jeudi 6 février 2014

Voyelles, alchimie d'attributs

J'ai déjà insisté sur la forme globale du sonnet dont la proposition centrale est le second vers "Je dirai quelque jour vos naissances latentes", le premier vers est l'apostrophe avec l'instance voyelles et une déclinaison de cinq variables constitutives, tandis que les vers 3 à 14 sont une suite d'illustration des "naissances latentes"
Explicitement, une explication est remise à plus tard, mais la série d'illustrations amène à un léger dévoilement de la figure divine, signe prometteur de l'explication à venir
Dans la succession des associations, les lecteurs oublient l'unité d'ensemble du sonnet, oublient que dans sa version canonique autographe le poème n'est formé que d'une seule phrase, et ils oublient progressivement que tout le poème s'adresse aux voyelles
Le dernier vers est ainsi celui d'un décrochage important de la seconde personne du pluriel "vos naissances latentes" à "Ses Yeux", puisque nous passons d'un hommage aux voyelles vouvoyées à une prise à témoin des voyelles dans un hommage à une tierce personne qui s'inscrit en perspective finale dans le prolongement de la célébration des voyelles, comme le montre la symétrie "O Suprême Clairon" et "O l'Oméga [:::] de Ses Yeux"

Mais, à l'intérieur de cette phrase unique, il y a d'autres rapports prédicatifs assimilables des propositions du type sujet-verbe d'une phrase, ce qui explique d'ailleurs que le lecteur perde de vue le fait que le vers 2 est le noyau de la phrase

5 rapports prédicatifs concernent l'apostrophe du premier vers et ces rapports prédicatifs concernent ensuite la série d'associations des vers 3 à 14

Prenons le premier vers

"A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu"

Qu'est-ce qu'on se représente ou qu'est-ce qu'on comprend à la lecture de cela ?

Première possibilité toute naturelle, un A qui est en noir, et ainsi de suite
Deuxième possibilité, on se représente une couleur diffuse, le noir, perçue abstraitement comme l'équivalent d'un A (comprise comme un A)0
Troisième possibilité, on se représente une équivalence avec d'un côté le A, de l'autre le noir, en présupposant une formule pour les relier sur un plan scientifique supérieur

En fait, que ce soit selon l'état autographe "A noir" ou selon l'état de la copie de la main de Verlaine "A, noir", seule la première possibilité s'impose spontanément à l'esprit
La deuxième possibilité demande de se faire une certaine violence
La troisième possibilité ne fonctionne pas réellement, faute d'une présence dans le poème d'un argument explicite en ce sens, et donc ce n'est même pas une possibilité, juste une hypothèse dans l'absolu qui ne s'applique pas à la lecture de ce poème

Or, des vers 3 à 14, c'est la première possibilité qui est confortée car selon le même principe de liaison nous allons avoir affaire à des formes attributives où la juxtaposition suppose une relation que pourrait expliciter le recours au verbe "être": le A est golfes, le U est cycles, le O est clairon, etc
Petite différence, dans le cas du "A noir", on peut hésiter entre "le A est noir", il a la propriété d'être noir donc, ou "le A est le noir", le A et le noir sont la même chose, j'ai écarté donc "le A est l'équivalent du noir"
Or, le vers 3 confirme que l'idée attributive "le A a la propriété d'être noir" prédomine, puisque nous avons un enchâssement : "le A est corset et le corset est noir", puisque la construction épithétique "noir corset" correspond à la forme attributive "le A est noir" de manière assez inévitable

Maintenant, on peut étudier des vers 3 à 14 la structure attributive des propositions qui se succèdent, en distinguant la relation attributive fondamentale des enrichissements de l'information

La langue n'est jamais précise au point de reproduire exactement ce qu'elle prétend décrire
Outre que les liaisons grammaticales ne sont pas les liaisons atomiques ou moléculaires ou tout ce qu'on veut de la réalité, outre que toute phrase suppose un point de vue sur ce qu'on dit, les phrases sont faites de mots qui par définition sont des généralités L'intérêt du langage, c'est bien d'arriver à généraliser au sein du particulier, au travers du singulier, de l'unique, etc

Une voiture a renversé l'enfant, c'est moins précis que "Une Porsche a renversé le petit garçon" phrase elle-même moins précise que "Une puissante Porsche rouge a renversé le petit Adrien", phrase elle-même moins précise que "Une puissante Porsche rouge a renversé Adrien, le petit garçon de la maison d'en face, sur le parking de la supérette, à l'heure où les gens font leur course", et ainsi de suite sans possibilité de dire "stop!"

A l'école ou au Collège, on impose aux enfants d'identifier le sujet d'une phrase à un groupe nominal :
"Le joueur de l'équipe adverse a marqué un but" On demande contre-intuitivement à l'enfant d'identifier le sujet de l'action au groupe nominal "Le joueur de l'équipe adverse" et non au "joueur"
C'est une erreur
Le sujet de l'action est suffisamment bien délimité par le mot "joueur" qui pourrait aussi bien être appelé le "garçon", etc
La relation elle est d'un sujet "le joueur" à une action "marquer un but"

Car "de l'équipe adverse" ce n'est rien d'autre qu'une précision qu'on pourrait remplacer ou compléter par d'autres : "le grand joueur habillé en violet (de l'équipe adverse)"

Dans le cas de Voyelles, l'analyse logique doit être la même, le A n'est pas une scène avec des mouches éclatantes dont l'abdomen est noir et qui font ceci et cela, mais le A est un corset, et tout le reste ce sont des précisions

Le A (noir) est corset et golfes
On précise que le corset est noir et velu, on précise encore qu'il est celui de mouches éclatantes, puis on a une précision sur ces mouches : elles bombinent dans un endroit sur lequel nous avons aussi des précisions "autour des puanteurs cruelles" Pour les golfes, nous avons aussi des précisions "ils sont remplis d'ombre"
Donc, le A est corset et golfes, et si le A est noir, c'est que le corset l'est lui-même et que les golfes prennent la couleur des ombres qu'ils amassent
Comme il est sensible que les rimbaldiens n'ont tenu aucun compte des éléments de cadre des vers 4 et 8, il est sensible que cette structure attributive n'a pas suffisamment retenu l'attention
Car inévitablement, une fois qu'on comprend que le A est "corset" ou "golfes", il faut se demander les qualités du corset et des golfes qui vont être celles du A, et le mot "corset" impliquait un sens érotique et en même temps supposait bien des propriétés communes avec le mot "golfes" L'idée du A matrice devait découler de cela assez spontanément
Maintenant, dans le cas du "corset", l'information de premier plan n'en finit pas d'être enrichie, ce qui doit inviter le lecteur à réfléchir sur le rapport entre l'information de premier plan, le corset, et les précisions apportées, au lieu de se concentrer sur l'idée qu'il y a un A à percer à jour suite à chaque précision
La question est "que fait ce corset des mouches se tournant vers les puanteurs cruelles"
Nous ne sommes bien sûr pas tous égaux devant la compréhension du sens diffus des images poétiques et cela entraîne des dysfonctionnements logiques dans le traitement de l'information, c'est clairement ce qui peut s'observer dans le cas du célèbre sonnet rimbaldien

Les énoncés ne sont même pas métaphoriques Les énoncés sont souvent brefs dans ce poème, et prenons le cas de "l'énoncé" le plus long

Le A est "noir (adjectif) corset (nom) velu (adjectif) des mouches éclatantes (forme contractée, nom, adjectif qui forme un groupe prépositionnel à fonction de complément du nom) qui (pronom relatif dévoué à la fonction sujet dans la relative) bombinent (verbe) autour des puanteurs cruelles (groupe prépositionnel complément de lieu avec locution prépostionnel autour des, un nom et un adjectif)

Le A (lettre ou nom) est un corset"
Les adjectifs "noir" et "velu" sont des précisions du nom "corset"
Le complément "des mouches éclatantes" est une précision du nom "corset" également
La proposition relative "Qui bombinent autour des puanteurs cruelles" est une précision du nom "mouches" qui entre inévitablement dans les précisions sur le nom "corset" par le fait syntaxique que "dans les mouches éclatantes" est déjà une précision du nom "corset" et par le fait que le "corset" est une partie constitutive de ces "mouches"

La forme "golfes d'ombre" n'est pas aussi richement déterminée, raison de plus pour tirer tout le parti qu'il y a à tirer de la première association fort enrichie "noir corset velu des mouches éclatantes qui bombinent autour des puanteurs cruelles"

Pour le E, cela va donc donner maintenant

Le E est "candeurs", "Lances" et "frissons", voire "rois"
Chacun de ces mots est précisé, "rois" plus pauvrement, puisque nous retournons à "blancs", la mention de couleur attendue
La compréhension du "E" naît de la mise en commun des mentions "candeurs", "Lances", "rois" et "frissons", avec pour nous aider le filtre de certaines précisions complémentaires

Dans le cas du A, on peut penser à une analogie de forme entre le A et le corset (à ceci près que les rimbaldiens songent plus volontiers à une analogie valant pour la mouche les ailes repliées vu d'en haut), entre le A et les golfes
Dans le cas du E, l'analogie est difficile à supposer pour "candeurs" et pour "rois" Pour "frissons", elle est jouable pour l'écriture toute en boucles du manuscrit, pas pour le E imprimé On pourrait penser aussi à étendre cette pertinence aux volutes des vapeurs, mais le mot est en facteur commun à "tentes" qui ne permet pas du tout la même analogie de forme Pour "Lances" une analogie de forme est en partie jouable, mais pose quand même un fameux problème de logique, si on essaie de se représenter le "E imprimé" comme une fourche équivalente de "pointes" sur des glaçons ou des glaciers

L'équivalence E blanc = rois blancs pourrait avoir l'intérêt d'activer les sens symboliques de "blancs", le E blanc est "royauté blanche" ou "rois blancs" donc des rois purs, candides, à l'exclusion d'autres types de rois
J'ai aussi cette idée que les associations du "E blanc" ne seraient qu'à trois termes et "rois blancs", sans que nous ne perdions rien de son intérêt symbolique, voire de sa signification, serait en apposition à "glaciers fiers" avec une réponse en chiasme "fiers" repris dans "rois" et "glaciers" dans "blancs"

La comparaison des versions est intéressante
Je laisse de côté la variation "Lances de glaçons fiers" "plein de strideurs étranges" qui donne ensuite "Lances des glaciers fiers" "plein des strideurs étranges"

Dans la version de la main de Verlaine, mais cette information est confirmée par une biffure du manuscrit autographe, nous n'avions pas "candeurs", mais "frissons", et du coup, le mot "frissons" apparaissait deux fois

Reprenons

Manuscrit autographe

Le E est toutes les candeurs des vapeurs et des tentes
toutes les lances des glaciers fiers
(tous les rois blancs)
tous les frissons d'ombelles

Variante

Le E est toutes les candeurs des vapeurs et des tentes
toutes les lances des glaciers fiers ou rois blancs
tous les frissons d'ombelles

Copie de Verlaine

Le E est tous les frissons des vapeurs, des tentes et des ombelles
toutes les lances de(s) glaçons fiers
(tous les rois blancs)

Variante donc
Le E est tous les frissons des vapeurs, tentes et ombelles
toutes les lances de glaçons fiers ou rois blancs

Et la reprise du mot "frissons" permet alors d'encadrer les associations dirigées par les mots "Lances" et "rois" "Lances" et "rois" sont donc des équivalents potentiels du mot "frissons"
Enfin, le fait de connaître et la copie de Verlaine, et la biffure au vers 5 du manuscrit autographe, nous apprend que le mot "candeurs" est très clairement substituable au mot "frissons" dans la représentation symbolique de Rimbaud pour ce poème

En revanche, la variante du vers 6 déconcerte quelque peu
Si on procède à la même logique, on comprend que les mots "glaçons" et "glaciers" sont équivalents pour le poète, ce qui contrarie nos convictions sur les emplois nettement contrastés de ces deux mots : un glacier n'est pas un glaçon, et en prime nous avons une opposition sensible entre le grand et le petit
Notons toutefois que le choix final jouit d'une prime de pertinence, à savoir le mot "glaciers"

Le terme recteur est "Lances", le E est toutes les lances
Ces lances sont les extrémités fières, donc élancées, orgueil vertical, soit de glaçons, soit de glaciers

On peut imaginer des stalagmites de glaçons à côté d'ombelles, ou bien le basculement de pointes de grands glaciers à l'éclat blanc de petites fleurs

L'idée de lances jaillissant des glaciers est toutefois problématique
Rimbaud n'a encore jamais vu de hauts pics neigeux directement en 1871 ou 1872, mais on peut penser qu'il était conscient du problème
Son idée est visiblement de dire en peu de mots le manteau blanc qui recouvre les pics au sommet des hautes montagnes, et les glaciers ont la fière verticalité que leur confère un flanc de pic de montagne
La comparaison des versions montre qu'il y a bien un petit souci avec les termes employés "glaçons" ou "glaciers", mais l'intention est facile à cerner malgré tout

Si on poursuit l'étude de la structure attributive pour la suite du poème, nous avons le I est la pourpre ou les pourpres (selon les copies manuscrites), le I est sang craché, le I est rire
Puis le U est figure des cycles, figure des vibrements, figure d'une telle paix et figure d'une telle autre paix
Le O est un clairon, le O est aussi des silences, à moins qu'une analyse similaire à celle de "rois blancs" ne suppose que "silences" soit en apposition à "strideurs", le O est rayon
Donc pour le O, deux modèles possibles

Soit, le O est un clairon, des silences, un rayon
Soit le O est un clairon et un rayon
On peut même se montrer plus exigeant : "Le O est un clairon et si je le dis Oméga c'est un rayon"

Je poursuivrai prochainement mon commentaire en fonction de ces structures attributives qui gouvernent des rapports précis entre les mots du poème

Je reviens toutefois sur l'idée d'un rapport entre de nombreuses propositions formulées dans une seule phrase
Mon analyse vient d'identifier la plupart des propositions du poème comme des relations attributives : le A est noir, puis le A est ceci et ceci
Le vers 2 fait inévitablement exception "Je dirai quelque jour vos naissances latentes", c'est la proposition principale du poème, et à cette aune le changement de perspective du vers 14 implique lui aussi une proposition "car vos naissances latentes me découvrent ses yeux"

Mais, j'ai dit que les attributs étaient parfois accompagnés de précisions
Parfois non comme "cycles" ou "pourpre(s)"
Mais la plupart des précisions sont sous la forme d'adjectifs, de compléments du nom
J'ai fait un cas à part pour les précisions de lieux des vers 4 et 8, lieux sous forme d'abstraction d'ailleurs : "puanteurs cruelles", "colère", "ivresses pénitentes"
Or, dans deux cas nous avons des propositions relatives qui offrent le retour d'une construction sujet-verbe
Il y a "qui bombinent" et il y a "Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux"
La variante au passé simple de la copie Verlaine est "Qu'imprima l'alchimie aux doux fronts studieux"
Parlons de copie Rimbaud parallèlement pour bien évacuer l'idée que Verlaine est responsable d'un texte et Rimbaud de l'autre, ce qui est absurde La copie de la main de Rimbaud offre une relative au présent de l'indicatif, ce qui renforce le rapprochement avec "bombinent", et le rapprochement entre les deux propositions relatives et partant les deux images est sans doute parlant et intéressant
Les mouches effectuent un travail alchimique autour des puanteurs cruelles, les fronts marqués par les rides sont l'objet d'une opération alchimique comparable
Si on laisse les Gengoux, Richer, francs-maçons, illuminés, occultistes, etc, dans leurs folies respectives, il est certain que l'emploi métaphorique du mot "alchimie" est courant, banal, en poésie
En me renseignant quelque peu sur l'alchimie, je suis tombé à deux reprises sur le mot "latent" et cela n'a rien d'anormal tant il entre facilement en résonance avec les mots "occulte" et "ésotérique" par exemple, sauf que le latent est ce qui est caché non par la volonté des hommes mais ce qui ne se manifeste pas (suffisamment ou pas du tout) naturellement et demande un effort de dévoilement important par l'esprit humain
Mais l'alchimie est un savoir ésotérique dans la mesure où il s'agit de cacher aux autres ses connaissances, mais aussi l'étude de ce que cache la Nature, donc la prétention à connaître ce qui demeure à l'état latent
Mais je n'ai pas envie de me contenter d'insister sur le fait que la présence dans un même sonnet des mots "alchimie" et "latentes" crée un champ lexical confortant l'idée que la métaphore de l'alchimie est filée le long de cet écrit
Ce qui est intéressant, c'est d'une part que le mot "alchimie" est présent dans le poème et qu'il est rien qu'à ce titre pertinent de faire jouer nos connaissances les plus générales à ce sujet et d'autre part qu'il est visiblement mis en vedette jouissant d'une position clef, à la fois en étant à la fin du premier tercet et en étant présent dans une proposition avec sujet et verbe dans un poème essentiellement dominé par une succession de noms ou groupes nominaux
Et ce mot "alchimie" est associé à un verbe qui convient particulièrement à l'idée d'alphabet, le verbe "imprimer"
Or, l'alchimie n'est pas que la science qui prétend transformer du métal en or, mais le souci de l'alchimie c'est d'atteindre à l'immortalité, trouver le secret de l'éternité
Transmuer en or un métal, cela part de l'idée que l'or est la forme de pleine santé d'un métal
Le secret de la pierre philosophale a à voir avec la fontaine de jouvence

Il est certain que l'alchimie est une sottise en soi, bien qu'elle ait pu occuper un Leibniz ou un Berthelot, d'autres encore
L'auteur du Que sais-je sur L'Alchimie essaie de proposer son sujet de manière attrayante Il parle d'un savoir qu'on ne doit pas divulguer et il avoue en même temps que des tonnes de livres ont été écrits par les alchimistes dont le recensement seul pose encore problème aujourd'hui Il faudrait ne pas le divulguer au profane par peur d'un mauvais emploi comme s'il existait une méthode de discrimination entre initiés sains et initiés malsains Il parle d'un savoir donc secret, mais de tous les écrits qui nous sont parvenus il ne nous dit pas pour quelles et quelles découvertes scientifiques nous devrions être redevables à l'approche alchimique
Et l'auteur nous parle d'un savoir transmis malgré tout par les livres qui se réduit toujours aux mêmes considérations symboliques, aux mêmes billevesées préliminaires
Il est certain bien plutôt que l'alchimie a échoué comme science, qu'elle n'a rien produit de décisif, et que nous ferons désormais autrement confiance aux sciences en tant que telles pour un jour nous proposer la transmutation d'un métal en or, quitte à ce que l'opération soit plus cher que la valeur d'or produite au final, car c'est l'ironie qui pend au nez des chercheurs à ce sujet

Enfin bref, les rimbaldiens ont évidemment très peur quand il est question de Voyelles de parler d'ésotérisme, sauf que l'enveloppe métaphorique du poème le fait, ne fût-ce que par la mention explicite "alchimie"

Qu'offre de plus pertinent le mot "alchimie" pour la compréhension du poème, précisément cette idée d'une quête de la vie éternelle, puisque le mot "alchimie" participe d'une proposition relative qui complète le mot "rides"?
Peu de temps après, Rimbaud compose un poème ou précisément c'est "l'éternité" qui est retrouvée, et dans la section Alchimie du verbe d'Une saison en enfer, le sonnet Voyelles est évoqué et le poème L'Eternité est cité dans une version in extenso

Or, dans mon commentaire du sonnet, voyelle par voyelle, je pose que le A est le corset qui se bat pour la vie dans un décor paradoxal, même chose pour le I
Pour le U, je remarque le calembour "vie" répété au vers 9 par un jeu de reprise accentuée de phonèmes: "vibrements divins des mers virides"
Pour le "O", le motif de la trompette du jugement dernier implique l'idée de vie éternelle
Pour le E, le "blanc" est l'équivalent de la mer allée avec le soleil Les vers 5 et 6 sont caractérisés par la succession positive noir/blanc qui vaut pour la succession nuit si nulle/jour en feu du poème d'aube L'Eternité (je dis cela en tout cas pour la minorité de lecteurs qui m'accordent que le poème L'Eternité avec son allusion à une prière du matin "Nul orietur" est un poème d'aube et non de couchant comme on le dit sans arrêt), une succession noir/blanc qui n'est pas que dans Rimbaud, puisqu'on en trouve des exemples ailleurs, voyez la fin du film Stromboli de Rossellini Ingrid Bergman y joue une femme obligée à la fin de la guerre de trouver un pays où on l'autorise d'aller Refusée en Argentine, elle saisit l'opportunité de se marier avec un habitant d'une île voisine du célèbre volcan, sans savoir qu'elle n'y trouvera pas la vie bourgeoise de femme légère qu'elle a connue jusque-là et dont elle va cacher les zones moins vertueuses à son mari Dès son arrivée, elle maudit cette vie ingrate sur une île minérale aux rochers noirs où on est cruellement plié à la modestie, à la satisfaction de besoins simples, au contentement de ne pas crouler sous le travail à fournir Enceinte, elle finit par s'enfuir à pied en longeant le volcan Les fumées l'asphyxient, la marche l'épuise et sa grossesse aussi Elle s'écroule et s'endort, elle est réveillée par les rayons du soleil, et pour la première fois dans le film admire le spectacle pour lequel elle a toujours manifesté le plus violent mépris, y compris quand son mari le premier jour lui a ouvert la fenêtre pour lui faire admirer la vue Dès ce moment-là, la femme enceinte est acquise à une certaine beauté et prie dans un syncrétisme particulier le volcan de lui donner la force et le courage de vivre là en s'offrant à son futur enfant innocent



Voilà quelle est un peu l'alchimie de Voyelles, ce que plus que jamais aucun rimbaldien ne semble en mesure d'admettre, car ce serait reconnaître que cette lecture n'a jamais été envisagée jusqu'à présent dans les montagnes de publication de tout un chacun et que même elle a été fermement méprisée quand j'ai commencé à la mettre à jour en 2003, et quand je l'ai admirablement consolidée en 2012 et 2013
Après l'alchimie, voilà pour le business

1 commentaire:

  1. Pour que la seconde partie sur l'alchimie soit complète, il convient aussi de parler du problème des couleurs Le Grand oeuvre passe par trois ou quatre étapes, et en trois étapes par l'oeuvre en noir (titre d'un roman de l'écrivain à la mode à la fin du vingtième siècle Yourcenar), l'oeuvre en blanc, l'oeuvre en rouge, et fou d'ésotérisme Jean Richer au moins, avait envisagé cette idée alchimique pour les trois couleurs exposées dans les quatrains
    Dans un cadre alchimique stricte, on peut penser à la table d'émeraude pour les tercets, mais je n'aime pas trop cette idée qui vient moins naturellement En tout cas, les tercets offrent l'analogie classique et très présente encore à la Renaissance du monde d'en bas en regard du monde d'en haut, analogie qui traverse plusieurs circuits de la "connaissance"

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