Sans prendre la peine de relire et reprendre posément mon article de 2008 sur le poème "Les Assis", je voulais soumettre le développement suivant à l'attention.
On le sait ! Verlaine a prétendu que le poème "Les Assis" ciblait un bibliothécaire dont il connaissait le nom et dont il parlait comme s'il l'avait rencontré personnellement.
Or, quelle que soit la date de composition des "Assis", quel que soit le lieu de composition du poème, à Charleville ou à Paris, Verlaine n'a pas fréquenté la bibliothèque de Charleville avec Rimbaud avant la mi-septembre 1871. Le témoignage de Verlaine a tout l'air d'être un écran de fumée et quand on lit le poème les "Assis" ne désignent pas qu'une seule personne et on ne peut pas dire que le statut de bibliothécaire soit caractérisé de manière très nette.
Dans mon article de 2008, j'ai insisté sur l'image du bourgeois ventru, du roi assis sur son ventre ("Le Forgeron"), sur le motif de la position accroupie dans d'autres poèmes de Rimbaud dont "Chant de guerre Parisien", mais aussi dans le recueil Châtiments de Victor Hugo. J'ai souligné l'idée que les "assis" dans la culture, et quand on cite Rimbaud notamment, ce sont les réactionnaires et les nantis, et je pouvais citer notamment les vers inédits rapportés par Delahaye d'un fragment souvent flanqué désormais du titre apocryphe de "La Plainte du vieillard monarchiste".
L'idée d'une identification à un bibliothécaire semble dès lors à complètement refouler, malgré l'image à la limite de transformation en livre dans "percaliser leur peau". Je soulignais aussi comme d'autres avant moi l'amour de ces "Assis" pour des sièges contre Paris et je faisais remarquer les implications métaphoriques de mots révolutionnaires clefs comme "blé", "pantalon", etc.
Mais je voudrais soumettre ici une idée. Après la Révolution française et sous l'Empire, il y a eu le développement d'une nouvelle fonction publique qui avait bien sûr des racines dans les structures de l'Ancien Régime depuis Philippe le Bel, mais qui s'était constituée sur de nouvelles bases. Et les fonctionnaires au dix-neuvième siècle n'occupaient pas encore une place au point d'être présents dans toutes les familles de France. Et, au dix-neuvième siècle, l'expression dépréciative "ronds-de-cuir" a fait son apparition. Elle fait référence au coussin rond en cuir que les fonctionnaires mettent sur leur siège avant de s'asseoir pour ne pas user leurs pantalons. Or, le poème "Les Assis", et c'est logique vu son titre, est une longue description physique de la manière de faire corps avec une chaise. Ensuite, il y a la question des "manchettes sales". N'étant pas spécialiste de l'histoire des fonctionnaires, je n'avais jamais fait le lien avec le statut de "ronds-de-cuir" au dix-neuvième, mais non seulement il y a ce cliché du coussin pour ne pas user son pantalon, mais ils enfilaient également des protège-manches sous leur blouse. Ils avaient de bons revenus, bien supérieurs à ceux d'un ouvrier, une stabilité de l'emploi, un bureau chauffé et un temps de travail moins lourd. Rimbaud parle des "bureaux" dans "A la Musique", il évoque la femme entretenue par un "bureau" dans le poème "Les Reparties de Nina", puisque je rappelle que la femme qui possède son bureau ce n'est pas fort concevable avant la Première Guerre mondiale.
Le poème "Les Assis" s'impose donc bien comme une satire du fonctionnaire parvenu, peut-être royaliste ou peut-être bonapartiste, à coup sûr pas communaliste, du dix-neuvième siècle.
L'identification des "Assis" à des bureaucrates n'est pas une nouveauté dans l'approche du poème. En revanche, et les éditions annotées des poésies de Rimbaud sont là pour l'attester, la description des "Assis" n'a jamais été déclarée une parodie évidente autour de la notion de "rond-de-cuir", même quand il est question des "pantalons" qui "bouffent" aux "reins boursouflés". Je pars du principe que si cela a pu être développé ponctuellement dans un article, cela aurait dû être mécaniquement reporté dans toutes les éditions commentées des œuvres de Rimbaud. Si ce n'est pas relayé, c'est que ce n'est pas acté. Les "manchettes" ne me semblent pas non plus avoir été traitées comme un indice sociologique clef.
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