Je ne m'y attendais pas, mais un dossier Verlaine-Rimbaud vient de paraître dans un numéro 573 du Magazine littéraire mis en kiosque pour le mois de novembre 2016. Le montage pour la couverture est de bonne facture. L'éditorial ne concerne pas du tout nos deux poètes. Les pages 72 à 96, à la fin de la revue, leur sont toutefois bien consacrées. Quelques rimbaldiens ou verlainiens connus interviennent : Cornulier, Murphy, Rocher, Brunel, Reboul, Bivort, dans un dossier établi par un universitaire suisse Robert Kopp qui rédige une introduction et un article de liaison avec la figure tutélaire de Baudelaire. Les autres intervenants ne me sont pas connus : Charles Ficat pour un article "Le piéton de Londres", Guillaume Métayer qui parle d'un auteur secondaire très en vue à l'époque, Anatole France, comme d'un "ami saturnien" et Laurence Campa conclut avec le titre "Manifestement rimbaldiens". Je suppose que la chronologie des pages 88-89 vient du coordonnateur, Robert Kopp.
Je vais tout de suite commencer par ce qui me fait "tiquer" au plan iconographique. Page 88, nous avons trois médaillons : un de Rimbaud, un de Verlaine, un de Mathilde Mauté de Fleurville. Je n'ai rien à dire sur celui qui concerne l'épouse de Verlaine, si ce n'est qu'une adresse internet figure au crédit "www.bridgemanart.com". Le médaillon qui concerne l'adolescent ardennais est légendé comme suit : "Arthur Rimbaud, en janvier 1870" et la provenance déclarée est cette fois "BNF". En revanche, le portrait de Verlaine est crédité "Fineartimages/leemage" ce qui fait à peine plus sérieux que le médaillon de Mathilde, et il est légendé comme une photographie sortie des ateliers Carjat : "Paul Verlaine, par Etienne Carjat, vers 1870." Je ne sais pas s'il m'est loisible d'expliquer ici pourquoi je sais que la photographie de Verlaine est une Carjat, je peux seulement témoigner que je le sais et visiblement la personne qui a confectionné cette chronologie le sait aussi.
Mais la question est la suivante : Pourquoi diable préciser que la photo de Verlaine vient de Carjat et pas celle de Rimbaud dont on sait qu'elle sort du même atelier ?
Il existe deux photographies Carjat de Rimbaud. Elles ont été prises à la fin de l'année 1871, en "octobre 1871" même selon un témoignage tardif, mais de Verlaine lui-même. Rimbaud passait justement le cap des dix-sept ans le 20 de ce mois-là précisément. Sur la seule impression causée par la différence entre les deux photographies, une partie des biographes a décrété arbitrairement qu'il n'y avait qu'une photographie Carjat et que l'autre était une photo carolopolitaine reformatée dans un nouveau cadre par Etienne Carjat. Des rimbaldiens ont résisté et eux au moins ont apporté un argument concret : Rimbaud porte les mêmes vêtements sur les deux photographies ! En insistant sur les retouches, et je dirais plus précisément les ombres, de certains tirages, Jacques Bienvenu a récemment pu faire observer que l'apparente jeunesse extrême de l'un des deux portraits était toute relative. Ajoutons à cela que si Verlaine trouvait le premier portrait plus ressemblant, c'est qu'il avait vu Rimbaud ainsi devant lui. Si réellement le premier portrait était celui d'un petit garçon dont Verlaine aurait raté la métamorphose, il l'aurait dit. Malgré les objections de quelques rimbaldiens qui ne se limitent pas à moi et Jacques Bienvenu, la loi arbitraire prévaut et le Magazine littéraire nous apprend que Rimbaud s'est fait tirer le portrait en janvier 1870. D'où vient cette précision ? Avez-vous jamais ouvert une biographie de Rimbaud ? Connaissez-vous l'Histoire ? En janvier 1870, le pays est encore en guerre et la situation politique n'est pas stable, ni la situation familiale. L'école est fermée, Rimbaud fugue de temps en temps, sa mère est remontée contre lui et va le menacer de le mettre à la porte s'il ne trouve pas du travail. Au nom de quoi le mois de janvier 1870 se prêterait-il à la pose dans un atelier photographique ? Il est plus simple d'admettre que selon les témoignages de Verlaine et indirectement Berrichon, les formats des photographies, les cartes Carjat qui les enserrent, les habits identiques (sans doute achetés juste avant la pose par une cotisation de poètes !), nous avons deux portraits Carjat pris le même jour.
Or, passons à la photographie Carjat de Verlaine : gilet boutonné, col de chemise blanche bien serré au niveau du cou et veste se retrouvent. Les deux vestes ont la même forme de col ou revers ou fraise avec le même rebord, à peu de choses près la même encoche dans la fraise, des teintes comparables. Cette fois, Robert Kopp est moins précis "vers 1870". Ce "vers 1870" ne peut-il pas inclure le mois d'octobre 1871 ? Il y a eu la guerre franco-prussienne, une situation politique trouble, puis la Commune en 1870 et 1871. Verlaine n'a-t-il pas pris une photographie de lui chez Carjat le même jour que Rimbaud ? Depuis que je sais que la photographie de Verlaine est une Carjat, c'est l'idée qui s'impose à moi avec force, inéluctablement. Certains diront "vers 1870", cela peut vouloir dire en 1869 ou en 1868, etc. Outre que les vêtements de Rimbaud et Verlaine sont étonnamment ressemblants, Verlaine avait initialement une chevelure abondante dont témoigne une caricature de 1867 de Jules Péaron reproduite à la page 94 du Magazine littéraire. Sur la photographie Carjat, Verlaine a une calvitie bien avancée, le front est complètement dégarni, alors qu'il n'y avait que des entrées sur les côtés d'après la caricature. Ne pourrait-il pas s'être passé quatre ans entre ces deux états capillaires ?
Ce dossier contient déjà une mention erronée, non admise "en janvier 1870" et une mention suspecte "vers 1870".
Ce même dossier contient une reproduction du tableau de Jeff Rosman daté de 1873 qui représente le visage de Rimbaud sur la plus célèbre des deux photographies Carjat. Avez-vous déjà lu une biographie de Rimbaud ? Après le coup de feu et les premières déclarations à la police, Rimbaud a été à l'hôpital. Il n'a donc aucune raison de faire une petite convalescence au lit !!! chez une madame Pincemaille jamais identifiée, ou si identifiée mais pour établir que la date de 1873 est apocryphe.
Ce tableau de Jeff Rosman a été trouvé non à Bruxelles, mais à Paris... sur le marché... après la Seconde Guerre Mondiale. C'est un faux, tout simplement. Le Musée Rimbaud peut pester tant qu'il veut sur son acquistion, c'est ainsi. Matarasso s'est fait plus d'une fois abusé, tout simplement. On le sait ! En revanche, ce tableau ne déshonore pas le Musée Rimbaud : c'est l'un des plus drôles qui aient jamais été exhibé. Il fait partie intégrante de l'histoire du mythe Rimbaud avec les textes iconoclastes qui l'accompagnent. Jacques Bienvenu a contesté avec raison ce tableau, et même s'ils ne publiaient rien d'autres personnes ayant travaillé sur Rimbaud trouvaient invraisemblable l'origine de ce tableau, juste que je ne peux pas parler publiquement en leur nom.
Pour les détails de la chronologie proposée, une erreur minime peut être relevée. Rimbaud habitait à Charleville, à côté de Mézières, et non pas à Charleville-Mézières. Les deux villes n'ont fusionné qu'en 1966, Robert Kopp avait déjà 27-28 ans apparemment. Tout crédit est également accordé au témoignage de Delahaye selon lequel Rimbaud aurait envoyé dans ses premières lettres à Verlaine les poèmes "Les Effarés", "Accroupissements", "Les Premières communions" et "Paris se repeuple". Face à des assertions aussi fragiles, ma question sera la suivante : et pourquoi pas un faux Coppée ? Autre mythe hérité du témoignage tendancieux de Delahaye, Rimbaud serait monté à Paris avec "Le Bateau ivre" sous le bras. Outre que rien ne justifie un tel point de vue, le poème "Le Bateau ivre" fait allusion à des publications dans la presse d'octobre, novembre, sinon décembre 1871 : à savoir le procès Maroteau, les poèmes publiés par Victor Hugo dans Le Rappel à la fin de l'année 1871, le drame Fais ce que dois de Coppée dont le texte a été publié dans Le Moniteur universel en octobre 1871. Je ne parlerai même pas des articles sur la vie des prisonniers à bord des pontons Si Marc Ascione prétend que la remarque sur les "Peaux-Rouges" au début du "Bateau ivre" vient d'une phrase de Bismarck "Les Parisiens sont des Peaux-Rouges", il est à noter qu'il n'a donné aucune source, aucune attestation d'époque de cette prétendue célèbre phrase. Pas une citation dans la presse à l'appui, rien, nada ! On fera remarquer qu'à Paris Rimbaud a eu tout le loisir de lire une presse hostile assimilant les communards à des sauvages. J'ai déjà cité un poème de Victor Fournel intitulé "Le Drapeau rouge" qui non seulement semble contenir "peaux-rouges" et autres images du "Bateau ivre", mais poème écrit en ïambes à la manière d'André Chénier au moment où il dénonce sous la Révolution française ceux qui le font guillotiner. Victor Fournel a écrit un poème de 200 vers, Rimbaud offre alors une réplique de 100 vers. Le poème de Fournel n'a été publié qu'en décembre 1871. On peut discuter les éléments rassemblés ici, mais n'importe qui de soucieux d'histoire, de faits, de contexte, se rend compte à quel point il est préjudiciable à une meilleure connaissance de l'oeuvre de Rimbaud que d'affirmer péremptoirement que les poèmes "Paris se repeuple" et "Le Bateau ivre" furent composés à Charleville avant l'immersion parisienne. Pierre Brunel donne crédit à cette même légende d'un poème "Le Bateau ivre" lu à Paris devant les Vilains Bonshommes en septembre 1871, alors qu'il n'existe aucune attestation d'une lecture publique de poème par Rimbaud, alors que même le témoignage de Delahaye ne va pas aussi loin. Il s'agit d'une croyance née au sein de la critique rimbaldienne, aucun témoignage d'époque n'a jamais invité à envisager une telle lecture publique, aucun ! Il me semble que les articles du Magazine littéraire sont un exercice de communication pour favoriser la lecture des deux poètes. On ne peut pas simplement considérer que la revue doit présenter une synthèse bon teint, sans les contraintes de l'analyse universitaire. A quoi sert-il de réapprendre au public ce qui s'est toujours dit sans montrer les avancées réelles et tout ce qui peut être remis sur le métier ? N'importe qui peut écrire dans Le Magazine littéraire à ce moment-là, strictement n'importe qui !
Dans le chapeau qui introduit son article, Pierre Brunel considère par ailleurs qu'à la différence de Rimbaud Verlaine a "renonc(é) aux audaces métriques". C'est inexact. Même si, au contraire d'une tendance actuelle à la revalorisation des derniers recueils, je préfère largement les recueils qui vont des Poëmes saturniens, trop sous-estimés, à Jadis et naguère, il est évident que Verlaine multiplie les audaces métriques et les essais originaux dans ces derniers recueils. Il va même parfois aussi loin que Rimbaud l'a été en 1872, et c'est ce qui rend incompréhensible sa Réponse à l'enquête de Jules Huret sur l'évolution littéraire, quand il considère que Rimbaud a mal fait et a donné un mauvais exemple de vers libres à tous ses suiveurs inconsistants de symbolistes et décadents. Cela ne tient pas en regard des productions de Verlaine à la fin de sa vie. Quelle est la différence entre les césures du dernier Verlaine et celles de 1872 de Rimbaud ? On le voit, il ne suffit pas de dire que Verlaine a tort de penser mal des poèmes en vers de 1872. Il n'est probablement pas sincère du tout quand il répond quelque chose d'aussi contradictoire à Jules Huret, d'autant que "Larme" et "La Rivière de Cassis" sont sans doute pour beaucoup dans la fascination qu'exerce Rimbaud sur ses lecteurs.
Suit un article de Cornulier qui plaide pour une lecture en hémistiches forcés de six syllabes les alexandrins les plus déroutants de Verlaine et Rimbaud, thèse que j'ai lancée publiquement en 2004 et que j'ai appuyée par la suite d'éléments de démonstration. Dans son article, Cornulier parle de la concurrence entre la lecture en trimètres et la lecture en alexandrins, ce qui est inévitable dans le débat. En revanche, il parle aussi de la mesure de substitution 8-4. Cette mesure de substitution a été développée par Benoît de Cornulier dans son ouvrage Théorie du vers en 1882 et elle a été suivie par de nombreux analystes du vers, mais pas par tous, et personnellement j'ai contesté l'existence de cette mesure de substitution à l'époque de Rimbaud et Verlaine. Avant les années 1880, Verlaine et Rimbaud sont les deux poètes les plus révolutionnaires en fait de versification, et cela concerne encore une bonne partie de la décennie 1880 elle-même. La forme d'alexandrin avec des hémistiches de 8 et 4 syllabes est une réalité depuis les années 1890, que ce soit chez de grands ou de petits poètes. Cette émergence est même plus naturelle chez les poètes médiocres qui ne comprenaient pas la possibilité de lire de manière forcée tous les hémistiches des parnassiens, puis des Rimbaud et Verlaine, en suite de six syllabes. Cette mesure 8-4 apparaît aussi dans les vers libres de Verhaeren ("La Ville tentaculaire", Les Campagnes hallucinées). En revanche, l'existence de cette coupe 8-4 n'a jamais été établie pour Verlaine et Rimbaud, ni un quelconque de leurs prédécesseurs. Elle n'est appuyée par aucun discours théorique, si ce n'est celui de Ténint qui mettait sur le même plan toutes les découpes binaires 5-7 ou 4-8, etc. J'ai relevé certains vers qui démentent la démonstration selon laquelle quand la césure normale est obstruée dans un premier temps le vers retrouve un équilibre par des mesures ternaires 4-4-4 ou semi-ternaires 8-4 et 4-8. Pétrus Borel, Philothée O' Neddy, d'autres encore offrent des vers qui permettent de démentir cette thèse.
Enfin, dans son article, Yves Reboul prétend qu'il est évident que dans Barbare assimile les "vieilles fanfares d'héroïsme" à son adhésion trop enthousiaste à la Commune de Paris. Rimbaud renoncerait ainsi aux illusions utopiques. Cette évidence, je ne la partage pas. Rimbaud a composé trois poèmes en prose A une Raison, Matinée d'ivresse et Barbare, sans fixer un mode d'emploi où l'un considérerait comme périmé le discours de l'autre. Le poème A une Raison joue sur une variation de l'adjectif "nouveau" à quatre reprises, le poème Barbare joue sur les adjectifs "vieux" et "ancien". Si le discours de Reboul est juste, pourquoi Rimbaud n'a-t-il pas déchiré le manuscrit contenant A une Raison ? Fatuité d'auteur ? Dans "Barbare", le "pavillon en viande saignante" s'oppose aux "anciennes fanfares" et il ressemble au corps saignant de l'Être de Beauté du poème Being Beauteous qui recouvre précisément ceux qui y adhèrent d'un "nouveau corps amoureux", autrement dit adhérer au "pavillon en viande saignante" confère le "nouvel amour". C'est le sens littéral du poème. La "fanfare", c'est une musique festive qui ne sonne pas comme quelque chose de communard, et une fanfare d'héroïsme, cela renvoie à un amour de la gloriole qui a plus le profil des épopées napoléoniennes que d'un combat communard que Rimbaud ne menait pas pour un devenir personnel de héros. Comme on peut être remis de ses noces, on peut être remis d'une attaque extérieure. Dans "Barbare", les "vieilles fanfares d'héroïsme" c'est bien évidemment les "sifflements mortels" et les "rauques musiques" que le monde "loin derrière nous" lancer "sur notre mère de beauté. Barbare et Being Beauteous sont deux versions d'un même récit, et A une Raison leur fait cortège. Dans Matinée d'ivresse, la fanfare à laquelle se soumet le poète est clairement définie comme opposable à d'autres fanfares : "Fanfare atroce où je ne trébuche point", cela veut clairement dire qu'il y a d'autres fanfares où le poète trébuche et s'il y trébuche c'est qu'il doit ensuite s'en remettre, oserait-on encore préciser.
Pour le reste, les articles proposés rappellent souvent des points depuis longtemps consolidés, mais qui font peut-être encore un peu débat. Reboul rappelle l'identification à Hugo de "L'Homme juste" contre une identification à Jésus-Christ que je n'aurais pas manqué de contester avant 1985 si j'avais eu l'âge pour réagir et commenter Rimbaud. Pour moi, l'identification d'Hugo dans L'Homme juste n'avait rien d'imprévisible en 1985. Trente ans après, il faut pouvoir parler d'autre chose quant aux avancées sur Rimbaud. Steve Murphy revient à nouveau dans les colonnes du Magazine littéraire sur l'identification de Napoléon III sous le patronyme César dans deux sonnets de Rimbaud et un des "poèmes saturniens" de Verlaine. Il a raison, mais pourquoi ne pas aller plus loin et donner l'impression qu'on rame sur ce point-là ?
Il est également question de l'Album zutique dans cette revue, avec un article de Rocher sur la page manuscrite contenant la transcription du "Sonnet du Trou du Cul" et Reboul parle des cibles réactionnaires des zutistes : Coppée, Napoléon III, etc. Mais, les intertextes ont été mis à jour et d'autres cibles réactionnaires ont été précisées : Silvestre, Belmontet, Ratisbonne, Pommier, Daudet. Cela aurait pu intéresser le lecteur du Magazine littéraire qui, lecteur de Rimbaud, sait depuis longtemps que la signature "Coppée" est omniprésente sur l'Album zutique.
Personnellement, les références critiques sur Rimbaud, je ne vois pas pourquoi ce serait l'édition de la Pléiade ou une revue papier Europe ou Magazine littéraire. Ce qui vaut référence, c'est ce qui établit un point, ce qui fait avancer les choses, et pour parler comme Rimbaud et Baudelaire ce qui dit quelque chose de nouveau !
Le lecteur curieux le sait : le professeur Brunel vacille sur un point bien précis : d'après votre compte rendu il semble que rien dans l'article nous rappelle cette perte d'équilibre. Je sais le sujet porte sur Rimbaud et Verlaine mais peut-être à cause du dernier mot de votre rapport : je me demande : comment va le professeur ?
RépondreSupprimerSinon une petite coquille : Théorie du vers c'est pas 1882.
Je n'ai pas bien compris votre message. Dans l'article page 76 je lis encore ceci : "Les audaces de métrique (...) ne se rencontrent plus guère dans les pièces écrites après 1875." donc si dans l'article il y a à nouveau une affirmation erronée. Outre qu'il y a quelques audaces dans Sagesse, Jadis et Naguère et Amour, il y a de vraies expérimentations métriques dans les recueils suivants et surtout des poèmes où il est difficile de placer la césure, vu que tout y est chahuté comme Rimbaud le faisait en 1872.
SupprimerL'article de Cornulier, il faudra que j'y revienne. La bonne analyse, c'est de confronter le 6-6 à des approximations de trimètres. Je ne crois pas au 8-4. Ce qu'on croit des 8-4, au départ, ce n'est rien d'autre qu'un travail des poètes à n'être ni dans le trimètre ni dans le 6-6. Et je ne crois pas à l'autonomie du 8-4 ni chez Rimbaud ni chez Verlaine. Oui, il y a jeu de mots sur "cul" dans "Avec des particularités curieuses", oui on entend deux fois "cu" et donc "cul", mais seul le "cul" orthographique, malgré un "l" repris dans la syllabe suivante, fait jeu de mots métrique. Le "cu" dans "curieuses" n'a aucun sens métrique du tout. Le 8-4 est d'ailleurs frontalement contradictoire avec les principes premiers de la théorie du vers. Dans le vers "Mêmes plus qu'elles - et mieux qu'elles - héroïques", la césure est sur "mieux", mais la forme de trimètre permet d'identifier le jeu sur les deux "elles". Le trimètre est irrecevable à cause bien sûr des "e" féminins aux positions clefs 4 et 8, donc c'est tout simplement un alexandrin enjambé 6-6, c'est donc la symétrie et le rejet "qu'elles" qui s'apprécie à la lecture: "Même plus qu'elles - et mieux + qu'elles..." Il faut mettre en relief oratoire le second "qu'elles". Ensuite, Verlaine reprend cette fois le "elles" du trimètre directement à l'emplacement normal de la césure dans le vers : "Telles qu'au prix d'elles les amours dans le rang". Le trimètre a préparé la véritable audace métrique. Il y a renfort d'une équivoque phonétique "telles / elles" aux deux bornes du premiers hémistiche évidemment et très clairement le premier hémistiche est anormalement clos sur un "e" féminin. Il s'agit d'un jeu métrique pour inviter à un effet oratoire sur ce "elles", en quelque sorte la métrique invite à mettre un accent sur un mot, un accent qui n'est pas inscrit dans la langue, mais un accent que veut mettre le poète par son art combinatoire. Ce vers doit créer un effet de surprise, mais pour que le lecteur admette ce qu'il s'est passé Verlaine a mis au vers suivant la forme "Jeux" à la césure pour que le lecteur comprenne rétrospectivement qu'il devait accentuer ainsi "elleus". Peu importe les deux sons du "eu" en français, car certains pinailleront peut-être.
RépondreSupprimerEvidemment, je suis indifférent à la recherche d'un rythme 8-4. La question du trimètre est différente, mais même pour ce vers "Telles qu'au prix d'elles", elle ne se pose même pas pour moi. Je ne me sens pas engagé dans cette voie, si ce n'est qu'un précédent vers a annoncé l'effet sur "elles" en jouant sur l'allure trouble du trimètre.
SupprimerOn voit que mon analyse est moins encadrée que celle de Cornulier. Je refuse 4-8 et 8-4, je vais directement au 6-6 à chaque fois, et ce n'est que pour des questions de symétrie que je tolère une lecture trimètre secondaire. Comme le trimètre n'a pas de valeur métrique pour moi dans l'oeuvre de Rimbaud, Hugo et d'autres, je ne suis pas embarrassé par deux choses. D'abord, je constate la forme ternaire "Mêmes plus qu'elles - et mieux qu'elles - héroïques" sans être choqué par les "e". J'y vois une audace, mais mineure, puisque la césure est ailleurs. Ensuite, je ne problématise jamais (ou quasi jamais vu des cas dont je pourrai reparler) une concurrence entre le 6-6 et le 4-4-4. Les vers sont 6-6, le 4-4-4 est un plus, je m'arrête à ça.
Comme il est excitant de rapprocher votre article des articles étonnamment corrects du blog de Jacques Bienvenu : et plus précisément l'article récent portant sur les éditions papiers et les éditions numériques.
RépondreSupprimerSi je prends par exemple vôtre trouvaille de l'autre jour concernant la préface de Sully Prudhomme au « De la nature des choses » de Lucrèce et donc maintenant la proximité du bois qui se trouve violon et du cuivre qui se trouve clairon avec la fameuse lettre du sauvageon éclairé je me demande pourquoi une telle trouvaille (trouvaille qui est là sous nos yeux sur les pages de votre blog ) reste ignorée des éditions papiers. Aucune édition papier ne rend compte à ce jour de votre découverte : rien. Pas la moindre note de bas de page. Rien.
Moi comme lecteur j'aime le papier : alors je vous imprime, je vous édite, je recompose, je complète, je rectifie : avec vos textes je modifie, je complète, je rectifie, je corrige : et j'aime ça.
«Lucrèce, Sully Prudhomme et la pensée du voyant » voilà l'article que le magazine plus ou moins littéraire aurait dû imprimer.
Si je fais abstraction de la part d'ironie et persiflage dans ce que vous me dites, il se trouve que si je reste "correct", on me piétine, si je suis incorrect on a un passe-droit pour m'ignorer. Ce que vous citez n'est qu'une chose à citer parmi d'autres nouveautés. Le gros morceau, c'est la lecture de Voyelles. C'est le non recensement de cette lecture qui est grave. Le problème, c'est que maintenant qu'elle est ignorée les anciens ne peuvent plus revenir en arrière car c'est discréditant. Il faudra un nouveau cadre rimbaldien universitaire. Malheureusement, la fraîcheur de la découverte ne primera plus. Il y a aussi le mépris pour la coquille "outils" à remplacer par "autels" dans Une saison en enfer, qui est assez passionnante point de vue établissement du texte. Pour moi, la critique a fait primer les statuts sur l'intérêt des lecteurs désireux de mieux comprendre l'oeuvre de Rimbaud. Du coup, la publication rimbaldienne n'a strictement aucun intérêt. Nous ne sommes pas engagés dans des sociétés qui construisent leur futur littéraire. Moi, si je veux agir sur le monde, je n'ai qu'une voie possible : être écrivain. Mais le monde ne m'y encourage pas du tout...
RépondreSupprimerEt pendant ce temps je lis que la plus grande découverte rimbaldienne de ces dernières années c'est le Rêve de Bismarck.
RépondreSupprimerSi j'avais un tapis je me tordrais toute la journée dessus : que ne suis-je pas éditeur ou imprimeur !
Un lecteur, rien de plus.
Disons que c'est la découverte d'un texte inédit, sans doute du même ordre d'intérêt que le "Free as a bird" des Beatles (pour ceux qui connaissent). Ceci dit, sur Le Rêve de Bismarck, je pense que sa médiocrité peut venir de retouches maladroites de Jacoby. La grande découverte, c'est en réalité "Famille maudite", avec en prime ce que ça laisse rêver comme autres manuscrits encore à espérer de la même provenance. Il est évident que les quinze dernières années du vingtième siècle ont été très bonnes pour le rimbaldisme. Mais les années 2000 n'ont pas été inférieures du tout et je crois bien y être en grande partie pour quelque chose : Voyelles, Le Bateau ivre, Les Corbeaux, les intertetextes de l'Album zutique (et pas que), plusieurs poèmes des Illuminations, le texte liminaire d'Une saison enfer et Mauvais sang, la coquille "outils" pour "autels", les vers déchiffrés de L'Homme juste, les pages du procès de Verlaine plus la condamnation en appel, la lecture métrique avec une césure des poèmes en vers de 72, les intertextes de "Mes Petites amoureuses", "Nina" dans Musset, de "Rêvé pour l'hiver" dans Prudhomme, l'influence d'un texte de Prudhomme sur les lettres dites du voyant, le kiosque et l'Henriette du poème "Juillet", un début de mise au point sur Les Assis, la revalorisation de Credo in unam (avec le renfort d'un ami sur le caractère platonicien de la composition, ami qui en plus conforte ce que je dis sur le dualisme explicite de la pensée rimbaldienne), la remise en valeur du Polidor avec le soutien du même ami, l'établissement que Rimbaud et Verlaine ne sont passés à Charleroi en 72 qu'entre le 22 juillet et le début août, la réattribution de "L'Enfant qui ramassa..." à Verlaine, l'établissement chronologique crucial reconnu comme important par Murphy dans la revue Verlaine que Being Beauteous et A une Raison sont des interterxtes de Beams de Verlaine, la réduction à néant des prétendus Recueil Demeny, Recueil Verlaine, ma contribution majeure à l'étude de Bienvenu des manuscrits des poèmes en prose quand on montre que la pagination est celle de la Vogue et pas du tout de Rimbaud (je suis nommé pour les soulignements des titres de poèmes sur les manuscrits notamment. J'en passe, mais déjà tout ça c'est ce qu'envie non pas un rimbaldien, mais une génération de rimbaldiens.
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