lundi 26 juillet 2021

Le "suprême clairon", contradiction entre Idéal et Jugement dernier ?

Dans un tout récent article, j'ai mis en avant une reprise passée inaperçue (me semble-t-il) d'un sonnet de L'Olive de du Bellay dans le poème "L'Isolement" de Lamartine qui ouvre les Méditations poétiques, puis j'ai montré comment le principe cosmique lamartinien de l'idéal s'était retrouvé dans les poèmes d'Hugo, Baudelaire et Verlaine. Et ceci a permis une profitable conversation téléphonique avec un ami enthousiasmé où il a été question d'un point particulier, celui du clairon du sonnet "Voyelles" dont l'allusion sensible au Jugement dernier n'est pas incompatible avec l'idée d'accéder à l'Idéal, point évident dès le départ du débat, la discussion consistant à argumenter ce fait et à mieux éclairer la stratégie rhétorique de Rimbaud.

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Je vais faire tout de suite ma petite digression sur le romantisme. Pour reprendre l'article, sans s'intéresser à ceci, se reporter à ce qui suit les trois prochains astérisques. Il y a trois points importants qui permettent de cerner quelque peu la dynamique romantique d'un poète selon moi.
Il y a un point qui concerne l'évolution des formes. Les romantiques, soit allemands, soit français, se sont dressés contre l'idée du classicisme en Littérature. Les modalités sont très différentes entre les deux cultures, et quelque part les romantiques français ont plus créé une forme nouvelle qui avait de fortes caractéristiques formelles ostentatoires, alors que le romantisme allemand est parti sur une remise en cause plus radicale, mais à mon avis pas toujours heureuse non plus. Mais je n'en débattrai pas ici. Ce qu'on peut retenir de simple, et qui concernera de toute façon le romantisme français, même s'il est de fait moins radical que le romantisme allemand, c'est que la construction formelle de l'œuvre romantique remet en cause les règles antérieures d'un classicisme en les interrogeant et aussi en polémiquant avec elles. De ce point de vue-là, les créations poétiques de Rimbaud sont l'aboutissement du romantisme au plan formel. Rimbaud est celui qui a "déglingué" la "mécanique du vers", et après lui le travail ne fut plus à faire. Il a aussi inventé deux régimes de prose, celui narratif du livre Une saison en enfer de l'ordre d'une prose poétique unique au monde, et celui d'une poésie en prose, aux variations formelles importantes, mais aux ressources mélodiques telles que, sans être du vers, ça peut difficilement être reconnu comme de la prose. Et s'il existe au XXe des entreprises formelles sur le vers, le vers libre et la prose, cela ne sera pas dans cette forme d'aboutissement d'un report des réussites de la poésie versifiée classique dans des formes en vers ou en prose polémiques et d'une efficacité inégalée en même temps.
Les deux autres points qui définissent le mouvement romantique sont liés. Le romantisme se caractérise par le renouvellement du Je lyrique. Marot, Ronsard ou Agrippa d'Aubigné peuvent parfois toucher à une dimension cosmique, parler d'eux-mêmes, mais ils vont parler de religion en tant que catholiques ou en tant que protestants, comme ils vont parler d'eux-mêmes avec des signes ostentatoires qu'ils partagent les cadres de pensée de l'humanité commune. Le romantisme accentue l'individualité et la prise de parole sur le plan spirituel devient radicalement personnel. Dans le domaine de la poésie française, les premiers poètes se prétendent les défenseurs du trône et de l'église. Mais Hugo va évoluer, tandis que Vigny et Lamartine ne seront pas orthodoxes en fait de manifestations de la foi. Le discours de Lamartine ne serait sans doute pas encensé par l'église. Mais, il faut encore insister sur la personnalisation du discours lamartinien et sur sa construction de face à face cosmique du poète face à un univers, temple qu'on interroge et où on essaie de cerner la présence divine. L'expression du Je lyrique des romantiques va toutefois s'accompagner d'une sorte d'expansion des sentiments, d'une sorte de facilité à parler longuement de tout sujet qui fera l'objet d'une autocritique au sein du romantisme et au sein de la seconde génération romantique qui est la génération parnassienne. Baudelaire essaiera de refonder un lyrisme personnel qui ne sente pas le clinquant de la prostitution de l'âme. Leconte de Lisle fera semblant de s'en déposséder pour le déplacer, avec un talent que trop peu de gens reconnaissent de nos jours, dans le domaine de la légende qui tient à distance le réel et le personnel. Gautier prétendra à une solution de l'art pour l'art, et Banville, dans la foulée de Victor Hugo, développera l'idée de fantaisie des Orientales et la dérision satirique. Musset sera un romantique particulier, malgré le mépris que lui voua Baudelaire, et Verlaine a bien créé, comme le montre Henri Scepi au sujet de la "Chanson d'automne" un mode d'expression du lyrisme plus condensé et délesté des effets qu'on peut parfois considérés comme de manche de la grande rhétorique. Rimbaud est d'évidence l'héritier du lyrisme romantique. Il parle de "fanfare atroce" et son "Bateau ivre" doit beaucoup aux procédés d'écriture pour capter l'attention d'un Lamartine ou d'un Hugo. Il y a un enthousiasme romantique qui se ressent à la lecture des vers de Rimbaud, dans la prosodie de ses compositions. Et les réflexions sur le "Je est un autre" sont bien évidemment un aboutissement, avec correction des abus du premier romantisme, de la grande réflexion initiée au début du dix-neuvième siècle sur les pouvoirs créateurs du moi.
Le troisième point romantique est lié au précédent et suppose une filiation nette de Victor Hugo à Arthur Rimbaud, c'est l'idée que le poète a un magistère à exercer devant la société. L'image du voyant est exploitée par Hugo et Vigny avant Rimbaud, lequel fait d'ailleurs commencer l'idée avec les poètes romantiques qu'il cite nommément, et cette idée de sacerdoce concerne encore Une saison en enfer, livre dont il dit que son sort dépend, puis ces Illuminations dont le titre, certes quelque peu pince sans-rire par aspects, est volontairement dans la continuité des titres Méditations poétiques et Les Contemplations.
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Reprenons cette question du "Suprême Clairon" dans "Voyelles". Le "Suprême Clairon", c'est la forme inversée de l'expression "clairon suprême" utilisée par Victor Hugo à deux reprises dans son recueil de 1859 La Légende des siècles, seule version de ce recueil que Rimbaud pouvait connaître en 1871 et 1872, moment où il composa le sonnet "Voyelles". Hugo a utilisé l'expression dans "Eviradnus" puis dans le poème "La Trompette du jugement" qu'il y a très longtemps déjà le critique Barrère identifia en source patente au dernier tercet du sonnet "Voyelles".
Il s'agit donc d'une allusion au Jugement dernier, et pour la plupart des lecteurs, je présume, cela devrait donc s'opposer à l'idée d'un idéal cosmique enchanteur dont procède pourtant bien le "rayon violet de Ses Yeux".
Il faut se rappeler qu'à ses débuts Rimbaud a composé le poème "Credo in unam" où, un peu à la façon du courant de l'éclectisme en philosophie française d'époque, il a mêlé des éléments de la religion chrétienne ("rédemption", "exil"), du platonisme ("exil", accès à la sphère supérieure des Idées) et d'un paganisme proche de Lucrèce (et donc Démocrite et Epicure) pour aboutir à l'expression d'une pensée personnelle utilisant des beautés du christianisme contre le christianisme, créant un texte spiritualiste contrecarrant le discours chrétien, mais répondant aussi quelque peu aux expansions poétiques d'un Hugo ("Ce que dit la bouche d'ombre"), d'un Musset ou d'un Lamartine. "Credo in unam" ne saurait se réduire à un centon à partir de lectures de Leconte de Lisle et de Banville. Rimbaud y articule une pensée qui lui est propre et qui est un dialogue de remise en cause des prédécesseurs. La divinité dans "Credo in unam" est bien sûr la Vénus. L'idée de jugement dernier est rejetée et nous voyons se mettre en place une idée rimbaldienne constante qu'il faut poser son front de rebelle face au monde, accepter la mort et vivre l'immédiat présent en tant qu'existence pleine et entière. Dès "Credo in unam", l'idée qui fait oxymore d'une divinité de l'être mortel est explicitement posée. Cette idée va se développer avec constance dans les écrits de Rimbaud avec cette acceptation divine de la finitude humaine qu'on retrouve dans la grande lettre "du voyant" du 15 mai 1871 envoyée à Demeny : si le grand poète s'écroule sous les visions, d'autres poursuivront l'œuvre là où il s'est affaissé. Il y a bien une métaphysique de la divinité de l'homme mortel chez Rimbaud, ce qui est confirmé dans "Génie" où il est question dans des temps de naufrage de savoir identifier le souffle du Génie, de s'en emparer et aussi de "le renvoyer". Le poète accepte d'être un rouage dans les cycles du vivant.
Il n'y a pas d'exclusivisme des notions d'exil et de monde idéal dans "Credo in unam". Rimbaud récupère dans son propre discours des éléments clefs des discours qu'en même temps il contredit et conteste. Dans "Voyelles", l'allusion à une image du "Jugement dernier" ne réintroduira pas l'idée d'une fin de récréation qui serait sifflée pour permettre à Dieu de distribuer les bons et les mauvais points, de récompenser et surtout de punir.
Nous avons un texte de transition qui s'impose, c'est "Paris se repeuple". La personnification de Paris est une très claire figure de substitution à celle de Vénus dans "Credo in unam". Je devrais plutôt parler d'équivalence et non de substitution. Paris est célébré pour son front rebelle dans la tourmente et les hommes morts au combat sont célébrés pour s'être ainsi emparés en rebelles de leur valeur d'existence, avec sacre de l'orage. Le "clairon" est bien évidemment dans "Paris se repeuple" un instrument miliaire, un appel au combat, un moyen de raffermir les âmes. Et le lien avec "Voyelles" est indiscutable avec ne fût-ce que la proximité du même nom rare "strideurs".
Passons maintenant au sonnet "Voyelles" lui-même.
Le clairon est une expression imagée de la lettre "O". Il s'agit d'un instrument. Dans "La Trompette du jugement", Hugo voit le clairon, puis il ne fait que deviner Dieu derrière ou la main d'un ange pouvant se saisir du clairon. Or, Lamartine a créé dans le domaine de la poésie française un mouvement de créations en vers où le poète est dans un face à face cosmique avec l'univers. Vigny interrogera le silence et en fera de sublimes vers avec le poème "La Mort du loup", mais en 1820 Lamartine apportait cette perspective neuve du regard du poète face au cosmos, temple de Dieu qu'on interroge et où on cherche sa présence. On parle beaucoup des visions cosmiques de Victor Hugo en oubliant qu'il est sur ce plan un disciple ou en tout cas héritier de Lamartine. Et il est vrai que la filiation qui va de Victor Hugo à Rimbaud est autrement plus nette, autrement plus sensible. Or, quand Victor Hugo compose son recueil Les Contemplations il pense bien à Lamartine puisque le titre est un écho volontaire aux Méditations poétiques et à certains emplois de la rime "contemple"::"temple" dans ce même recueil. Fongaro a également très bien souligné à quel point le sonnet "Les Correspondances" réécrivaient Chateaubriand et Hugo, et il n'y manquait que les reprises à Lamartine. En 2003, j'ai beaucoup insisté sur la relation sensible entre "Voyelles" et Les Contemplations : idée qu'on peut lire des lettres dans l'univers, jeux sur les effets de l'ombre et de la lumière avec les connotations symboliques qu'en tirent les poètes, etc. Or, le recueil se termine (si on laisse de côté "A celle qui est restée en France") par un long poème qui, s'il n'est pas le meilleur, n'en est pas moins étonnant et significatif : "Ce que dit la bouche d'ombre". Rimbaud a d'évidence médité cette pièce particulière puisqu'il s'en inspire pour affubler d'un sobriquet dérangeant sa propre mère, qu'il baptise donc la "bouche d'ombre". "Credo in unam" ne sera déjà pas pleinement en phase avec "Ce que dit la bouche d'ombre", mais on peut estimer que "Voyelles" prend des distances plus grandes encore. Comme beaucoup d'éléments du recueil Les Contemplations entrent en résonance avec les vers de "Voyelles", beaucoup de comparaisons sont à prodiguer entre "Ce que dit la bouche d'ombre" et le même sonnet "Voyelles". Et dans la comparaison, on peut aussi apprécier des différences. Mais songez un petit peu que la "bouche d'ombre" c'est un peu une nouvelle expression de ce Dieu que Victor Hugo, après Lamartine, cherche dans le fait de sonder le ciel d'un regard inspiré. Dieu n'est pas que jugement dernier quand on regarde le fond du ciel, il peut être lumière, étoile, etc. La "bouche d'ombre" est une figure de l'inspection cosmique et métaphysique de cet univers que, la Terre nous imposant sa seule image sous nos pieds, nous reportons au ciel avec une préférence inévitable pour le mystère étoilé de la nuit dans une atmosphère sans nuages. En même temps, la "bouche d'ombre", comme signe du divin, c'est l'organe à même de s'aboucher au fameux "Suprême Clairon" du Jugement dernier.
Et revenons donc au sonnet "Voyelles" de Rimbaud. Rimbaud accepte la finitude d'un humain pris dans les cycles de la vie, tout en affirmant une sorte d'exaltation de l'existence individuelle partiellement comparable à certains développements de l'existentialisme au vingtième, à certains développements d'un Camus. Rimbaud exalte l'existence de l'homme révolté qui s'empare de sa vie. Une différence toutefois avec le vingtième siècle, c'est que Rimbaud, en personnifiant si profondément l'univers, même s'il récuse le Dieu du christianisme, crée un continuum de l'existence avec le réel perçu à son tour comme volonté. C'est en tout cas ce qu'il met en place dans la métaphysique de ses poèmes. Il y a un plan sur lequel il nous est plus simple d'adhérer, celui d'une éternité où la dynamique est de cycles où la mer rencontre le soleil, et puis il y a cette tendance à une providence à l'œuvre dans l'univers. Que ça plaise ou non à notre humanité philosophe moderne, Rimbaud ne regarde pas le réel comme extérieur au fait de conscience de sa propre existence. Il y a un continuum explicite dans sa poésie entre le fait de son existence et le fait de l'existence du réel. Puis, point moins déconcertant pour l'homme du vingt-et-unième siècle, mais point à mon avis politiquement perdu (on le voit quand l'humanité et notamment les français se couchent devant l'Union européenne, devant les Etats-Unis, devant le "pass" sanitaire, devant une vaccination rendue obligatoire pour un unique vaccin de la veille anormalement chouchoutée par rapport à d'autres, par rapports aux traitements à multiples médicaments et pourtant en perte de vitesse contre le variant du jour, devant le vote inévitable qui reconduira implacablement un Macron par un mécanisme indéboulonnable qu'on croit devoir admettre constitutionnellement bien constitué, objectivement démocratique avec expression qualitative du choix du peuple ; on le voit aussi avec les inondations actuelles dans le monde (peu de France pour cette fois et peu de Luxembourg, mais Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Suisse, Autriche, Pologne, Angleterre, Turquie, Oman, Emirats-Arabes-Unis, Inde, Iran, Chine, et même Lagos au Nigéria, et un peu Detroit et le Costa Rica en Amérique), inondations qui viennent sans doute quelque peu d'un changement climatique, mais aussi de manière non négligeable de l'acceptation basse par les peuples et les états de la complète artificialisation des sols (on va jusqu'à préférer construire sur des sols naturels, plutôt que de reprendre un terrain industriel saccagé et à l'abandon) et aussi du fait de déléguer de plus en plus au privé des travaux qui demandent un entretien public incompatible avec leurs intérêts), il faut souligner dans la pensée de Rimbaud cette articulation de la révolte à sa pensée d'éternité. Le "front" est certes un cliché dans la poésie hugolienne, mais Rimbaud identifie classiquement le front à la fierté humaine et à l'exercice de la pensée individuelle. On baisse le front ou on l'abaisse jusqu'au sol quand on se soumet, on dresse au contraire le front face à l'ennemi quand on veut montrer qu'on va se battre et défendre ce qui nous est cher. Dans "Voyelles", selon une des deux versions connues du poème, les "fronts" sont "doux", mais rien de déplorable, car ils sont également "studieux" et dans la version définitive où Rimbaud évite l'ambiguïté de la douceur ils deviennent "grands". Les "grands fronts studieux" montrent des hommes en acte qui ne font pas qu'hériter de la vie des "voyelles-couleurs". Ils croisent le regard avec ce "rayon violet", rappel du "rayon d'amour" venu du ciel dans "Credo in unam", et ces "fronts" sentent l'affirmation de soi qui continue, dans la paix du "U vert", les actions rebelles du "sang craché" et du "rire". Ces "fronts studieux" héritent aussi de l'épreuve oxymorique des "ivresses pénitentes", avec l'idée de pénitence qui admet la réalité d'une douleur imposée à autrui.
Le "Suprême Clairon" n'est pas le Jugement dernier, il fait partie d'une acceptation de la divinité mortelle de l'homme. Le O est un instrument de musique, un clairon. Par conséquent, les cinq voyelles sont des instruments. Regardez pour le "A noir", c'est un corset, et sinon c'est un golfe, autre expression sémantique du corset. Le corset ou le golfe, c'est un instrument, le philtre d'un alchimiste et on mesure bien que dans sa référence explicite à l'alchimie en ce sonnet Rimbaud ne reprend pas platement les ustensiles de l'alchimiste, il a médité sa composition alchimique pour faire des cinq voyelles les bases de la création universelle. Nous avons des idées de vibrations dans chacune des cinq voyelles-couleurs, le E blanc privilégiera l'idée de "frissons" et le "I rouge" l'expression qui sort de l'humain par ses plaies ou sa bouche. Et c'est là qu'il faut mesurer l'importance centrale, c'est le cas de le dire, du vers 9 qui lance le tercet du "U" supposément vert.
Le vers 9 est très précis. Le "U" est l'image graphique du cycle. Et sa réduplication transforme les cycles en réalité : "U, cycles, vibrements divins des mers virides". Dans ce vers, Rimbaud pose une équation forte : la vibration est un cycle, la vibration est la séquence temporelle du cycle et le U en est l'expression graphique. Sur un graphique, la remontée de la courbe du U à sa hauteur initiale suffit à créer un mouvement cyclique complet selon la perspective linéaire temporelle allant de gauche à droite. Il n'est pas besoin du cercle du O pour dessiner un cycle. L'image du cycle commence avec le U. Et le vers 9 déclare nettement l'équation après l'expression graphique de la lettre U, nous avons l'un à côté de l'autre les mots au pluriel "cycles" et "vibrements". Nous pouvons même ajouter que tout tient, messieurs de l'hémicycle, dans un unique hémistiche : "U, cycles, vibrements". Le rejet signifie expressément la valeur de l'énoncé : "divins" sont-ils ces cycles ou ces vibrements. A son époque, Rimbaud savait que le son était une vibration et que la lumière aussi était une vibration. Et des considérations neuves se faisaient sur la lumière avec l'idée de vibrations associées à trois couleurs fondamentales : le rouge, le vert et le bleu ou violet. Rimbaud n'a en rien oublié la dualité bleu ou violet, il s'en sert dans son poème. Helmholtz, après Young, a parlé d'optique et de l'importance fondamentale de la trichromie rouge, vert et bleu ou violet pour l'œil humain, lequel Helmholtz a publié également sur le son, et était à découvrir en français dans des articles de la Revue des deux mondes, prestigieuse à l'époque. Rimbaud fait de la vibration le liant entre son et voyelle et la base de son idée poétique de correspondance entre couleurs et voyelles. Il y a quelque chose du tableau de Mendeléiev dans les cinq voyelles-couleurs pour exprimer tout du monde, découverte d'époque d'ailleurs (1869), mais il y a aussi une sorte de principe physique newtonien pour dire le monde avec cette idée de la vibration qui est derrière tant le son que la couleur. Rimbaud arrive à mobiliser les acquis récents de la science de son époque pour raviver l'idée d'un Verbe divin de lumière. Jamais les choses ne sont dites en ces termes si précis dans les poèmes de Victor Hugo. On rencontre le verbe "vibrer", on a l'idée johannique de la lumière comme verbe, mais on n'a jamais le vers 9 de Rimbaud, jamais le premier hémistiche du vers 9 de "Voyelles", et ce que dit encore le vers 9, c'est que la vibration c'est l'éternité, et quoi de mieux que l'image de la mer pour exprimer que ce mouvement est inarrêtable et d'une dimension qui pour l'humain éveille à la sensibilité de l'infini. Et Rimbaud, qui dissémine les indices graphiques du cycle inarrêtable sous la forme de la lettre "v" issue du "u" latin, appelle les vibrements des flots "divins", ce qui rompt au passage en visière avec l'éloquence cosmique lamartinienne où Dieu peut dire aux flots "Tu n'iras pas plus loin !" C'est cette idée que cible à la même époque "Le Bateau ivre" quand le poète se moque des "pieds lumineux des Maries", c'est-à-dire des bougies votives au pied de statues de la Vierge pour demander à Dieu de maîtriser la vie des flots marins et permettre aux marins pêcheurs de revenir. Rimbaud réplique très clairement à une idée que Lamartine prononce plus d'une fois dans ses vers d'un Dieu qui peut arrêter les flots et les révolutions des hommes dans "Le Bateau ivre", et il ne fait aucun doute que les "vibrements divins des mers virides" replace la courant électrique de la divinité dans son élément naturel et non plus dans la supercherie d'un au-delà convocable à souhait.
Et donc les cinq voyelles sont des instruments complémentaires d'un même acte créateur et d'une même exaltation. Le "clairon" n'est pas comme le jugement dernier, car le "rayon violet", "rayon d'amour" dans "Credo in unam", est le moteur suprême parmi les vibrations, la vibration ultime, moins dernière que première... finalement, et dans ce mouvement articulé complexe la combinatoire des cycles fait que tout repart toujours avec le "A noir", circularité métaphysique du sonnet "Voyelles" qu'il faut savoir apprécier, car sans cela pas de lecture du poème et pas de compréhension du dépassement du "clairon" par l'élan amoureux du dernier vers. Enfin, du "I rouge" au "Oméga", "rayon violet" en passant par le "U vert", nous avons des hommes en acte qui crachent et rient, qui exposent leurs fronts devant le principe divin, qui croisent le regard avec le divin en affirmation de tout leur être, bien que la mort soit confirmée inéluctable.

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