dimanche 11 juillet 2021

Cercle du Zutisme et Dictionnaire Rimbaud

Parlons de Cercle du Zutisme et non de cercle zutique : "Cercle du Zutisme" sent autrement mieux le persiflage. Savoir lire, c'est bien évidemment comprendre que "Cercle du Zutisme" est la formule littéraire des poètes, tandis que "cercle zutique" c'est ce qu'on écrit sur l'étiquette d'un tiroir de bibliothèque.
Le but est ici de rassembler des idées exprimées dans ce Dictionnaire Rimbaud qui offrent des visions que je trouve fausses, contestables ou hypothétiques au sujet du Cercle du Zutisme. Je me garderai de commenter des détails que je voudrais nuancer autrement, tant je peux estimer que certains passages contiennent en leur sémantique des éléments discutables. Je vais ne m'attacher qu'à des cas précis, bien concrets.

Dans le Dictionnaire Rimbaud de 2021, le dernier article s'intitule précisément "Zutisme". Il n'y a que deux entrées à la lettre Z, "Zanzibar" et "Zutisme". Cette dernière notice, nous la devons à la plume de Denis Saint-Amand. Elle s'étend en gros sur l'équivalent de quatre colonnes de la page 597 à la page 599, avec une demi-colonne de références bibliographiques en complément.
Dans la colonne de texte de gauche à la page 598, il est écrit ceci notamment :
Le Cercle est une réaction aux dîners des Vilains Bonshommes, auxquels les zutistes continuent à participer, mais qui sont trop parnassophiles à leurs yeux ; lassés de l'hégémonie et de la radicalité parnassiennes, désireux de prendre du bon temps et de se défouler, les membres du groupe se retrouvent en secret à partir d'octobre 1871 pour assumer leur hétérodoxie en vase clos, et encourager une logique soulographique.
Que les membres de ce Cercle soient "désireux de prendre du bon temps et de se défouler", c'est l'évidence même et c'est ce que j'ai écrit dans mes articles, en particulier celui qui est référencé dans les éléments bibliographiques : "Rimbaud Vilain Bonhomme et poète zutique (15 septembre 1871 - 7 juillet 1872)", Rimbaud vivant N°49, juin 2010. L'article "A propos de l'Album zutique" dans la revue Europe serait à citer également. Toutefois, dans mes articles, je mobilise l'idée de "défouloir" en critiquant cette opposition traditionnelle que les rimbaldiens font entre d'un côté les parnassiens et les réunions des Vilains Bonshommes, et de l'autre côté le Cercle du Zutisme, pardon le "cercle zutique" pour parler leur langue un peu aride. Et j'ajoutais une remarque qui a son importance. Le dîner des "Vilains Bonshommes" est mensuel, tandis que les réunions zutiques ne supposent pas de repas et sont quotidiennes ou peu s'en faut. Indifférent à mon argumentation, Saint-Amand, disciple de l'inénarrable Bourdieu en sociologie (et pourquoi pas Passeron, tant qu'on veut faire de la sociologie de haute volée ?), réarme cette opposition illusoire dans laquelle s'enferrent les rimbaldiens. On peut aller plus loin !
Donc, les membres du Cercle du Zutisme (c'est trop long à écrire, vivement que tout le monde se mette à l'anglais, c'est une langue qui utilise moins de signes pour dire la même chose) voudraient rompre avec l'ambiance parnassienne. Il y a qui déjà dans le Cercle du Zutisme ? Charles Cros ! Comme rupture littéraire avec le style parnassien, faudra repasser. Il y a un Jacquet, probablement Achille, parce que, selon une référence que j'ai malheureusement perdue depuis, un ouvrage d'époque lui attribue l'affectation de dire "Zut !" Jules et Achille Jacquet sont deux frères graveurs. Jules, qui est en même temps peintre, est né en 1841 et Achille est né en 1846, ce qui cadre avec les âges des différents membres du Cercle. Jules et Achille ont tous deux droit à une fiche biographique sur le site Wikipédia.



Ils font partie de la "bourgeoisie parisienne" au passage, d'après ce que je lis sur leurs fiches. Ils ont eu des prix de Rome tous les deux et ont donc effectué le séjour romain chacun à leur tour. Pensons à Manette Salomon des frères Goncourt. Jules s'est marié le 26 septembre 1871, vingt jours avant les débuts du Cercle du Zutisme. Achille a eu le grand prix de Rome de gravure au burin en 1870 même. En 1900, il a reçu la Légion d'honneur et il est devenu membre de l'académie des beaux-arts.
Après, l'idée qu'Achille disait "Zut !" comme un zutiste peut m'abuser. Peut-être que ce Jacquet est plutôt le peintre et illustrateur Gustave Jacquet né lui aussi en 1846 et qui a lui aussi sa page consacrée sur le site Wikipédia.


Avec le temps, j'ai oublié lequel de ces trois Jacquet a illustré des éditions des recueils des poésies de François Coppée, cette cible zutique de choix.
Dans le Cercle du Zutisme, nous trouvions également Léon Valade et Albert Mérat, tous deux en parfaite continuité avec l'esprit parnassien. Autant, Verlaine et Rimbaud s'aventurent dans de nouvelles voies esthétiques, autant Valade, Mérat et Cros demeurent des parnassiens à part entière.
Puis, il faut citer Camille Pelletan, qui écrivait dans l'organe hugolien Le Rappel à l'époque même de ses contributions zutiques, ce qui le rapprochait au passage de Glatigny. Pelletan est le fils d'Eugène Pelletan, ministre qui faisait partie du gouvernement de défense nationale, du gouvernement des Jules ! Et Camille Pelletan fera une carrière politique qu'on ne peut pas dire en-dehors des clous, même si la fiche Wikipédia le concernant contient quelques erreurs (la prétendue lecture du "Bateau ivre" fin septembre 1870).


En clair, et cela vaut même pour Rimbaud et Verlaine, où sont les preuves que les membres du Cercle du Zutisme voulaient rompre en visière avec l'esprit parnassien ? Certes, en 1876, avec les recalés du troisième volume du Parnasse contemporain, Charles Cros et les "dixains réalistes" cela sonne comme des opposants aux parnassiens, mais c'est un anachronisme d'appliquer rétrospectivement cette grille de lecture à la fin de l'année 1871.
Rimbaud a-t-il été hébergé par Banville avant ou après la mi-octobre et création du Cercle du Zutisme ? Et qu'est-ce que ça vaut cette idée de réagir contre les parnassiens en continuant de "participer" à leurs réunions comme si de rien n'était ? Je ne comprends pas le concept. En plus, leur réaction se ferait "en secret". Mais quelle est la logique dans tout ça ? Personnellement, je ne comprends rien à ces phrases que je cite de Saint-Amand : cela n'a ni queue ni tête.
Bref, quand Saint-Amand écrit : "réaction aux dîners des Vilains Bonshommes", "trop parnassophiles", "lassés de l'hégémonie", tout ça, c'est des vieilles lunes de la critique rimbaldienne qui sont répétées depuis soixante-dix ans sans aucun retour critique. Ce n'est pas tout. Il paraît que les membres du Cercle se réunissent "en secret". Comment dire ? Les membres sont divers, certains sont à nos yeux des inconnus (Miret, Jacquet et éventuellement un "JM"). En 1872, nous avons une avalanche de nouveaux noms qui sont mentionnés sur cet Album zutique. Enfin, sorti de Satory le 18 octobre 1871, Charles de Sivry a écrit sur les pages du précieux livre, mais dans ses témoignages ultérieurs il évoque les réunions d'un cercle du doigt partout dont lui n'aurait pas fait partie.
D'où vient cette affirmation que les réunions étaient faites en secret. Nous avons l'affirmation d'une opposition aux Vilains Bonshommes et aux parnassiens, puis l'affirmation de réunions secrètes. Mais où sont les preuves ? Où sont les documents qui permettent de dire cela ?
On remarque également un peu plus loin que Saint-Amand fragilise complètement les conclusions selon lesquelles les dernières contributions rimbaldiens ont eu lieu à la mi-novembre. L'expérience du Cercle du Zutisme a duré à peine un mois, c'est ça qu'il faut dire dans une notice, mais non on repasse à la vielle idée qui a cinquante ou soixante ans derrière elle que l'expérience a pu s'arrêter en mars 1872.
On aura droit tout de même au pari saint-amandien que l'expérience n'a pas dû passer "le cap de la nouvelle année". Il est fait ensuite état de contributions plus tardives, pas celles de environ mai 1872, mais celles de la fin de l'année 1872. Et je ne peux manquer d'épingler une nouvelle affirmation injustifiée :
En septembre 1872, à un moment où il préparait un voyage en Italie, Charles Cros prête l'Album à ces jeunes gens qui sont pour lui des compagnons de bohème : soit que le poète-inventeur les ait directement encouragés à combler les espaces laissés vides dans le manuscrit, soit qu'ils se soient eux-mêmes autorisés à le faire, [les nouveaux intervenants s'en donnent à cœur joie.]
Mais j'en ai marre, je vous jure, j'en ai marre... J'ai fait une conférence au colloque Les Saison de Rimbaud. Saint-Amand y était, même si dans les actes du colloque qui sont en train de paraître chez l'éditeur Herman(n), il n'y a pas d'article de lui. C'est simplement qu'il a souhaité publier le texte de son intervention ailleurs, ce qui est un peu loufoque, mais bon ! En tout cas, cet après-midi, c'était une table alignant plusieurs intervenants belges (j'en ai toujours la nationalité, même si je vis en France et que dans le fond je n'y attache pas d'importance), et donc il était présent et plutôt en bonne place pour entendre ma conférence. Et à la fin de ma conférence, plusieurs personnes ont approché de moi en disant en particulier qu'ils étaient bien d'accord avec mes arguments pour dire que l'Album appartenait bien à Valade et non à Cros à l'époque. Et c'est toujours pareil avec les rimbaldiens et avec Saint-Amand désormais. J'en ai marre ! J'en ai marre ! En plus, mon article est référencé dans la bibliographie du Dictionnaire Rimbaud de 2021. Mon article est donc supposé avoir été lu. Donc, voici un extrait de mon raisonnement que j'oppose à soixante-dix ans de passéisme sans réflexions. Je cite donc un extrait de l'article apparemment sorti en librairie le 9 juillet :
   Charles Cros a pu passer pour le détenteur de l’Album zutique, parce qu’une parente de Coquelin cadet, comédien qui récitait des monologues sur scène en se réclamant de [lui], avait hérité du document et a été la source de sa révélation publique lorsque cette parente a vendu cette précieuse surprise en 1932 au libraire Louis Enlart. Ajoutons à cela que Charles Cros était l’amant de Nina de Villard, qui tenait un salon avec un album où les invités pouvaient laisser une contribution, et surtout que Charles Cros, en 1868, faisait partie d’un cénacle au fonctionnement similaire nommé « Groupisme », « qui réunissait, entre autres, Valade, Mérat, Gustave Pradelle, Pelletan et les frères Cros[ ] », et pour lequel Pelletan souhaita la confection d’un même type d’album que tel autre qui avait eu une vie éphémère chez Henry Cros. Des albums de ce profil vont naturellement de pair avec des réunions littéraires et les frères Cros affectionnaient l’idée. Pourtant, tout indique que notre Album zutique était conservé initialement par Léon Valade. Voici les raisons justifiant cette hypothèse : Valade travaillait avec Mérat et Verlaine à l’Hôtel de Ville, où le précédent album semble avoir brûlé; la correspondance de l’été 1871 entre Verlaine, Blémont et Valade n’inclut pas Charles Cros (il est seulement question d’avoir des nouvelles des trois frères Cros dans la lettre à Blémont du 29 juillet); les contributions zutiques les plus nombreuses nous viennent de Rimbaud et de Valade; deux poèmes ajoutés en 1872 sont dédiés « À Léon Valade » (verso du feuillet 21, verso du feuillet 29); deux portraits de Valade et deux de son ami Mérat figurent dans l’Album; la parodie de Daudet par Verlaine Pantoum négligé a été citée par Valade dans La Renaissance littéraire et artistique, revue dans laquelle le poète bordelais a publié également le 21 juin 1872 Station d’omnibus aux Batignolles, qui s’inspire apparemment du dizain zutique État de siège? de Rimbaud, à quoi il faut ajouter la publication de quelques sonnets en vers d’une syllabe, de Valade, dans la Revue du monde nouveau. Valade semble avoir eu un accès permanent à l’Album zutique. Nous avons conservé des lettres à Valade de contributeurs zutiques de 1872, une de Germain Nouveau notamment. Il est décédé en juin 1883, Charles Cros en 1888, Coquelin cadet en 1909, et, si l’histoire de la transmission de l’Album zutique jusqu’à Coquelin cadet n’a jamais été élucidée, sa possession par Charles Cros n’a elle-même jamais été établie. Verlaine a peu contribué au livre « zutique », Valade beaucoup, mais tous deux ont joué un rôle plus important dans la genèse et le développement de cet album manuscrit farci de parodies obscènes que Charles Cros.
En fait, il ne faut pas raisonner, on est un bon bourgeois cultivé quand on répète depuis soixante-dix ans ce que Pascal Pia et d'autres ont pu commencer à dire. On écrit des articles, mais on revient aux conclusions de départ. C'est original comme conception des choses. Après, on m'en veut, il faudrait que je trouve du bon à prendre dans le travail de chacun des contributeurs de ce Dictionnaire Rimbaud. Dire les conclusions sur l'Album zutique de 1972, il n'y a pas besoin d'un universitaire pour faire ça. On va m'en vouloir de ne pas lire les bonnes idées dans les articles des autres, mais mes argumentations elles passent à la trappe, sauf que quand je les formule et qu'on les lit on ne sait pas quoi pas me répondre, ou on constate à tout le moins qu'il y a un lièvre de soulevé. Mais, la mémoire immédiate tournant, le jour d'après, on repart sur les vieilles lunes. Ah non, hein ! après les chaussettes mises le matin, nous, on va de l'avant, on ne revient pas sur nos idées, on trace tout droit en chaussettes.
Tout ceci nous promet du lourd en ce qui concerne la maîtrise de l'analyse sociologique du Cercle du Zutisme, j'en reparlerai dans quelque temps.

1 commentaire:

  1. Il va de soi que je n'ai encore fustigé que l'article "Zutisme". Je prévois de parler d'autres articles, par exemple l'article "Album zutique" (pages 27-31). J'épingle quelques citations sur lesquels je reviendrai : "Non destiné à la publication" (qu'est-ce qu'on en sait ? Pourquoi l'affirmer, alors qu'une publication sous le manteau était courante pour ce genre de poésies ?), "rédigé durant l'automne-hiver 1871" (pour info, à quoi ça sert de signaler qu'on a bien vu dans mes articles et ceux du copieur Teyssèdre le resserrement de la datation, si c'est pour dire qu'on n'est pas sûrs et en revenir aux conclusions antérieures ?!? Oui, on a progressé, mais on n'a pas avancé, okaaayyy !), "rituel de sociabilité bourgeoise" "Né[ ] au XVIe siècle" (mouais, pas très clair !) "rire" de soi" ou "rire d'inclusion" (Heu ? Beaucoup d'emphase théorique suspecte pour des réunions potaches que tout le monde comprend en tant que choses simples, "rire de soi", mouais, ce n'est pas ce que j'ai trouvé de plus saillant), "recueil de Mérat" "préventivement amputé" (au fait, on a pensé à chercher des preuves qu'il fallait lire cela au premier degré dans la lettre de Verlaine qui en rend compte ?), "Vieux de la vieille" "compilant des vers" (Ah ?), "François Coppée" parodié pour sa "platitude" (ce n'est pas ce que j'explique et montre, parodié pour des raisons politiques et pour une manière, c'est un peu différent !), les sonnets monosyllabiques "phénomène déjà saillant" dans le Parnassiculet contemporain (mais oui, Daudet et Verlaine, ils sont potes, poteaux, piliers, vieilles branches entre eux deux). A suivre donc !

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