En repassant par Paris, je n'ai pas pu m'empêcher de retourner au 13, rue Séguier. Ce n'est pas grand-chose, mais j'ai envie de préciser l'endroit où Charles Cros a hébergé Rimbaud. Michel Eudes se trouvait là également. L'endroit était plusieurs choses à la fois, il y avait notamment un laboratoire pour Cros et un atelier pour Penoutet (Eudes). Dans les étages, ce sont des appartements plus petits et de toute façon il est difficile d'imaginer un laboratoire ailleurs qu'au rez-de-chaussée. L'endroit semble par ailleurs occupé par des imprimeurs ou éditeurs le plus souvent. Pour le lieu le plus vaste au rez-de-chaussée, j'ai appris que c'était la réunion d'un local et de l'ancienne maison du concierge. Un point remarquable. Dans la cour intérieure (nous sommes à deux pas du quai des Augustins !), Il y a une vieille borne en pierre inamovible et fort usée avec une fleur de lys gravée sur son sommet qui a dû pas mal agacer Rimbaud à chaque fois qu'il rentrait crécher chez Cros.
Il ne me reste que les archives du cadastre à consulter. Soit Charles Cros était propriétaire ou un de ses proches, soit j'aurai les dimensions des locaux à l'époque.
Je vais chercher dans les archives du cadastre où logeait Banville également, 10 rue de Buci, histoire d'identifier la fenêtre.
En effet, les gens qui habitent au 13, rue Séguier ou au 10 rue de Buci ne savent même pas que Rimbaud est passé par là.
Evidemment, j'ai à nouveau mangé au Polidor en privilégiant les plats qui se rapprochent le plus de l'esprit d'une crèmerie (crème de lentilles, sauce aux morilles,....). J'ai triché, j'ai pris un dessert, ce qui ne fait plus alors époque. Les étudiants pauvres prenaient leur bouillon et s'en allaient. L'endroit est peuplé d'américains qui viennent sentir l'odeur de leurs stars, mais c'est idiot : Hemingway, ce n'est pas Rimbaud et Woody Allen ça n'a aucune valeur artistique réelle. Ceci dit, comme ça marche bien, le restaurant continue de vivre avec ce cadre rétro inespéré.
Je suis passé aussi dans les allées du Luxembourg. Un peu à côté de son principal attrait, la Fontaine Medicis au style particulier, florentin pour moi, il y a une sculpture de Lequesne, "Le Faune dansant", qui date de 1851 et qui s'inspire du faune retrouvé à Pompéi en 1830. Cela n'éclaire pas le sens d'un vers de "Tête de faune", mais c'est tout de même important de pouvoir dérouler toute l'histoire du motif du faune dans la poésie du dix-neuvième siècle. Il y a un effet de résurgence antique à analyser de près au plan de la signification des poèmes d'Hugo, de Verlaine, des parnassiens et bien sûr de Rimbaud, vu que la statue est intégrée au discours d'apparat de la ville et que Rimbaud, en particulier, active les significations faunesques dérangeantes pour la bourgeoisie et l'Eglise. "Tête de faune" est d'ailleurs une reprise de "Credo in unam" avec le point commun significatif de la morsure.
Justement, dans le volume "A la mémoire de Michael Pakenham" qui vient de paraître, Olivier Bivort a publié un article intitulé "Des Poètes maudits à Tête de faune". A la bibliothèque de l'Institut de France, il a retrouvé une collection complète de la Revue critique avec, dans le numéro du 13 avril 1884 qui nous échappait jusqu'à présent la fameuse recension de Charles Morice au sujet des "Poètes maudits" où Verlaine l'avait pressé de citer en avant-première le poème "Tête de faune". Le poème est cité in extenso dans la version des Poètes maudits, ce qui confirme encore une fois si besoin en était que Verlaine a eu entre les mains un manuscrit bien distinct de celui qui nous est parvenu. Sous les initiales "C. M.", l'ami de Verlaine présente aux lecteurs Corbière, Rimbaud et Mallarmé. Un article de Louis Forestier offre également le texte de trois poèmes inédits de Charles Cros dans ce volume d'hommages intitulé Le Chemin des correspondances et le champ poétique et publié aux Classiques Garnier. Evidemment, ce genre d'ouvrages reste un investissement qui s'adresse plutôt aux chercheurs.
J'ai d'autres mises au point à faire sur les lieux de passage de Rimbaud. Je songe à un article accompagné de photographies. Le Polidor serait un des éléments mis en valeur dans un tel article, d'autant que, s'il regarde en face à travers la vitre de l'entrée, le client en train de déguster sa crème de lentilles a sous les yeux la cour intérieure sans doute bien conservée du bâtiment situé de l'autre côté de la rue où plusieurs peintres ont logé, mais surtout Forain et Jolibois au moment même où Rimbaud logeait dans sa mansarde au-dessus du Polidor. De sa fenêtre, Rimbaud jouissait d'une vue donnant sur le lycée. Il n'y a que trois fenêtres à passer en revue et une seule correspondrait.
Enfin, dans le cas du témoignage de Rodolphe Darzens, l'histoire selon laquelle Rimbaud aurait cherché à rejoindre Henry Mercier sur une île grecque me paraît suspecte, d'autant que c'est à Marseille que Rimbaud semble avoir rencontré Mercier. Il me semble que les notes ont été prises dans de mauvaises conditions de témoignage et je n'exclus même pas que Mercier et d'autres se soient en partie moqués de Darzens en déformant certains faits. Comme Antibes et Nice, Marseille est une ville qui a été créée par une colonie grecque phocéenne. Dans le même ordre d'idées, s'il est question d'une entreprise qui fabrique du savon, il n'était nul besoin d'aller en Grèce. Si l'appellation "savon de Marseille" n'est pas qu'abusive en tant que marque non déposée dont tout le monde peut s'emparer, mais en tant qu'elle cache la seule appellation légitime "savon d'Alep", il n'en reste pas moins que la production de savon était importante à Marseille à cause de l'abondance d'oliviers qui permet d'avoir 72% d'huile d'olive dans sa composition. Le savon de Marseille ou d'Alep est-il si bon que ça pour la peau comme le disent les écologistes, alors que son ph ne convient de toute façon pas à la peau ?, je n'en sais rien. Ses copeaux semblent permettre en tout cas la confection d'une lessive traditionnelle bon marché qui fait le bonheur de quantité de youtubeurs qui en proposent la recette en concurrence avec une autre tout aussi traditionnelle à base de cendres. Mais, vu l'impasse d'une localisation d'une savonnerie d'Henry Mercier sur les îles grecques, je me concentrerais plutôt sur l'idée d'une rencontre entre Mercier et Rimbaud à Marseille, et je n'exclus pas qu'il faille faire son deuil d'un Mercier dirigeant une savonnerie.
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