vendredi 10 octobre 2014

Le mystère des multiples versions des poèmes Paris se repeuple et Poison perdu (partie 2/3)

Il semble donc que deux versions du poème Paris se repeuple nous soit parvenue. La version plus courte d'un quatrain, celle de 72 vers, a été publiée le 15 septembre 1890 dans la revue La Plume et, à défaut du manuscrit, c'est cette forme imprimée originelle qui doit avoir force de loi pour l'établissement du texte ! Steve Murphy l'a ainsi reproduite dans son édition philologique des Poésies (Champion, 1999) et André Guyaux l'a également reprise dans l'édition de la Pléiade en 2009. Beau-frère posthume de Rimbaud, Paterne Berrichon avait altéré certains vers : "essuya" au lieu de la leçon "expia" au vers 2 et ordre différent des mots au vers 7. Steve Murphy a corrigé certaines coquilles évidentes : "l azur", "gèneront", "la clameurs", qui deviennent "l'azur", "gêneront" et "la clameur" ! En revanche, il a préféré conserver les leçons "santés" et "revois" malgré la confrontation aux leçons "sauter" et "rebois" de la version établie par Vanier ultérieurement, même si Murphy trouve qu'il s'agit de fort probables coquilles ! Il a également conservé la licence d'accord "sacré" au vers 61 : "L'orage t'a sacré suprême poésie"[,] licence dont Banville disait qu'il n'en fallait pas, mais qui apparaissait dans les oeuvres de Baudelaire (parfois) et Barbey d'Aurevilly (souvent), ou sous les plumes de plusieurs poètes du seizième siècle.
Ernest Raynaud a témoigné sur les conditions de cette publication dans la revue La Muse française, en mars 1926 ! Il déclare alors : "C'est moi qui fis publier ce poème que je tenais des mains de Charles Cros." Et Raynaud précise encore au sujet du texte : "Il parut massacré de coquilles, que le directeur de la Plume crut inutile de rectifier." Ainsi, le mot à la rime "ébranla" serait une coquille pour la leçon "étoila" qui, bien entendu, est la leçon du texte de l'édition Vanier en 1895. Et c'est là qu'est tout le problème ! Comment faire confiance à Ernest Raynaud ? En effet, celui-ci a fait partie vers 1890 des poètes qui pastichaient l'oeuvre de Rimbaud de manière quelque peu potache, ce qu'a épinglé Verlaine, très en colère à l'époque ! Il serait intéressant d'éplucher les discours de Raynaud, admiratifs ou non, au sujet de la poésie de Rimbaud en 1890, une admiration qui pouvait être après tout conditionnée par l'admiration pour Verlaine et la relation privilégiée établie avec ce dernier ! Il est plus facile de se déclarer admirateur lucide de Rimbaud en 1923 ou 1926 ou 1928. Surtout, Raynaud intervient dans le débat, mais cet admirateur bien frivole est incapable d'exhiber une copie personnelle du poème, ni bien sûr le manuscrit dont on ne peut déterminer s'il l'a conservé pour lui à l'époque ou s'il l'a remis à Verlaine. Ernest Raynaud ne se rend guère compte qu'il se décrit alors rétrospectivement comme un jeune niais qui a vu passer des trésors dans ses mains, mais qui n'a pas su comment réagir ! Il est incapable en 1926 de dire où est passé le manuscrit, d'exhiber une version plus fiable à partir d'une copie personnelle, incapable aussi de réellement opposer la version de 1890 à la version de 1895 qui compte quand même un quatrain supplémentaire, car il ne devait pas échapper à Ernest Raynaud, si réellement il n'existe qu'une seule version manuscrite du poème, que le texte de 1890 paru dans La Plume ne présentait pas que des coquilles, mais encore une lacune d'un quatrain doublée d'interversions d'autres quatrains.
De 1890 à 1895, il avait tout le temps de méditer les erreurs à corriger, à plus forte raison s'il était le détenteur du manuscrit, et enfin il devait bien avoir une idée du cheminement de celui-ci entre 1890 et 1895. Quelle gratitude rimbaldienne accorder à un personnage aussi exaspérant ? Il a été utile à Verlaine, ce qui a permis la récupération de certains manuscrits de poèmes rimbaldiens, mais il reste un admirateur assez frivole et dérisoire qui ne travaillait pas réellement à l'établissement d'une oeuvre poétique de premier plan.
En établissant la version du texte, Steve Murphy a préféré ne pas avaliser le discours de Raynaud pour ce qui est de la coquille "ébranla" pour "étoila". En effet, qu'est-ce qui prouve que le jugement rétrospectif de Raynaud n'a pas été influencé par la version du poème publiée en 1895 ? Il revendique tout de même avoir récupéré le poème chez Charles Cros, ce qui est plus que crédible. Ernest Raynaud a bien fréquenté Charles Cros dans des cercles littéraires au moment où dans une correspondance privée, contemporaine de la publication de la première série des Poètes maudits, Verlaine parle de la détention nouvelle de Tête de faune et Poison perdu : 7 vers de Paris se repeuple sont cités dans Les Poètes maudits, en toute fin de l'année 1883. De fait, l'édition originale du poème Paris se repeuple est flanquée en complément d'une étude sur le poète Ernest Raynaud, ce qui n'allait pourtant pas de soi. Ce poème est d'ailleurs publié deux ans après la mort de Charles Cros, et Raynaud a publié ultérieurement, en 1900, deux poèmes inédits de ce dernier : La Duchesse de Chaulnes et un sonnet, sonnet qui va se révéler un montage maladroit entre deux sonnets inédits de Charles Cros, par réunion d'un quatrain initial à dix vers d'un sonnet distinct, car en effet le prétendu sonnet inédit de Raynaud est devenu deux sonnets inédits lors de la publication encore un peu plus tard, en 1908, du recueil posthume Le Collier de griffes et ce maladroit montage laisse penser que Raynaud a peut-être subtilisé des feuillets manuscrits, puisque visiblement il a fabriqué un sonnet de Cros à partir de deux feuillets en sa possession ! En effet, il a publié un assemblage du premier quatrain de Paroles d'un miroir à une belle dame avec la fin en onze vers d'un sonnet sans titre "Je ne vous ferai pas de vers..." La continuité des octosyllabes a pu le tromper, mais les rimes des quatrains d'un sonnet sont ABBA contre ABAB pour l'autre, le résultat de Raynaud étant donc un cas irrégulier (il est vrai pas si rare depuis Musset, Baudelaire et les parnassiens) : ABBA ABAB. Au plan des sujets de la composition, l'erreur est toutefois également perceptible.
Bien sûr, quand j'ai prétendu dans la première partie de cette étude qu'il suffisait de reproduire la version imprimée dans La Plume pour établir une version philologique du poème, je n'ai pas voulu dire que malgré l'avis de Raynaud le texte était fiable, j'ai simplement indiqué qu'il ne nous était pas possible de pousser plus loin l'établissement objectif du texte : nous rencontrons ici une limite dont il nous faut tenir compte. En revanche, dans le cas de la version imprimée par Vanier, Steve Murphy s'est intéressé à la version publiée en 1895 en se penchant pourtant sur des états antérieurs. Il a commis ce faisant une erreur philologique capitale. Dans le cas par exemple du Dormeur du Val, l'ultime recours est non pas la publication originale du sonnet à laquelle plus personne ne fait attention aujourd'hui (Alphonse Lemerre, Anthologie des poètes français du XIXè siècle, 1888, t IV), mais le manuscrit remis à Demeny en octobre 1870. Pour un éditeur actuel de l'oeuvre de Rimbaud, il est sans intérêt de savoir que Lemerre s'est trompé et qu'il a imprimé le titre suivant "Le Dormeur au val". Il en va différemment dans le cas de L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple, mais à tout le moins la version imprimée est tributaire d'épreuves antérieures qui sont elles-mêmes tributaires d'une hybridation étrange. En effet, la première version connue de L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple vient d'un exemplaire annoté du Reliquaire qui est conservé à la Bibliothèque royale de Bruxelles. Le texte imprimé est la reprise de la version de 72 vers parue en 1890 dans la revue La Plume, mais à la main quelqu'un a remanié le texte imprimé, effectuant un nombre conséquent de corrections à l'encre ou au crayon sur le corps même du texte imprimé bien sûr, des corrections de mots, de ponctuation, voire d'émargement, et il faut ajouter à cela la transcription manuscrite !, à l'encre !, (en bas d'une des pages imprimées où figure le poème,) de deux quatrains dont un inédit, l'autre étant la reprise d'un quatrain imprimé !
Il faut comprendre toute l'importance du document. Les rimbaldiens sont toujours heureux de présenter un fac-similé d'un état manuscrit d'une oeuvre de Rimbaud, et cela même si la transcription est de la main de Verlaine, de Nouveau, de Ponchon ou d'un inconnu (cas d'une version manuscrite mystérieuse des Effarés conservée en Amérique). Dans le cas de L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple, les éditions fac-similaires de Steve Murphy, qui pourtant a étudié le document, comme de Claude Jeancolas, ont manqué le scoop sensationnel : ils ne reproduisent pas la moindre photographie de ces pages remaniées et surtout des deux quatrains transcrits entièrement à la main ! Il m'est hélas interdit de publier mes reproductions personnelles du document conservé à Bruxelles, le coût des droits m'apparaît prohibitif. J'aurais aimé, mais cela serait un crime de lèse-majesté parmi les rimbaldiens, je me doute bien que personne ne me fera le moindre don !
Donc, dans son édition de 1999, Murphy a été le seul à traiter de toutes les annotations d'un spécimen bruxellois qu'il a été le seul rimbaldien a consulté avant nous. Sa version a été reprise telle quelle dans l'édition de la Pléiade d'André Guyaux en 2009. Néanmoins, son établissement du texte nous paraît contestable. La version proposée par Murphy occupe les pages 429 à 433 de son édition des Poésies chez Champion. Parfois, le texte imprimé n'est pas le même que celui remanié au crayon et à l'encre en 1891. Or, Steve Murphy a parfois préféré la version imprimée en 1895 "putain Paris", reprise de la leçon de La Plume, malgré la correction en "pudeur Paris" sur le texte du Reliquaire de 1891, correction "pudeur Paris" qui se maintient sur les épreuves de l'édition Vanier de 1895 elle-même. En revanche, il préfère à la leçon imprimée en 1895 "L'orage t'a sacré suprême poésie" (dont il ne précise pas qu'elle est la leçon qui a été retenue finalement et qui était déjà déjà retenue sur les épreuves elles-mêmes) une version remaniée sur l'exemplaire du Reliquaire mais uniquement au crayon, pas même à l'encre : "L'orage a sacré ta suprême poésie". D'autres arbitrages entre la version remaniée du Reliquaire et la version imprimée en 1895 apparaissent dans le texte établi par Steve Murphy et repris à l'identique par André Guyaux en 2009, mais de tels arbitrages contribuent à en fragiliser la valeur philologique. Enfin, il valait la peine d'étudier de près les leçons manuscrites de la version remaniée, car les coquilles ne sont pas à exclure dans le cas de la version établie en 1895, et je prétends que tel est cas au plan notamment des majuscules.
C'est pour cela qu'il convient de procéder à la revue des points sur lesquels mon sentiment s'éloigne des avis de Steve Murphy en fait d'établissement du texte.
Commençons par les majuscules ! Nous pouvons aujourd'hui opposer deux versions manuscrites de Voyelles, une de la main de Verlaine et une autre autographe, sans que cela ne préjuge d'une quelconque initiative de Verlaine qui a très bien pu respecter scrupuleusement une version antérieure du sonnet rimbaldien. Sur les deux manuscrits, les majuscules apparaissent à l'initiale des mots du dernier tercet "Mondes", "Anges" et "Oméga", mais seul le manuscrit autographe flanque de majuscules les mentions "Suprême Clairon" et "Ses Yeux", la copie Verlaine offrant pour sa part les leçons "suprême clairon" et "ses yeux". Une telle hésitation semble concerner les deux versions de Paris se repeuple : "reine" face à "Reine", "le ventre de la femme" face à "le ventre de la Femme", "le sanglot des infâmes" face à "le sanglot des Infâmes", "flagelleront les femmes" face à "flagelleront les Femmes". Le prote de la revue La Plume n'a-t-il pas su identifier correctement les majuscules qui peuvent être peu distinctes des minuscules sur les manuscrits de la main de Rimbaud ? Mais, dans un cas, nous observons un fait plus particulier : "la Haine des forçats" est corrigé en "la haine des Forçats". En clair, la version de La Plume insistait sur la Haine, quand la version de Vanier met en relief une série de mots "Reine", "Femmes", "Infâmes", "Forçats", à tel point que pour "la clameur des maudits" version originelle non retouchée sur l'exemplaire du Reliquaire on peut se demander s'il ne s'agissait pas d'une discrète majuscule que Vanier n'a pas été bien certain de nettement identifier. L'avant-dernier quatrain de la seconde version du poème y gagnerait une symétrie parfaite :
Le Poète prendra le sanglot des Infâmes,La haine des Forçats, la clameur des [M]audits :Et ses rayons d'amour flagelleront les Femmes.[...]
A une exception près, le prote de Vanier a ajouté des majuscules au texte. Dans un cas, celui du groupe nominal "la [H/h]aine des [f/F]orçats", la majuscule passe d'un mot à un autre. Cela ne permet ni d'affirmer que deux versions distinctes du poème se sont retrouvées dans les mains de Raynaud, puis Vanier, ni de prétendre qu'une seule version a été utilisée, Vanier étant alors supposé être plus scrupuleux que le prote de la revue La Plume. Murphy a respecté la leçon "la clameur des maudits" pour la version de 1895, mais une interrogation demeure qui ne pourra être levée que par le manuscrit : pourquoi pas une majuscule à "Maudits" ?
Sur l'exemplaire bruxellois du Reliquaire, le quatrain inédit inscrit à la main n'est pas tout à fait respecté par la leçon imprimée de 1895. Le mot "Saleté" porte une majuscule, ce que Murphy envisage dans son édition, mais refoule au nom de la tradition éditoriale. Le quatrain imprimé "Ouvrez votre narine..." a été intégralement biffé et reporté de manière manuscrite à la suite du quatrain inédit. Le texte imprimé qui vient de la revue La Plume propose une exclamation au style direct introduite par un "ô" minuscule, et l'édition Vanier propose un "ô" minuscule également, mais en s'appuyant probablement cette fois sur la transcription manuscrite. Or, je prétends que le "Ô" est en réalité majuscule sur la version recopiée à l'encre du quatrain, et je suis même persuadé que le "ô" minuscule est également une coquille pour un "Ô" majuscule dans le cas de la version de La Plume, qu'il y ait eu recours à un autre manuscrit ou pas. Steve Murphy signale lui-même qu'il est difficile de trancher entre minuscule et majuscule sur l'exemplaire annoté, alors même que les versions imprimées ont toujours favorisé le "ô" minuscule. Il est question ici du vers Le Poète vous dit "ô lâches soyez fous", tel qu'il est transcrit dans La Plume et le Reliquaire. Le Reliquaire bruxellois annoté propose donc une retranscription complète de ce quatrain, mais avec une présentation typographique distincte Le Poète vous dit : Ô lâches, soyez fous. Nous observons trois différences : la présence du double point, la disparition des guillemets, la majuscule à l'initiale du propos rapporté ! Si deux manuscrits distincts ont été exploités par respectivement La Plume et Vanier, des options différentes pour donner à lire des propos rapportés auraient été utilisés par Rimbaud dans le temps. Toutefois, ce passage au style direct est symétrique d'un autre dans le poème qui nous est parvenu essentiellement imprimé et qui sans nous étonner correspond à un emploi homogène dans la revue La Plume : Le Poète te dit "Splendide ! est ta Beauté", toutefois la ponctuation exclamative originale n'a pas été respectée dans la reprise du Reliquaire : Le Poète te dit "Splendide est ta Beauté!" A notre grande surprise, le vers n'est pas remanié dans l'exemplaire bruxellois, pour devenir Le Poète te dit : Splendide est ta Beauté ! Le principe pour L'Orgie parisienne semblait être d'imposer le double point et l'absence de guillemets. Dans l'hypothèse du recours à un seul manuscrit, le prote de Vanier ne rétablit pas non plus le point d'exclamation après "Splendide", à l'intérieur donc de la phrase et non à la fin comme dans la version du Reliquaire. Le prote a-t-il renoncé à corriger les marques du discours au style direct ? Ce serait un cas exceptionnel de manque de rigueur dans sa relecture !
J'ai parlé plus haut d'une autre variante refoulée par Murphy. Le texte de La Plume contenait la leçon "putain Paris". Or, ce mot, déjà publié et dans la revue La Plume et dans l'édition du Reliquaire, est biffé sur le volume bruxellois annoté, avec substitution du mot "pudeur" dans la marge. J'ose croire que personne n'attribuera une intention pudibonde à cette correction, d'autant qu'à ce stade-là elle était purement confidentielle. Il est sensible que le prote de Vanier a lu non pas "putain" mais "pudeur" sur le manuscrit qu'il avait entre les mains, et cela malgré le témoignage du texte imprimé. Nous pouvons penser que le prote s'y est repris à deux fois pour bien s'assurer que ce qui avait pu être déchiffré "putain" par un autre éditeur offrait en réalité la mention "pudeur". Au plan manuscrit, la confusion "eur" et "ain" n'est pas impossible. Pourtant, Vanier va publier la leçon "putain Paris" en 1895, ce qui prouve au passage qu'il n'était pas question de pudibonderie, mais réellement un prote a cru lire le mot "pudeur". Malgré la présence d'autres retouches, les épreuves avalisent la leçon "pudeur Paris", comme l'attestent leur consultation fac-similaire sur les vues 71 et 231 des épreuves de la même page 33 du document présenté sur le site de la Bibiliothèque Nationale (Poésies complètes d'Arthur Rimbaud, avec une préface de Verlaine, Vanier 1895, épreuves).
Steve Murphy a préféré établir la leçon "putain Paris" de la publication finale de 1895, mais la leçon originelle pour cette version du poème n'en est pas moins "pudeur Paris", telle est la correction apportée au texte du Reliquaire, il est fort hasardeux de refouler ainsi cette authentique correction où un prote a fait savoir en son âme et conscience qu'il ne lisait pas "putain", mais "pudeur" sur un manuscrit. Nous ne sommes pas dans le cas de deux déchiffrements distincts, puisque pour déchiffrer son manuscrit le prote de Vanier s'aidait précisément du texte déjà imprimé. Encore une fois, il est impossible de déterminer si La Plume et Vanier ont eu recours ou non à un seul manuscrit.
Mais, attardons-nous sur les épreuves des pages 31 à 35 de l'édition Vanier, pages qui contiennent la transcription de L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple. Pour le texte imprimé, les épreuves sont identiques, mais les corrections manuscrites peuvent diverger. Ainsi, dans un cas, la leçon "Boète" est corrigée en "Poète"(vue 72 pour la page 34) , mais dans le second cas elle passe inaperçue (vue 232 pour la même page 34) ! Les épreuves des pages 31 ne comportent aucune marque de correction. Le premier jeu d'épreuves du document témoigne d'un souci de correction pour le dessus des pages, la mention "Reliquaire" est systématiquement biffée à l'aide d'un crayon bleu au profit, pour les pages paires 32 et 34, de la mention "O complètes" et, pour les pages impaires 33 et 35, de la mention "L'orgie parisienne", ce qui confirme que le premier jeu d'épreuves plus scrupuleux est plus important que le second qui vient à défiler dans notre document. Nous observons que les pages 31, 33, 34 et 35 ne font l'objet d'aucune correction, à l'exception de "Boète" page 34, encore la correction n'a-t-elle été effectuée que sur un seul jeu d'épreuves. Il n'est pas inutile d'observer que les coquilles "l azur" et "la clameurs" du Reliquaire sont bien corrigées sur le texte imprimé des épreuves  qui proposent correctement "l'azur" et "la clameur". En revanche, la leçon de La Plume "gèneront" apparaît insolemment sur la page 34, sans faire l'objet d'une retouche avec accent circonflexe ("gêneront"), ce qui nous a assez surpris : tout se passe comme s'il s'agissait de l'orthographe normale du mot ! Steve Murphy fait remarquer que la forme "gèneront" s'est maintenue dans l'édition définitive. Nous avons vu que "pudeur Paris" ne faisait l'objet d'aucun remaniement. En revanche, plusieurs corrections concernent la page 32. Un "s" malheureux apparaît "ssns parole" au lieu de "sans parole" et il est à chaque fois barré avec mention du "a" selon un code de correction typographique. En revanche, cette fois, seul le second jeu d'épreuves propose de corriger le signe de ponctuation après "cataplasmes", le point devrait devenir une virgule, mais le premier jeu d'épreuves ne propose lui aucune correction. La virgule après "cataplasmes" est effectivement plus pertinente, elle correspond à la version publiée dans La Plume et elle n'avait pas été corrigée sur l'exemplaire annoté du Reliquaire, ce qui semble indiquer que le manuscrit comportait bien une virgule et que le point qui apparaît sur les épreuves est une erreur de transcription comme pour "Boète" page 34, un correcteur a rétabli la virgule sur un jeu d'épreuves, mais pas l'autre jeu d'épreuves n'a pas été corrigé. Est-ce que l'éditeur a proposé deux jeux d'épreuves à deux correcteurs distincts ? S'agit-il bien d'un cas de double vérification ? Et cette vérification s'est-elle fondée sur le manuscrit, l'intuition grammaticale ou éventuellement sur une confrontation au texte imprimé du Reliquaire ?
Voici pour information le commentaire de Steve Murphy qui accompagne sa transcription à la page 429 de son édition des Poésies :

[13] En fin de v., [l'édition de 1895] donne un < . > peu satisfaisant malgré la < , > substituée dans les épreuves de l'éd. ([le texte du Reliquaire] donnait une < , >, leçon non modifiée [sur l'exemplaire bruxellois annoté]). Le < . > semble résulter d'une erreur et de l'oubli de la correction.
L'opposition des deux jeux d'épreuves a échappé à Steve Murphy, mais elle confirme la conclusion qu'il livre.
Reste l'importante correction de la leçon erronée avoisinante "Poulant" ! "Poulant à vos côtés les luxes ruisselants," telle est la leçon imprimée sur les deux jeux d'épreuves. Le texte de la revue La Plume avait établi la leçon "Fouillant à vos côtés les luxes ruisselants," mais sur l'exemplaire annoté du Reliquaire le "i" de "Fouillant" est barré, établissant une leçon "Foullant". L'ouvrier typographe qui a conçu le texte d'épreuves a sans doute compris qu'il devait transcrire "Foulant", mais une coquille comparable au cas de "Boète" pour "Poète" a voulu qu'il transcrive "Poulant" et non "Foulant". Fort heureusement, cette bévue a attiré l'attention et sur les deux jeux d'épreuves "Poulant" est corrigé en "Fouillant". Sur le second jeu d'épreuves (vue 230), le relecteur a d'abord corrigé le "P" en "F", reportant ce dernier dans la marge, puis il a barré le mot "Poulant" en entier et il a surimposé, quelque peu maladroitement, la transcription "Fouillant" au "F" de sa correction initiale, cafouillage qui peut laisser à penser qu'il a pris conscience en deux temps des erreurs d'impression pour ce seul mot. Dans la relecture du premier jeu d'épreuves (vue 70), qu'il s'agisse ou non de la même personne, le typographe a corrigé en vrai professionnel soigneux. Il barre le "P", reporte le "F" dans la marge, puis il signale par une barre plus oblique une lacune dans le mot et reporte les éléments manquants "il" proprement et lisiblement dans la marge à côté du F majuscule et enfin il reporte le mot complet "Fouillant" qu'il entoure pour montrer clairement la correction attendue.
A la différence des coquilles "Poulant" pour "Foulant" et "Boète" pour "Poète", nous avons affaire ici à une authentique révision du texte, la virgule après "cataplasmes" allant dans le même sens d'une consultation du manuscrit.
Or, dans son édition philologique de 1999, Steve Murphy écrit, page 430 :

[Le correcteur de l'exemplaire bruxellois du Reliquaire] supprime le i de Fouillant (et non un l). Dans les épreuves de [l'édition de 1895] la coquille Poulant est corrigée en Fouillant. La modification de [l'exemplaire remanié du Reliquaire] incite à penser que la leçon du ms. était Foulant et non pas Fouillant comme on le suppose d'habitude.

Steve Murphy impose alors à son établissement du texte la leçon "Foulant", qui n'est pas celle de l'édition de 1895 qui édite "Fouillant" tout comme la revue La Plume ou Genonceaux dans son édition du Reliquaire, mais l'arbitrage va cette fois-ci plus loin, car finalement Steve Murphy livre une version qui n'a jamais eu la moindre attestation, puisque l'annotation du volume bruxellois défend la leçon "Foullant" et les épreuves la répudiation de la leçon "Poulant" pour la leçon "Fouillant" qui suppose au passage la répudiation de la leçon fantôme "Foulant". André Guyaux, dans l'édition de la Pléiade de 2009, reprend la leçon de Murphy "Foulant" encore une fois.
Mais, pour soutenir la vraisemblance de la leçon "Foulant", Steve Murphy doit exclure implicitement que la correction sur les épreuves se soit fondée sur une relecture du manuscrit lui-même, et je dis bien le manuscrit, pas simplement l'exemplaire annoté bruxellois !, double relecture même vu qu'il y a deux corrections distinctes. Il est certes possible d'envisager que la correction se soit plutôt fondée sur une confrontation à la version de base du Reliquaire.
Quant à la version annotée du Reliquaire, il semble tout de même capricieux de la part d'un correcteur de corriger "Fouillant" en "Foullant", s'imaginant que les gens qui suivront prendront en charge la suppression du second "l". Il semble plus logique d'envisager que le prote a scrupuleusement observé que le manuscrit proposait la leçon "Foullant" et non "Fouillant", il a observé qu'il manquait le "i". Il convient tout de même d'observer que dans son édition philologique même Steve Murphy a scrupuleusement transcrit la leçon manuscrite "boulloires" et non "bouilloires" dans le cas de Comédie de la Soif, s'appuyant sur le fait que la correction était volontaire de la part de Rimbaud : "Ayant inscrit le 1er i (sans le marquer d'un point) de bouilloires Rimbaud l'a barré en allongeant le u" (remarque de transcription page 603).
Diffusant comme à son habitude des reprises de mots dans son poème, Rimbaud a encore écrit le vers : "Parce que vous fouillez le ventre de la Femme", dont on comprend qu'il fait écho à celui qui présentement faisait débat : "Fouillant à vos côtés les luxes ruisselants," et nous en concluons avec assurance que les éditions de ce vers dans le cas de la version intitulée L'Orgie parisienne sont erronées.
[...]
[Fatigué, je compléterai cet article d'ici dimanche 12 octobre au soir, et je proposerai mon établissement complet du poème, à savoir la meilleure version jamais publiée de L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple, puisque le texte de référence actuellement n'est pas valable, ainsi que je viens de le montrer.]

2 commentaires:

  1. Il n’y a pas nécessairement eu plusieurs manuscrits de ce poème. Raynaud a confié en 1923 qu’il avait pris copie de poèmes chez Charles Cros et Banville (il précisera en 1926 qu’il tenait « Paris se repeuple » de Charles Cros). Pourquoi attendre 1923 ? Berrichon qui exerçait un véritable terrorisme sur tout ce qui touchait à Rimbaud lui aurait demandé des comptes. Or Berrichon meurt en 1922, ce qui explique que Raynaud ose donner sa source peu après. Il est vraisemblable que Cros lui a donné le manuscrit car ce dernier ne devait pas y attacher de la valeur. Quoi qu’il en soit c’est la version originale ou recopiée de Raynaud que Verlaine a eue. Celle qui a été donnée à « La Plume » était tout simplement incomplète et pleine de coquilles. Vanier, une fois en possession de la copie ou de l’original donné par Raynaud à Verlaine a donné cette version en 1895, qui devait comporter sans doute comme sous titre « L’Orgie parisienne ». Raynaud d’ailleurs précise en 1918 que le véritable texte est celui publié par Verlaine en 1895, c'est-à-dire le sien. Il n’avait pas encore dit à ce moment qu’il avait vu lui-même le manuscrit. Il a simplement omis de dire que le poème de « La Plume » était incomplet car il s’est concentré sur la variante donnée par Coulon. Je ne crois pas qu’il soit utile d’imaginer l’existence de deux manuscrits. L’exemplaire du reliquaire bruxellois vient de Vanier et les corrections ont été faites à partir de la version fournie par Verlaine tout simplement.

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  2. Je n'ai pas fini de publier mon étude sur L'Orgie parisienne et il y a malheureusement des éléments de doute fort sérieux qui laissent penser qu'il y a bien eu deux manuscrits, je vais reprendre encore des éléments de comparaison entre les versions, des éléments déjà traités dans mon article "Mais que sont devenus les manuscrits de Paris se repeuple ?" et j'y ajouterai au moins une considération inédite importante ! Il y a un réel problème dans pour le nombre et le cheminement de manuscrits de certains poèmes comme Poison perdu, Paris se repeuple, Comédie de la soif, Les Effarés et Le Bateau ivre, plus le Cas Voyelles et Oraison du soir ! Je n'ai pas la solution pour Paris se repeuple, et c'est un phénomène extrêmement curieux qui me fait envisager que Verlaine avait même des doublons de manuscrits ! Pas question de refermer l'enquête !

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