Plusieurs activités, et en particulier ma contribution au colloque rimbaldien à Paris vers la mi-mars, font que la rédaction d'un article sur Les Vagabonds de Mario Proth ne pourra se faire avant la fin du prochain mois. L'ouvrage de Mario Proth est de très mauvaise qualité, mais j'ai plusieurs raisons de penser que le très jeune Rimbaud a médité cet ouvrage qui lui serait passé entre les mains. Le mot "abracadabrantesques" est l'argument massue. Je n'ai pas trouvé cela, mais j'en tire les conclusions. C'est pour cela que par acquis de conscience je souhaite consulter les dictionnaires d'Alain Rey pour m'assurer que, malgré sa petite vidéo très confuse qu'il a mise en ligne, la forme du mot sous la plume de Mario Proth est la seule antérieure à Rimbaud qui nous soit parvenue à ce jour. Dans mon travail de chercheur rimbaldien en général, je suis sensible, du point de vue de la méthode, et à l'économie des moyens, le rasoir d'Ockham, et à la convergence d'indices multiples. Le mot "abracadabrantesques" n'est attesté avant Rimbaud que sous la plume de Mario Proth, et ce mot n'est pas du patois, un mot ancien insoupçonné ou une création simple: il s'agit de la rencontre des adjectifs "abracadabrant" et "abracadabresque". Il n'y a eu qu'un seul inventeur de ce mot, et non deux. L'antériorité de Proth prive Rimbaud du titre d'inventeur de ce mot et Rimbaud visiblement n'a pratiquement pu connaître que cette seule occurrence. A cela s'ajoute le statut de douaisien de Mario Proth. Douai est une ville où Rimbaud a participé à des manifestations politiques, a rencontré un poète édité Paul Demeny, a séjourné quelque temps et, autre cas d'intérêt pris pour une notoriété locale, Rimbaud a eu vent d'une gloire douaisienne Marceline Desbordes-Valmore qu'il a fait mieux apprécier à Verlaine par la suite. Et notons encore que et Izambard et Demeny, destinataires chacun d'une version du poème, sont liés à la ville de Douai. Passons au contenu du livre de Mario Proth. Je ne développe pas pour l'instant de considérations critiques, je me contente de livrer ce qui me fait dire que Rimbaud s'en est servi. Notre poète ardennais est alors âgé de 16 ans et demi. Il n'a pas lu tous les classiques de la Littérature française comme tant de gens semblent le lui concéder. Nous cherchons à tâtons ce qu'il a bien pu lire. Il n'a pas lu non plus la critique littéraire surabondante du vingtième siècle et les mises au point nombreuses sur lesquelles nous nous appuyons aujourd'hui. En revanche, Rimbaud a lu des ouvrages de son siècle, de la littérature de second ordre et il a lu des analyses littéraires de son époque, selon ce qui pouvait bien lui tomber sous la main. Personnellement, en fait de critique littéraire, à l'âge de Rimbaud, j'en étais à la série Lagarde et Michard. Je ne les décrie pas comme c'est devenu la mode, mais ce ne sont pas des ouvrages universitaires pointus. Or, si nous revenons à Rimbaud, celui-ci n'étudiait pas tellement les livres de son siècle sur les bancs de l'école. Il n'était pas imaginable de lire "hugot" en classe, nous le savons. Malgré ses lectures personnelles, comment Rimbaud pouvait-il avoir une idée de l'évolution de la Littérature autrement que par l'accès à des livres qui développaient une thèse sur l'histoire de la Littérature ? La lettre du 15 mai 1871 ne peut être nourrie de réflexions personnelles à partir de vastes lectures, elle est nourrie d'une confrontation des quelques ouvrages d'histoire littéraire qui lui sont passés entre les mains. C'est le cas apparemment du livre de Mario Proth avec sa thèse des écrivains vagabonds, puisque nous observons la présence du mot "abracadabrantesques" et le caractère douaisien de cette publication, mais aussi parce que la lettre du 15 mai 1871 surenchérit sur le projet du livre de Mario Proth avec une histoire de la littérature complètement échevelée. Précisons que le mot "voyant" est employé par Mario Proth à la fin de son ouvrage et que Paul Demeny a publié un recueil dont le titre au pluriel est Les Voyants peu après le passage de Rimbaud dans sa vie. Rimbaud emploie une expression "faire son Rolla" qui est reconnue comme sienne. Or, l'évocation de Rolla revient sans arrêt dans le livre de Proth et il utilise aussi une expression similaire pour dire que plein d'écrivains cherchent à écrire leur Rolla, il y a le même jeu avec le déterminant possessif.
Peu importe que la thèse de Mario Proth soit dérisoire, peu convaincante. Le tableau enthousiaste de la lettre du 15 mai 1871 n'est-il pas réputé excessif, naïf, illusoire ?
Peu importe que Mario Proth écrive mal et soit insupportable à lire. Ce n'est pas un argument pour renoncer à une investigation approfondie.
Et que les idées de Mario Proth ne soient pas les mêmes que celles de Rimbaud, ce sera normal également. Rimbaud est connu pour s'opposer aux livres qu'il lit.
J'ai donc dit ici l'essentiel pour bien fixer les choses, l'article à venir sera dans l'approfondissement.
Le récent article sur "incague" et "pialats" participe du même esprit. L'ouvrage en patois ou occitan "Les piaulats d'un reipetit" date de 1860, et son auteur supposait que les gens comprendraient spontanément ce titre. Or, une recherche internet ne livre pas plus la définition pour la forme patoise "piaulats" que pour la forme "pialats". Mais ce qui m'est sensible, c'est que l'ouvrage auvergnat de Veyre a pu raviver l'intérêt dans les milieux littéraires pour un mot populaire "pialats" ou "piaulats" n'ayant guère les honneurs de l'écrit. Pour le mot "incague", une piste importante s'ouvre : celle des ouvrages de Marty-Laveaux, il a publié des éditions de Ronsard, Rabelais, Corneille, La Fontaine et d'autres, il commentait leur langue, leur lexique, leurs oeuvres. Je serais à Paris, je ferais une lecture systématique de tous ses ouvrages parus avant le départ de Rimbaud pour la Belgique et l'Angleterre. Marty-Laveaux était par la force des choses une lecture courante des grands liseurs de l'époque.
Nota Bene: j'ai supprimé les deux articles autour de la prétendue image de Proust dans un film. Ils n'avaient pas vocation à se maintenir ici. C'était juste pour rire de l'actualité.
Nota Bene: j'ai supprimé les deux articles autour de la prétendue image de Proust dans un film. Ils n'avaient pas vocation à se maintenir ici. C'était juste pour rire de l'actualité.
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