, deux trous dans le ventre c'est dramatique, et voili voilou, et au passage les génies en principe sortent du sillon commun. Moi, j'arrive là-dedans, je fais plus confiance au génie de Rimbaud à sortir du sillon commun. Rimbaud ne joue pas, et en tout cas pas d'évidence puisque débat il y a, sur une mécanique simple. Le sonnet exalte la mort patriotique du soldat, patriotique au sens de pour la République contre Bismarck et les nouveaux défaitistes monarchistes ou bonapartistes. Loin de dire, le soldat est mort, c'est triste, quel contraste avec le décor et la mère-Nature, Rimbaud dit : il est mort en héros, Nature, occupe-toi bien de lui, ces deux trous rouges, c'est ceux d'un brave. Ce n'est pas "Nature oh toi qui fis ces hommes saintement" ici, c'est les Morts que la Nature va régénérer dans tous les vieux sillons.

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    2. Question "trou de balle", ce qu'il faut étudier c'est les "trous d'air" de Joe Biden dans un débat à la présidentielle. Avec le contenu de l'ordinateur de son fils Hunter Biden, parce que pour la morale du chat de gouttière Joe Biden a aussi des trous de mémoire. Ahahahah !
      Je pense que Poutine, il se dope, il doit avoir une drogue à base de missiles hypersoniques pour monter comme ça dans les avions et faire des conférences de plusieurs heures. Biden, sa bannière étoilée, c'est plutôt une passoire.
      En France, il y a d'autres trucs à creuser, la dette. Heun, David, il ne veut pas se faire vacciner, il ne comprend pas qu'on fasse des confinements interminables qui coûtent, il est pour les russes et il nous traite de nordstreameurs qui ne voient pas la réalité en face, il disait de ne pas mettre de sanctions aux russes, il est contre l'Union européenne, contre Macron. Oui, ben là, dans une semaine, la France est ingouvernable avec toutes les conséquences qu'on peut imaginer. Et tous les partis font de la démagogie et ignorent le danger de la dette, ils vont même en rajouter. Bravo, les trous. Il faut de plus en plus de mains pour empêcher les problèmes de passer.

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