La suite de l'étude sur Pommier se fait attendre, je suis occupé et je dois renoncer à pas mal de choses. J'en profite pour proposer cet intermède. Je me suis fait une spécialité pour indiquer à l'attention certaines sources aux poèmes de Rimbaud. Voici quelques cas inédits, en tout cas des choses qui n'ont jamais été portées à ma connaissance auparavant, sur la musique des Rolling Stones. Il s'agit d'un groupe de rock de la prestigieuse époque des sixties. Ma thèse, c'est que pour partie l'excellence de la musique des Stones s'est fondée sur le fonds musical non rock de leur époque. Les Stones écoutaient pas mal de blues, mais leurs morceaux à succès ne venaient pas souvent du blues. Mon idée, c'est que le format des chansons à succès des Stones part du substrat de la soul qui leur était contemporaine. La soul était une musique susceptible de plaire à tous les publics et avec des sons plus doux un soin particulier était apporté à la mélodie bien sûr mais aussi à la dynamique rythmique et aux harmoniques entre différents instruments dont les cuivres qui se joignaient à la basse et à la batterie.
J'ai déjà dit que les stones feraient bien de rejouer plus souvent en concert leur répertoire sixties pour retrouver une part de leur inventivité et séduction d'antan. Ceux qui se croient des fans sérieux vous envoient bouler évidemment, ou vous disent que si ils jouent un petit quota de chansons antérieures à l'année 1968 à l'occasion.
Voici donc un échantillon qui devrait assez montrer que pourtant je ne me trompe pas.
Under my thumb n'est pas un grand succès des Stones, puisque ce n'est pas tant un titre de 45 tours qu'un titre phare de l'un de leurs plus fameux albums Aftermath de 66. La spécificité de ce titre vient d'un motif mélodique instrumentale joué sur une espèce de xylophone (marimba). Ce motif est un allongement de ce qu'ils ont pu écouter au tout début du titre Same old song des Four Tops. Au vu de la page Wikipédia française sur cette chanson, une telle information semble désormais courir sur le net, peut-être parce que quelqu'un m'a lu dans des conversations sur des sites rock, peu importe j'ai fait le rapprochement tout seul. Les stones ont accentué en format sauvage ou rock une base soul. Les Four Tops ne sont pas des inconnus et le public français en connaît bien deux chansons transposées en français par un même artiste dont j'aurais des remords de plume de citer le nom ici: "J'attendrai" pour "I'll be there" et "C'est la même chanson" pour "Same old song".
Le titre Paint it black est contemporain de l'album Aftermath. C'est l'un des titres majeurs de la discographie stonienne. Il s'inspire probablement des chansons funéraires des milieux juifs anglais pour lesquels les stones ont pu jouer des concerts privés, mais le titre me semble s'inspirer d'une ligne mélodique d'une chanson des Supremes. De 64 à 67, les Supremes ont une collection considérable de succès, Diana Ross étant l'une des chanteuses ayant le plus vendu de disques au monde. Même les compositeurs pour les Supremes sont des références incontournables, à commencer par le trio Holland-Dozier-Holland à qui nous devons des succès en pagaille pour bien des artistes. Je pense donc au titre My world is empty without you, une création justement d'Holland-Dozier-Holland, et je complèterais ma référence d'une autre chanson des Supremes, la chanson I hear a symphony qui si je ne m'abuse donne son titre à l'album où figure la chanson My world is empty without you.
Cette fois, la page française de Wikipédia sur la chanson Paint it black (où déplorer le maintien stupide de la polémique virgule dans le titre de la chanson !) ne donne pas mon titre des Supremes comme source de la composition. Cela serait moins évident et j'aurais moins convaincu sur le net. La page Wikipédia française donne en réalité une version connue mais invérifiable et douteuse selon laquelle ce Bill Wyman et Brian Jones qui aurait amené la chanson à ce style oriental dépressif. Il me semble pourtant évident que tout part de la partie guitare initiale de Keith Richards et il me semble autrement plus crédible que la chanson se soit d'emblée inspirée de la ligne dépressive de la chanson soul "My world is empty without you". Le rythme pompé entame clairement la chanson du groupe féminin et Billy Wyman avec Brian Jones n'ont probablement rendu le chant funèbre orientalisant que parce que c'était une donnée de départ de la composition de Jagger et Richards inspirée des Supremes. Les paroles de la chanson des Stones ont gardé l'idée de deuil, mais pour en durcir l'expression ils se sont écartés quelque peu du registre amoureux explicite qui prédomine bien sûr dans la chanson des Supremes. Enfin, pourquoi citer en complément "I hear a symphony" ? Tout simplement, parce qu'un des motifs très connus du chant vocal chaud et fragile de de Diana Ross, c'est les accentuations sur le mot "baby": "baby baby baby...", ce qui me semble la source du "paint it paint it black" stonien. Encore une fois, une base soul est accentuée au plan rock.
Il s'agit d'une des rares chansons écrites par Holland-Dozier-Holland comme 45 tours des Supremes qui n'aient pas été numéro 1 des charts, et cette chanson date de la fin de l'année 1965 et se trouvait dans les charts au début de l'année 1966, période de composition et pressage du titre Paint it black précisément. Des Supremes, tout le monde connaît les jouissifs et voluptueux "You keep me hangin on", "Baby love", "You can't hurry love". Des titres qui ont connu à nouveau le succès parfois dans des versions assez calamiteuses d'artistes secondaires (Kim Wilde - You keep me hangin on ou Genesis (Phil Collins) - You can't hurry love). Ce sont des titres universels.
Le titre "I hear a symphony" a l'air d'une source improbable, mais c'est le petit complément dans une chanson contemporaine. Les stones en ont repris l'accentuation du rythme à la batterie et comme je l'ai dit l'accentuation dissyllabique "baby baby baby..." qui passe de la voix tendre de Diana Ross à la jactance agressive de Jagger "paint it paint it black". Ce complément consolide ce qui me semble déjà bien évident pour la mélodie et le rythme du titre précédemment cité.
Les stones ont beaucoup inventé, mais ils s'inspiraient également des autres, sans basculer toutefois dans le plagiat pur et simple comme ce fut bien trop nettement le cas pour une sérieuse partie du répertoire de Led Zeppelin, groupe qui lui pillait sans vergogne.
En 1968, après une parenthèse psychédélique que personnellement je ne mésestime pas du tout, les stones reviennent vers le rock et ils donnent un titre Jumpin' Jack Flash dont le célèbre motif à la guitare a un air de famille avec celui de Satisfaction de 1965. On peut penser dans la conception à une sorte de motif de Satisfaction légèrement retourné, inversé. Là encore, un mythe persistant essaie de faire établir par des journalistes qui n'y étaient pas que le titre a été inventé lors d'une session où Keith Richards et Mick Jagger seraient arrivés en retard tandis que Bill Wyman, Brian Jones et Charlie Watts étaient déjà en train d'improviser tous les trois ensemble. Ces genres de mythes ont la vie solide. Wyman a été crédité pour d'autres titres qu'il a composé. Jusqu'à plus ample informé, le titre "Jumpin' Jack Flash" porte la double signature des deux génies du groupe Mick Jagger et Keith Richards, les deux seuls membres du groupe qui ont régulièrement abreuvé la planète de compositions prodigieuses. Et la remise en cause du mythe me semble d'autant plus nécessaire que là encore il y a une source d'inspiration évidente du côté de la soul contemporaine. Le célèbre motif à la guitare de Jumpin' Jack est un perfectionnement sensible avec une accentuation profilée rock d'un motif rythmique d'une chanson soul portée par une voix féminine relevant d'une tout autre attitude artistique.
Ce titre était sur les ondes à la fin de l'année 1966 et au début de l'année 1967, ce qui nous rapproche chronologiquement du titre "Jumpin' Jack Flash" du début de l'année 1968.
Il y a également un rapprochement à faire entre l'authentique espèce de chute du morceau de Jackie Day et la chute instrumentale du hit de 1968 des Stones. Et bien sûr l'énigme du titre "Jumpin' Jack Flash" a un horizon d'explication avec le nom "Jackie Day", clin d'oeil ludique.
Il y a également un rapprochement à faire entre l'authentique espèce de chute du morceau de Jackie Day et la chute instrumentale du hit de 1968 des Stones. Et bien sûr l'énigme du titre "Jumpin' Jack Flash" a un horizon d'explication avec le nom "Jackie Day", clin d'oeil ludique.
Il existe un célèbre producteur Guy Stevens, celui de l'album London calling des Clash, il fut également le producteur des Spooky Took, de Mott the Hoople, il a travaillé avec les Stones, les Small Faces, les Who. Or, dans les années soixante, Guy Stevens avait tout un catalogue américain qu'il avait récupéré et dont il alimentait l'Angleterre. Plusieurs artistes américains célèbres sont concernés avec même des incursions blues (Elmore James, Jimmy Reed). On trouve des titres de Wilbert Harrison Let's stick together, de Screamin' Jay Hawkins I put a spell on you, d'Ike and Tina Turner, de Lee Dorsey, des Righteous Brothers, de Charlie & Inez Foxx, de James Brown, de Little Richard, des démarcations des Supremes, de Ray Charles, etc., etc. Ceci est l'objet d'une compilation en 4 CD qui se rencontre actuellement dans les magasins de CD et disques. Le titre de Jackie Day faisait partie de cet univers soul et blues très bien connu des Stones, et j'ajoute un titre de 67 de Bobby Garrett qui n'est pas une source direct comme "Before it's too late" de Jumpin' Jack Flash, mais j'identifie un air de famille avec le motif du titre contemporain de Jackie Day, car j'aurais un ensemble de titres soul à signaler à l'attention comme parents de celui de Jackie Day, ce dernier permettant de glisser directement dans la transposition typique des Stones de la soul à l'accentuation rock.
Le titre "Jumpin' Jack Flash" sera repris dans l'univers soul par la tante de Whitney Houston en 1969 : elle garde un air rock mais rehaussé de cuivres, le côté rock étant paradoxalement assuré par moments une saturation électrique distincte de la performance stonienne.
Là encore, je ne connais aucun rapprochement de "Jumpin' Jack Flash" avec le titre "Before it's too late", il faut dire que cette fois c'est la première fois que je l'écris sur internet.
Ni Under my thumb, ni Paint it black, ni Jumpin' Jack Flash ne sont de purs et simples plagiats. Il y a tout de même deux plagiats sensibles dans l'oeuvre des Rolling Stones. Le titre "Surprise, surprise" en 65 reprend l'allure d'une chanson d'un 45 tours de 63 d'un obscur groupe anglais au moment où la British Invasion et la Beatlemania ne font encore que se mettre en place. Le titre "The Last time" reprend des paroles et quelque peu de la mélodie vocale du titre "Maybe the last time" du groupe The Staple Singers avec la voix célébrissime de Mavis Staple. J'ai un indice que Mick Jagger pourrait être l'instigateur de telles inspirations serrées de près, plutôt que Keith Richards. Sur l'album Wandering Spirit de Mick Jagger au début des années 90, une mélodie de chanson s'inspire nettement d'un titre méconnu d'un excellent groupe de Mickey Jupp, Legend. Mick Jagger était sans aucun doute extrêmement sensible à l'idée de trouver des amorces à succès pour ses compositions. On a parfois voulu réévaluer l'importance respective de Mick Jagger et Keith Richards pour la composition au sein des Stones. Keith Richards a pris de l'importance en tant que musicien sérieux à la fin des années 80 et au début des années 90, son mythe commençant à concurrencer celui plus classique du chanteur. Pourtant, force est de constater la griffe évidente de Jagger sur quantité de succès stoniens immédiats. Dans les années 60, le format soul était essentiel à la création de Jagger et cela stimulait magnifiquement le travail créateur et artistique du groupe, ce que peu de gens à l'heure actuelle perçoivent.
Ce petit intermède est à comparer avec la recherche des sources et même des réécritures dans l'oeuvre de Rimbaud, c'est intellectuellement très intéressant pour ce qui est de l'étude du dynamisme créateur chez les génies, sachant que nous explorons un secteur à la limite du plagiat.
Je pourrais songer à une étude similaire dans le domaine du cinéma, mais je ne suis pas encore au point pour en parler. Je pense à Luis Bunuel, l'un des plus grands réalisateurs de cinéma que je connaisse. Impossible de dire qui de Bunuel ou de Dali a eu toutes ces idées géniales du film surréaliste Un chien andalou. Pour des raisons politiques, Bunuel n'a réalisé que trois courts ou moyens métrages au début des années trente (Un chien andalou, L'Âge d'or, Terre sans pain (Las Hurdes)), et n'est revenu à la réalisation qu'à la fin des années quarante, avec une suite de films qui même quand ils sont tout public sont époustouflants. Bunuel a une touche naturelle de cinéaste complètement fascinante. Ces films ne sont pas les perfections absolues d'un Fellini ou d'un Kurosawa, les deux plus grands génies du cinéma selon moi, car Bunuel construit ses films sans se préoccuper de la légende artisitique à laisser, et puis tout à coup on voit des choses saisissantes de fraîcheur et d'invention dans une ou l'autre séquence. Et il ne faut pas se limiter à la célèbre scène du rêve dans "Los Olvidados". J'ai vu Le Grand noceur, Don Quintin l'amer, Susan la perverse, La Montée au ciel, Nazarin, La Fièvre monte à El Pao, Viridiana et quelques autres, et je le trouve vraiment sidérant par instants. Je remarque que dans Los Olvidados le jeune garçon jette un oeuf sur la caméra, ce qui anticipe très clairement la Nouvelle Vague et le cinéma du début des années 60 où l'acteur peut s'adresser directement aux spectateurs. Comme Fellini, Bunuel se moque en des saynètes folles de la comédie des manières catholiques, mais il le fait de manière plus débridée et corrosive. Or, Nazarin m'a l'air de devancer chronologiquement certains aspects de la manière qui s'affirmera celle de Fellin dans les années 60 et 70. Il y a une scène saisissante où les deux folles croient célébrer un miracle qui est à rapprocher du cinéma de Fellini, mais celui-ci à l'époque s'il était déjà au sommet avec Les Vitelloni, Il Bidone ou La Strada qui regorgent déjà de prodiges uniques dans l'histoire du cinéma, celui-ci à l'époque disais-je ne profilait pas encore exactement de la sorte la caricature de l'hybris catholique.
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