lundi 8 mai 2017

Remarques formelles à propos du sonnet "Poison perdu"

Le sonnet "Poison perdu" pose quelques problèmes d'attribution. Verlaine l'a considéré, mais sans absolue certitude, comme étant de Rimbaud, mais il ne l'a pas fait en fonction de sa connaissance personnelle du poète ardennais. Il s'agit au mieux d'une composition rimbaldienne postérieure à Une saison en enfer et, à cette aune, ce ne serait pas tellement le dernier sonnet de Rimbaud, mais peut-être le dernier poème connu de lui, ce qui pourrait servir à justifier que le style rimbaldien y soit précisément méconnaissable. Ce serait un poème négligé à contre-courant de tout ce qu'a été son ardeur à écrire de la poésie. Germain Nouveau est un autre candidat possible pour l'écriture de ce sonnet, tant les quatrains ressemblent à de nombreux poèmes, voire sonnets de la plume de Nouveau. Dans le récent Dictionnaire Rimbaud dirigé par Jean-Baptiste Baronian et publié dans la collection "Bouquins" chez Robert Laffont, Jacques Bienvenu a publié un article sur ce sonnet où il plaide pour une attribution définitive à Rimbaud.
Je vais travailler ici dans une voie personnelle à partir de la forme du poème. Pour mon propos, je fais abstraction des variantes et je vais m'en tenir à la version envoyée par Verlaine à Charles Morice dans une lettre du 9 novembre 1883.

Des nuits du blond et de la brune
Rien dans la chambre n'est resté,
Pas une dentelle d'été,
Pas une cravate commune.

Rien sur le balcon où le thé
Se prend aux heures de la lune.
Il n'est resté de trace aucune,
Aucun souvenir n'est resté.

Au bord d'un rideau bleu piquée
Luit une épingle à tête d'or
Comme un gros insecte qui dort.

Pointe d'un fin poison trempée,
Je te prends. Sois-moi préparée
Aux heures des désirs de mort.

Le poème joue sur un premier type de répétition qui apparente le sonnet à une chanson : "Rien dans la chambre n'est resté," "Il n'est resté de trace aucune," "Aucun souvenir n'est resté"[,] "Rien dans la chambre...", "Rien sur le balcon...", "Pas une dentelle d'été, / Pas une cravate commune." Ces répétitions ne concernent que les quatrains et tout poète peut en jouer à l'occasion. En revanche, il est un second type de répétition qui n'a rien de musical. Il s'agit cette fois de répétitions qui n'ont aucun relief particulier, mais qui, si on les remarque, ont l'air d'insister sur des structures parallèles à l'oeuvre dans le texte. Je passerai un peu vite sur les "b" à l'initiale de deux mots et dans le premier vers des quatrains et dans le premier vers des tercets, avec trois mentions de couleur, "blond", "brune", "bord", "bleu", car si discret que cela puisse être c'est encore un principe de musicalité qui préside à ces échos. En revanche, le second quatrain et le second tercet se répondent par des répétitions de mots "prend(s)"' et "heures". Nous avons un parallèle entre "aux heures de la lune" et "aux heures des désirs de mort", avec le recours à la même préposition devant "heures". On sent bien que la note n'est pas musicale, mais qu'il y a une correspondance établie entre la lune et les désirs de mort. Pour la reprise "prend" et "prends", le parallèle est plus déconcertant, puisque, non seulement il n'y a aucun écho musical, mais dans un cas nous avons un emploi de la forme pronominale "se prend" et dans l'autre la forme basique "prends", ce qui donne l'idée que le mot est le même, sans que ce ne soit franchement le même verbe.
Ce type de parallélisme à partir de répétitions de mots est un trait à peu près constant de la poésie rimbaldienne qui n'a pas d'équivalent chez la plupart des poètes et en tout cas chez Germain Nouveau, l'autre grand candidat à la paternité de "Poison perdu".
Rimbaud utilise ce procédé dans nombre de ses poèmes en vers et dans la plupart des Illuminations. Une saison en enfer fait bien sûr exception.
Dans A une Raison, poème en cinq alinéas ou versets, Rimbaud a placé une répétition "commence"::"commencer" dans les premier et quatrième alinéas, et une reprise "levée" et "Elève" entre les deuxième et quatrième alinéas, tandis que l'unique adjectif du poème est la reprise de "nouveau" sous trois formes différentes.

    Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie.
    Un pas de toi, c'est la levée des nouveaux hommes et leur en-marche.
    Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne, - le nouvel amour !
    "Change nos lots, crible les fléaux, à commencer par le temps", te chantent ces enfants. "Elève n'importe où la substance de nos fortunes et de nos voeux" on t'en prie.
     Arrivée de toujours, qui t'en iras partout.

Il va de soi que la mention "en-marche" n'implique pas Macron qui fait bien entendu partie des fléaux hostiles aux aspirations rimbaldiennes.
Dans "Being Beauteous", Rimbaud a joué sur des répétitions ou si pas des répétitions des reprises par équivalence.

     Devant une neige un Être de Beauté de haute taille. Des sifflements de mort et des cercles de musique sourde font monter, s'élargir et trembler comme un spectre ce corps adoré ; des blessures écarlates et noires éclatent dans les chairs superbes. Les couleurs propres de la vie se foncent, dansent et se dégagent autour de la Vision, sur le chantier. Et les frissons s'élèvent et grondent et la saveur forcenée de ces effets se chargeant avec les sifflements mortels et les rauques musiques que le monde, loin derrière nous, lance sur notre mère de beauté, - elle recule, elle se dresse. Oh ! nos os sont revêtus d'un nouveau corps amoureux.

L'analyse des répétitions pourrait nous mener à rapprocher "Being Beauteous" de "A une Raison" avec "nouveau corps amoureux" pour "nouvel amour" et "s'élèvent" qui rejoint "levée" et "Elève", mais dans l'unité de composition de "Being Beauteous", on voit bien qu'autour du couple de mots proches par l'attaque syllabique "vie", "Vision", nous avons des réponses symétriques évidentes, à quoi ajouter le rôle des prépositions contraires "devant" et "derrière" qui permettent de se représenter la distribution du "monde", du "nous" et de l'Être de Beauté les uns par rapport aux autres. Sur une ligne, nous aurions "le monde", "nous" le regard tourné vers l'Être de Beauté qui se rapproche de nous, l"Être de Beauté donc et puis la neige. Les reprises permettent de créer une forme de boucle originale au sein du poème en articulant une transformation puisque nous passons d'une corps adoré d'un Être au nouveau corps amoureux d'une mère, cette transformation étant orchestrée par l'incorporation spectaculaire des sifflements pourvoyeurs en principe de mort et des musiques sourdes ou rauques.
Dans "Antique", Rimbaud n'a pas joué sur les répétitions de mots, mais si on relève les seuls adjectifs du poème, on est surpris de constater le rangement parfait que forme leur suite immédiate : "Gracieux", "précieuses", "brunes", "blonds", "double", "seconde".
Dans "Angoisse", Rimbaud n'a pas créé de symétries des répétitions de mots pour l'ensemble du poème, mais il l'a fait pour le seul dernier paragraphe ou alinéa.

   [....]
   Rouler aux blessures, par l'air lassant et la mer ; aux supplices, par le silence des eaux et de l'air meurtriers ; aux tortures qui rient, dans leur silence atrocement houleux.

Ce mode de répétitions ou reprises se trouve à l'oeuvre dans presque tous ses poèmes en prose, y compris la série des "Villes", y compris "Mouvement", "Génie", "Après le Déluge", y compris "Vies" à ne lire du coup que comme un seul poème en trois volets. Prenons le poème en trois alinéas ou paragraphes Fleurs, Nous avons une reprise "d'or" fortement parallèle entre les deux premiers paragraphes : "D'un gradin d'or", "Des pièces d'or jaune....", puis nous avons la reprise "rose" et "roses" fortement parallèle également à la fin des deuxième et troisième strophes : "entourent la rose d'eau" contre "la foule des jeunes et fortes roses". Et comme si cela ne suffisait pas, il ne manque même pas un rapprochement entre le premier et le dernier paragraphes : "d'yeux et de chevelures" contre "Tels qu'un dieu aux énormes yeux bleus". Trois couples de répétitions qui épuisent les combinaisons de paragraphes par deux dans un poème en trois strophes !
Dans "Mystique"', le verbe "tournent" du premier alinéa et le verbe "bondissent" du second sont repris dans le troisième alinéa sous la forme d'adjectifs coordonnés : "tournante et bondissante", tandis que le dernier alinéa contient ses propres reprises, celle de "fleurie" à "fleurant", la répétition équivoque du mot "face", à quoi s'ajoute la reprise du mot "talus" au premier alinéa du poème.
Ce système de répétitions soulignant du coup des parallèles dans la composition d'un poème se retrouve dans maints poèmes en vers, je n'ai pas effectué un dépouillement complet, mais entre autres exemples les cent vers du "Bateau ivre" sont concernés, rien moins. Les répétitions peuvent être discrètes et c'est un fait qu'elles tendent à passer inaperçues. Qui pense à rapprocher "froide est la prairie" et "vents froids", "cris sévères" et "crieur du devoir" dans "Les Corbeaux" ? Dans "La Rivière de Cassis", qui remarque la reprise "roule" au premier vers du premier sizain comme au premier vers du second, tandis que "vents" et "vent" sont à la fin de chacun de ces mêmes sizains : "Quand plusieurs vents plongent" contre "Mais que salubre est le vent!"
Un relevé en ce qui concerne "Le Bateau ivre" prendrait de la place, mais il est manifeste que cette façon de jouer sur les symétries de répétitions est un trait propre à Rimbaud, un trait qui n'était pas connu de ses lecteurs pour autant, cette façon de jouer sur les répétitions concerne tout particulièrement les poèmes en prose des Illuminations et nous retrouvons ce fait dans la réponse de second quatrain à second tercet du sonnet "Poison perdu", ce qui est un fait formel remarquable dont l'oeuvre de Nouveau ne donne pas l'équivalent, à moins de confondre avec les répétitions évidentes de nature musicale.
Le sonnet "Poison perdu" n'a pas la manière de Rimbaud au plan prosodique, mais il se caractérise par un trait formel typiquement rimbaldien, certes facile à imiter, mais qui ne peut l'être que si on a su prendre conscience de sa réalité dans l'oeuvre d'un auteur.
C'est l'un des points les plus importants en faveur d'une attribution du sonnet à Rimbaud, indépendamment du travail qui reste à faire pour expliquer pourquoi celui-ci était ainsi obnubilé par les répétitions de mots.
Passons maintenant à un autre ordre de considération.
Le sonnet "Poison perdu" est en octosyllabes.
Les deux grands vers de la poésie française sont l'alexandrin et le décasyllabe avec un hémistiche de quatre syllabes et un second de six syllabes. L'alexandrin a remplacé ce profil de décasyllabe au titre de grand vers français au milieu du seizième siècle. Il y a donc eu une évolution historique à ce sujet. En revanche, pour le reste, le classement n'a pas évolué. Les vers d'une à trois syllabes sont des vers acrobatiques, indignes de la poésie littéraire à l'époque classique, pratiqués par les romantiques et les parnassiens avec une certaine délectation au dix-neuvième siècle, mais sans que leur nature acrobatique ne soit remise en cause. Les vers de quatre à sept syllabes sont les vers de chanson, ainsi que les vers de moins de douze syllabes qui contiennent une césure, à l'exception bien sûr du décasyllabe aux hémistiches de quatre et six syllabes. Les vers de plus de douze syllabes, avec leurs césures, sont rares et n'entrent dans aucun classement particulier, on ne peut même pas parler de vers de chanson. Ils ont quelque chose d'excessif qui pourrait peut-être servir de base à leur classement à part.
Mais il reste le troisième grand vers de la poésie française, l'octosyllabe, le plus long des vers sans césure.
Sachons tout de même apprécier que les traités ont essayé de préciser les registres attribuables à un tel type de vers. Dans son Art poétique français, en 1548, Thomas Sébillet écrit à propos de l'octosyllabe et du décasyllabe, "Et à vrai dire, ces deux dernières espèces, sont les premières, principales, et plus usitées : pource que l'une sert au Français de ce que sert au Latin le vers Elégiaque : et l'autre s'accommode par lui à ce que le Latin écrit en carme Héroïque." Sébillet parle ensuite du vers alexandrin, moins fréquent, mais qui "ne se peut proprement appliquer qu'à choses fort graves, comme aussi au poids de l'oreille se trouve pesante." L'identification au vers élégiaque latin est peu satisfaisante, mais l'idée d'une moindre gravité de l'octosyllabe est effectivement commode pour une compréhension utile à toutes les époques de la distance qu'il y a entre l'octosyllabe et l'alexandrin. Sébillet poursuit ainsi son discours sur les vers de sept syllabes et moins : "aussi les trouveras-tu plus souvent accommodées à écrire chansons, odes, psaumes et Cantiques, qu'à autres sortes de poèmes." De Sébillet à la fin du dix-neuvième siècle, le statut des différents vers n'a pas changé, à l'exception du statut de l'alexandrin qui s'est renforcé précisément au moment même où Sébillet écrivait son traité. Si le sonnet d'alexandrins peut correspondre à un exercice mondain, le sonnet d'octosyllabes a une note plus frivole encore, tout simplement. Il ne vise donc pas pleinement à la grande poésie.
On voit que par sa forme en octosyllabes le sonnet "Poison perdu" entre dans une catégorie littéraire précise et il suffirait ici de citer des exemples de sonnets d'octosyllabes de poètes romantiques et parnassiens pour achever de s'en assurer.
Mais, il y a un dernier point formel important, c'est la distribution des rimes dans le sonnet "Poison perdu".
Le sonnet est une forme fixe particulière dont on oublie qu'elle n'est pas régulière. Il est permis de parler de strophe pour les quatrains, ils sont deux dans le poème, mais il l'est moins pour les six derniers vers. Il n'existe pas de strophe de trois vers sur deux rimes. La première strophe possible compte au moins quatre vers. En réalité, les deux tercets du sonnet forment une seule strophe de six vers. Le dernier vers du premier tercet rime en principe avec le dernier vers du second tercet, et c'est cela qui crée la strophe. Toutefois, dans une strophe, la rime qui crée la strophe peut remonter du dernier vers à l'avant-dernier vers. C'est ce qui explique, et je me fonde ici sur des études de Benoît de Cornulier, qu'à côté des quatrains à rimes croisées ABAB nous ayons des quatrains à rimes embrassées ABBA et que dans le cas du sonnet nous ayons des tercets formant un sizain régulier AAB CCB et plus couramment cette forme étonnante : AAB CBC. Dans son traité, Banville ne traite pas du tout le sizain des sonnets comme une strophe, vu que le sizain est solitaire et vu que Banville est sans doute gêné par cette distribution AAB CBC dont les poèmes en sizains ne donnent pas l'exemple.
Le sonnet, originaire de Sicile, a d'autres organisations des rimes en italien. Un modèle est l'alternance sur deux rimes ABABAB, remise en avant par Catulle Mendès dans Philoméla et épinglée par Rimbaud dans Oraison du soir et deux "Immondes", ce qui pourrait inciter à chercher une explication relativement aux écrits de Catulle Mendès pour ce qui est des deux "Immondes".
Mais, les sonnets irréguliers ne sont pas venus de l'exemple de Baudelaire et Banville.
Il existe aussi un modèle du sonnet dans la littérature anglaise, une distribution en trois quatrains avec une rime plate finale. Cette rime plate était exclue en France où les deux formes canoniques étaient AAB CCB et AAB CBC. C'est Sainte-Beuve qui, en traduisant des sonnets anglais, a apporté dans la littérature française ces sonnets avec une rime plate finale AA, créant du coup parfois l'idée d'une forme de sizain inversé ABB ACC au lieu de AAB CCB, où bien observer l'opposition des lettres que j'ai mises en gras (*-- *-- contre --*--*). C'est à partir de là que la distribution des rimes est devenue follement libre dans la production de romantiques des années 1830, Musset et Gautier. Gautier a renoncé à ce type de fantaisie et cela peut donner l'impression que vingt ans après Banville et Baudelaire ont créé les sonnets aux rimes irrégulières dans les tercets, alors qu'il y a un épisode historique impliquant rien moins que Sainte-Beuve, Gautier et Musset.
En réalité, Baudelaire et Banville ont repris ce à quoi les romantiques avaient rapidement renoncé. Et dans la foulée les parnassiens ont pratiqué le sonnet irrégulier. Le premier volume du Parnasse contemporain est édifiant à ce sujet, et on pourra au passage observer combien Heredia était irrégulier en 1866, bien avant de publier les plus sages et plus réguliers sonnets des Trophées réunis en recueil en 1885. En 1863, deux recueils ont joué un rôle important : Philoméla de Catulle Mendès et Avril, mai, juin le recueil de Mérat et Valade publié anonymement.
Or, le fait exceptionnel, c'est que la distribution des rimes de "Poison perdu" correspond à une pointe extrême de l'exercice du sonnet aux tercets irréguliers par les rimes. Il s'agit de tercets sur deux rimes, mais pas sur le mode alterné pétrarquiste repris par Mendès ABA BAB. Il ne s'agit pas non d'un tercet sur une rime et d'un tercet sur une autre rime. Ce que laisse "Poison perdu", c'est une forme étrange "piquée", "d'or", "dort" / "trempée", "préparée", "mort", comme s'il fallait permuter certaines rimes. On observe bien une symétrie : dans un tercet, une rime en "-ée" est isolée, dans l'autre une rime en "or(t)". Mais la symétrie n'empêche pas de considérer que les tercets n'ont pas une organisation des rimes permettant d'identifier une strophe. On observe quelque chose d'aléatoire.
Il existe des distributions de rimes aussi fantaisistes que celle de Poison perdu, car au lieu du ABB AAB de "Poison perdu" on peut imaginer par exemple la forme AAB ABB. J'ai rencontré cette forme AAB ABB chez certains poètes, mais ce qui m'a frappé c'est que la forme ABB AAB était à ce point plus rare encore qu'elle ne se retrouve que dans un unique sonnet de Musset et dans quelques poèmes du recueil Avril, mai, juin de Mérat et Valade. Je ne l'ai jamais rencontrée ailleurs, et ce n'est pas faute d'avoir cherché.
Je citerai dans un article à part les poèmes concernés de Valade et Mérat. Nous avons déjà compris l'importante signification zutique, vis-à-vis de Valade en particulier, de la distribution des rimes de "Poison perdu", ce qu'aggravent les mauvaises rimes, rime en "-ée" réputée trop facile, la seule rime qui exige la consonne d'appui dans la tradition classique, réponse donc à Banville qui lui veut la voir partout, et rime à consonne finale problématique : "d'or", "dort", "mort".
Citons comme document, quelle que soit son importance ou non pour l'élaboration de "Poison perdu", le sonnet de Musset.

                                    A M. Régnier
          De la comédie française, après la mort de sa fille

Quel est donc ce chagrin auquel je m'intéresse ?
Nous nous étions connus par l'esprit seulement ;
Nous n'avions fait que rire et causé qu'un moment,
Quand sa vivacité coudoya sa paresse.

Puis j'allais par hasard au théâtre, en fumant,
Lorsque du maître à tous la vieille hardiesse,
De sa verve caustique aiguisant la finesse,
En Pancrace ou Scapin le transformait gaîment.

Pourquoi donc, de quel droit, le connaissant à peine,
Est-ce que je m'arrête, et ne puis faire un pas,
Apprenant que sa fille est morte dans ses bras ?

Je ne sais. - Dieu le sait ! Dans la pauvre âme humaine,
La meilleure pensée est toujours incertaine,
Mais une larme coule et ne se trompe pas.


Je ne vois pas de lien entre ce poème de Musset et le poème de Rimbaud, à ceci près que la distribution des rimes dans les tercets est identique. Vous pouvez chercher dans les sonnets de Sainte-Beuve, Musset, Gautier, Nerval, Baudelaire, Banville, Verlaine, Mallarmé, de tant et tant de parnassiens, vous aurez du mérite si vous trouvez un autre sonnet avec la même distribution ABB AAB. Seul le recueil Avril, mai, juin m'a permis d'en rassembler quelques-uns.

A suivre...

6 commentaires:

  1. Bonjour, dans "Sagesse", II, IV, V, p. 270 de la Pléiade,
    " Afin qu'un jour la Croix où je meurs fut dressée
    Et que par un miracle effrayant de bonté,
    Je t'eusse un jour à moi, frémissant et dompté.

    Aime. Sors de ta nuit. Aime. C'est ma pensée.
    De toute éternité, pauvre âme délaissée,
    Que tu dusses m'aimer, moi seul qui suis resté".

    Intéressant, le dernier hémistiche se rapproche vraiment de la répétition "rien dans la chambre n'est resté", "il n'est resté de trace aucune", et surtout la rime A est la même ! je compte justement écrire cet été quelque chose sur le rapport entre PP et Verlaine "Sur le balcon", des "Amies", et ce sonnet de "Sagesse"
    je vous le ferai lire avec plaisir
    merci, à bientôt

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  2. L'organisation des rimes dans ce sonnet m'avait échappé, j'étais parti du principe tout à fait logique que Poison perdu était composé en fonction de la distribution des rimes d'un sonnet antérieur à 1874-1875.
    La coïncidence verlainienne est impressionnante. Il aurait eu Poison perdu entre les mains au moment de composer ce sonnet de Sagesse, donc bien avant sa correspondance avec Charles Morice au moment de sortir Les Poètes maudits.
    La rime A n'est pas exactement la même. Par sa banalité, la rime en "-é" est la seule qui demande à l'époque classique la consonne d'appui, avec des exceptions célèbres:
    Depuis que sur ces bords les dieux ont amené
    La fille de Minos et de Pasiphaé.
    Absurdement célèbre, la périphase n'a pas de consonne d'appui pour l'unir au vers précédent.
    Verlaine a une rime en "sée" : "dressée", "pensée", "délaissée", dans Poison perdu nous avons une rime en "-ée", insuffisante pour un Banville comme pour un classique, et comme ! pour Verlaine... "piquée", "trempée", "préparée". Mais la coïncidence demeure, d'autant que Vezrlaine joue sur l'alternance masculin-féminin du même timbre vocalique "é" : "dressée", "bonté", "dompté", "pensée", "délaissée", "resté". Dans Poison perdu, la rime en "-ée" est aux mêmes positions que la rime en "-sée" de Verlaine, mais la rime en "té", même si elle est remplacée par la rime en "-or(t)", est déplacée dans les quatrains avec clôture par le mot "resté" non plus des tercets et du poème, mais des quatrains.
    Tout cela a de quoi jeter un trouble.
    En revanche, pour les thèmes et la manière, les deux poèmes sont assez distincts. Verlaine ressemble ici nettement à Hugo et il reprend le discours chrétien. C'est pour cela que j'envisagerais plutôt une réponse de Verlaine à Poison perdu supposé alors de Rimbaud, si un lien était à établir entre les poèmes. Je n'imagine pas Poison perdu parodier ce sonnet de Verlaine (en quelle année ?) sans reprendre les éléments chrétiens à ... épingler. Le second quatrain de Verlaine va par ailleurs très loin dans les enjambements.
    Reste la comparaison : "Comme un pauvre rué parmi d'horribles mets" qu'on peut toujours rapprocher de "Comme un gros insecte qui dort", mais c'est un peu court me semble-t-il.
    Enfin, "moi seul qui suis resté!" face à "(Aucun ou) Pas un souvenir n'est resté[,]" il va falloir trouver le lien entre les deux.

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  3. En ce qui concerne "Sur le balcon", le titre "sur le balcon" figure donc au premier tercet du sonnet de Verlaine et au second quatrain de Poison perdu. La "lune" est à chaque fois dans les seconds quatrains, avec donc thème commune du balcon à la lune.
    Pour le premier vers de Poison perdu, "Des nuits du blond et de la brune" avec "dentelle d'été", je suppose que vous rapprochez le jeu de mots à la rime "l'autre blonde" et "peignoirs légers de vieille blonde" "nuages".
    Verlaine joue plutôt sur une distribution "l'une et l'autre" dans Les Amies : "L'une pâle aux cheveux de jais, et l'autre blonde / Et rose", "L'une avait quinze ans, l'autre en avait seize;" ce qui est rythmiquement distinct, mais indique au passage un lien entre le premier et le second sonnet des Amies. Il est question de rêver et dormir dans Les Amies également (Sur le balcon, Pensionnaires), ce qui peut se rapprocher de "Comme un gros insecte qui dort". Or, le "Et plein d'odeurs" de "Sur le balcon" me fait songer au sonnet La Mort des amants de Baudelaire, sonnet parodié en La Mort des cochons et doublement transcrit dans l'Album des Vilains Bonshommes et l'Album zutique: "Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères..." Le sonnet de Baudelaire est en vers de dix syllabes, mais il s'agit de couples d'hémistiches de cinq syllabes. Il y a un lien avec d'autres poèmes à faire à ce sujet, de Cros je crois, mais peu importe ici. Le troisième sonnet des Amies Per amica silentia qui contient un adjectif "argentine" a peut-être rapproché des ongles argentins des deux soeurs des Chercheuses de poux est frappant à plusieurs égards. Les tercets sont sur trois rimes, mais parmi ces trois une rime en "-lées" et une rime en "-ore". Le sonnet Poison perdu couple la rime en "-ée" et la rime masculine en "-or(t)". Ce n'est pas tout, "aux heures des désirs de mort" peut faire écho à "Le glorieux Stigmate vous décore[,]" tandis que le parallèle d'attaque "Aimons, aimons!" "Aimez, aimez" des tercets peut faire songer à l'emploi chrétien du même verbe dans le sonnet de Verlaine que vous citez (dont vous ne citez que les tercets, car il faut tout lire du coup). Une des rimes en "-lées" n'est autre que le mot "Esseulées".
    Dans les quatrains de Per amica silentia, nous avons une répétition, celle-là du type appuyé musical, entre les premiers vers de chaque quatrain : "Les longs rideaux de blanche mousseline" et "Les grands rideaux du grand lit d'Adeline", avec ici la reprise dans le même vers de l'adjectif "grand(s)". Question tissu, Verlaine fait dans la "dentelle" peut-on dire! Nous voyons que nous passons de "Vaguement" à "vague" du premier au troisième sonnet des Amies, de Sur le balcon à Per amicia silentia.

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    1. "à peut-être rapprocher", le plus drôle c'est que j'avais écrit "à peut-être rapprocher" et puis je l'ai corrigé comme fautif.

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  4. Maintenant, autant il me semble certain que Verlaine songe à Baudelaire et notamment à La Mort des amants en composant son recueil des Amies, autant il ne reprend pas le décasyllabe de chanson aux deux hémistiches de cinq syllabes, mais le décasyllabe littéraire aux hémistiches de quatre et six syllabes dans Per amicia silentia pour alors rendre un hommage à Banville en démarquant l'enjambement de mot sur adverbe de La Reine Omphale "Où je filais pensivement la blanche laine". Verlaine passe à un niveau d'astuce supérieur en exploitant l'enjambement dans un type de vers aux hémistiches inégaux "Dans l'ombre mol+lement mystérieuse", alors que dans le cas de l'alexandrin on peut souvent prétendre que le rythme passe grâce à la configuration du trimètre, ce qui est une lecture possible du vers de Banville : "Où je filais / pensivement / la blanche laine". Dans le sonnet de Verlaine, on se prend l'enjambement sans compensation possible. Les deux sonnets suivants des Amies sont en revanche en octosyllabes comme Poison perdu avec l'idée de petite mort et la recherche d'un bouton de rose équivalent quelque peu à épingle et gros insecte qui dort. Il ne reste alors que le sonnet final des Amies, sonnet inversé en alexandrins de vengeance intitulé Sappho.
    Y a-t-il eu des poèmes entre Verlaine et Rimbaud dans le prolongement des Amies dont Les Chercheuses de poux de Rimbaud, Poison perdu, pourraient être rapprochés ?
    Sur le thé, il y a un poème de Banville auquel je songe, c'est peut-être anecdotique, "thé" est à la rime.
    Enfin, il faut se reporter au poème "Le Poète et la Muse" de Verlaine qui peut fait écho et à Poison perdu et à Jeune Ménage.

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