jeudi 28 mai 2015

Rimbaldolâtres

Un écrit de 126 pages se finissant sur "Alors taisons-nous" vient d'être publié chez Grasset qui s'intitule Les Rimbaldolâtres, livre qui ne sent pas le frère en poésie et qui doit être lu comme on lirait le livre d'un mort. L'auteur, Jean-Michel Djian, m'avait demandé mon autorisation pour me citer au sujet d'un article portant sur Patti Smith. Et, en effet, un long extrait de mon étude du blog Rimbaud ivre sur la célèbre rockeuse est cité de la page 57 à 60, et il est suivi de remarques selon lesquelles la Rimbaldie aime qu'on fasse allégeance au poète de la poésie et le poète n'a nul besoin d'intermédiaire auprès du lecteur, son texte étant sa voix, point final.
Un lecteur de Rimbaud qui ne prend conseil de personne, cela me fait bien rigoler, quant à mon article sur Patti Smith, il était de circonstance et indépendamment de Rimbaud Patti Smith est une artiste importante de l'histoire du rock, ce n'est pas aussi anodin que de parler de, je ne sais pas moi ?, Kate Bush ou Madonna.
Je suis cité également mais non identifié en d'autres endroits du livre, de la page 27 à la page 31 plus précisément, puisque c'est moi l'intervenant anonyme du forum rimbaldien "mag4.net".
Djian salue au passage la délation qui consiste à divulguer les identités de pseudos internet à partir d'emplois de l'adresse IP. Il réattribue également le mérite de l'identification de Lucereau sur la photo, alors que cette identification a été faite sur le forum "mag4.net", suite à ce que j'avais moi-même balancé sur ce forum : "Celui qu'on prend pour Rimbaud est en réalité l'explorateur Lucereau", une phrase dans le genre. Ce n'était pas exact, puisque Lucereau était un autre personnage de la photographie. Cette découverte n'est pas le fait des inventeurs de la photographie du Coin de table à Aden, contraitement à ce que raconte Philippe Djian. Quant à l'une des "fausses informations" que je me suis amusé à glisser sous le pseudo de Marie Rinaldi ou Maria Rinaldi, il reste à démontrer qu'elle est fausse : le prétendu Rimbaud ressemble bien au photographe d'Aden de l'époque Bidault de Glatigné et ce n'est pas sa femme à côté de lui, mais sa belle-mère ou sa mère (je ne me rappelle plus), mais certainement pas sa femme qui était très jeune à l'époque et ne saurait coïncider avec la personne d'âge mûr sur la photo, sachant que j'ai eu l'écho d'avis d'experts de la police sur l'âge de cette dame assise. J'ai eu aussi écho d'autres expertises qui disent que le possible Bidault de Glatigné ne peut pas être Rimbaud, mais tout cela n'a jamais été publié, et je m'en cague comme dirait l'autre.
En revanche, Philippe Djian oublie de traiter de l'identification patente du docteur Dutrieux identifié par Daniel Courtial, c'est ce qui a mis un terme définitif au débat sur cette photographie, et seul un parfait "saisi" peut opposer l'identification par superposition parfaite de deux visages de l'unique Dutrieux à des mesures particulièrement aléatoires de distances entre douze points d'un portrait qu'on confond libéralement avec d'autres.
Dans Brice Poreau, personne ne reconnaît le nom du fin détective belge d'Agatha Christie, mais tout le monde y apprécie plutôt la déformation wallonne du mot "poireau", bien évidemment.
Le livre dénonce la rimbaldolâtrie, mais il s'en nourrit et il fait finalement ce qu'il dénonce.
Je trouve que c'est un livre sans aucun intérêt, je n'arrive pas bien à comprendre pourquoi il est préparé et mis en vente, il ne peut intéresser que le cénacle rimbaldien qui connaît l'intérieur du cénacle, tout ça pour voir comment sans style est déversée une rancune contre les rimbaldiens.
Citant avec désinvolture de jeunes collaborateurs, qu'il connaît d'où?, de la revue Parade sauvage, Djian aurait d'ailleurs pu s'aviser que je n'étais pas qu'un "blogueur rimbaldien notoire", mais que j'en avais fait partie. Les seules nouveautés que reconnaissait Jean-Jacques Lefrère dans l'édition de la Pléiade de 2009 venait de moi, dont l'établissement décisif du texte de L'Homme juste, encore qu'André Guyaux s'est magistralement planté dans sa transcription du vers : "Ô j'exècre tous ces yeux de chinois ou daines", pour un désespérant : "Ô j'exècre tous ces yeux de chinois, de daines". J'avais apporté à cette édition les sources dans l'oeuvre de Belmontet de deux centons de citations parodiques Hypotyposes saturniennes ex Belmontet et Vieux de la vieille, ce qui faisait l'objet d'un long article dans le numéro de la revue Histoires littéraires où Lefrère publia la révélation de la photo du Coin de table à Aden. J'avais d'emblée vu que le gusse ne ressemblait pas du tout à Rimbaud et j'avais écrit sur le forum "mag4.net" mon désappointement de publier mon article sur Belmontet à côté de ce que j'estimais déjà un sacré raté : "Oh non comment vais-je m'en remettre ?", ce qui avait bien amusé plus d'un rimbaldien me connaissant.
Il y avait d'autres choses désopilantes à citer dans cette polémique et guerre autour de la photo, mais Jean-Michel Djian passe décidément à côté de tout ce qui mériterait d'être mis en récit pour charmer un lecteur. Moi, j'ai vécu cette histoire et j'ai bien rigolé, y compris quand j'ai joué avec les pseudos sur le site d'André Gunthert, j'étais mort de rire et je ne saurais plus le partager avec quiconque.
Cette photographie ne m'intéresse plus, elle est définitivement éjectée de l'histoire rimbaldienne, personne n'en parlera dans dix-vingt ans, c'est le commentaire de l'oeuvre qui importe. Il y a sans doute une autre photographie à faire tomber, celle de la partie de chasse à Aden. Admise avec un empressement naïf et déjà achetée, cette photo jouira longtemps d'une grande complaisance et sera plus dure à remettre en cause, ainsi que le tableau de Jef Rosman, malgré l'article de perspicace mise au point de Jacques Bienvenu sur son blog Rimbaud ivre, car si là il n'y a pas un problème de rimbaldolâtrie et de fétichisme naïf, qu'est-ce que la naïveté ?

Maintenant, pourquoi l'oeuvre de Rimbaud plaît-elle tant ? Rimbaud a joui d'une formation scolaire de premier ordre à une grande époque d'émulation poétique et littéraire. Il est quelque peu un astre attardé de l'âge d'or de la poésie française, puisqu'il est né en 1854, quand l'essentiel des génies poétiques de ce siècle est né avant 1845. Les grands romantiques, les romantiques mineurs, les principaux parnassiens et Victor Hugo notamment l'ont influencé de manière décisive, plus que Baudelaire lui-même.
Mais surtout, l'excellente formation de Rimbaud lui a permis de laisser épanouir son génie, tout en l'aidant à contrôler sa mauvaise pente à une formulation abrupte d'énoncés à l'emporte-pièce et à remédier aussi à toute sa difficulté à exprimer clairement ses idées. L'alchimie a même été inespérée, car Rimbaud n'étant pas quelqu'un qui sait communiquer clairement sa pensée ses créations ont été pénétrées du caractère imprévisible et difficilement formalisable de ses associations d'idées.
Le miracle a opéré, car même si nous n'accédons pas aux repères intellectuels du poète, même si nous n'arrivons pas à relier sans reste la mise à jour des sources de ses écrits et l'originalité des cheminements de son imaginaire Rimbaud atteint malgré tout le point charmeur et le point qui fait que le rythme est jaillissant et l'image parlante, vers après vers, formule après formule. C'est un phénomène unique dans l'histoire de la littérature mondiale. Par comparaison, Mallarmé n'est saisissant que par moments et que pour une partie de son oeuvre.
Le problème, c'est que beaucoup de lecteurs, et sans doute l'amour-propre n'y est pas étranger, entendent s'arrêter là et y trouver l'essentiel, alors que Rimbaud a des convictions et qu'il s'empare de modèles pour en discuter ou railler les limites, et puis pour les refondre. Ceux qui veulent considérer qu'il irait de soi que Rimbaud sache parfaitement communiquer en tant que maître de mots font passer par-dessus bord les convictions et les messages du poète. Oui, l'oeuvre de Rimbaud sollicite par excellence les approches et efforts de la critique littéraire. Et connaître le sens profond de l'oeuvre, c'est la prime du rimbaldolâtre, mais du rimbaldolâtre averti.

2 commentaires:

  1. Vous me citez à propos de l'identification de Dutrieux sur la photo d'Aden. Je me permets de vous préciser que mon nom est Daniel Courtial et non André Courthial.

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  2. Excusez-moi, je ne vous connaissais pas directement, même si j'étais impliqué puisque je suis allé moi-même vérifier la photo de Dutrieux que vous aviez soumise à qui vous savez. Je participais alors au blog Rimbaud ivre. Félicitations, vous avez mis fin à ce débat qui m'a permis de revenir pleinement et entièrement à la seule chose qui m'intéresse : la poésie de Rimbaud. Quant à l'histoire de la biométrie, c'est très bien de la faire tomber, mais l'essentiel est fait, la photo n'avait déjà plus d'avenir et par ailleurs je n'ai pas besoin d'une longue démonstration sur la biométrie, puisque c'est de facto de la débilité mentale que de prôner la valeur scientifique de relation entre 12 points d'une photo, quand un nombre vertigineux de points sont en jeu dans la superposition d'une image à une autre. Mon argument n'ayant été repris par personne, je me dis que nous vivons vraiment dans une société qui touche le fond...

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