Nous avons sévèrement montré, dans les deux parties précédentes de notre compte rendu, qu'Alain Bardel n'arrive à pas à considérer les arguments pour ce qu'ils sont et se fient à des avis autorisés, voire nous les imposent en donnant à son expression une sorte de sentiment d'évidence intimidant. Ceci est d'autant plus dommageable que les lecteurs se contenteront de cette source d'informations et la quasi-totalité ne fera que lire passivement son article, sans s'accorder un temps de recul. A cette aune, Bardel ressemble un peu aux journalistes qui soutiennent la politique de Macron, la russophobie de nos élites, les mensonges sur les guerres en Libye, Syrie, Irak, au Kosovo, etc. La différence, c'est qu'il n'a pas de sang sur la conscience en faisant cela, ce qui est sans doute une différence non négligeable. Mais, tout de même, ce principe de foi dans les autorités est au cœur du pourrissement généralisé et rapide de la société française même.
J'ai, par exemple, clairement montré que Bardel n'établissait pas que le recueil des Illuminations ne devait contenir que les poèmes en prose à l'exclusion des vers "seconde manière", puisqu'il crée un récit articulé où les hypothèses s'enchaînent, et surtout puisqu'il ne s'est même pas posé la question du dossier remis dans les mains de Charles de Sivry en 1878. Et s'il ne s'est même pas posé la question, de deux choses l'une : ou ce n'est pas traité du tout dans les "ouvrages fondamentaux", ou ce l'est tellement à la marge que cette importance capitale a échappé à Bardel. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que Bardel, loin de nous convaincre, offre plutôt l'indice aux lecteurs que les études autorisées ont complètement manqué l'analyse du problème. CQFD.
Autre démonstration cinglante qui justifie pleinement l'analogie avec l'étrangeté de nos contemporains, de nos gouvernants et des médias en vue au sujet de la politique internationale, c'est ce don d'éblouissement qui empêche de voir que le livre Une saison en enfer n'a rien d'une œuvre à part en regard des poèmes en prose, qui empêche même de voir que des contradictions explicites entre les deux œuvres obligent à envisager sérieusement qu'une bonne partie des poèmes en prose ont été écrits avant Une saison en enfer. Comment soigner nos contemporains et leur fait comprendre qu'entre "J'ai essayé d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues" et une série de poèmes qui vantent l'accès à "la nouvelle harmonie", au "nouveau corps amoureux", au "nouvel amour", à une "fanfare" qui s'oppose à "l'ancienne inharmonie" et donc à des "vieilles fanfares d'héroïsme", il y a un discours qui réfute l'autre, ce qui impose une chronologie dans la pensée d'un auteur ? Évidemment, la plus grande fantaisie règne, puisque les commentateurs considèrent pour la plupart que Rimbaud dénonce ses propres "vieilles fanfares d'héroïsme" et non celles de la société, ou que l'idéologie du "Génie" est mal assurée à cause d'une certaine "nuit d'hiver" dans laquelle nous sommes plongés. Mais il n'en reste pas moins que dans "A une Raison" et bien des poèmes, Rimbaud vante l'accès à une nouveauté métaphysique discréditée dans Une saison en enfer et il est tout aussi patent que la célébration du "Génie" ou d'une allégorie de l'aube font du poète un "mage ou ange" qui n'est pas encore entré dans la conscience de la "belle gloire d'artiste et de conteur emportée." Dans Une saison en enfer, le poète rattache à son passé le fait de s'être "vant[é] de posséder tous les paysages possibles" et il finit par se reprocher de s'être cru en mesure de "cré[er] toutes les fêtes, tous les drames, tous les triomphes". Or, dans "Vies", le poète revendique au contraire ce pouvoir : "j'ai eu une scène où jouer les chefs-d'oeuvres dramatiques de toutes les littératures", "Je suis un inventeur bien autrement méritant que tous ceux qui m'ont précédé ; un musicien même, qui ai trouvé quelque chose comme la clef de l'amour", "j'ai connu le monde, j'ai illustré la comédie humaine", "j'ai rencontré toutes les femmes des anciens peintres", etc. D'un point de vue logique, le discours d'Une saison en enfer réfute celui du poème "Vies", encore une fois. Pour soutenir que "Vies" ait été écrit après Une saison en enfer, l'idée d'une rechute de la part du poète discrédite et le sérieux de l'entreprise du livre Une saison en enfer et le sérieux des poèmes en prose. L'autre solution serait de lire "Vies" comme un poème ironique, mais il faut alors démontrer que le poème en prose suppose de l'autodérision, et même une autodérision radicale : en quelque sorte, rien du propos de "Vies" ne serait à prendre au sérieux. Enfin, il faudrait que d'autres éléments du poème "Vies" ne tendent pas à confirmer son antériorité par rapport à Une saison en enfer. Car, même si l'ironie semble quelque peu viser les prétentions de l'auteur de "Vies", celui-ci prétend attendre la manifestation de la folie : "- j'attends de devenir un très méchant fou." Or, dans Une saison en enfer, livre qui contient deux sections réunies par le surtitre "Délires", il est question d'un rejet de la folie, des mensonges, il est question d'une "folie" qui a été pratiquée au point de lui "jou[er] de bons tours". Le poète prétend en connaître "tous les élans et les désastres". Il dit que jusque-là sa "vie n'a été que folies douces", mais en dégageant la résolution, non pas de "devenir un très méchant fou", en dégageant plutôt celle de rejeter cette "folie" comme "sottise".
Ce que je dis est suffisant pour ruiner l'idée selon laquelle les deux projets sont à part l'un de l'autre. C'est un premier acquis évident de la comparaison entre "Vies" et Une saison en enfer. Ensuite, on va bien qu'il ne suffit pas d'affirmer sans preuve que "Vies" est une création ironique, pleine d'autodérision, sans aucune preuve, et au mépris de ce que dit le texte. Dois-je ajouter la clausule de "Vies" : "Je suis réellement d'outre-tombe, et pas de commissions." Le poème "Vies" nous décrit l'état de crise immédiatement antérieur à la résolution qu'est le livre Une saison en enfer. Pourquoi Rimbaud aurait-il investi des énergies importantes à rejouer la partition d'un problème qu'il avait laissé derrière lui ? Une marge de manœuvre serait de prétendre que "Vies" aurait dû faire partie du livre Une saison en enfer, etc. Mais, l'esthétique des répétitions de mots dans "Vies" est bien celle qu'adopte Rimbaud dans ses poèmes en prose, je n'ai pas le temps de démontrer cela ici. Qui plus est, les rimbaldiens n'étudient même pas "Vies" comme une manifestation de l'état de crise antérieur à Une saison en enfer. Ils vont bien faire deux, trois rapprochements, mais la lecture de "Vies" c'est comme d'habitude pour les commentateurs une réalité onirique par les mots qui se suffit à elle-même.
Bardel en fait appel à notre bon sens dans sa "FAQ des Illuminations" : eh bien, le bon sens, c'est que "Vies" fait partie des nombreux poèmes qui, en tant que belles œuvres déjà produites, ont visiblement survécu à la remise en question éthique du livre Une saison en enfer. Ce n'est pas une question qui se tranche sur l'argument de l'avis tranché des autorités fondamentales, ni sur l'adhésion passive de la majorité des lecteurs. Face à ce que je dis, les rimbaldiens sont proprement sans réponse. Leur seule défense, c'est d'ignorer ce que je dis pour que s'établisse le consensus que ça n'a aucun impact, ils ne pensent pas plus loin que ça. Pourquoi ? Il y a chez les gens une peur terrible de ne pas être dans la norme, de s'écarter de l'opinion publique moyenne. C'est tellement affreux de ne pas avoir l'opinion de la majorité, parce que c'est ça le problème finalement. C'est le "qu'en dira-t-on ?" et le risque du désaveu.
Passons à la cinquième question avant la quatrième de la "FAQ", celle de la pagination.
Il n'existe pas un manuscrit des Illuminations, mais il a existé une liasse de feuillets manuscrits. Cette liasse ne nous est pas parvenue complète. Il nous manque les transcriptions manuscrites utilisées pour la publication de "Dévotion" et "Démocratie", et nous ignorons même si le recueil ne contenait pas d'autres poèmes dès lors demeurés inédits. La publication semble tout de même avoir été intégrale au vu des réactions et discours de Verlaine.
Ceci dit, nous ne savons pas si la liasse superposait des poèmes en vers et des proses, comme nous l'avons vu en rendant compte de la première question. Nous ignorons ensuite dans quel ordre les poèmes étaient distribués dans cette liasse initiale. Enfin, cette liasse n'existe plus depuis longtemps, les feuillets ont-été quelque peu éparpillés ?
Or, une singularité dans le cas des poèmes en prose vient du fait que 24 pages sont numérotées, ce qui permet de recréer une unité.
Toutefois, il ne s'agit que d'une pagination partielle. Ceci veut clairement dire qu'il n'existe pas de recueil organisé des Illuminations, ni même du seul ensemble des poèmes en prose. Plusieurs feuillets manuscrits de poèmes en prose ne sont pas numérotés. C'est un peu l'histoire du verre à moitié plein qui est en même temps à moitié vide. Pour soutenir qu'il y a bien un ordre du recueil, les rimbaldiens ne peuvent s'appuyer que sur les pages numérotées. Je suis désolé pour eux, mais les pages non numérotées offrent déjà une conclusion sans appel. Je rigole beaucoup quand j'entends des débats sur un recueil qui doit se clore soit sur "Solde", soit sur un poème aussi saisissant que "Génie", puisque "Solde" et "Génie" ne sont que deux, entre autres, des poèmes transcrits sur des feuillets, soit non paginés, soit paginés différemment et indépendamment de la série des 24 pages. Ceci soulève d'ailleurs d'autres questions : finalement, il y a plusieurs paginations à étudier et en prime il faudrait déterminer quel ensemble doit passer avant l'autre ? En effet, pour ceux pour qui il serait évident que Rimbaud a paginé lui-même ses poèmes, qu'est-ce qui empêche de songer à une erreur de la revue La Vogue qui a publié les 24 pages solidaires avant les pages qui réunissaient "Solde" ou "Génie" ? Pourquoi une publication en ordre inverse n'aurait-elle pas été préférée par Rimbaud ? Qu'est-ce qui nous prouve qu'ils ont eu raison de procéder de la sorte ?
Moi, ma position est claire. Plusieurs feuillets ne sont pas paginés, les deux parties paginées ne le sont pas l'une par rapport à l'autre. Par conséquent, il n'existe pas de premier poème du recueil, ni de dernier, ni d'ordre de défilement des poèmes dans un recueil. Et comme la question des vers "seconde manière" se pose, il faut aussi aller étudier s'il n'y a pas des paginations sur leurs feuillets respectifs. Je sais qu'il y en a.
Rimbaud n'était pas sot. Si le recueil était fini, il n'avait qu'à paginer tous les feuillets. Le problème était dès lors réglé. Il savait que les feuillets pouvaient tomber par terre, et, justement, nous ignorons si cet accident est arrivé ou non. Par conséquent, non, il n'existe pas un ordre voulu par Rimbaud pour le recueil des Illuminations. Il a laissé à Ernest Cabaner, puisque si je comprends bien c'est ce dernier qui a transmis à Charles de Sivry la liasse de manuscrits, un dossier non abouti, abandonné.
Remarquons que Bardel ne se pose pas la question de toutes les paginations. Sa question ne porte bien que sur les seules vingt-quatre pages qu'arbitrairement il précise comme "premières". C'est déjà orienter le lecteur que de dire qu'elles sont les "premières". Et il est également tendancieux de ne pas parler des autres paginations pour "Solde", "Génie" et certains poèmes en vers "seconde manière". Des informations capitales ne sont pas divulguées aux lecteurs, lesquelles informations leur dévoileraient la réalité des pratiques éditoriales où on ne se prive pas d'écrire sur les manuscrits eux-mêmes, avec à la clef des opérations à court terme. Une pagination ne signifie pas qu'on travaille sur tout le corpus, on peut ne paginer que cinq poèmes qu'on va éditer, etc.
A la fin des années quatre-vingt-dix, Steve Murphy a fait une remarque qui a fait sensation. Sur l'ensemble des 24 pages, il y a des feuillets qui n'ont pas la même forme, mais surtout les feuillets dont les rectos correspondent aux pages 12 et 18. Pour ces deux feuillets, le papier utilisé n'a pas les mêmes dimensions et surtout les numéros sont à l'encre avec un soulignement différent. Le 12 et le 18 sont écrits à l'encre avec une barre oblique, alors que la plupart des autres numéros sont écrits au crayon et entourés d'une petite boucle. Certains sont repassés à l'encre.
L'idée qui a paru lumineuse, c'est qu'un tel changement suppose qu'il y avait deux manuscrits numérotés au crayon 12 et 18, mais que Rimbaud les a retirés pour en substituer d'autres. Cet enchaînement serait d'autant plus capital qu'il est question de séries de poèmes réunis sous un même titre, si pas entre les feuillets 11 et 12 (série "Phrases" sujette à controverse), au moins entre les feuillets 18 et 19 où sont réunis trois poèmes sous le titre "Veillées".
Seul l'auteur, Rimbaud, aurait pu procéder à un tel remplacement. L'éditeur Fénéon n'avait aucune raison de considérer des doublons manuscrits, qui d'ailleurs ne nous seraient pas parvenus, pour remplacer une transcription qui ne convenait pas par une autre. Le fond du raisonnement, c'est que ces deux pages chiffrées différemment suppose un remaniement à partir de feuillets déjà numérotés 12 et 18 mais au crayon : il serait absurde de passer du crayon à l'encre lors de la pagination.
C'est en fait une fausse évidence, et elle a été combattue dans un article en deux parties mis en ligne par Jacques Bienvenu sur son blog Rimbaud ivre. Et je comprends mieux pourquoi dans sa bibliographie des "ouvrages fondamentaux" Bardel cite le livre de Murat L'Art de Rimbaud dans son édition révisée et augmentée de 2013, et non dans l'édition originale de 2003. Dans la révision de son livre, Murat réagit à l'étude de 2012 de Bienvenu et lui donne une nécessaire fin de non-recevoir, puisque, sans cela, il fallait réviser tout l'ouvrage, puisqu'en 2003 Murat avait pleinement adhéré à l'idée d'une pagination de la main de Rimbaud. A l'instant, je n'ai pas ce livre sous la main, mais j'ai moins à me le reprocher que ce que fait Bardel sur son site, puisque celui-ci, du coup, place en référence l'ouvrage de Murat qui contient une fin de non-recevoir, mais il ne cite jamais ensuite dans sa "FAQ" ni les arguments de Murat, ni l'article de contestation de Bienvenu. Encore un beau gros péché d'omission !
Voici donc les liens nécessaires pour bien se documenter sur un point de vue différent de celui que Bardel, dans sa "FAQ", nous impose comme allant de soi : "Il est donc vraisemblable que c'est Rimbaud lui-même qui a opéré la solution de continuité que nous observons dans la numérotation uniforme du manuscrit, ce qui tend à démontrer que cette numérotation uniforme, par définition antérieure, est due à Rimbaud." On appréciera au passage le manque de rigueur logique des phrases que nous citons : "Il est vraisemblable que Rimbaud a fait ceci, ce qui tend à démontrer qu'il l'a fait, et pas un autre."
Dans la première partie de son étude, Jacques Bienvenu opère déjà des mises au point importantes. La principale est la suivante. Contrairement à ce qu'avancent plusieurs rimbaldiens, Félix Fénéon n'a pas uniquement témoigné sur le tard, plus de cinquante ans après le fait, auprès de Bouillane de Lacoste. Si vous consultez le premier lien, vous avez droit à deux magnifiques extraits en fac-similé d'un numéro de la revue Le Symboliste, numéro du 7 au 14 octobre 1886, où Fénéon s'exprime sur le recueil des Illuminations qu'il publie précisément cette année-là et où il affirme bien l'absence de pagination, inférence obligée de son discours : "Les feuillets, les chiffons volants de M. Rimbaud, on a tenté de les distribuer dans un ordre logique."
Et Jacques Bienvenu insiste sur un autre point, plus accessoire, mais qui a son intérêt, c'est que Bouillane de Lacoste qui a interrogé à nouveau Fénéon après la Seconde Guerre Mondiale n'est pas cette fois le promoteur de la thèse selon laquelle l'ordre des feuillets a été voulu par Rimbaud. Au contraire, Bouillane de Lacoste a constaté qu'en 1886 il y a eu deux premières éditions des Illuminations qui n'ont pas adopté le même ordre. Et l'ordre que nous adoptons actuellement correspond à la première édition. En effet, il faut opposer l'édition progressive dans la revue à celle sous forme de plaquette. Si la pagination initiale avait été portée par Rimbaud, les remaniements n'auraient eu aucune raison d'être.
Enfin, dans Poétique du fragment, un des livres admis comme "fondamentaux" sur la question, André Guyaux observait déjà une coïncidence digne d'intérêt. La citation faite par Bienvenu étant apparemment défectueuse ("les feuillets 5 et 6"), formulons cela autrement : les 23 feuillets paginés coïncident avec l'ensemble des poèmes en prose publiés dans les numéros 5 et 6 de la revue La Vogue.
Dans la deuxième partie de son étude, Bienvenu apporte un intermédiaire dans le débat : le livre Ce que révèle le manuscrit des Illuminations de Claude Zissmann. Claude Zissmann est ou était un psychiatre qui publiait des articles sur Rimbaud qui confinaient à la folie douce. Il prétendait que les poèmes en prose de Rimbaud réécrivaient l'ensemble des poèmes des Fleurs du Mal, mais, comme si cela n'avait pas été assez farfelu, il y ajoutait des visions inédites sur la vie de Rimbaud et Verlaine. Il nous racontait, par exemple, une dispute qu'il avait imaginé entre Rimbaud et Verlaine, puis il nous expliquait que tel poème en prose s'expliquait par cette dispute. Bref !
Zissmann a été à l'origine de l'intuition de Steve Murphy sur la pagination, mais, comme il tient des propos délirants, personne ne le cite et ne lui fait la moindre publicité. Or, c'est Zissmann qui affirme cette idée étrange qu'écrire au crayon c'est un acte d'éditeur, mais écrire à l'encre c'est un acte d'auteur. Le raisonnement de Zissmann est complètement absurde, puisque sur les 23 feuillets paginés, avec un recto verso, la pagination n'est qu'au crayon, sauf pour les feuillets 12 et 18. Certes, les chiffres pour les neuf premiers feuillets sont repassés à l'encre, mais la pagination au crayon est première et s'arrête un peu avant le cas des feuillets 12 et 18.
En revanche, des affirmations péremptoires apparaissent. L'encre est une marque d'auteur selon Zissmann, ce qui peut impliquer l'idée qu'un manuscrit est quelque chose de sacré. Un éditeur n'écrira sur eux qu'au crayon, pour que ses interventions soient effaçables. Or, si le fait était connu, Bienvenu a aussi attiré l'attention dans un autre article sur le fait qu'il y a d'autres mentions à l'encre sur les manuscrits, les noms des ouvrières-typographes employées à la composition dans la revue La Vogue, ce qui est le démenti le plus formel qu'on puisse imaginer à la thèse de Zissmann d'éditeurs scrupuleux n'endommageant pas les manuscrits.
Voici le lien de cet autre article sur les manuscrits des Illuminations, fac-similé à l'appui.
Enfin, Zissmann déclare surtout péremptoirement qu'il serait absurde que des éditeurs paginent tantôt au crayon, tantôt à l'encre. Ce présupposé s'est accompagné d'un autre dans la thèse de Murphy, celui que selon lequel Rimbaud, ayant un premier dossier de 24 pages, a remplacé deux feuillets qui ne convenaient pas, par d'autres (peu importe même qu'il s'agisse ou non de la transcription des mêmes textes, si ce n'est que le résultat final impose bien deux séries).
En fait, si les éditeurs doivent eux-mêmes trier les feuillets, il n'y a rien d'absurde à ce qu'ils tâtonnent et fassent les choses par à-coups. Et la différence de pagination pour les feuillets 12 et 18 peut justement résulter de la différence de dimension des manuscrits. Un exemple qui vaut ce qu'il vaut : l'équipe de Fénéon a très bien pu repasser à l'encre pour leur donner un caractère définitif la pagination des neuf premiers feuillets, puis inclure les feuillets 12 et 18 de force dans une masse homogène en les paginant à l'encre, et, plus tard, paginer le reste de la série au crayon. Ou bien, ces feuillets 12 et 18 ont pu être les premiers paginés, juste avant la pagination au crayon du reste. On peut donc aussi bien imaginer une progression par à-coups qu'une singularité immédiate de la numération des feuillets 12 et 18.
On peut très bien concevoir que deux personnes furent en présence l'une de l'autre : que l'une pagina au crayon l'ensemble à peu près homogène et que l'autre numérota à l'encre, son vis-à-vis ayant déjà le crayon dans la main, les pages à insérer 12 et 18.
Dans son étude, Jacques Bienvenu fait remarquer également la fragilité d'un argument. Bien qu'il pense que la pagination soit de Fénéon, André Guyaux a écrit par inattention dans Poétique du fragment que l'encre du chiffre 18 était la même que celle utilisée pour transcrire les poèmes, ce qui est un a priori invérifiable. Steve Murphy a forcément retourné cet argument contre Guyaux, sauf que cet argument passe dès lors pour une concession capitale, alors que rien ne permet de le considérer comme établi.
Je ne vais pas rendre ici tous les aspects de l'article de Bienvenu auquel il suffit de se reporter. Le lecteur se fera une opinion. La mienne est forgée depuis longtemps. Bienvenu a eu raison de complètement démonter le consensus récent sur cette pagination. Elle n'est pas de Rimbaud, elle est à l'évidence le fait de l'équipe de Fénéon lors de l'édition progressive des poèmes en prose dans les numéros de la revue La Vogue.
Il y a tout de même un point important que je dois encore mentionner. Les feuillets 12 et 18 ont contribué à l'élaboration de deux séries, l'une de "Phrases", l'une de trois "Veillées". Or, à l'heure actuelle, il existe des doutes importants sur la série "Phrases". Les éditeurs hésitent à affirmer que le titre concerne également les poèmes du type "J'ai tendu des cordes...", "Le haut étang fume continuellement...", etc. En revanche, la série "Veillées" est admise comme certitude. Or, il se trouve que le feuillet 18 contient deux poèmes "Veillées I et II", tandis que le feuillet 19 contient une troisième veillée, une transcription de "Mystique" et le début du recopiage du poème "Aube". Or, sur ce feuillet aujourd'hui paginé 19 le titre "Veillée" au singulier était mentionné et il a été biffé pour un "III". Pour Bienvenu, et je partage cette opinion, Rimbaud a écrit deux poèmes avec le titre au pluriel "Villes" et un autre avec le singulier "Ville", ce qui peut laisser supposer que Rimbaud avait d'un côté deux "Veillées" réunies sous ce titre au pluriel, mais une "Veillée" au singulier sur un autre manuscrit. Le rapprochement opéré entre les feuillets 18 et 19 est indéniablement pertinent, il est justifié par les titres, mais rien n'impose de considérer que le trois en chiffres romains soit de la main de Rimbaud plutôt que celle de Fénéon. D'ailleurs, il faut ajouter qu'une mention "veillée" allographe figure à la marge sur le feuillet contenant le texte de "Jeunesse IV", la seule des quatre parties de "Jeunesse" non flanquée d'un titre "Dimanche", "Sonnet", "Vingt ans".
Il y a tout de même un point important que je dois encore mentionner. Les feuillets 12 et 18 ont contribué à l'élaboration de deux séries, l'une de "Phrases", l'une de trois "Veillées". Or, à l'heure actuelle, il existe des doutes importants sur la série "Phrases". Les éditeurs hésitent à affirmer que le titre concerne également les poèmes du type "J'ai tendu des cordes...", "Le haut étang fume continuellement...", etc. En revanche, la série "Veillées" est admise comme certitude. Or, il se trouve que le feuillet 18 contient deux poèmes "Veillées I et II", tandis que le feuillet 19 contient une troisième veillée, une transcription de "Mystique" et le début du recopiage du poème "Aube". Or, sur ce feuillet aujourd'hui paginé 19 le titre "Veillée" au singulier était mentionné et il a été biffé pour un "III". Pour Bienvenu, et je partage cette opinion, Rimbaud a écrit deux poèmes avec le titre au pluriel "Villes" et un autre avec le singulier "Ville", ce qui peut laisser supposer que Rimbaud avait d'un côté deux "Veillées" réunies sous ce titre au pluriel, mais une "Veillée" au singulier sur un autre manuscrit. Le rapprochement opéré entre les feuillets 18 et 19 est indéniablement pertinent, il est justifié par les titres, mais rien n'impose de considérer que le trois en chiffres romains soit de la main de Rimbaud plutôt que celle de Fénéon. D'ailleurs, il faut ajouter qu'une mention "veillée" allographe figure à la marge sur le feuillet contenant le texte de "Jeunesse IV", la seule des quatre parties de "Jeunesse" non flanquée d'un titre "Dimanche", "Sonnet", "Vingt ans".
Enfin, j'ai apporté ma contribution au sujet de la pagination, en renforçant nettement l'idée d'une coïncidence, comme l'a formulé Guyaux, entre la pagination des manuscrits et la publication initiale dans la revue La Vogue. En effet, les neuf premiers chiffres au crayon sont repassés à l'encre et en bas de page 9 nous avons une mention "Arthur Rimbaud" au crayon qui coïncide avec celle qui clôt la série de poèmes en prose publiée dans le numéro 5 de la revue La Vogue. La différence, c'est que ce numéro contient le contenu des 14 premières pages manuscrites. L'idée, c'est que la revue avait initialement prévu de ne publier que le contenu des neuf premières pages avant de considérer que la revue pouvait se permettre d'en offrir un peu plus aux lecteurs.
Il y a quatre faits convergents en fait : 1) les numéros des neuf premières pages au crayon sont repassés à l'encre. 2) la mention "Arthur Rimbaud" au bas de la page 9. 3) ce n'est que jusqu'à la page 9 que les titres de Rimbaud sont systématiquement accompagnés de crochets (tantôt fermés, tantôt non). 4) Guyaux lui-même faisait observer que le feuillet 9 était sali comme s'il avait servi de couverture aux autres feuillets.
Ces quatre faits convergents sont mentionnés dans l'article de Bienvenu, je les numérote ici pour gagner en clarté et mieux retenir l'attention des lecteurs les plus passifs.
Cela prouve deux choses : une fragmentation du travail de La Vogue plus profonde encore que celle que révèle les numéros 5 et 6 de la revue et, surtout, le fait que le repassage à l'encre soit le fait de l'équipe de Fénéon et pas du tout de Rimbaud, ce qui rend complètement dérisoires les affirmations autorisées selon lesquelles la pagination entière devrait être de la main de Rimbaud.
Bardel ne rend pas compte de tous ces arguments. C'est comme les gens qui considèrent que Macron a les preuves pour l'empoisonnement dans l'affaire Skripal et dans les prétendues attaques chimiques par le gouvernement syrien et qui lui donnent toute latitude pour sanctionner la Russie, d'un côté, bombarder la Syrie de l'autre. C'est la même façon de fonctionner.
En tout cas, je terminerai la prochaine fois ce compte rendu en rendant compte des questions 4, 6 et 7 à la fois. Pour la huitième question, je n'en rendrai pas compte. Je ferai moi-même un jour un article de mise au point sur le livre d'Eddie Breuil Du Nouveau sur Rimbaud, mais, pour l'instant, j'ai mieux à faire...
bonjour
RépondreSupprimerle livre de Yalla Seddiki, Rimbaud is Rimbaud is Rimbaud, rien de Nouveau chez Rimbaud, paru chez Non Lieu il y a quelques semaines, met clairement les choses au point en ce qui concerne le livre d'Eddie Breuil. Je vous le conseille, c'est un régal.
Ah ! ça me surprend, vu le titre un peu ridicule: "Rimbaud is Rimbaud is Rimbaud". Je vais essayer de le lire, mais je ne peux plus suivre comme avant les publications. J'ai des arguments, dont un formel déjà exprimé ici. J'adore la preuve formelle, parce qu'on prétend qu'il n'en existe pas pour se faire une idée d'un auteur, mais c'est évidemment à plusieurs niveaux qu'on voit que c'est bien de Rimbaud. Sinon, il y a un truc qu'il faut mettre aussi en avant. Cette thèse n'est pas celle de Breuil. Il y a eu il y a plusieurs décennies un étudiant qui l'a sortie, puis des universitaires l'ont reprise, puis il y a eu une réaction outrée de l'ancien étudiant. J'avais lu cette réaction avant 2000. Mais, à l'époque, personne ne prêtait attention à cette foutaise. Parce que Breuil s'appuie sur du passé et fait ça pour se rendre intéressant, ce qui me paraît risquer sa réputation pour rien, mais bon...
SupprimerOui, justement, la première partie de l'ouvrage de M. Seddiki est consacrée à l'historique de l'insidieuse avancée dans les milieux concernée de la théorie de Jacques Lovichi depuis les 60's. C'est en partie la mission que se donne l'auteur : remettre les choses en place et stopper cette lubie avant qu'elle ne s'installe davantage... Une autre partie est dédiée à montrer la légèreté scientifique de M. Breuil, qui, comme vous l'écrivez pourrait lui être préjudiciable. Le bouquin de Yalla Seddiki est très chouette malgré quelques coquilles, la "flashe" notamment, pour la "flache"... mais le fond est solidement bâti, avec une très bonne connaissance des œuvres de Rimbaud et Nouveau. Par ailleurs, une longue recension du bouquin de Breuil paraît dans deux semaines dans le prochain Parade sauvage.
SupprimerLa "flashe", wouaw, vous n'allez pas reprocher ça ?, c'est une coquille involontaire.
SupprimerJacques Lovichi, oui, c'était ce nom-là, je crois que lui c'était l'étudiant qui réagissait. Il avait sorti une thèse, s'était fait sabrer, puis, surprise, ceux qui l'avaient sabré avaient défendu publiquement cette thèse, et cela l'avait indigné, une histoire ainsi. Moi, je ne reproche pas le fait qu'on puisse défendre des thèses pour réattribuer une oeuvre à un autre auteur. Ce que je reproche, c'est que cette thèse ait été présentée dans les médias comme nouvelle, puis surtout que Breuil récupère quelque peu sur la bande me semble-t-il des arguments sur l'unité des 'Illuminations' qui viennent d'autres personnes aussi. Il ne faisait que pousser plus loin, mais mal, des critiques dont il voyait qu'elles faisaient mal.
Pour la revue Parade sauvage, c'est normal qu'elle le recense, mais la revue Parade sauvage est partisane et Bardel fait partie de la galaxie Parade sauvage. Les cr ne sont pas si objectifs que ça même s'ils sont mieux argumentés que n'importe quel autre camp rimbaldien, il n'y a que moi qui ai le dessus.
C'est moi qui ai ruiné la légende du "Recueil Demeny", alors que cette idée venue de Pierre Brunel avait eu un apport de Murphy, Guyaux qui pensait comme moi était critiqué parce qu'il n'y croyait, j'ai fait un article sur le blog de Bienvenu et, depuis, à demi-mots on reconnaît qu'il n'y a pas de recueil. J'ai fait tomber également l'idée d'un recueil pour le dossier Verlaine. Les résistances s'effondrent avec le temps. Sur les Illuminations, je n'ai jamais cru à un recueil, Bienvenu a fait tomber la pagination et j'ai apporté ma contribution par un argument. Sur Les Corbeaux, j'ai fait tomber la datation tendancieuse de "septembre 72" même et l'identification des corbeaux à des prêtres (Reboul, Bardel, Fongaro ont dit la même chose), mais c'est la revue Parade sauvage qui résiste. Pour l'Album zutique, c'est un scandale, puisque le livre de Teyssèdre a été piloté par Lefrère et a impliqué la revue Parade sauvage. Plusieurs de mes résultats déjà publiés étaient récupérés en douce selon divers degrés d'audace, et le scandale a continué avec Chevrier. Désormais, les rimbaldiens font marche arrière, je suis reconnu comme LE spécialiste de l'Album zutique, mais bon le livre de Teyssèdre, un GF sont dans la nature, en premier plan auprès du public, et d'autres publications encore. Sur Une saison en enfer, mon combat aussi est important. Donc, je m'en moque des recensions. C'est des mondanités.
SupprimerMurat ne fait pas partie de la revue Parade sauvage, mais je reviens sur le fait que Bardel le place dans les ouvrages fondamentaux au sujet du dossier des Illuminations. Pour moi, c'est absurde car il n'y a pas d'étude philologique à proprement parler dans le livre de Murat. En fait, il prenait position en 2003 pour la thèse de Murphy qui était alors ressentie comme une évidence par la plupart des gens : seul Rimbaud avait pu mettre les feuillets 12 et 18. C'était faux, mais ça arrive qu'un fait éblouisse. Murat développait aussi, et là c'est plus gratuit, l'idée de "Barbare" comme poème conclusif à la 24ème page. Ce n'était pas sérieux du tout, là. En 2013, Murat a apporté un complément à son livre et a révisé le reste à la marge. Mais, en 2012, l'article sur la pagination ruinait une part importante de ses analyses. Je n'ai plus l'exemplaire de 2003 (l'inondation toujours!), j'ignore ce qu'il a rajouté, car l'article de Fénéon de 1886 est cité en intégralité. En revanche, Murat rend compte sommairement de l'article de Bienvenu. Il ne donne le lien internet que de la première partie, pas de la seconde, la plus importante ! Et il ne conteste pas les arguments, il écrit une fin de non-recevoir à la façon de Bardel : "C'est la thèse soutenue par JB... Que Fénéon soit responsable..., c'est précisément ce qui reste à démontrer : l'argument relève d'une pétition de principe." C'est bien cette réfutation en note de bas de page qui est une pétition de principe.
SupprimerOn me dira orgueilleux, mais la liste ne peut que s'allonger : déchiffrement de vers de "L'Homme juste" pour lequel Circeto avait eu le manque de lucidité de dire que ça lui faisait une belle jambe. Ce déchiffrement est en train de s'imposer, mais ce qui est grave c'est qu'il est évident et que c'est pour des raisons de non aveu d'échec qu'il passe à l'as pour l'instant. La signature "PV", j'ai réagi à ce que je voyais se développer encore une fois : l'impression subjective fondée sur l'habitude au mépris de la rigueur philologique avec encore un refus d'avouer qu'on avait cru autre chose. Moi, on peut comparer, j'ai évolué sur Poison perdu.
SupprimerDater un max des poèmes en prose avant Une saison en enfer, c'est moi encore. Et cela n'a rien à voir avec une opération de sagesse manipulatoire où on en accorde la possibilité pour la minorer de toute façon. Rien à voir entre "il se peut dans l'absolu" et "je soutiens et je démontre même par des arguments précis qui engagent le sens des textes".
Sur le combar "outils"::"autels", c'est encore moi.
Sur la prose liminaire, la grande réfutation de Molino et l'explication des alinéas 8 à 10, c'est encore moi. L'établissement du texte "Paris se repeuple", faudra se pencher sur mon article encore une fois.
Je ne parle même pas de "vice", du sens de "Voyelles", du "Bateau ivre", etc.
Ce que j'exprime, c'est que j'ai mené un combat pour un meilleur établissement du texte.
A moi tout seul ou pas loin, j'ai ruiné l'idée de recueils structurés : vers de 1870, dossier paginé de Verlaine, Illuminations. Les gens voulaient que deviennent intangibles ce qu'ils avaient lu et qui avaient bercé leurs émois. J'ai réagi différemment, ma nature de lecteur se contrefichait de fixer ses premières impressions pour l'éternité.
J'ai travaillé à l'établissement de plein de textes et à la remise en cause de la postériorité des poèmes en prose sur la Saison.
Sur l'Album zutique, il y avait des enjeux à donner l'impression que les autres étaient dans le coup, que j'étais fondu dans la masse, alors que je trouvais des tonnes de choses. Par exemple, les minuscules aux débuts des vers, j'ai publié que cela ne signifiait rien pour l'édition et que cette pratique était zutique, hugolienne, autant que rimbaldienne sur six manuscrits. Marrant comme avec la découverte de "Famille maudite", l'idée de l'importance de ces minuscules a bien reculé.
Voilà les belles promesses qui ne sont pas pour écrire un triangle du divin en anglais de surcroît avec une syntaxe étrange : R is R is R.
Je sais que je vais gagner, et ça se voit un peu plus chaque jour.
bien sûr qu'elle est involontaire cette coquille, j'en ai parlé amicalement avec l'auteur, il n'en est absolument pas responsable, je ne la lui reproche pas, voyons, là n'était pas du tout mon propos... mais elle pique juste un peu les yeux, quoi. Pour le reste, c'est votre combat, légitime à vos yeux, mais je n'y entrerai pas, n'y ayant aucune prise ni responsabilité. Bonne journée!
RépondreSupprimerQue vous n'y entriez pas, c'est votre droit, surtout que je ne vous connais pas de publications. Vous me lisez en tout cas. En revanche, vous me balancez un titre R is R is R qui me fait sentir la sacralisation à plein nez, et en prime une recension dans Parade sauvage.
SupprimerIl y a eu une sacralisation de l'ordre des poèmes, de pseudo-recueils pour les anoblir, etc. Les recensions sont des exercices diplomatiques. Enfin, le R is R is R, je lis ça comme un "il y a une évidence pour nous tous qui communions dans R., alors admonestons comme il se doit le plaisantin". J'ai toujours eu tort auprès des gens de donner mon opinion, je ne sais pas pourquoi, il faudrait que j'aille crever sous un pont ou que je vive en prévision des égards qu'on aura pour moi quand j'aurai 90 ans. Ma légitimité, je dois la forger, mais elle est humiliante pour ceux qui m'ont daubé bec et ongles. C'est comme ça ! On ne me tiendra pas en laisse...
Mon ton vous surprend, je m'en excuse, mais j'ai dépassé de très loin tous les seuils d'exaspération depuis longtemps. Pour moi, échanger de manière passionnante, c'est sur le contenu des poèmes, la forme ou sur des choses qui du point de vue de la "fétichisation" ont du sens comme la localisation des résidences exactes du poète. Sur les publications des autres, ou de nouveaux autres, je ne risque guère d'être réceptif. J'en ai trop marre, et en plus je pars du principe que d'être bienveillant, ça ne fera que du bien aux autres, parce que moi si je suis gentil personne ne voit que je bous intérieurement et en plus je m'adapte à un truc dont je n'ai pas envie. Je préfère envoyer balader certains trucs et trier. Mes nausées sont beaucoup trop importantes.
SupprimerMonsieur,
RépondreSupprimerJe suis l’auteur du livre Rimbaud is Rimbaud is Rimbaud dont vous qualifiez le titre d’un « peu ridicule » et dont vous raillez et invalidez le contenu sans en avoir pris connaissance : « R is R is R […] me fait sentir, dîtes-vous, la sacralisation à plein nez, et en prime une recension dans Parade sauvage. »
Dans la sorte d’activité qui est la nôtre, il est d’usage de remettre à une heure propice — comme celle qui succède habituellement à la lecture de l’objet qui fait notre mécontentement ou notre satisfaction — l’expression d’une opinion aussi éclairée que faire se peut.
Comme vous le savez — mais il s’agit peut-être ici d’une supputation sans assise solide — s’agissant du titre, je ne fais que détourner l’un des vers les plus célèbres de la poésie américaine. La nature tautologique-oxymorique de mon titre est d’abord humoristique. Il rend également compte de la méthode de composition de Rimbaud qui façonne la cohérence de son imagination en agglomérant des sources diverses.
Au demeurant, aucun article n’est prévu sur mon livre dans la très respectable revue Parade sauvage dont vous pensez, sans la moindre preuve, que je suis proche. Cependant, vous devez y avoir des soutiens plus assurés que moi puisque, comme le rappelle ma bibliographie, vous y fûtes publié. Toutefois, il ne serait pas incongru que, dans une revue consacrée à Rimbaud, il y eût un article sur un livre qui parle de Rimbaud
Plus sérieusement, comme vous l’a indiqué votre lecteur avisé, le livre reconstitue la généalogie de la thèse selon laquelle Germain Nouveau est l’auteur des Illuminations d’Arthur Rimbaud. Je m’intéresse ensuite au parcours d’Eddie Breuil dans les études rimbaldiennes. Je mets en lumière la stratégie qu’il a forgée pour exprimer ses opinions à ce sujet dans divers ouvrages et revues académiques.
Tout en menant un harcèlement constant des positions de M. Breuil, dans une longue synthèse, je reconstitue le parcours des manuscrits rassemblés sous le titre Illuminations. Dans un chapitre capital pour ma démonstration, je fais un relevé de quelques dizaines de fragments de textes qui attestent la cohérence imaginative, lexicale et stylistique de Rimbaud entre 1870 et les Illuminations. Surtout, l’analyse de « Vagabonds » en relation avec un poème en prose de Verlaine, la lettre de Rimbaud datée du 5 juillet 1873 et celle datée du 6 mai 1883 est le point culminant de ma démonstration. La mise en cause argumentée de l’idée suivant laquelle Germain Nouveau était indifférent à ses poèmes et leur publication aborde d’une autre façon le problème que se pose M. Breuil. Enfin, je fais l’esquisse d’une étude portant sur les styles respectifs de Rimbaud et de Nouveau, que je présente comme inconciliables. En dehors de quelques traits d’humour et d’ironie provoqués par les excès et la duplicité de M. Breuil, le ton de mon livre est à l’opposé de ce que, avec une malveillance infondée, surprenante même, vous supputez qu’il est.
J’espère que ces quelques éléments pourront éclairer vos lecteurs — dont je suis, comme je suis lecteur des sites de messieurs Bardel et Bienvenu — sur la réalité de mon travail. Rimbaud is Rimbaud is Rimbaud est bien loin de votre pointe sur « le triangle divin » qui en révèle davantage sur vous que sur ma recherche.
Yalla Seddiki
Je prends note de votre réponse vive et aigre. Je n'en publie que la troisième version. J'étais absent, vos messages étaient en attente de validation.
SupprimerJe fais le tri tout de même par rapport à votre réaction. Donc, oui, je n'ai pas aimé le titre et j'ai raillé sans doute le livre par préjugé. En revanche, je n'en ai pas invalidé le contenu et je ne vous ai pas attribué des relations privilégiées avec la revue.
Un mot donc sur la recension ! Scalpel pour faire la promo de votre livre a cru bon de citer une recension dans PS comme instrument de mesure d'une valeur rimbaldienne. Ce que je réponds, c'est que les recensions sont un exercice diplomatique biaisé malheureusement, et si j'ai cette agressivité c'est que je n'ai pas oublié l'omission de mon seul nom lors de la recension du numéro spécial Rimbaud de la revue Europe à une époque de tensions avec d'un côté la photo d'Aden et surtout de l'autre le livre de Teyssèdre qui me pompait à mort sur l'Album zutique. Vous avez sans doute fait les frais d'une réaction qui n'aurait pas dû vous concerner. Pour le reste, je lirai votre livre, mais sans doute pas avant plusieurs mois.