Les vacances appellent les vacances, mais une occasion se présente de parler à nouveau de Walcourt. Ce n'est ni la première, ni la dernière fois. Je laisse mûrir les choses en moi.
Dans sa section de "Paysages belges" au sein du recueil Romances sans paroles, Verlaine a écrit trois poèmes sur Bruxelles et il n'en reste qu'autant pour la description de trois autres villes belges. Nous savons que Rimbaud et Verlaine ont visité Liège également, mais le saturnien n'en a laissé aucun poème témoin. De son côté, Rimbaud n'a guère conçu de poème signalant à l'attention une étape précise de son séjour belge de l'été 1872, à part le poème "Juillet" avec pour incipit le vers "Platebandes d'amarantes..." (orthographe de mémoire).
Pour l'essentiel, mes recherches vont donc concerner Bruxelles et Walcourt. Pour ce qui est de Charleroi, le lieu identifié de "La Maison verte", source de deux sonnets rimbaldiens d'octobre 1870, a été détruit, tandis que le poème "Charleroi" offre une description assez générale de Charleroi. Une remarque similaire vaut pour le poème "Malines" où à part la mention du "détail fin du château de quelque échevin" qui évoque des monuments précis de la ville malinoise, les trois maisons des échevins (hôtels de ville), Verlaine semble plutôt s'intéresser au voyage en train avec un décor bovin extérieur à la ville. Le poème "Malines" veut surtout consacrer l'importance du chemin de fer en Belgique en prenant pour prétexte la première ligne de chemin de fer créée en-dehors de l'Angleterre, Bruxelles-Malines en 1835. Le train a son importance également dans le poème "Charleroi" et il en a une dans "Walcourt".
Récemment, je considère avoir fait progresser la compréhension de la série des "Paysages belges" de Verlaine, en insistant sur le fait qu'une ligne de chemin de fer propre à l'entre-Sambre-et-Meuse, reliait la frontière à proximité d'une ligne rejoignant Charleville, et l'intérêt était que cette ligne avait deux étapes industrielles essentielles : Walcourt et Charleroi. L'importance de Charleroi est bien connue pour les mines de charbon, mais l'importance du minerai de fer semble avoir complètement manqué à l'attention des éditeurs de Verlaine dans le cas du poème "Walcourt". Surtout, à l'heure actuelle, Walcourt forme une commune assez importante, mais ce n'est pas, une fois n'est pas coutume une fois, un endroit bien desservi. Pour aller à Walcourt, il faut le faire exprès. Quand vous passez en voiture dans la région, vous passez ou bien d'un côté par Silenrieux, Boussu-lez-Walcourt, ou bien de l'autre par Cerfontaine et Froidchapelle. Il y a une route également qui à travers bois longe quelque peu Walcourt en contre-bas, on y longe les rails et on apprécie la forme arrondie prise par la ville de ce côté et le sympathique clocher de la basilique qui domine tout en haut.
Cette fois, j'ai voulu faire les choses bien, je suis allé à Walcourt. Mon travail sur la relation au poème doit encore progresser, mais vous allez voir que c'est intéressant, à moins de ne vouloir prêter au poème des Romances sans paroles qu'un intérêt superficiel.
Le poème "Walcourt" n'est pas bien long (je viens d'éviter la rime malheureuse, vous le savez !). Il est tout en phrases nominales. Mais il a le mérite d'offrir des éléments permettant de contextualiser le passage de Verlaine et Rimbaud. En effet, le pluriel "gares prochaines" n'empêche pas de considérer qu'il n'est question que de la proximité d'une seule gare de Walcourt, plutôt en bas de la ville. Il ne s'agit pas du bâtiment actuellement en fonction, il y avait une ancienne gare, je dois encore travailler à la localiser plus précisément, je suppose qu'elle ne devait pas être très éloignée de la gare actuelle. Il me faudra aussi effectuer la randonnée sur l'ancien tracé du chemin de fer apparemment. Mais le poème indique que nos deux poètes boivent dans des sortes de guinguettes sous des "tentes insignes". Il est précisé également que Verlaine s'émerveille d'un paysage de "Briques et tuiles" qui formeraient de magnifiques "petits asiles / Pour les amants". La vue panoramique d'ensemble de la ville ne permet pas de parler ainsi tout uniment de "Briques et tuiles". La pierre est très présente dans l'architecture de la ville qui comprend une basilique Sainte-Materne, des remparts, des chemins de cailloux, et une grand-place autour de l'église plus bourgeoise avec plus de pierre dans la construction. L'église est superbe à l'intérieur, la Sagrada Familia est sans imagination à côté des voûtes tantôt en pierres foncées avec jointures blanches, tantôt en briques avec arceaux en pierres claires, mais à chaque fois avec une puissance trouble des courbes légèrement irrégulières et psychédéliques. Il y a un jubé, certaines voûtes sont décorées de motifs floraux sur fond blanc, les stalles ne représentent pas que des scènes religieuses, mais aussi une certaine culture populaire avec proverbes et traits satiriques. Malgré la pierre des façades et l'escalier, l'extérieur a également pas mal d'éléments charmants et originaux. Mais en même temps que je vous décris ainsi l'intérêt remarquable de la Notre-Dame, songez que Verlaine n'en dit pas un mot dans son poème. Il lui tourne résolument le dos dirait-on. A côté de l'église, il y a aussi trois maisons avec des lignes de toit vertigineuses qui se brisent entre elles et se pénètrent, c'est là encore incroyablement délirant. Sur cette grand-place, les bâtiments en briques ne dominent pas, et ceux qui sont présents ont tendance à avoir d'énormes linteaux en pierres. Pour faire bonne mesure, nous choisissons le café Le Castel où la façade est tout de même en briques et où le service est de la plus brillante walcourtoisie, jusqu'à l'offre spontanée de la gamelle d'eau pour le chien. J'y ai bu la bière locale, la Charles-Quint avec son pot à quatre anses. La serveuse m'a dit que je n'avais pris cette bière que pour le verre, et j'ai répondu: "Non ! Non ! c'est pour Walcourt !" L'histoire de ce pot à quatre anses vous est racontée sur la page Wikipédia consacrée à la ville de Walcourt. Je la connaissais déjà ayant déjà dégusté une bière Charles-Quint dans un pot à quatre anses au bar nommé "L'Ancienne Belgique" à Toulouse. Mais il va de soi que la visite ne devait pas s'arrêter là. Je n'ai pas à parler ici de la montée jusqu'au calvaire, mais de la descente en bas de la ville. Ce qu'il faut comprendre, c'est que quand on redescend vers la gare, on passe par un chemin en lacet avec un petit pont notamment, et là on a des visions panoramiques saisissantes sur des portions de la ville avec cette fois clairement la dominante des "Briques et tuiles". J'ai tout un projet de série de photographies à prendre lors d'un prochain passage. D'ici là, j'aurai pris contact avec le cercle d'histoire de la ville de Walcourt. Enfin, en bas, on arrive donc dans une suite moins édifiante, moins touristique, de petites maisons populaires qui, en langue de Belgique, ont un aspect plus "baraki". C'est du wallon pour désigner un forain qui vit dans une caravane ou une petite baraque éphémère. Vous comprenez là tout le sel du poème de Verlaine qui parle de "charmants petits asiles" et qui évoque cela dans un cadre de guinguettes et de gares prochaines multipliées par l'euphorie ou l'ébriété du touriste découvreur de bières belges. Ce que je viens donc de dégager, c'est que Verlaine a, peut-être en partie involontairement, opposé le Walcourt populaire à une grand-place plus bourgeoise et plus attrayante architecturalement avec ses remparts, son église, etc.
J'en ai profité pour visiter également la ville voisine de Thy-le-château avec une présence plus nette des petites maisons ouvrières en briques et en tuiles, avec en revanche son château tout en pierres jusqu'aux pavés de la route le longeant, et surtout avec ses cheminées et ses énormes bâtisses de briques à l'abandon qui abritaient les forges de la région, l'extraction s'effectuant plutôt à Thy-le-château qu'à Walcourt.
Même si le poème de Verlaine contient peu d'éléments descriptifs quant à la ville, il y a encore moyen de progresser dans la représentation du passage des poètes à Walcourt. Il est évident que cette importance de l'extraction du fer dans la région et le rôle clef du chemin de fer reliant Walcourt à Charleroi sont deux clefs implicites utiles à la compréhension de l'intimisme d'ivresse du poème. Cela est utile même à la compréhension globale de toute la section des "Paysages belges" du recueil de Verlaine et cela importe également quant à la poésie rimbaldienne qui s'intéresse de près au phénomène ferroviaire.
Il reste également à déterminer si Rimbaud et Verlaine se sont arrêtés à Walcourt dès leur entrée en Belgique en partant de Charleville vers le 10 juillet 1872 ou s'ils y sont venus entre le 22 juillet et le 9 août de la même année avant un nouveau séjour à Charleroi. Je me demande s'il n'est pas possible de retrouver l'indice de festivités à Walcourt en juillet 1872, soit autour du 10, soit peu après le 22.
Nous savons que la section des "Paysages belges" donne la fausse impression d'un trajet en ligne droite : Walcourt-Charleroi-Bruxelles-Malines, avant le départ pour l'Angleterre. Toutefois, il ne faut pas oublier que Verlaine a quitté Bruxelles le 22 juillet pour suivre sa femme, qu'il l'a abandonnée à la gare frontalière de Quiévrain, toute proche de la ville française d'Onaing pour information, et qu'il est parti rejoindre Rimbaud. Or, Rimbaud et Verlaine ne refont surface dans un hôtel bruxellois qu'à partir du 9 août et le registre des étrangers nous apprend qu'ils arrivent de Charleroi. Quel fut le trajet de Rimbaud ? Etait-il dans le même train que Verlaine finalement, ce qui expliquerait commodément le revirement du mari velléitaire ? Où se seraient-ils rejoints sinon ? En tout cas, le poème de Verlaine intitulé "Charleroi" peut témoigner tant d'un passage autour du 10 juillet que d'un séjour prolongé entre le 22 juillet et le 9 août. Là où ça se complique, c'est que les lignes Quiévrain-Bruxelles et Charleroi-Walcourt sont distinctes. Comment expliquer un passage de la gare de Quiévrain à la gare de Walcourt ? On peut toujours simplifier les choses en considérant que nos deux poètes sont passés à Walcourt vers le 10 juillet, il n'en reste pas moins que dans le trajet de Verlaine nous devrons de toute façon relier Quiévrain à Charleroi. Une solution simple pourrait consister à envisager que Verlaine soit reparti à Bruxelles et qu'avec Rimbaud il soit alors descendu à Charleroi, puis peut-être ensuite à Walcourt.
C'est là que je me pose d'autres questions. L'arrêt à Walcourt a tout l'air de n'avoir été qu'une escale un jour de fête et de soleil. On sent une urgence du voyage dans une ville probablement peu pourvue en hôtels pour voyageurs. Verlaine insiste sur l'idée d'appel à repartir : "gares prochaines", "Bons juifs errants". Cela coïncide avec un billet à Lepelletier, mais malheureusement non daté, où Verlaine expliquait que les trajets étaient chaotiques, qu'il y avait une fièvre de voyage de gare en gare dont même la mère informée de Verlaine n'avait qu'une vague idée. Walcourt fut sans doute une escale réjouissante, sans être pourtant un lieu de séjour, fût-ce pour une nuit.
En voilà des choses encore à mûrir pour vraiment se faire une idée juste de l'escapade belge de deux poètes "laeti et errabundi".
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