Ecrits en latin :
Dans ma Chronologie des poèmes de Rimbaud publiée sur le blog Rimbaud ivre de Jacques
Bienvenu, j’ai commencé par signaler à l’attention le poème latin inconnu de
Rimbaud envoyé au Prince Impérial pour le féliciter de sa première communion en
1868. J’ai alors opté pour une certaine neutralité : nous ignorons
pourquoi le poème a choqué. Néanmoins, selon toute vraisemblance, Rimbaud a
recherché la protection du Prince Impérial, il s’est cru capable d’une telle
amitié privilégiée, et, au-delà de cette raison fortement probable à son envoi,
il a dans tous les cas été humilié par la réaction qui s’en est suivie,
mortification fatale étant donné son éclat scolaire. Il ne fait pour moi aucun
doute que le Rimbaud hostile à l’Empire est né de l’événement et que cela s’est
aggravé par une réaction de rejet de l’éducation stricte de sa mère et partant
d’une religion sans doute jusque-là admise avec le masque d’une hypocrisie
consensuelle. Il est clair que les
poèmes envoyés à Banville, du moins la version sans titre de Sensation et bien sûr Credo in unam, sont des poèmes
antichrétiens en butte au catholicisme répressif d’une époque.
Ce qui me
dérange, mais il est vrai que je ne suis pas à la hauteur pour juger du sens de
compositions en latin, c’est qu’on essaie de déterminer une lecture subversive
féroce des poèmes latins. Il reste que je m’appuie sur les traductions qu’on en
donne. Jugurtha serait un poème subversif, mais pourquoi n’a-t-il pas été
identifié comme tel alors ? Rimbaud y tient au contraire un discours
favorable à l’Empire dont on peut simplement dire qu’il sonne faux et manque d'un
enthousiasme sincère dans le ton. Les critiques qu’il contient font partie d’une
progression et sont tout à fait consensuelles. Voire, explicites, elles n’ont pas
dérangé à l’époque. Dans le même ordre d’idées, quand j’ai découvert Rimbaud,
je me suis intéressé à la possibilité de lire les poèmes de manière obscène,
mais je me suis rendu compte que la plupart du temps ces lectures sont
artificiellement plaquées sur les textes de Rimbaud, par moi comme par
d’autres, à partir d’une sélection de traits qu’on considère pertinents au
détriment d’autres éléments qu’on minimise ou déforme, alors qu’il faudrait se
dire que, si la plume les a mis au jour, c’est qu’ils ont leur importance. La
polysémie est une rareté en Littérature et en poésie avant le XXe
siècle. L’approche favorable à la polysémie qu’elle soit potache (Fongaro, les
exploiteurs du dictionnaire de Delvau) ou théorique (Kittang, Fongaro) est
anachronique dans le cas de Rimbaud. Je ne crois pas du tout à la pertinence de
ces approches, et pour ce qui est de l’obscène je ne conserve que ce qui
résulte des tensions créées manifestement par le texte, encore que certains
sont libéraux en fait de tensions manifestes. Or, cependant que les décodages
obscènes sont la périphérie de la recherche pour ce qui est des textes français de Rimbaud,
l’ensemble des rimbaldiens semble admettre spontanément que le poème latin
décrivant Jésus en train de scier mimerait la masturbation, sans qu’aucun
exemple français équivalent aussi prononcé et surtout reconnu par une majorité ne soit exhibé dans sa production
ultérieure. En revanche, pour revenir sur l'importance de ces premiers essais de la Muse, les poèmes latins sont un laboratoire de ce qui a pu
suivre plus ou moins immédiatement en fait de vers français et les motifs
latins ont parfois un rôle clef trop insoupçonné dans la pratique de Rimbaud. Ses idées sur l’élection du poète, sur l’harmonie de l’Homme avec la
Nature viennent d’un bagage latin complètement occulté par les rimbaldiens.
Au passage,
Izambard a menti quand il a prétendu avoir initié Rimbaud à Lucrèce, Banville,
Hugo et aux poètes du Parnasse. Le professeur a sans doute enseigné Banville et Hugo en
classe, mais la traduction de Lucrèce concerne le prédécesseur d’Izambard,
Feuillâtre je crois, et dès 1869 Rimbaud se nourrit de lectures hugoliennes et
parnassiennes, même si celles-ci sont encore probablement peu étendues, y compris pour ce qui est des recueils de vers de Victor Hugo. Izambard n’a été qu’un accélérateur
en classe, et pour une courte période de six mois, c’est tout.
Les Etrennes des orphelins
Le titre est
ambigu et l’équivoque est levée au dernier vers : les enfants offrent des
médaillons funéraires à leur mère. Le poème est réellement enlevé et le rythme
est très sûr. En revanche, le poète n’est pas encore adroit au plan des rimes.
Certains veulent identifier le Rimbaud sarcastique dans ce poème, ce qui n’est
à aucun moment convaincant dans l’analyse vers par vers et ce qui n’est pas
pertinent dans l’économie d’un poème qui fait jouer l’intervention d’un ange de
l’au-delà pour préparer le mouvement final d'enfants accomplissant l'amour dans un don à
la morte. Je trouve assez faible l’extrapolation qui consiste à dire qu’ils ne
savent pas qu’elle est morte, quand, tristes et désespérés, ils viennent d’être
secourus par un ange substitut à la figure maternelle jailli au cœur de leur rêve. On ne
déclare pas l’ironie d’un poème en se fiant à la tête de l’auteur, il faut au moins indiquer des
signes littéraires de l’ironie grinçante et souligner une articulation du poème qui
autorise le sarcasme. Bonne chance aux lecteurs qui voudront faire fi de
« l’ange des berceaux ».
Plusieurs
intertextes à relever, dont Les Pauvres
gens de Victor Hugo et des extraits divers des premiers recueils de Coppée
et de la pièce Le Passant.
« Par les beaux soirs d’été… » / Sensation
A la Rédemption vers la fin du Reliquaire de Coppée, Rimbaud réplique
par l’amour des sens où la Nature se possède comme une Femme dans Sensation et il répond encore par le
poème antichrétien Credo in unam où
il inverse la logique de la rédemption.
Credo in unam… / Soleil et Chair
Devoir de
réserve, publication en cours prévue pour fin 2014.
Passant à tort
pour un centon, le poème est très original en s’inspirant de sources encore non
repérées ou insuffisamment prises en considération (plusieurs poèmes de
Lamartine et Leconte de Lisle, Les
Cariatides ou L’Exil des Dieux de
Banville).
Ophélie
Allégorie
romantique autour d’Ophélie.
Rimbaud n’est
pas un réaliste terre à terre en poésie, et le poème, avec une allure classique
encore rehaussée par les lys, articule une opposition terre noire et triste face
au ciel idéal propageant une lumière de liberté et fantaisie, celle-ci fût-elle
restreinte aux étoiles. Les voiles en corolle annoncent de loin en loin les
images plus allusives et complexes de Mémoire,
etc.
Le poème vante
la liberté en lui donnant des caractères rebelles, voire insurrectionnels (« l’âpre
liberté », « Ciel ! amour ! liberté ! »). La
modération romantique intervient (« quel rêve ! ô pauvre folle ! »),
mais les réécritures du poème L’Île
de Banville qui ont été repérées et qui évoquent l’exil hugolien annonce la
suite et confirme la sincérité de compassion du poète pour sa fiction.
A la Musique
Satire des
rendez-vous de la bonne société de Charleville lors de concerts hebdomadaires
qui étaient donnés tous les jeudis soirs depuis le 2 juin en 1870. Les rimbaldiens
ont cru que le concert n’était donné que le jeudi 2 juin, bien que l’annonce du
Progrès des Ardennes formule
clairement le caractère hebdomadaire de l’événement (mise au point et citation
dans ma Chronologie des poèmes de Rimbaud de 1868 à 1870 sur le blog Rimbaud
ivre de Jacques Bienvenu). Ces manifestations sont en tous les cas antérieures à
la guerre. Mes recherches dans la presse m’ont amené à considérer qu’il n’est
pas question dans l’actualité d’une rumeur de guerre possible avec la Prusse en
juin, au contraire de ce qui est affirmé dans beaucoup de notices et
commentaires du poème. Par ailleurs, les traités commentés par les épiciers ne peuvent pas être
des traités allemands de novembre, si nous nous situons au mois de juin et si la copie la plus récente du poème date de septembre. La vie m’a appris à me
méfier, mais ma documentation me donne le sentiment d’évidence que la guerre
n’était pas dans les têtes en juin, ni à la une des journaux tels que Le Rappel, et en tout cas pas avant la réaction de la
France à la candidature du Prince de Hohenzollern au trône d’Espagne. Le poème
pourrait être du mois de juillet, mais il se pourrait que son évocation emplie de patrouillotisme ne soit que le fait d’une scène rituelle de musique militaire à
proximité d’une ville de garnison. Les traités peuvent être de l’ordre de la
discussion de café de commerce et la rencontre entre « musique
française » et « pipe allemande » serait une coïncidence favorisée par une atmosphère belliqueuse disponible à peu
de distance de l’événement déclencheur. L’idée de « pipe allemande »
est d’ailleurs un cliché, on en trouve dans Les
Chouans de Balzac par exemple.
Bal des pendus
Il paraît qu’une
critique anglaise s’indigne du discours cruel et sadique du poète dans ce
poème. Je n’ai pas bien compris en quoi ce poème était cynique et atroce. En
plus, je l’adore avec ses jeux de sonorités et son rythme enlevé. C’est une
inversion carnavalesque classique, une danse macabre, et génialement tournée.
Dommage qu’il n’en ait pas fait plus. La société médiévale faisait passer
l’angoisse de la mort avec une telle Littérature et des danses macabres
décorent parfois certaines églises. Rien là d'incompréhensible et d'insoutenable.
Vénus Anadyomène
Pour la plupart
des lecteurs, ce poème qui vient peu après Credo in
unam serait une charge contre Vénus. On nous théorise que là Rimbaud y est
allé fort et qu’il a désacralisé Vénus par ce portrait répugnant. Certains
parlent de misogynie. J’avoue ne rien comprendre à ce charabia. Des inversions
de Vénus laides, il y en a dans la poésie de du Bellay. Rimbaud n’y va sans doute pas avec
le dos de la cuillère, le poème se finissant par la mention choc « anus »,
mais je suis incapable de comprendre le bouleversement esthétique que les
rimbaldiens prêtent à ce poème, incapable. Je pige que dalle à leur
raisonnement. Vénus est décrite de manière répugnante, et après ? Ce
serait une révolution en poésie, mais bien sûr, voilà qui nous fait une belle
jambe. Les gens se rendent-ils compte qu’ils tiennent sur la portée du poème un
discours qui ne veut rien dire du tout ?
En fait, le poème a un
sens satirique plus intéressant que ce qui ressort bien faiblement du blason d'une Vénus laide en place d’une
belle, ce sens a été dégagé par Steve Murphy dans son livre Le Premier Rimbaud ou l’apprentissage de la
subversion en 1990. Il nous a apporté les intertextes de Glatigny avec le
poème Les Antres malsains, mais a
oublié de rappeler avec d’autres les intertextes de Coppée. Il montre que la
Vénus anadyomène est une prostituée pour artistes, qui, miséreuse, se fait
exploiter. Le mouvement superbe de la fin obscène du poème est clairement
dégagé dans son étude. Le lecteur est invité à prendre une loupe pour scruter
les deux mots gravés, et la croupe se tournant pour faire face à ce lecteur, elle révèle l’ulcère à l’anus sur lequel se termine la vision saisissante.
Voilà qui est autrement sulfureux que la théorie peu audacieuse de la Vénus
laide. Et pourtant, Banville n'aurait rien pu dire contre la rime finale où toutes les lettres se prononcent à la différence de telle rime de Credo in unam entre Vénus et la forme participiale « venus ».
Comédie en trois baisers / Trois baisers / Première
soirée
J’ai proposé ma lecture de ce poème sur le blog Rimbaud
ivre de Jacques Bienvenu.
Ce qui retient Nina / Les Reparties de Nina
Le poème a une
forme de quatrain particulière avec son alternance entre octosyllabe et vers court de
quatre syllabes. Cette forme reviendra dans Mes
Petites amoureuses. J'ai pu la repérer dans la Chanson de Fortunio de Musset qui dans
ses Poésies complètes est suivie d’un poème A
Ninon. Mais cette découverte n’a encore jamais été recensée jusqu’à présent.
Le débat porte
sur la signification du dernier vers. Le bureau n’est pas pour moi un lieu de
travail, mais comme dans le poème contemporain A la Musique un homme désigné par son travail et il doit alors
s’agir de l’homme qui entretient Nina. J’imagine mal un trait d’ironie misogyne
à l’égard d’une femme travaillant dans un bureau au dix-neuvième siècle.
Sociologiquement, ça me paraît incongru, mais je peux me tromper. Dans la
première version « le bureau » pourrait avoir aussi un côté mise en
commun et désigner le travail promis par le poète pour se présenter avec une
situation. Dans la deuxième version, le possessif « mon » introduit
une discordance prononcée « Et mon bureau ? » En revanche, pour
le passage « Riant surtout, ô folle tête, / A ton amant !... », l’amant
est le poète lui-même et non pas l’homme qui entretiendrait Nina en tiers,
comme le montre la leçon originale dont Rimbaud a dû corriger le vers
faux : « [qui t’embête] Comme moi ? petite tête, / C’est bien
méchant ! » En tant que tel, le début lyrique du poème n’est pas
mauvais. Avec Yves Bonnefoy, certains rimbaldiens enterrent cette pièce en
partant du principe que c’est la satire d’un mauvais poète et que les vers sont
le rendu tel quel de la mauvaise poésie. Le mépris est plus subtilement
justifié que ce que je viens d’écrire, mais moi je ne vois pas en quoi les vers
sont faibles. Ils sont bien tournés, frais, imaginatifs, typiquement
rimbaldiens. En revanche, le passage à une poésie plus prosaïque est l’énigme
de cette composition. On ne sait plus trop sur quel pied danse l’ironie
rimbaldienne. C’est là-dessus qu’il convient d’établir une étude de mise au
point. J’ai des idées spontanément, mais je les trouve trop confuses.
Les Effarés
Il paraît que ce
poème fait la satire d’une certaine veine misérabiliste en Littérature dont
Hugo serait un modèle prégnant. J’ai alors du mal à comprendre. Il s’agit d’un
poème de compassion pour cinq petits qui ont faim. Rimbaud les plaint sans
ironie et il est d’autant plus dans la continuité de Victor Hugo qu’il
s’inspire de son œuvre, notamment des Misérables.
Ce qui différencie Rimbaud d’Hugo, c’est une montée grinçante. Le mot « misère »
en interjection est (c’est le cas de le dire) incisif au vers 5 : « A
genoux, cinq petits, - misère ! – » On pense au poème d’Hugo des
Châtiments avec le Miserere sinistre en refrain, mais pour des emprisonnements
atroces. L’atrocité remonte ici à une situation d’enfants miséreux, mais
libres. C’est plus grinçant en sous-main, mais absolument pas au-delà de ce qu’Hugo pourrait
créer. Rien là qui pourrait lui être opposé. La deuxième phase de montée
grinçante se fait par l’effet rhétorique d’une amplification syntaxique
typiquement hugolienne qu’appuie le « et » introducteur :
« Et quand, pendant que minuit sonne… Quand… Quand… » L’emphase donne
de la violence au discours, le mot « quand » lui-même étant
magnifiquement porté par la prosodie. Encore une fois, rien là d’opposable à la
littérature hugolienne, d’autant que la compassion sincère accompagne le tour
rhétorique avec tendresse : « Ils se ressentent si bien vivre ».
Pour opposer Rimbaud à un misérabilisme dont il se moquerait, il faudrait
commencer par définir ce dont on parle et par exposer les modalités de
l’ironie. En l’état actuel, je pige que dalle à ces considérations sur un
sarcasme de Rimbaud à l’égard des prédécesseurs. Il est question de
« culs en rond », de « museaux », mais rien à voir
avec une satire du misérabilisme. La mention du « ciel rouvert » est
en revanche sulfureuse. Les trois derniers vers donnent enfin au poème une
pointe scatologique (« Si fort, qu’ils crèvent leur culotte »). C’est
du Sébastien Patoche avant l’heure. Mais l’auteur de La Légende des siècles et des Misérables
(où il est question du mot de Cambronne) la désavouerait-il ? D’ailleurs,
je ne connais pas de lecture scatologique des trois derniers vers. Il me
faudrait relire ce qui s’est écrit à ce sujet, mais moi c’est ce que je lis, et je remarque de surcroît un calembour révolutionnaire, puisque les enfants se retrouvent être des
sans-culottes.
Roman
Portrait d’un mauvais
poète adolescent qui n’a rien de l’autodérision, mais qui est bien de l’ordre
de la satire grinçante. Le célèbre vers « On n’est pas sérieux quand on a
dix-sept ans » passe à tort pour un mot d’ordre du poète, ce que fait déjà
remarquer Christophe Bataillé dans la principale lecture jamais livrée de ce
poème (revue Parade sauvage) . L’hémistiche « Les tilleuls sentent bon » est repris à Coppée
et le cadre douaisien bien posé par Christophe Bataillé doit encore inviter à
penser que, même si le poète fictif est ici un adolescent, sa figure peut être
inspirée de celle de Demeny poète douaisien fade qui fait alors la cour à une
toute jeune fille qu’il va mettre enceinte et épouser rapidement. La rêverie
encouragée par le décor bourgeois, la promenade sous les tilleuls, tout cela ressortit à une
critique classique et à une démarche satirique quelque peu flaubertienne.
Rêvé pour l’hiver
Grâce à une
identité de forme rare, grâce… qu’amplifie le témoignage de la lettre de
Rimbaud à Izambard où il avoue sa lecture du recueil Les Epreuves, nous savons que le poème Au désir de Prudhomme est une source du sonnet Rêvé pour l’hiver. Du moins, moi je le sais, car ma découverte n’a
jamais été recensée par qui que ce soit. Elle a été publiée dans la revue Rimbaud vivant. Les quatrains du sonnet de Prudhomme
font alterner le décasyllabe aux hémistiches de cinq syllabes avec un vers
court de cinq syllabes. Et, cette alternance est revue dans les six derniers vers, où seul le
dernier de chaque tercet est un vers court de cinq syllabes afin de se conformer à un modèle
de sizain classique. Rimbaud a adapté cela avec des alexandrins et des vers
de six syllabes. Mais, pour le second quatrain, il s’est permis des
octosyllabes qui nous valent l’effet séduisant de la répétition « De
démons noirs et de loups noirs » au lieu d’un potentiel « De démons
et loups noirs ».
Le poème présente
des coïncidences intéressantes avec le poème VII du recueil La Bonne chanson qui pourrait être une
source inattendue du sonnet rimbaldien. Mais l'accès quasi impossible à ce recueil confidentiel à
l’époque empêche de rien affirmer. Qui l'aurait prêté? Bretagne ? Verlaine lui-même, Rimbaud l'ayant connu plus tôt que tout ce que nous avons cru jusqu'ici ?
Il me faudra
proposer un jour ma lecture suivie du poème.
Le Buffet
Rimbaud fait son
Félix Arvers, motif romantico-parnassien. Un hémistiche a été repéré comme étant un emprunt à Barbier.
La Maline / Au
Cabaret-Vert
Tout le monde
comprend, mais on peut apprécier encore les jeux métriques et la composition.
Le féminin « une froid » demeure inexplicable. Une erreur de la
serveuse dont Rimbaud rendrait témoignage ? Un indice tout de même peu
probable d’une prononciation dénasalisée de l’article en wallon ? Un
indice de trouble dans le rapport érotique ?
Ma Bohême (Fantaisie)
Je ne crois pas
aux tartines conceptuelles sur le mot « fantaisie ». Le mot a un
emploi romantique et parnassien, mais je doute qu’il dépasse en richesse les
emplois populaires. Le seul surplus d’emploi précis qu’a le mot pour Rimbaud,
sens connu à l’époque mais plus guère aujourd’hui, c’est celui d’œuvre
littéraire ou de pièce musicale qui ne respecte pas une suite de règles
préétablies. Et la pirouette de Rimbaud, c’est que la fantaisie est dans une
vie de bohème qui refuse les règles, plutôt que dans un refus des règles
formelles du sonnet, puisque ces règles sont ici respectées à l’exception de
l’identité de rimes entre quatrains, ce dont la plupart des poètes du
dix-neuvième siècle faisait fi de toute façon. Plusieurs rimes du poème sont empruntées à
Banville et Jacques Bienvenu s’appuie sur le fait que la rime
« idéal » :: « féal » ne se retrouve que chez Mallarmé
pour supposer que Rimbaud avait bien lu certaines poésies de Mallarmé, ce qui
est plausible. Benoît de Cornulier a proposé une très belle étude comparative
avec le mythe du Petit-Poucet. En revanche, les lectures obscènes n’ont sans
doute aucune pertinence (les fameuses « gouttes de rosée [au] front »
et le « pied près [du] cœur »), la nudité étant ici fuite idéologique
du monde ambiant (pour le dire vite). Le poème a beaucoup à voir avec Sensation et Credo in unam. La mention des « lyres » n’est pas
innocente. Il n’y a aucune autodérison malgré cette orientation assumée dans le
domaine scolaire, le poète est authentiquement heureux et la blessure des
souliers est, en dépit de la note de douleur recherchée, aussi accessoire et
plaisante que la disparition du paletot. Je ne crois pas non plus qu'il soit question de se moquer par une position grotesque de la poésie du cœur d'illustres romantiques tels que Musset.
Le poème a une
très forte signification politique qui singularise la bohème rimbaldienne.
Rimbaud s’inspire d’une bohème comme refus de la vie bourgeoise, ainsi que
celle qu’exprime Banville dans Le Saut du
tremplin, mais Rimbaud a hérité des poses romantiques qu’il intériorise
avec facilité et sincérité, ce que l’humour des textes ne doit pas occulter. La
nudité et le mouvement de départ absolu du premier quatrain montrent clairement
l’aspect de révolte unique en poésie de la bohème rimbaldienne. Mon apport à la
connaissance de ce sonnet vient de ce que pouvant m’appuyer sur la présence de
rimes empruntées à Banville, je me suis rendu compte que les tercets sont une
démarcation, une réécriture du sizain du Saut
du tremplin où figure la rime au singulier « fantastique » ::
« élastique ». Voir mon commentaire à la suite de l’étude de Jacques
Bienvenu sur le blog Rimbaud ivre.
Le Forgeron
Victor Hugo a
fait exprès de ne pas traiter directement de la Révolution française dans sa
première série de La Légende des siècles,
de manière à enfermer Napoléon III dans ce qui lui précède, dans le passé de l’Ancien
Régime. Mais, Rimbaud propose un poème dans l’esprit de La Légende des siècles dont l’action implique une réécriture
légendaire d’un épisode historique célèbre de la Révolution française. Le style
familier hugolien est très net dans ce poème. Rimbaud se laisse aller et cela
révèle bien l’étendue de son génie naturel. D’une version à l’autre, le poème a
d’ailleurs été remanié. La première version, celle d’Izambard, n’est même pas
terminée, mais il nous manque un fac-similé pour en avoir la preuve absolue.
Le poème fait
sans doute écho à la polémique autour du poème de Coppée La Grève des forgerons. La lecture d’Hugo et notamment des Châtiments est sensible. En 1870,
Rimbaud est pleinement admiratif de Victor Hugo. C’est un anachronisme que d’appliquer
la lecture rageuse de L’Homme juste
aux compositions de 1870. Cela se résume en extrapolations forcément non
validées, non vérifiées, qui nuisent gravement à la compréhension d'une pensée
rimbaldienne à cerner dans son évolution.
Des points
subtils dans la lecture sont à signaler à l'attention, mais je me propose pour bientôt une étude de synthèse
de ce poème et de l’ensemble de sept pièces suivant.
« Morts de
Quatre-vingt-douze… », Le Mal, L’Eclatante victoire de Sarrebrück, Le Châtiment de Tartufe, Rages de Césars, Le Dormeur du Val, Le Rêve de
Bismarck.
Six sonnets et
un récit en prose qui ont pour thème la guerre franco-prussienne. Trois sont des
caricatures de Napoléon III, un une caricature de Bismarck. Deux dénoncent la
guerre sous l’Empire « Morts de Quatre-vingt-douze… » et Le Mal, un annoncé par la thématique de
rappel républicain de « Morts de Quatre-vingt-douze… » rend hommage
au type du soldat mort pour la République après le 4 septembre, Le Dormeur du Val. Mon apport pour ce dernier sonnet est formulé
dans ma Chronologie, j’insiste sur le fait que les phrases composant Le Dormeur du Val sont une répétition
déguisée qui permet non pas de pratiquer l’euphémisme, mais d’élever à un degré
symbolique l’idée que le soldat dort au sein d’une Nature susceptible de le
régénérer. Il est malheureusement impossible d’empêcher la plupart des lecteurs
de penser qu’il est mort. Ils ont appris à l’école l’euphémisme « il est
parti » pour « il est mort ». Rimbaud peut répéter quinze fois « il
dort », ce sera toujours pour eux un euphémisme. Vous leur dites « Il
dort dans le soleil », ils vous répondent : oui, d’accord,
mais aussi il a deux trous rouges au côté droit
Un coeur sous une soutane
Cette nouvelle demande une synthèse à part.
Un coeur sous une soutane
Cette nouvelle demande une synthèse à part.
Bonjour,
RépondreSupprimerJe viens par ricochet, depuis le site "Rimbaud Ivre", de tomber sur le vôtre.
Il est très riche en informations sur un auteur qui m'a toujours passionné.
J'ai commencé à lire vos billets ce soir, et je m'aperçois qu'il y a 93 articles, ne serait-ce que pour l'année 2013...
Je ne suis donc pas arrivé au bout... mais c'est tellement passionnant que je vais prendre le temps de tout décrypter.
Merci beaucoup pour votre travail.
Bonjour, oui, une solution serait de dresser un sommaire des principaux articles et de le mettre en lien sur le côté.
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