samedi 28 septembre 2013

Tableau métrique de synthèse sur les cent vers du Bateau ivre

Voici le tableau métrique qui aurait dû accompagner l'article "Ecarts métriques d'un Bateau ivre" paru au printemps 2007 dans les Cahiers du Centre d'Etudes Métriques n°5, l'article peut être consulté en ligne

Ce tableau permet d'observer que les positions syllabiques 1, 2, 3, 4, 5, et 7, 8, 9, 10, 11 sont souvent marquées par les critères F, M, C, P, s ou ! qui signalent à l'attention une configuration linguistique excluant l'idée d'un "repos" favorable à l'expression de la césure
Par contraste, les positions de la césure et de la fin de vers ne sont pas marquées, les positions 6 et 12
Je n'ai pas inclus dans le tableau la position 12 qui n'aurait révélé qu'une alternance entre position non marquée et position marquée par un "s", suite à l'alternance en genre des rimes, qui fait que les rimes féminines supposent une treizième syllabe autour d'un "e" surnuméraire conclusif de vers Le "e" n'est pas muet, sinon cette règle d'alternance serait absurde en soi, mais "surnuméraire", mot qu'étaient capables de comprendre les lecteurs de traités et d'arts poétiques au XVIème siècle où il était employé
Ce tableau confirme aussi que Rimbaud n'a pas tendance à compenser les atteintes à la césure normale par des aménagements de ternaires et semi-ternaires Les positions 4 et 8 sont fortement entravées et le sont même quand un vers est entravé également à la position 6
Nous estimons que Rimbaud, Verlaine et leurs prédécesseurs n'ont jamais pratiqué le semi-ternaire, qui n'est apparu qu'à l'extrême-fin du dix-neuvième siècle selon nous, et nous croyons qu'il faut énormément restreindre la qualification de trimètre

Toutefois, Le Bateau ivre fait date dans l'histoire de la versification : la position 6 est entravée à dix reprises sur cent vers, ce qui est énorme par comparaison avec la poésie antérieure, mais ce qui est assez raisonnable pour permettre de comprendre que l'attention est toujours portée sur la césure normale
On voit aussi que les entraves sont volontiers regroupées puisque les deux enjambements de mots se suivent aux vers 11 et 12, j'ai signalé dans l'article correspondant que cela pouvait faire écho à deux vers entravés consécutifs dans le poème Le Voyage de Baudelaire Ce sont les deux premiers des dix vers annotés dans le tableau ! Ajoutons à cela le violent rejet "Je courus" entre deux vers et même au centre du quatrain Bien que romanrtiques, les rejets d'épithètes devenus banals ne sont pas notés dans ce tableau qui aurait pu être compliqué à plaisir :

Dans les clapotements furieux des marées
Moi l'autre hiver plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants

Benoît de Cornulier a le premier songé à analyser l'effet de sens de l'enjambement du mot "Péninsules" à la césure Arrachées, les péninsules deviennent des îles, d'où le débris de préfixe "pén-" séparé de la forme "-insules" par rappel de l'élymologie latine "paene insula" (presqu'île), à ne pas confondre avec la mention "Presque île" plus loin dans le poème
Démarrées veut dire "enlever les amarres", sens que l'emploi actuel du verbe pour une voiture pourrait faire oublier

En considérant le tableau et en se reportant aux vers du poème, on note que quatre de ces entraves sont causées par le même recours à l'article défini "les" et que notre tableau les présente comme quatre transgressions consécutives par opposition aux autres transgressions signalées à l'attention, on remarque aussi que toutes quatre soulignent significativement un mot concret chargé de sens, et il faut aussi considérer que ces quatre vers font partie de la partie du poème consacrée aux visions :


Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,
Et les ressaces et les courants : je sais le soir,
J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Et les lointains vers les gouffres cataractant!

Un effet équivalent va se retrouver avec les formes contractées "de" et "des" un peu plus loin :

Qui courais, taché de lunules électriques,

Fileur éternel des immobilités bleues

Mais avant ces vers où noter pour le second le contrepoint de l'immobilité face au mouvement ("rhythmes", "fermenter", "courants", "gouffres cataractant), nous observons que la conclusion du mouvement de rappel des visions se ponctue par un vers à la césure remarquable, au beau milieu d'une locution prépostionnelle "à travers" que ne doit pas permettre d'occulter l'adoucissement d'audace causé par la locution conjonctive "lorsque"

Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles

Le soulignement en gras suffira ici pour indiquer l'effet de sens qui nous rapproche de celui sur "Péninsules"

La dixième audace du poème concerne encore un article défini vers la fin du poème et elle précède une onzième contenue dans le même quatrain, mais que nous n'avons pas noté comme une atteinte aussi sévère à la structure du vers, la césure après le mot "comme" :

Noire et froide où vers le crépuscule embaumé

Un bateau frêle comme un papillon de mai

Cers deux derniers vers cités riment ensemble et leur rime réapparaîtra sous forme de variante "soir charmé" :: " fauvettes de mai" dans Les Corbeaux

Voilà qui montre le caractère extrêmement soigné du poème de Rimbaud, toujours contre les opinions d'Etiemble et Rivière
D'autres césures sont osées et brouilleraient sans aucun doute la fluidité de ce relevé, sans parler des rejets de vers à vers, mais en s'en tenant aux césures les plus violentes nous constatons une mise en ordre des audaces que tout lecteur peut poétiquement méditer



1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
Comme je descendais + des Fleuves impassibles,
s
F
C*
M
M

C
s
F
M
M
Je ne me sentis plus + guidé par les haleurs :
C*
C*
C*
M


M

P
C
M
Des Peaux-rouges criards + les avaient pris pour cibles
C
M
s
F
M

C
M


P
Les ayant cloués nus + aux poteaux de couleurs.
C
M

M


C
M

C*
M


J’étais insoucieux + de tous les équipages,
M

M
M
M

P*
C
C
M
M
Porteur de blés flamands + ou de cotons anglais[.]
M

C*

M

!
C*
M

M
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages[,]
!
M

C
M

!
M

C
M
Les Fleuves m’ont laissé + descendre où je voulais.
C
s
F
!
M

M

!
C*
M


Dans les clapotements + furieux des marées[,]
P
C
M
s
M*

M
M

C
M
Moi[,] l’autre hiver[,] plus sourd + que les cerveaux d’enfants[,]

!
M



!
C
M

M
Je courus ! Et les Pén+insules démarrées
C*
M

!
C
M
M
s
F
M
M
N’ont pas subi tohu-+bohus plus triomphants[.]
!

M

M
M
M


M
M


La tempête a béni + mes éveils maritimes[.]
C
M

!
M

C
M

M
M
Plus léger qu’un bouchon + j’ai dansé sur les flots

M

C
M

!
M

P
C
Qu’on appelle rouleurs + éternels de victimes,
C
M
s
F
M

M
M

C*
M
Dix nuits, sans regretter + l’œil niais des falots !


P
M*
M


M

C
M


Plus douce qu’aux enfants + la chair des pommes sures

s
F
C
M

C

C
s
F
L’eau verte pénétra + ma coque de sapin

s
F
M
M

C
s
F
P*
M
Et des taches de vins + bleus et des vomissures
!
C
s
F
C*


!
C
M
M
Me lava, dispersant + gouvernail et grappin[.]
C*
M

M
M

M
M

!
M


Et dès lors, je me suis + baigné dans le Poème
!
!

C*
C*
!
M

P
C*
M
De la Mer, infusé + d’astres, et lactescent,
P*
C

M
M

s
F
!
M
M
Dévorant les azurs + vers ; où, flottaison blême
M
M

C
M


!
M
M

Et ravie, un noyé + pensif parfois descend ;
!
M

C
M

M

M

M


Où, teignant tout à coup + les bleuités, délires
!
M

M
M

C
M
M

M
Et rhythmes lents sous les + rutilements du jour,
!
s
F

P
C
M
s
M*

C
Plus fortes que l’alcool, + plus vastes que nos lyres[,]

s
F
!
M


s
F
!
C
Fermentent les rousseurs + amères de l’amour !
M
s
F
C
M

M
s
F
C
M


Je sais les cieux crevant + en éclairs, et les trombes
C*

C

M*

P
M

!
C
Et les ressacs et les + courants : je sais le soir,
!
C
M*

!
C
M

C*

C*
L’Aube exaltée ainsi + qu’un peuple de colombes[,]

M
M

M

C
s
F
C*
M
Et j’ai vu quelquefois + ce que l’homme a cru voir !
!
!

s
M*

!
!

!



J’ai vu le soleil bas, + taché d’horreurs mystiques,
!

C*
M


M

M

M
Illuminant de longs + figements violets,
M
M
M

C*

M
M*

M
M
Pareils à des acteurs + de drames très-antiques
M

P
C
M

C*
s
F
M
M
Les flots roulant au loin + leurs frissons de volets !
C

M

P

C
M

C*
M


J’ai rêvé la nuit verte + aux neiges éblouies[,]
!
M

C


C
s
F
M
M
Baiser montant aux yeux + des mers avec lenteurs,
M

M

C

C

M

M
La circulation + des sèves inouïes,
C
M
M
M
M

C
s
F
M
M
Et l’éveil jaune et bleu + des phosphores chanteurs !
!
M


!

C
M
s
F
M


J’ai suivi, des mois pleins, + pareille aux vacheries
!
M

C


M

C
s
M*
Hystériques, la houle + à l’assaut des récifs,
M
M
s
F
C

P
M

C
M
Sans songer que les pieds + lumineux des Maries
P
M

!
C

M
M

C
M
Pussent forcer le mufle + aux Océans poussifs !
s
F
M

C*

C
M
M

M


J’ai heurté, savez-vous [ ?], + d’incroyables Florides[,]
!
M

M
M

M
M
s
F
M
Mêlant aux fleurs des yeux + de panthères à peaux
M

C

C

C*
M
s
F
P
D’hommes ! Des arcs-en-ciel + tendus comme des brides
s
F
C
M
M

M

s
F
C
Sous l’horizon des mers + à de glauques troupeaux !
P
M
M

C

P
C*
s
F
M


J’ai vu fermenter les + marais énormes, nasses
!

M
M

C
M

M
s
F
Où pourrit dans les joncs + tout un Léviathan !
!
M

P
C

!
C
M
M
M
Des écroulements d’eau + au milieu des bonaces
C
M
s
M*


C
M

C
M
Et les lointains vers les + gouffres cataractant !
!
C
M

P
C
s
F
M
M
M


Glaciers, soleils d’argent, + flots nacreux, cieux de braises !
M

M

M


M


C*
Echouages hideux + au fond des golfes bruns
M
M
s
F
M

C

C
s
F
Où les serpents géants + dévorés des punaises
!
C
M

M

M
M

C
M
Choient, des arbres tordus, + avec de noirs parfums !

C
s
F
M

M

C*

M


J’aurais voulu montrer + aux enfants ces dorades
M

M

M

C
M

C
M
Du flot bleu, ces poissons + d’or, ces poissons chantants.
C


C
M


C
M

M
– Des écumes de fleurs + ont bercé mes dérades
C
M
s
F
C*

!
M

C
M
Et d’ineffables vents + m’ont ailé par instants.
!
M
M
s
F

!
M

P
M


Parfois, martyr lassé + des pôles et des zones,
M

M

M

C
s
F
!
C
La mer dont le sanglot + faisait mon roulis doux
C

!
C*
M

M

C
M

Montait vers moi ses fleurs + d’ombre aux ventouses jaunes
M

P

C


P
M
s
F
Et je restais ainsi + qu’une femme à genoux…
!
C*
M

M

C
Fc

P
M*


Presque île, ballottant + sur mes bords les querelles
!
s
F
M
M

P
C

C
M*
Et les fientes d’oiseaux + clabaudeurs aux yeux blonds[,]
!
C
s
F
M

M
M

C

Et je voguais, lorsqu’à + travers mes liens frêles[,]
!
C*
M

M
P
M

C
M

Des noyés descendaient + dormir, à reculons !
C
M

M
M

M

P
M*
M


Or moi, bateau perdu + sous les cheveux des anses,


M

M

P
C
M*

C
Jeté par l’ouragan + dans l’éther sans oiseau[,]
M*

P
M
M

P
M

P
M
Moi dont les Monitors + et les voiliers des Hanses

!
C
M
M

!
C
M

C
N’auraient pas repêché + la carcasse ivre d’eau ;
M


M*
M

C
M

s
F


Libre, fumant, monté + de brumes violettes,
s
F
M

M

C
s
F
M
M
Moi qui trouais le ciel + rougeoyant comme un mur,

!
M

C

M
M

!
C
Qui porte, confiture + exquise aux bons poètes[,]
!
s
F
M
M

M

C

M
Des lichens de soleil + et des morves d’azur,
C
M

C*
M

!
C
s
F
M


Qui courais, taché de + lunules électriques,
!
M

M

C*
M
s
F
M
M
Planche folle, escorté + des hippocampes noirs,
s
F

M
M

C
M
M
s
F
Quand les [J]uillets faisaient + crouler à coups de triques,
!
C
M

M

M

P

C*
Les cieux ultramarins + aux ardents entonnoirs ;
C

M
M
M

C
M

M
M


Moi qui tremblais, sentant + geindre à cinquante lieues

!
M

M


P
M
s
F
Le rut des Behemots + et les Maelstroms épais,
C

C
M
M

!
C
M

M
Fileur éternel des + immobilités bleues[,]
M

M
M

C
M
M
M
M

Je regrette l’Europe + aux anciens parapets !
C*
M*
s
F
M

C
M

M
M


J’ai vu des archipels + sidéraux ! et des îles
!

C
M
M

M
M

!
C
Dont les cieux délirants + sont ouverts au vogueur :
!
C

M
M

!
M

C
M
– Est-ce en ces nuits sans fonds + que tu dors et t’exiles,

P
C

P

!
C

!
M
Million d’oiseaux d’or, + ô future Vigueur ? –
M
M

M


!
M
s
F
M


Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! + Les Aubes sont navrantes[,]


!

M

C
s
F
!
M
Toute lune est atroce + et tout soleil amer :
C
Fc

!
M

!
C
M

M
L’âcre amour m’a gonflé + de torpeurs enivrantes[.]

M

!
M

C*
M

M
M
O que ma quille éclate ! + O que j’aille à la mer !
!
!
C

M

!
!

P
C


Si je désire une eau + d’Europe, c’est la flache
!
C*
M

C

M
s
F

C
Noire et froide où vers le + crépuscule embaumé

!

!
P
C*
M
M

M
M
Un enfant accroupi[,] + plein de tristesses, lâche
C
M

M
M


C*
M
s
F
Un bateau frêle comme + un papillon de mai.
C
M

s
F
!
C
M
M

C*


Je ne puis plus, baigné + de vos langueurs, ô lames,
C*
C*


M

P*
C
M

!
Enlever leur sillage + aux porteurs de cotons,
M
M*

C
M

C
M

C*
M
Ni traverser l’orgueil + des drapeaux et des flammes,
!
M
M

M

C
M

!
C
Ni nager sous les yeux + horribles des pontons.
!
M

P
C

M
s
F
C
M

2 commentaires:

  1. À propos de méditer poétiquement et dans tous les sens les audaces de qui vous savez : fréquentant Gallica (je fouaille le site avec frénésie) :
    — Avez-vous des indices concernant les maintenant fameux riflards galonnés d'or ?

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  2. Non, en plus, je ne vois pas le rapport avec ce que je mets en ligne
    Si cela concerne la vie africaine de Rimbaud, je ne fais aucune recherche à ce sujet, je ne m'intéresse qu'au poète

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