Pour appréhender le phénomène de la Commune de Paris, quelques dates sont nécessaires qui ne sont pour certaines d'entre elles jamais données nulle part apparemment.
Premièrement, la Commune n'a duré officiellement que du 28 mars au 24 mai. C'est le 28 mars qu'elle a été proclamée. Evidemment, le basculement décisif s'opère le 18 mars et c'est la date que commémore Rimbaud dans l'Album zutique. Il existe de l'autre côté un certain flottement sur la fin de la semaine sanglante. La date du "26 mai", un vendredi, a circulé et c'est celle que retient Rimbaud au bas de sa transcription des "Poètes de sept ans", ce qui est une manière de profession de foi et un éclairage sur le sens du poème qu'il envoie à Demeny, le 10 juin 1871. Pour Catulle Mendès, c'est le lundi 29 mai que se termine l'événement, ce qui explique le titre de son ouvrage Les 73 journées de la Commune, car il compte du 18 mars au 29 mai et tient compte de la capitulation du fort de Vincennes. Aujourd'hui, on s'accorde sur la date finale du "28 mai", un dimanche, et par conséquent on considère qu'il y a eu 72 jours de Commune de Paris, puisqu'on part du 18 mars. Il faut ajouter à cela deux élections (26 mars et 16 avril).
Donc 18 mars soulèvement, 26 mars élections municipales, 28 mars proclamation de la Commune, élections complémentaires le 16 avril, 24 mai fin de la Commune officiellement, même si l'affrontement se poursuit quelques jours, 29 mai fin des combats.
Officiellement, la Commune n'a pas duré deux mois, elle n'a duré que 73 jours si on prend l'événement dans toute son étendue.
Mais, certains éléments sont à ajouter pour bien mettre en perspective les choses.
La Commune a deux références initiales. Commençons par la première. Si elle s'inspire de la Commune de Paris qui s'est formée à la suite de la prise de la Bastille le 14 juillet 1789, elle songe avant tout à sa mutation en "commune insurrectionnelle" à partir du 10 août 1792, ce qui amène à apprécier tout particulièrement la modification de date en épigraphe au poème "Le Forgeron" d'Arthur Rimbaud, puisque nous passons d'une référence au "20 juin 1792" sur le manuscrit remis à Izambard à une référence "vers le 10 août 92" sur le manuscrit remis à Demeny. La datation sur le manuscrit remis à Demeny rencontre l'histoire, puisque la chute de la royauté vers le 10 août 1792 fait alors écho à la chute de Napoléon III à Sedan. Nous verrons plus bas que la copie faite pour Demeny coïncide avec des préoccupations ambiantes qui envisagent déjà l'avènement d'une nouvelle Commune.
Seconde grande référence de la Commune de Paris, nous avons l'insurrection des 22 au 26 juin 1848 sous la Deuxième République. Je ne m'attarde pas ici sur le modèle quarante-huitard. Remarquons seulement que ces deux références permettent de prendre ses distances avec les interprétations marxistes, socialistes, communistes de la Commune, avec les interprétations courantes selon lesquelles il s'agirait d'une révolution du prolétariat ouvrier.
Enfin, il reste à préciser que l'idée de la Commune n'est pas venue d'un coup sur le devant de la scène le 18 mars 1871. La proclamation de la République le 4 septembre n'a pas empêché les premières montées insurrectionnelles, et plusieurs manifestations eurent lieu du côté de l'Hôtel de Ville à Paris dans les semaines et mois qui suivirent, mais il y a un événement important à mentionner : c'est le soulèvement du 31 octobre 1870. Des francs-tireurs avaient pris le village du Bourget et le gouvernement a refusé de combattre pour la possession de ce village. Cela s'accompagnant d'un massacre important d'hommes au combat, le village du Bourget a été repris par les prussiens le 30 octobre. A cela s'ajoute la nouvelle, inutilement démentie, de la capitulation de l'armée de Bazaine à Metz, cent mille hommes. Enfin, Thiers est parti négocier l'armistice avec Bismarck à Versailles. Or, ce jour-là, Charles Delescluze dans le journal Le Réveil a appelé à la proclamation de la Commune et à la levée en masse. Vers 16 heures, Gustave Flourens arrive avec les tirailleurs de Belleville et la manifestation vire à l'émeute. Flourens réclame alors la constitution d'un Comité de Salut Public, et Raoul Rigault s'empare de la Préfecture de police. Des bataillons reprennent le dessus sur les insurgés, mais c'est à partrir de cette date que circulent dans la population les cris séditieux de "Vive la Commune", ce que rappelle Maxime Vuillaume dans son livre Mes cahiers rouges. Nous ne précisons pas ici toute la chaîne d'événements, nous insistons juste sur la date clef d'une première tentative d'insurrection.
Il y aurait d'autres dates à citer, mais je voulais me contenter des dates clefs. Les dates du 31 octobre 1870 et du 24 mai 1871 ne me semblent pas être traitées correctement et dans les mises au point sur la Commune, et dans la relation de l'expérience communarde au sujet de Rimbaud. La référence au "10 août 1792" n'est pas envisagée pleinement également.
A l'intérieur de la Commune, d'autres dates sont à cerner pour mieux comprendre les représentations contemporaines d'Arthur Rimbaud. Il est évident qu'il y a un travail à faire sur les dates au sujet du "Chant de guerre Parisien", comme au sujet de la lettre à Demeny du 17 avril 1871. Mais, en lisant l'ouvrage de Maxime Vuillaume, je m'aperçois de quelque chose de frappant, c'est la montée en puissance du Père Duchêne du premier au 10 mai 1871, quand Vermersch se croit le porte-parole de Louis Rossel. Louis Rossel est un officier supérieur de l'armée française qui, par exception, a rejoint la Commune. Après de premières prises de fonction et de premières déconvenues accompagnées d'une démission le 24 avril, Louis Rossel remplace Cluseret en tant que délégué à la guerre à partir du 30 avril. Vermersch, qui, dans une période où la chance semble lui sourire, renoue parallèlement avec sa maîtresse Rachel, s'enflamme pour le personnage de Rossel et la violence du Père Duchêne devient telle qu'il est menacé d'interdiction par la Commune. Précisons que, parallèlement, le Comité de Salut Public, projet sur lequel tous les communards ne s'entendaient pas (parmi les 23 de la minorité anti-autoritaire, Vallès, Andrieu ou Courbet y étaient opposés), a été créé lui aussi le premier mai. Du premier au 10 mai, Vermersch donne l'exemple d'une exaltation communarde aveugle à la défaite militaire en marche apparemment. Or, Rimbaud ne se nourrissait-il pas des espoirs enivrants de la presse communarde ? Dans le troisième de [S]es cahiers rouges, Maxime Vuillaume présente Rossel comme "L'un des premiers amis du Père Duchêne." Lors d'un repas avec de nombreux journalistes et membres de la Commune (Cri du peuple, Vengeur, Mot d'ordre et donc Père Duchêne), Rossel semble avoir "hypnotisé" Vermersch parmi d'autres. Son discours porte sur la réalité vécue des "misères de Metz" et sur l'idée que "rien n'était perdu encore" (je cite Vuillaume). Sur les trois rédacteurs du Père Duchêne, deux ont des craintes, Humbert et Vuillaume, mais Vermersch aurait dit : " - Avant peu, voyez-vous - conclut Vermersch - ce bougre-là sera ministre de la Guerre. Et Le Père Duchêne sera son confident, comme l'ancien l'était de Bouchotte!" Vuillaume enchaîne : "L'ancien, c'était Hébert !" Quelques pages plus loin dans son ouvrage de souvenirs, Maxime Vuillaume explique que les relations du trio étaient devenues délicates avec Raoul Rigault, car ce dernier aurait voulu ressusciter lui-même Le Père Duchêne. Selon Vuillaume, l'intransigeant Rigault n'envisageait ce journal que comme hébertiste et rejetait l'idée d'un traitement favorable de Robespierre : "Un seul héros pour lui dans la Révolution, Hébert. Une seule doctrine, l'hébertisme. Un seul journal, le journal d'Hébert." et "Parler devant Rigault de Robespierre, c'était soulever les plus formidables tempêtes. Robespierre ! Et la mort des hébertistes !" Le portrait de Rigault est assez sombre avec son soupir manifeste après la guillotine : "La guillotine lui manquait-elle, dans ce rêve qu'il bâtissait depuis des années de revoir les grands jours ?" Mais revenons à Vermersch. Donc "Rossel succéda à Cluseret. Mais il ne réussit pas mieux que son prédécesseur. Il fut brisé comme lui, son autoritarisme de façade ne pouvant avoir de prise sur des pouvoirs flottants et mal définis comme l'étaient les commissions de la Commune et le Comité central resté dans la coulisse." Et voici que "[p]endant les quelques jours que dura la dictature militaire de Rossel, ce qu'il croyait du moins être la dictature - du premier au 10 mai - Vermersch tenta de réaliser son rêve. Il y tenait. Au milieu dde ce formidable tohu-bohu, une seule idée le hantait : le souvenir et la gloire d'Hébert. Le Père Duchêne fut alors l'organe de Rossel. Mais cela devait durer peu de temps. L'Hôtel de Ville s'émut des attaques de notre journal. Un soir, un ami m'avertit qu'il était tout simplement question de nous arrêter." Vuillaume obtint au journal d'être sauvé par Eudes, alors membre du nouveau Comité de Salut Public dont les membres changèrent à plusieurs reprises en quelques jours. Après la démission de Rossel, "Le Père Duchêne n'avait plus qu'à seconder les efforts de Delescluze, qui succédait à Rossel." et Vuillaume se flagelle alors : "Brave Delescluze ! J'ai encore sur la conscience l'accueil presque insolent que nous lui fîmes, lorsqu'il vint prendre possession de la délégation, après la fuite de Rossel de l'Hôtel de Ville. Nous étions, Humbert et moi, dans un salon voisin du cabinet du délégué, quand Delescluze entra, son éternel pardessus gris sur sa redingote noire, chapeau haut de forme, canne à la main." "- Partons, dit à haute voix l'un de nous. Nous n'avons plus rien à faire ici, puisque Rossel n'est plus là" et "Delescluze leva la tête. Je vois encore le regard à la fois dédaigneux et attristé qu'"il dirigea sur nous. Je me reproche encore cette grossièreté stupide à l'adresse de celui qui, bientôt, allait nous laisser à tous un si magnifique exemple."
Dans mon lot de citations, il me plaît de retrouver le mot du "Bateau ivre", celui de "tohu-bohu". Ce troisième cahier a "originellement paru le 8 mars 1908", mais c'est une coïncidence parlante. Ces tranches de vie du côté de Vermersh et Vuillaume n'ont pas l'air d'intéresser la vie de Rimbaud. Pourtant, c'est une façon d'éclairage sur l'humeur étonnante de Rimbaud qui, dans ses Ardennes natales, au-delà du 10 mai, le 15 mai !, envoie à Paul Demeny cet étonnant "Chant de guerre Parisien" qui annonce aux Versaillais et aux "Ruraux", terme visant les notables monarchistes ou bonapartistes, bons propriétaires à l'extérieur de Paris, que les bombes ne font pas peur aux "partageux". Les mots du poème "Chant de guerre Parisien" font songer à une création en relation avec la presse de la mi-avril et l'envoi est déconcertant un 15 mai, à une semaine de la semaine sanglante, cinq jours après la douche froide pour Le Père Duchêne de la démission de Rossel. Mais Rimbaud est de peu en retard sur la foi hébertiste aveugle de ce Vermersch dont il vantait déjà les mérites dans sa lettre à Demeny du 17 avril 1871 : "Les choses du jour étaient le Mot d'ordre et les fantaisies, admirables, de Vallès et de Vermersch au Cri du Peuple." Rimbaud a rencontré André Gill à Paris, il s'intéresse depuis des mois à Verlaine, mais le nom de Vallès fait contrepoids. A Londres, Rimbaud et Verlaine fréquenteront un autre membre de la minorité communarde anti-autoritaire hostile au Comité de salut public, Jules Andrieu. En tout cas, pour ce qui est de l'enthousiasme inconscient de l'imminence de la défaite, Rimbaud était sur la même longueur d'onde qu'un Vermersch ou sinon qu'un Vuillaume.
Quand Rossel sera remplacé par Delescluze, Vuillaume, qui se le reprochera ensuite, a quitté les lieux avec dédain, tout comme Vermersch. Cette puissance d'entraînement est importante à considérer, car à analyser les choses à tête reposée comment Rimbaud pouvait-il s'attendre à une victoire de la Commune face à l'évidence des défaites militaires du mois d'avril ?
Dans mon lot de citations, il me plaît de retrouver le mot du "Bateau ivre", celui de "tohu-bohu". Ce troisième cahier a "originellement paru le 8 mars 1908", mais c'est une coïncidence parlante. Ces tranches de vie du côté de Vermersh et Vuillaume n'ont pas l'air d'intéresser la vie de Rimbaud. Pourtant, c'est une façon d'éclairage sur l'humeur étonnante de Rimbaud qui, dans ses Ardennes natales, au-delà du 10 mai, le 15 mai !, envoie à Paul Demeny cet étonnant "Chant de guerre Parisien" qui annonce aux Versaillais et aux "Ruraux", terme visant les notables monarchistes ou bonapartistes, bons propriétaires à l'extérieur de Paris, que les bombes ne font pas peur aux "partageux". Les mots du poème "Chant de guerre Parisien" font songer à une création en relation avec la presse de la mi-avril et l'envoi est déconcertant un 15 mai, à une semaine de la semaine sanglante, cinq jours après la douche froide pour Le Père Duchêne de la démission de Rossel. Mais Rimbaud est de peu en retard sur la foi hébertiste aveugle de ce Vermersch dont il vantait déjà les mérites dans sa lettre à Demeny du 17 avril 1871 : "Les choses du jour étaient le Mot d'ordre et les fantaisies, admirables, de Vallès et de Vermersch au Cri du Peuple." Rimbaud a rencontré André Gill à Paris, il s'intéresse depuis des mois à Verlaine, mais le nom de Vallès fait contrepoids. A Londres, Rimbaud et Verlaine fréquenteront un autre membre de la minorité communarde anti-autoritaire hostile au Comité de salut public, Jules Andrieu. En tout cas, pour ce qui est de l'enthousiasme inconscient de l'imminence de la défaite, Rimbaud était sur la même longueur d'onde qu'un Vermersch ou sinon qu'un Vuillaume.
Quand Rossel sera remplacé par Delescluze, Vuillaume, qui se le reprochera ensuite, a quitté les lieux avec dédain, tout comme Vermersch. Cette puissance d'entraînement est importante à considérer, car à analyser les choses à tête reposée comment Rimbaud pouvait-il s'attendre à une victoire de la Commune face à l'évidence des défaites militaires du mois d'avril ?
Dernier chapitre sur les dates importantes de la Commune, il faut considérer les procès. Les biographes rimbaldiens parlent aujourd'hui avec plus de précision que jamais de la fréquentation de milieux de réfugiés communards à Bruxelles et à Londres de juillet 1872 à juillet 1873 par Verlaine et Rimbaud, mais il ne faut pas négliger l'égrènement des procès de la Commune racontés dans la presse. De septembre 1871 à juin 1872, Rimbaud pouvait s'informer constamment des condamnations en cours. Ils ne lisaient pas que des réactions littéraires après-coup des vainqueurs de la Commune, il apprenait quotidiennement l'évolution du sort des prisonniers et accusés, les exécutions capitales et les déportations. Or, on voit bien que cette actualité des procès est sous-estimée quand les commentaires de poèmes de Rimbaud s'étonnent que le manuscrit des "Mains de Jeanne-Marie" puisse être daté de février 1872. Rimbaud écrivait des poèmes communards en 1872 ("Le Bateau ivre" fin 1871 ou début 1872 ?; "Voyelles", "Les Mains de Jeanne-Marie", "Les Corbeaux" (vers mars-avril 1872 apparemment), "Paris se repeuple" (daté à tort des lendemains de la semaine sanglante peut-être), "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,...."), parce que c'était l'actualité politique immédiate même. Des vies et existences étaient en jeu, la répression continuait.
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