samedi 31 décembre 2022

"Mais vrai, j'ai trop pleuré !" Ma petite annonce !

Une petite annonce pour bien commencer l'année 2023, même si les nouvelles ne sont pas bonnes pour les pays européens.
Je vous connais. Vous affichez un franc..., non ! pas un franc, un scepticisme automatique quand je vous dis qu'il faut aller plus loin qu'une liaison superficielle entre le recueil Les Feuilles d'automne et le poème "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,...", à partir du moment où on relève dans la préface parmi d'autres éléments la phrase "la terre tremble" et bien sûr un premier vers de poème IV source du premier vers du poème de Rimbaud : "Que t'importe, mon coeur,...", imitation que vous confinerez au seul premier hémistiche.
Et partant de là, vous n'apprécierez pas de lier un ensemble de poèmes contemporains de Rimbaud du début de l'année 1872 au recueil Les Feuilles d'automne.
Bon, alors, on va mettre les pieds dans le plat. En gros, "Le Bateau ivre" et "Voyelles" ne sont probablement pas des poèmes de 1871, mais deux créations du début de l'année 1872. Beaucoup en sont convaincus désormais dans le cas de "Voyelles" et quelques-uns le sont déjà pour "Le Bateau ivre". Le poème "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,..." est un peu plus tardif, mais doit être antérieur au départ du 7 juillet 1872, mais pour le raisonnement que j'ai à faire peu importe que vous vouliez le considérer encore plus tardif. L'idée, c'est que la preuve d'une relecture des Feuilles d'automne concerne pour l'instant le poème "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,..." qui est de toute évidence postérieure au "Bateau ivre" et "Voyelles", à moins de se lancer dans des hypothèses plus farfelues qu'ingénieuses. Par conséquent, mon discours d'une influence des Feuilles d'automne sur "Le Bateau ivre" semble devoir tomber à l'eau ou du moins n'être que suggestive et à jamais impossible à tenir pour vérité.
Alors, dans mon précédent article, j'ai parlé de la "colocase", mention qui semblait résulter d'une lecture récente de la préface d'un autre recueil hugolien, j'ai déjà su et écrit lequel, d'autres rimbaldiens ont d'ailleurs déjà cité ce fait qui relie Virgile, Hugo et le poème "Larme" de Rimbaud, il doit s'agit des Orientales, mais surtout quand j'ai écrit cela dans mon précédent article j'avais déjà dans la tête que le titre du poème est "Larme" et qu'il y a l'expression des pleurs au dernier vers. On pourrait penser à un lien avec "Le Coeur volé", soit dit en passant, mais les pleurs de "Larme" pourraient devenir franchement intéressants dans la perspective de rapprochements entre "Larme", "Le Bateau ivre" et Les Feuilles d'automne.
J'ai une autre idée en réserve, mais je vais la livrer ici, parce que normalement de toute façon j'ai déjà émis et publié l'idée que le passage du "Bateau ivre" : "Toute lune est atroce et tout soleil amer" s'inspirait d'un extrait du poème XVII des Feuilles d'automne. J'ai écrit cela sur internet, il y a très longtemps, ou peut-être que je l'ai écrit dans mon article paru en 2006 "Trajectoire du 'Bateau ivre' ". Je n'ai pas encore relu mon article.
Avant de citer cet extrait, je ne résiste pas à l'envie de faire une petite digression sur les poèmes qui précèdent, mais l'un des poèmes dont je vais parler finira pas être essentiel au raisonnement que je vais reprendre ensuite.
Dans le précédent article, j'ai parlé de la préface et des premiers poèmes, et je me suis arrêté au septième poème avant une oeuvre que j'aime beaucoup le poème intitulé "A M. David statuaire" (ça ne s'invente pas). Le poème IX a pour titre "A M. de Lamartine" et déploie une métaphore maritime du travail des deux poètes Lamartine et Hugo, ce que j'ai déjà aussi rapproché par le passé du principe métaphorique du "Bateau ivre", et je rappelle, citation de Lagarde et Michard à la clef, que Lamartine a la réputation d'avoir introduit les descriptions un peu déconcertantes du ciel en poésie, prouesse que "Le Bateau ivre" pousse plus loin mais dans une certaine continuité.
Je passe par-dessus quelques poèmes, et j'en profite pour vous conseiller de porter une certaine attention au poème XIII "A monsieur de Fontaney", cela n'intéresse pas directement la recherche rimbaldienne, mais vu les enjeux de liaison entre Les Feuilles d'automne et la poésie rimbaldienne du début de 1872 je me fais quand même un devoir de poser certaines choses. Dans ce poème XIII, Victor Hugo imite Corneille et les tragédies du XVIIe siècle, la grande tradition du vers classique français donc, les vers emphatiques de ce poème prennent un moule classique accentué :

C'est une chose grande et que tout homme envie
D'avoir un lustre en soi qu'on répand sur sa vie,
D'être choisi d'un peuple à venger son affront,
De ne point faire un pas qui n'ait trace en l'histoire,
[...]

A la fin du deuxième sizain, nous avons un vers conclusif plus hugolien, je le cite avec celui qui le précède pour qu'on puisse en apprécier l'intention :

Sans doute, ils sont heureux, les héros, les poètes,
Ceux que le bras fait rois, ceux que l'esprit fait dieux !

Le dernier sizain est moins nettement classique dans l'allure des alexandrins, mais il contient encore des vers d'une certaine superbe, l'antépénultième bien évidemment avec une frappe saisissante typiquement hugolienne dans un tour rhétorique proche de Corneille ou Racine :

Et que de vos vingt ans vingt siècles se souviennent !...

Et l'intérêt du poème, c'est la chute des deux derniers vers :

- Voilà ce que je dis : puis des pitiés me viennent
Quand je pense à tous ceux qui sont dans le tombeau !

Passons sur les souvenirs d'ivresse du poème XIV et ne faisons que rappeler que dans les vers que je n'ai pas cités du poème XIII, et dans d'autres parties de son recueil de 1831, Hugo exalte la figure de Napoléon. Nous en arrivons au poème XV qui est essentiel pour les études hugoliennes, puisque Hugo met en scène son attachement pour les enfants à partir d'une référence explicite au "Laissez venir à moi tous les petits enfants" christique.
J'y relève le martèlement du "Mais non", et je rappelle que dans "Le Bateau ivre" le poète aurait voulu montrer des dorades aux enfants. Le poème ramène des visions pour eux.
Je vais même vous glisser au passage que le vers qu'on considère d'esbroufe du "Bateau ivre" : "Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !" et dont j'ai déjà dit qu'il ressemblait à certains passages de Lamartine a aussi un modèle très ressemblant dans un vers des Feuilles d'automne. Je vous laisse chercher si vous désirez vérifier par vous-même. Il me semble que mon article sera plus convaincant si vous attelez à lire les recueils auxquels je renvoie.

J'éviterai de vous imposer les raisonnements un peu fous par lesquels j'ose rapprocher le poème XVI de "Veillées III". Passons.
Le poème "XVII" est enfin celui des pleurs, et c'est dans ce poème XVII que je relève le passage suivant dont la valeur de modèle pour quelques strophes du "Bateau ivre" relève de l'évidence, en principe pour tout le monde, mais en tout cas pour moi :

Mais non, ces visions ne te poursuivaient pas.
Il suffit pour pleurer de songer qu'ici-bas
        Tout miel est amer, tout ciel sombre,
Que toute ambition trompe l'effort humain,
Que l'espoir est un leurre, et qu'il n'est pas de main
         Qui garde l'onde ou prenne l'ombre !

Toujours ce qui là-bas vole au gré du zéphyr
Avec des ailes d'or, de pourpre et de saphir,
         Nous fait courir et nous devance ;
Mais adieu l'aile d'or, pourpre, émail, vermillon,
Quand l'enfant a saisi le frêle papillon,
          Quand l'homme a pris son espérance !

Pleure. Les pleurs vont bien, même au bonheur ; les chants
Sont plus doux dans les pleurs ; tes yeux purs et touchants
             Sont plus beaux quand tu les essuies,
L'été, quand il a plu, le champ est plus vermeil,
Et le ciel fait briller plus frais au beau soleil,
              Son azur lavé par les pluies !

[...]
On l'aura compris, j'ai énormément de chantiers en cours et à chaque fois une énorme besogne à abattre, peu compatible avec mes occupations de la vie courante. Je vais bien évidemment confirmer que j'avais vu juste en ce qui concerne les deux poèmes "Voyelles" et "Le Bateau ivre". Je me suis posé très tôt la question de l'imprégnation des lectures faites sur notre poète Rimbaud, et j'aurai les rimbaldiens à l'usure parce que je vais rendre manifeste que Rimbaud s'est bien imprégné des passages hugoliens que je ne cesse de mettre en avant.
Je vais bien sûr relire les articles sur "Le Bateau ivre", sinon livres, et je vais mentionner les passages où les rimbaldiens entendent faire le tri dans les sources hugoliennes pour souligner qu'ils mésestiment le phénomène d'imprégnation. Je l'ai dit en 2006. Le poème "Le Bateau ivre" raconte l'adhésion du poète à la Commune, mais sur le plan des pouvoirs du poète, et cela se fait dans un dialogue nourri avec l'ensemble de la production poétique hugolienne.
J'ai même un autre idée. Je vais écrire un article où je vais expliquer de manière basique que le récit du "Bateau ivre" parle de voir un au-delà de lumière, de partir à sa recherche en poète, et que tout cela forme un archétype de poésie romantique à la Hugo, sinon à la Lamartine. Rimbaud guette des oiseaux pleins de vigueur à l'horizon, et bien puisqu'il faut en arriver à cette minutie dans l'explication on citera les passages hugoliens qui ressemblent de manière caractérisée à ce qu'écrit Rimbaud. On ne parlera pas de réécriture d'un vers, d'un hémistiche, d'une pensée. On dira : "Est-ce qu'il n'y a une ressemblance dans la démarche ?" On va devoir le faire, parce que moi j'en ai marre des gens qui ne voient pas la continuité d'époque entre les poètes.
J'ai même dans l'idée de faire un jour un article amusant sur les livres de Bénichou où je montrerai l'écart entre une définition pertinente de ce qu'est un voyant romantique pour Hugo, Lamartine, Vigny et consorts, et les lignes consacrées à Rimbaud dans le même ouvrage où tout se passe comme si ce qui avait été dit des poètes romantiques ne pouvaient pas s'appliquer à Rimbaud, alors que ça lui convient parfaitement.
Il est plus que grand temps de mettre les points sur les "i".

2 commentaires:

  1. Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir.
    Les séquences "J'ai vu" en attaque d'alexandrins sont nombreuses dans les poèmes de Lamartine, et cela concerne la 2ème Méditation intitulée "L'Homme" et d'autres poèmes encore. Bobillot a souligné par exemple le poème sur Milly (voir son livre Le Meurtre d'Orphée).
    Hugo est évidemment un continuateur de Lamartine (voir le poème des Feuilles d'automne "A M. de Lamartine"). Maintenant, dans le même recueil de 1831, le 5e poème "Ce qu'on entend sur la montagne" offre le couple de vers suivant :

    Et moi, je croyais voir, vers le couchant en feu,
    Sous sa crinière d'or passer la main de Dieu.

    Ce poème parle de deux voix celle de la Nature et celle de l'Humanité qui s'entendent sur un promontoire auprès de l'océan !!! Et vu qu'il est question d'éther sans oiseaux dans "Le Bateau ivre", j'ajoute à "la voix des flots" cette pièce :

    Et pensif, j'écoutais ces harpes de l'éther,
    Perdu dans cette voix comme dans une mer.

    Au passage, le dernier vers "Ce qu'on entend sur la montagne" "Le chant de la nature au cri du genre humain" a servi de modèle au dernier vers du "Desdichado" de Nerval, tandis que si on parle parfois, à raison et avec Verlaine, des répétitions envoûtantes de Dierx en décalage par rapport à la structure métrique, il faut remarquer la reprise "calme et silencieux" de 2e hémistiche de vers 1 à 1er hémistiche de vers 6. J'ajoute le jeu sur la syllabe "vent" de "souvent" à la rime reprise en attaque de vers suivant dans le poème XV celui sur le motif de "Laissez venir à [s]oi tous les petits enfants...
    - Ah ! mais moi, j'ai jamais lu Les Feuilles d'automne, sauf une fois vite fait !
    - Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ?

    RépondreSupprimer
  2. Pour information, je possède plusieurs éditions des Feuilles d'automne.
    On le sait, en Poésie Gallimard, après le gros volume des Odes et ballades, on a un volume réunissant Les Orientales et Les Feuilles d'automne, ce qui amène à minorer ce dernier recueil au profit du précédent, puis on a un volume réunissant Chants du crépuscule, Voix intérieures et Rayons couplés aux ombres. Mais, comme je l'ai dit, la liaison est plus logique des quatre recueils Feuilles d'automne, Chants du crépuscule, Voix intérieures, Rayons et Ombres. Et par les titres Feuilles d'automne et Chants du crépuscule se font clairement écho. Ajoutons que la préface du premier parle d'un report de poèmes dans le second recueil ce qui d'un côté renforce l'idée de les lire ensemble et d'un autre côté tend à opposer un recueil lyrique à un recueil plus politique.
    Bon, j'en arrive à une édition Collection Hetzel de 1859 chez Hachette que je possède. Hugo est en vie, il vient de sortir la première version de La Légende des siècles, et nous sommes douze-treize ans avant l'écriture des poèmes de Rimbaud qui nous intéressent.
    En clair, j'ai un couplage Les Feuilles d'automne / Les Chants du crépuscule. A noter que ce second est écrit en beaucoup plus petit sur la page de titre, il est donc minoré.
    D'après une inspection rapide, nous avons le texte des éditions actuelles et pas du tout les variantes de 1880. Il faudrait que j'enquête sur ces variantes de 1880. Qu'est-ce qu'il s'est passé. Mais au moins on sait à quel texte se référer en priorité dans le cas de l'influence potentielle sur Rimbaud.

    RépondreSupprimer