Revenu depuis quelque temps à Paris, Rimbaud écrit une lettre datée "Parmerde. Jumphe 72" à son ami Ernest Delahaye.
Deux paragraphes de cette lettre décrivent successivement les deux dernières résidences parisiennes du poète, une pour le mois de mai, une pour le mois de juin.
Commençons par le récit que nous fait Rimbaud de la première des deux chambres qu'il nous décrit.
Maintenant c'est la nuit que je travaince. De minuit à 5 du matin. Le mois passé, ma chambre, rue Mr-le-Prince, donnait sur un jardin du lycée Saint-Louis. Il y avait des arbres énormes sous ma fenêtre étroite. A 3 heures du matin, la bougie pâlit : tous les oiseaux crient à la fois dans les arbres : c'est fini. Plus de travail. Il me fallait regarder les arbres, le ciel, saisis par cette heure indicible, première du matin. Je voyais les dortoirs du lycée, absolument sourds. Et déjà le bruit saccadé, sonore, délicieux des tombereaux sur les boulevards. - Je fumais ma pipe-marteau, en crachant sur les tuiles, car c'était une mansarde, ma chambre. A 5 heures, je descendais à l'achat de quelque pain ; c'est l'heure. Les ouvriers sont en marche partout. C'est l'heure de se soûler chez les marchands de vin, pour moi. Je rentrais manger et me couchais à 7 heures du matin, quand le soleil faisait sortir les cloportes de dessous les tuiles. Le premier matin en été et les soirs de décembre, voilà ce qui m'a ravi toujours ici.
Une lettre de Verlaine à Rimbaud comportait la mention "à samedi, vers 7 heures", ce qui, par recoupements, invite à penser que Rimbaud est revenu à Paris le 4 mai 1872. Plusieurs de ses compositions sont datées du mois de mai 1872 : "Comédie de la soif", "Bonne pensée du matin", "La Rivière de Cassis", "Larme" et les trois premières pièces sur les quatre réunies sous le titre de Fêtes de la patience : "Bannières de mai", "Chanson de la plus haute Tour" et "L'Eternité". Quatre de ces poèmes sont parmi les plus beaux du monde : "Larme", "La Rivière de Cassis", "Bannières de mai" et "L'Eternité". Le poème "Chanson de la plus haute Tour" est particulièrement apprécié par un grand nombre de lecteurs. Enfin, ni "Comédie de la soif", ni "Bonne pensée du matin" ne sont des compositions faibles. En revanche, il est fort probable qu'une partie de ces compositions aient été inventées en avril, puis recopiées en mai et abusivement datées du moment du recopiage. En revanche, à cause du quatrième poème "Âge d'or" inséré dans les Fêtes de la patience dont un manuscrit autographe porte la mention "Juin 1872", la datation "Mai 1872" paraît résolument fiable quant aux pièces "Bannières de mai", "Chanson de la plus haute Tour" et "L'Eternité", et il est amusant de constater que la variation de titre pour le premier de ces trois poèmes coïncide avec un caprice étrange de la lettre à Delahaye. En effet, la lettre est datée de "Jumphe", c'est-à-dire de juin, et le poète parle d'une chambre où il a résidé "le mois passé", c'est-à-dire en mai, un mois qui fait intégralement partie du printemps. Pourtant, Rimbaud associe les effets de l'aube au mois de mai à un "premier matin en été". De la même manière, le titre "Bannières de mai" est devenu "Patience d'un été" en imposant une équivalence "mai"/"été".
Selon un autre témoignage de Verlaine, c'est d'ailleurs à la même époque juste avant le départ pour la Belgique le 7 juillet que Rimbaud aurait écrit des poèmes en prose tels que "Aube" et "Veillées I".
Nous aimerions donc nous faire une idée de cette chambre rue Monsieur-le-Prince qui a bercé quelques-uns des plus saisissants moments d'inspiration du poète Arthur Rimbaud. Existe-t-elle encore ?
Sans chercher à faire un historique des recherches biographiques à ce sujet, nous allons citer ici la biographie Arthur Rimbaud de Jean-Jacques Lefrère parue en 2001. Il s'agit selon toute vraisemblance d'une compilation d'écrits et recherches de plusieurs chercheurs, car certains rimbaldiens s'étonnent parfois de certaines soudures et incongruités (un exemple : mention, peut-être par Pakenham ?, des "Archives de la Seine", bien qu'elles n'existent plus depuis les années soixante, etc.). L'ouvrage a une réputation d'étude biographique de référence, ce que nous pouvons lui concéder, malgré un nombre considérable d'erreurs qui le rendent bien moins fiable qu'il n'y paraît.
Que dit cette somme à propos de la chambre de la rue Monsieur-le-Prince ? Elle reprend une des deux hypothèses jadis lancées par Pierre Petitfils :
On ne connaît pas la localisation exacte de la maison. Comme Rimbaud précise dans une lettre qu'il a vue sur un jardin et sur les dortoirs du lycée Saint-Louis, cette chambre était peut-être dans les derniers étages de l'Hôtel de l'Orient (aujourd'hui Hôtel Stella), à l'angle de la rue Monsieur-le-Prince et de la rue Racine. Ce quartier était familier à Rimbaud : il avait fréquenté l'atelier de Forain et Jolibois au 22 de la rue Monsieur-le-Prince et passé quelques nuits blanches ou noires dans le local du Cercle zutique, au croisement des rues Racine et de l'Ecole-de-Médecine avec le boulevard Saint-Michel.
Nuancé, l'auteur ne dit pas que Rimbaud a dû loger dans cette rue au même moment que Forain et Jolibois, mais que Forain et Jolibois ont logé un petit peu plus tôt dans la même rue. Mais, surtout, ce que cet auteur ne dit pas et qui, pourtant, fait partie de l'impression d'ensemble qui a dû motiver son rapprochement, c'est que le numéro 22 est situé juste en face de l'entrée de l'Hôtel Stella, de l'autre côté de la rue, cependant qu'à côté de cet Hôtel, à l'angle de la rue Racine qui ramène directement à l'Hôtel des Etrangers, nous avons le restaurant Polidor qui était jadis un restaurant-crèmerie très prisé de Paul Verlaine et de Germain Nouveau, deux anciens compagnons de route de Rimbaud. Le témoignage de Nouveau est d'autant plus important à ce sujet que sa montée à Paris était plus récente que celle de Rimbaud lui-même et qu'il écrivait cela d'Angleterre, quand il était en compagnie précisément du poète des Illuminations. Enfin, il faut remarquer que le lycée Saint-Louis dont il est question dans la lettre à Delahaye est pris à l'intérieur d'un triangle formé par une portion de la rue Racine, une portion de la rue Monsieur-le-Prince et une portion du boulevard Saint-Michel. Cependant, le lycée n'occupe pas tout l'espace, ni même n'est présent tout du long sur les trottoirs, il est caché dans les rues Racine et Monsieur-le-Prince par toute une série d'immeubles qui bordent le trottoir parmi lesquels justement le restaurant Polidor et l'Hôtel Stella. Enfin, dans le prolongement de la rue Racine, nous parvenons jusqu'à la place de l'Odéon avec son théâtre.
Avec un tel ensemble de repères, je me suis rendu à l'Hôtel Stella pour obtenir des informations, mais je n'ai pas visité la prétendue chambre de Rimbaud, de toute façon "démansardée". En revanche, au premier étage, dans la salle d'accueil, j'ai rencontré une première fois le mari de la gérante, une seconde fois la gérante elle-même. Par la fenêtre, j'ai vu alors un mur d'un bâtiment du lycée Saint-Louis, mur qui n'était qu'une largeur de bâtiment et qui ne comportait pas véritablement de fenêtres dignes de ce nom, ce qui ne permettait pas de deviner la présence de dortoirs. Il y avait bien un espace intérieur que la gérante m'a désigné comme un jardin, mais un espace assez nu que même la présence d'arbres ne permettait pas vraiment d'appeler un jardin. J'en étais là de mes investigations, déjà heureux de profiter du carrelage d'époque du restaurant Polidor juste à côté, et je me disais que, le jour où j'aurais plus d'argent, je louerais la prétendue chambre pour faire les vérifications nécessaires et prendre des photographies. Je dois avouer que la gérante m'a proposé de voir la chambre, mais, outre et peut-être surtout parce que je n'avais pas d'appareil photographique sur moi, j'ai eu la soudaine idée pudique de décliner l'invitation qui pourtant m'enlevait le devoir d'audace. Je ne sais pas ce qui m'a pris, mais c'est ainsi.
Et voilà qu'André Courtial me contacte et, suite à nos échanges, il se lance dans une enquête au sujet de cette chambre rue Monsieur-le-Prince. Il a fait des déplacements sur place, il a consulté des plans du lycée Saint-Louis, les calepins d'époque tenus par le fisc, quelques autres documents comme des annuaires et il a abouti à des conclusions auxquelles je me range pleinement.
Au numéro 41, proche de l'angle de la rue Racine, l'Hôtel Stella, ancien Hôtel de l'Orient, n'offre pas une vue sur ce qu'on appelait précisément le jardin du lycée Saint-Louis, mais sur une cour. Le jardin proprement dit était à plus de cent mètres de l'hôtel, et déjà à cette époque, à s'en fier à deux plans de 1880 et 1890, deux étages très haut de plafond du lycée empêchaient un locataire d'une mansarde du quatrième étage à l'Hôtel de l'Orient de voir le jardin du lycée. Immeubles de cinq étages toujours présents aujourd'hui, les numéros 49 et 51 de la rue Monsieur-le-Prince masquaient eux aussi la vue. Les vérifications sur place confirment cette impossibilité. La gérante explique que les rimbaldiens penchent pour une résidence dans la chambre numéro 24 où la vue est bouchée par un mur très haut du lycée, sans fenêtre. Ce mur n'existait pas en 1872, il est à une dizaine de mètres de l'hôtel et il a pris la place des anciens réservoirs. Cependant, comme aucun jardin n'y est visible, la gérante considère que la chambre la plus probable serait au numéro 18, sur la droite quand on est face au mur du lycée. De là, on voit sur la droite l'extrémité de la cour du lycée avec le court de tennis.
Lien d'une vue satellite sur Google Maps pour bien se faire une idée
Le jardin aurait été les serres du lycée dont on ne voit que le toit en verre ou plexiglass, serres et toit visibles par vue satellite aussi, mais qui n'existaient pas en 1872, ce qui veut dire que, de cette mansarde, on ne voyait pas un jardin, mais une cour. Les plans emploient des mots précis. Le lycée est composé de trois cours, mais d'un seul jardin. Et dans un calepin de 1862 consacré au lycée Saint-Louis, il est bien précisé que le jardin se situait "à l'extrême-gauche", en entrant par le Boul' Mich' et non pas à proximité de la crèmerie Polidor, autrement dit ce n'était que d'un tout autre côté de la rue Monsieur-le-Prince qu'une vue pouvait être espérée sur le jardin du lycée. En revanche, d'autres hôtels ont pu exister par le passé dans la rue Monsieur-le-Prince, d'autres hôtels plus proches de l'extrême-gauche de l'entrée par le Boul' Mich', par exemple des numéros 55 à 63. Ces hôtels ont pu cesser d'être des hôtels ou bien même ils ont pu être détruits. Et c'est là que ça devient intéressant.
Lien d'une vue satellite sur Google Maps pour bien se faire une idée
Le jardin aurait été les serres du lycée dont on ne voit que le toit en verre ou plexiglass, serres et toit visibles par vue satellite aussi, mais qui n'existaient pas en 1872, ce qui veut dire que, de cette mansarde, on ne voyait pas un jardin, mais une cour. Les plans emploient des mots précis. Le lycée est composé de trois cours, mais d'un seul jardin. Et dans un calepin de 1862 consacré au lycée Saint-Louis, il est bien précisé que le jardin se situait "à l'extrême-gauche", en entrant par le Boul' Mich' et non pas à proximité de la crèmerie Polidor, autrement dit ce n'était que d'un tout autre côté de la rue Monsieur-le-Prince qu'une vue pouvait être espérée sur le jardin du lycée. En revanche, d'autres hôtels ont pu exister par le passé dans la rue Monsieur-le-Prince, d'autres hôtels plus proches de l'extrême-gauche de l'entrée par le Boul' Mich', par exemple des numéros 55 à 63. Ces hôtels ont pu cesser d'être des hôtels ou bien même ils ont pu être détruits. Et c'est là que ça devient intéressant.
Courtial a relevé que, dans le Bottin du commerce, il est fait mention de deux hôtels qui correspondraient mieux à la description de Rimbaud. Au numéro 63, il y avait une "maison meublée". Seul le bâtiment du fond permettait éventuellement de voir le jardin, mais il n'est question que de fenêtres sur cour, pas de fenêtres sur un jardin, dans la description du calepin correspondant. Nous pouvons vérifier sur Google Maps dans la mesure où ce bâtiment n'a pas changé. Ce bâtiment aux tuiles rouges est adossé à l'hôtel Trianon construit en 1912 le long de la rue Vaugirard, ce qui invite à exclure l'idée d'une fenêtre offrant une vue sur le jardin lui-même.
En revanche, il existait un Hôtel de Saône-et-Loire au numéro 59. Cet hôtel a été détruit en 1911 et il faut comprendre qu'il était en partie sur l'emplacement de l'actuel hôtel Trianon. Et surtout, ce qu'il faut comprendre, c'est que nous pouvons aujourd'hui nous promener librement sur l'emplacement du jardin du lycée Saint-Louis, puisqu'il s'agit précisément de ce bout de la rue Vaugirard qui fait la liaison entre la rue Monsieur-le-Prince et le boulevard Saint-Michel. En effet, la rue Vaugirard s'arrêtait au croisement de la rue Monsieur-le-Prince, elle n'allait pas jusqu'au boulevard Saint-Michel avec en face la place de la Sorbonne. D'ailleurs, ce bout de rue n'est pas dans le prolongement de la rue Vaugirard initiale à laquelle on l'a nominativement rattaché. En effet, ce bout de rue avec ses trottoirs était une partie du lycée Saint-Louis et, les murs externes mis à part, cet espace correspondait au jardin du lycée Saint-Louis. Sans le savoir, quantité de passants foulent le coin secret et caché admiré jadis par Rimbaud ! Il est là sous nos yeux, sous nos pas même, mais tout a changé. Et, dans de telles conditions, nous comprenons que l'actuel hôtel quatre étoiles du Trianon permet seul d'offrir une chambre approchant un tantinet du spectacle décrit par Rimbaud dans sa lettre à Delahaye. Car des chambres de l'hôtel Trianon, nous avons une vue sur toute une aile du lycée Saint-Louis, et la vue est indiscutablement indiscrète. Actuellement, nous ne voyons pas un jardin et des arbres, mais une rue et deux trottoirs. En tournant la tête sur la gauche, nous avons une vue sur les tours de l'église de Saint-Sulpice (pensons au lieu de rencontre des Vilains Bosnhommes pas loin sur la même place à la fin septembre 1871 avec la présentation de Rimbaud) et nous pouvons bien apprécier à l'arrière-plan la silhouette de la Tour Eiffel qui n'existait pas à l'époque de Rimbaud, pas plus que le Sacré-Coeur en haut de Montmartre qui, lui aussi, se voit par-dessus les toits de Saint-Louis, du moins dans les chambres du septième étage de l'Hôtel Trianon Rive Gauche. En tournant la tête vers la droite, nous avons une vue sur le boulevard Saint-Michel et sur la Sorbonne et sa place. Toutefois, il faut se garder d'identifier l'hôtel actuel de sept étages avec l'Hôtel de Saône-et-Loire qui n'avait pas les mêmes dimensions. Rimbaud était plutôt au quatrième étage, dans une mansarde de l'hôtel. Il n'avait pas une vue par-dessus les toits, ni ne jouissait d'une ouverture sur le boulevard Saint-Michel. Enfin, s'il existe peu de renseignements précis permettant de localiser les dortoirs du lycée Saint-Louis, Courtial a découvert un livre d'un certain Trouillet de 1890 Le Lycée Saint Louis qui indique que le lycée était passé de 500 à 320 pensionnaires à partir de 1886, ce qui implique la présence d'une dizaine de dortoirs probablement éparpillés dans tous les bâtiments.
Que s'est-il passé pour qu'il ne nous soit plus loisible d'identifier la chambre où a logé Rimbaud ? L'Hôtel de Saône-et-Loire a été racheté par l'Etat en 1882 d'après le calepin consulté par Courtial et c'est ce qui explique sa présence sur un plan de 1890 consultable en ligne sur le site Gallica de la Bibliothèque Nationale de France. Le lycée était déjà propriété de l'Etat, ce que mentionne bien sûr le calepin de 1862 qui lui est consacré. Ce plan avec mise en relief de l'hôtel où visiblement Rimbaud a logé est exceptionnel et un renvoi y est indispensable. Quelques décennies après son rachat par l'Etat, cet hôtel a été détruit ainsi que ce côté du lycée Saint-Louis en 1911, en permettant la création d'un prolongement de la rue Vaugirard jusqu'au Boul' Mich'. Il n'existe plus de numéro 59 dans la rue Monsieur-le-Prince, et l'Hôtel Trianon Rive Gauche se situe au 1bis de la rue de Vaugirard.
Pour ceux qui voudront vérifier sur place à Paris, il faut repérer bien évidemment l'intersection entre la rue Vaugirard et la rue Monsieur-le-Prince comme elle apparaît sur le plan. Il faut ensuite considérer un très léger décalage de quelques pas sur le côté pour se représenter le bâtiment plus nettement grisé sur le document qui n'est autre que l'Hôtel de Saône-et-Loire inclus dans le lycée Saint-Louis, par opposition avec des parties hachurées plus claires qui représentent la masse des autres immeubles. Cet emplacement est à peu près celui de l'actuel hôtel Trianon construit en 1912. En 1911, l'Hôtel de Saône-et-Loire a été préalablement détruit, mais aussi le jardin et une partie des murs sur le pourtour du lycée. Une partie du jardin avec un peu de bâtiment est devenue le bout de rue Vaugirard qui relie la rue Monsieur-le-Prince et le boulevard Saint-Michel. Dans le détail, on comprend que la transposition ne saurait être parfaite entre l'Hôtel Trianon et l'Hôtel de Saône-et-Loire, il sera impossible peut-être de rendre les angles précis de la vue qui s'offrait à Rimbaud. Remarquons tout de même que l'aile du lycée Saint-Louis a été visiblement remaniée à l'angle de la rue Monsieur-le-Prince, sur le bout de façade où figure la mention "Lycée Saint-Louis" il n'y a pas étage par étage cette construction de briques jaunes avec un motif de lignes alternées caractéristique de l'édifice. Au plan de 1890, malgré tous les défauts de la démarche, je joins donc des photographies faites à partir d'une fenêtre d'une chambre du septième étage de l'hôtel Trianon où nous avons reçu le plus aimable accueil, pour que nos lecteurs puissent se faire une idée précise du lieu mythique décrit par Rimbaud et de sa transformation. Sur la première photographie, vous pouvez noter la différence de couleur du mur du lycée pour tout un alignement de fenêtres du côté de la rue Monsieur-le-Prince. Songez aussi que nous sommes sans doute trop haut et peut-être même trop éloigné de la rue Monsieur-le-Prince par rapport à la vue des bâtiments et environs qui devait être celle de Rimbaud. Les arbres ont disparu, ce n'est pas la première heure du matin, ni le mois de mai. Ces photographies sont prises vers 17h30 un samedi 31 mars 2018. La nuit qui a suivi, la lune était si brillante et la couverture de nuages si particulière que, dans une voiture qui filait vers Toulouse, je voyais le contour intensément blanchi des nuages, leurs superpositions avec des nuages noirs passant sur des masses plus claires, des spectacles de dentelle que même le jour les nuages ne donnent jamais, avec l'élévation des sapins sur les talus, des arbres aux branches minces et nues, saisis par ce verbe de la nuit... Tout cela se passait vers Tulle, vers Limoges, etc., entre vingt-trois heures et deux heures du matin. Avais-je récupéré quelque chose du rêve de Rimbaud en cet endroit ?
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En revanche, si, dans la suite de sa lettre à Delahaye, Rimbaud décrit une chambre dans un hôtel qui existe toujours à l'heure actuelle, le manque de précisions ne permet pas d'identifier sa localisation exacte.
Le gérant de l'Hôtel de Cluny rue Victor-Cousin prétend que le poète a logé au sixième étage qui a une mansarde. Mais, dans la lettre à Delahaye, c'est dans l'extrait cité ci-dessus qu'il est question d'une mansarde, dans la description donc de la chambre rue Monsieur-le-Prince que Rimbaud abrège à l'anglaise "Mr-le-Prince" (au lieu de "M.-le-Prince").
Nous connaissons mal les compositions de Rimbaud en juin 1872, mais deux poèmes en vers sont associés à cette date. J'ai déjà évoqué la quatrième pièce des "Fêtes de la patience" : "Âge d'or", il faut y ajouter un poème daté du "27 juin 1872" et transcrit sur un reste de lettre de Forain, ce poème s'intitule "Jeune Ménage" et commence ainsi : "La chambre est ouverte au ciel bleu-turquin ; / [...]" Peut-il s'agir d'une autre description de la chambre de l'Hôtel de Cluny ? Il est permis d'en douter. En tout cas, citons cette autre description de logement faite au compère Delahaye en juin 1872 :
Mais, en ce moment, j'ai une chambre jolie, sur une cour sans fond mais de 3 mètres carrés. - La rue Victor-Cousin fait coin sur la place de la Sorbonne par le café du Bas-Rhin, et donne sur la rue Soufflot, à l'autre extrém. - Là, je bois de l'eau toute la nuit, je ne vois pas le matin, je ne dors, pas, j'étouffe. Et voilà.
L'adversatif "Mais" donne l'idée d'une opposition entre les deux chambres. La mansarde faisait plus rêver que la "chambre jolie" visiblement. Le poète préfère délimiter les coins de la rue où il loge, il évoque même deux lieux de soulerie assez proches : le café du Bas-Rhin (où il a dû amener Delahaye quelques mois auparavant) et, si nous considérons le tout début de la missive, "l'académie d'Absomphe", qui n'est pas très loin du Panthéon et de la rue Soufflot, au 176 rue Saint-Jacques.
C'est par confusion entre les deux descriptions que le gérant de l'Hôtel de Cluny s'est persuadé que Rimbaud avait logé au sixième étage, dans une mansarde. Rien de tel n'est dit dans la lettre. L'expression "cour sans fond" favoriserait pourtant l'idée d'une certaine hauteur : "une cour dont on ne voit pas le fond parce que nous sommes trop haut".
Citons le calepin de 1862 consacré à l'hôtel de Cluny :
Cette maison a son entrée par une portebâtarde simple.
Elle est composée d'un corps de logissemi double simple en profondeur avec prolongement en aile droite de cour, élevé sur caves, d'un rez de chaussée, 5 étages carrés, 6° lambrissé.
Bonne construction en pierres et moëllons.
Escalier commode mais un peu sombre dans les étages inférieurs.
2 fenêtres de face.
une boutique et 26 autres locatives.
le tout à usage d'hôtel meublé.
Il y a une cour en arrière
Les traits pour biffer sont au crayon rouge, je pense avoir correctement déchiffrer la ligne, visiblement mal rédigée, "une boutique et 26 autres locatives".
D'après le calepin de 1862, il est question d'une construction sur caves du corps de logis lui-même, et le problème c'est que nous ne pouvons plus apprécier le sol de la cour tel que l'a vu Rimbaud, la cour n'étant pas décrite avec détail dans le calepin du fisc. Or, depuis, tout a été transformé. Ceci dit, il y a une information précieuse, celle des "3 mètres carrés". L'idée d'une cour de "trois mètres carrés" est étrange, c'est assez minuscule, puisqu'un côté ferait moins de deux mètres (1,75m environ). Même une cour carrée de trois mètres de côté, cela semble assez étroit. A ne s'en fier qu'à des plans, Rimbaud aurait exagéré. La cour intérieure formerait plutôt un carré de sept mètres de côté, ce qui est logique car sur chaque mur formant la cour, à chaque étage, deux fenêtres donnent sur cette cour. Mais toutes les fenêtres n'appartiennent bien sûr pas à l'hôtel de Cluny. Le calepin spécifie qu'il y a deux chambres à chaque étage donnant sur la cour dont une "avec une alcôve", fait non mentionné par Rimbaud qui peut inviter à penser qu'il n'y pas plus à chaque fois qu'une candidate possible par étage. Voici, relevé par Courtial, un plan datant de 1890. Les cours intérieures du numéro 6 et du numéro 8 sont assez identiques. Il s'agirait d'une cour carrée de sept mètres de côté, et, malgré l'exagération de Rimbaud, elle pourrait bien se révéler assez sombre.
Citons le calepin de 1862 consacré à l'hôtel de Cluny :
Cette maison a son entrée par une porte
Elle est composée d'un corps de logis
Bonne construction en pierres et moëllons.
Escalier commode mais un peu sombre dans les étages inférieurs.
2 fenêtres de face.
le tout à usage d'hôtel meublé.
Les traits pour biffer sont au crayon rouge, je pense avoir correctement déchiffrer la ligne, visiblement mal rédigée, "une boutique et 26 autres locatives".
D'après le calepin de 1862, il est question d'une construction sur caves du corps de logis lui-même, et le problème c'est que nous ne pouvons plus apprécier le sol de la cour tel que l'a vu Rimbaud, la cour n'étant pas décrite avec détail dans le calepin du fisc. Or, depuis, tout a été transformé. Ceci dit, il y a une information précieuse, celle des "3 mètres carrés". L'idée d'une cour de "trois mètres carrés" est étrange, c'est assez minuscule, puisqu'un côté ferait moins de deux mètres (1,75m environ). Même une cour carrée de trois mètres de côté, cela semble assez étroit. A ne s'en fier qu'à des plans, Rimbaud aurait exagéré. La cour intérieure formerait plutôt un carré de sept mètres de côté, ce qui est logique car sur chaque mur formant la cour, à chaque étage, deux fenêtres donnent sur cette cour. Mais toutes les fenêtres n'appartiennent bien sûr pas à l'hôtel de Cluny. Le calepin spécifie qu'il y a deux chambres à chaque étage donnant sur la cour dont une "avec une alcôve", fait non mentionné par Rimbaud qui peut inviter à penser qu'il n'y pas plus à chaque fois qu'une candidate possible par étage. Voici, relevé par Courtial, un plan datant de 1890. Les cours intérieures du numéro 6 et du numéro 8 sont assez identiques. Il s'agirait d'une cour carrée de sept mètres de côté, et, malgré l'exagération de Rimbaud, elle pourrait bien se révéler assez sombre.
Le problème, c'est que quand on se rend sur place, ce n'est pas du tout le spectacle donné par la cour intérieure actuelle. Pour les dimensions, seule une verrière correspond avec l'idée d'une cour carrée sans fond de trois mètres de côté. Cette verrière dévoile un sous-sol éclairé avec des gens qui attendent sur des chaises. Ceci dit, non seulement ce sous-sol semble faire partie d'un autre bâtiment, mais la verrière est contre un bâtiment en face, de l'autre côté de la cour, et pas du tout contre les deux murs qui appartiennent à l'hôtel lui-même. Un muret assez bas permet même de prolonger la cour intérieure par une autre. Ce muret peut induire en erreur lors de consultations de plans. Il est très bas, il ne s'agit pas d'un mur à hauteur de six étages du tout. Si nous nous contentons de consulter un plan, nous ne pouvons qu'ignorer le caractère dérisoire de cette délimitation entre deux cours distinctes. Pourquoi Rimbaud a-t-il parlé d'une minuscule cour sans fond ? Il y a une énigme que pourrait nous cacher les travaux opérés sur la surface de cette cour, et il serait risqué, voire gratuit, d'affirmer que Rimbaud songeait à un trou vers le sous-sol qui n'aurait été à l'époque qu'une partie de la cour intérieure, et une partie éloignée de son bâtiment. Normalement, Rimbaud semble décrire la vue plongeante immédiate qui s'offre à lui quand il ouvre la fenêtre.
Ce mystère demeure à résoudre, principalement à cause de la présence d'un simple petit muret qui ne permet pas de vanter l'obscurité et l'étroitesse de la cour intérieure actuelle.
En revanche, le poète se plaint de sa situation. Pensons que son humeur s'altère entre le mois de mai et le mois de juin. Le temps de la fugue belge à partir du 7 juillet 1872 approche. Rimbaud, qui va presser Verlaine de partir avec lui, souffre de son manque de sommeil, de la chaleur. Le climat et les finances, ou bien le risque de se faire remarquer, l'obligent à boire de l'eau toute la nuit plutôt que du vin, même s'il ne semble pas s'en priver non plus.
Ce qui retient l'attention, c'est que le poète, bien qu'il ne dorme pas et ne boive que de l'eau, ne voit pas le matin. Il ne s'agit donc pas d'un manque d'inattention. Et il énumère plutôt des raisons de se plaindre : boire de l'eau toute la nuit, ne pas voir le matin, ne pas dormir, étouffer. Ce fait de ne pas voir le matin est à mettre en relation avec ses contemplations de la première heure du matin dans sa mansarde du mois de mai. Rimbaud se plaint littéralement de ne plus voir les premières lueurs du jour comme c'était son plaisir le mois précédent.
Or, si Rimbaud avait résidé dans la mansarde au sixième étage de l'Hôtel de Cluny, on ne voit pas ce qui l'aurait empêché d'apprécier le ciel. Il logeait forcément plus bas et l'étroitesse de la cour devait être une réalité. Sa chambre n'était pas exposée au soleil. Ce manque de luminosité est constaté au niveau des escaliers dans l'extrait de calepin que nous avons cité.
Bref, l'enquête continue, mais au moins au plan littéraire nous comprenons parfaitement l'enjeu des deux descriptions successives de la lettre à Delahaye de "Jumphe 72".
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Bonus, moi sortant de l'entrée de l'Hôtel Belloy Saint-Germain au numéro 2 de la rue Racine. Le côté comique, c'est que j'ai franchi cette porte automatique, alors que derrière c'est en travaux. En effet, on voit que l'entrée est décalée d'une porte. La porte devant laquelle je me trouve ne s'ouvrait que pour autoriser les sorties. Nous sommes entrés par la nouvelle entrée ou entrée provisoire et nous avons visité à trois cette partie en travaux. C'est à peu près là, au rez-de-chaussée même, dans la partie en travaux, que se seraient réunis les membres du Cercle du Zutisme : explications à venir.
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Bonus, moi sortant de l'entrée de l'Hôtel Belloy Saint-Germain au numéro 2 de la rue Racine. Le côté comique, c'est que j'ai franchi cette porte automatique, alors que derrière c'est en travaux. En effet, on voit que l'entrée est décalée d'une porte. La porte devant laquelle je me trouve ne s'ouvrait que pour autoriser les sorties. Nous sommes entrés par la nouvelle entrée ou entrée provisoire et nous avons visité à trois cette partie en travaux. C'est à peu près là, au rez-de-chaussée même, dans la partie en travaux, que se seraient réunis les membres du Cercle du Zutisme : explications à venir.
To be continued. Ah non ! pas en anglais, je veux le dire en russe, je les préfère aux politiques américains.
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