Le poème Juillet de Rimbaud, par ses allusions à un lieu bruxellois précis, ne doit pas seulement être commenté ou annoté. Le lecteur doit encore se représenter l'endroit physiquement, en s'appuyant faute d'un déplacement touristique sur des photographies.
La localisation en tête des 28 vers qui est intégrée en tant qu'espace mental de départ propice à la lecture du poème au moyen d'une virgule : "Boulevart du Régent," demande au lecteur de se situer sur une voie passante aux façades imposantes mais essentiellement insignifiantes. Le boulevard est une route pour les voitures qui n'invite pas le chaland à la promenade. Mais, en remontant ce boulevard, avant d'arriver à un carrefour où retrouver la foule et les commerces, tout à coup sur sa droite on tombe sur une petite place quasi triangulaire, la place ducale, devant le grillage et les murs épais qui camouflent quelque peu l'immense Palais Royal.
On peut parier que le premier quatrain du poème décrit précisément la vue que nous pouvons avoir à partir du boulevard du Régent de la place ducale et du Palais Royal.
Les amarantes et les rosiers manquent à l'appel, mais nous pouvons observer la présence d'un "palais" qu'on peut éventuellement, sinon ironiquement, qualifié d'agréable, de plates-bandes qui peuvent encore suggérer l'idée d'un balcon et de haies qui sans que je n'en sois un spécialiste ressemblent quelque peu à l'idée de haies en buis comme Rimbaud en suggère l'idée dans un vers de son poème où il est question du "poison des escargots et du buis", le "buis" étant ingéré par les escargots et s'avérant en poison pour l'appareil digestif humain.
Il faudrait déterminer si oui ou non il y avait sur la place ducale à Bruxelles en 1872 des "amaranthes", des "rosiers" et des haies de "buis" en 1872. Si tel n'était pas le cas, cela ne devrait pas pour autant remettre en cause l'intérêt d'un tel repérage géographique précis. En effet, il convient de noter également que le "ciel trop bleu", les "rosiers" et le "buis" ont des significations personnelles pour Rimbaud et Verlaine, puisque ce dernier dans un poème intitulé Spleen des Romances sans paroles déclare :
Les roses étaient toutes rouges,
Et les lierres étaient tout noirs.
Chère, pour peu que tu ne bouges,
Renaissent tous mes désespoirs.
Le ciel était trop bleu, trop tendre,
La mer trop verte et l'air trop doux.
Je crains toujours, - ce qu'est d'attendre !
Quelque fuite atroce de vous.
Du houx à la feuille vernie
Et du luisant buis je suis las,
Et de la campagne infinie
Et de tout, fors de vous, hélas !
Le poème Spleen avec son "ciel trop bleu" me semble faire nettement écho au poème Juillet de Rimbaud avec son "Bleu presque de Sahara !" Cela tend à rendre plausible l'idée qu'il y avait effectivement des roses et des amarantes dans l'un des endroits traversés par les deux poètes heureux et vagabonds, en l'occurrence sur les plates-bandes de la place ducale vis-à-vis le Palais Royal à Bruxelles, à moins que ces rosiers, ces amarantes et ces plates-bandes ne se soient trouvés dans le Parc Royal à proximité. Si Verlaine parle de "campagne infinie" à l'avant-dernier vers de son poème, Rimbaud parle symétriquement de "Réunion de scènes infinies[.]" On finira par croire que le mot d'une syllabe arraché au deuxième vers du manuscrit n'est ni "Roi", ni "Parc" ou "Place", mais "Paul".
Mais, l'unité du premier quatrain de Juillet ne plaide pas pour un repérage immédiat dans le Parc Royal, à cause de ce "jusqu'à" à la rime qui guide le regard du boulevard du Régent à un "agréable palais de Jupiter" en passant par-dessus des plates-bandes. Ce parcours orienté est on ne peut plus clairement exprimé par la photo suivante que j'ai prise en m'éloignant de quelques pas de ce boulevard auquel je tourne alors le dos.
Tournons le regard à droite pour découvrir progressivement l'espace immense du Parc Royal auquel s'ouvre la suite descriptive du poème de Rimbaud.
Cette seconde image permet de voir la base en pierre des plates-bandes. La statue que je n'ai pas prise en photo représente Léopold II et je l'ai écartée de mon reportage comme anachronique. La photo suivante continue d'illustrer le goût architectural et urbanistique étrange des autorités belges du dix-neuvième siècle. Il ne vient pas deux secondes à l'idée d'admirer en silence ce spectacle terne et glacial, ce décor froid pour l'âme. On se sent plaqué au sol. Une vue panoramique s'offre à nous, mais il n'y a rien à voir, il n'y a aucun art de la mise en perspective. C'est le vide plane qui s'ouvre et s'offre à nous.
La photo précédente est celle du palais des académies, dont un panneau sur le côté dont je ne savais comment photographier le texte précisait bien que la façade est triste et austère. L'intérieur serait plus agréable à voir, mais pour le poème de Rimbaud c'est un bel extérieur que nous recherchons pour justifier l'appellation d'un "agréable palais". Ce qui est défendable pour le Palais Royal ne l'est pas du tout pour la présente façade. Surtout, le panneau précise que ce palais est devenu celui des Académies en 1876, trois à quatre ans après le passage de Rimbaud et Verlaine et la composition du poème Juillet. Certains commentaires du poème ont cru bon d'affirmer que les "amarantes" qui symbolisent l'immortalité sont placées là pour désigner les académiciens, ceux qu'on appelle les Immortels. Mais il s'agit d'académies belges qui n'ont pas résidé là avant 1876 et les plates-bandes actuelles sont en face du Palais-Royal et pas du tout en face de ce palais qui a sa propre pelouse en hauteur, mais dont le mur longe un étroit trottoir et la rue ducale.
Ces premières photographies nous amènent aussi à nous poser la question de l'identification de la "Fenêtre du duc". Aucune fenêtre remarquable n'apparaît ni du côté du Palais Royal qui est trop lointain pour qu'on puisse en apprécier les détails, ni sur cette façade à formes platement rectangulaires. Après il y a le pavé de la route et l'entrée du Parc. La "Fenêtre" est-elle métaphorique ? S'agit-il simplement de la place ducale ? S'agit-il dans le prolongement de la place ducale de la longue rue ducale qui jouxte seule le Parc Royal, puisque en réalité le Boulevard du Régent ne longe pas lui-même le Parc Royal. Sur les photos ici présentées, on voit très bien qu'il y a l'entrée du Parc Royal, à droite la rue ducale, puis des bâtiments, et le boulevard du Régent est au-delà à droite de ses bâtiments. La seule articulation visuelle entre le boulevard du Régent et le Parc Royal, c'est la place ducale. Serait-ce donc cette place qu'il conviendrait d'appeler "Fenêtre du duc", ce que justifierait l'association d'idées avec le "buis" faisant retour sur les plates-bandes de l'endroit ?
La fenêtre ouvre la perspective, parfois sur une "campagne infinie" pour citer le poème Spleen de Verlaine mentionné plus haut, et ici la perspective est celle de la rue ducale qui permet de rendre plus visible le parc dans sa longueur. Et cette longueur rectiligne n'est pas sans donner un ancrage local à l'image du poème "Charmante station du chemin de fer". Un chemin de fer évoque l'idée d'un paysage qui s'étend en ligne droite en général et sur lequel filer à vive allure. La configuration des lieux favorise la perspective fuyante de l'évasion ferroviaire, comme l'atteste la photographie suivante.
Maintenant, nous ne pouvons demeurer place ducale tout au long de la lecture des 28 vers du poème. Il faut entrer dans le parc pour repérer certains détails du poème. Les volières du dix-neuvième siècle, sources du vers "Bavardage des cages et des enfants", ne s'y trouvent plus et j'ai échoué à photographier en plein vol des pigeons un peu rares visiblement réintroduits dans le parc, mais qui ne m'ont pas prévenu de leur envol au haut des arbres à mon passage. Je n'ai pas daigné prendre en photo les cabanes ou stands en bois au début du parc. J'ai en tout cas rencontré une grande abondance de bancs verts, des plates-bandes de gazon mais sans contour, des formes herbeuses dessinées à même le sol. Les longues perspectives du parc confirment l'idée de perspective pour un départ imaginaire en train. Je n'ai même pas songé à y chercher des sapins ou des roses, ni des lianes. Je n'ai pas cru pouvoir découvrir une "salle à manger Guyanaise" inespérée. Pour tout cela, j'espère plutôt en une documentation d'époque. Mais voici donc quelques photographies suggestives avec la présence manifeste de multiples bancs verts et surtout du Kiosque de la Folle par affection. J'ignore si c'est gamberger que de se dire encore qu'il y a quelques reliefs dans ce parc et que cela peut faire songer à l'alternative entre mont et verger évoquée dans le poème. J'ai rapporté ce que j'ai pu.
Photos de bancs sur l'allée centrale du Parc Royal.
Photos prises dans l'allée centrale avec au fond le parlement qui donne sur la rue des Lois. Non, je ne pense pas que ce soit avec son fronton triangulaire "l'agréable palais de Jupiter".
Avec un malheureux contre-jour d'après quatre heures un beau jour de décembre, l'allée qui onge la rue ducale avec au fond l'angle d'où je viens : la place ducale.
Les plates-bandes de l'allée le long de la rue ducale.
Au milieu de l'allée, j'en profite pour prendre des photos des bâtiments de l'autre côté de la rue ducale. Vous pouvez apprécier la difficulté qu'il y a à repérer le boulevard du Régent au loin, là où sont les taches rouges.
Photo du parc à l'angle de la rue ducale et de la rue des Lois.
Photo du parc à l'angle de la rue ducale et de la rue des Lois.
Enfin, il y a la question du Kiosque. Le Parc Royal en compte deux. La figure la plus évidente de kiosque est celle du kiosque à musique. En partant du Palais Royal, le kiosque à musique s'aperçoit au loin sur la gauche de l'allée centrale. En voici deux photographies chacune avec "banc vert".
Il ne faut pas s'y leurrer, ce n'est pas ce kiosque-là qui est évoqué par le poème, celui qu'évoque le poème se trouve sur l'allée qui longe la rue ducale et il existe toujours à l'heure actuelle.
C'est l'occasion d'édifier le public français sur l'incroyable laxisme belge. Le parc royal et les abords du Palais Royal sont déserts, mais ils en imposent quand même et sont soignés. Voici maintenant l'image du "Kiosque de la Folle par affection", c'est le coin poubelle délabré et abandonné du Parc à deux pas du Théâtre du Parc Royal, à deux pas du Parlement. Le kiosque est un peu camouflé, n'étant pas exactement à l'angle de la rue des Lois et de la rue ducale, et il ne peut être visité. Il est enfermé dans un grossier chantier^, le Vauxhall étant en travaux. On veut s'en approcher et on découvre la plaque dorée d'un énigmatique cercle gaulois de Belgique. J'ai tant bien que mal photographié le kiosque et le Vauxhall en passant mon bras par-dessus les grillages, j'en rapporte une image mémorable du parking du service des plantations.
Voilà le spectacle désolant dans lequel j'en viens à souhaiter mes meilleurs vœux de rimbaldie pour l'année 2016. Consternant.
Voilà le spectacle désolant dans lequel j'en viens à souhaiter mes meilleurs vœux de rimbaldie pour l'année 2016. Consternant.
On finira par croire que le mot d'une syllabe arraché au deuxième vers du manuscrit n'est ni "Roi", ni "Parc" ou "Place", mais "Paul".
RépondreSupprimerJe trouve que le mot "Père" sonne bien.
Je l'ouliais volontairement, la rime Jupiter Père est plausible mais approximative à cause de l'opposition des cadences masculine (Jupiter) et féminine (Père). Surtout, parallèle au poème "Juillet", le poème "Michel et Christine" offre un cas d'absence de rime. Il faut donc rester prudent et ne pas affirmer que la rime est celle du mot "Père", surtout quand la lecture d'ensemble n'est maîtrisée par personne, même si j'ai effectué une avancée décisive en identifiant Henriette.
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