Il me dérange de déjà écarter un article tel que celui sur "le raisonnement du poète dans 'L'Impossible'", mais un rimbaldien me demande de mettre à part sur mon blog la petite reconstitution suivante que j'ai déjà formulée par le passé, mais qui n'est pas connue du tout. Je dois la "bloguer à part", tellement elle est "marrante". Alors, voilà. Je retape justement le message privé que j'ai pu écrire pour qu'il passe correctement auprès des lecteurs.
**
Pour ce qui est de mes
découvertes bien concrètes sur "Roman", il y a l'hémistiche "les tilleuls sentent bon" qui
est repris à Coppée et surtout ce constat que j'ai pu faire que le poème
étant écrit le "29 sept. 70" Rimbaud se moque de Demeny, même s'il n'a
plus dix-sept ans, car neuf mois après cette date environ la nouvelle
épouse de Demeny, très jeune, a mis au monde un enfant, si j'en crois la biographie de Lefrère.
Un truc passé inaperçu, mais je vous livre les informations.
Donc Rimbaud a écrit le 17
avril 1871 une lettre à Demeny où il le félicite pour son récent
mariage, en lançant pour la première fois l'expression "soeur de
charité" qui deviendra le titre au pluriel d'un de ses poèmes :
Oui, vous êtes heureux, vous. Je vous dis cela, - et qu'il est des misérables qui, femme ou idée, ne trouveront pas la Soeur de charité.
Il faut
être doué pour voir qu'il s'agit d'une allusion au mariage de Demeny,
mais page 247 de sa biographie Lefrère écrit :
L'épistolier allait jusqu'à opposer sa situation à celle de ce correspondant qui venait de trouver sa "soeur de charité" en convolant le 23 mars précédent avec une Douaisienne de vingt ans, Maria Pénin, fille d'un constructeur mécanicien fortuné et nièce d'un imprimeur douaisien qui n'était pas non plus dans le besoin[5]. Mariage urgent : le premier enfant vint au monde en juillet.
Lefrère ne songe pas du tout à
"Roman". Nous sommes au chapitre VII "Une heure de littérature nouvelle"
qui parle des mois d'avril-mai 1871, des lettres dites "du voyant" pour
l'essentiel, alors que le séjour à Douai avec l'écriture de "Roman" est traité
au chapitre V "De Mazas à Douai".
La note [5] apporte des
précisions, page 280 :
Née à Douai le 7 octobre 1851, Maria Pénin était à la fois une élève du père de Demeny et une voisine : sa famille demeurait 20, rue Jean-de-Bologne. Paul et Maria Demeny eurent trois fils : Eugène, né le 8 juillet 1871 à Douai, Paul, né en 1874 à Douai, et Maurice (1876-1974). [...] Maria Demeny, qui écrivait sous pseudonyme dans un journal illustré, mourut à 33 ans le 13 mai 1884.
Maria Pénin n'a que trois ans
de plus que Rimbaud. Le 29 septembre 1870, lui n'aura que seize ans dans
moins d'un mois, elle, est à moins de dix jours de ses dix-neuf ans.
Elle correspond au profil de la demoiselle susceptible de porter
l'ombrelle, d'aller sur la promenade avec son père. Elle est d'une
famille fortunée, et le père ne doit pas être commode pour ce qui
est des amours de sa fille. Pour preuve, Demeny s'est vu imposer un mariage précipité à cause
d'un risque d'enfant naturel. Enfin, la belle est Douaisienne.
Maintenant, je retire neuf mois
à partir de la naissance d'Eugène. C'est même rigolo, on arrive presque
au 7 octobre, date d'anniversaire pour Maria Pénin, et on est une semaine après la date de composition du
poème.
Du coup, quand Rimbaud écrit
sur un de ses manuscrits qu'il a voulu dire adieu à Demeny, mais qu'il
ne l'a pas trouvé chez lui, c'est peut-être le jour même de la
fécondation d'Eugène. Demeny a béni les entrailles à cette heure-là
même, qui sait ?
Enfin, bref, à part les
dix-sept ans, Demeny est le modèle du héros de "Roman". Outre que la
date, la demoiselle et Douai correspondent, il est poète : "Vos sonnets
La font rire", et même mauvais poète : "Vous êtes mauvais goût", sachant
que Rimbaud et Izambard dans leur correspondance ne se sont pas gênés
pour flinguer cet ami douaisien. Rimbaud n'avait pas encore fait connaissance avec Demeny (le prévoyait-il ?) qu'il écrivait déjà à Izambard le 25 août 1870 :
Puis, que vous dire ?... J'ai lu tous vos livres, tous ; il y a trois jours, je suis descendu aux Epreuves, puis aux Glaneuses, - oui ! j'ai relu ce volume ! - puis ce fut tout !....
Ce passage prouve que Rimbaud n'a pas attaché de réelle importance à Demeny par la suite, malgré les manuscrits qu'il lui a remis, malgré la lettre du "15 mai 1871". C'est bien un certain nombre de lettres à Izambard, sinon à Deverrière, qui nous manquent et qui nous feraient minorer l'importance du poète douaisien.
Demeny serait né le 8 février
1844, donc le 29 septembre 1870, il n'a pas "vingt-sept ans" comme le dit
Lefrère, mais vingt-six ans et demi.
On n'est pas sérieux quand on a vingt-six ans...
Nota Bene : pour "Roman", je considère que l'article de référence est celui de Christophe Bataillé intitulé "Pour un nouveau Roman" et paru dans la revue Parade sauvage dans les années 2000.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire