samedi 1 juin 2024

Retour sur le cas passionnant d'Ophélia avec Baudelaire et Banville en point de mire

Je corrige mes articles récents. Le poème "Ophélia" de Murger n'a pas attendu le recueil Les Nuits d'hiver de 1861 pour être publié. Il figurait déjà dans le recueil Ballades et fantaisies de 1854, l'année de naissance de Rimbaud soit dit en passant. Ma lacune actuelle, c'est que j'ignore si le poème a circulé auparavant parmi les lettrés parisiens et s'il a été publié au préalable dans un périodique, ou éventuellement dans un volume collectif.
La chronologie n'est pas anodine. Je vais revenir sur les cas de "Harmonie du soir" de Baudelaire et des rimes avec le nom "Ophélie" chez Banville.
Pour l'instant, les universitaires, rimbaldiens ou banvilliens ou autres éventuels, soutiennent que le motif de la noyade d'Ophélie a connu un regain d'intérêt à l'époque des romantiques. Ce motif de la pièce de Shakespeare Hamlet n'avait jamais été un lieu commun auparavant. Mais ce regain d'intérêt est peu contextualisé par la critique. Ce motif s'est développé à la fois en France et en Angleterre, et aussi dans les états allemands. Et le motif a d'abord concerné les beaux-arts : arts de la peinture ou du dessin, avec extension possible à la sculpture. Les œuvres de Delacroix sont malheureusement datées de manière confuse et vague sur les domaines que j'ai pu consulter. Et surtout, son tableau de référence serait d'au moins dix ans postérieur à des études préalables. Quant au peintre Millais, il idéalise la figure de la noyée Ophélie, mais c'est un témoignage anachronique par rapport au poème "La Voie lactée" de Banville, mais aussi par rapport au poème "Ophélia" de Murger. En clair, ce n'est que par coïncidence qu'on peut comparer l'idéalisation de Millais à celle de Rimbaud, à moins de déterminer que Millais a subi une influence littéraire idéalisante préalable, mais une influence littéraire qu'il faudrait alors relier à Banville et Murger.
A mon avis, il va falloir se concentrer sur le traitement du motif en France avec deux faits précurseurs : une étude graphique de Delacroix datée de 1843 et bien sûr la rime "Ophélie" / "folie" du poème "La Voie lactée" de Banville daté de 1842, édition originale des Cariatides.
Malheureusement, pour moi, je n'arrive pas à mettre la main à coup sûr sur une version originale du poème "La Voie lactée". En ligne, je trouve sans arrêt des éditions plus tardives des Cariatides, l'édition de 1864 ou des éditions postérieures à la carrière poétique de Rimbaud. Dans la mesure où Banville retouchait les vers de ses poèmes, c'est agaçant de ne pas pouvoir citer les vers dans le texte de l'édition originale.
A défaut, je cite donc ces deux vers sans les référencer, puisque je n'ai pas eu le temps de vérifier le moule. Il n'y a que deux vers à citer du poème "La Voie lactée", dans la mesure où ils sont pris dans un développement conséquent sur le drame shakespearien en général, et ils sont coincés entre une allusion à la Cordélia du Roi Lear (avec tout de même la mention verbale "pâlir") et une autre à Roméo et Juliette. On comprendra qu'on s'en tienne à une citation de deux vers pour envisager une influence disons "séminale" de "La Voie lactée" de Banville sur la création du poème rimbaldien "Ophélie" :
[...]
Qui, répétant tout bas les chansons d'Ophélie,
Ne retrouve des pleurs pour sa douce folie ?
[...]
Je précise aussi qu'il importe dans une étude sur les sources de distinguer les éditions. L'édition originale de 1842 est importante pour situer la mention d'Ophélie par Banville en amont de la création du poème de Murger, mais Rimbaud, pour sa part, s'est inspiré d'une édition plus proche de lui, celle refondue de 1864, avec tout ce que ça implique en fait de césures acrobatiques à la césure. J'ai déjà dû supporter le cas Teyssèdre qui me reprenait pour avoir cité un emprunt de Rimbaud au recueil Lumières de ma vie au lieu de citer le recueil originel Les Nombres d'or. Non ! Rimbaud avait accès aux éditions les plus récentes, et du coup on doit faire le grand écart entre l'analyse d'histoire littéraire où l'édition originale a une valeur première et l'analyse de l'influence poétique sur Rimbaud. Cela fait d'ailleurs longtemps que je le dis, mais aucun métricien ne m'a repris l'idée, ce serait amusant de faire une étude de bilan sur l'évolution des césures et entrevers entre les éditions des Cariatides de 1842 à 1864.
C'est un travail universitaire élémentaire qui n'a toujours pas été fait.
Enfin, bref ! Moi, je suis une outre gonflé de vent quand je dis les choses importantes à faire... Je vis depuis quelques années dans des villes secondaires. Je ne suis pas à Toulouse, ni à Montpellier (Montpel' pour les intimes), ni à Paris, ni à Nantes. Imaginez l'immense travail que j'abattrais si je résidais un an dans de telles villes... Et si j'avais leur temps libre, puisqu'un professeur d'université, c'est huit heures d'enseignement hebdomadaire pendant vingt semaines sur une année ! Tu arrives, tu demandes tels livres dans les bibliothèques, et tu mets le travail universitaire en mode automatique. Mais je suis une baudruche gonflée de vanité de croire que ce serait si simple, les lacunes des rimbaldiens et métriciens universitaires (répandus dans le monde) sont là pour me faire sentir que ça ne doit pas être simple. Non, ça ne doit vraiment pas être simple...
Enfin, bref !
On reprend !
Je ne sais pas à quel point la rime de Banville a pu jouer un rôle déclencheur sur Murger, puisque la folie fait partie des données de la pièce de Shakespeare, et étant donné que Murger n'a pas repris la rime "folie" / "Ophélie". En revanche, Rimbaud a repris la rime "Ophélie" / "folie" au deuxième quatrain de son poème et comme il a repris la formule adverbiale "tout bas", il ne fait aucun doute qu'il s'est inspiré de ces deux vers du poème "La Voie lactée".
Mais je ne  m'arrête pas là.
En réalité, à peu de distance, le nom "Ophélie" est mentionné à deux reprises à la rime dans "La Voie lactée" de Banville, cette fois nous avons une rime "Ophélie" / "lie", une rime par inclusion !
Donc, on a une mention du verbe "pâlir" au sujet de "Cordélia", puis nos deux vers avec la rime "Ophélie" / "folie", on enchaîne avec un développement sur Roméo et Juliette sur lequel je vais revenir plus bas, puis nous avons un développement sur Desdémona du More de Venise, et certains vers sont à citer car ils font nettement écho au poème "Ophélie" de Rimbaud, puis nous avons donc deux vers avec la rime "Ophélie" / "lie" qui ont une valeur de récapitulatif étant donné l'énumération. Je choisis donc une citation étendue, car il est question du chant de Desdémone en attendant le More, de "pauvre âme qui pleure au pied du sycomore", de "rêves éthérés que le même amour lie", d'un "cœur extasié" par des "cithares d'or", puis plus d'un rêveur qui chante pour lui-même. Et je parlais de revenir sur la séquence à propos de "Roméo et Juliette" : non seulement il est question de la chevelure sur son cou, mais on a un développement qui a de quoi faire songer à "Entends comme brame" avec la "vapeur nette" et "Phoebé" !


Donc, Banville venait de faire l'éloge des comédies de Molière, il passe en revue un certain nombre d'intrigues de Shakespeare avant de revenir à la mention de Molière. Je cite l'intégralité du morceau. Les rimbaldiens sont priés de remarquer le "et comme" à la rime, parce que si ce "et comme" était à la rime dès 1842, c'est une pièce nouvelle au dossier pour arrêter définitivement d'attribuer à Baudelaire certaines césures. La rime sur "Comme" vient du début des Tragiques d'Aubigné, à une époque de grammaire française plus souple, Hugo s'en est inspiré et l'a pratiquée le premier à la césure, il l'a pratiquée aussi à l'entrevers, et Banville fait la transition entre Hugo et Baudelaire, et je ne rappelle pas le "comme si" à la césure des Odes et ballades de Victor Hugo et le "comme un" à l'entrevers dans Les Marrons du feu de Musset. Moi, là, ce que je vois, c'est que Rimbaud connaissait très bien les Châtiments de Victor Hugo, il connaissait très bien le passage ci-dessous des Cariatides de Banville, ce qui fait que le discours lunaire de Verlaine qui attribue l'invention de ces césures à Baudelaire ça devait bien le faire tiquer ! Les soulignements sont bien sûr nôtres dans la longue citation suivante :

Leur langage profond, dont chacun a la clé,
Est un clavier superbe; et rien n'eût égalé
Ce théâtre vivant qui frissonne et respire,
Si Dieu n'eût allumé l'autre flambeau: Shakspere!
Dans le monde réel plein d'ombre et de rayons,
Tout ce qui nous sourit, tout ce que nous voyons,
Les cieux d'azur, les mers, ces immensités pleines,
La fleur qui brode un point sur le manteau des plaines,
Les nénuphars penchés et les pâles roseaux
Qui disent leur chant sombre au murmure des eaux,
Le chêne gigantesque et l'humide oseraie
Qui trace sur le sol comme une longue raie,
L'aigle énorme et l'oiseau qui chante à son réveil,
Tout revit et palpite aux baisers du soleil.
C'est de lui qu'ici-bas toute splendeur émane;
C'est lui qui répandant la clarté diaphane,
Charme le tendre lys comme le jeune aiglon,
En secouant au loin ses cheveux d'Apollon.
De même, dans ce monde aux choses incertaines,
Où la voix du poëte est le bruit des fontaines,
Où les vers éblouis sont la brise et les fleurs,
Les rires des rayons, les diamants des pleurs,
Toute création à laquelle on aspire,
Tout rêve, toute chose, émanent de Shakspere.
Shakspere, ce penseur! ombre! océan! éclair!
Abîme comme Goethe! âme comme Schiller!
Or pur dont la splendeur s'éveille dans la flamme!
Œil ouvert gravement sur la nature et l'âme!
Phare qui, pour guider les pâles matelots,
Rayonne dans la nuit sur des alpes de flots!
Mille autres avant lui, farouches statuaires,
Ont tourmenté l'argile au fond des sanctuaires
Sans avoir entendu le mot essentiel,
Et voulaient dans leurs mains prendre le feu du ciel;
Mille autres ont chanté, mais devant le prestige
De leur création, ils ont eu le vertige;
Sur eux, comme une houle, a passé l'univers;
A peine si leurs noms surnagent sur leurs vers
Mais la grande pensée atteint avec son aile
Une aire énorme au haut d'une cime éternelle,
D'où ses mille rayons au monde épouvanté
Jettent l'intelligence et la fécondité.
Le sang qui de son cœur s'écoule comme une onde,
A jeté son reflet de pourpre sur le monde.
Ainsi de ce sommet grandiose où nos yeux
Voient flamboyer son front à mi-chemin des cieux,
Shakspere sur la terre a semé des poëtes,
Ceux-ci remplis d'amour, et ceux-là de tempêtes.
Tout rêve, tout héros, vêtu de pourpre ou nu,
Dans sa vaste pensée est au fond contenu;
Ainsi que Charlemagne il a tenu le globe,
Et pourrait emporter dans les plis de sa robe,
Avec leur pauvre lyre et leurs grands piédestaux,
Nos géants d'aujourd'hui drapés dans leurs manteaux.
Et s'il faisait un jour comparaître à sa barre
Les courtisans musqués de sa Muse barbare,
Comme de Henri quatre au sombre Richard trois,
Ses rois démasqueraient des fantômes de rois!
Eux seuls savent porter le sceptre et la couronne;
Car il les portait bien, celui qui les leur donne,
Lui qui, les yeux remplis d'éclairs, et non content
De fouler sous ses pas un royaume éclatant,
S'élevait au-dessus de notre fange immonde,
Et dans un pays d'or se refaisait un monde!
Lui, créateur, à qui, sans craindre son effroi,
Dieu lui-même avait dit: Macbeth, tu seras roi!
Oh! comme en se penchant sur cet univers sombre,
Où fourmillent ses fils et ses peuples sans nombre,
L'œil se baisse aussitôt et se ferme, ébloui
D'avoir vu rayonner dans cet antre inouï
Tant d'âmes de héros et tant de coeurs de femme,
Déchirés et tordus par l'orage du drame!
Qui pourrait s'empêcher de craindre et de pâlir
Avec Cordélia, la fille du roi Lear,
Adorant, fille tendre, ainsi qu'une Antigone,
Son père en cheveux blancs, sans trône et sans couronne,
Parfum des derniers jours, pauvre Cordélia,
Seul et dernier trésor du roi qui l'oublia!
Qui, répétant tout bas les chansons d'Ophélie,
Ne retrouve des pleurs pour sa douce folie?
Qui dans son coeur éteint n'entend sourdre un écho,
Et n'aime Juliette écoutant Roméo?
Comme ces deux enfants, ces deux âmes jumelles
Que le premier amour caresse de ses ailes,
Aspirent en un jour tout un bonheur divin,
Et meurent, enivrés de ce généreux vin!
Juliette n'a pas quatorze ans; c'est une âme
Enfantine, où l'amour brûle comme une flamme;
Elle vient au balcon mêler dans chaque bruit
Les soupirs de son rêve aux cent voix de la nuit,
Si belle qu'on croirait sur son front diaphane
Voir le vivant rayon de la nymphe Diane,
Et le cœur si naïf qu'en ce calice ouvert
Le zéphyr qui murmure au sein de l'arbre vert
Apporte des serments pleins d'une douce joie!
C'est lui! c'est Roméo! Sur son pourpoint de soie
La nuit pâle et jalouse a répandu ses pleurs:
Il a sur son chemin écrasé mille fleurs,
Il a par des endroits hérissés, impossibles,
Franchi facilement des murs inaccessibles;
Il lui faudra braver, pour sortir du palais,
Mille cris, les poignards de tous les Capulets!
Qu'importe à Roméo? c'est pour voir Juliette!
Juliette sa sœur, pauvre amante inquiète
Qui dans cette heure douce où Phoebé resplendit,
Le rappelle cent fois et n'a jamais tout dit;
Et qui, trop pauvre alors, pour pouvoir encor rendre
Son cœur à Roméo, l'aurait voulu reprendre!
Oh! lorsque tes cheveux aux magiques reflets
Inondent ton beau cou, fille des Capulets!
Quand on a vu pendant cette nuit enchantée
Rayonner ton front blanc sous la lune argentée!
Et toi, qu'à ton destin le ciel abandonna,
Toi qui nous fais pleurer, belle Desdemona,
Toi qui ne croyais pas, pauvre ange aux blanches ailes,
Qu'on pût voir parmi nous des amours infidèles,
Desdemona candide, ange qui va mourir,
Quand on a dans son cœur entendu ton soupir
Et ce que tu chantais en attendant le More:
La pauvre âme qui pleure au pied du sycomore!
Quand on connaît vos sœurs, ces anges gracieux,
Evoqués une nuit de l'enfer ou des cieux,
Miranda, Cléopâtre, Imogène, Ophélie,
Ces rêves éthérés que le même amour lie!
Quelle femme ici-bas ferait vibrer encor
Le cœur extasié par vos cithares d'or?
Mais ce qui le ravit dans une molle ivresse,
C'est ce théâtre bleu fait pour notre paresse,
D'où, comme le bon sens, la grave histoire a fui,
Et laisse le rêveur chanter son chant pour lui.
On n'y mesure pas les poisons à la pinte;
Sans quinquets enfumés, ni ciel de toile peinte,
Mille gens plus pimpants qu'un sonnet de Ronsard,
En faisant des bons mots s'y croisent au hasard.
Là, des ruisseaux d'argent, dans des pays quelconques,
Versent leurs diamants aux marbres de leurs conques,
Des arabesques d'or se brodent sur les cieux;
Les arbres sont d'un vert qui ferait mal aux yeux;
Tout est très surprenant sans causer de surprises,
Et dans tout ce soleil on est baigné de brises.
Les héros vont partout sans y porter leurs pas,
Ne sont d'aucune époque et ne demeurent pas.
Les bouffons sont hardis comme des philosophes;
Les femmes ont au corps les plus riches étoffes,
Des robes de brocart, de saphirs et d'oiseaux,
Souples comme une vague ou comme les roseaux;
Des mantelets aurore ou bien couleur de lune
Jettent mille reflets sur leur épaule brune,
Avec mille bijoux, plumages et colliers.
Parfois sous de riants habits de cavaliers,
Égrenant sur leurs pas de folles épigrammes,
Elles courent les champs, enamourent les femmes,
Ont un beau nom de page, et vont prendre le frais
Avec leurs diamants dans de petits coffrets.
Des Céladons rimeurs, amants d'une Égérie,
En habit de satin font de la bergerie,
Sont en grand désespoir, et, couchés sur le dos,
Regardent le soleil en faisant des rondeaux.
Mais la belle est un peu tigresse, et désappointe
Le concetti final, au moyen d'une pointe.
Les amoureux, gens nés, prennent bien leurs revers,
Parlent en prose, à moins qu'ils ne disent des vers,
Et ne s'empressent pas vers leur épithalame,
Sachant qu'Hymenaeus, au dénoûment du drame
Viendra tout arranger avec ses vieux flambeaux.
Mais, pour servir de fleurs ils ont des madrigaux
Et les fichent après un arbre, qui s'empresse
De les faire tenir sans faute à leur adresse.
Dans des chars blonds, formés d'une écorce de noix
Et de fils d'araignée en guise de harnois,
On voit passer au loin de gracieuses fées
Qui chantent au soleil, bizarrement coiffées.
Les Ariels ont tous deux sexes; les lézards
Savent la pantomime et cultivent les arts.
Des gens à tête d'âne arrivent, quoi qu'on die,
Devant des seigneurs grecs jouer leur tragédie,
Où l'homme avec un chien représente Phoebé
Dans les tristes amours de Pyrame et Thisbé.
Leur tragédie est bête à soulever la bile:
Mais lion et Phoebé, tout semble tant habile,
Qu'on leur dit: Bien lui, Lune! et: Bien rugi, Lion!
Le père Anchise arrive avec le galion
Pour reconnaître exprès à la fin, chose due,
Sa fille Perdita, c'est-à-dire perdue.
Au lieu d'avoir des noms anglais, turcs ou romains,
Tous ont des noms charmants pour courir les chemins:
Mercutio, Célie, Orlando, Rosalinde,
Parolles, Pandarus, Corin, Sylvio! L'Inde
Où l'on passe un flot rose en jonque de bambous,
Tandis que recueillis, seuls comme des hibous,
Des hommes fort dévots font saigner leur échine;
L'Eldorado, Kiou-Siou, Kounashir, et la Chine
Qui sur sa porcelaine a des pays d'azur,
N'ont rien de plus riant, de plus bleu, de plus pur
Que ce rêve, où parfois la rose Fantaisie
Près du chêne Saxon jette les fleurs d'Asie.
C'est un monde limpide où dorment en riant
Les mystères du Nord aux clartés d'Orient,
Où près des flots d'argent brillent dans les prairies
Des plantes d'émeraude aux fleurs de pierreries,
Où des bouvreuils jaseurs, pour payer leur écot,
Vocalisent, perchés sur un coquelicot!
C'est comme notre amour qui parlerait, ou comme
Un chant qui redirait ce qui chante dans l'homme;
C'est comme un zéphyr calme, ou comme un sylphe ailé
Qui caresserait l'âme. Et rien n'eût égalé
Ce beau théâtre empli d'une âme singulière,
Si nous n'avions pas eu l'autre flambeau: Molière!
Oui, "Ophélie" de Rimbaud et le motif chez Banville, blablabli blablablo.... Sérieusement, il faut citer tout l'extrait, l'influence sur Rimbaud va nettement au-delà de la mention explicite du motif. D'ailleurs, dans l'extrait que je viens de citer, vous remarquez aux nombreux soulignements que "La Voie lactée" est une source pour le poème "Les Phares" de Baudelaire, même s'il n'y a pas de réécriture au sens strict, c'est une source pour "Credo in unam" qui je rappelle avoisine "Ophélie" dans la lettre à Banville de mai 1870, c'est une source pour "Ma Bohême" : "Egrenant sur leurs pas de folles épigrammes", pour "Le Dormeur du Val" : "dans tout ce soleil" et "baigné de brises" couple dans un même vers  à méditer, pour "Première soirée" : "bizarrement coiffées", sans doute aussi pour "Entends comme brame..." et je vous ne dis même pas tout ce qui me traverse l'esprit.
Mais, revenons-en au poème "Ophélia" de Murger. Si sa publication initiale date bien de 1854, donc l'influence de Millais est à exclure, tandis que celle de Delacroix est problématique. Quant au tableau "La Jeune martyre" de Delaroche (1853-1855), il traite d'une noyée et est intéressant pour son contraste chromatique, l'idée du corps qui flotte, mais il ne s'agit pas du motif d'Ophélie en tant que tel.
En tout cas, en 1854, Murger publie son premier recueil de poésies Ballades et fantaisies. L'auteur met en avant un ensemble de sept poèmes en prose dédicacés à Arsène Houssaye. L'expérience n'aura pas de suite, puisque ce sont les mêmes sept poèmes et dans le même ordre qui constitueront la séquence "Ballades" du recueil Les Nuits d'hiver de 1861. Chevrier a étudié les retours à la ligne pour des paragraphes non terminés par un signe de ponctuation forte, j'y reviendrai une autre fois, car j'ai une idée aussi d'analyse grammaticale pour expliquer les scansions et faire contraster les expériences de Murger, Cros, Judith Walter et Rimbaud. Le recueil de 1854 a une deuxième section, qui compte également sept morceaux, mais il s'agit d'un groupe de sept poèmes en vers, moins bien mis en valeur que la section des poèmes en prose dédicacée à Houssaye. En tout cas, "Ophélia" fait partie des sept poèmes, et nous y dénombrons aussi la "Chanson d'hiver", qui introduit le complément du nom "d'hiver" du titre du recueil de 1861. Une "Chanson d'hiver" qui fait partie des sources au poème "Rêvé pour l'hiver". Donc, en 1854, nous avons quatre poèmes de la future section "Les Amoureux" : "Ophélia", "Renovare", "Chanson d'hiver" et je ne sais plus, puis les trois premiers poèmes de la future section "Chansons rustiques". Le poème "La Chanson de Musette" n'est pas intégré au recueil de 1854, tous les autres poèmes en vers des Nuits d'hiver sont du coup inédits en 1861, sous réserve qu'il n'y avait pas eu de pré-originales dans un périodique ou de poèmes inclus dans les récits en prose de l'auteur.
Il faut bien comprendre que Murger a reçu sur lui une gloire considérable avec ce motif de la bohème et son roman Scènes de la vie de Bohème, et Houssaye va impliquer Nerval dans le développement de ce motif que n'avaient pas songé à dresser comme étendard les Jeune-France avec Gautier, etc. Et "Ophélia" prend du relief en tant que l'un des seuls sept poèmes en vers initialement publiés en recueil par Murger.
Puis, on pourrait discourir sur la valeur relative des vers de Murger. Le peu de vers écrits sur toute sa vie justifie l'inégalité de talent entre les compositions. Mais "Ophélia" est sensiblement un cas particulier, et je le montre en arrivant au cas de Baudelaire, car je ne reviendrai qu'après au cas banvillien.
Donc, Baudelaire a mis du temps à publier l'élite de ses poèmes. Or, tenez-vous bien. La première édition des Fleurs du Mal date de 1855 et a eu lieu dans la Revue des Deux Mondes. Bien sûr, on parle toujours de la première édition de 1857, à cause de l'objet livre, mais nous avons eu la primeur d'une suite de dix-huit poèmes sous le titre Les Fleurs du Mal en 1855, publication initiale qui s'est faite dans un périodique. Il s'agit d'une pré-originale donnant une idée du recueil à venir.
Devenu célèbre, Murger a été invité à collaborer au théâtre et aux périodiques. Il a préféré le monde des journaux et il a été recruté précisément à la Revue des deux mondes.
Le poème "Harmonie du soir" n'apparaît pas dans cette série de 1855, de toute façon postérieure au recueil de Murger Ballades et fantaisies. Plusieurs poèmes de Baudelaire jouent déjà avec le faux-quintil où le premier vers est répété en guise de bouclage chansonnier : "Réversibilité", "La Volupté", "A la belle aux cheveux d'or", "Moesta et errabunda".
Le poème "Harmonie du soir" a donc été publié pour la première fois dans l'édition originale des Fleurs du Mal en 1857. Son principe de répétition des vers s'inspire d'une transcription en prose d'un pantoun malais par Hugo dans ses Orientales, avec un effet troublant de répétition de vers qui ne vient pas de la composition du "pantoun", mais d'une répétition par les choeurs si je ne m'abuse, mais le poème "Ophélia" a une importance considérable dans le débat. On parle toujours des vers de "Harmonie du soir", de prestations parnassiennes similaires, de l'originalité de Léon Dierx, on parle parfois des répétitions plus basiques chez Desbordes-Valmore ou Hugo, mais là la pièce "Ophélia" de Murger c'est un pavé dans la mare des affirmations universitaires sur le rôle créateur de Baudelaire avec "Harmonie du soir". Et ce n'est pas tout. Rimbaud n'ignorait pas l'antériorité de Murger sur "Harmonie du soir" de Baudelaire, et en prime le poème en tête des Fêtes galantes de Verlaine "Paysage sentimental" s'inspire précisément des techniques de répétition de vers du poème de Murger, lui reprenant et la rime en "-eaux" et la répétition de lieu "Sur les calmes eaux". Et on retrouve la nuit et l'idée de miroir transfigurant. Verlaine considérait très clairement le poème "Ophélia" comme une création majeure de Murger. Le poème "Stella" des Châtiments date en revanche de 1853, ce qui fait que le lien possible entre Hugo et Murger demeure délicat à établir.
Relisez "Harmonie du soir", il y a tout un développement sur l'échange entre le bas et le haut, entre la Nature et le ciel. Et on a une sorte de mort mélancolique et vertigineuse comparable à la noyade, comparable aux aspirations folles à atteindre un joyau du ciel...
Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir
- Valse mélancolique et langoureux vertige ! -
On en vient à se dire qu'on peut du coup rapprocher "Voici plus de mille ans" de "Voici venir les temps"... Oh ! non, les baudelairophiles ont encore souillé leurs écrans d'ordinateur.
Le motif de la noyade est lui aussi bien présent :
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige !
Et la lumière recueillie, puisque couchant il y a est celle du souvenir transmise par le soleil touchant l'horizon terrestre, et ici "recueille" est quasi synonyme du "cueillir" rimbaldien :
Un cœur tendre qui hait le néant vaste et noir
Du passé lumineux recueille tout vestige ;
- Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige ;
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir.
Les rimbaldiens en chœur : "Vite ! vite ! il faut reporter cette réécriture du vrai dieu dans le florilège des sources aux poèmes de Rimbaud."
Moi : "Et le poème 'Ophélia' de Murger ?"
Eux : "Mais on s'en fiche de Murger, on parle de Baudelaire là, on n'est pas des baudruches, on n'est pas des ballons remplis d'air, nous, on parle de choses importantes, de poésie, de poésie sans un pet, quoi !"

Trêve de plaisanteries.
Il faut maintenant reprendre au plan des rimes de Banville, mais comme il est question de Gavarni dans "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs", je fais remarquer que "Gavarni" est du coup le dernier mot à la rime de l'un des sept poèmes en vers du recueil de 1854 Ballades et fantaisies. Et donc, il faut dater les occurrences des mentions "Ophélie" par Banville, du moins au plan de sa poésie en vers.
Je n'ai pas encore le temps de tout éplucher, mais d'après Robic et les rimbaldiens, nous avons une mention dans le poème "Mascarades" qui apparaît en 1859 dans la seconde édition des Odes funambulesques et une autre dans le poème "Rouvière" paru en 1867 dans le recueil Les Exilés.
La pièce "Rouvière" a visiblement eu de l'importance pour Rimbaud en 1870. Le poème est en quatrains d'alexandrins à rimes croisées, et il contient la rime "Ophélie" / "folie" au neuvième quatrain, dans le même ordre que le deuxième quatrain de Rimbaud (premier et troisième vers des deux quatrains en question).
Le premier quatrain est significatif :
Rouvière! Il fut de ceux que l'Art prend pour victimes;
Il fut de ceux qu'on voit se plonger dans la nuit
Où le poëte parle avec des mots sublimes
Jetant aux ouragans leurs sanglots et leur bruit.
Je pourrais citer le deuxième quatrain à cause des "Phares" de Baudelaire en point de comparaison, mais on a un développement sur la non reconnaissance par la foule (à rapprocher de passages chez Hugo). L'artiste pris par Shaekspeare est en proie aux visions et je cite donc le quatrain avec la rime qui nous intéresse, mais je l'allonge des deux suivants à cause des mots trop brûlants pour les lèvres d'un côté et de la mention "effaré" de l'autre :

Hamlet! ô jeune Hamlet, sombre amant d'Ophélie!
Pauvre cœur éperdu, que cette morte en fleur
Emporte dans la nuit de sa douce folie,
Non, ce n'est pas en vain qu'on touche à ta douleur. 
Tu prononces des mots trop divins pour nos lèvres!
On a le front pensif et le regard flétri
Dès que l'on a connu tes douloureuses fièvres,
Et pour toute la vie on en reste meurtri. 
Oh! que Rouvière aima ce tragique poëme
Dont on meurt, et combien c'était un noble jeu,
Quand le peuple naïf, qui l'admire et qui l'aime,
Le voyait se débattre, effaré, sous le Dieu !
Je passe un peu rapidement sur "l'homme est vaincu par les rêves", je vous laisse faire l'effort de lire le poème en entier. Je passe aussi sur un point qui a une importance pour les banvilliens, puisque dans ce poème Banville dit écrire une "ode" alors que loin d'être incluse dans la joie des Odes funambulesques la pièce fait partie du recueil intitulé Les Exilés. Cela a du sens bien évidemment ! Je vous laisse le méditer. Et, inévitablement, je cite le dernier quatrain qui reste à comparer forcément avec celui de Rimbaud :
Car, dans l'éternité qui leur garde ses fêtes,
La pauvreté, les pleurs, l'injustice, l'affront,
La haine, sont les purs rayons dont seront faites
Les vivantes clartés qu'ils auront sur le front!
Et comparer aussi avec "Bénédiction", messieurs les Baudelaire forever !
Alors, on continue.
Le poème "Mascarades" qui fait partie d'une section "Gaietés" des Odes funambulesques a retenu l'attention de Rimbaud pour la rime "Keller" / "air" ou pour les quatrains de vers courts à rimes plates AABB avec contraste du dernier vers pour la mesure. Banville parodie son propre passage sur Shakespeare du poème "La Voie lactée" :

Que la pâle Ophélie,
En sa mélancolie,
Cueille dans les roseaux
  Les fleurs des eaux!

Que, sensitive humaine,
Desdémone promène
Sous le saule pleureur
   Sa triste erreur!

Qu'Hamlet, terrible et sombre
Sous les plaintes de l'ombre,
Dise, accablé de maux:
  « Des mots! des mots! »
Banville s'éloigne de lui-même en privilégiant une rime nouvelle "Ophélie" / "mélancolie" et parce qu'il privilégie la référence au poème "Ophélia" de Murger dans les deux autres vers du quatrain consacré à Ophélie : "Cueille", "roseaux", "Les fleurs des eaux" !
Rien de tout cela n'échappait à Rimbaud évidemment. Notez que ce passage a aussi de quoi faire songer au poème "Fleurs" des Illuminations avec une "Desdémone" en "sensitive humaine".
Mais ce qui doit surtout retenir l'attention, c'est le poème "A Henry Murger" des Odelettes.
Le recueil date de 1856, il est donc de deux ans postérieur au recueil de Murger Ballades et fantaisies. Il est évident que Banville fait allusion au poème "Ophélia" de son ami dans la pièce qu'il lui dédie. Notez que le recueil des Odelettes est essentiellement constitué de dédicaces. Sur l'édition que je consulté, je dénombre au-delà des préfaces vingt-sept poèmes. Il y a déjà une dédicace au plan des préfaces : "A Sainte-Beuve", mais sur les vingt-sept pièces du recueil cette forme de dédicace revient sans arrêt en figure de titre. Je ne relève que sept titres qui n'ont pas la forme dédicatoire : "Loisir", "Il est dans l'île lointaine...", "Aimons-nous et dormons...", "Chant séculaire", "La Vendangeuse", "Théophile Gautier" et "Les Muses au tombeau". Attention à ne pas confondre les deux pièces du même recueil : "A Théophile Gautier" et "Théophile Gautier". Je relève aussi un envoi à un personnage non identifié "A un riche" parmi les vingt dédicaces. Il y a aussi un poème cette fois dédicacé directement "A Sainte-Beuve". Le premier poème dédicace l'est "à Arsène Houssaye", c'est le deuxième poème du recueil après "Le Loisir". La dédicace "A Henry Murger" vient tôt dans le recueil, après Houssaye, Sainte-Beuve, Asselineau, devant les bonnes vieilles langues de pute, les Goncourt, puis on a Karr, cariole et compagnie. Un poème est dédicacé "A Gavarni". Vu son caractère orientalisant, je considère assez facilement le poème "Il est dans une île lointaine..." comme une allusion subreptice à Hugo, même si la forme "Il est" est ici une tournure impersonnelle : "Il est... une fleur" ! Ce poème a une note proche de l'Ophélie de Rimbaud.
Je reviendrai ultérieurement sur un élargissement des références à Banville du poème "Ophélie" de Rimbaud au-delà de la mention de l'héroïne shakespearienne.
Il est indispensable de citer ici le poème "A Henry Murger", Rimbaud s'en inspire aussi, mais il ne faut pas se contenter du quatrain avec la rime "Ophélie" / "folie", puisqu'il crée une énigme en disant "l'autre Ophélie". Banville rend hommage à Murger en tant qu'auteur du roman Scènes de la vie de bohème avec la mort de l'héroïne Mimi Pinson assimilée à une nouvelle Ophélie. Mimi Pinson a aussi retenu l'attention de Musset en ses vers, rappelons-le.
Bref, encore un boulevard inexploré des rimbaldiens pour créer du lien entre "Ophélie", "Ma bohème" et les perspectives profondes de différents poèmes de 1870 de Rimbaud.


A Henry Murger

Comme l'autre Ophélie,
Dont la douce folie
S'endort en murmurant
Dans le torrent,
Pâle, déchevelée
Et dans l'onde étoilée
Éparpillant encor
Ses tresses d'or,
Et comme Juliette,
Qui craignait l'alouette
Éveillée au matin
Parmi le thym,
Elle est morte aussi jeune
Au bel âge où l'on jeûne,
Ta pensive Mimi
Au front blêmi,
Et, dans la matinée
De la vingtième année,
Elle a fermé ses yeux
Insoucieux.
Parmi les pâles ombres
Qui, joyeuses ou sombres,
A l'entour de ton front
Voltigeront,
Dis, il en est plus d'une
Dont la tendre infortune
Souvent nous consola:
Mais celle-là,
C'est notre bien-aimée!
Sa trace parfumée
Reste encor dans les champs
Avec nos chants!
Lorsque, dans la nuit brune,
Un frais rayon de lune
Argente les berceaux
Et les ruisseaux,
Ta naïve Giselle
Effleure de son aile
Des lys et des rosiers
Extasiés,
Et, diaphane et blanche,
Le soir vers nous se penche,
En posant ses deux mains
Sur les jasmins.
Sa plainte triste et pure
Dans le ruisseau murmure,
Et s'envole en rêvant
Avec le vent.
Que le printemps renaisse,
Ame de ta jeunesse,
Elle tressaille aux sons
De tes chansons,
Et parfois se soulève,
Pour les entendre en rêve
Dans la brise passer
Et s'effacer.
Rendors-toi, dors heureuse,
Pauvre fille amoureuse:
Notre amour te défend
Comme un enfant!
Croise tes mains d'ivoire:
Car, du moins, ta mémoire
Qui sait nous attendrir,
Ne peut mourir!
Que le zéphyr en fête
Te berce! le poëte,
Qui jadis te pleura,
Se souviendra!
Dans l'herbe toujours verte
Où, de roses couverte,
Penche sous le tombeau
Ton front si beau,
La fleur de la prairie
Brille, toujours fleurie,
Et peut se marier
A son laurier!

Je n'ai pas séparé par des blancs les quatrains, mais ça va on s'y retrouve.
Je vous laisse souligner ce qui doit l'être, mais tout ceci annonce inévitablement une suite. Au passage, j'avais des éléments de réflexion sur la rime "dort" / "d'or", mais j'y reviendrai.
Ah, je reçois un appel rimbaldique pour me dire quelque chose : "oui, vous savez ce que j'en fais de vos articles sur "Ophélie" de Rimbaud, et sur les murges de Murger, eh bien moi aussi je peux vous l'envoyer en chanson : "Constipation blues"!"

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