Pendant longtemps, Rimbaud a passé pour un inventeur de néologismes. En réalité, il affectionnait l'emploi de mots rares. Il pouvait s'agir de mots régionaux "fouffes" ou de mots plus anciens, ou bien de mots peu usités "nitide", ou bien de mots d'un champ de spécialistes comme la botanique "viride", ou bien il pouvait s'agir de néologismes typiques de certains auteurs, comme "vibrements" qui serait plutôt de Gautier, ou comme "strideur", mot affectionné par Buffon et repris dans un vers de Philothée O'Neddy qui n'a pas échappé à l'attention de l'auteur de "Paris se repeuple" et "Voyelles". L'idée d'inventions par Rimbaud lui-même a fait long feu. Cependant, la rareté de ces mots en fait également des indices précieux pour remonter les sources de Rimbaud et déterminer ses intentions. Parmi les faits troublants qui n'ont pas été explorés, il y a le mot "caoutchoucs", la rime "mouron" et le titre "Mes petites amoureuses" d'un poème envoyé à Demeny dans la célèbre lettre dite "du voyant". Si le titre "Mes petites amoureuses" corrompt un titre de Glatigny ("Les Petites amoureuses") et si la forme du poème cible la "Chanson de Fortunio" de Musset et rappelle "Les Reparties de Nina" où le prénom "Nina" ciblait déjà la Ninon des poèmes de Musset, et si le mot "vesprée" du poème contemporain "Le Cœur volé" semble lui aussi une reprise ronsardisante inspirée de Musset, il faut tout de même voir que, derrière Glatigny et Musset, un autre nom peut se cacher, celui d'Alphonse Daudet. Plus connu pour sa prose, l'écrivain provençal fut aussi un poète dont les compositions étaient tout à fait dans l'esprit des "vignettes pérennelles" à la Musset. A ses débuts, il avait publié un recueil assez maigre intitulé Les Amoureuses, et, selon l'adage un titre peut en cacher un autre, le recueil de Daudet semble accompagner le poème de Glatigny en tant que cible du titre rimbaldien "Mes petites amoureuses". La rime sur le "mouron" est présente dans le recueil de Daudet, de mémoire, et enfin les "caoutchoucs" font l'objet d'un chapitre appuyé du roman Le Petit Chose qui met en scène un personnage qui a le profil de l'auteur et qui se nourrit d'ailleurs de plusieurs transpositions biographiques.
Mais, dans "Le Cœur volé", le mot qui retient toute notre attention est ce long adjectif au pluriel "abracadabrantesques" qui semblait la propriété exclusive de Rimbaud. Aucune occurrence antérieure n'était attestée jusqu'il y a peu. Ce serait l'unique cas où Rimbaud aurait carrément inventé un mot rare, à une autre exception près dont nous parlerons plus bas. Il faut ajouter qu'il y a un débat aussi sur le sens et l'origine du mot "pialats" dans "Mes petites amoureuses", mais, à cause des suffixes, le cas du mot "abracadabrantesques" ne souffre d'aucune homonymie, d'aucune de ces homophonies piégeuses pour la recherche. La forme même du mot est unique.
En 2009, Antoine Fongaro a publié un recueil de ses articles sur les poésies en vers de Rimbaud sous le titre Le Soleil et la Chair (éditions Classiques Garnier). Le volume ne précise pas les dates de parution initiale article par article, mais, pour ce qui nous intéresse, Antoine Fongaro reprend l'article intitulé "Quatre notules" qu'il a publié dans le numéro 16 de la revue Parade sauvage en mai 2000, où il réagissait à un article de Jacques Bienvenu "Le Cœur du pitre" paru dans le numéro 14 de la même revue en 1997, lequel Bienvenu fera une réponse à Fongaro en retour dans le numéro double 17-18 de la revue Parade sauvage en 2001.
Dans son article de mai 2000, et en tout cas dans la version de 2009, page 19 de son livre, Fongaro dit de l'adjectif "abracadabrantesques" qu'il "semble bien être un hapax dans la langue". Le mot est fort ! Ce serait l'unique emploi de ce mot dans la langue française ! Fongaro précise que l'adjectif est "démesuré", ce qui est un comble dans un vers, et qu'il "le remplit presque tout entier". En fait, le vers de huit syllabes est composé d'une interjection "Ô", d'un nom d'une syllabe "flots" qui reconduit la voyelle qui constituait à elle toute seule l'interjection précédente et puis d'un adjectif de six syllabes "abracadabrantesques" où le timbre vocalique "a", en quatre occurrences successives, prend le relais du "o".
Je vais maintenant citer en entier les deux premiers paragraphes de commentaire que Fongaro nous offre de ce mot à la rime, et je vais y inclure l'intégralité de la note de bas de page 3 qui est aussi importante que la réflexion développée dans le corps du texte.
Commençons par citer le corps du texte (Nota Bene : Fongaro croit pertinent d'adopter les transcriptions d'époque pour l'interjection "o" qu'il rend sans accent circonflexe, à notre avis à tort, mais vu que nous citons et qu'il y tenait nous le suivrons sans adhérer à un aussi superstitieux scrupule de philologue) :
Car il y a le vers 13, dont la portée, l'importance sont soulignées par l'adjectif étonnant et démesuré qui le remplit presque tout entier, et qui semble bien être un hapax dans la langue : "O flots abracadabrantesques [...]".Il est impossible que le lecteur ne soit pas frappé par ce vers singulier (comme par l'étrange vers qui le précède : "Ithyphalliques et pioupiesques"). Les "flots" sont donc là, impérieusement présents, imposés par le texte. Et il ne serait pas normal de négliger cet adjectif, déjà remarquable par son suffixe. "Abracadabrantesques" n'a rien à voir ici avec abracadabra et la cabale, comme ont prétendu certains, qui n'ont pas vu que cet augmentatif dérive d'abracadabrant, terme forgé, me semble-t-il par Gautier avec le sens de "très surprenant, stupéfiant, extraordinaire".
La note de bas de page 3 concerne la mention "Gautier" et fait état de différentes citations, sources possibles au poème de Rimbaud, et elle contient de nouvelles remarques de Fongaro sur la construction du mot "abracadabrantesques" :
Georges Matoré, Le Vocabulaire et la société sous Louis-Philippe (Genève, Droz ; Lille, Giard, 1951), cite (p. 318) la phrase "[...] nous allons examiner [...] les vers abracadabrants du poème la Magdelaine [...]" dans l'article "Le Père Pierre de Saint-Louis", 1834 (repris dans le vol. Les Grotesques en 1844). Le [Grand dictionnaire universel du XIXe siècle] fournit (vol. I, 1866) une autre citation de Gautier, mais sans aucune référence : "Coquecigrue... tel est le titre d'une gentille pièce... c'est une spirituelle paysannerie qui ne demandait pas un titre si pantagruélique et si abracadabrant", et la fait suivre de trois autres citations d'auteurs divers. Le [Trésor de la langue française - Dictionnaire de la langue du XIXe et du XXe siècle (1789-1960)] donne une citation de Nerval, dans La Pandora (1855) : "Là, je demandai un pot de vin nouveau, que je mélangeai d'un pot de vin vieux ; et j'écrivis à la déesse une lettre de quatre pages d'un style abracadabrant" ; et une autre citation de Gautier (Diogène, 15 décembre 1860) : "ces phrases... forment ensemble l'amalgame le plus abracadabrant". Le mot abracadabrant est donc courant vers 1870. Il n'est pas sans intérêt de notre que le [Grand dictionnaire universel du XIXe siècle] enregistre abracadabresque, "moins usité", dit-il, qu'abracadabrant, et cite un exemple de Gautier (toujours sans aucune référence) : "Une foule d'ombres abracadabresques et chinoises". Abracadabresque est formé sur "abracadabra" ; abracadabrantesque sur "abracadabrant". Au total, il est permis de se demander si Rimbaud a vraiment "créé" l'adjectif "abracadabrantesque".
Le commentaire de Fongaro n'est pas très dense, mais il appelle plusieurs remarques. Premièrement, Fongaro associe l'adjectif "abracadabrantesques" à un étrange vers précédent : "Ithypalliques et pioupiesques". Fongaro attire notre attention sur une suite de trois adjectifs inusités : "Ithyphalliques", "pioupiesques" et "abracadabrantesques", mais, ce faisant, il néglige la relation privilégiée des deux derniers adjectifs seuls. L'adjectif "ithyphalliques" a une origine grecque évidente et ce terme renvoie à l'histoire de l'art, tout particulièrement aux représentations de "Priape" avec son sexe en érection. Rappelons que le recueil Amours et priapées d'Henri Cantel, publié sous le manteau, est une source importante du "Sonnet du Trou du Cul" de Verlaine et Rimbaud qui ouvre l'Album zutique. Et Daudet est une cible zutique privilégiée également du Cercle qui se réunissait à l'Hôtel des Etrangers en octobre-novembre 1871. "Ithyphalliques" et "zutique" partagent le même suffixe, mais "zutique" a en plus cette fois l'intérêt de la nouveauté lexicale, même s'il n'est pas une invention de Rimbaud et ses comparses zutistes. Mais, si nous laissons de côté "ithyphalliques", ce que ne dit pas Fongaro dans son article, c'est que "pioupiesques" est autant un hapax que "abracadabrantesques". Le mot "pioupiesques" est l'autre mot de la poésie rimbaldienne avec "abracadabrantesques" qui semble être une création de l'auteur. Et ces deux mots riment ensemble dans un poème. Je ne connais pas d'autre emploi du mot "pioupiesques" que celui de Rimbaud. Il existe une forme plus tardive "pioupioutesques" utilisée par Alphonse Allais. On peut penser qu'elle dérive par hommage de la forme employée par Rimbaud, mais cela n'est pas certain. En tout cas, la question est la suivante : à défaut d'avoir créé "abracadabrantesque(s)", Rimbaud a-t-il à tout le moins créé la forme "pioupiesque(s)" ?
Or, "pioupiesques" et "abracadabrantesques" partage un même suffixe en "-esque", et je voudrais m'y attarder quelque peu. La plupart des suffixes en français viennent du latin, avec parfois une origine grecque au suffixe latin lui-même. Quelques suffixes viennent de langue étrangère, mais peu et ils ne sont pas très productifs en général (suffixe "-ol" d'origine arabe dans "alcool", suffixe "-ing" de l'anglais), mais surtout deux suffixes viennent de la langue italienne : "-ade" et "-esque". Le suffixe "-esque" est souvent rapporté à la formation de l'adjectif "grotesque", celui qui sert de titre à une œuvre de Gautier citée plus haut précisément. Par ailleurs, parties finales d'un mot, les suffixes ont un sens que les dictionnaires ou les grammaires précisent généreusement dans une page consacrée au sujet en général. J'ai pris le premier ouvrage que j'avais sous la main : Le Bon usage de Maurice Grevisse et André Goosse, 15e édition, Editions De Boeck Université, 2011. Voici ce qu'ils disent au sujet du préfixe "-esque", mais je ne pense pas apprendre quelque chose de neuf à qui que ce soit :
-esque [empr. à l'ital. -esco, d'origine germ. [...] sert à former des adjectifs tirés de noms communs et surtout de noms propres, souvent dans le domaine de la littérature et du spectacle, et souvent avec une nuance dépréciative : simiesque [sur le radical latin], funambulesque, titanesque, rocambolesque, moliéresque.
Ce suffixe italique et tudesque a une "nuance dépréciative" bien connue, et sinon il évoque le spectacle. "Grotesque" et "burlesque" ne sont pas cités dans la liste, mais l'un dérive de l'italien "grottesca" et l'autre de l'italien "burlesco". Toutefois, dans la liste qui nous est offerte, on appréciera la mention de "funambulesque". J'ai commenté les voyelles du vers : "Ô flots abracadabrantesques". Dans le titre de Banville, Odes funambulesques, le timbre vocalique "O" est à l'initiale d'un mot qui oscille entre le monosyllabe et le dissyllabe à cause du "e" élidable et l'adjectif "funambulesques" avec le "f" à l'initiale de "flots" (dira-t-on que j'exagère avec ce rapprochement) est l'exemple d'un adjectif long et loufoque avec suffixe en "-esques" au pluriel. Je relève aussi l'adjectif "rocambolesque" formé à partir du nom d'un important héros de romans populaires à succès du dix-neuvième siècle. Il va de soi que la nuance péjorative ne concernera pas l'adjectif "moliéresque", mais dans le cas du poème "Le Coeur volé" il est clair que Rimbaud s'amuse à persifler avec les mentions "pioupiesques" et "abracadabrantesques".
Quant à ceux qui commencent à se demander pourquoi je perds mon temps à digresser sur le titre des Odes funambulesques, j'ai encore en réserve un rapprochement à faire. Mais, avant cela, il nous faut revenir sur d'autres passages de nos citations du texte de Fongaro. Le critique fait remarquer qu'il existe deux formes adjectivales courantes sous la plume de Gautier "abracadabrant" et "abracadabresque". L'originalité du mot employé de Rimbaud vient de la superposition des deux suffixes, mais Fongaro fait ce commentaire à la fois un peu vrai et un peu abusif : "abracadresque" est formé sur "abracabra" et "abracadabrantesque" sur "abracadabrant". Fongaro ne dit pas que Rimbaud a mis un suffixe après l'autre. Du coup, à lire, Fongaro, seule la forme "abracadabresque" est formée sur la formule magique. Dans "abracadabrantesque", c'est la forme "abracadabrant" qui prédomine et donc l'idée d'étonnement. Il est vrai que le sens de surprise importe, mais cela n'évacue pas la référence à la formule magique pour autant. Mais, du coup, je voudrais m'arrêter un instant sur la signification du suffixe "-ant". Voici ce qu'en dit à la page 175 le livre Le Bon usage :
-ant [du latin -antem] n'est pas seulement la désinence des participes présents, éventuellement employés comme adjectifs ou comme noms, mais est aussi un suffixe français formant des adjectifs (parfois des noms) qui ne viennent pas d'une forme verbale (comp. isant, 44) : abracadabrant, itinérant.
En clair, il y avait un nom commun "abracadabra" et pour en faire un adjectif deux options se sont présentées, l'une avec un suffixe en "-ant" et l'autre avec un suffixe en "-esque". Fongaro semble opposer "abracadabrant" à "abracadabresque". Il donne une définition pour le premier adjectif : "très surprenant, stupéfiant, extraordinaire" qui semble aligner le mot sur l'étymologie verbale de l'adjectif "étonnant" et qui surtout minimise autant que faire se peut l'allusion à la formule magique "abracadabra". En revanche, Fongaro ne donne pas de définition pour "abracadabresque", mais insiste cette fois sur le fait que le mot est conçu sur le patron de la formule magique "abracadabra". Ce qui achève de m'étonner, c'est que pour l'adjectif utilisé par Rimbaud, "abracabrantesque", Fongaro ne veut y voir qu'une suffixation en "-esque" de l'adjectif "abracadabrant". On l'aura compris, il veut montrer que le mot "n'a rien à voir ici avec abracadabra et la cabale", mais le rejet est un peu excessif au plan de la construction du mot.
Ce qu'on peut retenir en tout cas et qui confirme tout de même que le but du mot n'est pas de faire dans l'occultisme pompeux et solennel, c'est que dans "abracadabresque", le suffixe a une nuance péjorative expresse, mais le mot n'était pas très heureux au plan phonétique. Le mot "abracadabrant" est beaucoup plus efficace dans son effet d'emphase exagérée. Un adjectif a éliminé l'autre à l'usage. Mais, il faut remarquer que les dictionnaires citent volontiers des mentions de Gautier pour les deux adjectifs, ce qui encourage à penser qu'il en était quelque peu l'inventeur. Une citation de "abracadabrant" est attribuée à Nerval, un proche ami littéraire de Gautier toujours ! J'aimerais bien consulter directement les livres cités par Fongaro. Par exemple, j'aimerais identifier les "trois autres citations d'auteurs divers" dans le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse. Les citations de Gautier tendent à renvoyer à ses études d'auteurs des siècles passés. L'adjectif "abracadabrant" est cité dans Les Grotesques ou bien au sujet de la pièce Coquecigrue considérée comme une "spirituelle paysannerie". La mention "spirituelle paysannerie" ne manque pas de m'évoquer les "chansons spirituelles" de "Bannières de mai". Et je remarque aussi avec étonnement la coordination au sujet de la pièce "Coquecigrue" "qui ne demandait pas un titre si pantagruélique et si abracadabrant". L'adjectif "pantagruélique" dont le suffixe rime plutôt avec "ithyphallique" et "zutique" est construit sur un nom propre, tandis que dans "abracadabrant", le suffixe "-ant" se fixe sur une formule magique employée comme nom commun. Dans "Le Coeur volé", la coordination entre "Ithyphalliques et pioupiesques" suppose elle aussi que nous identifions les bases des adjecits en "-iques" et en "-esques" : "Ithyphalle" dans un cas, le nom existant sous cette forme, et "pioupiou" dans l'autre, terme d'argot. Le suffixe en "-esques" donne son titre à l'ouvrage Les Grotesques qui étudie des œuvres littéraires du passé, ouvrage qui semble contenir une première mention décisive de l'adjectif "abracadabrants". et quelque part il y a du sens à comparer le titre de Gautier Les Grotesques au titre Odes funambulesques de Banville, deux vrais titres irrévérencieux de saltimbanques. Le terme "abracadabrants" dans les citations qui nous sont livrées de Gautier s'appliquent aussi de préférence à des oeuvres littéraires perçues comme quelque peu saugrenues : "la Magdelaine" ou la "Coquecigrue". Et dans la citation de La Pandora de Nerval, le terme est accentué également dans sa dimension de bouffonnerie littéraire : "une lettre de quatre pages d'un style abracadabrant". Fongaro le précise lui-même. Les citations de Gautier ne sont pas toutes sourcées et lui-même ne semble pas avoir eu l'occasion de préciser les références.
La page du Larousse avec les entrée "abracadabrant" et "abracadabresque" peut être consultée en ligne. Voici un lien pour la consulter sur le site Wikisource : Cliquer ici !
Nous avons trois entrées successives, une pour "abracadabra", une pour "abracadabrant" et une pour "abracadabresque". Observons que parmi les citations pour le mot "abracadabra" figure une autre mention de l'adjectif "abracadabrant", mais toujours pas référencée : "Nous rions aujourd'hui de la simplicité de nos pères, de cette momerie du moyen âge, et cependant, que d'ABRACADABRAS ne débite-t-on pas tous les jours, auxquels, dans leur simplicité, les bonnes femmes attribuent une vertu vraiment abracadabrante ! (***)" Je ne sais pas si les astérisques vont me permettre de remonter au nom de l'auteur de cette citation en consultant attentivement ce dictionnaire. En tout cas, cette citation, qui figure à l'entrée "Abracadabra" fait un pied-de-nez au commentaire de Fongaro qui veut à tout prix rejeter l'allusion à la formule magique. Cette citation invite à penser que les "flots abracadabrants" subjuguent un môme qui croit aux féeries du Moyen Âge. Il y aurait du persiflage, mais l'autodérision n'est pas à exclure, puisque ce poème est envoyé par le très jeune Rimbaud à un professeur Izambard perçu comme un atroce censeur. A la fin de sa lettre, et Fongaro fait d'ailleurs valoir le rapprochement avec le mot "abracadabrantesques", Rimbaud écrit à Izambard de réfléchir si c'est de la fantaisie ou de la satire.
Notons aussi la précision encyclopédique. La formule "abracadabra" sert à guérir la fièvre, et ici il s'agit de laver un cœur volé. Pour le mot "abracadabrant", il est introduit comme un néologisme et surtout comme un mot "burlesque". La citation de Gautier au sujet de la pièce "Coquecigrue" figure-t-elle dans Les Grotesques ? Nous avons ensuite une citation de F. Mornand : "Tout a été dit sur cette danse moderne et abracadabrante." Il doit s'agit de Félix Mornand (1815-1867), quelqu'un de la même génération que Théophile Gautier (1811-1872). Ensuite, nous avons une citation référencé vaguement "(Journ.)". Il s'agit d'une abréviation qui doit avoir son éclairage ailleurs dans le dictionnaire, mais voici la citation : "Nous avons donné ces jours derniers de curieux extraits de style abracadabrant." La similitude de formulation avec la citation de Nerval est éloquente. Le mot a peut-être eu un certain sort journalistique, mais on voit que les emplois se tiennent dans un mouchoir de poche qui renvoient tous à Gautier. Une dernière citation le confirme de L. Desnoyers : "Je ne crois pas que l'art de la disparate, de l'incompatibilité, du coquecigrue et de l'abracadabrant ait jamais été poussé si loin." Il doit s'agir de Léon Desnoyers, un autre contemporain de Gautier (1802-1868).
Pour la forme "abracadabresque", le dictionnaire ne fait qu'une citation de Gautier "Une foule d'ombres abracadabresques et chinoises", toujours sans la référencer, et le mot est introduit comme un néologisme synonyme d'abracadabrant. En clair, Fongaro aurait cité in extenso ces passages du dictionnaire, il aurait fragilisé son raisonnement consistant à minimiser la référence à la formule "abracadabra".
J'ai lancé une recherche sur le moteur Google des citations de Gautier mises entre guillemets, mais ça ne m'a pas permis d'identifier l'origine des citations.
En revanche, puisque nous sommes sur internet, j'ai consulté le site du "Wiktionnaire, dictionnaire libre" aux entrées "abracadabresque" et "abracadabrant".
Pour "abracadabresque", l'adjectif est considéré comme un hapax et l'unique citation est de Gautier, mais avec une mention de date "1852". 1852, c'est l'année des voyages en Grèce et en Turquie, d'une première édition du recueil Emaux et camées et de La Peau du tigre où figurent les nouvelles suivantes : "La Mille et deuxième nuit", "Le Pavillon sur l'eau", "Deux acteurs pour un rôle", "L'Oreiller d'une jeune fille", "Le Berger", "Le Pied de momie", "Angela" rebaptisé "La Cafetière" (nouvelle où figure le néologisme "vibrements" repris dans "Voyelles"), "La Maison de mon oncle" rebaptisé "L'Âme de la maison", "L'Enfant aux souliers de pain", "La Pipe d'opium" et "Arria Marcella". Plusieurs de ces nouvelles sont assez connues. Ne me dites pas que "abracadabresques" pourrait figurer dans "La Cafetière" ! 1852 est aussi l'année de publication du volume augmenté Zigzags et devenu Caprices et zigzags. Un récit de voyages inachevé est aussi daté de cette année-là : Italia.
Si le mot "abracadabresque" n'apparaît qu'en 1852 il a vingt ans de retard sur la forme "abracadabrant". Mais, en même temps, cela resserre la recherche au sujet du passage à "abracadabrantesques" qui implique et "abracadabrant" et "abracadabresque".
Il serait intéressant de fixer l'apparition du mot "abracadabra" flanqué d'un déterminant et parfois accordé au pluriel "les abracadabras". En effet, employer la formule "abracadabra" n'est pas la même chose que de décrier "les abracadabras". Les dictionnaires n'ont pas l'air de se pencher sur ce problème. En revanche, l'entrée "abracadabrant" du "Wiktionnaire" offre une double citation diablement intéressante au plan chronologique.
Les deux adjectifs semblent avoir été popularisés par Gautier, mais l'un est apparu dans les années 1830-1840 et l'autre ne semble date que de 1852. Or, après une petite définition que nous donnons : "complètement incroyable, qu'une personne sensée ne peut pas croire", le Wiktionnaire offre la longue citation suivante :
M. Viennet veut sans doute que, si l'ennemi paraît, au lieu d'aller faire le coup de fusil pour l'empêcher d'entrer, nos gardes civiques continuent paisiblement de laboureur leurs champs, d'ouvrir leurs boutiques, de faire des vers abracadabrans, et d'aller toucher à l'Académie leur jeton de présence. - Le Charivari, n°10, 10 décembre 1832, page 1, "Poésies abracadabrantes : deuxième partie".
L'orthographe sans "t" au pluriel était normale à l'époque. Une note apporte quelques précisions :
Cet article prenait pour cible Jean-Pons-Guillaume Viennet, élu à l'Académie française le 18 novembre 1830 et reçu sous la Coupole le 5 mai 1831.
Toute cette recherche n'est décidément pas vaine. Cette fois, nous rencontrons une mention antérieure à toutes celles connues de Théophile Gautier apparemment, mais une mention qu'il a fort probablement connue et qui a dû sans doute beaucoup l'amuser. Il se confirme que l'adjectif "abracadabrants" ne signifie pas seulement que quelque chose est difficile à croire, le mot renvoie bien à l'esprit satirique de la presse parisienne et il est étroitement associé à l'expression littéraire. Il s'agit d'un terme péjoratif pour désigner les excès de certains auteurs. L'idée de momerie littéraire ressort avec force. En minimisant la référence à la formule magique, Fongaro survalorise à tort l'idée d'étonnement, de sidération devant l'absurde. Il manque toute la dimension de spectacle magique de l'écriture qu'implique ce terme sur un versant satirique. Pourtant, Fongaro a tout de même raison de critiquer les lectures édifiantes du mot et d'insister sur l'idée de surprise, à condition de la penser comme surprise littéraire. Si la formule : "Ô flots abracadabrantesques" forme un vers de huit syllabes qui n'est pas sans faire écho au titre des Odes funambulesques, il n'est pas vain de préciser que trois mois après avoir envoyé ce poème à Izambard Rimbaud a envoyé à Banville lui-même un poème en octosyllabes où figure l'expression spécifiquement abracadabrante :
Mais, Cher, l'Art n'est plus, maintenant,- C'est la vérité, - de permettreA l'Eucalyptus étonnantDes constrictors d'un hexamètre.
Je pense bien évidemment au rapprochement de forme entre les flots qui supposent un cours d'eau littéraire sinueux et les boas constrictors en vers.
L'article "abracadabrant" du Wiktionnaire offre le lien vers la page scannée du journal Le Charivari contenant la citation. Le document peut être consulté sur le site Gallica de la BNF. Par coïncidence, sur l'en-tête du journal, nous avons un texte en forme de triangle à la Abracadabra, mais ce qui nous intéresse, c'est le texte lui sous le titre "Poésies abracadabrantes", publication du 10 décembre 1832.
Notons que Louis Desnoyers est le rédacteur en chef de la revue ! L'abominable article commence par un barbarisme : "Nous avons vu hier comme quoi M. Viennet repousse les tentatives..." au lieu de : "Nous avons vu hier que M. Viennet repousse les tentatives..." La querelle littéraire se double d'un conflit politique. M. Viennet, juste-milieu, a dit leur fait aux légitimistes et s'est attaqué aux républicains ensuite. On relève en passant, parmi les citations en vers, un joli hiatus : "Ont joui autrefois".
La citation du Wiktionnaire commence vers le bas de la première colonne, la mention "vers abracadabrans" figure sur la dernière ligne. L'article se termine à la page 3, mais il n'est pas signé. Je suppose qu'il s'agit d'un écrit du rédacteur en chef lui-même.
En revanche, l'article du "Wiktionnaire" est quelque peu étrange, il attire l'attention sur la mention "vers abracadabrans", mais c'est le titre "Poésies abracadabrantes" lui-même qui doit plus encore retenir notre attention, et il convient de se reporter à la première partie. Elle figure tout simplement dans le numéro précédent du 9 décembre 1832.
Outre que le mot "abracadabrantes" est à rapprocher du persiflage du nom "charivaris" au pluriel utilisé dans l'article, il est amusant de constater que M. Viennet est d'emblée raillé pour une épître à M. Thiers, ce qui ne manque pas de sel quand on songe au contexte d'écriture du "Cœur volé". Parmi les vers cités de Viennet, nous relevons une mention de "Tartufe" avec un seul "f", ce qui montre bien qu'à l'époque dans la presse le nom s'orthographiait ainsi que l'a fait Rimbaud en son sonnet. Loin de nous, l'idée de prétendre que Rimbaud a pu lire ces articles du Charivari, il en va différemment de Gautier. L'adjectif "abracadabrantes" connaît ici une belle promotion en passant au titre d'un article dans un journal, mais il y a fort à parier que l'adjectif a été employé dans les mots qui précèdent. A la lecture des textes de décembre 1832, il n'apparaît pas que le satiriste cherche à en préciser le sens, l'effet et la portée. Le mot a un caractère entendu. On peut donc envisager qu'il en existait des mentions plus anciennes qui jusqu'ici ont échappé aux relevés d'experts.
Mais il est temps d'en revenir à la mention "abracadabrantesques" elle-même.
Les recensions ne manquent pas pour "abracadabrants", celle pour "abracadabresque" la complète, et tout cela se déroule dans une sphère journalistique où prédomine la figure de Gautier. Louis Desnoyers et Gérard de Nerval sont proches de lui, l'un d'évidence, l'autre visiblement d'après ce que nous avons sourcé.
Pourtant, aucune mention du mot "abracadabrantesques" ne semble jaillir sous la plume de Gautier. Autre fait troublant : le mot "abracadabresque" ne date que de 1852 apparemment et il ne semble pas avoir été utilisé à proximité d'une mention "abracadabrant". C'est à vérifier, mais le fait que "abracadabresque" n'ait qu'une seule occurrence recensée est assez étonnant. Pour créer "abracadabrantesques" il faut connaître les deux formes "abracadabrantes" et "abracadabresques". Il faut désormais identifier la référence en 1852 pour "abracadabresques". En effet, "abracadabrant" est devenu d'usage courant depuis son lancement vers 1832. Par conséquent, c'est le mot "abracadabresque" qui doit appeler de plus amples investigations.
Or, le 22 novembre 2015, sur le blog "Autour de Tanguy", un certain Bernard Vassor a publié un article "Abracadabrantesque : encore une idée reçue !!!" Il y cite un extrait du livre de Mario Proth de 1865 intitulé Les Vagabonds. Il y a une petite erreur de transcription du nom Proth ("Prot"), et le livre n'est pas un roman. Il est certains ouvrages en prose qui n'appartiennent à aucun genre, c'est le cas de plusieurs livres de Michelet comme La Mer, La Sorcière, etc., c'est le cas d'Une saison en enfer également, c'est le cas de ce livre Les Vagabonds qui, à la limite, pourrait porter le nom d'essai. Une autre erreur de cet article consiste à dire que Rimbaud aurait composé "Le Coeur supplicié" lors de son séjour à Douai, quand, en réalité Rimbaud n'a plus remis les pieds à Douai depuis octobre 1870, quand le poème "Le Coeur supplicié" est envoyé de Charleville au professeur Izambard le 13 mai 1871.
C'est moi qui, à partir de janvier 2017, ai fait remonter cette révélation dans le milieu des études rimbaldiennes comme on peut le vérifier dans le passé de ce blog. J'avais alors annoncé un article de recension sur l'ouvrage de Mario Proth, mais je n'avais toujours pas tenu ma promesse, ce que je vais combler prochainement. Depuis cette date, j'ai participé à un colloque parisien "Les saisons de Rimbaud" et je sais que l'idée d'une influence de l'ouvrage de Mario Proth sur Rimbaud est très peu prisée des rimbaldiens. Pourtant, cette mise au point, il va être temps de la faire.
Citons donc la réflexion intéressante qui figure sur le court article internet de Bernard Vassor :
C'est peut-être parce que (Ernest) Mario Prot[h] (1835-1891), journaliste, écrivain était né dans une banlieue de la ville de Douai (Sin-le-Noble) ville où Arthur Rimbaud séjournait quand il écrivit "Le Cœur supplicié" en mai 1871 (dans une lettre adressée à Georges Izambard, son professeur de rhétorique le 13 mai 1871).Comme nous pouvons le constater, la date d'édition du roman de Mario Proth est antérieur de 6 ans à la production du texte de Rimbaud.
Il y a un argument très fort. L'auteur est un pays de Paul Demeny et aussi des sœurs Gindre. Rimbaud a fait deux séjours assez consistants à Douai, il s'y est mêlé de politique et de littérature. Il a eu d'importantes discussions avec Izambard et a participé à des réunions publiques du temps de la naissante République, puisqu'il s'agissait de prendre les armes contre l'assaillant prussien après la chute de l'empereur à Sedan.
Le contexte a été favorable pour des mentions devant Rimbaud de Mario Proth et de son livre Les Vagabonds. C'est à Izambard lui-même que Rimbaud envoie la première version connue du "Cœur supplicié" et la seconde version connue du poème est envoyée le mois suivant à Demeny. Il faut ajouter que les lettres du 13 et du 15 mai 1871, où Rimbaud se déclare un "voyant", font état de réflexions littéraires. On a une véritable histoire de la littérature en raccourci dans la lettre à Demeny, mais, dans le cas de la lettre à Izambard qui contient "Le Coeur supplicié", il est aussi question d'une réflexion sur la littérature, réflexion qui implique l'appréciation du poème en triolets lui-même : satire ou fantaisie ? Izambard prétend avec vraisemblance qu'il a reçu lui aussi à l'époque des lettres où Rimbaud passait en revue les écrivains du passé en en daubant superbement les insuffisances.
Paul Demeny finira par publier un nouveau recueil de poésies intitulé Les Visions avec en pièce liminaire une composition intitulée "Les Voyants". Ce recueil sera publié en 1873. Le terme "voyant" a longtemps été qualifié d'invention littéraire de Rimbaud, avant qu'on ne modère cette impression en rappelant que c'est un poncif déjà sous la plume des romantiques qui l'utilisent avec une certaine fréquence (Hugo, Vigny, etc.). Les lettres du 13 et du 15 mai donnent peut-être une fausse impression que Rimbaud enseigne le terme aux adultes Izambard et Demeny. Mais Rimbaud ne reprendrait-il pas un terme qui aurait circulé dans leurs conversations douaisiennes en septembre ou octobre 1870. Il est vrai que la formulation de Rimbaud semble exclure cette hypothèse : "je dis qu'il faut être voyant...", cela semble indiquer qu'Izambard et Demeny n'ont jamais pensé qu'il fallait être voyant pour être poète. Mais, il n'est pas utile de gamberger sur ce que les trois ont pu se dire. Nous savons que Demeny emploie le terme dans son recueil de 1873, et que c'était un poncif sous les plumes de Vigny, Hugo, et quelques autres. Mario Proth a publié un livre où les écrivains ne sont pas des "voyants", mais des "vagabonds". Le terme "vagabonds" avec un arrière-plan de poésie en latin est capital dans les poésies de Verlaine et de Rimbaud, mais c'est aussi un poncif et un poncif qui ne demandera pas l'exclusif patronage d'un Baudelaire.
Le problème que pose pourtant l'ouvrage de Mario Proth aux rimbaldiens, c'est qu'il est assez peu sérieux et n'est pas digne d'entrer dans la genèse des lettres rimbaldiennes du 13 et du 15 mai 1871.
Pourtant, les points communs sont d'un emploi de l'adjectif "abracadabrantesques" et d'une histoire de la littérature pour dégager une essence du littéraire, du poétique.
Pour les rimbaldiens qui refusent l'idée d'une lecture de Mario Proth par Rimbaud, resterait alors à identifier une occurrence de l'adjectif "abracadabrantesque" distincte de celle de Mario Proth, et de préférence antérieure à 1865 sous la plume d'une vraie autorité des lettres. Une telle découverte est toujours possible, et l'idée d'une première mention du mot "abracadabresque" en 1852 semble permettre de resserrer la recherche entre 1852 et 1865. Mais il faudrait encore que Rimbaud ait eu accès à cette mention jusqu'à présent introuvable. En effet, une publication dans un article de journal ancien serait peu satisfaisante, y compris sous la plume de Gautier. Il nous faut une citation dans un livre. Or, personne ne semble l'avoir trouvée jusqu'à présent.
Alain Rey prétend sur une vidéo consultable sur internet que le mot existe depuis le début du dix-neuvième siècle, mais il n'en fournit aucune attestation. Tout se passe comme s'il confondait l'apparition du mot "abracadabrantesques" avec celle de l'adjectif "abracadabrant" elle bien attestée en 1832 et visiblement antérieure. Je ne vois pas très bien comment le mot "abracadabrantesques" pourrait dater du début du dix-neuvième siècle, alors qu'aucune mention antérieure à 1865 n'a jamais été exhibée. Je pense que, contrairement à moi, les rimbaldiens ont eu le temps de consulter les publications d'Alain Rey. Rien n'est remonté. Mais ce qui me paraît suspect, c'est que, d'après les recherches internet, l'adjectif "abracadabresque" ne semble avoir été utilisé qu'une seule fois par Gautier et l'unique attestation daterait de 1852. Evidemment, on peut considérer que les articles d'internet se sont contentés des mentions du Grand dictionnaire universel du dix-neuvième siècle de Pierre Larousse et il n'est pas exclu que nous trouvions des mentions plus anciennes de Gautier lui-même.
Toutefois, ce qui se dessine pour l'instant, c'est que le mot "abracadabrant" est apparu un peu avant 1832 et sa reconnaissance s'est faite dans le milieu journalistique ou dans la littérature disons d'essayiste, de critique, avant toute consécration dans la grande littérature. Le mot aurait été choyé par Léon Desnoyers dans ses articles pour Le Charivari en 1832, avec une forte association à la littérature dont on se moque : titre d'article en deux parties "Poésies abracadabrantes" et mention dans la deuxième partie "vers abracadabran[t]s". La première mention connue par Gautier en 1834 fait écho au texte de Desnoyers, il y est question de "vers abracadabrans". L'adjectif apparaît dans le recueil d'articles de 1844 intitulé Les Grotesques et il commence à devenir d'usage. En 1852, Gautier semble employer pour la première fois la forme "abracadabresque" qu'il aurait lui-même créée, en corrompant "abracadabrant" sur le modèle de son titre Les Grotesques. Je suis en l'état actuel des données récoltées porter à croire que "abracadabresque" est une formation de mot inspirée par le titre du livre de Gautier de 1844. Un démenti pourrait être apporté en signalant des mentions "abracadabresques" antérieures à 1844. Il reste une difficulté. Il est un peu difficile d'imaginer Mario Proth inventer lui-même l'adjectif "abracadabrantesques". Il manque probablement un intermédiaire dans la presse. Il fallait songer à relier la forme "abracadabrantes" à la forme "abracadabresques".
En attendant, dans la deuxième partie de cet article, je m'intéresserai au contenu du livre de Mario Proth que j'essaierai de rapprocher à plusieurs égards des écrits d'Arthur Rimbaud.
A suivre...
https://m.youtube.com/watch?v=2YuIi78QQhI
RépondreSupprimer« Apparu au début du XIXeme siècle ». Pour Alain Rey, co-fondateur du dictionnaire « Le Robert ».
Une vidéo du 28 octobre 2020, belle coïncidence, mais j'avais déjà signalé une mise en ligne en 2017 de cette vidéo, en 2017 même. Le problème, c'est que selon toute vraisemblance Alain Rey s'emmêle les pinceaux. Il a lancé son explication sans notes, il ne donne aucune attestation. Personne n'en a trouvé depuis 2017. Personne n'a cité une référence d'Alain Rey dans les livres qu'il a publiés. Or, le mot "abracadabrant", je n'ai même pas d'attestations antérieures à 1832. En plus, si par chance, on trouvait une attestation d'abracadabrantesque, ce que je ne crois pas qui arrivera (Rey s'est trompé, j'en suis sûr et si non donnez les preuves, les références !), il faudrait faire un pont jusqu'à 1865 avec Mario Proth. Bref, ça pue la merde.
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=cSfy7OPAYm4
SupprimerLien de la vidéo complète sur ce mot en 2016. Je cite : "Tous les français [ont été étonnés par l'adjectif proféré par Chirac] et ce qu'il y a d'amusant c'est que cet adjectif bizarre existait depuis le XIXe siècle, le début du XIXe siècle, et qu'il avait été immortalisé, croyait-on, par Rimbaud. Abracadabra [est un mot ancien du XVIe] [abracadabra 4 casse le 4]." Il définit abracadabra, pas l'adjectif de Rimbaud. Pas un mot sur "abracadabrant". Radotait-il ? J'ai signalé ce dictionnaire comme à consulter, personne ne m'a répondu. Pourquoi ?
Aussi dans la section lexicographie au mot « abracadabra » des citations d’auteurs qui ne sont pas inconnus de Rimbaud : « Cabalistique. Formule magique, utilisée pour guérir ou prévenir toutes sortes de maladies :
RépondreSupprimer1. Moi, je n'ai nul fluide, vous savez? Et je n'aboutis qu'à abax (table) et abacadara (abracadabra). Je mets cette magie blanche à vos pieds, blanche magicienne! V. Hugo, Correspondance,1853, p. 180.
2. − Parfois, répliqua Sigognac, tous les enchantements sont vains et l'ennemi pénètre en la place malgré les phylactères, les tétragrammes et les abracadabras. T. Gautier, Le Capitaine Fracasse,1863, p. 283. ».
Il semble peu probable que Rimbaud ait eu accès à la correspondance de Victor Hugo. Enfin cela dénote que le mot bien que rare n’était pas si inconnu des écrivains. Avec Gautier en tête.
Pour « abracadabrantesque » la seule occurrence est rimbaldienne et passe pour un nélogisme.
BAV.
Merci, mais vous citez quel ouvrage ?
SupprimerJ'ai réagi sous la vidéo du 28 octobre, mais je me fais traiter de mesquin avec le "Ok, boomer". Quoi que je fasse, je suis toujours à contre-temps pour rendre les gens intelligents. Je pense qu'ils ont aucune envie de l'être, mais vraiment. L'intelligence, ils détestent ça.
Alain Rey, il avait la baraka en or, il raconte n'importe quoi, ce qu'il raconte se diffuse, est cru, est félicité, moi jamais. Mon avenir de rimbaldien, ça doit être de trouver un mec qui a la baraka et lui faire dire en son nom mes découvertes. Sans ça, on progressera jamais. D'ailleurs, plus d'un truc dit par des rimbaldiens vient de moi et a plus de succès du fait que ce ne soit pas moi qui le porte.
Là, on a une bombe, l'adjectif "abracadabrant" est lié à l'évaluation littéraire. On a un commentaire qui fait une triangulation de trois commentaires, deux évidents (13 mai et 10 juin) et un de folie le 15 mai avec la transposition Musset-Izambard. On a aussi une amorce mais violente pour penser la poésie du voyant en fonction de l'expression "générations" "éprises de visions", en fonction de la relation de "flots abracadabrantesques" au "Bateau ivre", et il y a personne qui se réjouit, qui réagit. Mais moi, en tant que rimbaldien, mais je vis, et j'emmerde les règles auxquels on veut me plier en société, mais jamais, mais jamais je plierai. Ce que je vois des autres est tellement immensément répugnant...
pardeon coquille en fonction de la relation de "flots abracadabrantesques" à "bateau extravagant", variante du titre célèbre.
SupprimerMon deuxième commentaire comportait deux parties. La première n’a pas été publiée dans laquelle je donnais des informations qui me semblent importantes et je donnais la source.
RépondreSupprimerDans le CNRTL (centre national de ressources textuelles et lexicales) à l’entrée « abracadabrant » on lit à la deuxième occurrence ce texte de poids !: « 2. Flaubert, en malin qu'il est, a choisi, depuis quelques années, les milieux les plus colorés, les plus excentriques, les plus carthaginois, les plus épatants pour les bourgeois. Mais sous le décor et le costume, son humanité est diantrement poncive. Il n'y a pas chez lui la fantaisie abracadabrante d'un poète « haschiché » ou la retrouvaille psychologique d'un « voyant » dans les humanités mortes. E. et J. de Goncourt, Journal,1871, p. 845. »
Ah ok ! La première partie a dû se scratcher dans l'espace. Je ne l'ai vue nulle part. les messages passent par un temps où je dois les valider, mais il n'y avait que ce que j'ai édité.
SupprimerCitation super marrante, puisqu'on a à la queue leu leu, et c'est vraiment ça qui est comique : fantaisie / abracadabrante / "haschiché" (même si évidemment je conteste cet aspect de la lecture de "Matinée d'ivresse" et pas seulement moi d'ailleurs) / "voyant". En plus, ça daterait de 1871 même. Evidemment, Rimbaud ne peut avoir lu cet extrait du Journal, mais ça montrerait le fait d'un discours d'époque, ça prouve encore une fois que, même si c'était pour partie inconsciemment, l'adjectif "abracadabrante" était employé pour l'estimation littéraire la plupart du temps. Rimbaud a-t-il écrit aux Goncourt en 1871 ? Lol.
En fait, parmi les enjeux, il faut comprendre que "Le Coeur supplicié" on le minimise comme texte de voyant, Rimbaud évoquant lui-même son devenir futur. Le fait d'avoir mis en avant l'identification Musset-Izambard fait remonter deux formules "générations...éprises de visions" et l'insultante paresse d'ange de l'autorité Musset-Izambard. Avant cela, on avait le conflit entre la métaphore suivie d'une adhésion à la Commune et le fait que le poème soit déclaré une antithèse aux vignettes... Là, on passe à l'unité de la réponse à Izambard. En plus, "abracadabrant" est d'abord railleur sous la plume de Desnoyers, un début d'appropriation maligne, mais ironique, se fait avec Gautier et Nerval. Mais, dans le cas du "Coeur supplicié", comprendre l'importance de censeur d'Izambard permet de comprendre que Rimbaud revendique cet excès. Le pont est confirmé à plusieurs niveaux entre "Coeur supplicié" et "Bateau ivre", et on peut y ajouter "flots abracadabrantesques" et donc funambulesques avec "bateau extravagant", "extravagant" passait pour une variante peu motivée au "ivre" du titre connu. Mais "Voyelles", c'est aussi des visions abracadabrantesques quelque part, mais c'est du sérieux.
SupprimerJe coupe mon message pour qu'il passe et je poursuis sur "Voyelles" et un peu sur le couple "Coeur volé"/"Bateau ivre".
SupprimerDans les triolets, la métaphore du cadre maritime est évidente "poupe" et "flots", absente des deux premières versions la mention "gouvernail" confirme. Toute la métaphore est dans "Le Bateau ivre" et il faut identifier "flots" abraca..." au "Poème de la mer" bien sûr. Evidemment, il y a une différence. Dans les triolets, le poète est un passager du bateau sous le contrôle de la troupe. Dans "Le Bateau ivre", la troupe est liquidée, et l'identification est directement faite au bateau lui-même. Par ailleurs, "Le Bateau ivre" dresse les visions du poète en se nourrissant d'Hugo et selon un axe fortement politisé avec la Commune, les clins d'oeil aux Châtiments, plus "Pleine mer" et "Plein ciel". Le récit est raconté, articulé, développé par un sujet qui dit "je", donc la critique accepte le discours du poème.
Dans "Voyelles", les visions sont là, mais les commentateurs ne voyant qu'elles et pas le poète supposent que c'est un jeu, une fumisterie, etc.
Le concept de l'abracadabrant ou extravagant support des visions chéries par le poète prépare la revanche de ma lecture solidement étayée déjà sur "Voyelles". Déjà qu'on tend à me reprendre ce que j'ai établi : l'importance de la lumière, les couleurs-alphabet briques pour dire le monde et même le truc apocalytique, parce que je suis désolé tout ça avant mon passage n'était pas clamé si fort. Olvera s'est planté, mais quand on lui réplique qu'on savait déjà certaines choses on oublie de dire que j'ai planté les clous pour que tout le monde en soit sûr.
Or, "Voyelles", c'est les visions, et je rappelle qu'en 2003 j'insistais sur le modèle de "Credo in unam" derrière "Voyelles" et aussi sur Les Contemplations de Victor Hugo, ce que les gens ne voient pas dans toute son importance, mais "Voyelles", c'est la métaphysique de Rimbaud qui reprend plein de choses aux Contemplations, et à la fin il y a des corrections du point de vue d'Hugo qui reste dans l'optique traditionnelle de la matière le mal mais pénétré par Dieu. Jour après jour, mon combat pour bien lire "Voyelles" se gagne. Les quatrains, c'est la divinité dans le monde qui I rouge devient activité humaine et les tercets c'est l'Homme qui remonte à Dieu. Et le regard final, c'est forcément la rencontre du divin. Le I rouge aboutissement du divin qui sublime l'humain, U vert et O bleu l'alchimie qui voit Dieu. Le regard final n'est sûrement pas le regard du poète, le cogito c'est pas la découverte d'un regard, c'est l'assurance de la conscience. Or, le rayon violet, c'est pas l'assurance en soi, c'est ce qu'on gagne en fouillant l'insondable gouffre comme dit Hugo.
Je ne sais. Simple réaction nullement étayée est que je ne puis me faire à l’idée d’une telle coïncidence. Sans doute manque-t-il des pièces. Flaubert est clairement nommé. Allusion est faite à Baudelaire (chercher de ce côté ?) à qui renvoie la mention de « voyant » mot qui a au moment où Rimbaud le reprend une histoire littéraire.
SupprimerMais avec la mention « haschich » on pense aussi à Gautier qui participa au Club des Haschischins (avec Nerval !). On sait par ailleurs qu’il écrivit un feuilleton « le Haschich » en juillet 1843 et un autre texte en 1846.
Pour dire que certains mots semblent aller en cercle clos et tourner chez quelques auteurs seulement. Dans l’extrait, il y a comme une opposition, ou en tout cas sur le mode alternatif, entre les visions du haschich d’une part, les visions du voyant d’autre part.
Pour le reste, Internet est un drôle d’endroit qui ne mérite pas qu’on s’y appesantisse trop. Croyez que votre travail n’est pas perdu pour tous, va !
J'ai un peu de mal à comprendre certaines phrases.
SupprimerPour les coïncidences ou le hasard, je me suis construis contre leur idée à partir au moins de mon adolescence. Par exemple, dans je ne sais plus quel album de la BD Ric Hochet, le héros disait qu'il ne croyait pas aux coïncidences et au hasard. Evidemment, la coïncidence n'en était plus une au cours de l'enquête. Mais tout était conçu par un auteur. Dans la vie, on voit que les coïncidences, il faut en accepter une certaine dose. D'ailleurs, enregistrons celle du moment. Je publie coup sur coup deux articles sur "abracadabrantesques" où j'évoque l'affirmation bien suspecte de Rey, et paf vous filez une vidéo hommage, c'est le jour de sa mort (j'ai vu ça, mais sans en lire une ligne dans un article du journal en allant boire un café tout à l'heure) et l'hommage parle pile poil d'abracadabrantesque dans le titre donné à la vidéo, avec un côté pique que je pourrais prendre personnellement (expliquer comme personne). Je prends ça comme une coïncidence, on a la preuve qu'il y a d'énormes coïncidences.
Dans le cas d'abracadabrantesques et d'abracadabrant, le cas est différent, il y a une trame formée autour des occurrences et il va de soi que sortir une occurrence de 1813 avec le plaisir divin de m'emmerder ne cadrerait pas avec le tissu serré des données, il y aurait plein de problèmes logiques. Je suis donc confiant. Je n'exclus pas une autre mention que celle de Mario Proth, mais je suis certain que Rey s'est emmêlé les pinceaux et n'avait rien dans son jeu. Les livres, ils existent, on ne va pas sortir une citation inédite d'une discussion au milieu des Halles en 1824. "Abracadabrantesque", c'est dans les livres.
Le Journal des Goncourt en 1871, Rimbaud ne l'a pas lu, je m'arrête à ça. En revanche, on peut imaginer qu'il y ait un texte à l'origine de celui des Goncourt, mais j'éviterai de partir bille en tête sur de grands chevaux à ce sujet.
Il est vrai toutefois que le drame français, c'est qu'on n'a pas conservé les journaux d'époque en suffisantes quantités dans les bibliothèques (au passage, encore une idée de moi, publiée, mais dont Teyssèdre s'est servi pour se faire mousser à la radio en parlant de son livre et j'en ai eu le retour étonnant à mes oreilles comme si on me l'apprenait). Mais, bref.
Pour le hachisch, mon refus est celui d'une lecture de "Matinée d'ivresse" par sa consommation. Cette lecture pose problème, ne marche pas avec le poème. Le danger, c'est de présupposer qu'elle marche forcément. On peut continuer à chercher à la remettre sur le tapis, mais il y a le danger de l'idée préconçue qui veut à tout prix qu'elle y soit. On voit quand même que même sur "Le Coeur volé", j'arrive encore à ajouter des arguments à mon interprétation solitaire que les "vieilles fanfares d'héroïsme" ne sont pas les aspirations du voyant, mais le rire de la troupe générale, et que du coup les assassins peuvent dans "Barbare" comme dans "Matinée d'ivresse" désigner des ennemis.
Vous dites que mon travail n'est pas perdu et qu'internet est un drôle d'endroit, certes, mais j'ai été passé sous silence dans le livre de Claisse, dans plusieurs autres, ou bien minimiser, j'ai des remerciements oraux, jamais écrits, ou bien on dit qu'on aurait dû me citer après que des bouquins ne m'évoquant pas paraissent. J'exaspère à peu près tout le monde : les rimbaldiens, les élèves, le monde de l'enseignement, le monde des gens qui cherchent de la culture. On me dit que je ne dois pas m'emporter, mais si je ne m'emporte pas, si je suis docile, on prend allègrement dans ce que je produis sans me citer.
SupprimerMoi, j'aurais apprécié d'être reconnu, de passer dans une émission télé. Pas en prime time, pas de devenir une vedette, mais marquer le coup. Mais, là, c'est fini, je fuirai cela comme la peste. Je ne veux plus de reconnaissance large, je suis construis pour détester qu'on aime quand l'autorité est déclarée publiquement, et je n'ai aucune envie de rester poli et de ne pas froisser les gens quand ils viendront sympathiser et partager leurs lectures. Je n'ai aucune envie de m'abaisser à faire semblant de prendre en considération ce qui est largué, j'ai payé le prix fort, je ne veux pas avoir d'amis contre mon gré à cause d'une notoriété. Après, je peux me consoler en me disant que tous ces gens qui veulent être reconnus auprès des autres en parlant de Rimbaud, ils réussissent mieux que moi cela, mais on passe tant de temps à lire que je préfère mon excitation intellectuelle à la leur à la fin des fins. Je passe plus de temps qu'eux à être heureux en lisant, en me cultivant. Mais vivre dans une société qui a de l'appétence, ben non ça se créera pas en deux secondes, c'est mort, j'en ai fait mon deuil.
Je suis construit à corriger deux fois. Lol.
Supprimer