lundi 27 février 2023

Essai impromptu sur l'importance de la réflexion critique rimbaldienne

Le poète Arthur Rimbaud est souvent décrit comme la victime d'une avalanche d'analyses littéraires, critiques massives supposées entachées par beaucoup de projections indues. Il faudrait se contenter de le lire.
Une première réponse s'impose d'évidence. La lecture de Rimbaud n'a rien de facile, et même quand le poème paraît simple, une mise en perspective de son ironie latente ou d'enjeux plus substantiels peut révéler que nous sommes passés à côté de sa subtilité. Qui plus est, les contresens ne sont pas exclus, ils sont même légion. Et cette difficulté de lecture ne peut pas tellement se traiter par une réflexion d'ensemble touchant l'œuvre. Chaque texte pose ses propres difficultés, et les énigmes sur des détails passagers des textes sont surabondantes. On pourrait alors renoncer à Rimbaud, poète auquel on ne comprend rien, et lire quelque chose qui n'est pas compris n'a guère d'intérêt et passer sa vie à essayer d'en comprendre un pourcentage ce ne serait tout de même pas un investissement de lecteur très pertinent.
Se contenter de le lire sans vraiment le comprendre, c'est n'aimer que la surface de sa poésie, aimer l'agencement des sonorités ou phonèmes, déguster le rythme des phrases, trouver beau une expression vive à laquelle on ne prête aucune visée de sens.
Et c'est là qu'on peut parler de l'enjeu proclamé d'être un "voyant", donc quelqu'un qui fait passer un message de la plus haute importance à l'humanité entière.
Inévitablement, cette idée d'absolu du message de poète "voyant" a été très galvaudée et, pour pouvoir parler calmement et de manière "raisonnée" du sens de la poésie rimbaldienne et donc du sens qu'il y a à pratiquer l'analyse des textes rimbaldiens, des mises au point s'imposent.
L'avancée sur les textes rimbaldiens est venue de personnes qui n'adhèrent pas à l'idée d'un absolu de révélation de la parole du poète, et c'est avec une certaine mauvaise foi que les gens qui dénoncent la surabondance des analyses critiques prétendront ne pas chercher quelque part à sauver cette idée d'absolu de la parole prophétique du poète. Cependant, un problème concurrent demeure à pointer du doigt en sens inverse. Comme les avancées dans la connaissance de Rimbaud ne peuvent venir que d'approches bien rationnelles, les lectures qui prêtent à Rimbaud du jeu dans sa pratique, qui continuent de considérer que Rimbaud joue de manière pas toujours très claire avec les oripeaux ostentatoires de la parole supposée magique, sont dénoncées comme ne témoignant pas d'une juste compréhension de la pratique éminemment rationnelle de Rimbaud.
C'est pour cela que je vais entrer dans une réflexion à mon avis inédite, nouvelle, à ce sujet.
Même quand ils théorisent leurs pratiques, les artistes et les écrivains n'échappent pas à une pente enthousiaste improvisatrice, ils n'échappent à la tentation des formules qui sonnent bien aux oreilles. Pour un poète, il est toujours mieux de se prévaloir d'une parole juste et de révélation sur le cours des événements, sur les mystères du monde. Et cette affirmation de désir précède plus souvent qu'à son heure la réflexion. Rimbaud n'avait que seize ans et demi quand il a écrit sa célèbre lettre du 15 mai à Demeny, et je vous laisse évaluer les trente à quarante poèmes antérieurs à cette date que nous connaissons de lui.
La poésie est un art qui joue avec la langue, les mots, et donc qui ne produit pas qu'une forme pourvoyeuse de sens, mais le poète crée directement autant du sens que de la forme quand il compose. Et s'il convient de ne pas séparer la forme et le sens dans une quelconque œuvre d'art, l'art est toujours en fonction d'une primauté de sens produit par la forme et éventuellement la langue, les chefs-d'œuvre de l'architecture compris. Mais si on entend conserver l'éternité d'une performance artistique, le sens est inévitablement frappé d'une certaine contingence. L'artiste ne produit pas une démonstration scientifique ou une définition digne de ne plus être retouchée par un quelconque auteur de dictionnaire. Cela n'empêche pas les éléments brillants de démonstration au plan rhétorique.
Or, quand on prête au poète une valeur prophétique absolue, on exploite en réalité un biais fallacieux pour attribuer au sens du poème la finition  irrévocable d'un énoncé scientifique.
On peut alors formuler l'alternative suivante : soit Rimbaud se leurre sur les pouvoirs de l'exercice poétique, soit la performance du voyant n'est pas de l'ordre de la révélation absolue.
Je penche nettement pour cette deuxième option, la première n'invitant qu'à mépriser la poésie de Rimbaud.
Poursuivons le raisonnement. Si nous continuons de considérer que le voyant doit révéler des vérités par sa poésie, la poésie est la forme finale d'une aventure vécue par le poète. On ne peut pas enfermer la révélation dans la profération poétique. Un poème n'est pas une profération sacrée. Le poème est intouchable en principe, il souffrira peu les retouches dans la mesure où il est un aboutissement, mais la lecture n'est pas un état qu'on fait passer entre humains tel un témoin dans une course relais de quatre fois cent mètres. Il n'y a pas une sorte de transe allant du premier au dernier mot du poème. La preuve au plan des lecteurs est simple. La lecture peut être interrompue ou bien chaque lecture est différente. Mais si nous prenons le cas de l'auteur lui-même, nous comprenons bien qu'il ne part pas du premier vers en allant jusqu'au dernier en se révélant à lui-même une vérité par étapes. Le poète a clairement mis en forme un ensemble préalablement mûri.
Le poème n'est donc pas la pensée révélée, mais le reflet d'une pensée de manière à rendre plus efficace ou plus intense et profonde la communication.
Et une conclusion bien prévisible s'impose. Le poète a des révélations par des réflexions personnelles antérieures à la composition du poème et non pas par l'élaboration du poème lui-même, sauf cas exceptionnels des accidents fortunés de la création, mais accidents qui ne résumeront pas tout le processus de création du corpus artistique d'un auteur.
Enfin, venons-en à une perspective plus accessible à tous. Le poème invente un récit, crée une sorte d'image par les mots, etc., mais il ne parle pas comme un essayiste ou un philosophe, et s'il ne le fait ce n'est jamais qu'en pliant et corrompant la pratique argumentative au jeu du poétique.
Et passons maintenant à une évidence encore plus limpide. Le poète joue avec les mots, se sert de la langue, mais s'il y a une révélation digne d'intérêt ça ne peut être que sur les sujets qu'il aborde. Et ce dont il parle, de quel droit peut-il s'en prétendre plus spécialiste que quiconque ? Depuis quand un maître du maniement des mots est apte à parler au seul nom de cette compétence de politique, de morale nécessaire ou non aux sociétés, etc., du système physique de réponse entre couleurs et voyelles, de la vérité sur l'atome, la lumière, etc. ?
Contemporain quelque peu de Rimbaud, Zola a développé une théorie du roman expérimental. Avec une hypocrisie qui dépasse l'entendement, les universitaires et les décideurs du programme d'enseignement du français dans les lycées camouflent l'imposture du discours zolien. Le roman ne peut être expérimental qu'à condition qu'après l'écriture du roman l'auteur ait constaté que son histoire imaginée s'est produite telle quelle dans la réalité. Zola a tenu un discours de parfait imposteur, et il n'est pas normal, il n'est pas sain que dans les écoles on enseigne que Zola parvient à faire un roman expérimental avec une introduction du roman qui lance un cadre expérimental et une fin de roman qui vérifie la thèse. Rimbaud en était-il à ce degré d'imposture, imposture partiellement sincère car liée à un esprit confus comme ce fut le cas pour Zola, ce n'est évidemment pas à exclure au nom trop facile de notre passion pour le poète ?
Dans tous les cas, quand il composait ses poèmes, Rimbaud avait nécessairement conscience du problème et contrairement à Zola il ne pouvait même pas être partiellement berné par sa méthode de travail documentaire préalable.
En fait, Rimbaud n'a carrément jamais cherché à mettre en poème le fruit d'une ou trois journées de réflexion profonde sur le monde. C'est l'évidence à laquelle tout lecteur de poésies devra un jour se rattacher.
Le dix-neuvième siècle a aussi été un siècle de prétendu réalisme en littérature, et à la fin de cette mode littéraire Maupassant a répliqué dans l'essai sur le roman qui précède Pierre et Jean que le réaliste était un illusionniste. Mais là encore on peut aller plus loin. La mise en place par les mots d'un récit ou d'une description n'est en aucun cas une imitation du réel par les mots. Décrire une salle à manger ne consiste pas à transposer en mots la structure physique du réel à travers un œil humain qui déjà n'est même pas fixée dans l'espace de la représentation. Même un pur extrait descriptif d'un roman balzacien n'est pas une imitation du réel. Et une telle imitation ne répondrait de toute façon en rien à la prétention du poète de dire des vérités insoupçonnées et irrévocables sur notre monde, puisque seule la signification peut faire débat. L'imitation par les mots, si elle était possible, n'apporterait pas pour autant un enseignement en tant que telle. Elle aurait une simple valeur informative. D'ailleurs, cette valeur informative existe quelque peu moyennant un dégrossissement des prétentions des mots à décrire le réel.
Donc, comment Rimbaud pouvait-il être un "voyant" en organisant des mots ?
Ce qu'a fait Rimbaud c'est tout simplement éprouver les discours des autres à partir de ses propres créations, et ce n'est qu'à cette aune-là que les poésies de Rimbaud, tout en étant liées à une inévitable contingence, peuvent avoir un pouvoir objectif de critique visionnaire. Hugo crée un discours chargé en fantastique pour défendre des valeurs, Rimbaud arrive par-derrière et retourne avec des moyens fantastiques un discours contradictoire, mais et c'est en cela que Rimbaud peut se prétendre "voyant", un discours contradictoire qui va indiquer de manière irréfutable les limites, lacunes, vices, anomalies, erreurs et faussetés du discours antérieur.
Et quand on a compris cela, on peut très bien admettre que Rimbaud n'a pas fixé une vérité absolue avec des découvertes personnelles bouleversantes dans "Voyelles", "Le Bateau ivre", "Aube" ou Une saison en enfer. On comprend aussi que la performance du "voyant" est relative, transitoire et que Rimbaud le savait et le clamait lui-même quand il parlait de successeurs reprenant le travail là où le héros précurseur s'est affaissé.
Cela permet aussi de ne pas prendre les pieds trop au pied de la lettre, sans leur accorder du jeu, du fantastique gratuit, car il y a du gratuit dans le jeu poétique rimbaldien. Il faut cerner les noeuds de la réécriture des discussions ambiantes d'époque dans la poésie de Rimbaud et non pas chercher une démonstration sèche : je ne crois pas à tout ça en littérature, j'ironise dessus ou je dis ce que moi je pense. Non, ce n'est pas ça. La vérité d'un poème va pouvoir véhiculer une certaine gratuité des affirmations posées à partir du moment où l'enjeu est de déboulonner des préjugés, des certitudes illusoires transmises jusqu'à lui. C'est en cela que Rimbaud prétend à une poésie de "voyant", mais le propos reste très prétentieux, puisqu'il faut une énorme capacité du poète dans sa capacité à juger de la valeur des paroles d'autrui, comme si cela s'improvisait d'être expert en tout et comme si c'était simple de ne pas s'illusionner soi-même sur ses propres certitudes.
Mais, comprenez ici simplement que les poèmes de Rimbaud sont des expérimentations assez brutes de remise en cause des certitudes et ce jeu permet d'avoir une multitude de sujets de détail pour des milliers de poèmes, plutôt qu'une oeuvre réduite à quelques poèmes organisant la révélation de quelques grandes idées principales. Rimbaud interroge des nouveautés possibles, et ces nouveautés ce n'est pas idiotement la nouveauté d'une description ou d'un récit agencés en mots, avec des audaces d'un ordre nouveau, ces nouveautés c'est une façon d'être qui n'est plus vraiment celle des générations antérieures ou du consensus de la société à un moment donné.
Rimbaud parle assez explicitement de cette dimension dans sa lettre du "voyant", non ? Il ne parle pas d'un absolu de la profération poétique.
Et c'est pour cela aussi que la critique littéraire ne finit jamais par réduire le poème à une idée traduite dans une forme élégante accessoire, puisque cela nous rend à tout le chatoiement dynamique du travail d'élucidation du sens et de tous les sens par le lecteur.
Les significations profondes des poèmes de Rimbaud en valaient-elles la chandelle ? Il faudrait ici une revue des avancées de la critique sur les significations d'un certain nombre de poèmes. Ces avancées sont réelles, et sont évidentes pour ceux qui en lisant ce qui précède achèvent de se délester de cette idée d'une profération poétique absolue où le poème rendrait dans une forme un contenu de pensée qui par définition n'est pas formel à l'origine. On atteint la correcte mise en perspective de ce qu'il est possible de faire en tant que poète se voulant un révélateur auprès des hommes. Et on voit bien que ce n'est pas une vérité de la précision formulaire qui est en jeu. La vérité est dans un dialogue dynamique avec les discours faisant office de référence au moment de l'élaboration du poème, et à cette aune la démarche d'analyse littéraire est éminemment historienne.
Il me reste à traiter un autre sujet, celui de la forme. Beaucoup de lecteurs sont réticents à l'analyse des procédés métriques. Rimbaud demande un surinvestissement considérable au plan des césures, des rimes, etc. L'analyse d'une césure d'un vers succède à l'analyse d'une césure dans un autre vers, et ainsi de suite. Cela ne semble concerner pratiquement que la seule poésie rimbaldienne. L'analyse des césures d'un Racine ou d'un Corneille, d'un Ronsard ou du Bellay, d'un Chénier ou d'un Voltaire, d'un Lamartine ou d'un Villon va de soi, il n'y a qu'une poignée de vers qui sont analysés comme des cas limites à la reconnaissance de la césure. Même dans le cas des vers d'un Hugo, d'un Baudelaire, d'un Banville, la réflexion sur les césures ne pose pas autant de questions problématiques qui tombent en cascade. Le cas de Verlaine commence tout de même à être plus sérieux, mais il n'a jamais été étudié suffisamment par les métriciens, Cornulier compris, dans le cadre de ses derniers recueils.
Mais Rimbaud a fait exprès d'accélérer la destruction des repères utiles à l'identification de la césure et a poussé le jeu plus loin que quiconque, tandis que les successeurs sont passés tout simplement à l'absence de césure et donc à l'absence de défis aux lecteurs.
Rimbaud est tout simplement un passionnant terrain d'enquête sur la logique de reconnaissance des césures, et il n'est pas anormal qu'il concentre à lui tout seul une surabondance d'enquêtes pointues dont 99% des poètes francophones reconnus se passent très bien. De toute façon, des études pointues sont à faire à certaines époques, et très précisément avant le classicisme et au moment du passage du classicisme au vers romantique. Il y a des études poussées, et statistiques, à produire au sujet de la poésie en vers du XVIe siècle, avec des contrastes à établir en amont et en aval, face au Moyen Âge, face à une ère de stabilité allant de Malherbe à Delille. Il y a une étude décisive à faire sur la transformation du vers dans les années 1820 grâce à Vigny et Hugo. Je vous précise que les seules études pointues à ce sujet sont sur ce blog, avec les datations notamment de rejets d'épithètes. Roubaud, Cornulier, Bobillot et Gouvard sont inexistants ou peu s'en faut dans ce débat critique. Il y a des études à faire sur le théâtre en vers des romantiques à distinguer des pratiques de la césure dans le cadre de la poésie lyrique, ce que Cornulier et Gouvard ont envisagé, mais ce dernier n'en a pourtant tenu aucun compte dans sa célèbre thèse sur l'évolution du vers français au dix-neuvième ! Il y a des études à faire sur la question du trimètre en parlant de la concurrence des dires des traités du dix-neuvième sur le sujet en citant Ténint, Quicherat et d'autres. Il y a une étude à faire aussi sur l'idée de l'alexandrin d'une seule coulée que Sainte-Beuve fait passer pour une "pensée" de son Joseph Delorme, il y a une grande étude à faire sur la régularité statistique des césures dans les vers de plus de huit syllabes de Verlaine. Cela n'a pas été fait, et il y a toute une étude statistique à faire sur les régularités possibles de césures maintenues dans les derniers vers de Rimbaud à partir de l'idée d'une variation des critères discriminants. J'ai lancé l'idée sur ce blog, je l'ai travaillée à plusieurs reprises. Oui, les études surabondantes sur l'évolution métrique sont indispensables aux études rimbaldiennes, et je rappelle que dans son livre Théorie du vers Cornulier articulait sa réflexion sur l'évolution du vers en fonction d'une thèse peu convaincante et peu étayée du semi-ternaire dont il ne parle plus sans pourtant jamais avoir indiqué la réfuter, la modifier. La thèse du semi-ternaire n'est pas cohérente telle qu'elle a été exposée et elle se prétend vérifier par l'histoire, ce qui est faux, un vers notamment des poésies de Pétrus Borel jette un démenti formel sur son importance stabilisatrice intermédiaire entre les deux hémistiches réguliers et le vers sans césure.
Tout ça n'a pas été fait et reste à faire.
Le problème de définition du vers libre selon Rimbaud est réel, si on veut traiter de ce que lui Rimbaud a imaginé avec "Mouvement" et "Marine".
Puis Rimbaud est passé à la prose. Antoine Fongaro découpait systématiquement les poèmes en prose des Illuminations en segments syllabiques, et Cornulier a répliqué avec des arguments fondés dans un article ironiquement intitulé "Illuminations métriques". Un des arguments les plus durs à encaisser pour Fongaro, c'était que prose ou vers les morceaux de phrase ont forcément un nombre de syllabes. Fongaro ne démontrait pas la présence du vers en identifiant quatre puis six puis cinq puis trois puis neuf syllabes dans un texte en prose. Le découpage mécanique de la prose en segments syllabiques tournait à une révélation de La Palice. Fongaro a édité un volume d'ensemble de ses études de poèmes des Illuminations, mais il s'est gardé de faire à nouveau parler de son petit fascicule sur la segmentation métrique des poèmes en prose. C'était bien trop gênant. Toutefois, l'étude de Fongaro a du sens, et que ce soit les derniers vers ou les poèmes en prose les deux problèmes que me pose la lecture de Cornulier c'est que tout se passe comme s'il n'y avait rien à dire sur la composition formelle et rythmique des poèmes en prose rimbaldiens, et comme si Rimbaud avait eu un investissement très fort pour les segments métriques et les césures, investissement qui se serait renforcé en 1872, puis d'un coup d'un seul Rimbaud aurait renoncé à y consacrer la moindre seconde en s'en émancipant définitivement.
Je ne trouve pas cela très convaincant. On ne lâche pas prise ainsi, surtout si ce jeu avait eu une importance réelle pour lui. Je trouve que Cornulier fonctionne un peu trop comme un mathématicien. Si la formule est démontrée et stable, ça va, mais dès que ça devient flou il ne s'y aventure pas trop. Il me semble manquer du goût de la recherche dans tous les sens du scientifique.
Mais, au plan du mépris pour les jeux métriques, j'ai envie de pointer du doigt le problème de la lecture blanche qui concerne ceux qui n'aiment pas trop les études métriques, mais qui peut impliquer les métriciens, Cornulier compris.
Nous avons des enregistrements de l'actrice Sarah Bernhardt récitant des vers de Phèdre de Racine. Nous faisons face à un amphigouri d'effets travaillés. Moi aussi j'imite une descente selon le sens du vers et l'effet rythmique qui semble se profiler, mais Bernhardt transformait la lecture en acrobaties à tous les niveaux pour rendre un maximum de ces tours mécaniques d'apparat.
Rappelons que Bernhardt fut liée à Jean Richepin, poète connu jadis par Rimbaud lui-même. Bernhardt est citée comme une sommité par les écrivains de l'époque, Marcel Proust et d'autres. Moi, je suis un peu plus réservé parce que ce que j'ai écouté m'a paru trop forcé, trop mécanique, pas souple, pas inspiré, m'a paru perdre l'âme émotionnelle du discours tenu par les vers. Mais ce que je pense de cela, je sais pertinemment que des rimbaldiens, et pas des moindres, le pensent de mes lectures orales où je joue sur les césures en les exploitant comme de légers décrochages, pas forcément des repos, mais des moyens de variations mélodiques. Si Bernhardt était une référence à l'époque et si la déclamation à effets primait jusqu'aux années 1920 au moins, je constate avec une cruauté sans faille que depuis que la lecture blanche est la norme il y a une critique littéraire tant efficace qu'on veut qui n'empêche pas l'inexistence de grands poètes contemporains. Des années 1960 à nos jours, romans ou poésies, il n'y a pas de quoi se réjouir. Verlaine jouait sur les césures, Hugo aussi, Rimbaud les déglinguait mais en s'appuyant sur leur conservation présupposée. Il va peut-être un jour devoir débattre à nouveau de la prestation orale des récitations de poésies. Les lectures à effets supposent plus aisément l'identification d'une intention, une modalisation qui donne du sens supplémentaire à la lecture.
Jusqu'à plus ample informé, ces effets de sens n'existent pas pour ceux qui lisent les vers en voix blanche et neutre.
Ils trouvent ça plus élégant, je veux bien, ils taclent Verlaine et Rimbaud en disant ça, et pour nous peut-être qu'il importe de se poser la question de la manière de lire les vers qui semblaient aller de soi à l'époque de nos deux poètes.
On peut approcher de la lecture sans effets ostentatoires, pour éviter d'être grotesque, mais la lecture qui ne tient aucun compte des attentions portées par les poètes au passage acrobatique des césures, je ne comprends pas bien sa pertinence. Oui, c'est la porte ouverte à tous les jeux de la voix qui ne sont pas codés précisément par l'écrit, mais je préfère une variété de lectures qui expriment la césure travaillée, chahutée, que la lecture qui ignore.
En conclusion, nous ignorons encore tant de choses sur Rimbaud. N'arrêtons surtout pas nos études.

3 commentaires:

  1. Je supprimerai ce message collector une fois que j'aurai corrigé quelques coquilles de mon article et améliorer le passage brutal à la conclusion. Ayant lu Concerto baroque de Carpentier, je dois écouter du Vivaldi. De votre côté, dormez bien.

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  2. Merci pour cet article. Je ne suis pas rimbaldien mais j'adore ce festival d'intelligence et tous ces développements qui sont passionnants à suivre même pour un néophyte ! (et l'archive de S. Bernhardt m'avait complètement échappé)

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    1. En parlant de festival d'intelligence, il faudrait que je fasse un article sur la non validité du raisonnement juridique qui sert à défendre l'Ukraine dans ses frontières contre les annexions russes. La base est simple, le droit écrit est adossé à un droit coutumier (non écrit donc) et l'état de droit a une relation subtile à l'état de fait. En Ukraine, les américains ont fait des coups d'état, truqué le jeu du vote politique pour ne plus que soit élu un candidat pro-russe, ce qui revient à neutraliser environ la moitié de la population. Et les mecs ils t'expliquent qu'il y a une Ukraine état de droit et non état de fait, alors que non. Lors de la Révolution française, la France est restée un seul pays grâce au sociétal, grâce à une stabilité sociologique du fait de vivre ensemble. En Ukraine, les élections sont truquées et on discrimine une partie de la population (russe et hongroise), voire on les massacre, ben on retourne à l'état de fait d'une fin de vivre-ensemble, non on ne triche pas avec les élections et la politique pour dire après que du moment que les frontières c'est l'état de droit l'état de fait de la tricherie est avalisée. Où sont les lecteurs de Tocqueville, Montesquieu, qui ont mon intelligence ? Je suis mort de rire.

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