lundi 27 août 2018

Voyelles, la lumière

Il y a de quoi être sombre et amer au sujet des "Voyelles", tant le public ne veut pas comprendre.
Il faut dire que vous, gens qui me lisez, vous êtes à peu près tous fautifs, vous ne faites pas de publicité à cette lecture et si vous publiez vous taisez ce que vous savez d'important.
Pour des raisons d'amour-propre, les gens qui ont déjà publié ne diront pas que j'ai raison, et, d'un autre côté, le public va s'appuyer sur un consensus mou et accommodant selon lequel nous ne saurons jamais la vérité, puisque cela fait un siècle et demi que ça traîne, et puisqu'aucune lecture n'a su s'imposer, les rares qui ont été admirées ont fini par passer pour ridicules, les plus fouillées, c'est-à-dire les miennes, laissant les intellectuels froids et indifférents.
J'y reviens pourtant, sachant que j'ai gagné le combat depuis longtemps. Le temps joue pour moi, la mauvaise foi s'éclipsera, me privant certes au passage d'une normale reconnaissance, mais pour ce qui est de la lecture elle sera présentée comme une évidence dans moins de trente ans désormais.
C'est un peu dommage pour les lecteurs honnêtes actuels qui, presque tous apparemment, ignorent l'existence de mon travail.
Personnellement, je pense que l'intelligence c'est aussi de savoir rendre les armes avant de passer pour un con.
Donc, reprenons.

Le poème "Voyelles" a pour sujet une association de lettres et de couleurs. Les lettres renvoient à l'alphabet graphique. Il ne s'agit pas d'un alphabet phonétique, il s'agit de l'alphabet graphique de 26 lettres, mais cela n'empêche pas de considérer que les lettres supposent la réalité de phonèmes. Cette nuance permet de minimiser l'idée d'un jeu oral sur le A qui serait l'interjection "Ah!", etc.
Nous avons les cinq voyelles de l'alphabet graphique : A E I O U. Le Y est exclu pour deux raisons. D'abord, sa prononciation "I grec" ne serait pas très heureuse dans un poème ; ensuite, ce n'est qu'au vingtième siècle qu'on a pris l'habitude d'inclure systématiquement le Y parmi les voyelles. Bien sûr, le poème se termine par un mot dont l'initiale est un "y", et ce "y" est sous forme de majuscule dans la copie autographe. Rimbaud en était à l'évidence conscient, mais ce n'est vraiment pas la subtilité essentielle. Pour un lecteur de l'époque de Rimbaud, la mention des cinq voyelles a un caractère exhaustif et l'interversion du U et du O confirme ce caractère exhaustif par une autre allusion à l'idée de totalité, par une allusion à un autre alphabet graphique, puisqu'on songe à la formule de l'Apocalypse : "l'Alpha et l'Oméga".
Pour les cinq couleurs, l'ensemble a l'air aléatoire et partiel. Nous avons le couple bien construit du noir et du blanc, puis un choix de trois couleur : bleu, rouge et vert. Pour retrouver un caractère exhaustif, il suffit de se référer à la théorie des couleurs primaires en optique, théorie développée par Helmholtz quelques années avant l'écriture de ce sonnet par Rimbaud.
Maintenant, il faut passer au plan du mystère du poème.
Les cinq couleurs sont des variations de la lumière. On dira que le noir est l'absence de lumière, mais gardons à l'esprit que les mouches sont "éclatantes". Associées à des lettres de l'alphabet, les couleurs sont inévitablement un langage de lumière. En même temps, les couleurs sont une marque d'embellissement du monde. Il s'agit donc d'une célébration. Enfin, si Rimbaud ne célèbre par le Dieu de la culture chrétienne qui est la sienne, il célèbre la lumière, et cela doit nous avertir que le poème n'est pas non plus satanique. Satan n'est plus Lucifer, celui qui porte la Lumière, il est l'homme perdu dans l'ombre. Or, dans "Credo in unam", la lumière est du côté d'une antiquité païenne, du côté d'une Vénus qui s'oppose au martyre chrétien.
C'est la base. Rimbaud reprend une idée johannique de la Lumière Verbe divin, mais il la retourne contre la religion. Cette idée de Lumière Vebre divin est présente dans l'oeuvre de Victor Hugo, mais elle l'est aussi chez d'autres écrivains romantiques.

Passons à l'étude des associations autour des cinq lettres maintenant.
Le noir est lié comme prévu aux "ombres", mais il est aussi l'expression d'une lumière diffuse, contenue, mystérieuse et imperceptible. Les "mouches" sont éclatantes.
Le blanc est inévitablement lié à la puissance du soleil qui découvre les cimes terrestres et les fleurs. Et cette puissance solaire suggère encore la création de l'or, but ultime des alchimistes, puisqu'il est question d'alchimie et de "fronts studieux" au vers 11 du sonnet.
Le rouge varie en "pourpre(s)". Or, la pourpre est associée par les poètes à la gloire du soleil.
Le vert représente inévitablement l'étendue terrestre et maritime quand elle est exposée au jour.
Le bleu enfin qui varie en violet renvoie à un ciel qui peut être d'azur, mais qui peut être bleu de nuit également.
En tout cas, les plans du U vert et du O bleu sont fonction de décors précis.
Dans la tradition littéraire, nous identifions cinq sens. La vue et l'ouïe sont les deux sens les plus importants et nous nous y référons constamment.
Dans les tercets, nous avons deux mentions clefs du corps, les fronts et les yeux. Il s'agit donc bien d'un poème de recueillement et révélation. Le front et les yeux supposent inévitablement l'activité mentale et spirituelle.
Le tercet du U vert désigne clairement son objet : des "cycles" de vie apaisants pour les "mers", les "pâtis", les "animaux" sous le regard observateur de vieux sages qui y trouvent une harmonie rassurante. Il est bien question de la Nature et il s'agit bien encore de l'accepter telle qu'elle est.
Le tercet du O implique clairement un plan céleste. Il est question du Jugement dernier, d'un mystère de la mort, mais d'un mystère transcendantal avec son plan céleste. Le poème s'intitulant "Voyelles", le mot rare "strideurs" implique les striures lumineuses du ciel comme autant de signes à interpréter. La contemplation du ciel comme mystère appelle inévitablement l'idée des "silences", rappel de l'inquiétude métaphysique de l'Homme. Les anges sont eux des êtres de lumière, des êtres qui en plus chantent la gloire de la divinité suprême, voir des anges c'est entendre des chants, là encore on perçoit l'important recoupement entre voyelles et couleurs au plan métaphorique. Et, pour citer "Eloa" de Vigny, les anges tirent des mondes du chaos. Il n'est même pas besoin de lectures ésotériques spécialisées pour envisager cela. Si nous poursuivons le rapprochement avec "Eloa" de Vigny, les anges sont des êtres de lumière et il y a une sorte de déclinaison jusqu'aux moins lumineux qui eux-mêmes n'approchent de la région sombre où a chuté Satan.
Tout cela, c'est des connaissances culturelles de base pour un chrétien.
Evidemment, en érotisant le regard de la divinité, Rimbaud subvertit le cadre de mystique chrétienne de son poème.
Les tercets du U vert et du O bleu ne posent pas de difficultés réelles de lecture, à cette réserve près qu'il y a aussi une allusion aux martyrs de la Semaine sanglante. Mais, si on laisse de côté cette référence, le sens mystique est des plus clairs. Je n'aurai qu'à compléter cela de considérations sur les parallèles entre séries tout à l'heure.
Reprenons maintenant les cas du A noir, du E blanc et du I rouge.
Il est évident que la succession du A noir et du E blanc suggère un passage de l'ombre à la lumière, de la nuit au jour, sentiment renforcé à la lecture avec le rejet de quatrain à quatrain et du coup la forme très particulière du premier hémistiche du vers 5 : "Golfes d'ombre, E, candeurs...", puisque c'est un cas unique de poème où le passage d'une couleur à une autre ne s'effectue pas en fin de vers, sinon de quatrain ou tercet. La fin du "E blanc" est à la rime du vers 6, la fin du "I rouge" est à la rime du vers 8, au bout du second quatrain, la fin du U vert est au vers 11, toute fin du premier tercet, et la fin du O bleu termine le poème, donc le vers 14 et le second tercet. Le A, le I, le U, le O commencent tous au début d'un vers, sinon d'un quatrain ou d'un tercet : A début du vers 3, I, début du vers 7, U, début du premier tercet, O début du second tercet. Il y a bien une singularité à faire se terminer le A noir et commencer le E blanc au beau milieu d'un hémistiche.
Qui plus est, si nous remettons en cause l'idée traditionnelle selon laquelle "Voyelles" aurait été composé en 1871 pour lui préférer une datation plus plausible proche des "Mains de Jeanne-Marie", daté de février 1872 par Verlaine, on se rapproche du célèbre poème "L'Eternité" dont je dénonce depuis longtemps qu'il soit envisagé comme coucher de soleil, alors qu'il est à l'évidence question d'une aurore "Nul orietur [nul il naîtra, prière du matin]" "De la nuit si nulle / Et du jour en feu", etc.
Le "A noir" ne décrit pas un spectacle nocturne pour autant. En fait, les mots clefs en sont "golfes" et "corset". Si on résume les deux associations, le A noir est corset ou golfes. Il s'agit donc du noir intime de l'intériorité partiellement soustraite au regard. Le "noir corset velu" est celui malgré de "mouches éclatantes", et les "golfes d'ombre" ont leur beauté, leur mystère, offrent de toute façon un spectacle à voir.
Mais justement, j'ai déjà parlé du U vert et du O bleu, je peux d'ores et déjà comparer ces trois séries dans le présent commentaire. Or, l'éclat sur le corps noir des mouches est comparables aux strideurs mystérieuses du plan céleste du O bleu. Ces Anges qui traversent le ciel en suscitant sont l'équivalent de mystère de ces petites mouches éclatantes qui cachent la vie dans leur corset velu... Ces mouches qui se nourrissent de cadavres dans les "puanteurs cruelles" ont à voir, qu'on le veuille ou non, avec les cycles de la vie des animaux qui paissent dans les pâtis du "U vert". Et je pourrais encore rapprocher les creux des "golfes d'ombre" et des "mers virides" pour suggérer l'idée de bien des "Mondes" qui traversent notre réalité humaine quotidienne.
Face à ce A noir d'intériorisation de la vie, il y a l'éclat du E blanc. Et là, dans le poème, il est très clairement question de la lumière du jour. Le passage du noir au blanc au milieu d'un hémistiche n'est pas la seule preuve. Les vapeurs supposent aussi cette altération de la nuit au jour, mais le blanc dans les associations du poème est appliqué classiquement à des éléments de décor qui s'exposent au soleil : des sommets montagneux pour les glaciers, des fleurs et des tentes.
Ce qui empêche les lecteurs de s'y retrouver, c'est que le corset et les golfes ne renvoyaient pas nécessairement à la nuit et il en ira de même avec les associations du rouge.
Le rouge, je vais en parler plus loin, mais il y a quand même la mention "pourpre" que je vais récupérer, car c'est un terme de transition entre le E blanc et le I rouge.
Prenons la section "Livre mystique" des Poëmes antiques et modernes de Vigny. Cette section contient trois pièces : "Moïse", "Eloa" et "Le Déluge". La première est qualifiée de "Poème", les deux autres de "Mystère". Vigny a eu les honneurs à Londres d'une conférence par le réfugié communard Eugène Vermersch qui n'a pas appliqué un refus sectaire du poète légitimiste, proche du second Empire même.
Prenons les premiers vers de "Moïse":

Le soleil prolongeait sur la cime des tentes
Ces obliques rayons, ces flammes éclatantes,
Ces larges traces d'or qu'il laisse dans les airs,
[...]
La pourpre et l'or semblaient revêtir la campagne.
[...]
Je n'ai cité que quatre des cinq premiers vers du recueil et je précise que je ne parle pas d'une source d'inspiration pour "Voyelles". Qu'est-ce que j'observe ? J'ai "tentes" et "éclatantes" à la rime, deux mots à la rime également dans "Voyelles". Au lieu de "flammes éclatantes" du soleil, on a des "mouches éclatantes". Et, pour les tentes, dans un cas elles sont éclairées par le soleil couchant, dans l'autre cas elles sont d'une blancheur qui attire l'oeil, ce qui suppose là encore un éclat du soleil. Deux fois, le mot "or" apparaît dans les cinq vers dans Vigny, Rimbaud évoquant plus discrètement cette matière noble par le recours au mot "alchimie". J'observe que l'idée de "pourpre" sert à caractériser la lumière du couchant en compagnie de l'or et qu'il est question d'une revêtement de couleurs pour la campagne.
Vous pouvez m'expliquer pourquoi je suis le seul à voir que les mots dans le poème de Vigny sont les mêmes que dans "Voyelles" parce que c'est tout simplement les mêmes images caractéristiques d'une description d'un bain de lumière ?
Rimbaud n'est même pas allé chercher midi à quatorze heures.
Et ces cinq vers sont ceux d'un poème intitulé "Moïse", grande figure de voyant dans La Bible, ce qui nous vaut le ramassé "Il voit ;" à l'attaque du vers 23. Et ce sage est bien sûr caractérisé par son front, Vigny n'ayant pas attendu Hugo pour le faire, puisque nous pouvons encore citer les vers 35-36 :

Lorsque son front perça le nuage de Dieu
Qui couronnait d'éclairs la cime du haut lieu,
sachant que cette seconde séquence du poème, se termine au vers 44 par un "hymne du Roi des Rois" avec de belles majuscules. Je ne parle pas d'une source au sonnet de Rimbaud, je parle de rencontres obligées, parce que les deux poètes jouent à élaborer une célébration de la lumière en relation avec l'idée de transcendance divine selon un patron biblique.
Le poème "Eloa", d'une certaine étendue, contient maintes allusions aux Anges en tant qu'êtres de lumière. Je l'ai dit plus haut : "Et tous les Anges purs [...]Et tout ce que le Ciel renferme d'habitants", "les purs Esprits, enfants de la lumière," etc. Mais ce n'est pas tout. Appréciez ce petit passage sur le Colibri de la Louisiane (deux diérèses dans la citation qui va suivre) :

Ainsi dans les forêts de la Louisiane,
Bercé sous les bambous et la longue liane,
Ayant rompu l'oeuf d'or par le soleil mûri,
Sort de son lit de fleurs l'éclatant Colibri;
Une verte émeraude a couronné sa tête,
Des ailes sur son dos la pourpre est déjà prête,
La cuirasse d'azur garnit son jeune coeur ;
Pour les luttes de l'air l'oiseau part en vainqueur...
Il promène en des lieux voisins de la lumière
Ses plumes de corail qui craignent la poussière ;
[...]

Après les "mouches éclatantes", "les flammes éclatantes", "l'éclatant Colibri"! On a bien un spectacle de lumière à chaque fois. Ce Colbiri n'est pas dans les "ombelles", mais dans les "fleurs". Son oeuf, l'équivalent de sa tente initiale, est "d'or mûri par le soleil", voilà pour l'éclosion au grand jour, et il ne manque même pas l'idée d'une "pourpre" que rehausse bien sûr l'éclat du jour. Le spectacle est... coloré, eh oui !
Vous permettez que je vous cite ce vers du poème "Le Déluge" au sujet de la Terre illuminée par le soleil :

La vois-tu s'embellir de toutes ses couleurs ?

L'idée morale de la candeur associée au blanc se rencontre dans plusieurs poèmes de Rimbaud, c'est aussi un lieu commun hugolien. Vigny, dans "Eloa", mais aussi dans d'autres poèmes, "La Femme adultère" en tout cas, joue lui sur la vision colorée de la pudeur. Un exemple dans "Eloa" :

Rose du Paradis ! Pudeur, d'où venez-vous ?

Là encore, pas question d'y voir une origine à l'image de Rimbaud. Ce qu'il faut admettre, c'est que "candeurs des vapeurs et des tentes", c'est une expression qui s'appuie sur un fond culturel assez facile à cerner. Les "vapeurs" sont des phénomènes atmosphériques qu'on peut traiter sous divers aspects, il y a un "lit de vapeurs" dans "Eloa", mais ces vapeurs sont celles de la naissance du jour, l'effet d'un réchauffement du sol, dans "Voyelles".
Pourquoi Rimbaud a-t-il choisi l'idée de "tentes", puisqu'à son époque on vit plutôt dans des maisons ? Le mot "tentes" a le mérite de la rime avec "éclatantes", le mérite de l'habitat antique, en sachant qu'à l'époque de Rimbaud on n'en était pas encore à remettre en cause le mythe d'une humanité dans sa jeunesse au cours de l'Antiquité, dans sa vieillesse à l'époque moderne. Aujourd'hui, nous avons des connaissances scientifiques autres. Nous concevons qu'avant d'être des humains nous avons été des primates et auparavant des espèces de lémuriens et encore bien avant des espèces de souris, et encore bien avant des reptiles mammaliens, et encore bien avant des poissons, etc., etc. Pour nous, l'idée que l'humanité était jeune dans l'Antiquité n'a plus aucun sens. C'est une absurdité qu'on accueille dans notre héritage culturel. Elle est mobilisée par Vigny dans la Note qu'il avait placée entre "Héléna" et l'ensemble du recueil tel qu'il avait été initialement publié en 1822 sous le titre Poèmes.
Mais il faut en avoir conscience de ce préjugé culturel quand on lit "Voyelles", tout simplement !
Je pourrais citer bien des vers de Victor Hugo où le jour touche la cime des montagnes, éveille les fleurs. J'ai déjà dit que la "fleur qui me dit son nom" dans "Aube" s'expliquait par le reflet de la lumière et par une référence au poème "Stella" de Victor Hugo quand l'étoile dit que l'étoile est sa soeur.
Les mêmes images se rencontrent inévitablement dans les trois poèmes du "Livre mystique" du recueil de Vigny.

Dans "Eloa" puis "Le Déluge", je relève encore les passages suivants :

Le vermisseau reluit ; son front de diamant
Répète auprès des fleurs les feux du firmament,
Le jour avait encor cette même lumière
Qui du Ciel embelli [...]
Et, je cite l'extrait suivant un peu artificiellement dans mon article, mais au moins parce qu'il a la beauté de transposition de vers hugoliens :

Quand du mont orageux ils touchèrent la cime,
La camapgne à leurs pieds s'ouvrit comme un abîme.
Voici maintenant des citations du poème "La Femme adultère" qui ne fait pas partie du "Livre mystique", mais du "Livre antique" :

Quand le soleil levant embrasa la campagne
Et les verts oliviers de la sainte montagne,
[...]
Tandis que de sa tente ouvrant la blanche toile,
Le pasteur qui de l'aube a vu pâlir l'étoile
Appelle sa famille au lever solennel,
Et salue en ses chants le jour et l'Eternel ;
[...]
En confrontant les associations du "E blanc" à de telles citations, sachant que j'en ferais de bien plus nombreuses encore en puisant dans Hugo, avez-vous toujours autant de mal à lire une référence au dévoilement des choses par la lumière du jour dans les associations du E blanc: oui, un peu, beaucoup, pathologiquement, pas du tout ?
 Je cite intégralement les vers 5 et 6 de "Voyelles", puis le début du vers 7 :

Golfes d'ombre, E candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpre, [...]
Si vous n'y arrivez pas, vous pouvez arrêter de lire Rimbaud : ce n'est pas fait pour vous. Mais rassurez-vous, il y a d'autres belles choses dans la vie...
Ce qui se passe, c'est que Rimbaud, sans être forcément compliqué, ne produit pas une suite sur les apparences du jour et de la nuit. Le "A noir" avait un rapport avec la nuit, mais ce n'était pas la nuit, c'était la lumière intérieure guettée dans l'ombre, c'était la matrice du corset et des golfes. Le E blanc, lui, c'est clairement le dévoilement par la lumière du jour. Le jour apparaît et frappe les tentes, les hauts glaciers, révèle les fleurs. A la limite, vous ne serez pas convaincus que les "rois blancs" doivent se comprendre comme une apposition à "glaciers fiers", mais la série "vapeurs", "tentes", "glaciers", "ombelles" fait de toute façon pression pour que vous compreniez que ces "rois blancs" ont une royauté d'exposition à la lumière. Qu'est-ce que vous croyez ? C'est simple. Vous allez chercher l'intertexte à "rois blancs", vous ne seriez pas un peu givrés, ma parole ? Oh ouais, on va recenser toutes les mentions "rois blancs", c'est parti : tagadap tagadap tagadap tagaclop tagaclop ah non je reprends tagadap tagadap tagadap...
Et, comme le A noir était matrice, le E blanc, sur la tente ou les pétales de fleurs, ben c'est un peu l'idée du Colibri, c'est le rayon qui fait éclore l'oeuf...
Enfin, le rouge, son motif, c'est très simple. Le spectacle du ciel embrasé au couchant n'est pas que pourpre, c'est un spectacle de sang, et le sang est le mot clef des associations du "I rouge". Le mot "sang" est carrément offert, livré en pâture à l'exégèse, à la césure avec rejet du vers 7 : "sang" hop je me concentre sur ce monosyllabe et je franchis la césure "craché". Le "sang" il anime le rire comme la colère, il monte en nous avec les "ivresses" et les peines. On a beaucoup mieux que le noir de la nuit, le blanc du jour, le rouge d'éclat solaire du soleil qui continue de se lever à l'horizon, et j'ai depuis longtemps déjà remis à plat ma lecture de 2003 où je voyais "Voyelles" comme une aurore. Je vois maintenant un poème sur la lumière des couleurs, mais en l'associant à des idées fortes très précises : "matrice", "éclat du jour sur les coquilles", "sang qui jaillit dans les luttes et les joies". Comme l'opposition des tercets est d'évidence celle du sublunaire et de la transcendance céleste, ben j'ai tous les éléments premiers du système...
Et puisque je prenais pour support de mes citations quelques poèmes de Vigny, je peux faire retour sur les images du dernier tercet. Je précise toujours que je ne parle pas de sources ou d'intertextes, mais d'éléments à rapprocher à la lecture pour se dire que, merde!, "Voyelles"est un poème qui a l'air hermétique, qui est puissant et original, mais qui fait son chemin en véhiculant des tas de lieux poétiques communs. Car, à part moi, qui lit les recueils de Vigny, de Victor Hugo, de Lamartine, de Leconte de Lisle, de Banville, de Gautier, de Dierx, etc., etc., et j'ai même envie de dire de Rimbaud ou Verlaine ? Et j'ai lu quantité de fois plusieurs de leurs recueils, quantité de fois ! Il n'est que trop évident que je sais de quoi je parle quand je dis que les images de "Voyelles" ne sont pas déroutantes pour quelqu'un qui s'est familiarisé avec la poésie du dix-neuvième siècle.
Voici un passage du poème "Eloa" où il est question du "front" et surtout des "yeux" :

Son front est inquiet ; mais son regard s'abaisse,
Soit que sachant des yeux la force enchanteresse,
Il veuille ne montrer d'abord que par degrés
Leurs rayons caressants encor mal assurés,
Soit qu'il redoute aussi l'involontaire flamme
Qui dans un seul regard révèle l'âme à l'âme.
[...]

Voici d'autres citations du même poème sur le silence de la nuit, bien sûr avec un traitement qui n'a rien à voir avec celui de Rimbaud :

Je leur donne des nuits qui consolent des jours,

Je le laisse, orgueilleux des bruits du jour vermeil,
Cacher des astres d'or sous l'éclat d'un Soleil,

Moi, j'ai l'ombre muette [...]

Le silence la suit [...]
L'ombre écoute un mystère avec recueillement.

Des Anges au chaos allaient puiser des mondes.

Surtout, ne voyez pas Satan dans "Voyelles", puisque justement l'appel à la lumière s'oppose au traitement du poème de Vigny. Mais comprenez le fond métaphysique de "Voyelles", je vous citerais des tonnes de vers de Victor Hugo...
Citons ces vers-ci du poème "Le Déluge" :

Les peuples déjà vieux, les races déjà mûres,
Avaient vu jusqu'au fond des sciences obscures ;
Les mortels savaient tout, et tout les affligeait ;
[...]

Comment ai-je connu le secret des étoiles ?

La mort de l'Innocence est pour l'homme un mystère,

et je termine par cette citation de "La Femme adultère" où il est question de Djizeuss :

Son doigt mystérieux, sur l'arène légère,
Ecrivait une langue aux hommes étrangère,
En caractères saints dans le Ciel retracés...
[...]

Si, après ça, vous ne comprenez toujours pas, au moins; la visée de sens de "Voyelles", moi, je n'ai plus qu'une énigme à résoudre, c'est la suivante : Pourquoi êtes-vous si bêtes ? Pourquoi ?

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