Deux versions distinctes du poème Paris se repeuple nous sont parvenues. Une première de 72 vers a été publiée dans la revue La Plume le 15 septembre 1890, une seconde de 76 vers avec un double titre a été imprimée par Vanier dans son édition des Poésies complètes d'Arthur Rimbaud en 1895. Steve Murphy a donné un établissement de référence pour ces deux variantes d'un même poème dans son édition philologique des Poésies (Oeuvres complètes, I), parue chez Champion en 1999, et dans l'édition de la Pléiade des Oeuvres complètes d'Arthur Rimbaud de 2009, André Guyaux a avalisé son travail en reprenant à l'identique les deux leçons proposées, ce qui leur donne un statut de références autorisées. Toutefois, pour la seconde version du poème, celle de 76 vers, Steve Murphy n'a pas respecté le texte paru en 1895. En effet, le texte de 1895 a été précédé par des épreuves et Steve Murphy a cru bon de proposer une version tenant compte de leçons particulières à ces épreuves, présupposant que le texte finalement imprimé présentait des coquilles par rapports aux textes d'épreuves perçus comme plus fiables. Il nous semble que dans ce cas il aurait été plus pertinent de proposer d'emblée comme source originelle la toute première maquette préparatoire à l'édition imprimée de 1895 du texte à double titre L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple. Surtout, le texte établi par Murphy pour cette version-là du poème dans son édition philologique de 1999 est une hybridation de trois sources différentes, puisque le critique procède à un arbitrage dans le choix de certaines variantes.
Pour le texte de 72 vers, il suffit de reproduire à l'identique le texte imprimé dans la revue La Plume, mais pour le texte de 76 vers Steve Murphy a recouru à quatre documents : une édition annotée d'une main inconnue d'un exemplaire du Reliquaire de 1891 qui est conservé à la Bibliothèque royale de Bruxelles, deux jeux d'épreuves de l'édition Vanier de 1895 et le texte même de l'édition Vanier de 1895.
Les fac-similés des épreuves peuvent être consultés sur le site Gallica de la Bibliothèque Nationale : Vues 69 à 73 (359) et Vues 229 à 233 (sur 359).
En revanche, il ne nous est pas loisible de produire ici les photographies que nous avons prises de l'exemplaire annoté du Reliquaire conservé à Bruxelles. Or, cela ne manquerait nullement d'intérêt, puisqu'en réalité ce document nous apprend que la version de 76 vers est née d'un remaniement de la version de 72 vers. En effet, dans son édition du Reliquaire en 1891, Genonceaux a repris la seule version connue à l'époque du poème Paris se repeuple, celle publiée dans la revue La Plume l'année précédente.
Ainsi que nous l'avons déjà démontré dans des articles antérieurs, l'exemplaire du Reliquaire de la Bibliothèque royale de Bruxelles a appartenu au rival de Genonceaux, Léon Vanier lui-même, lequel a annoté le volume du Reliquaire afin de préparer sa propre édition des poèmes, et, jaloux des manuscrits qu'il détenait, Vanier a systématiquement reporté sur le texte imprimé du Reliquaire les variantes livrées par les manuscrits qu'il possédait. Vanier possédait les manuscrits d'Izambard qui présentaient quelques versions concurrentes de celles remises à Paul Demeny des poèmes de 1870 qui furent utilisées pour la confection du Reliquaire. Mais, pour l'essentiel, Vanier a dû s'en tenir aux versions de son rival, il ne disposait de manuscrits nouveaux du Bateau ivre et de plusieurs autres poèmes.
Toutefois, dans le cas du Coeur du pitre, Vanier a remanié cette version en trois strophes à partir de la version en deux strophes que Verlaine avait publiée dans Les Poètes maudits, plus précisément dans l'article intitulé Pauvre Lélian : Vanier a même préféré au titre de Demeny le titre donné dans Les Poètes maudits du Coeur volé. Précisons que la version actuellement connue de trois strophes avec le titre Le Coeur volé n'a été découverte qu'au début du vingtième siècle dans l'ensemble des manuscrits remis à Millanvoye par Forain, et même la version d'Izambard intitulée Le Coeur supplicié est à cette époque-là inédite. Deux versions seulement du poème avaient été publiées, celle des Poètes maudits en deux strophes intitulée Le Coeur volé et celle en trois strophes du Reliquaire intitulée Le Coeur du pitre qui s'appuie sur un manuscrit jadis remis par Rimbaud à Demeny. Or, en annotant son exemplaire du Reliquaire, Vanier a rabattu les deux premières strophes du Coeur du pitre sur le modèle des leçons du Coeur volé, mais il a conservé la strophe inédite du Reliquaire, ce qui fait que l'édition Vanier du poème Le Coeur volé en 1895 est en réalité une hybridation des deux versions déjà publiées. Mais un détail a échappé à l'attention de Steve Murphy qui n'a pas recensé dans son étude philologique la présence dans la marge du texte du Coeur du pitre de l'exemplaire annoté du Reliquaire conservé à Bruxelles la mention au crayon "cop Vne", abréviation pour "copie Verlaine" qui signifie que Vanier n'a pas corrigé le texte en s'appuyant sur l'édition des Poètes maudits, mais qu'il a corrigé le texte à partir d'un manuscrit de Verlaine, probablement celui qui est connu aujourd'hui et qui est précisément de la main de Verlaine, et non de celle de Rimbaud. Enfin, deux autres poèmes en vers seulement sont corrigés, précisément Paris se repeuple et Poison perdu.
Vers 1884, Verlaine n'avait guère récupéré de poèmes en vers "première manière" de Rimbaud. Il possédait à l'évidence des oeuvres obscènes qu'il ne pouvait songer à publier : les trois sonnets dits "Immondes" et deux quatrains intitulés Vers pour les lieux, mais dans ses Poètes maudits il ne publia alors que six poèmes et ne fit qu'indiquer la présence des Corbeaux dans la revue La Renaissance littéraire et artistique. Il se contenta de citer des extraits des Premières communions et de Paris se repeuple, ainsi que le refrain d'un poème en vers "seconde manière" : L'Eternité. Verlaine publia dans la revue La Vogue en 1886 le texte des Premières communions, puis le poème Tête de faune (cas particulier de poème "seconde manière" qui a toujours été lié à l'oeuvre en vers "première manière") et une version en deux strophes du Coeur volé. Verlaine aurait dû produire ensuite Paris se repeuple et Poison perdu, mais leurs parutions respectives allaient se faire attendre et notre sauveur des poésies de Rimbaud ne retrouva plus jamais d'autres vers "première manière" de son ancien ami, à l'exception de manuscrits de 1870 que lui communiqua Izambard. Travaillant entre Izambard et Demeny à la revue La Jeune France, Rodolphe Darzens s'empressa d'acquérir les manuscrits inédits de Demeny, ce qui lui valut la colère de Verlaine qui l'a épinglé violemment dans un sonnet des Dédicaces, la légende d'un Rodolphe Darzens ayant mené de patientes recherches pour découvrir les manuscrits de Demeny n'étant qu'une légende de Darzens lui-même pour ne pas expliquer plus prosaïquement comment il avait brûlé la politesse à Verlaine.
Parallèlement aux poèmes "première manière", Verlaine travaillait à la publication d'Une saison en enfer et d'un recueil de poèmes en prose et de vers sur le modèle du Coffret de santal de Charles Cros, sans que nous n'ayons jamais pu savoir clairement si Rimbaud avait conçu un recueil Illuminations du seul dossier des poèmes en prose, ou bien un recueil réunissant les poèmes en prose et les poèmes en vers "seconde manière". En 1875, il semble que le projet originel était de publier les seuls poèmes en prose sous forme de recueil, puisque c'est ces poèmes-là seulement que Verlaine doit envoyer à Nouveau. Toutefois, le titre Illuminations n'apparaît qu'en 1878 à une époque où les manuscrits des poèmes en prose et des vers "seconde manière" semblent remis par Ernest Cabaner à Charles de Sivry qui en sera l'étonnant dépositaire jusqu'à leur publication dans la revue La Vogue en 1886. Or, la publication va s'interrompre et tous deux en possession de manuscrits Léo d'Orfer et Gustave Kahn n'en rendront aucun à Verlaine. Gustave Kahn va vendre les "siens" à Gustave Cahen et Pierre Bérès, Léo d'Orfer va confier ceux qu'il détenait à un ami Charles Grolleau qui se permit de les revendre à différentes personnes. L'histoire des manuscrits des Illuminations a vivement retenu l'attention des rimbaldiens, mais ceux-ci ne se sont pas aperçus que, selon toute vraisemblance, au même moment les manuscrits des poèmes en vers "première manière" ont également disparu ! Nous n'avons jamais entendu parler à nouveau des manuscrits utilisés par Verlaine pour établir le texte de la plupart des poèmes parus dans Les Poètes maudits ! Seule une copie de la main de Verlaine d'une version en deux strophes du Coeur volé nous est connue, et nous n'avons aucune preuve permettant d'affirmer que les versions des Poètes maudits des sonnets Oraison du soir et Voyelles viennent des manuscrits détenus par Léon Valade et Emile Blémont.
La correspondance de Verlaine nous assure que celui-ci possédait une version manuscrite du sonnet Poison perdu au moment de la publication initiale des Poètes maudits en 1883. Pourtant, en 1888, Vittorio Pica ne peut publier qu'une version reconstituée de mémoire. Par la confrontation avec les trois différents manuscrits conservés aujourd'hui, et aussi avec les versions imprimées ne se réclamant pas du modèle donné par Vittorio Pica, nous savons que celui-ci a proposé une version aux nombreuses variantes inédites, ce qui conforte l'idée d'une reconstitution peu fiable du sonnet authentique. Or, l'exemplaire bruxellois du Reliquaire qui a été annoté par Vanier ou l'un de ses protes montre que l'éditeur a eu accès à un manuscrit de Poison perdu, puisqu'il effectue des corrections réfutant les leçons de Vittorio Pica. Nous avons bien souligné plus haut que les corrections de Vanier se fondaient exclusivement sur la détention de manuscrits. A défaut de manuscrit, Vanier reprend simplement les versions proposées par le volume rimbaldien de son rival Genonceaux.
En gros, en 1886, une dispute éclate au sein de la revue La Vogue, ce qui a interrompu la publication en cours des oeuvres de Rimbaud. Mais certains poèmes demeurés inédits vont refaire surface, il s'agit de plusieurs poèmes en vers "seconde manière" et de certains poèmes en prose. Les poèmes en prose inédits seront tous publiés par Vanier pour la première fois en 1895, mais il en va différemment des poèmes en vers "seconde manière" pour lesquels cette fois Vanier n'en aura pas toujours la primeur, certaines publications originelles ayant lieu dans des revues, voire pour l'un d'entre eux "Entends comme brame..." la première publication a eu lieu dans le Reliquaire en 1891. Pour l'ensemble des poèmes des Illuminations, proses ou vers, parus en 1886 dans la revue La Vogue, tous les manuscrits correspondants ont refait surface, à deux exceptions près concernant Démocratie et Dévotion. A l'évidence, de 1886 à 1890, les manuscrits ne se sont pas réellement égarés, ils furent à peu près tous retrouvés, et Vanier put ainsi compléter les séries proses et vers de poèmes à comprendre sous le titre Illuminations, bien que Vanier ne se montrât nullement attentif à cette question de recueil à constituer, se contentant de publier pêle-mêle les inédits.
Selon toute vraisemblance, les manuscrits des poèmes "première manière" prévus pour Les Poètes maudits furent retrouvés également vers 1890, mais ce qu'il se passe d'étonnant, c'est que Vanier n'a nullement annoté sur son exemplaire les versions du Reliquaire pour des poèmes tels que Le Bateau ivre, Les Premières communions, Oraison du soir, Voyelles, Tête de faune, Les Assis, Les Effarés et Les Chercheuses de poux, comme si aucune coquille (pensons à "bombillent" pour "bombinent") n'avait pu être repérée. Cette absence d'annotations laisse supposer que Vanier n'a récupéré aucun manuscrit de ces poèmes afin de préparer son édition. Et pourtant, il a eu à sa disposition le manuscrit en deux strophes du Coeur volé, un manuscrit de Poison perdu et un manuscrit de Paris se repeuple, en sus de manuscrits inédits des Illuminations et de manuscrits provenant d'Izambard !
On peut déplorer que l'éditeur ambitieux n'ait pas trouvé nécessaire de vérifier à partir des manuscrits la fiabilité des poèmes transcrits dans Les Poètes maudits, car il est fort probable que cette récupération des documents ait été possible à l'époque. Il n'est pas impossible que Verlaine lui-même soit alors redevenu le détenteur des manuscrits utilisés pour Les Poètes maudits, et suite à son décès les rimbaldiens auraient trop peu fait attention au cas des héritiers de Verlaine.
Toutefois, le fait étonnant est le suivant. Paris se repeuple et Poison perdu étaient les deux seuls poèmes "première manière" que Verlaine prévoyait encore de publier en 1886. Or, entre 1886 et 1891, deux contacts de Verlaine vont publier précisément ces deux poèmes jusqu'alors inédits. Vittorio Pica publie une reconstitution de mémoire de Poison perdu en 1888 et Ernest Raynaud fait publier dans la revue La Plume une version de 72 vers de Paris se repeuple. Puis, ayant récupéré précisément des manuscrits de ces deux textes inédits, Léon Vanier va proposer des corrections et au texte de Pica, et au texte de Raynaud. Cela fait beaucoup de coïncidences tendant à permettre un rapprochement entre les publications initiales de Paris se repeuple et Poison perdu.
A cela s'ajoute un document ayant appartenu à Cazals, un autre proche de Verlaine, puisque, en 1927, dans son livre Arthur Rimbaud. Son oeuvre, Henri Strentz a publié une liste établie par Verlaine sur un feuillet. Il s'agit de titres de poèmes de Rimbaud accompagnés de leurs nombres de vers respectifs. La liste se divise en trois colonnes. La première correspond aux six poèmes cités dans Les Poètes maudits (1883-1884), la deuxième aux autres poèmes "première manière" que Verlaine souhaitait publier en 1886 : Les Premières communions (1ère livraison de La Vogue, 11 avril), Tête de faune et Le Coeur volé en deux strophes (article Pauvre Lélian de la 7ème livraison de La Vogue, 7 juin) et deux poèmes qui demeurèrent en attente : Paris se repeuple et Poison perdu. Enfin, la troisième colonne ne mentionne que trois poèmes en vers "seconde manière" : Michel et Christine, Juillet erronément intitulé Bruxelles par Verlaine et Honte, précisément les trois poèmes de la 8ème livraison de La Vogue placés à la suite de trois poèmes en prose (Promontoire, Scènes, Soir historique). La coïncidence ne peut être fortuite : la liste de Verlaine date de la période tourmentée mai-juin 1886 et confirme la volonté de publication de tous les poèmes "première manière" qu'il détenait, dans la foulée d'Une saison en enfer et des Illuminations. Le départ de Léo d'Orfer a mis un terme à ce projet et nous pouvons nous demander s'il n'est pas parti non seulement avec un certain nombre de manuscrits de poèmes en prose et poèmes en vers "seconde manière" prévus pour le recueil des Illuminations, mais encore avec des manuscrits de vers "première manière" dont les inédits Paris se repeuple et Poison perdu. Et ce serait ces manuscrits-là de Paris se repeuple et de Poison perdu que Vanier aurait récupéré par la suite, avec plusieurs autres des Illuminations qui avaient été vendus par Charles Grolleau. Cela semble aller de soi. Dans le cas de Poison perdu, Vanier aurait pu ainsi proposer une version manuscrite à opposer à la restitution de mémoire peu fiable livrée par Vittorio Pica, mais nous verrons dans la deuxième partie de cet article qu'il reste quelques énigmes à éclaircir à ce sujet. En revanche, intéressons-nous maintenant à la publication de Paris se repeuple.
Le problème qui se pose est le suivant. Dans la liste divulguée par Strentz, Verlaine a reporté un nombre de 60 vers pour le poème Paris se repeuple. Mais, la version publiée dans La Plume en compte 72, tandis qu'enrichie d'un quatrain inédit la version publiée par Vanier en 1895 compte 76 vers. A cela s'ajoute des variantes, et même des interversions de quatrains, entre les deux versions connues du poème, la version publiée par Vanier comprenant même un double titre.
Aucun manuscrit de Paris se repeuple ne nous est jamais parvenu, alors que nous en connaissons plusieurs pour Les Premières communions ou Les Effarés. Ce poème que Verlaine n'arrivait pas à publier, voilà qu'il y en aurait eu trois versions manuscrites. Autre point étrange, Vanier remet la main sur une version de 76 vers et non sur une version de 60 vers, alors que nous estimons vraisemblable que Vanier ait pu remettre la main sur le manuscrit utilisé déjà par Verlaine pour citer un extrait de sept vers dans Les Poètes maudits en 1883. Une erreur de décompte n'est pas à exclure dans la liste de 1886 révélée par Strentz, car sur cette même liste Verlaine s'est trompé dans le cas du Coeur volé, juste sur la ligne au-dessus de celle concernant Paris se repeuple. Verlaine a attribué 12 vers au Coeur volé, alors que sa version est composé de deux huitains ! Une autre erreur d'inattention est fort probable dans le cas de Paris se repeuple, Verlaine a très bien pu sauter une page par inadvertance lors de son décompte, une page qui aurait contenu trois ou quatre quatrains, puisqu'à partir de 60 vers il manque trois quatrains pour parvenir à la version de La Plume et quatre pour celle imprimée par Vanier en 1895.
Les rimbaldiens ont parfois imaginé que la version de 76 vers était une hybridation entre la version inconnue de 60 vers et la version de 72 vers de La Plume. Le problème, c'est que la version de Vanier comporte un quatrain inédit par rapport à la version de 72 vers, ce qui veut dire que les deux poèmes ne peuvent avoir que 56 vers en commun, et que donc, puisque les 72 vers de la version de 1890 se retrouvent dans la version de 76 vers Vanier a dû reprendre à la première version sans pouvoir y faire de retouches quatre quatrains. Or, seuls deux quatrains n'ont aucune marque de révision à l'encre ou au crayon sur l'exemplaire du Reliquaire employé par Vanier. Il s'agit seulement de la strophe "Quoique ce soit affreux...", encore est-elle accompagnée d'un crochet au crayon placé devant le premier vers pour indiquer la nécessité d'un émargement (mise en relief du genre du paragraphe dans un poème en vers) et le si beau quatrain "Quand tes pieds ont dansé..." qui est déjà cité dans Les Poètes maudits, ce qui invite à penser qu'il fait bien partie du manuscrit utilisé en 1886 pour établir une liste avec décompte des vers. Le nombre 60 serait bien une erreur, soit pour 72, soit pour 76. Nous n'aurions dès lors plus que deux manuscrits en jeu pour ce qui concerne Paris se repeuple.
Il est manifeste que les deux versions connues du poème comportent un assez grand nombre de variantes qui permettent de nettement les distinguer. Surtout, la version imprimée en 1895 comporte un double titre L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple. A cette aune, nous pouvons penser que la version de 76 vers est d'autant moins une hybridation d'une version inconnue de 60 vers et de celle de 72 vers qu'elle témoigne d'un double titre absent de la liste de Verlaine. On peut imaginer que 60 fut une erreur pour 72, et que la revue La Plume a publié le manuscrit détenu par Verlaine au moins de 1883 à 1886, tandis que Vanier aurait eu la chance de profiter d'un autre manuscrit.
Mais il nous semble quand même extraordinaire que Vanier ait mis la main sur un autre manuscrit précisément de ce poème Paris se repeuple dont la publication tardait avec celle de Poison perdu, et pas sur un manuscrit des Assis, du Bateau ivre ou des Chercheuses de poux. Du coup, on pourrait penser que 60 est une erreur pour 76, l'absence de mention du second titre n'étant pas significative en soi, et qu'Ernest Raynaud a disposé d'un autre manuscrit du poème Paris se repeuple, pour la publication duquel Verlaine aurait donné son aval.
Grâce à Jacques Bienvenu qui a découvert un témoignage de Maurice-Pierre Boyer dans le Mercure de France en 1928, nous pouvons avoir la quasi certitude que Raynaud a récupéré à tout le moins Tête de faune (et sans doute Poison perdu) auprès de Banville et Paris se repeuple auprès de Charles Cros. Mais, quelque chose est étrange de la part d'Ernest Raynaud. Selon son témoignage, le poème a été édité avec de nombreuses coquilles dans la revue La Plume en 1890, et en revanche une édition correcte a été proposée par Vanier en 1895. Il faut croire que Raynaud ne conservait pas personnellement les manuscrits rimbaldiens qu'il récupérait. Prenant parti dans des querelles d'établissement des textes, Raynaud n'a jamais exhibé une copie personnelle, faite de sa main même, de poèmes tels que Tête de faune, Poison perdu et Paris se repeuple. A mon sens, Raynaud a pu conserver des manuscrits inédits de Charles Cros, notamment La Duchesse de Chaunes, mais il est vraisemblable qu'il ait remis systématiquement à Verlaine les manuscrits de poèmes de Rimbaud. Dans la mesure où l'entremise de Raynaud a pu compter, la publication originale de Paris se repeuple s'est faite en 1890 dans une revue où Raynaud avait ses entrées et dans la compagnie d'un article sur Raynaud poète, mais nous n'avons aucune raison d'affirmer que Raynaud fût le détenteur d'un manuscrit de Paris se repeuple. Une idée dès lors se présente à l'esprit : et si Raynaud disait vrai ? Les deux versions que nous distinguons aujourd'hui de Paris se repeuple ne viendraient-elles pas d'un seul et unique manuscrit ? Un prote de la revue La Plume n'aurait-il pas pris des libertés en peinant à déchiffrer un texte raturé, porteur d'hésitations, de remords de plumes ? N'aurait-il pas oublié un quatrain, en intervertissant d'autres ? Si Raynaud était si scandalisé, ne serait-ce pas suite à des prises de liberté étonnantes ? Ne peut-on pas penser que le premier titre L'Orgie parisienne était transcrit de telle sorte sur le manuscrit, par exemple sous une forme miniaturisée dans la marge, que cela expliquerait une négligence à son sujet dans La Plume et une attention plus scrupuleuse de la part de Vanier ? Il vaut la peine de se poser de telles questions, et nous allons revenir sur l'étude comparative des deux versions connues, en sachant que nous contestons sur certains points l'établissement du texte de l'édition Vanier par Steve Murphy. Nous estimons que l'exemplaire annoté du Reliquaire et les deux jeux d'épreuve ne permettent pas d'admettre comme acquis le texte que fournissent actuellement les éditions de référence !
Cela fera l'objet de notre deuxième partie. A suivre donc !
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