vendredi 26 novembre 2021

Les deux articles rimbaldiens de l'année 2021

L'année 2021 n'aura pas été complètement perdue en fait de publications phares sur Rimbaud. Cet été, le volume collectif Les Saisons de Rimbaud a été publié. J'en ai reçu un exemplaire gratuit en tant que collaborateur. Il s'agit des Actes d'un colloque qui s'est tenu il y a quelques années déjà, en mars 2017 je crois. Etrangement, il n'est pas rappelé que ce volume fait suite à un ensemble de conférences. L'article m'a permis d'aller un peu plus loin que ce que j'ai le temps de développer dans le temps limité d'une intervention orale. J'ai livré un article de 40 pages intitulé "Sur les contributions de Rimbaud à l'Album zutique". J'y ai fait les mises au point nécessaires sur Pommier et les sonnets en vers d'une syllabe et sur quelques autres sujets. J'ai même réussi à renouveler l'approche du "Sonnet du Trou du Cul" en montrant qu'il n'était pas une parodie du recueil L'Idole de Mérat avec une allusion à un recueil publié sous le manteau d'Henri Cantel, j'ai carrément montré que la parodie de Rimbaud et de Verlaine, concertée à l'avance, consistait à entrelacer une double parodie des recueils Amours et priapées et L'Idole, Mérat demeurant la cible parodique, mais Cantel est mobilisé parce que Verlaine connaissait la genèse du recueil L'Idole et son lien avec le recueil de Cantel. Cela donne une nouvelle mise en perspective saisissante sur la pudibonderie parnassienne de Mérat dans son recueil, et cela donne aussi un autre jour à la malignité de la réponse satirique de Verlaine et Rimbaud, vu que Mérat a visiblement dès le départ pris la mouche quant à leur relation érotique. Un truc que je n'ai pas pu mettre dans l'article, car je m'en suis rendu compte plus tard, c'est que je me demande si Rimbaud a attendu de rencontrer Verlaine pour connaître le recueil d'Henri Cantel. J'ai l'impression que les vers érotiques de "Credo in unam" ressemblent dans la conception à certains vers d'Henri Cantel, mais cela va me demander de publier une mise au point à ce sujet, car il faut que je vérifie ce qui, réellement, est de l'ordre des clichés d'époque et ce qui est de l'ordre de la réécriture probable.
L'autre idée importante de mon article qui a été saluée dans le temps de débat qui a suivi ma conférence, c'est que je montre très bien comment les poètes s'influencent les uns les autres et sont dans une émulation de groupe pour réagir promptement à la création de l'un et inventer un autre poète.
Il faut bien mesurer qu'il y a une révolution des approches rimbaldiennes qui se joue grâce à moi qui consiste à étudier la création des poèmes dans un contexte étroit, dans le fait de tenir compte de ce qu'il se passait à quelques jours près dans le quotidien des poètes. Désormais, vous voyez de plus en plus les rimbaldiens s'intéresser à ce que publiait la presse littéraire d'époque au jour le jour. Désormais, on va chercher les pré-originales de poèmes dans la presse, on va chercher à mieux prêter attention à une réédition, etc. Et on s'intéresse aussi différemment à la relation des poèmes entre eux sur le corps de l'Album zutique.
Mais, tout cela se fait encore un peu lentement.
Au début de cet article de quarante pages, je fais aussi une mise au point sur le Cercle du Zutisme et la possession de l'Album zutique. Suite à ma conférence, plusieurs intervenants ont déclaré que mes arguments étaient justes qui faisaient valoir que l'Album zutique n'était pas une création de Charles Cros, mais de Verlaine et Valade, et que c'était Valade qui possédait cet Album. Je mets en avant tous les indices en ce sens. Quant à la création du Cercle lui-même, elle est indépendante de la création de l'Album. Il s'agit d'un recoupement de deux projets. Il est possible que le Cercle soit une création des frères Cros, mais dans l'absolu nous n'en savons rien.
Mais, dans cet article, j'ai encore ajouté un développement précis.
Nous savons qu'il existe un débat sur la présence ou non de Rimbaud à Paris du temps de la Commune. Jusqu'aux années 1920 en gros, il était même plutôt admis que Rimbaud s'était rendu à Paris sous la Commune, mais on n'en a pas la preuve. Or, une personne refusait cette idée, rien moins qu'Izambard. Izambard n'a plus revu Rimbaud depuis 1870, mais il est en contact par lettres avec Rimbaud au moment de la Commune. Et Izambard prétend contre Berrichon et tout le monde que Rimbaud n'était pas à Paris sous la Commune, et il publie à cet effet la lettre du 13 mai 1871 que Rimbaud lui a envoyée. Izambard avait d'autres lettres des jours précédents comme on le sent à l'amorce de la lettre de Rimbaud et comme on le comprend en voyant Izambard expliquer qu'il a reçu plusieurs lettres auparavant. Izambard joue un jeu compliqué. Il veut démentir qu'il a eu une dispute décisive avec Rimbaud, ce que raconte Berrichon de son côté, et il est certain que Rimbaud et Izambard ne se sont plus parlés, plus écrits avant la fin de l'année 1871. La lettre du 13 mai prouve deux choses : premièrement, Rimbaud est à Charleville, une semaine avant le début de la semaine sanglante et il est clair qu'il n'écrit pas non plus de retour de Paris, deuxièmement il y a bien un échange qui se poursuit entre Rimbaud et Izambard. Toutefois, Izambard révèle tout de même une lettre compromettante puisque les propos de Rimbaud ne sont pas particulièrement agréables à entendre. Izambard n'a pas résisté à l'envie de prouver que Berrichon mentait sur un point, mais en faisant cela il a montré que Berrichon disait vrai sur la dispute entre Rimbaud et lui.
On aimerait avoir les autres lettres, et il est malheureusement clair qu'Izambard les a détruites pour ne pas avoir à passer pour un con incapable de comprendre un génie qui se lève devant la postérité.
Or, cela ne réglait pas complètement l'idée de la présence ou non de Rimbaud à Paris, et cela demeure une des grandes énigmes rimbaldiennes. Rimbaud a pu se rendre à Paris entre le 17 avril et le début du mois de mai. Toutefois, Rimbaud avait un travail le 17 avril même comme l'atteste sa lettre de ce jour-là à Demeny et il est clair qu'Izambard a reçu d'autres courriers de Rimbaud dans les jours qui précèdent le 13 mai. Nous nous retrouvons à spéculer sur un hypothétique passage d'environ dix jours à Paris de la part de Rimbaud. Et, dans tous les cas, le retour de Rimbaud à Charleville ne plaiderait pas pour une action de franc-tireur sous la Commune. Il ne reste alors qu'une seule possibilité, celle d'un Rimbaud qui serait allé à Paris au-delà du 15 mai, date de sa lettre connue à Demeny. Après tout, Izambard ne dit rien, absolument rien de ce que lui aurait répondu sans tarder Rimbaud après le 13 mai. Izambard dit qu'il a répondu par lettre, qu'il a envoyé "La Muse des Méphitiques" (poème dont les versions qui nous sont parvenues ont été en réalités composées dans les années 1880-1890), mais il ne dit rien de chronologiquement précis sur les réponses de Rimbaud par courrier, m'a-t-il semblé. [- Mathilde Semblay ? Mais qui est Mathilde Semblay ? - Je ne sais pas !] Rimbaud le dit à Demeny le 15 mai que les "colères folles" le "poussent vers Paris", et il n'est pas impossible que Rimbaud se soit rendu à Paris dans les jours qui précèdent la semaine sanglante et qu'il n'ait ensuite fait que chercher à en réchapper. Nous n'en savons rien, mais ce n'est pas impossible, et nous sommes malgré tout obligés d'envisager l'hypothèse, puisque nous avons des témoignages en ce sens, même si nous ne pouvons pas les vérifier. Il y a des rapports de police, il y a un écrit de Delahaye appuyé par Verlaine, etc. Or, à l'époque, parmi les surréalistes, il y avait une confusion sensible entre la Commune de Paris et le communisme, le socialisme marxiste, etc. En réalité, la Commune de Paris avait d'autres composantes qui dominaient, et sans doute dans le cas de gens portés sur la poésie comme Louise Michel et Arthur Rimbaud il convient de parler de théories libertaires ou anarchistes. Pour le mot "anarchistes", il y a un risque d'anachronisme, puisqu'il y a eu un groupe anarchiste terroriste dans les décennies qui ont suivi, mais Louise Michel en était proche, et le mot anarchiste en liaison avec celui de libertaire a du sens pour Rimbaud tout de même, puisque le mot "anarchisme" vient de Proudhon, auteur cité implicitement par Rimbaud dans "Chant de guerre Parisien", puis par Verlaine au sujet de Rimbaud dans sa réaction à "Jeune goinfre" sur les pages manuscrites de l'Album zutique. Il faut rappeler que les bolchéviks et les trotskystes ont massacré en Russie les libertaires. Quant à Marx, un des courants qui cherchent à le réhabiliter consiste à dire qu'après la Commune il aurait compris que la dictature du prolétariat qu'il prônait auparavant ce n'était pas la bonne solution. Mais je laisse ça à ceux qui veulent réhabiliter Marx. Le truc, c'est qu'Aragon, qui lui en plus a la mauvaise réputation d'avoir soutenu Staline par la suite, c'est dit que, de toute façon, Rimbaud exprimait politiquement des idées qui étaient les leurs (ce qui n'est pas exact), on pouvait sans peine renoncer à l'idée de sa participation physique à la Commune, et donc cette énigme, même si elle persiste, n'est pas considérée comme si importante. C'est une sorte d'article de foi selon l'humeur rimbaldienne qu'on peut avoir.
Mais si je développe tout ça, c'est que ça fait écran de fumée sur la réalité, bien attestée, du déplacement de Rimbaud à Paris entre le 25 février et le 10 mars 1871. Ce sujet est complètement traité par-dessus la jambe par les biographes rimbaldiens.
Et là, ça ne va pas du tout, ce n'est pas sérieux !
Rimbaud a passé quinze jours à Paris avant la Commune. C'est une certaine étendue de temps, et il n'y était pas pour admirer une révolution en cours, puisque la révolution n'avait pas encore eu lieu. Puis, du coup, le temps d'éveil des journées passées à Paris, il n'est pas à plein temps consacré à l'actualité politique. Il cherchait à nouveau une carrière de journaliste comme en octobre du côté de la Belgique. Mais, cette fois, il n'y a pas eu de prison à Mazas, il est arrivé à Paris, et Paris, ce n'est pas la Belgique ! Ils sont bien gentils, les belges (j'en suis un, c'est toujours écrit sur ma carte d'identité !), mais même en 2021 les belges n'ont pas une façon très littéraire de s'exprimer dans les rues. Ils sont très éduqués, ils peuvent être forts dans le raisonnement, mais le bouillon de culture, au plan de la population, des interactions dans la rue, n'est pas littéraire du tout, mais pas du tout. Les préoccupations typiques d'un belge ne sont pas littéraires. Ils sont fortement tournés vers les particularismes locaux et le bien-être général. Il peut y avoir des individualités, il y a eu Henri Michaux, mais en gros, à Charleroi ou à Bruxelles, je n'imagine pas Rimbaud, au dix-neuvième siècle, entrer dans un réseau littéraire très affiné. Là, en février-mars 1871, il était dans le seul endroit francophone où il pouvait rêver d'aller pour une carrière littéraire, car même si ailleurs en France les gens s'expriment de manière plus littéraire qu'en Belgique il n'y avait que Paris qui était envisageable pour une carrière de poète de toute façon. Il est clair que du 25 février au 10 mars Rimbaud a tourné à plein régime. Or, il cherchait à obtenir l'adresse de Vermersch, l'inventeur comme par hasard du mot "Zutisme", et je rappelle qu'il n'est pas exclu qu'il l'ait rencontré. La lettre à Demeny ne dit pas qu'il a échoué. Surtout, nous savons que Rimbaud a rencontré André Gill. La biographie de Verlaine par Lepelletier raconte même cela comme un point d'arrivée entièrement programmé de la part de Rimbaud. Vermersch et André Gill étaient tous les deux assez en vue dans la presse satirique d'époque. Nous avons la caricature par les dessins et la caricature par les mots. Nous avons aussi une approche logique de la part de Rimbaud. Il s'agit de gens qui vivent à Paris puisqu'ils publient régulièrement dans les journaux, et les contacts des journaux avec eux sont incessants. André Gill sera un membre du Cercle du Zutisme et Vermersch est le créateur du mot "Zutisme" apparemment. Il ne faut pas être spécialement intelligent pour soupçonner que la rencontre physique d'André Gill a favorisé la quête de l'adresse de Vermersch. On se contente de supposer qu'en rencontrant Gill Rimbaud a rencontré Forain, mais il y a des points un peu étranges. Forain est un ami commun de Rimbaud et de Verlaine, tandis que Gill est avec Rimbaud et Verlaine parmi les membres du Cercle du Zutisme. Si Rimbaud a rencontré André Gill dès son arrivée à Paris, pourquoi ne serait-il pas entré en contact avec d'autres futurs membres du Cercle du Zutisme dans les jours qui ont suivi ? Rimbaud citait déjà Verlaine en en faisant cas en 1870, mais dans la lettre du 15 mai à Demeny Rimbaud unit les noms de Mérat et Verlaine en tant que les deux "voyants" de la nouvelle génération de poètes. Mérat, fût-ce à son corps défendant, a fait partie lui aussi du Cercle du Zutisme. Ensuite, Rimbaud tient un discours étrange au sujet de Baudelaire. On sent qu'il louvoie : il en fait un "vrai dieu", mais après il le rabaisse en disant que la forme ne lui plaît, est mesquine, et pour soutenir son point de vue il oppose une opinion de gens qu'il a bien dû rencontrer quelque part. En clair, du 25 février au 10 mars, Rimbaud a de toute évidence rencontré un milieu parisien plus favorable à Baudelaire qu'à la première génération de poètes romantiques. Rimbaud a subi l'influence de cet enthousiasme, mais non sans réticences. Il ne faut pas être spécialement intelligent pour comprendre que la lettre du 15 mai n'est pas un pur témoignage d'admiration pour Baudelaire. N'importe qui d'intuitif voit bien qu'il y a un problème. Si Rimbaud s'est enthousiasmé tout seul, sans l'influence de quiconque, pour la poésie de Baudelaire, comment expliquer cette réaction : "oui, mais, je tiens quand même à dire que, pour la forme, vous vantez un truc qui n'est pas bon." Jamais Rimbaud ne dirait ça si réellement la pensée que Baudelaire est un vrai Dieu venait de lui et de lui seul. Il est clair, net et précis que le milieu parisien a dit à Rimbaud que Baudelaire c'était le "nec plus ultra", qu'il l'a admis, mais que, comme ce n'était pas sa pensée initiale, il a mobilisé que, jusque-là, il trouvait la forme pas terrible pour ce qu'il en avait lu. Rimbaud, il préfère dire : "Les Misérables, c'est un vrai poème." Je n'arrive pas à comprendre comment vous ne voyez pas les choses ? Comment se fait-il que vous n'ayez aucun esprit intuitif ? ça me dépasse. En tout cas, il y a un autre truc important. Rimbaud a eu aussi l'adresse de Jean Aicard, puisqu'il lui écrit en juin. Et là, c'est à nouveau bien troublant. Je pense que vous possédez tous le tome I de la Correspondance de Verlaine par Pakenham. Vous pouvez vous reporter aux extraits du journal de Blémont qui sont cités à l'occasion. Valade et Verlaine sont de plus en plus mis en contact avec Blémont, et Valade va être un des piliers de la rédaction de la revue La Renaissance littéraire et artistique avec Blémont, quelques autres, et précisément Jean Aicard.
En clair, vous avez un boulevard pour comprendre que Rimbaud a rencontré un noyau de cercle zutique entre le 25 février et le 10 mars, noyau qui faisait en plus lien avec des gens désireux de bientôt créer une nouvelle revue littéraire pour lancer de jeunes poètes.
Il est évident que, quand il y a eu la Commune, tout ça a été mis de côté. Rimbaud, ce n'est pas le 20 mai à Paris qu'il a obtenu l'adresse d'Aicard, ou qu'il a été mis en contact avec quelqu'un qui allait lui fournir l'adresse. Il faut bien comprendre les données du problème. Imaginer Rimbaud à Paris sous la Commune, ça alimente la représentation légendaire, idéalisée du poète, cela peut permettre d'envisager l'hypothèse d'une rencontre d'individu à individu entre Rimbaud et Verlaine. Je ne dis pas que c'est le cas, mais je dis que c'est le cadre de réflexion qui se poserait ainsi. Mais, sous la Commune, et a fortiori, aux approches de la Semaine sanglante, Rimbaud n'a pas créé un réseau de relations littéraires. En revanche, cela est mille fois concevable pour la période du 25 février au 10 mars, sauf que les rimbaldiens et les biographes n'ont pas considéré cela comme important, parce que c'était plus fascinant d'imaginer le poète sous la Commune qu'à Paris comme un mendiant. Et là, ils ratent complètement l'intérêt du séjour du 25 février au 10 mars. Ce séjour est idéal pour expliquer toutes les billes que Rimbaud a pu planter pour de fil en aiguille monter à Paris le 15 septembre 1871. [- Planter des graines, placer des billes, tss, t'es nul, tu mélanges les métaphores.]
Et Valade est une probable rencontre de Rimbaud à cette époque-là. Les frères Cros à cette époque-là sont eux aussi très proches des Mauté d'ailleurs, et "Le Hareng saur" lié à Cabaner serait une composition de cette époque-là aussi. Mais Valade était régulièrement avec Verlaine, et même si vous voulez vous obstiner à dire qu'on n'a de preuve d'une rencontre soit de Verlaine, soit de Valade, je suis désolé, mais Valade c'est une pépite pour la recherche rimbaldienne. Ce gars-là a-t-il oui ou non été en contact avec Rimbaud du 25 février au 10 mars. C'est ça le vrai sujet. Verlaine, je pense que Rimbaud l'a rencontré bien sûr, mais il est déjà sous les feux des projecteurs. Cependant, Valade il n'est pas sous le feu des projecteurs, et il a l'intérêt de présenter certains avantages par rapport à Verlaine. Valade permet d'expliquer l'idée que Mérat et Verlaine soient associés en tant que voyants. Qui mieux que Valade peut prôner l'admiration commune de Mérat et Verlaine ? Valade est plus étroitement lié à La Renaissance littéraire et artistique que Verlaine, et donc il pourrait être plus que Verlaine lié à Jean Aicard à l'époque. Le 2 mars 1872, selon Lepelletier, c'était Jean Aicard qui a été interrompu lors d'une récitation par Rimbaud, ce qui n'est pas prouvé et peu importe. En revanche, parmi ceux qui ont fermé l'accès aux dînes des Vilains Bonshommes, Lepelletier ne cite que deux noms : Mérat et "le doux Valade". Lepelletier cite Valade en tant qu'ami de Mérat qui refusera d'être sur le Coin de table de Fantin-Latour, me dira-t-on. Mais ce n'est pas suffisant. Le but de Lepelletier est de citer des gens réprouvant la présence de Rimbaud. Pourquoi citer "le doux Valade" ? On comprend déjà que Valade qui se vantait d'être le "saint Jean-Baptiste sur la rive gauche" pour l'introduction de Rimbaud à ces dîners est cité qu'impliqué. Valade était quelqu'un de tenu responsable des invitations de Rimbaud à ces dîners. Et il ne faut pas raisonner en se disant "la boucle est bouclée", Lepelletier cite Valade parce que celui-ci comme il s'en est vanté a introduit Rimbaud avec Verlaine à ces dîners. Une fois qu'on a ces éléments en mains, on sait qu'il faut chercher plus loin. Valade était quelqu'un qui misait sur l'avenir littéraire de Rimbaud. L'incident du 2 mars a remis en cause son travail de chapeautage, tout simplement.
Mais, au-delà des contacts littéraires, il y a l'idée que les échanges à Paris du 25 février au 10 mars ont impliqués des réactions autour de poèmes. Dans mon article pour le volume collectif Les Saisons de Rimbaud, je mets en place l'idée que l'esthétique zutique est décisive pour comprendre les poèmes qui accompagnent les lettres dites "du voyant" envoyées à Izambard et Demeny.
"Le Cœur supplicié" est un poème en triolets enchaînés, ce qui renvoie à Banville et Daudet. Le poème "Accroupissements" est un poème en quintils hérité de Baudelaire avec d'autres allusions précises à Baudelaire au plan des césures et des comparaisons. Des allusions à Daudet percent dans le poème "Mes Petites amoureuses".
Je n'ai pas développé cela dans mon article sur les contributions, mais tout récemment vient de sortir le nouveau numéro 60 de la revue Rimbaud vivant, dans lequel j'ai publié un article intitulé "La Versification tactique", article de trente pages cette fois. J'y mets en place de nouvelles révélations essentielles sur la composition de plusieurs poèmes de Rimbaud, et tout cela est étroitement lié à la question zutique comme vous vous en apercevrez rapidement en le lisant, et j'y traite à nouveaux frais de la question des références à Daudet, Glatigny, Banville et Musset dans "Mes petites amoureuses" et "Le Cœur supplicié", en renforçant à nouveau la plausibilité de soirées zutiques parisiennes vécues par Rimbaud entre le 25 février et le 10 mars. Et ça, c'est génial, et c'est pas dans la biographie Arthur Rimbaud publiée chez Fayard en 2001, ni ailleurs. Et ce n'est pas un Rimbaud précieux et décadent qui se dessine, on n'est pas dans l'évanescent du copain de Germain Nouveau. On n'est pas dans du Des Esseintes et du Huysmans. Là, on découvre que les rimbaldiens qui daubent superbement la lecture de Banville, de Valade, pour préférer Germain Nouveau, les symbolistes, etc, les héritiers de Rimbaud, ben ils n'ont pas compris le rimbaldisme, ils n'ont pas compris comment lire Rimbaud. Ils sont passés à côté de l'essentiel. Là, on touche de plus en plus à du concret. Tu lis Glatigny, tu lis Banville, tu lis Daudet, tu lis Coppée, tu compares avec Rimbaud, il se passe quoi ? Puis, enfin, on a des réécritures précises de Baudelaire dans des poèmes en vers de Rimbaud : "Accroupissements" et "Oraison du soir", alors qu'on a aucune trace de réécriture aussi nette d'un texte de Baudelaire dans les cas du "Bateau ivre", de "Voyelles" et de "Mémoire". L'influence du sonnet "Les Correspondances" est sensible, mais ne se ressent que de loin en loin. Quant aux influences du "Voyage" sur "Le Bateau ivre" et à plus forte raison du "Cygne" sur "Mémoire", il faut se lever tôt pour prouver qu'elles sont prégnantes et décisives. Là, on a des amorces autrement plus solides du côté de "Accroupissements" et "Oraison du soir". Il faudrait que j'y ajoute "Les Sœurs de charité", mais ça fait des années que j'en parle et je n'ai jamais rien publié, j'avoue. Mais bref, cette fois on a des réécriture immédiates au plus près des textes de Baudelaire. Et bien évidemment j'identifie un indice d'une lecture d'un poème inédit des Epaves dans "Accroupissements" qui permet aussi de relier l'admiration de Baudelaire à un très haut degré de probabilité d'une lecture de la partie censurée et impubliable de ses vers à des soirées zutiques en compagnie de Valade et Verlaine en mars 1870. Cela va bien évidemment de pair avec l'idée du voyant maudit par la société.
A bon entendeur !

[Si vous avez lu cet article jusqu'au bout, mettez "Mathilde Semblay" en commentaire.]

2 commentaires:

  1. Réponses
    1. D'abord, c'est être un pervers narcissique qui est mal, ensuite je suis narcissique par la force des choses, na !

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