mercredi 9 octobre 2024

Du Vatican de Veuillot à la Sixtine de Rimbaud, le détour par Verlaine (partie 2)

Je reviens sur la relation entre les quatrains de "Vu à Rome" et les tercets de "Fête galante". L'octosyllabe atténue le grand sujet poseur du type des pièces des Lèvres closes dans "Vu à Rome", et le quadrisyllabe accroît le côté mineur des Fêtes galantes, en le tirant vers le comique, la dérision. Mais, dans le recueil de Verlaine, par contraste avec les Poèmes saturniens, le sonnet est systématiquement évité, rejet donc de son implication sociale mondaine. Il est présent subrepticement avec un schéma inversé allusif dans "L'Allée", mais il faut aussi mentionner le cas particulier d'un Verlaine qui fait tantôt des poèmes en quatrains, tantôt des poèmes tout en tercets (et qui ne sont pas des tierces rimes "terza rima"). J'écarte les tercets du poème "Les Coquillages" de mon relevé, puisqu'il s'agit d'une tierce rime.
Prenons l'ensemble des vingt-deux poèmes qui composent le recueil des Fêtes galantes et énumérons séparément les poèmes en quatrains et les poèmes en tercets.
Poèmes en quatrains : "Clair de Lune" (trois quatrains, rimes croisées ABAB), "Sur l'herbe" (trois quatrains, rimes croisées), "A la promenade" (cinq quatrains, rimes embrassées ABBA), "Dans la grotte" (trois quatrains, rimes embrassées, mélange particulier d'alexandrins sur une base d'octosyllabes), "Les Ingénus" (trois quatrains, rimes embrassées), "Cortège" (cinq quatrains, rimes embrassées), "En patinant" (seize quatrains, rimes croisées), "Le Faune" (deux quatrains, rimes croisées), "Mandoline" (quatre quatrains, rimes croisées exclusivement féminines), "A Clymène" (cinq quatrains, rimes plates AABB, emploi d'un vers de 4 syllabes conclusif de strophe sur une base d'hexasyllabes), "L'amour par terre" (quatre quatrains, rimes embrassées), "En sourdine" (cinq quatrains, rimes croisées).
Poèmes en tercets : "Pantomime" (quatre tercets typographiques, deux sizains pour les rimes AAB CCB DDE FFE), "Fantoches" (quatre tercets typographiques, deux sizains pour les rimes AAB CCB DDE FFE), Cythère (quatre tercets typographiques, avec un miroir de deux sizains inversés l'un par rapport à l'autre autour d'une rime commune ici notée * AA* BB* *CC *DD), "En bateau" (cinq tercets monorimes AAA BBB CCC DDD EEE), "Les Indolents" (six tercets typographiques, trois sizains pour les rimes AAB CCB DDE FFE GGH IIH, avec une correspondance symétrique de rime singulier / pluriel "-are", "-ares" entre les rimes clefs du premier et du dernier sizain (B et H)).
Les poèmes exclus du relevé sont "L'Allée", le poème en rimes plates "Lettre", la tierce rime "Les Coquillages" qui justifie un rapprochement tout de même avec les tercets, le poème en sizains "Colombine" qui justifie tout de même un rapprochement avec les pièces en tercets, le poème qui clôt le recueil "Colloque sentimental" en huit distiques qui peut aussi bien être rapproché du discours en rimes plates "Lettre" que des poèmes à base de quatrains, puisque nous n'avons pas un nombre impair de distiques, ce qui permet la suggestion du quatrain de rimes plates).
Mais peu importe les rapprochements.
Ce qu'il faut observer plus avant, c'est que dans le cas de la composition zutique "Fête galante" de Rimbaud, nous avons des allusions prononcées aux poèmes de Verlaine qui sont précisément composés en tercets. Verlaine a composé des poèmes en tercets, mais la plupart ont une versification en sizains, et du coup nous relevons un nombre pair de tercets dans les cas suivants : "Pantomime", "Fantoches", "Les Indolents" et "Cythère". Le quatrain étant en lui-même une strophe à part entière, peu importe qu'un poème ait un nombre pair ou impair de quatrains. En revanche, un nombre impair de tercets ne peut se corriger en strophe que par des adaptations dans l'organisation des rimes. Nous avons le vers conclusif isolé dans la "tierce rime" ("Les Coquillages"), mais nous relevons un poème en cinq tercets "En bateau" où Verlaine a réglé le problème en se détachant du repère du sizain pour proposer cinq tercets monorimes. C'est un peu l'idée du discours en rimes plates (les comédies et les tragédies, le poème "Lettre" du recueil de Verlaine), sauf qu'on passe de vers rimant par deux à des vers rimant par trois. Notez que "Vu à Rome" et "Fête galante" sont une allusion au sonnet où on passe de couples de quatrains et tercets à des trios de quatrains et tercets. La progression arithmétique est la même. Fait remarquable, le poème "En bateau" a pour premier mot à la rime le verbe "tremblote" (variante orthographique "tremblotte" non étudiée ici) qui était employé à la rime au pénultième vers du poème "Les Effarés" de Rimbaud, poème qui suppose d'ailleurs une présentation trompeuse en tercets au lieu de sizains, principe dénoncé au sujet d'autres poèmes par Banville dans son tout récent traité. Et justement, "Fête galante" est en réalité un poème à strophe unique le neuvain déguisé en trois tercets pourrait nous répliquer Banville : AAB CCB AAB. Mais, dans tous les cas, Rimbaud a réglé le problème de conception d'un poème en un nombre impair de tercets typographiques. Le verbe "tremblote" n'est pas employé dans le zutique "Fête galante", mais nous relevons une significative rime en "-ote". La rime en "-ote" et le nombre impair de tercets sont les preuves convergentes d'une allusion au poème "En bateau" des Fêtes galantes. Pour précision, dans "Les Effarés", nous avons la rime "culotte"/"tremblotte" qui reprend deux des trois mots rimant entre eux dans le premier tercet de "En bateau" : "tremblote"/"pilote"/"culotte".
Le poème "Fête galante" reprend d'autres éléments au poème "En bateau" de Verlaine. Le premier mot "Rêveur" de "Fête galante" reprend le dernier de "En bateau", le verbe "rêve"... Le premier mot du second vers de "Fête galante" reprend le verbe "gratte" à la rime dans "En bateau", et notez bien que si "Rêveur" et "Gratte" ne sont pas à la rime dans "Fête galante", s'ils sont en attaque de vers tous les deux, ils reprennent donc deux mots à la rime du poème de Verlaine. Rimbaud reprend bien évidemment les équivoques sexuelles latentes du poème de Verlaine, et plus directement celle du "briquet dans sa culotte" et celle du chevalier qui "gratte / Sa guitare". Et cet "oeil du lapin" "en ribote" reprend à l'évidence l'expression "œillade scélérate" du même poème verlainien toujours. Il y a une relative correspondance de "tremblote" à "tapote", pour le sens et par la rime, ce que conforte la commune initiale en "t". L'expression "Sous sa capote" réécrit "dans sa culotte". Enfin, la joliesse de l'image "l'eau qui rêve" fait penser que Rimbaud a nettement repéré le bouclage d'ensemble du poème "En bateau" où nous passons de la mention "L'étoile du berger" à un tercet final sur "la lune qui se lève" en provoquant par le jeu de ses éclats se reflétant l'idée de l'eau qui rêve. Le mot "lapin" remplace l'idée de "Lune" dans "Fête galante". Le mot "lapin" est à la rime du second vers et revient à la rime du premier vers du dernier tercet. Et la figure ronde de "l'œil du lapin" permet de songer quelque peu à la forme de Lune. Et l'extase finale "en ribote" fait écho à la formule humoristique "l'eau qui rêve" de Verlaine.
J'observe aussi que le poème qui suit directement "En bateau" n'est autre que le poème en deux quatrains "Le Faune" qui parle de glissement avec "suite / Mauvaise" et "fuite". Je vais en reparler plus bas.
Et "Le Faune" est lui-même suivi du poème "Mandoline" tout en rimes féminines.
Je l'ai déjà dit par le passé, la rime masculine : "Colombina", "pina", est une rime travestie, puisqu'elle joue sur une terminaison féminine d'une langue étrangère, l'italien en l'occurrence, ce qui permet d'éviter la rime féminine de plein droit en français en "-ine" : "Colombine que l'on pine". Vous voyez très bien que la rime en "-ina" dans les trois tercets de Rimbaud est au centre et est alignée sur l'unique rime en "-in" de remplissage des deux autres tercets. Je parle de rime de remplissage par opposition à la rime qui fait la strophe. Dans le poème en trois tercets de Rimbaud, en neuvain, nous avons une rime structurelle en "-ote" : "capote", "tapote", "ribote", rime en trois mots comme le principe du tercet monorime de Verlaine dans "En bateau". Décidément, la cohérence d'à-propos de Rimbaud est hallucinante d'un nombre fou de détails précis. Les six autres vers sont de l'ordre du remplissage, et Rimbaud aurait pu produire une pièce AAB CCB DDB, ce qu'il n'a pas fait, il aurait pu aussi produire une pièce AAB AAB AAB, ce qu'il n'a pas fait non plus, il a produit une pièce AAB CCB AAB, sauf que la rime C n'est pas quelconque par rapport à la rime en A, puisque "-ina" est la correspondante féminine italianisante prouvée par le nom propre "Colombina" de la rime en "-in". Tout ça est calculé, et c'est encore une pièce de plus à verser au dossier d'une réplique de l'Album zutique contre les réactions hostiles de Mérat, Mendès et Dierx à la nature sexuelle de la relation qui s'affichait entre Rimbaud et Verlaine. Le "Sonnet du Trou du Cul" est une pièce précoce du dossier, je ne garantirais pas que la dispute avec Mérat avait pleinement éclaté au moment de composition de ce sonnet, moment de composition dont on ne connaît pas la date exacte avec certitude entre la mi-septembre et la mi-octobre 1871. En revanche, "Vu à Rome" et "Fête galante", sans non plus impliquer une dispute ouverte, pourraient bien acter des difficultés réelles avec certains poètes parisiens. Je le dis et répète : dans son entrefilet où il a parlé d'une "Mlle Rimbault" au bras de Verlaine, Lepelletier parle de deux blonds Mérat et Mendès symétriquement se donnant symétriquement le bras à proximité de Léon Dierx, et Dierx est demeuré toute sa vie un ami proche de Catulle Mendès. Ici, vous avez une claire articulation entre un poème en trois quatrains "Vu à Rome" faussement attribué à Léon Dierx et un poème en trois tercets faussement attribué à Verlaine, et vous avez, comme dans le "Sonnet du Trou du Cul", des indices d'une lecture homosexuelle, la rime masculine pour "Colombina". Il y a un moment vous ne pouvez pas vous interdire de penser que, même si aucun terme ne s'y prête explicitement, "Vu à Rome" sous-entend que Dierx est mis un peu du côté de l'église contre les fêtes galantes, à son corps défendant vu ses productions poétiques, et que l'odeur schismatique qu'on met sous le nez ça pourrait être cette sulfureuse relation homosexuelle entre Rimbaud et Verlaine qui met à mal l'église parnassienne.
Rimbaud n'avait aucune raison d'épingler l'actualité des problèmes de l'église catholique dans l'Album zutique. Il est clair qu'il vise plus large, et vous avez des indices puissants d'une stratégie d'échos entre poèmes qui montrent que "Vu à Rome" participent de cette ambiance, encore un peu gentille et potache, de règlements de comptes dans la société dégradée des poètes à Paris, alors qu'on aspire à une renaissance après l'année terrible. C'est évident qu'il se joue quelque chose de cet ordre-là dans les célèbres premières pages de l'Album zutique.
Revenons à notre relevé des poèmes en tercets ou quatrains du recueil Fêtes galantes
Rimbaud a repris le prénom "Colombine" au premier poème tout en tercets du recueil : "Pantomime", mais il l'a adapté en "Colombina", preuve qu'il y a bien une intention de travestissement de la rime, de cadence féminine à cadence masculine. Colombine est un mot à la rime dans le poème "Pantomime". où il rime avec "combine". Et le tercet qui contient la rime "combine"/"Colombine" se termine par ce vers de jubilation : "Et pirouette quatre fois" qui résonne étonnamment avec le vers conclusif de Rimbaud : "Est en ribote". Cela ne s'arrête toujours pas là. Le tercet contient une rime interne en "-in" : "faquin d'Arlequin", alors que Rimbaud a précisément opté pour le retour de la rime en "-in" du premier au dernier tercet de son neuvain.
Ce faquin d'Arlequin combine
L'enlèvement de Colombine
Et pirouette quatre fois.

Rêveur, Scapin
Gratte un lapin
Sous sa capote.

Colombina,
- Que l'on pina ! -
- Do, mi, - tapote

L'œil du lapin
Qui tôt, tapin,
Est en ribote...
Fait amusant, nous avons une consonne d'appui dans la rime interne : "faquin d'Arlequin", elle est nettement visible avec le digraphe "qu-". Il va de soi que "Scapin" correspond à cette rime interne, personnage de comédie italienne et plus que légère résonnance de faquinerie dans ce nom "Scapin", mais notez que le "b" est la correspondante sonore de la consonne "p". Relisez le poème "Fête galante" par les rimes. Vous avez une constante de la consonne d'appui "p" pour les rimes en "-in" : "lapin" (deux occurrences), "Scapin, "tapin", qui s'étand à la rime en "-ote" : "capote","tapote", moyennant l'altération de consonne sourde à correpondante sonore pour "ribote". Un repérage indifférent aux intentions de Rimbaud se contentera de relever une rime complémentaire en "-a" renforcée d'une consonne d'appui en "n-", sauf que nous avons un séquence en "-ina" sur deux syllabes et, en nous interdisant de parler de consonne d'appui au sens strict (mais vous comprenez l'idée), nous constatons la même bascule de "b" à "p" de "Colombina" à "pina", ce dernier verbe ayant un sens sexuel explicite qui confirme l'idée d'une rime masculine "-a" travestie en terminaison féminine italianisante "-ina" pour mieux hériter du rôle féminin dans la relation sexuelle avec la pine (et notez bien sûr le calembour latent : "lapin"."lapine"). Le "lapin" a à voir avec l'anus de la parodie du recueil L'Idole d'Albert Mérat.
Mais, puisqu'un vers de "Pantomime" aligne les choix rimiques du poème de Rimbaud : "Arlequin" et "Colombine", non seulement "Scapin" est en écho à "faquin d'Arlequin", mais tout le vers : "Rêveur, Scapin", est une allusion au premier vers du dernier tercet de "Pantomime" : "Colombine rêve, surprise"... Et si je cite ce dernier tercet en entier, vous relevez que Rimbaud a impliqué dans sa parodie un écho entre la séquence "l'eau qui rêve" sous l'œil de la Lune dans "En bateau" et la rêverie du désir allumée en Colombine dans "Pantomime". Et Rimbaud a joué en même temps sur l'écho entre les voix que Colombine entend directement dans son cœur, et le briquet sous la culotte de "En bateau". 
 
Colombine rêve, surprise
De sentir un cœur dans la brise
Et d'entendre en son cœur des voix.

Rêveur, Scapin
Gratte un lapin
Sous sa capote.
Par exception, les notes de musiques égrenées semblent reprises non pas à un poème en tercets des Fêtes galantes, mais à un poème en quatrains. Il s'agit du poème "Sur l'herbe"' qui suit immédiatement "Pantomime" dans l'économie du recueil.
Toutefois, Rimbaud semble avoir une ceraine rigueur, car il se trouve que les notes de musique apparaissent aussi dans le poème en sizains précisément intitulé "Colombine". Les sizains sont liés aux tercets, puisqu'en général le sizain est formé de deux tercets, ce qui est le cas de "Colombine", l'évidence étant renforcée ici par le choix du vers de deux syllabes qui souligne par contraste la structure en deux tercets des sizains. Les notes de musique font leur grand retour dans ce poème, et ce poème a aussi l'intérêt de recourir aux vers acrobatiques excessivement courts, autre caractéristique formelle clef du poème de Rimbaud "Fête galante" :
- Do, mi, sol, mi, fa -
Tout ce monde va,
          Rit, chante,
Et danse devant
Une belle enfant
           Méchante
Encore une fois, les arguments ne sont pas dérisoires pour parler d'une réécriture de la part de Rimbaud. Rimbaud a repris les notes de musique, la rime en "-a" d'un poème intitulé "Colombine" et le choix des tirets pour placer une parenthèse en incise :
Colombina
- Que l'on pina ! -
- Do, mi, - tapote
Le verbe "tapote" fait d'ailleurs écho au verbe "danse" du même sizain objet de réécritures.
Il est question de jupes menant des dupes dans la pièce de Verlaine, avec des projections de désirs sexuels dans le futur, tandis que Rimbaud opte pour le passé simple de l'acte sexuel déjà consommé "que l'on pina".
Mais les deux premiers sizains de "Colombine" nous intéressent encore par une symétrie acrobatique entre leurs fins :

[...]
Cassandre sous son
      Capuce,

Arlequin aussi,
Cet aigrefin si
       Fantasque
[...]
Ses yeux luisants sous
      Son masque,

[...]

Vous retrouvez les mêmes personnages que dans "Pantomime" : Cassandre (personnage masculin dans la comédie italienne), Arlequin et Colombine, vous retrouvez le principe de la rime interne autour du nom "Arlequin", rime avec "aigrefin" d'autant plus perfide que la rime "aigrefin" précède d'une syllabe une rime acrobatique de suspension sur la conjonction "si" (il y en a deux de la sorte dans le recueil). Notez que ce décalage d'une syllabe concerne aussi la symétrie entre les fins des deux premiers sizains. Le premier sizain a une rime acrobatique par la suspension sur le déterminant "son", quand le second permet au déterminant de rentrer dans l'ordre pour se décaler sur la suspension acrobatique de la préposition "sous".
Il va de soi que cette symétrie peut être mise en relation avec l'équivoque sexuelle du "briquet dans sa culotte" du poème "En bateau", et avec ce qu'il se passe nous sous le masque ou la capuce mais sous la capote dans la pièce zutique de Rimbaud.
Rimbaud a tout simplement maximalement exploité trois poèmes précis des Fêtes galantes, deux tout en tercets et un en sizains assimilable.
Rimbaud ne semble pas avoir exploité, du moins aussi clairement, les autres poèmes en tercets des Fêtes galantes. Spontanément, je n'ai rien à dire d'intéressant et significatif au sujet de "Cythère", même si on peut toujours développer de légère suggestions de la promesse des "yeux" à "l'œil du lapin" par exemple. Les emprunts au poème en tercets "Fantoches" sont légers, mais tout de même réels. Le premier vers "Scaramouche et Pulcinella" donne le modèle de la terminaison italienne pour "Colombina", tandis que le nom "Scaramouche" permet de dessiner un lien dans le glissement du nom "Arlequin" au nom pratiqué par Molière "Scapin". Plus précisément, "Fête galante" implique bien une réécriture des deux premiers vers de "Fantoches", voire une réécriture de tout le premier tercet :
Scaramouche et Pulcinella,
Qu'un mauvais dessein rassembla,
Gesticulent, noirs sur la lune.
Colombina
- Que l'on pina ! -
- Do, mi, - tapote
Scapin ayant déjà un lien avec Scaramouche, l'isolement à un seul nom "Colombina" n'en est pas moins la réécriture du vers : "Scaramouche et Pulcinella" avec reprise de la rime en "-a" et de l'idée de terminaison féminine de nom à l'italienne. Notez que pour le second vers de Verlaine la subordonnée relative est détachée en incise par deux virgules, celles à la fin des deux premiers vers, ce qui correspond à la parenthèse des tirets pour la subordonnée relative de Rimbaud, et vu que les deux subordonnées relatives suivent la mention de nom féminin en "-a" et subissent le régime de la rime en "-a", il est aisé de comprendre que le vers de Rimbaud commente et explicite un sens latent du vers de Verlaine. Enfin, dans cette cascade d'équivoques, le verbe "tapote" correspond à "Gesticulent" en attaque de vers dans "Fantoches".
C'est précisément à "Fantoches" que fait allusion aussi l'emploi à la rime de "tapin" qui est à l'évidence une réécriture de l'expression adverbiale "en tapinois" à la rime chez Verlaine. Le tercet contenant l'expression "en tapinois" parle d'une femme qui "Se glisse demi-nue", ce qui superpose une référence sexuelle, et l'expression vient rimer avec "piquant minois", ce qui correspond à l'idée de cet "œil de lapin" "en ribote".
Je me suis contenté de préciser les réécritures en tant que tels, il va de soi que plusieurs échos suggestifs peuvent dès lors être établis entre le recueil de Verlaine dans son ensemble et le neuvain de Rimbaud.
Vous me direz que dans le cas de "Vu à Rome" nous sommes loin de réécritures aussi patentes de passages des Lèvres closes de Léon Dierx, mais je vous ai pointé du doigt que Rimbaud avait établi un système de mise en regard de "Vu à Rome" par rapport à "Fête galante", et bien sûr que, du coup, vous soupçonnez une équivoque sexuelle pour le mot "Nez". Il y a une métaphore de la répugnance à la pénétration anale pédérastique dans "Vu à Rome".
Mais, au plan des quatrains, je voulais encore relever un fait troublant.
Le premier poème connu de Rimbaud où la césure est vraiment délicate à repérer s'intitule "Tête de faune", il n'est composé ni en alexandrins, ni en octosyllabes, mais en décasyllabes. Ce choix s'explique aisément. La césure de l'alexandrin est à la sixième syllabe, tandis que les octosyllabes n'en ont pas. Le poème "Tête de faune" est pourtant écrit en décasyllabes littéraires avec des hémistiches de quatre et six syllabes. Les études métriques de Cornulier et de tous ceux qui l'ont suivi se sont complètement plantés dans l'analyse des césures de ce poème. Mais, le poème est aussi en trois quatrains. J'avais déjà constaté que Carles Cros nommait dans ses recueils des poèmes sous le titre "Trois quatrains", comme si c'était un genre, sauf que les recueils de Charles Cros sont postérieurs à la contribution "Vu à Rome" d'octobre 1871 et à la création de "Tête de faune" dans vraisemblablement les trois premiers mois de l'année 1872.
Etant donné le lien de "Vu à Rome" aux tercets de "Fête galante", je m'empresse d'insister très lourdement sur la présence dans Fêtes galantes de poèmes en trois quatrains, à commencer par "Clair de Lune" qui ouvre précisément le recueil avec en prime un premier hémistiche qui est une réécriture d'un vers de Sainte-Beuve : "Votre âme est un paysage choisi..." Le suivant poème en quatrains de Fêtes galantes, le troisième du recueil est lui aussi en trois quatrains "Sur l'herbe". Je vous invite à évaluer les liens entre "Tête de faune" et les thématiques des poèmes de Fêtes galantes. je rappelle que depuis longtemps on cite sans trop savoir quoi en faire le poème en deux quatrains "Le Faune" du même recueil verlainien pour le comparer à "Tête de faune", poème sur un même sujet en quelque sorte mais en trois quatrains.
Le poème en deux quatrains "Le Faune" contient une mention à la rime "fuite", tandis que "Tête de faune" contient un débordement à la césure sur un participe passé du verbe "fuir", rejet non pris en considération par les métriciens qui n'ont pas bien analysé les césures de "Tête de faune", mais rejet calembour bien connu des poètes du dix-neuvième siècle, puisque les glissades verbales sur les verbes "passer" ou "fuir" sont des lieux communs de la versification d'époque. Rimbaud pratique la glissade sur le verbe "Passer" dans "Ophélie", mais après bien d'autres, et vous avez avant le dix-neuvième siècle déjà des glissades à la césure ou à l'entrevers sur le verbe "fuir". En commentant plus haut les réécriture de "Fête galante" de Rimbaud, je vous ai montré des exemples de déplacement d'un mot à la rime à un mot en rejet il me semble, non ?
Enfin, le premier poème des Fêtes galantes est non seulement en trois quatrains, mais il est composé de décasyllabes littéraires avec succession d'un hémistiche de quatre syllabes et d'un second de six syllabes, comme "Tête de faune". Et cerise sur le gâteau, le premier vers de "Clair de Lune" est un exemple de césure particulièrement acrobatique, malgré l'emprunt à Sainte-Beuve, puisque la césure se fait sur le déterminant "un" :

Votre âme est un paysage choisi[.]
Je vous annonce déjà que je fourmille d'idées de rapprochements entre le recueil de Verlaine et "Tête de faune" de Rimbaud, et j'ai aussi une amorce de réflexion pour comparer une certaine écriture de "Vu à Rome" avec toujours les poèmes du recueil Fêtes galantes de Paul Verlaine.
Fin de partie ? Oui, pour cette fois, je rafle la mise. La partie trois, on verra bien ce qu'il en est, je citerai le poème sur le Vatican des Odeurs de Paris, et je m'essaierai à des mises au point sur Veuillot. Je ne gagne pas tout le temps, je ne sais pas encore ce que ça pourra donner à la fin.

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