samedi 18 mai 2019

Quelques mises au point sur deux poèmes solidaires "Voyelles" et "Le Bateau ivre"

Prenons les deux poèmes en vers les plus célèbres de Rimbaud.

Le sonnet "Voyelles" a été composé par un auteur Arthur Rimbaud, à peu près en même temps que "Le Bateau ivre", probablement dans les premiers mois de l'année 1872. Deux versions de ce poème nous sont parvenues, une copie de la main de Verlaine, une copie de la main de Rimbaud. Mais rappelons que les copies de Verlaine ne sont pas moins authentiques que les autographes. Si vous, chez vous, vous recopiez le sonnet "Voyelles" de Rimbaud, vous ne créez pas votre version du poème. Le doute persistant qui accable encore les copies de Verlaine vient de l'ancienne légende selon laquelle Verlaine avait recopié les poèmes de Rimbaud à partir de souvenirs de plus de dix ans. Comme si Verlaine avait passé son temps à apprendre par coeur tous ces poèmes de Rimbaud, mais n'avait pas daigné mémoriser un seul vers des "Veilleurs"...
La copie de Verlaine est accompagnée d'un quatrain où il est aussi question de couleurs dans un cadre cosmique et érotique. Dans "Le Bateau ivre", les couleurs sont bien présentes et là encore on a un cadre érotique et cosmique. Dans le septième quatrain du "Bateau ivre", nous avons "les rousseurs de l'amour" qui "Fermentent" en "teignant les bleuités" et qui riment avec l'expression "rutilements du jour" qui pour le coup explicite la métaphore. Rimbaud désigne l'éclat rougeoyant du soleil à l'horizon qui se lève sur la mer, et on songera au refrain de "la mer allée / Avec le soleil" dans le poème "L'Eternité" daté de mai 1872, trois à quatre ou cinq mois plus tard seulement. Pour l'éclat roux, vous préférerez peut-être envisager qu'il est question d'un couchant, mais il n'en reste pas moins que nous avons la conjonction de l'éclat solaire qui teint la mer et le ciel avec une idée érotique de Vénus jaillissant des flots, le tout articulé à une métaphore humoristique de l'alcool, puisque ces rousseurs "Plus fortes que l'alcool", sont un peu aussi l'écume d'une bière dont le passant de ce monde s'extasie. L'enchaînement est bien de la révélation de lumière dans l'effroi ou admiration des phénomènes naturels qui nous dépassent : "Je sais les cieux crevant en éclairs" ou "je sais le soir, / L'Aube exaltée..." Les images plus compliquées à cerner ne doivent pas nous empêcher de constater la présence d'idées classiques tout à fait significatives dans le déroulé d'images du "Bateau ivre". Je ne vais pas tout citer, mais puisque le "violet" est à l'honneur dans le dernier vers de "Voyelles", il faut quand même citer le quatrain du "soleil bas, taché d'horreurs mystiques" où une forme participiale "Illuminant" qui anticipe sur le titre d'un futur recueil de poèmes en poèmes en prose concerne des "figements violets", tandis que les flots assimilés à des volets permettent de conforter ce voyage en tant que fenêtre ouvrant sur un au-delà.

Oui, "Le Bateau ivre" a été composé plus tôt au début de l'année 1872. Rappelons quelques données. Comme plusieurs poèmes nous sont parvenus dans une suite paginée de la main de Verlaine et recopiés par Verlaine, l'idée s'est imposée que Verlaine avait recopié les poèmes que Rimbaud avait composé à Charleville. S'improvisant témoin au plus près des événements, Erenst Delahaye avait aggravé cette idée en considérant que Rimbaud avait envoyé plusieurs lettres à Verlaine contenant plusieurs de ces poèmes, et Delahaye avait ajouté que Rimbaud était monté à Paris avec "Le Bateau ivre" sous le bras pour épater le milieu artiste de la capitale à son arrivée. Et comme cette idée a séduit les critiques rimbaldiens une nouvelle idée s'est ajoutée à cette légende. Rimbaud aurait lu "Le Bateau ivre" à Paris, lors de sa présentation au dîner des Vilains Bonshommes de la fin du mois de septembre 1871. Et désormais une plaque commémore cette lecture supposée à proximité de la place Saint-Sulpice, sans parler du poème recopié à proximité sur un mur.
Mais, en réalité, la suite paginée par Verlaine comportait sa propre contradiction puisqu'un manuscrit "Les Mains de Jeanne-Marie" était daté de "février 1872". L'idée d'une lecture du poème lors d'un dîner des Vilains Bonshommes n'est, pour sa part, appuyée par aucun témoignage, tandis que Delahaye est aujourd'hui reconnu comme un témoin qui n'hésitait pas à mentir pour étoffer son rôle. Et il mentait à partir de présuppositions erronées qu'on a su plus d'une fois remettre en cause.
En tout cas, dès l'époque de Delahaye, il était sensible que les "pontons" parlaient des prisonniers communards. Or, si "Les Mains de Jeanne-Marie" parle des prisonnières communardes en février 1872, c'est qu'entre la fin de la Commune une actualité établit un relais, celle des procès dont on parle dans les journaux. Dans le cas du "Bateau ivre", le relais vient de ce que l'emprisonnement dure dans le temps et cela s'articule aussi à la poursuite des procès. Il est question aussi de descriptions des pontons dans la presse, et notamment dans les derniers mois de l'année 1871. Rimbaud parle de "l'autre hiver" et d'un "Poëme / De la Mer". Ainsi que Jacques Bienvenu, nous comprenons que cet "autre hiver" signifie que nous sommes dans un nouvel hiver, à neuf mois ou un an de distance. La Commune débute du 18 au 28 mars 1871, de l'insurrection à sa proclamation, durant l'hiver, et le prochain hiver a commencé le 21 décembre 1871. Dans ce cadre de réflexion, on comprend que le poème "Le Bateau ivre" a pu être composé en fonction des propos dans la presse au sujet de la Commune. Or, il y avait le récit des procès, les descriptions des pontons, et aussi des poèmes de Victor Hugo dans le journal Le Rappel où travaillait Camille Pelletan, compagnon zutiste précisément en octobre et novembre 1871 d'Arthur Rimbaud. Je m'étais rendu compte que Victor Hugo avait publié dans Le Rappel plusieurs poèmes du futur recueil L'Année terrible, mais j'ai négligé de publier un article dessus car à l'époque mon ordinateur m'empêchait de consulter les documents sur Gallica. Même si j'ai laissé traîner l'affaire, cette découverte est mienne et il se trouve que ces poèmes parlent des pontons, développent des métaphores proches du "Bateau ivre" et qui font le lien avec des métaphores similaires de recueils antérieurs de Victor Hugo, notamment avec Les Châtiments où les pontons sont très présents, notamment avec les poèmes "Pleine mer" et "Plein ciel", pleinement admis comme des sources au "Bateau ivre" désormais. A cela s'ajoute le procès de Maroteau où les juges se moquent de l'accusé d'allure juvénile en disant qu'il a voulu se jeter dans l'insurrection en poète, en se laissant porter par le courant. Enfin, en décembre 1871, un opposant à la Commune, Victor Fournel, a publié un poème intitulé "Le Drapeau rouge". Ce poème fait alterner les alexandrins et les octosyllabes par allusion aux "Iambes" d'André Chénier, ce poète étant souvent repris abusivement à leur profit par les contre-révolutionnaires. Il compte deux cent vers. Rimbaud n'a pas repris la forme des ïambes qui aurait supposé une satire de son propos, mais il est passé de deux cent vers à un autre chiffre rond, celui de cent vers. Pas la peine ici de sortir la théorie erronée et fumeuse de Poe ou Baudelaire sur la limite à donner à une poésie pour qu'elle soit efficace. Baudelaire a dit une ânerie, c'est son problème. Il va de soi que la poésie est indifférente à cette question de limite de l'unité d'effet.
Le poème de Victor Fournel assimilait les communards à des sauvages, à des panthères, etc. Rimbaud s'inspire des termes métaphoriques de cette dénonciation dans sa réplique.
Dans mon article de 2006, qui est, je le rappelle, antérieur de composition à l'article de Murphy paru la même année, puisque dans son article Murphy précise qu'il m'a lu, j'ai développé une lecture communarde du "Bateau ivre" où j'ai interprété en ce sens les "pontons" bien sûr, mais j'ai identifié le "Poëme de la Mer" à la Commune, j'ai identifié les "juillets" à des orages révolutionnaires et j'ai envisagé que dans "ultramarins" nous avions le mot réactionnaire "ultra" comme signe d'une opposition. Depuis, j'ai précisé que la métaphore de la terre attaquée par les eaux de la Commune ("la houle à l'assaut des récifs") se retrouvait à la fois dans "Le Bateau ivre" et "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,..." et permettaient de lire le sens métaphorique profond de ces deux poèmes. J'ai aussi publié quelques articles sur le poème "Les Corbeaux" où j'ai insisté sur la communauté de rimes communardes : "crépuscule embaumé" - "papillon de mai" et "soir charmé" - "fauvettes de mai", etc. J'ai aussi rappelé récemment que Lamartine est connu pour avoir été le premier à décrire étrangement les cieux, c'est dit par exemple dans le Lagarde et Michard.
Or, dans mon article de 2006, j'établissais un lien entre l'avant-gardisme du poème dans la forme, la pensée pour l'actualité de la répression de la Commune et une discussion sur la fonction du poète face à Hugo. Hugo s'exprimait au même moment sur la Commune, et il avait même ulcéré Rimbaud qui l'avait dénoncé et raillé avec une composition de juillet 1871 intitulée "L'Homme juste". On avait une réelle convergence. Rimbaud récupérait le magistère hugolien en refusant au grand romantique d'être la voix juste et pertinente de son époque.
Il va de soi que le poème "Le Bateau ivre" n'est pas formellement la révolution esthétique attendue. Les audaces métriques réelles viendront avec les vers nouvelle manière du printemps et de l'été 1872. Il va de soi que l'enjambement de mots à la césure est déjà pratiqué, quoique parcimonieusement, par divers parnassiens. Rimbaud a identifié le procédé dès le mois d'août 1870, puisqu'il cite l'audace de Verlaine dans sa lettre à Izambard, mais il a attendu avant de la pratiquer.
Ainsi, quand il compose "Le Bateau ivre", Rimbaud se met à jour en fait d'avant-gardisme en pratiquant l'enjambement de mot à effet de sens sur "péninsules", la césure cassant l'idée étymologique de presqu'île, mais aussi il fait du "Bateau ivre" un état des lieux des audaces de la métrique en fait de césure et un symbole de ce qu'on peut faire à l'époque de plus audacieux en termes d'images.
Mais il va de soi que Rimbaud parle d'un voyage en mer et que les images si déconcertantes soient-elles à la lecture décrivent le spectacle qui peut être vu dans de telles conditions. Il n'y pas de basculement dans une réalité autre qui appartiendrait à l'imaginaire.
C'est un poème de bilan, un poème de mise au point sur une situation, et cette situation ne va pas sans l'idée d'échec étant donné que le poème prend la mesure de la répression communarde et s'assimile à cet échec en expliquant que le "Poëme de la Mer" s'est retiré, que le lieu maritime est devenu immobile comme la terre impassible qu'il se réjouissait d'avoir laissé derrière lui. Cela laisse aussi entendre qu'il ne suffit pas de pratiquer une audace formelle pour crier victoire, le chemin est aussi de faire accepter ces audaces, de leur donner un sens.
Le poème est donc bien à  analyser comme une métaphore d'adhésion d'époque à une Commune qui a été réprimée dans le sang avec, en point de convergence, toute la réflexion d'un poète qui s'intéresse à l'Histoire et qui réfléchit sur son évolution d'artiste qui se veut un mage pour la société. Hugo est la référence à dépasser parmi les poètes et "Le Bateau ivre" est nettement un dialogue avec eux.
Face à cela, peut-on croire que le poème est plutôt une "allégorie plurivalente" qui peut parler d'expériences comme les paradis artificiels et le hachisch, qui peut parler de tout ce que le lecteur veut y trouver, mais aussi de révolution esthétique, de liberté de l'individu, d'exploration des rêves, etc. ? Non, je ne le crois pas un instant. D'ailleurs, en quoi un poème est-il profond parce qu'il dirait qu'il faut toujours révolutionner les formes de la poésie ? Voilà, je l'ai dit en une ligne : est-ce que le dire en un poème donnera plus de prix à l'idée ? Non. N'importe qui peut formuler cette idée avec son plus ou moins de talent. Le poème "Le Bateau ivre" ne vaut pas que pour son mérite formel, mais aussi parce qu'il articule un discours fouillé où il est question de la Commune, de sa répression, d'un positionnement face à Hugo. Tout cela est autrement plus précis et nourri qu'un vague discours sur la révolution à faire en toutes choses pour que nos vies soient constamment singulières. Le poème ne vaut que si sa liberté est ancrée dans un contexte. On n'a pas à ramener ce poème à une sorte de propos général où le lecteur a le contrôle sur le sens et les impressions que les vers lui procurent. On n'a pas à décréter que la lecture qui fera consensus sera celle qui respectera les convictions que les lecteurs ont chéri depuis qu'ils ont découvert le poème. On n'a pas à décréter que le poème accueille dans sa lecture tout ce qui a pu être publié. Parce qu'un jour quelqu'un a pensé que la "confiture verte" évoquait la consommation de hachisch, et parce que cette idée a été répétée des décennies durant, il va falloir accepter des lectures où le poème est un ventre mou, une allégorie qui vaudrait pour tout ce qu'on peut y mettre, tout ce qu'on peut y avoir mis, une allégorie qui du coup n'entrerait en conflit avec aucun lecteur, une allégorie sans polémique qui accueille tout et son contraire, une allégorie qui va dans une certaine direction de sens mais où tout le monde s'y retrouverait car il suffirait d'évaluer le degré d'audace révolutionnaire qu'on veut prêter à ce qu'on lit. Le poème serait une fabrique de désordre, selon des idées qui étaient dans le dernier livre d'Yves Bonnefoy sur Rimbaud et qui deviennent le titre d'un livre entièrement consacré au "Bateau ivre" récemment. Mais le désordre est-il habité pour être ainsi promu chef-d'oeuvre poétique ? Qu'est-ce qui fait sens dans ce prétendu désordre organisé ?
Il est clair que la compréhension du poème passe par une allégorie resserrée qui articule le sentiment historique d'exaltation et d'impasse de l'événement communard à une idée d'un poète qui se veut charger de l'humanité même et qui veut trouver du nouveau idées et formes en dialoguant avec son principal rival contemporain, Victor Hugo.
En-dehors de cela, nulle lecture du poème.
A la même époque que "Le Bateau ivre" et "Voyelles", Rimbaud compose "Les Mains de Jeanne-Marie", "Les Chercheuses de poux", "Les Remembrances du vieillard idiot", "Les Corbeaux", "Les Douaniers", etc. Personne ou presque, j'ose croire, ne prend le sonnet "Les Douaniers" comme une allégorie plurivalente ou une fabrique esthétique. Personne ne voit dans "Les Douaniers" une vérité métaphysique abstraite à décrypter. Personne ne lit tous ces poèmes contemporains comme des explorations d'une méthode de visions dont "Voyelles" indiquerait l'idée, etc. Pourquoi lire "Le Bateau ivre" et "Voyelles" comme deux expériences mystiques, alors que les autres poèmes échappent à de telles formes d'études critiques ?

Venons-en justement à "Voyelles", on a un lien important au sujet des couleurs. J'ai parlé de couleurs dans "Le Bateau ivre" et "L'Etoile a pleuré rose..." qui supposaient un cadre cosmique et érotique impliquant tout particulièrement l'idée de lumière (soleil, étoile, éclairs). Le cadre érotique dans "Le Bateau ivre" permet de songer à Vénus naissant de l'écume des flots, une Vénus amère ("les rousseurs amères de l'amour"). Le quatrain "L'Etoile a pleuré rose..." parle de "l'Homme" qui "a saigné noir" à un "flanc souverain". Il est donc question d'une reine ou d'une déesse et d'un lien quelque peu amer encore une fois.
Or, en mai 1870, Rimbaud a écrit ce qu'il a appelé dans une lettre à Banville son "credo des poètes", le poème "Credo in unam" que dans une seconde version il a réintitulé "Soleil et Chair". Vénus, figure solaire, était déployée dans cette composition. Cette composition s'inspire de travaux scolaires antérieurs, et une source importante s'imposait, le De rerum natura de Lucrèce.
Dans "Le Bateau ivre", la couleur violette est associée au soleil bas et à une ouverture sur l'au-delà. Dans "Voyelles", la couleur violette pointe au dernier vers, teignant les "bleuités" attendues, et elle caractérise l'éclat d'un regard érotique. Je n'hésite pas à y voir une figure de la Vénus solaire du "credo des poètes".
Rimbaud a été récompensé pour une traduction en vingt-six vers du début du premier livre du De rerum Natura de Lucrèce, mais il a pas mal plagié pour cela la traduction de Sully Prudhomme de ce seul premier livre. Prudhomme a publié la traduction du premier livre en 1869 et l'a accompagnée d'une longue préface. Rimbaud a effectué son plagiat à peu de distance de cette publication et il a eu de la chance de ne pas se faire prendre, et il avait sans doute un bon pressentiment de l'indifférence de l'institution scolaire pour les parnassiens, les poètes contemporains et pour d'ailleurs le futur premier Prix Nobel de Littérature.
Pour plagier le texte de Prudhomme, Rimbaud a nécessairement eu accès à cette longue préface et à la traduction du premier livre entier. Comme, désormais, je viens de préciser une amorce pour rapprocher la déclinaison de couleurs dans "Voyelles" d'une idée de Vénus solaire explicite dans "Soleil et Chair" ou "Le Bateau ivre", quasi explicite dans "L'Etoile a pleuré rose...", je vais donc prochainement proposer une étude sur les liens possibles entre le texte du seul premier livre du De rerum Natura de Lucrèce et le sonnet "Voyelles" de Rimbaud.
Enfin, quant à "Voyelles", si le poème juxtapose des groupes nominaux, la lecture n'interdit pas les recoupements qui vont de soi. On peut essayer de trouver l'unité du "A noir", celle du "E blanc", et ainsi de suite, puis essayer de cerner une logique qui serait reprise dans chaque série, essayer de cerner comment les cinq séries s'articulent entre elles. Nous n'aurons pas une analyse du discours à partir des mots explicatifs évidents comme "puisque", "parce que", "donc", "Cependant", etc. Nous aurons à cerner comment une juxtaposition fait sens, comment une succession fait sens.
Dans le cas du "A noir", il n'y a que deux images, une d'un "noir corset velu des mouches éclatantes / Qui bombinent autour des puanteurs cruelles" et une de "Golfes d'ombre". Ce n'est pas normal que les lecteurs rechignent à considérer que le "corset" est le centre de la première image et qu'il faut superposer "Golfes" à "corset" pour cerner comment ces deux mots peuvent interagir, converger, dégager un horizon de significations premières fondamentales.
Dans la première image, le poète voit une scène de carnage, mais le corset fait contraste. Les mouches se nourrissent de cadavres, mais le corset rappelle que l'acte est positif du point de vue de la mouche. La mouche est une matrice, la mouche se nourrit pour entretenir sa vie et si elle est une femelle comme l'invite à le penser l'emploi à escient du nom "corset" elle va donner la vie. Le rapport entre mort et vie est au coeur du sonnet "Voyelles". La scène de charnier évoquée impose à l'esprit l'idée de la semaine sanglante, le sujet justement de pas mal d'autres poèmes contemporains ou peu s'en faut de Rimbaud comme "Le Bateau ivre", "Les Mains de Jeanne-Marie", "L'Homme juste", "Les Corbeaux" et "Paris se repeuple". La succession de la nuit au jour est clairement orchestrée dans le poème : "Golfes d'ombre, E candeur..." Il est clair également que les tercets font un tableau avec d'un côté le monde dans lequel nous vivons, Nature et mer, et de l'autre le ciel qui nous domine et auquel nous prêtons métaphoriquement l'idée d'ascension métaphysique. Le "I rouge" retrouve l'idée des "rousseurs amères de l'amour" puisque, au-delà du rapprochement entre le roux et le rouge, les "ivresses pénitentes" véhiculent l'idée de l'alcool et l'idée d'amertume du quatrain que nous citons du "Bateau ivre".
Oui, il existe indéniablement un Rimbaud métaphysicien, j'ai assez montré que j'étais sensible à cette idée. Certes, Rimbaud s'est intéressé à Swedenborg, et il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain en considérant qu'il est fumeux de s'intéresser à l'occultisme. Mais ce qui se dessine, ce n'est pas une lecture ésotérique de Rimbaud. Il a pu s'intéresser à Eliphas Lévy, etc. Mais, là, on est dans un déploiement métaphorique qui implique des éléments de métaphysique venus des grecs. Lucrèce, Rimbaud n'y adhère pas tel quel, bien sûr, mais il est le support indispensable pour cerner la genèse de la pensée métaphysicienne de Rimbaud et pour cerner la singularité, car il y en a une, du discours métaphysique de Rimbaud. Ce discours sera articulé à d'autres éléments et ce discours fait partie des choses courantes de la vie littéraire. L'influence de Lucrèce ne va pas annexer Rimbaud à l'ésotérisme. Lucrèce est une lecture de poètes, d'écrivains !
A suivre donc une étude de "Voyelles" au regard du premier livre du De rerum Natura.

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