"J'ai senti une froid" sur l'ancien emplacement de l'Hôtel de l'Espérance et surtout de cette enseigne "A la Maison verte" à Charleroi. J'aurai manqué de prendre mes propres photographies personnelles du lieu, mais donc désormais "Jamais l'auberge verte / Ne peut bien m'être ouverte". Elle est devenue une librairie SlimbLand Bandes dessinées (je vous sers ce nom de mémoire). Cela fait un choc. Principale ville francophone de Belgique, Charleroi n'est même pas le chef-lieu de la province du Hainaut. Elle cède cette place à la ville de Mons, de carcérale mémoire pour Verlaine. C'est une ville assez pauvre, avec (mais pas que...) les descendants, assez souvent chômeurs, des mineurs du passé, et pour rendre au centre-ville une dynamique ils n'ont rien trouvé de mieux que de créer un immense zoning avec des magasins qui me semblent d'un luxe supérieur au portefeuille moyen du carolorégien. Je dis "zoning" parce que les belges semblent malheureusement acquis à la mondialisation sous patronage anglosaxon. Ils ne disent pas des centimes pour les euros, ils disent des "cents" en prononçant les cinq lettres du mot en dociles néophytes de la langue anglaise, ce que je déplore. J'ai comparé en esprit l'énorme bâtisse de briques recouverte d'une peinture brûnatre avec les forges abandonnées de Thy-le-Château et leur façade aux triangles pointus qui n'est pas sans rappeler un peu ceux d'un chocolat "Toblerone". La palme de l'esthétique revient à l'usine, pas à ce centre commercial qui aboutit sur la place verte. Sur cette place verte, d'autres bâtiments ont eu chaud dont la jolie façade de la librairie Molière pour laquelle il y a eu des pétitions. Hélas, en Belgique, il y a des pétitions pour Molière, mais pas pour Rimbaud. Or, ce zoning est immense et mange une partie des anciennes rues qui vont vers la gare. La galerie a été annexée au zoning et le café des milles colonnes va disparaître. Evidemment, la place verte, qui n'a rien de vert sinon trois arbres qui se battent en duel comme trois cheveux sur la tête d'un chauve, n'a rien à voir avec la "Maison verte". Celle-ci se trouvait de l'autre côté du zoning. Cependant, par un couloir aérien qui surplombe une rue, le zoning est rattaché à l'ancien ensemble Hôtel de l'Espérance et "Maison verte" et nous tombons bien nez à nez avec une énorme façade en briques brunâtres dont je ne suis pas idolâtre avec une grande vitre de magasin de livres au rez-de-chaussée. L'auberge "A la Maison verte" ne se situait toutefois pas à l'angle de la rue, mais au numéro 6 de la place Buisset ou place de la Station désormais. C'est une place où je suis passé un nombre assez élevé de fois. En fait, au centre de cette place, nous nous trouvons face à la façade principale de la gare de Charleroi. Il suffit de traverser une route, le pont qui franchit le canal et une autre route et un parking pour rejoindre l'entrée d'une gare qui je présume occupait déjà cette place au dix-neuvième siècle. Un peu à droite, il y a la gare des bus et puis en voiture un chemin nous mène rapidement le long d'anciens terrils. On comprend le contexte. Rimbaud a fugué. Avec le peu d'argent qu'il avait, il a cherché à se restaurer en sortant de la gare. Il n'a eu qu'à traverser le pont et à constater la présence de cette auberge à bon marché. A l'heure actuelle, malgré le zoning, il y a encore un reliquat de restaurants et cafés pour rappeler ce qu'a été l'endroit tout au long du vingtième siècle, et ce qu'il était à l'époque de Rimbaud. La place Buisset était une place populaire et bon marché proche de la gare.
Signalons que sur Google Map on peut rapidement tomber sur une photographie de l'immeuble où Rimbaud a pénétré, mais tel qu'il a été tout au long du vingtième siècle à peu près, jusqu'à l'attaque fatale du zoning.
Je vais donner un lien d'un site qui parle de cette "Maison verte" mieux que je ne saurais le faire. Il me semble en apprendre plus que dans les biographies connues de Rimbaud, il y a même un menu dans les images du site qui permet de se faire une idée. Ensuite, je vous encourage à une recherche sur Google Map où vous n'aurez qu'à étudier la conformité des fenêtres pour reconnaître le lieu. Vous verrez que le rez-de-chaussée avait été modifié en vitrine de magasin et que le balcon en fer forgé avait été raccourci ou changé pour un plus petit.
Mais, je tenais surtout à faire part d'un témoignage, ce qui étonnamment vaut aussi pour la recherche rimbaldienne. Je ne pense pas avoir été le seul à dire que l'erreur "une froid" trahissait probablement une origine flamande de la serveuse. J'ai interrogé une personne qui a enseigné le français dans le secondaire en Belgique et elle ne connaissait pas les poèmes Au Cabaret-vert ou La Maline. Quand je lui ai dit de songer à prendre, dans le café où nous étions, "à cinq heures du soir" pour faire bonne mesure, "une tartine de beurre et de jambon qui fut à moitié froid", elle n'a même pas deviné l'allusion malgré l'absurdité de la requête. Je lui ai expliqué que le titre s'écrivait à la wallonne "Maline" et qu'il y avait cette erreur étrange "une froid", et elle a spontanément répondu que ça c'était flamand. Les flamands confondent facilement le masculin et le féminin, a-t-elle ajouté.
Voilà que je fais en Littérature des enquêtes à la façon des linguistes actuels, la méthode des informants je crois. J'en profite au passage pour signaler que ce mois d'août j'ai encore entendu un emploi du mot "fouffes" par quelqu'un qui ne pensait pas un instant citer du Rimbaud. Le mot continue d'avoir sa petite vie au troisième millénaire.
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