jeudi 3 décembre 2020

A propos du triolet !

Dans l'optique d'un prochain article autour des notions de "fantaisie" et de "satire" appliquées par l'auteur lui-même aux triolets du "Cœur supplicié", j'ai entamé la lecture d'une étude par Jean Reymond datée de 1936 sur le poète Albert Glatigny. L'ouvrage s'intitule Albert Glatigny, La Vie - L'Homme - Le Poète, Les Origines de l'Ecole Parnassienne. Je possède l'ancien volume de l'université de Toulouse le Mirail que j'ai récupéré en 2014 alors qu'il était destiné au pilon, ma contrainte est de ne pas chercher à le revendre. Le livre a un ancien principe d'édition qu'on peut rencontrer encore chez l'éditeur José Corti de nos jours, c'est-à-dire que les pages sont parfois pliées ensemble, et j'ai dû tout découper au couteau, ce qui veut dire que cet exemplaire de l'ouvrage, bien qu'abîmé et longtemps disponible dans une des bibliothèques les plus consultées de France, n'a jamais été lu. Il a miraculeusement survécu l'année suivante à une inondation et je le sors enfin de mes cartons pour me pencher sur ce qu'il a d'intéressant à me dire. Je voudrais en particulier travailler sur l'ouvrage Le Jour de l'an d'un vagabond de 1869, puis j'entends aussi approfondir ma connaissance de Glatigny en tant que figure de légende. D'ailleurs, c'est un peu le discours de Jean Reymond lui-même qui dit dans son "avant-propos" que le comédien a été à juste titre oublié, que son théâtre aussi est oublié, que sa poésie lyrique, bien que pas sans mérite, n'a pas vocation à être rééditée, mais en revanche l'auteur lui-même demeure une célébrité, une figure de légende du poète bohémien à la vie de galères. Je cite le premier paragraphe : "Le présent ouvrage est un essai de mise au point de la question, disons même, de la légende de Jean Glatigny." Et un peu plus loin, Jean Reymond cite entre guillemets une remarque de Guy Chastel : "C'est une chose curieuse pour la mémoire de Glatigny que le comédien soit oublié, que le poète soit à peine lu, que l'homme survive."
Par son emploi de la première personne du singulier, le poème "Le Cœur supplicié" suppose une idée de légende de la figure du poète en train de se constituer, j'ai donc envie de creuser cette idée-là, on verra ce que ça donnera. J'ai évidemment d'autres raisons qui m'ont amené à mieux méditer la vie et l'œuvre de Glatigny. C'est un poète de la bohème et un disciple de Banville. A ce sujet, en ce qui concerne le sonnet "Ma Bohême", flanqué du sous-titre "Fantaisie", j'ai déjà appuyé l'idée qu'il n'était pas question uniquement de reprises de rimes de Banville (et de Mallarmé), mais que Rimbaud avait démarqué de près tout un sizain du célèbre "Saut du tremplin" de Banville qui sert de conclusion aux Odes funambulesques.
Le vendredi 27 août 2010, sur son blog Rimbaud ivre, Jacques Bienvenu a publié un article intitulé "Rimbaud et Mallarmé" où il développe l'idée que la rime "féal"::"idéal" est tellement rare que son occurrence dans "Ma Bohême" a toutes chances de provenir de l'influence de son occurrence dans le sonnet "Le Sonneur" de Mallarmé paru dans le premier numéro du Parnasse contemporain de 1866 que Rimbaud a forcément lu.
Au tout début de son article, en citant l'ouvrage encore récent de Michel Murat L'Art de Rimbaud, Bienvenu fait remarquer que les trois rimes rares du sonnet sont réputées provenir des Odes funambulesques : "Ourse"::"course", "trou"::"frou-frou" et "fantastiques"::"élastiques".
Le 18 septembre 2010 à 12:14, j'ai fait un commentaire sous cet article qui a été validé et c'était, je crois, la première fois que je publiais cette idée, visiblement neuve, selon laquelle les tercets de "Ma Bohême" ne reprenaient pas que la rime "fantastiques"::"élastiques", mais réécrivaient l'ensemble d'un sizain du "Saut du tremplin" de Banville.

Voici un lien pour consulter ce commentaire et en même temps l'article de Bienvenu.


Une autre idée importante qui je pense n'a jamais été formulée dans le monde de la critique rimbaldienne, c'est que le mot "fantaisie" sert de sous-titre au sonnet "Ma Bohême", puis il sert de sous-titre à un texte en prose "Le Rêve de Bismarck" retrouvé il y a quelques années par Patrick Taliercio dans un numéro du Progrès des Ardennes, et qualifie enfin le premier exemple de poésie de "voyant" le 13 mai 1871. "Le Rêve de Bismarck" a été publié le 25 novembre 1870, moins d'un moins ou un mois à peine après le retour de Rimbaud à Charleville. Et nous ne connaissons pas d'autres textes ou manuscrits de poèmes de Rimbaud pour la période novembre 1870 - mars 1871 ! En gros, en octobre et en novembre 1870, Rimbaud se sert du terme "Fantaisie" en tant que slogan littéraire pour deux de ses compositions. Or, le manuscrit de "Ma Bohême" implique le second séjour à Douai de Rimbaud, en présence non seulement du destinataire Paul Demeny, mais aussi en présence du professeur Izambard. Dans la lettre du 13 mai 1871 à Izambard, Rimbaud qualifie de "fantaisie" les vers du "Cœur supplicié", il écrit même : "C'est de la fantaisie toujours !" ce qui implique une continuité, et une continuité avec les précédents essais poétiques envoyés à Izambard. C'est un point important, parce que le consensus rimbaldien est de consacrer les lettres dites du voyant de mai 1871 comme des ruptures avec la production antérieure de l'adolescent ardennais. Le poète a voulu rejeter dans le feu ses créations de 1870, comme l'atteste la lettre à Demeny du 10 juin 1871. Il y a toute une idée selon laquelle Rimbaud passe soudainement à une conception poétique neuve, dont il n'avait pas l'usage en 1870. Or, l'emploi du mot "fantaisie" pour qualifier deux compositions de 1870 et "Le Cœur supplicié" est la preuve éclatante que ce consensus est faux et nous fait donc ignorer en profondeur la teneur de la réflexion poétique rimbaldienne. J'ajoute à cela que le poème "Mes Petites amoureuses" inclus dans la célèbre lettre du 15 mai 1871 à Demeny a une identité de forme avec un poème d'août 1870 "Ce qui retient Nina".
Sur le blog Rimbaud ivre de Jacques Bienvenu figure à la date du vendredi 13 mai 2011 un article de moi qui s'intitule "Nina et Ninon" où j'ai précisé une coïncidence importante. Dans les éditions d'époque des Poésies complètes de Musset, nous avions la succession d'un poème intitulé A Ninon et d'une Chanson de Fortunio dont les strophes offraient le modèle, étonnamment assez rare, des quatrains alternant octosyllabes et quadrisyllabes. Plusieurs poèmes de Musset jouent à mentionner les amours avec une Ninon, et plusieurs continuateurs de l'esprit des poésies de Musset ont célébré le même nom de Ninon. Je peux citer avec assurance Charles Coran de mémoire, mais il y en a d'autres encore.


Disciple de Banville, Glatigny ne juge pas Musset avec les mêmes sarcasmes que Rimbaud, il en fait au contraire un très grand poète. Par ailleurs, dans sa lettre du mois d'août 1870 à Izambard qui, d'après les expertises philologiques de Steve Murphy, contenait le manuscrit du poème "Ce qui retient Nina", Rimbaud souligne que son professeur s'intéressait à la poétesse Louisa Siefert et qu'il est à même de lui citer des extraits de son dernier recueil. Rimbaud reprend alors à son compte des propos développés par Charles Asselineau dans la préface à ce recueil de la poétesse. Charles Asselineau est aussi un poète qui se situe dans le secteur poétique commun à Glatigny et Banville, et comme on l'apprend en lisant l'étude de Jean Reymond sur Glatigny (p. 20), c'est "Poulet-Malassis et Asselineau [qui] conseillèrent au poète précoce [Glatigny] d'aller à Paris." Par ailleurs, vu que les gens font décidément peu de cas des comparaisons formelles et donc ne font aucun cas du rapprochement entre les deux poèmes contigus de Musset et la pièce "Ce qui retient Nina", il conviendrait sans doute également d'étudier la proportion et la distribution de poèmes en quatrains alternant vers longs et vers courts dans les publications de Banville et Glatigny. C'est un travail qui me prendrait du temps, mais qui serait instructif. J'ai déjà des idées sur le sujet... Et cela serait à lier à des prolongements d'analyse sur les mots à la rime chez Glatigny, Banville et Rimbaud ou sur les poèmes en vers "nouvelle manière" de 1872. Mais, pour l'instant, j'en resterai à mon sujet du poème "Le Cœur supplicié". On le voit ! Mon idée est de le rapprocher de poèmes de 1870 qui, par la forme et les sujets, témoignent d'un Rimbaud se développant poète à la mesure de ses lectures de Banville et Glatigny. Le poème de 1871 "Mes Petites amoureuses" fait aussi partie de cet ensemble. Au-delà de la reprise du mode de quatrain de "Ce qui retient Nina" et donc de la "Chanson de Fortunio", le poème "Mes Petites amoureuses" offre un titre qui s'impose à l'évidence comme une reprise légèrement corrompue d'un titre de Glatigny "Les Petites amoureuses". Par ailleurs, depuis longtemps déjà, un rimbaldien a pu faire remarquer que la mention "mouron" à la rime dans un poème qui s'intitule "Mes Petites amoureuses", cela faisait un écho surprenant avec une mention "mouron" à la rime dans un poème du recueil Les Amoureuses d'Alphonse Daudet. Les plus réfractaires à la recherche des sources vont s'écrier que cela commence à faire beaucoup de cibles au poème de Rimbaud et qu'il faudrait peut-être trier et accorder sa part au hasard. Je ne fonctionne évidemment pas ainsi. La référence à Musset est évidente : forme du quatrain et emploi du nom Nina, celle à Glatigny peut difficilement être contestée dans la mesure où Rimbaud est connu pour s'être souvent inspiré d'extraits de Glatigny dès 1870. L'idée d'une influence de Daudet sera-t-elle considérée comme plus ténue ? L'emploi du mot "mouron" à la rime est rare pourtant. Ceci dit, cette hypothèse lancée dans les années 80 si je ne m'abuse n'a guère reçu de soutien ultérieur. Or, depuis quelques temps, sur ce blog, je fais remarquer que le mot "caoutchoucs" pour désigner ce que chaussent les amoureuses, bien que rarissime en Littérature, est exploité précisément par Alphonse Daudet dans son roman Le Petit Chose paru alors tout récemment en 1868. Précisons que ce roman s'adresse volontiers aux lecteurs les plus jeunes avec un traitement revendiqué du récit à la Charles Dickens. J'ai une autre raison pour penser qu'Alphonse Daudet est une des cibles du poème "Les Petites amoureuses", mais je vais la garder pour moi, les lecteurs les plus revêches pourraient me reprocher un argument subjectif, non autorisé. Ce que j'ai exposé là me paraît solide et convaincant. Le poème "Mes Petites amoureuses" a un aspect de critique parodique d'un esprit de son époque, et il n'y a rien d'aberrant à certifier que plusieurs poètes sont nommément les cibles de cette composition, à commencer par Musset, Glatigny et Daudet. On voit aussi que ma démarche remet en cause un principe de lecture rimbaldien, selon lequel l'expérience du "voyant" est une table rase. Les poèmes "Mes Petites amoureuses" et "Le Cœur supplicié" sont saturés d'allusions à des compositions antérieures et pourtant ce sont deux illustrations parmi quatre de la nouvelle pratique de celui qui veut dire "l'inconnu" en mai 1871, ce qui soulève la question de la méthode poétique du "voyant".
Or, venons-en à la forme du poème "Le Cœur supplicié". Il s'agit d'une "fantaisie toujours" et par conséquent d'une composition qui peut s'inscrire dans la continuité d'un poème inspiré de Banville tel que "Ma Bohême". Il s'agit aussi d'une composition en triolets. Avant Rimbaud, quels auteurs ont bien pu pratiquer le triolet ? Spontanément, j'ai deux noms à proposer : Banville et Glatigny. Dans l'ouvrage de Jean Reymond, il est plusieurs fois question de triolets de Glatigny à ses débuts littéraires, mais l'auteur ne les cite pas in extenso, et surtout en 1936 il est tributaire d'une époque où l'étude de la chronologie des compositions poète après poète n'est pas encore fort au point. Jean Reymond a le mérite de considérer que le recueil Les Vignes folles n'a été publié qu'en 1860, trois ans après les Odes funambulesques, ce qui l'invitait à trouver très suspectes les considérations critiques imaginant que Glatigny composait déjà à la manière de Banville avant l'édition des Odes funambulesques en 1857. Malheureusement, il me faudrait accéder à des ouvrages plus récents qui établiraient rigoureusement la chronologie des manuscrits et des publications de Glatigny.
J'aurai pas mal de passages à citer et même de vers et poèmes à citer quand j'aurai fini ma lecture du livre de Jean Reymond en tout cas. En tout cas, il y a une possibilité ouverte pour que la forme du triolet permette de faire une double allusion, puisque si la référence à Banville prime, la référence complémentaire à la légende Glatigny pourrait faire sens.
Précisons que Verlaine a publié des triolets en 1867, un pour se moquer d'Alexandre Dumas, l'autre pour épingler Barbey d'Aurevilly et son hostilité au mouvement parnassien.
Passons maintenant à l'idée d'une influence de Banville. Prochainement, je vais citer quantité de poèmes en triolets, mais en relisant les deux articles de Steve Murphy sur les triolets de Rimbaud, on s'aperçoit que la forme du poème en triolets n'est associée à Banville qu'en passant. Cela n'arrête pas véritablement le commentaire. Qui plus est, pour fixer la référence à Banville, Murphy renvoie à une analyse de 1983 de Pierre Brunel où celui-ci donnait pour exemple de triolet de Banville le poème "A Philis" des Cariatides. Citer ce court poème en triolet n'est pas sans intérêt, puisqu'il permet de faire un lien avec les vers parodiques de la nouvelle Un coeur sous une soutane où cette pièce et une autre encore au moins des Cariatides sont parodiées. Le triolet commence ainsi : "Si j'étais le zéphyr ailé..." Et du même recueil de Banville, Rimbaud a parodié la pièce : "Le Zéphyr à la douce haleine..." Le résultat est hilarant et peu flatteur pour le Maître du Parnasse : "Dans sa retraite de coton / Dort le zéphyr à douce haleine..."
 Toutefois, il y a deux remarques importantes à formuler quant à cette source si on souhaite la rapprocher du "Cœur supplicié". Premièrement, quand Rimbaud cite une édition des Cariatides dans ses lettres à Izambard, il s'agit de l'édition nouvelle de la décennie 1860. Banville a remanié certains vers de ses anciens poèmes, avec un apport élevé de césures acrobatiques qui étaient inenvisageables en 1842. Et, qui plus est, Banville a réuni tous ses recueils antérieurs aux Odes funambulesques en un volume unique divisé en six parties. Pour ce nouveau volume, Banville a reporté le titre de son premier recueil de 1842. Mais le recueil remanié de 1842 ne constitue que la première des six parties de la nouvelle édition. Ce nouveau recueil contient encore Les Stalactites, les Odelettes et Le Sang de la coupe. Deuxièmement, le triolet "A Philis" était plutôt isolé dans le volume de 1842 des Cariatides, et cet isolement est encore plus remarquable dans la nouvelle édition des Cariatides pour la décennie 1860, puisque nous n'avons pas, sauf erreur d'inattention de ma part, de nouveaux triolets dans les suivants recueils de Banville.
Certes, étant donné les allusions manifestes à ce triolet et à quelques pièces des Cariatides au sens étroit du recueil, il est évident que Rimbaud avait à l'esprit cette composition de Banville quand il écrivait "Le Cœur supplicié". En revanche, les triolets de Banville sont abondants dans le cas des nouveaux recueils. Il me reste à faire le départ entre Odes funambulesques et Nouvelles Odes funambulesques, mais, j'ai été frappé, par les suites de triolets coiffées du titre "Les Folies nouvelles". Et surtout, j'ai vérifié la présence ou non de poèmes à triolets enchaînés. Les poèmes "A Philis" et "A Amarante" sont deux triolets isolés, où la forme triolet n'est pas seulement celle d'une strophe, mais carrément la forme d'ensemble du poème. Rimbaud a-t-il inventé les triolets enchaînés ou non ? Je me posais cette question récemment, oubliant que j'avais déjà eu la réponse, puisque j'ai évidemment lu par le passé toutes les odes funambulesques, nouvelles ou pas, de Banville. Je me suis rafraîchi la mémoire et j'ai ma réponse, et c'est terriblement intéressant, parce que oui Banville a donné à Rimbaud l'exemple de quelques triolets enchaînés, et du coup, il conviendrait de les citer à côté du triolet "A Philis" et du triolet "A Amarante" des Cariatides. Il convient de les citer pour montrer que Rimbaud n'invente pas le fait de les enchaîner, mais aussi parce que ces pièces rares sont du coup à mettre en évidence pour mieux comprendre la genèse du poème de Rimbaud, car ce sont des sources essentielles. On ne peut pas prétendre que la recherche des sources va s'éparpiller sur plusieurs exemples possibles. Toutefois, avant de traiter le cas banvillien, il faut préciser qu'Alphonse Daudet a également composé un poème en plusieurs triolets intitulé "Les Prunes" dans son recueil Les Amoureuses, ce qui contribue à nouveau à ferrer l'idée que "Mes Petites amoureuses" et "Le Cœur volé" sont deux compositions parentes, avec des enjeux satiriques communs.
Mais, si nous privilégions pour aujourd'hui le cas du Maître du Parnasse, j'ai donc relevé un poème en deux triolets daté de "Novembre 1846" et intitulé "Monsieur Jaspin". Je citerai ultérieurement tous les triolets pour qu'on en compare le style, les différents phrasés, mais, fait remarquable qui confirme la valeur de la source, le poème a un tour interrogatif qui entre nettement en résonance avec les pièces de Rimbaud et d'Izambard : "Le Cœur supplicié" et "La Muse des Méphitiques".

Connaissez-vous monsieur Jaspin
De l'estaminet de l'Europe ?
Il a la barbe d'un rapin,
Connaissez-vous monsieur Jaspin ?
Chevelu comme un vieux sapin,
Il aime la brune et la chope.
Connaissez-vous monsieur Jaspin
De l'estaminet de l'Europe ?

Il donne ses coups de boutoir
A l'estaminet de l'Europe.
Souvent jusque sur le trottoir
Il donne ses coups de boutoir.
Pourtant la nymphe du comptoir
Assouplit ce dur misanthrope.
Il donne ses coups de boutoir
A l'estaminet de l'Europe.
Ces triolets de Banville sont même à mettre en relation avec la phrase de Rimbaud : "on me paie en bocks et en filles", puisqu'il est question ici d'estaminet et de "nymphe du comptoir", puisque l'équivoque banvillienne du vers : "Il aime la brune et la chope", se rapproche avec l'équivoque en prime du sens littéral de la formule provocatrice de Rimbaud.
Pour ce qui concerne sa création, notre poète n'applique pas la tonalité interrogative tout à fait de la même manière, mais il est facile de rapprocher le premier triolet de ce "Monsieur Jaspin" au triolet final du morceau de Rimbaud : "Connaissez-vous monsieur Jaspin ?" contre "Comment agir, ô cœur volé ?" Le second triolet de "Monsieur Jaspin" sera plus facile à rapprocher du triolet central du "Cœur supplicié" en ce qui concerne l'allure des phrases mises en vers avec un léger parallèle possible entre "Il donne ses coups de boutoir" et "Leurs insultes l'ont dépravé." Mais la rime "boutoir"::"trottoir"::"comptoir" a un apport phonétique évident qui donne à entendre les "coups de boutoir" eux-mêmes, ce qui fait que je rapprocherais cela à nouveau du dernier triolet du poème de Rimbaud, la rime en "-iques" a tout l'air d'une adaptation de la rime en "coups de boutoir".

Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô cœur volé ?
Ce seront des refrains bachiques
Quand ils auront tari leurs chiques !
J'aurai des sursauts stomachiques
Si mon cœur triste est ravalé !
Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô cœur volé ?
Avec sa "Muse des Méphitiques", Izambard montre qu'il a parfaitement identifié la source de Rimbaud et il a parfaitement compris que la rime en "-iques" était une adaptation de la rime en "coups de boutoir", puisque le mot "comptoir" est à la rime du vers 2, puisque le titre "Méphitiques" fait écho à la rime du poème de Rimbaud, et puisque la rime initiale en "-usque" est très clairement un mixte entre un second écho à la rime en "-iques" de Rimbaud et un tout autre écho à la rime en "-esques" des mots rares "pioupiesques" et "abracadabrantesques", sachant que le vers "Ô flots abracadabrantesques" est très clairement une réécriture avec métaphore du courant du titre Odes funambulesques.
Izambard n'a certainement pas écrit son poème pour répliquer à son élève dans les jours qui ont suivi la lettre du 13 mai. Il a composé bien plus tard son poème, mais il avait en tout cas identifié les sources banvilliennes de Rimbaud.
Voici le premier état de "La Muse des Méphitiques" publié par Izambard en 1898 :

Vois-tu le bourgeois baveux qui s'offusque
Se cramponner d'horreur à son comptoir,
Agglutiné contre comme un mollusque ?
Vois-tu le bourgeois baveux qui s'offusque
Et sa police, œil dans un vase étrusque ?
[Lacune d'un vers qui ne vient sans doute pas d'Izambard, mais de l'éditeur]
Vois-tu le bourgeois baveux qui s'offusque
Se cramponner d'horreur à son comptoir.

Voici venir l'ère des pourritures
Où les lépreux sortent des lazarets...
O fleurs du laid, rutilantes ordures,
Voici venir l'ère des pourritures...
Lors, fourrageant dans les monts d'épluchures,
Nous chanterons l'hosannah des gorets.
Voici venir l'ère des pourritures
Où les lépreux sortent des lazarets.
Izambard a en réalité composé son poème après la publication des "Poètes maudits" et après même la publication en 1886 des Illuminations. Son poème est en vers de dix syllabes avec une méconnaissance évidente de l'impératif de la césure toujours placée au même endroit. Izambard est visiblement influencé par "Tête de faune" et la versification relâchée de la décennie 1880 par des poètes se réclamant de Rimbaud. Or, "Tête de faune" est une composition nettement postérieure au 13 mai 1871. Ce que fait Izambard est plus que tendancieux, puisqu'en antidatant sa composition, il fournit une expression "rutilantes ordures" qui deviendrait si on l'en croyait un intertexte au "Bateau ivre". L'expression "Voici venir l'ère des pourritures" reprend la clausule de "Matinée d'ivresse" avec son mot clef dans le titre : "Voici le temps des Assassins."
On observe aussi que cette première version s'en tient à deux triolets à l'instar du modèle "Monsieur Jaspin" de Banville.
Izambard va ensuite remanier son poème, l'étendre à trois strophes comme celui de Rimbaud, et il va de manière fort significative corriger le vers : "Agglutiné contre comme un mollusque ?" Ce ne sera pas une géniale imitation des audace de Rimbaud avec le mot "contre" qui chevauche la rime, mais juste un vers finalement identifié comme faux que l'auteur va corriger. Izambard corrige plus encore le premier vers qui revenait en refrain et qui semblait une coupe en deux hémistiches de cinq syllabes perdue dans une composition où dominait la structure traditionnelle en hémistiches de quatre puis six syllabes, à tel point que le vers : "Agglutiné contre comme un mollusque", ne supposait même pas initialement une césure audacieuse, mais une césure traditionnelle "Agglutiné / contre comme un mollusque" avec un second hémistiche disgracieux. La deuxième version remaniée du poème livrée par Izambard au vingtième siècle permet d'affirmer que la composition maladroite de 1898 était toute fraîche. Cette fois, la mesure traditionnelle du décasyllabe est impeccable. Le triolet ajouté est une mise en boîte du poème "Mes Petites amoureuses". Tous ces mensonges sur les courriers échangés avec Rimbaud ne font pas honneur au professeur.

Viens sur mon cœur, Muse des Méphitiques,
Et roucoulons, comme deux amoureux.
Pour bafouer toutes les esthétiques,
Viens dans mes bras, Muse des Méphitiques ;
Je te ferai des petits rachitiques,
Froids au toucher, verdâtres et goitreux.
Viens dans mes bras, Muse des Méphitiques,
Et folâtrons comme deux amoureux.

Viens !... Tu verras le Bourgeois qui s'offusque
Se cramponner d'horreur à son comptoir,
Comme à son roc s'agglutine un mollusque.
Viens, tu verras le Bourgeois qui s'offusque
Et son œil torve, au fond d'un vase étrusque,
Sa main crispée agrippant l'éteignoir.
Et tu verras les Bourgeois qui s'offusque
Se cramponner d'horreur à son comptoir.

Voici venir l'[E]re des pourritures,
Où les lépreux sortent des lazarets.
O fleurs du Laid, rutilantes ordures,
Nous, fourrageant dans les monts d'épluchures,
Voici venir l'Ere des pourritures.
Psalmodions l'hosannah des gorets !
Voici venir l'Ere des pourritures,
Où les lépreux sortent des lazarets.
Jacques Bienvenu a étudié une autre version du poème d'Izambard qui apporte quelques autres arguments décisifs pour préciser qu'Izambard a composé ses triolets après la publication l'un à la suite de l'autre des poèmes "Le Coeur volé" et "Tête de faune" dans Les Poètes maudits en 1888. Bienvenu réfute alors, et il n'est pas le premier, l'analyse de Marc Dominicy selon lequel "Tête de faune" s'inspirerait de "La Muse des Méphitiques", mais pour parachever la réfutation de l'hypothèse de Marc Dominicy, il faut bien mesurer à quel point les décasyllabes excentriques d'Izambard ne le sont pas par un traitement audacieux des césures, mais par une composition hâtive d'abord inattentive à cet aspect de la question, puisqu'Izambard n'a jamais publié la première des quatre strophes en triolets qui était particulièrement fautive, et puisqu'Izambard a fini par remanier son poème en éliminant les deux uniques inconvénients de la publication initiale de 1898. Izambard avait composé un poème en décasyllabes aux hémistiches de quatre et six syllabes, mais dans son enthousiasme pour le vers récurrent qu'il s'était choisi il n'avait pas remarqué que la mesure était inexacte : "Vois-tu le bourgeois baveux qui s'offusque..." C'était l'unique vers qu'on pouvait supposer aux deux hémistiches de cinq syllabes dans la création en décasyllabes d'Izambard. Quant à l'autre vers qui posait problème, ce n'était pas tellement en fait de césure qu'en fait de ponctuation et formulation abrupte. Le vers 3 tel qu'il est édité en 1898 peut aisément se lire comme ayant une césure après la quatrième syllabe, même si le second hémistiche est disgracieux, sans euphonie : "contre comme un mollusque". Le manuscrit, montré en fac-similé au milieu de l'article de Bienvenu, nous révèle les tâtonnements d'Izambard qui, initialement avait placé une virgule qui aggravait le caractère peu harmonieux de son second hémistiche : "Agglutiné contre, comme un mollusque". La première strophe demeurée inédite révélait deux autres excentricités, le "e" à la césure au premier vers : "Bouche à bouche, Muse des Méphitiques" et la césure tout de même parnassienne sur le déterminant possessif au vers 3 : "Pâmé sur ses lèvres épileptiques". Normalement, les triolets sont composés en octosyllabes, et Izambard passe aux décasyllabes. Il est évident qu'il connaît la règle traditionnelle de la césure. Il faut alors débattre si Izambard fait exprès de glisser plusieurs vers faux ou non. On aurait envie de dire qu'il le fait exprès de prime abord, mais c'est un problème qui n'est pas simple à trancher. En effet, Izambard a remanié son poème dans le sens de la régularité, il n'a jamais publié la strophe la plus fautive qu'on ne connaît qu'en version manuscrite. Surtout, on a un peu l'impression qu'Izambard improvise souvent quelque chose en début de strophe selon l'inspiration, puis qu'il s'applique à prolonger son élan en étant plus attentif aux frontières internes du vers. J'avoue avoir du mal à trancher, car il y a un argument qui plaide pour un fait exprès initial. Izambard voyait en 1888 une édition faisant se succéder "Le Cœur volé" et "Tête de faune", et c'est un fait que la versification d'apparence aberrante de "Tête de faune" a dû encourager le professeur à créer sans tenir compte de la césure. Pourtant, en 1898, il commence déjà à refouler cet aspect de sa parodie, et en 1926 il publie une version où les césures sont régulières. J'ai à ce moment-là une autre hypothèse, c'est qu'Izambard avait conscience qu'il ne serait pas convaincant s'il imitait un dérèglement des césures que Rimbaud a mis au point postérieurement au 13 mai 1871. Avec son imposture initiale, Izambard se faisait passer, sans le faire exprès, pour le créateur partiel de la révolution métrique de Rimbaud, comme son initiateur. Je pense qu'il a vu le problème et qu'il a progressivement refoulé les césures hérétiques.
En tout cas, avec le mot "comptoir" à la rime, il est clair qu'Izambard a identifié le modèle initial de Rimbaud, alors que le consensus est d'attribuer l'identification du triolet "A Philis" comme source par Mario Richter (à vérifier) ou Pierre Brunel en 1976 ou 1983. Il n'était pas non plus complètement inconscient des enjeux du texte de Rimbaud.

Lien pour lire l'article de Jacques Bienvenu : "La Muse des Méphitiques".

Il va de soi que le mot rayé sur le manuscrit est "hydropiques" et qu'il est remplacé par "rachitiques".
Pour en revenir à Banville, celui-ci a composé d'autres poèmes en plusieurs triolets, ainsi de la pièce "Le Divan Le Peletier" qui est un enchaînement de six triolets avec mention de nombreux écrivains : Asselineau, Babou, Baudelaire, etc. Et j'observe un triolet assonancé puisque les rimes sont les équivalents masculins et féminines "-ou" et "-oue", ce qui fait songer au dernier quatrain de "Tête de faune" quelque peu, et dans ce triolet que je dis rimé et assonancé nous avons une succession à la rime des mots "topinambou" et "topinamboue", l'adjectif au féminin qualifiant le nom "ode" : "ode topinamboue", ce qui me ramène encore une fois à l'idée que le titre Odes funambulesques est présent de manière cryptée dans "Ô flots abracadabrantesques".

Cette étude aura une suite, je citerai systématiquement tous les triolets de Glatigny et Banville, et je ferai une petite synthèse, mais, en cherchant sur internet, ce que Banville pouvait avoir écrit sur le triolet, je suis tombé sur un site contemporain piégeux amusant. Il existe un couple de poètes apparemment, l'un se fait appeler directement "Théodore de Banville" et il est question aussi d'une complice nommée Pernette, sachant que, de mémoire, Pernette du Guillet est un auteur d'Ancien Régime qui pratiquait le triolet (à vérifier). Ma surprise a duré quelques secondes, je suis tombé sur une page du site "Le blog de Théodore de Banville", à l'entrée "Les Triolets".
Pendant quelques secondes, je me suis demandé ce qui m'arrivait.
On a donc un article du jour avec une introduction en prose et puis une florilège de compositions en triolets qui ne sont visiblement pas du Banville historique.
Je vous cite le début, le texte en prose, parce qu'il m'a interpellé sur certains points :

Avec Pernette, nous avons aussi découvert le triolet, charmant petit poème à forme fixe, bien désuet mais agréable. Il se compose, en deux quatrains, de seulement cinq vers différents, du fait des répétitions qui résonnent comme un refrain. Il permet une pensée légère, une note musicale, et ne se prend pas au sérieux.
Bouts rimés de circonstance, sans nulle gravité, il convient à la satire, mais aussi à une gentille taquinerie, jetant un mot, une idée, une image comme une pichenette souriante.
Nous en avons usé maintes fois, en émaillant nos échanges épistolaires, et j'ai grand plaisir à les relire, au hasard des rencontres. En voici quelques-uns, glanés de ci de là, dont certains peuvent paraître - à juste titre - hermétiques aux non initiés, mais ils ne sont pas destinés à un large public ; chacun étant un clin d'œil amusé, évocation d'un fugitif instant.
Ne vous choquez pas surtout, du ton un peu grivois de certains poèmes ; ils sont peut-être coquins, sortis ici de leur contexte, mais toujours empreints de tendresse.
A ma complice...
La deuxième phrase, petite définition, est particulièrement bien tournée : "Il se compose, en deux quatrains, de seulement cinq vers différents, du fait des répétitions qui résonnent comme un refrain." Je suis plus sceptique quant à l'idée de "gentille taquinerie", même à s'en tenir aux triolets de Banville. La phrase "il convient à la satire" retient évidemment l'attention du lecteur de la lettre de Rimbaud à Izambard : "est-ce de la satire ? comme vous diriez." Et je me demande si la phrase "Ne vous choquez pas surtout..." n'est pas une allusion parodique au "Ne vous fâchez pas" de Rimbaud.
Cet extrait montre qu'il faut aussi s'intéresser aux considérations sur l'emploi du triolet dans les arts poétiques et traités de versification.

Sujet à suivre donc...

***

Bonus impatient du jour :

Quelqu'un qui va lire sans faire attention le recueil Les Amoureuses ne va en principe jamais penser à un rapprochement avec un quelconque poème de Rimbaud, ou alors il va être tenté par plusieurs rapprochements dérisoires avec la pièce "Les Etrennes des orphelins", ce qui achèvera de le convaincre que c'est une impasse. En plus de cela, les poésies réunies par Daudet dans son unique recueil sont particulièrement mauvaises, fades, puériles, tournant aux vers de mirliton. Objectivement, ces poèmes sont extrêmement mauvais. On a beau à notre plus jeune âge avoir appris à célébrer "La Chèvre de Monsieur Seguin", cette poésie est violemment méprisable.
Pourtant, la mention "mouron" est intéressante, elle n'est pas à la rime, mais au milieu d'un vers. La mère a peur que son enfant soit emporté par le croup, et elle craint qu'il ne s'envole comme un oiseau, ce qui nous vaut cette métaphore alimentaire cocasse que Rimbaud reprend dans "Mes Petites amoureuses" :

Et pour empêcher que l'oiseau s'envole,
Elle lui promet du mouron plus frais...
                   Pauvre folle !
Comme si l'oiseau s'envolait exprès.
A cet extrait du poème "Le Croup" fait écho le quatrain suivant du poème de Rimbaud :

Nous nous aimions à cette époque,
            Bleu laideron,
On mangeait des oeufs à la coque
             Et du mouron !
On peut toujours prétendre qu'en cherchant un peu on s'apercevrait que cette idée de manger du "mouron" était un poncif d'époque, sauf qu'il fut rarement employé par les écrivains et poètes que nous continuons de lire de nos jours. Toutefois, cela reste à démontrer. Pour l'instant, le rapprochement est là, et il se renforce de deux éléments convergents. Le titre "Mes Petites amoureuses", tout en déformant directement un titre de poème de Glatigny, fait de toute façon écho au titre du recueil Les Amoureuses de Daudet. Ensuite, le vers "Nous nous aimions à cette époque," du quatrain ici cité de Rimbaud fait lui-même écho à un autre passage du même recueil de Daudet, ce qui veut dire qu'un quatrain de "Mes Petites amoureuses" semble concentrer en un court espace de syllabes deux réécritures ou allusions au recueil de Daudet. En effet, il convient cette fois de citer la strophe suivante du poème "Les Prunes" :

Mon oncle avait un grand verger
Et moi j'avais une cousine ;
Nous nous aimions sans y songer,
Mon oncle avait un grand verger.
Les oiseaux venaient y manger,
Le printemps faisait leur cuisine ;
Mon oncle avait un grand verger,
Et moi j'avais une cousine.
Le rapprochement a l'air frivole entre "Nous nous aimions à cette époque" et "Nous nous aimions sans y songer", mais outre qu'il semble logique d'identifier la littérature amoureuse dont se moque le poème "Mes Petites amoureuses", on a un enchaînement avec des métaphores culinaires douteuses dans le cas de Daudet et provocatrices dans le cas du quatrain rimbaldien.
Le motif des oiseaux est constant dans le bref recueil de l'écrivain provençal. Dans les derniers poèmes, nous relevons la composition "Le Rouge-gorge" où nous avons une situation équivoque en plein hiver. Le poète croit que l'oiseau a fin, alors qu'il vient mourir d'amour, et ce poème est composé de quatrains qui font alterner des alexandrins avec des vers de quatre syllabes. L'impression rythmique n'est pas comparable avec l'alternance d'octosyllabes et de quadrisyllabes, mais le point de comparaison formelle est encore une fois au rendez-vous. Le poème "L'Oiseau bleu" est pour sa part une variation sur le motif du pélican de "La Nuit de mai", avec "du sang pour pâture", et encore une fois le motif de la faim tourne en métaphore du sentiment amoureux.
Or, les rapprochements ne s'arrêtent pas là.
Le recueil de Daudet ne contient que quinze poèmes. Parmi ces pièces, nous pouvons citer un hommage à Musset avec le titre "Le 1er mai 1857. Mort d'Alfred de Musset" où figure la mention "Ninette" qui prouve bien, s'il en était besoin, que les mentions dans les vers de Nina, Ninon ou Ninette supposaient à l'époque de Daudet et à celle de Rimbaud une référence à la poésie de Musset. Et l'identité de strophe entre la "Chanson de Fortunio", "Ce qui retient Nina" et "Mes Petites amoureuses" devrait depuis longtemps être admise dans le monde rimbaldien comme le signe d'une allusion, plus probablement satirique qui plus est, à la poésie de Musset de la part de Rimbaud. La présence du nom "Ninette" dans ce poème d'hommage à Musset conforte l'idée que Rimbaud vise également Daudet, puisque "Mes Petites amoureuses" s'inscrit dans la continuité de "Ce qui retient Nina". Car j'ose croire que les plus malveillants qui ne voudront pas d'une allusion par la forme à la "Chanson de Fortunio" ne vont pas inventer qu'il n'y a aucun lien entre "Ce qui retient Nina" et "Mes Petites amoureuses" du même auteur. Dans ce morceau "Le 1er mai 1857", il est question du mal du poète, et d'une mort autant de dégoût que de tristesse, ce qui nous rapproche bien évidemment du poème "Le Cœur supplicié" avec ses vomissements à l'arrière du bateau. Il va de soi que Les Amoureuses est un exemple de ces vignettes pérennelles" et de ces "doux vers" qui, selon la lettre à Demeny du 10 juin 1871, finiront comme "Le Cœur du pitre" aux lieux d'aisance. Le poème suivant s'intitule "La Rêveuse", puis deux poèmes plus loin dans "A Clairette" nous avons une substitution "lumineuse" à la fameuse Ninette. Et Clairette rime alors avec le quelque peu désinvolte "amourette".
Pour en finir avec les renvois à Musset, on peut préciser que le dernier poème du recueil de Daudet "Dernière amoureuse" s'inspire dans sa mise en scène du spectre de "La Nuit de décembre". L'avant-dernier poème est pour au moins tout son début un immense "hydrolat lacrymal" solennel avec une amplification romantique de la douleur humaine étendue à la Nature entière, bien que le titre de cette pièce soit "Nature impassible".
Toutefois, un autre rapprochement s'impose encore à mon esprit pour ce qui est des échos du recueil de Daudet dans la pièce satirique de Rimbaud. Entre les poèmes "La Rêveuse" et "A Clairette", nous avons droit à une composition intitulée "Les Bottines", motif traité déjà avec ironie dans "Roman" en septembre 1870, et ces bottines deviennent des "caoutchoucs" dans "Mes Petites amoureuses". Je l'ai déjà dit, les "caoutchoucs" sont un titre et un sujet de chapitre du roman Le Petit Chose de Daudet, mais il n'est pas vain de remarquer que, si Rimbaud développe le mot d'ordre "Entrechoquez vos genouillères" à proximité de la mention "Vos caoutchoucs" en tout début de poème, dans le cas du poème "Les Bottines", nous avons droit à une épigraphe tirée du Wilhelm Meister de Goethe sur le claquement des talons :

...Ce bruit charmant des talons qui résonnent sur le parquet : clic ! clac ! est le plus joli thème pour un rondeau.
J'ignore si la traduction "rondeau" est fidèle au texte original allemand, vu que le rondeau est une forme poétique française, mais le rondeau est une forme proche du triolet déployé dans "Les Prunes" de Daudet et dans "Le Cœur supplicié" de Rimbaud. Ensuite, il n'est pas difficile d'envisager le glissement du choc des talons à l'entrechoquement des genoux. Les onomatopées "clic ! clac!" sont d'ailleurs assez bêtement reprises par Daudet dans son poème qui, en réalité, est en quatrains d'octosyllabes aux rimes croisées, sauf que tous les deux vers, il reproduit sottement la ligne "Clic ! Clac !". Et, cerise sur le gâteau, malgré la fatuité de ces filles s'amusant en bottines à faire les coquines, elles ne sont tout de même pas des "libertines" et elles se vantent de ceci, écoutez bien : "Le soir nous faisons nos prières," ce qui a tout l'air de mériter la réplique du poète dans "Mes Petites amoureuses" : "Vous crèverez en Dieu, bâtées / D'ignobles soins." Et j'oserais même prolonger l'idée que "l'hydrolat lacrymal" fait écho ici à la "larme" du poète et à sa "tristesse" ("l'âme désolée") en pensant qu'un jour les filles s'éloigneront de lui pour toujours, sachant que, dans le cas du poème de Rimbaud, c'est le poète qui donne son renvoi aux "amoureuses".
J'ai dit que ce recueil ne contenait que quinze pièces assez courtes. Et bien je n'en ai même pas encore fini avec les rapprochements. Nous avons deux poèmes successifs de Daudet qui mime le fait de faire semblant de ne pas avoir de sentiment, voire de détester, si ce n'est que tout cela se désenfle à chaque fois au dernier vers : "A Célimène" et "Fanfaronnade". Dans "Mes Petites amoureuses", le rejet n'est nullement de la plaisanterie. Dans le poème "Miserere de l'amour", il est cette fois question d'un "amour [qui] est enterré". Et nous trouvons encore un mode de description au passé du couple qui s'apparente quelque peu, le persiflage en moins, au cadre de remémoration du poème "Mes Petites amoureuses" :
Nous ne pleurâmes pas bien fort,
Vous étiez femme et moi poète.
Dans le poème de Daudet, il y a le regret de ne pas avoir nourri cet amour, de l'avoir laissé s'éteindre, ce dont Rimbaud prend l'exact contre-pied dans sa composition sarcastique :

Et c'est pourtant pour ces éclanches
          Que j'ai rimé !
Je voudrais vous casser les hanches
           D'avoir aimé !
Il reste alors la pièce la plus longue du recueil. Il s'agit du poème "Les Prunes", il est composé de neuf triolets numérotés, et le dernier fait office d'envoi avec un sous-titre qui lui sert d'adresse "A mes lectrices". Or, cette conclusion reprend un vers clef du premier triolet. On le sait, dans un triolet, le premier vers est répété à trois reprises, et le second, s'il ne l'est que deux fois, conclut la strophe. Le vers qui conclut le premier triolet : "Nous nous aimâmes pour des prunes[,]" est précisément celui qui clôt le poème. Il rejoint le vers du même poème "Nous nous aimions sans y songer," comme source au persiflage du vers rimbaldien : "Nous nous aimions à cette époque". Or, et un article en ligne de Jean-Louis Aroui tend à le confirmer, le poème "Les Prunes" serait la première composition connue du dix-neuvième siècle en triolets enchaînés. Banville n'a composé auparavant que des poèmes en un seul triolet et ce ne serait qu'après l'exemple donné par Daudet que Banville aurait composé pour son édition des Odes funambulesques de 1859 deux poèmes en triolets enchaînés, ceux que j'ai cités plus haut : "Monsieur Jaspin" et "Le Divan Lepeltier". Ceci dit, il faut vérifier la datation "Novembre 1846" de "Monsieur Jaspin" qui pour l'instant vaut contradiction en faveur d'une antériorité de Banville. Le poème "Le Divan Lepletier" est pour sa part dater de "septembre 1852", ce qui renforce l'idée d'une antériorité de Banville. En revanche, il semblerait que le poème "Monsieur Jaspin" ait été réduit à un seul triolet dans l'édition de 1874 et qu'il ait perdu le triolet sur lequel s'est le plus manifestement appuyé Rimbaud (à vérifier là encore).
Là, je commence mon enquête et dans le fac-similé de l'édition originale des Odes funambulesques de 1857 figure déjà une composition à deux triolets "Monsieur Jaspin", ce qui est antérieur à la publication du recueil de Daudet Les Amoureuses en 1858. Cependant, le second triolet de "Monsieur Jaspin" a un texte distinct de celui transcrit plus haut et est daté de "décembre 1845". Dans les "Commentaires" ajoutés pour l'édition de 1874, Banville précise que nom Jaspin légèrement corrompu est devenu sous-préfet en 1848, nouveau signe tangible d'une composition déjà ancienne. Il est par ailleurs amusant de constater que Banville situe ce comptoir du côté de l'Odéon et de la rue de l'Ecole-de-médecine, ce qui nous rapproche du local zutique de l'Hôtel des Etrangers ! Il me semble assez clair que Daudet a composé le poème "Les Prunes" en ayant eu connaissance et de "Monsieur Jaspin" en deux triolets et de la pièce "Le Divan Lepeletier" en plusieurs triolets. Il ne s'agit que de le confirmer ultérieurement par des recherches. Ce qui m'impressionne, c'est que finalement le triolet qu'Izambard "cite" dans "La Muse des Méphitiques" et qui est à l'origine de l'idée de rimes "bachiques" dans "Le Cœur supplicié" n'a été éditée que très peu de temps, ce qui expliquerait que cette source ait échappé à la vigilance des rimbaldiens. Non, il y a un plus gros problème de soulevé. Le triolet avec les "coups de butoir" fait partie de l'édition de 1892, mais il faudrait vérifier sur les éditions de 1859 et de 1874. Le texte était différent en 1857. Pour l'instant, cela signifie qu'Izambard en 1898 a toujours pu s'inspirer de l'édition des Odes funambulesques de 1892. En revanche, il faut vérifier si Rimbaud a eu accès à cette version dans les éditions de 1859 et des années 1860. Il faudrait expliquer quand la version ultime a été publiée pour la première fois, tant l'écho ou plutôt le hoquet d'ivresse des deux poèmes semble évident à rapprocher.


J'aurais envie de rebondir sur certains points, mais ce sera pour une autre occasion. J'ai en effet d'autres idées sur les raisons qui ont amené Verlaine à composer des triolets enchaînés à la fin de sa vie, j'ai d'autres idées sur le fait que Daudet, ennemi juré de Verlaine, soit ciblé dès le mois de mai 1871, voire dès le mois d'août 1870, par Rimbaud dans "Le Cœur supplicié" et "Mes Petites amoureuses" et peut-être déjà dans "Ce qui retient Nina", puisqu'après tout un vers répété dans "Les Prunes" n'est autre que "Un matin nous nous promenions [...]". Par ailleurs, il faudrait aussi parler de l'influence évidente du recueil Les Contemplations de Victor Hugo sur le recueil de Daudet, mais avec une déperdition impressionnante des moyens poétiques. Je dois également relire à tout le moins le roman Le Petit Chose, et bien sûr il faudrait parler des triolets ultérieurs de Valade et des attaques contre Daudet dans l'Album zutique, en revenant sur le volume du Parnassiculet contemporain auquel a participé Daudet.
Tout ceci fait déjà pas mal sens et j'ai une idée que je ne formule pas ici, pour ne pas fragiliser ce qui est bien étayé, mais c'est en liaison avec le séjour de Rimbaud à Paris en février-mars où il a rencontré le futur zutiste André Gill... D'ailleurs, après tout, Rimbaud pouvait en apprendre sur le désamour entre Verlaine et Daudet auprès de Bretagne, leur connaissance commune, depuis l'été 1870 ! Ah zut ! j'ai trop parlé !
Je prends mon temps, mais pas mal d'éléments se mettent en place. On voit bien que l'analyse de la signification d'emploi du triolet par Rimbaud n'a jamais été faite. Il faut encore que je vérifie si au sujet de "La Muse des Méphitiques", Steve Murphy a relevé que la mention "comptoir" à la rime du poème d'Izambard était à rapprocher du poème en triolets enchaînés "Monsieur Jaspin". Mais, si tel était le cas, pourquoi ne l'aurait-il pas mise en avant dans son article sur "Le Cœur du pitre" dans son livre récent Rimbaud et la Commune ?
Il me reste enfin à vérifier la place des remarques de Banville sur le triolet, forme qu'il associe bien à la "satire", dans les chapitres de son Petit traité de poésie française, puisqu'en mai 1871 Rimbaud ne semble avoir pu en lire que quelques chapitres, mais avoir pu lire ces quelques chapitres-là tout de même, selon les études de Jacques Bienvenu sur le sujet. En revanche, les considérations ultérieures de Banville sur l'emploi moderne du triolet, nous ne pourrons les situer qu'anachroniquement avec des réserves.

6 commentaires:

  1. Article très intéressant qui me ramène à un texte écrit il y a dix ans et que je ne renie pas.

    Jacques Bienvenu

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    1. Oui, j'ai d'ailleurs hier repéré une version word de l'article "Ce qu'on dit aux poètes à propos de Rimes" où il est déjà dit que "ô flots abracadabrantesques" fait écho au titre Odes funambulesques lui-même.
      Le seul truc, c'est que la forme du quatrain de "Ce qui retient Nina" ou "Mes Petites amoureuses" était mise en relation avec Ronsard et Banville, sans avoir la clef Musset. La forme quatrain est basique et il y a eu des antériorités parmi les romantiques inévitablement.
      Maintenant, mon gros problème, c'est que sur le net on n'a pas toutes les éditions des Odes funambulesques alors que l'état du poème "Monsieur Jaspin" a varié.
      1) 1857 : sous le titre "Monsieur Jaspin", on a deux triolets avec une reprise de l'un à l'autre : "estaminet" à la rime, voire un vers presque entier, mais ils sont séparés par un signe typographique, d'où l'erreur à mon avis d'Aroui qui n'identifie pas un poème à deux triolets. Car, du coup, ce serait la preuve minimale de l'antériorité de Banville sur Daudet, même si je suis sûr que Daudet connaissait pour d'autres raisons "Monsieur Jaspin" et "Le Divan Le Peletier".
      2) il manque au moins l'exemplaire de 1859 avec des ajouts de triolets, et même toute édition des années 1860.
      3) L'édition de 1873-1874 est trop tardive pour avoir influencé "Le Coeur supplicié", même s'il y a les précieux commentaires de Banville, mais Wikisource transcrit cette édition et ne donne qu'un triolet pour "Monsieur Jaspin". Erreur de transcription.
      4) Gallica propose aussi une édition posthume de 1892 où il y a les commentaires et le texte "Monsieur Jaspin" avec la rime "comptoir" reprise par Izambard et le triolet de hoquets que je prétends la source du triolet final de Rimbaud.
      L'objectif est de trouver la première publication de la version finale de "Monsieur Jaspin", de préférence avant 1871, car sinon on sera devant un fait de ressemblance étonnant.

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    2. Je possède des éditions d'époque des recueils de Banville : Les Cariatides version des années 1860, Les Exilés de 67, Odes funambulesques et Nouvelles Odes funambulesques, tous livres qui m'ont coûté assez cher, mais désormais en piteux état. Mon édition des Odes funambulesques est malheureusement postérieure, puisqu'elle contient les commentaires (elle cumule aussi les préfaces de 57 et 59). Mon exemplaire donne bien deux triolets comme un poème dans le cas de "Monsieur Jaspin", juste un blanc qui sépare les deux triolets. Et on a bien la version finale à "coups de boutoir". Mais il me faut une édition de 1859.

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  2. Pour bien comprendre le problème qui demeure en suspens !
    1) Dans son article, Aroui se trompe en disant que Daudet est le premier à avoir publié un poème en plusieurs triolets au XIXe. D'abord, Banville donne des dates antérieures à ce qu'il publie en 1859 (Décembre 1845 et septembre 1852 ou 1855). MAIS il y a plus important ! En 1857, Banville écrit Triolets au pluriel, met deux triolets sous le titre "Monsieur Jaspin" et ensuite on a un rondeau. Mais, les deux triolets sont sur deux pages distinctes et il y a un signe typographique en haut du second triolet. Aroui a dû croire que les deux triolets étaient deux poèmes. Mais, pour deux poèmes différents sur deux pages distinctes, on n'a pas besoin d'un signe typographique. En plus, un vers est quasi repris d'un triolet à l'autre, ce qui achève de prouver que les deux triolets ne font qu'un poème. Par ailleurs, même dans ce cas de figure, l'idée que Banville publie un poème en deux triolets en 57, Daudet un en neuf triolets en 58 et Banville un en 6 triolets en 59 (comme s'il avait peur que Banville lui brûle la politesse) n'est pas crédible. Plus simple et plus logique de concevoir que Daudet connaissait par des lectures publiques ou des pré-publications les poèmes en plusieurs triolets de Banville déjà anciens (écarts forts entre 45-45 et 57-59).
    2) Dans la version de "Monsieur Jaspin" de 57 et de 59, on a le premier triolet identique avec la phrase sur la brune et la chope proche de la phrase de Rimbaud "On me paie en bocks et en filles". En revanche, le second triolet, on a une rime "loups"::"houx"::"jaloux" et un vers répété "Il sait hurler avec les loups". Le cri du loup, c'est le prolongement du "ou", donc la rime fait entendre ce prolongement.
    Dans la version remaniée, mais publiée quand ?, on a une rime "coups de boutoir", "trottoir", "nymphe du comptoir". Je pense que "coups de boutoir" fait passer la rime en "-oir" pour des coups de boutoir, et des "coups de boutoir" à compter si on prend la racine du mot "comptoir".
    Or, Rimbaud fait un truc expressif équivalent et alcoolique avec "refrains bachiques", "sursauts stomachiques" et "tari leurs chiques", la rime en "-iques" est une sorte de "hic". C'est le même principe que pour les "loups", mais c'est plus proche pour le thème des "coups de boutoir". En plus, Izambard a repris lui "comptoir" dans "La Muse des Méphitiques", ce qui fait que, dans tous les cas, il faut enquêter si oui ou non Rimbaud a pu connaître la version avec "coups de boutoir" avant le 13 mai 71. Dans tous les cas, Banville a remanié son poème "Monsieur Jaspin", et il faudra dater ce remaniement. Banville a hébergé Rimbaud, aurait-il remanié son poème en s'inspirant du "Coeur volé" ? Rires.

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  3. Je vais devoir prendre ça à tête reposée, mais pour le mot "satire", j'explique ici les enjeux.
    Rimbaud envoie un poème en trois triolets "Le Coeur supplicié" à son professeur et il lui écrit ensuite : "est-ce de la satire ? comme vous diriez. C'est de la fantaisie toujours !" Le "comme vous diriez", cela veut dire que ce vous est un professeur qui connaît l'enseignement classique de la rhétorique. Ce professeur lit le poème et le range dans son enseignement à la catégorie "satire". Or, les rimbaldiens, sauf Reboul, n'ont rien fait de ce mot "satire". Reboul a publié un article sur Les Douaniers où il rappelle quand même cette citation "est-ce de la satire, comme vous diriez ?" Le genre "satire" a à voir avec celui des genres mêlés et cela montre que le rapprochement avec "fantaisie" n'est pas absurde, mais cela me laisse quand même sur ma faim.
    Or, les autres rimbaldiens n'ont jamais vu que le mot "fantaisie" en citant "La Revue fantaisiste", mais ils sont jamais allés à fond dans l'analyse de ce que signifie le mot. Ils alignent des références, mais la définition on ne l'a pas vraiment.
    Egalement, ils vont dire que les triolets ça renvoie à Banville qui les a remis à l'honneur, mais jamais ils vont dire que le triolet est une forme liée à la satire et que Banville l'a dit lui-même dans son traité que Rimbaud a pu lire.
    Et ça ne s'arrête pas là. L'édition des Odes funambulesques de 1857 qu'on peut consulter sur Gallica continent déjà apparemment Le Divan Lepelletier en appelant cela des triolets rythmiques (mais là faut que je vérifie à tête reposée, parce que je suis dépassé), mais surtout les poèmes sont flanqués de désignations de genres, à la fois en surtitres aux poèmes et en compléments de titres sur les pages de sommaires. On a "Triolets Monsieur Jaspin", mais on a aussi des poèmes rondeaux, des poèmes Occidentales, et des poèmes Satires...
    Vous en connaissez beaucoup des recueils qui précisent que telle composition est une satire ? En plus, cela fait une famille où triolet(s) voisine avec occidentale, satire, etc.
    Là, les gens, ils commentent le poème : "c'est en triolets, ça veut dire ça, c'est peut-être ça le sens", mais à aucun moment on ne cherche à éprouver si la lecture du poème est spécifiquement satirique ou non !

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    1. En utilisant la fonction "rechercher" sur les pages consacrées au poème par Bardel, critique qui fait des synthèses des travaux universitaires distingués à l'exclusion de tout ce qui n'est pas officiel, on voit que sur une page de présentation le mot "satire", il apparaît en revanche à sept reprises dans la rubrique "commentaire", mais il faut voir comme :
      on a la citation, puis donc six mentions (recherche "satir" qui a donné "satire", "satirique"):
      "Le jeune homme craint que son ancien maître refuse tout simplement de considérer Le Cœur supplicié comme de la poésie, se débarrassant de l'objet non identifié par le terme "satire". "
      Il n'y a pas un problème ?
      Seconde citation avec deux autres occurrences :
      "Aussi rejette-t-il implicitement le terme de "satire" que son ancien professeur ne manquera pas d'employer. Il y a là-dedans quelque chose à comprendre, en plus de la satire. Quelque chose, peut-être, de plus personnel. "
      Puis, plus loin, on a l'emploi mais dans le corps d'une analyse intemporelle : "un renouvellement thématique à tonalité parodique et satirique", "un ensemble de poèmes (des années 70-71) montrant de façon satirique le jeune homme inexpérimenté, face aux problèmes de la sexualité", "Ainsi, la parodie, l'écriture satirique, ont-elles protégé du regard la personnalité réelle, blessée, du poète".
      Certes, Bardel emploie à sept reprises les mots "satire" ou "satirique", mais ça n'a rien à voir avec la question des triolets par exemple. Il ne faut pas vous laisser berner. Bardel emploie le mot "satire", mais il ne le rattache pas à une exploration minutieuse, il s'en sert parce qu'il est là et en fait ce qui lui passe par la tête. Rien à voir avec une approche rigoureuse.

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