vendredi 20 août 2021

Rimbaud et les 73 journées de la Commune de Catulle Mendès

Mes lecteurs le savent. Rimbaud a fait exprès de faire allusion à l'œuvre de Mendès dans différents poèmes. Je confirme que, dans le cas du poème "Les Chercheuses de poux", il y a une imitation serrée du poème "Le Jugement de Chérubin" du recueil estimé par Verlaine Philoméla. Et il faut compléter cela par une influence de la nouvelle "Elias" sous-titrée "étude" d'un volume publié en 1868 Histoires d'amour qui n'est pas recensé sur la page Wikipédia consacrée à Catulle Mendès.
Consultez cette page et vous tombez sur une bibliographie divisée en rubriques. En-dehors du témoignage sur la Commune et des poésies, tous les ouvrages référencés sont postérieurs à 1871 la plupart du temps. Or, le poème "Les Chercheuses de poux" a été composé à Paris soit à la toute fin de l'année 1871, soit dans les deux premiers mois de l'année 1872, tout comme le sonnet "Oraison du soir".
Je cherche évidemment de manière systématique tous les écrits de Catulle Mendès qui pourraient avoir inspiré "Les Chercheuses de poux" et j'inclus un ouvrage comme Le Livre de jade de Judith Walter, même si ça ne donne rien. Il me faudrait cerner les publications de Mendès dans les revues et j'aimerais en apprendre plus sur les nouvelles du recueil Lesbia.
Le recueil Histoires d'amour contient une suite intitulée Sanguines que je dirais d'espèces de poèmes en prose un peu dans l'esprit de poésie en prose de son épouse Judith Walter, il en est une sur la chevelure des anciens poètes notamment qui retient mon attention. Puis il y a une nouvelle sur un "dernier londrès" (un cigare) où il est question d'héliotropes (mais je n'ai pas réussi à trouver un point de rapprochement pertinent avec "Oraison du soir") et d'une "Mlle Chérubin" (mais rien de solide à mettre sous la dent). En revanche, la nouvelle "Elias" offre les motifs de la chevelure caressée par une femme et celui bien évidemment de la croisée. Je cherche à en trouver plus.
Dans le livre Les 73 journées de la Commune, il y a certaines descriptions à partir de la croisée, et notamment vers la fin quand la ville est incendiée. N'oublions pas la corruption "tourmentes" pour "tourments" au premier alexandrin des "Chercheuses de poux".
Mais il s'agit évidemment de lire un témoignage d'époque sur la Commune que Rimbaud a pu lire et contre lequel il a pu aussi réagir. Nous avons déjà le cas de livres similaires avec Armand Silvestre qui a publié sous le pseudonyme de Ludovic Hans un livre similaire à celui de Mendès ainsi qu'un autre sur Paris et ses ruines, dernier livre à rapprocher d'un livre similaire de Théophile Gautier qu'épingle Rimbaud dans "Les Mains de Jeanne-Marie", et Théophile Gautier nous renvoie circulairement à Catulle Mendès en tant que beau-père. Dans le poème zutique "Vu à Rome", Rimbaud emploie dans une parodie déclarée de Léon Dierx le mot "écarlatine" à la rime, ce qui vient encore une fois de sa lecture de Philoméla.
Il est évident que Mendès est très présent à la pensée de Rimbaud dans sa production en vers de la fin de l'année 1871 et du début de 1872.
Or, ce n'est pas tout. Je prétends pour des raisons évidentes que le poème "Paris se repeuple" est antidaté "Mai 1871", alors qu'il a été composé un peu après et de toute façon remanié à Paris, vu les différences en nombre de strophes des versions qui nous sont parvenues, sans oublier que Verlaine parle d'une version inconnue plus courte en 60 vers.
Dans "Paris se repeuple", il est question de la ville de Paris "La tête et les deux seins jetés vers l'Avenir". C'est amusant, cela fait nettement écho à la phrase finale de tout l'ouvrage Les 73 journées de la Commune de Mendès :
Paris, ennuyé, accablé, se détourne avec tristesse du passé et n'ose pas encore lever les yeux vers l'avenir.
Il y a d'ailleurs matière à établir des parallèles dans la manière rhétorique de "Paris se repeuple" et celle de certains passages de Mendès, lequel très mauvais imite par ailleurs très souvent soit le style de chroniqueur dans la presse, soit le style hugolien des Châtiments sur un mode étrangement inconsistant. Et il va de soi que l'opposition d'opinions ressortirait entre les deux auteurs.
Que Rimbaud s'inspire ou non directement à l'occasion de l'ouvrage de Mendès, il faut de toute façon se servir des 73 journées de la Commune pour éclairer des lieux communs sur lesquels joue Rimbaud dans ses vers. Le "grand soleil d'amour" des "Mains de Jeanne-Marie" a des expressions équivalentes dans le livre de Mendès. Il faut savoir que les Parisiens furent sensibles à l'important ensoleillement de la ville dans les premiers temps de la Commune, après le 18 mars, et Mendès ne fait pas que citer le soleil, il emploie une construction grammaticale que je n'ai pas relevée par écrit qui a un peu le profil de "grand soleil d'amour chargé". J'ai relevé aussi au moment de l'assaut des troupes versaillaises des expressions qui font songer à "Being Beauteous". Rimbaud y conjoint "sifflements mortels et rauques musiques". J'ai une expression sur les "sifflements" qui m'a frappée, mais j'ai le souvenir plus net encore de l'expression "applaudissement rauque" auparavant.
Il y a plein de trucs à relever, comme l'emploi régulier de l'expression "boîte à mitrailles" lors des combats du début avril. On sait que l'allusion à la "boîte à mitrailles" est soupçonnée à raison dans un quatrain de "Chant de guerre Parisien" sur la "vieille boîte à bougies".
Mendès parle aussi de la religion de la "Raison", on a donc un témoignage explicite pour relier le culte de la Raison de la Révolution française à la pensée communaliste.
Enfin, je ferai plus tard un article fouillé sur l'ouvrage de Mendès, j'écris le présent article par souci d'ancrer des idées dans ma mémoire.
Or, une idée importante, c'est que très fortement au début de son livre Mendès tape sans arrêt sur les insurgés en les traitant d'ivrognes, ça revient plus d'une vingtaine de fois, et ça revient encore de temps en temps dans la suite. Et Mendès fait mine de s'en repentir en milieu d'ouvrage lorsqu'il veut avancer un point de vue plus nuancé, il dit lui-même qu'il a un peu trop traité les fédérés d'ivrognes.
Et c'est là que j'en arrive à un point qui m'intrigue entre les poèmes "Oraison du soir" et "Les Chercheuses de poux".
Le sonnet "Oraison du soir" a une organisation des rimes qui est une citation explicite du recueil Philoméla de Mendès : la structure sur deux rimes ABA BAB qui est typique en italien avec Pétrarque, mais quand Mendès l'emploie dans la poésie française elle a des siècles d'inactivité, et à une rare exception près un poème qui contient d'ailleurs le mot "héliotropes" à la rime.
Mais ce qui m'intéresse présentement, c'est le début de "Oraison du soir" : "Je vis assis, tel qu'un ange aux mains d'un barbier..." Chérubin étant un personnage de Beaumarchais, le "barbier" pourrait entrer dans une logique de double allusion : les deux poèmes feraient référence à Mendès et au Chérubin et barbier  de Séville. Ce n'est qu'une hypothèse. En revanche, comme les deux poèmes font référence à Mendès, l'un par la forme des rimes des tercets, l'autre par des réécritures du "Jugement de Chérubin", nous avons aussi dans les deux poèmes l'importance de la position assise : "Je vis assis tel qu'un ange aux mains d'un barbier," face à "Elles assoient l'enfant..." Notons que dans les deux cas nous avons un ange assis sous la coupe soit d'un barbier, soit, en Chérubin, sous la coupe de deux femmes. Rimbaud a écrit un poème intitulé "Les Assis" auparavant, et dans "Oraison du soir" le motif de la position assise est à l'évidence quelque peu politique avec un motif tout aussi politique de mauvaise tenue d'ivrogne, ce qui fait écho à cette dénonciation lancinante de l'ouvrage Les 73 journées de la Commune. Je ne sais pas s'il faut creuser l'idée d'un lien entre le titre de Mendès et celui de Sade des Cent Vingt Journées de Sodome, mais je sens bien qu'il y a une pièce du puzzle qui nous manque et qui ne doit pas être si loin que ça de notre portée pourtant.

1 commentaire:

  1. Le manuscrit Les Cent vingt journées de Sodome est un peu particulier, puisque, quand, au moment de la Révolution française, Sade est extrait de sa cellule à la Bastille, il n'a pu récupérer son manuscrit. Mais un révolutionnaire l'a trouvé, puis le manuscrit va rester inédit jusqu'en 1904, sauf que Sade a vécu encore un certain temps, a publié d'autres ouvrages et a parlé d'une perte de manuscrit lui faisant pleurer des larmes de sang. J'ignore si des extraits circulaient sous le manteau pour des lecteurs tels que Lamartine, Flaubert ou Baudelaire. Je l'ignore ! Apparemment, non ! Mais le titre d'ouvrage était connu et j'ai du mal à ne pas penser que Mendès a fait exprès de citer le titre de l'oeuvre perdue de Sade pour traiter la Commune d'immonde "orgie rouge", orgie rouge étant l'expression de Paul de Saint-Victor publiée dès juin 1870, reprise dans son livre, et ciblée par l'expression réplique "L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple" de Rimbaud.

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