Petit conseil mes lecteurs : je me doute que le rythme de mes publications est soutenu et que vous avez autre chose à faire, mais vous privilégiez en ce moment le dernier article sorti au détriment de l'avant-dernier, alors que l'avant-dernier article est prodigieux et de pleine actualité. Il faut bien évidemment cliquer sur les derniers articles, quitte à ne pas tous les lire en entier. Il faut les sonder un petit peu... je rappelle qu'il suffit de consulter mon blog selon une date que vous vous accordez et de lire sinon consulter alors tout ce j'ai publié depuis votre dernière visite. Je dis quand même en quoi la préface de Murphy est une faillite, ça ne vous intéresse pas d'y aller voir de plus près ?
Bien, revenons au dernier article qui visiblement vous attire plus, la synthèse !
J'ai fourni une première synthèse sur les seules 24 pages avec des enseignements clefs et des enseignements nuancés.
Premier enseignement fondamental : la pagination et l'usage du crayon à bois sont des pratiques éditoriales courantes de l'époque, à tel point que Vanier va paginer les cinq manuscrits inédits en sa possession pour sa propre édition rimbaldienne de 1892, comme nous allons en parler plus bas. Nous avons des preuves d'un emploi du crayon à bois par l'éditeur dans le cas de la signature "Arthur Rimbaud" sur la page 9 du manuscrit, et nous avons aussi une hiérarchie entre encre et crayon à bois dans le repassage à l'encre des chiffres des neuf premières pages. Nous avons aussi plusieurs preuves que, de manière délibérée, les protes de la revue La Vogue écrivaient sur les manuscrits d'un auteur pourtant alors admis encore vivant à l'époque, sur des manuscrits qui ne leur étaient confiés que le temps de la publication. Vous avez les noms des ouvrières sur les manuscrits, plusieurs fois le nombre de lignes qu'elles ont montées, préparées, la mention en bleu "Ezévir" qui fait éhco au même usage du bleu et du rouge par Vanier sur d'un côté les épreuves de son édition rimbaldienne de 1895 (consultable sur le site Gallica de la BNF), d'un autre côté sur l'exemplaire du Reliquaire conservé à la bibliothèque royale l'Albertine de Bruxelles. Vous avez d'autres éléments encore comme la technique de soulignement des titres par des crochets ou des encerclements. Et, ce qui n'est pas des moindres, les rimbaldiens considèrent que même sur l'établissement des textes il y a eu des interventions indues des éditeurs qui auraient eu même biffé de manière indue le deuxième mot "après" pour "Après le Déluge" : "Aussitôt après que..." ou bien ils auraient corrigé erronément "la main de la campagne sur mon épaule" en "la main de la compagne sur mon épaule". Cela entraîne mécaniquement un soupçon légitime pour d'autres parties : on se demande si c'est Rimbaud lui-même ou pas qui a biffé la mention "les" devant le titre désormais admis "Ouvriers", la même page manuscrit exhibant le titre "Les Ponts" avec article, sauf que précisément ce titre-là n'a pas été relevé par la revue La Vogue avec les conséquences que nous savons de fusion de deux textes de poèmes en un. Le problème intéresse aussi tout particulièrement le cas du manuscrit où le titre "Veillée" est modifié en "III". S'appuyant exclusivement sur des préjugés à propos de la pagination originale du feuillet précédent "18/", les rimbaldiens ne se sont pas concentrés sur le filet de séparation qui suit le poème "Veillée", ni sur le changement du titre "Veillée" en "III", alors que c'est ce qu'il y a de plus important à analyser dans le montage de la série "Veillées en trois parties. Nous partons d'une réalité de départ. Rimbaud a conçu une suite de deux poèmes sous le titre au pluriel "Veillées" et il a composé un poème au singulier intitulé "Veillée". Les deux poèmes sous le titre "Veillées" ont pour singularité une attaque avec un mot de la même famille : "C'est le repos éclairé..." et "L'éclairage..." Cela se dilue avec la mention "lampe" à l'attaque du poème "Veillée" au singulier : "La lampe..." Cet écho a été repéré depuis longtemps par André Guyaux qui avait publié une étude sur les "Veillées", mais je ne sais plus si l'article se trouve dans Poétique du fragment, ce que je ne crois pas, ou bien dans Duplicités de Rimbaud, son second livre, ou bien dans un article de revue, ce qui semble correspondre à mon souvenir, et cet article figurerait dans un numéro de revue de la décennie 1981-1990. On peut penser qu'il y a un lien de "Veillée" à "Veillées" I et II, par le titre et par l'écho des attaques des trois poèmes, et en même temps une différence apparaît : "lampe" s'éloignant de "éclairé" et "éclairage". Et en tout cas, malgré cette parenté, il y avait bien un groupe de deux poèmes et un autre poème isolé. Rimbaud aurait supprimé finalement le titre "Veillée" pour le remplacer par un III, imposant de le lire à la suite des deux autres.
Notons que les rimbaldiens pressés d'établir l'existence d'un recueil ordonné par Rimbaud s'intéressent bizarrement assez peu à ce que tout cela implique, puisque cela veut dire que la série "Veillées" est constituée de trois poèmes autonomes où la succession n'a justement pas d'importance en soi. Je rappelle que "Vies" est un seul poème en trois parties non interchangeables, et qu'une même lecture tend à s'imposer pour "Enfance", peut-être aussi pour "Jeunesse", mais l'analyse pourrait ne pas se faire sur le même plan dans ce dernier cas. La suite des trois "Veillées" ne serait qu'un regroupement de trois poèmes qui ont le même titre de départ, une même idée thématique de départ. Et ce problème se pose aussi pour les deux poèmes intitulés "Villes" avec une grosse énigme pour le poème intitulé "Ville" au singulier, puisque la série des trois "Villes" n'a pas abouti.
Il faut déterminer si c'est Rimbaud qui a placé les chiffres I et II pour les poèmes "Villes" au pluriel et qui les a lui-même biffés avant d'y renoncer, suite à un aléa problématique du recopiage des poèmes l'un après l'autre. La transcription "Villes", "Vagabonds", "Villes", a rendu impossible le regroupement, et c'est la preuve que les successions du recopiage ne relèvent pas d'une mûre préparation de l'ordre de défilement des poèmes dans un recueil, puisque c'est à cause de cet ordre de transcription que le poète doit renoncer à rassembler des poèmes, si les "I" et "II" du manuscrit sont bien de lui.
Pour "Veillées", le filet de séparation à la suite de "Veillée" réintitulé "III" serait un argument en faveur d'un remaniement voulu par Rimbaud, ce dont les tenants de la pagination autographe ne semblent pas s'être saisi, mais le problème c'est qu'il faut alors se pencher sur l'encre utilisé. Rimbaud a très bien pu mettre un filet de séparation à la suite d'un poème bref, aux alinéas concis, qui contient qui plus est une ligne de pointillés. Rimbaud signifie clairement que le poème est fini, ce qui semble inutile. Rappelons que s'il le fait, ça peut être quand la suite du manuscrit est encore vierge sans présence de la transcription des poèmes suivants "Aube", "Mystique" et "Fleurs" sur une suite enchaînée de deux feuillets. En toute rigueur, il faut déterminer quand a bien pu être transcrit le filet de séparation. Or, lors du remaniement, une encre plus foncée a été utilisée pour biffer le titre "Veillée" et ensuite pour chapeauter le texte restant d'un chiffre trois romain. Or, le filet de séparation est à l'opposé particulièrement pâlot, ce qui ne colle pas avec l'idée d'un geste participant du remaniement.
Je connais les rimbaldiens. Il y a toujours une explication de derrière les fagots. Rimbaud avait paginé 23 feuillets. La revue s'en est servi, elle a repassé les neuf premières pages, mais en se fondant sur la pagination préexistante au crayon et deux fois à l'encre. Mais bien sûr ! Rimbaud a mis le filet de séparation avec une autre plume et à un autre moment en-dessous de "Veillée", soit avant soit après, peu importe ! le remaniement du titre "Veillée" en "III". Et vivent les pirouettes !
Moi, je vous pointe du doigt les problèmes évidents à traiter avant d'affirmer quoi que ce soit, ce que les rimbaldiens tenants de la pagination autographe n'ont pas fait en toute rigueur.
La preuve, ils ont une théorie selon laquelle les filets de séparation relient plusieurs groupes de poèmes entre eux par-delà les feuillets, alors que le filet de séparation à la suite de "Veillée" ne peut être utilisé pour prouver la série "Veillées" en trois poèmes comme voulue par Rimbaud que si tous les filets de séparation ne sont rien d'autre que des délimitations accentuées du début ou d'une fin de poème, aussi absurde que le geste puisse paraître parfois, geste peut-être conditionné bêtement par les copies antérieures que nous ne connaissons pas, mais dont le feuillet recto et verso paginé 21 et 22 donne une idée.
Mais, dans le meilleur des cas, le remaniement pourrait être de Rimbaud que la pagination ne le serait pas pour autant.
J'en reviens maintenant à la pagination d'ensemble.
Dans la première partie, j'ai expliqué que les feuillets étaient remis par un ou par deux à diverses ouvrières typographes, j'ai oublié de préciser que, ce faisant, cela justifiait l'intérêt de la pagination des manuscrits. La pagination permettait de rendre lisible une consigne, celle de l'ordre à donner aux plaques typographiques constituées.
On constate qu'au-delà des 24 pages, la pagination va reprendre à zéro si on ose dire. Et cette fois, nous aurons des paginations autonomes numéro par numéro au plan de la revue La Vogue. Nous avons une réalité matérielle qui montre que la pagination est un acte considéré comme nécessaire par les protes de la revue, et si la pagination n'a pas continué par la suite 25, etc., cela coïncide avec deux changements avérés. Premièrement, les noms des protes changent et nous passerions même d'une équipe féminine à une équipe masculine. Deuxièmement, nous quittons le terrain de la suite de poèmes en prose sur essentiellement un même type de papier pour passer à la publication des poèmes en prose sur des papiers de formats variés et ils sont cette fois mélangés à la publication des poèmes en vers nouvelle manière de 1872.
On va analyser cela au cas par cas, mais avant il faut donc faire plusieurs remarques. Premièrement, ce changement brutal qui commence à inclure des poèmes en prose c'est un argument pour dire que les poèmes en vers étaient perçus comme faisant partie des poèmes en prose, donc il n'y avait pas de pagination les excluant ! On voit bien que la revue a privilégié la série sur un format continu avant de faire un mélange pensé équilibré des derniers poèmes en prose ou en vers libres modernes ("Mouvement") et les poèmes en vers irréguliers, "Mouvement" pouvant être interprété comme un poème en vers comparables à ceux de 1872 par la revue La Vogue, c'est même probablement ce qu'il s'est passé et osons une hypothèse un peu folle : le manuscrit de "Mouvement" a lui tout seul a pu précipiter l'idée qu'il fallait mélanger les vers et les proses, puisque ce manuscrit avec une transcription volontaire en vers (crochets pour éviter les retours à la ligne) était mélangé aux proses. Les tenants de la pagination autographe ratent là encore un objet d'étude. Mais ce n'est pas tout. Donc, la revue a d'abord tenu compte de la suite plus ou moins homogène, moyennant deux à quatre feuillets intégrés par leur initiative personnelle : les manuscrits de "Après le Déluge", "Nocturne vulgaire", "Marine", "Fête d'hiver", "Veillées I et II" et les cinq poèmes brefs séparés par des croix. La pagination continue s'expliquait par le fait de suivre un dossier plus stable grâce à sa relative uniformité de papier. On passe maintenant à une pagination numéro de revue par numéro de revue. Notons que le dossier de 24 pages coïncide avec deux numéros de revue seulement. En deux numéros, cette suite a été publiée, d'abord pages 1 à 14, ensuite pages 15 à 24. Et on constate que le projet était initialement de les publier moins rapidement, sur trois numéros seulement, nous sommes passés de neuf pages à publier dans le numéro 5 de la revue à 14 pages, puis dix pages ont été publiées dans le numéro suivant, ce qui veut dire qu'on dépassait à nouveau le total initial de neuf pages. Je n'ai pas vérifié sur l'édition originale dans les revues ce que cela faisait en nombre de pages, on le fera plus loin dans cet article.
Et ici il y a une question de bon sens à se poser : pourquoi Rimbaud aurait-il privilégié la pagination d'un ensemble à peu près stable et ignorer complètement la pagination de l'ensemble instable de poèmes transcrits sur des formats variés ? Il aurait mieux fait de paginer l'ensemble instable, puisque l'état stable peut se reconstituer facilement étant donné les suites de transcriptions entre pas mal de feuillets. Il aurait aggravé l'inégalité de traitement entre les deux masses de manuscrits ! J'ajoute que, selon les tenants de la pagination autographe, Rimbaud a eu du papier et du temps pour supprimer deux feuillets initiaux 12 et 18 de la série initiale, de les remplacer par d'autres, et de réécrire à l'encre sur les feuillets de substitution les nouveaux numéros de page, mais aucun temps pour paginer le reste, ni le recopier sur du papier vierge. Rimbaud se serait, pire encore ! accordé le droit de mettre dans la série homogène une transcription au recto et au verso, alors qu'il se l'est interdit pour les 22 autres pages du dossier quasi homogène comme pour les autres manuscrits. Tout cela n'a aucun sens. Rimbaud a bêtement rassemblé ce qu'il pouvait de poèmes différents selon les copies qu'il avait à sa disposition. Mettons qu'il ait considéré un jeu de copies pour lui-même, il n'avait pas de copie plus belle pour "Nocturne vulgaire", "Marine" et "Fête d'hiver". Il ne faut pas chercher plus loin. Et s'il rassemble comme il peut des copies lisibles de poèmes qui peuvent être à plusieurs sur un même feuillet, cela ne plaide pas en faveur d'une ordre établi des poèmes pour un recueil. Rimbaud, à chaque fois, qu'il faisait une copie de l'un de ses poèmes, il avait encore des poèmes à inventer, par exemple. On voit bien sur la série dite homogène qu'il y a des variantes, des passages biffés, des poèmes insérés de force pour profiter d'une place disponible : "Conte" et "Royauté", et surtout des remaniements pour les séries "Villes" et "Veillées" qui n'ont aucun sens si les copies suivent un ordre de recueil préétabli. On ne remanie pas après les copies, sauf si on a bien effectué une séparation individuelle des poèmes feuillet par feuillet. Les remaniements pour "Villes" et "Veillées" sont invraisemblables. Et cela devient de la pure évidence pour les manuscrits non paginés au-delà du groupe de vingt-quatre pages. Rimbaud croyait-il qu'un ordre allait s'imposer naturellement à l'éditeur pour les publier ? le plus amusant, c'est qu'ils ont été publiés mélangés à des poèmes en vers "nouvelle manière" de 1872, alors que les tenants de la pagination autographe sont les plus sensibles, les plus brûlés au troisième degré, quand on leur parle d'inclure les poèmes de 1872 dans le recueil des Illuminations. Une conséquence logique de la théorie de paginations voulues par Rimbaud, c'est que Steve Murphy et Alain Bardel sont finalement acquis à l'idée que les poèmes en vers de 1872 font bien partie du recueil des Illuminations, ce qu'ils nient catégoriquement par ailleurs. Ils tiennent un discours résolument contradictoire.
La pagination en 24 pages de 23 feuillets, en incluant des feuillets qui ne sont pas de la série homogène sur un même papier coïncide avec la délimitation des la publication dans les numéros 5 et 6 de la revue La Vogue où la page 24 est une limite finale. Cette coïncidence n'a pas l'air d'intéresser les tenants de la pagination autographe, elle se rajoute pourtant à une belle série de coïncidences déjà observées, et je rappelle ma synthèse de la première partie en une synthèse plus concise encore. Pages 1 à 9, projet initiale avec repassage à l'encre de la pagination et titres entre crochets, plus mention "Arthur Rimbaud"' au crayon, de la page 10 à 14 aucun titre souligné pas de mention des ouvrières ce qui correspond à la partie augmentée publiée elle aussi dans le numéro 5, pages 15 à 24, indice de reprise de la publication sur la page 15, puis tous les titres sont encerclés. On a une coïncidence parfaite en trois sous-groupes avec la publication dans la revue, et les dix dernières pages nous rapprochent des neuf premières pages prévues, ce qui veut dire que l'ensemble publié correspond à la place disponible dans la revue selon la ligne éditoriale. Il s'agit à nouveau d'une coïncidence dont les tenants de la pagination autographe ne font rien, et s'ils n'en font rien c'est que par pétition de principe ils refusent d'envisager que les ajouts de "Après le Déluge", "Nocturne vulgaire", "Marine" et "Fête d'hiver" sont une part inévitable de l'ajustement de la place disponible en question dans les numéros 5 et 6 de ma revue La Vogue, sans même parler des feuillets 12 et 18, puisque "Après le Déluge" et les trois autres poèmes ne sont pas mis dans la série homogène pour relier des poèmes entre eux, donc rien n'empêchait la revue de mettre "Promontoire" avant la page 14, ni "Scène", ni un autre poème : ils auraient pu augmenter l'espace d'un poème discrètement, et s'ils l'avaient fait, les rimbaldiens clameraient haut et fort que cette insertion a été le fait de Rimbaud lui-même, puisque ce qu'ils admettent sans recul pour "Après le Déluge" ou "Veillées I et II", et ainsi de suite, ils n'ont aucune raison de le contester pour un autre manuscrit. Or, à part à affirmer par pétition de principe que la pagination en 24 pages est autographe, les rimbaldiens ne sauraient exclure que d'autres insertions forcées étaient possibles. Pourquoi les rimbaldiens ne privilégieraient-ils pas la série homogène en considérant que le récit commence par "Enfance", ce que Michel Murat envisage d'ailleurs quelque peu en contradiction avec son admission passive du cas de "Après le Déluge" ? Pourquoi ne même pas envisager qu'au minimum si la série homogène peut être de Rimbaud, le manuscrit de "Nocturne vulgaire", "Marine" et "Fête d'hiver" a été inséré là par caprice de la revue La Vogue ?
On va voir qu'il y a des indices qui invitent justement à envisager de tels remaniements à la marge.
En attendant, reprenons l'analyse livraison par livraison de la revue.
Or, la continuité des publications du numéro 5 au numéro 9 de la revue La Vogue a connu une anomalie importante. Nous n'avons que des poèmes en prose dans les numéros 5 et 6 de la revue, puis nous n'avons que des poèmes en vers "nouvelle manière" dans le numéro 7, avant que nous n'ayons le mélange des poèmes en prose et en vers dans les numéros 8 et 9. Il y a une remarque capitale à introduire ici : la publication des Illuminations a été interrompue après le numéro 6 s'il ne devait s'agit que des poèmes en prose, et elle reprend avec un remaniement d'équipe conforme au témoignage d'époque de Fénéon dans le numéro 8. Il n'y a pas de poèmes en prose dans le numéro 7, mais uniquement quatre poèmes ou ensembles en vers, ce qui affermit encore l'idée que la pagination en 24 pages fut le fait de la première équipe qui, par coïncidence partielle (ça arrive), a suivi le dossier sur un papier de même format, puis les nouvelles paginations et le mélange des proses et des vers fut le fait de la nouvelle équipe, même si pour le mélange des vers et des proses la décision peut venir de l'équipe dirigeante de la revue et non de la nouvelle équipe. La nouvelle équipe pagine en tout cas numéro par numéro de la revue. Les nouvelles publications tiendront en deux volumes, et l'inclusion des poèmes en vers a visiblement permis de compenser l'absence des manuscrits de poèmes en prose qui seront publiés par Vanier ultérieurement. En effet, les poèmes en vers ont permis à la revue d'atteindre à un certain nombre de pages prévues, d'équilibrer les masses en quelques sorte, même si on peut soutenir qu'il aurait suffi de publier dans le seul numéro 8 de la revue les poèmes en prose restants, sauf que la revue devait spéculer sur le fait de récupérer in extremis les cinq manuscrits en prose restants. Encore un argument utilisable contre l'inclusion des poèmes en vers dont se privent les tenants de la pagination autographe, ou s'ils ne s'en privent pas volontairement en tout cas ils se créent des cadres de réflexion qui les empêchent d'y penser.
Après, je n'ai pas tout lu ! Je vous avoue que même le très vieil article de Steve Murphy dans le numéro 1 de la revue Histoires littéraires je ne l'ai pas lu et relu plume en main. Mais, en tout cas, ça ne revient jamais ailleurs, donc même si quelqu'un a déjà avancé cela, ça n'aura pas eu de suites.
Reprenons.
Nous n'avons plus que deux numéros de la revue à analyser et cela ne fait que huit poèmes en prose ou en vers libres modernes à prendre en considération. Ces poèmes tiennent sur encore moins de feuillets manuscrits puisque "Bottom" et "H" sont sur un même feuillet et qu'on ne sait si cela ne concerne pas aussi "Démocratie" et "Dévotion". Notez qu'après cela il n'y a plus que cinq manuscrits en jeu qui seront publiés par Vanier en 1892. En gros, vous avez des tenants de la pagination autographe qui vous expliquent que Rimbaud a eu le temps de mettre en ordre 23 feuillets et de les paginer en 24 pages, étant donné un cas de transcription au recto et au verso, mais ils vous soutiennent que Rimbaud n'a pas eu le temps de paginer douze autres feuillets en douze pages. Il s'agit de la moitié de 24 pages en termes de pages ! Et il se peut qu'il n'y ait que onze feuillets à paginer en réalité, vu qu'on ne sait rien pour "Démocratie" et "Dévotion". Au nom de quoi Rimbaud n'aurait-il pas eu le temps de paginer un tiers du dossier, en sachant que, si, selon les tenants de la pagination autographe, l'ordre de recueil est fixé pour les 24 pages, il faut bien que cet ordre existe aussi dans la tête de Rimbaud pour les onze ou douze autres feuillets. Il ne peut pas avoir composé deux tiers du recueil et se dire qu'il verra bien plus tard comment organiser le dernier tiers, sachant que si ces poèmes doivent être à la fin Rimbaud doit avoir une idée de l'allure d'ensemble qui veut donner à la fin du recueil. Si ces onze ou douze feuillets doivent être les derniers, c'est qu'il y a quelque chose de décidé sur leur ordre de défilement dans le recueil, ça ne peut pas être aléatoire. Cette contradiction, les rimbaldiens ne l'affrontent pas. Ils préfèrent se défausser : comme il n'y a pas de pagination, on ne sait pas l'ordre voulu par Rimbaud, mais au plan du bon sens la conclusion est plutôt que s'il n'y a pas de pagination c'est que rien n'a été décidé au sujet de l'ordonnancement des poèmes dans le recueil, et rien n'a été décidé sur sa fin ! Et si tel est le cas, le doute est bien évidemment légitime sur la prétendue réalité de l'ordre déterminé des poèmes dans la suite de vingt-quatre pages. Ce raisonnement imparable, les rimbaldiens prétendent en faire fi !
Rimbaud voulait publier le recueil de ses poèmes en prose. Grâce à Verlaine, d'autres l'ont fait, il suffit juste ensuite d'enlever les poèmes en vers nouvelle manière sauf "Mouvement" et de conserver ça dans l'ordre de publication originale par-delà deux éditeurs différents, puisque Vanier a pris le relais.
Ce problème béant, les rimbaldiens ne l'affrontent pas pour s'assurer le plaisir d'une édition des poèmes dans un ordre exclusif qui conforte les habitudes mentales. Voilà la réalité.
Dans le numéro 7 de la revue La Vogue, cinq poèmes ou ensembles en vers ont été publiés : "Chanson de la plus haute Tour", "Âge d'or", "Nous sommes tes grands-parents...", "Eternité" et "Qu'est-ce pour nous, mon Cœur,...".
Il y a plusieurs constats intéressants à faire. La série des "Fêtes de la patience" que nous connaissons par les manuscrits en provenance de Jean Richepin, est ici démembrée. Nous n'avons que trois des poèmes sur les quatre, ils ne sont pas publiés dans l'ordre, puisque "Âge d'or" précède "L'Eternité" et pire encore ils sont séparés par un autre très long poème ou ensemble de poèmes "Nous sommes tes grands-parents..." La revue publiera dans un autre numéro "Patience d'un été" qui correspond à "Bannières de mai", mais je voudrais attirer votre attention sur le fait que nous ne pouvons exclure que ce soit la revue La Vogue qui ait détruit l'unité des quatre poèmes et non Rimbaud lui-même. Certes, Rimbaud n'a pas prévenu d'une façon ou d'une autre que les quatre poèmes se suivaient, mais il y a un indice qui montre que la revue n'a pas publié les poèmes dans un ordre établi par Rimbaud, puisque, alors que les manuscrits de poèmes en principe de la série "Fêtes de la patience" conserve des titres et aussi des majuscules en début de vers, les manuscrits de "Nous sommes tes grands-parents..." et "Qu'est-ce..." sont dépourvu du titres avec le choix de conserver des minuscules en début de vers. Il est sensible que dans le lot manuscrit une unité demeure pour les quatre "Fêtes de la patience", puisque leurs manuscrits ont des titres et des majuscules à l'initiale des vers ! On sent que les quatre manuscrits de nouvelles versions des "Fêtes de la patience" ont été copiés d'une certaine façon commune, ce qui oppose leur rédaction à plusieurs cas de transcriptions sans titres et à plus forte raison au groupe de manuscrits avec des minuscules en début de vers : "Mémoire" étant un cas particulier de poème avec des minuscules en tête de vers, mais un titre. Il est clair que la revue La Vogue n'a pas cherché à prendre en considération les indices manuscrits qui auraient justifié certains recoupements, et s'ils ont fait cela pour les poèmes en vers ils ont forcément pu le faire pour les manuscrits des poèmes en prose !
Ce n'est pas tout. Suite à la vente des manuscrits rimbaldiens de la collection de Pierre Bérès, nous pouvons vérifier que les trois pages manuscrites de "Nous sommes tes grands-parents...", version alternative sans titre de "Comédie de la soif", sont paginés 5, 6 et 7 avec un cercle autour des chiffres, pagination faite au crayon, avec un 7 non barré qui coïncide avec le 7 non barré au crayon de la suite de 24 pages de poèmes en prose !
Je rappelle que Jacques Bienvenu a fait remarquer que le 7 à l'encre repassant le 7 au crayon était barré, ce qui n'était pas normal chez Rimbaud qui ne barrait jamais ses 7 à l'époque, ce à quoi il a pu être répliqué que le 7 au crayon n'était pas barré et qu'il avait une valeur initiale en fait de pagination. Ici, nous avons la preuve que dans la revue La Vogue un prote pagine au crayon avec un 7 non barré !
Dans le document suivant, vous pouvez consulter la pagination "3" de l'unique feuillet de "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,...", la pagination "4" pour l'unique feuillet de "Âge d'or", et la pagination 5,6 et 7 pour les trois pages de "Nous sommes tes grands-parents..." : Cliquer ici pour consulter un extrait du catalogue de la vente Bérès en 2006 de manuscrits rimbaldiens dont "Nous sommes tes grands-parents...", "Âge d'or" et "Qu'est-ce..." publiés tous trois dans le numéro 7 de la revue 'La Vogue' !
Je dois avouer une difficulté ici pour mon analyse, je n'ai pas tous les livres utiles sous la main et je remarque que sur son site Alain Bardel n'énumère pas les poèmes en vers publiés dans le numéro 7 de la revue La Vogue dans le même ordre que la pagination manuscrite le laisse supposer. Pire encore, pour "Nous sommes tes grands-parents..." son lien vers la publication originale renvoie à la plaquette et non pas à la vraie édition originale dans le numéro 7 de la revue. Je ne peux donc pas vérifier au quart de tour l'ordre exact de la publication des cinq poèmes dans le numéro 7 de la revue. En tout cas, cela aggrave le constat. Nous avons d'abord pages 1 et 2 "Chanson de la plus haute Tour", page 3 "Qu'est-ce...", page 4 "Âge d'or" et pages 5 à 7 "Nous sommes tes grands-parents...", puis enfin "Eternité".
Il faudra faire un sort aux manuscrits de vers "seconde manière".
Laissons de côté "Enfer de la soif", doublon pour "Nous sommes tes grands-parents..." non utilisé par la revue La Vogue et dont la provenance est du coup en réalité mal déterminée. Pour le dossier de vers "nouvelle manière" inclus dans les Illuminations, nous avons seulement six ensembles où les initiales de vers sont plutôt en minuscules qu'en majuscules. Cela regroupe "Nous sommes tes grands-parents..." (un ou cinq poèmes en un ?), "Loin des oiseaux...", "La rivière de cassis..." et "A quatre heures du matin..." avec "Mémoire" qui par exception a un titre et "Entends comme brame..." Notons que nous avons donc l'ensemble des poèmes "nouvelle manière" remis à Forain et deux poèmes soupçonnés de leur être contemporain : "Mémoire" dont nous connaissons maintenant une version antérieure "Famille maudite" et "Entends comme brame..." où les rimbaldiens obtus ne veulent pas identifier "en avril" comme un probable indice chronologique de sa période de composition. En revanche, les quatre variantes des quatre poèmes des "Fêtes de la patience" dans ce dossier ont toutes un titre et des attaques de vers en majuscules. Face à cela, nous avons seulement trois autres poèmes qui sont sans titres, mais avec des majuscules en attaque de vers : "Ô saisons !", "Est-elle almée ?" et "Qu'est-ce..." Il reste seulement cinq poèmes comparables à nos quatre "Fêtes de la patience", cinq poèmes avec un titre et des majuscules en tête de vers : "Juillet" dont le titre est mal identifié en "Bruxelles" par la revue, "Honte", "Michel et Christine", "Jeune ménage" et "Fêtes de la faim". Donc, il y a moyen de différencier des séries de transcriptions, ce dont la revue n'a tenu aucun compte lors de ses paginations ! On constate que le démembrement de la série des "Fêtes de la patience" pourrait être accidentel dans la mesure où Rimbaud, justement, n'avait pas pris soin de paginer ses manuscrits !
Je reprendrai l'analyse du contenu du numéro 7 de la revue ultérieurement.
Passons à la suite !
Dans le numéro 8 de la revue La Vogue, vous avez une publication successive de "Promontoire", de "Scènes", de "Soir historique", trois poèmes en prose seulement, puis de trois poèmes en vers "nouvelle manière" dans l'ordre suivant : "Michel et Christine", "Juillet" intitulé "Bruxelles" à cause d'une mention en épigraphe, et enfin "Honte". Comme l'a fait remarquer Jacques Bienvenu, le manuscrit autographe de "Promontoire" n'est pas paginé et il est le seul de son cas dans l'ensemble des manuscrits de poèmes en prose appartenant au recueil des Illuminations. Bienvenu a expliqué cela en exhibant la copie allographe de "Promontoire" qui tient sur deux pages avec la pagination 1 et 2. Le manuscrit de "Scènes" porte la page 3 et celui de Soir historique la page 4. Il se trouve que plusieurs des manuscrits supports de la publication originale dans la livraison numéro 8 ont aussi appartenu à Pierre Bérès et ont aussi été mis en vente avec fac-similés de catalogue à l'appui. On peut consulter le fac-similé de "Soir historique" paginé 4 sur le site internet Arthur Rimbaud d'Alain Bardel, on peut consulter les manuscrits autographe et allographes de "Promontoire" sur le blog de Jacques Bienvenu et précisément sur les articles de 2013 et 2025 où il en traite, mais sur le même lien que je vous ai fourni plus haut du catalogue de vente de Pierre Bérès en 2006 vous pouvez consulter la page 1 allographe de "Promontoire", la page 3 de "Scènes", la page 5 de "Michel et Christine", la page 6 de "Juillet" réintitulé "Bruxelles", la page 7 de "Honte" où le 7 au je crois crayon est non barré !
Passons au numéro 9 de la revue. Sur le site d'Alain Bardel, le fac-similé de "Mouvement" a une pagination illisible, tandis que le lien pour consulter le manuscrit de "Bottom" et "H" est corrompu. Nous n'avons plus aucune trace manuscrite pour les poèmes "Démocratie" et "Dévotion". Pour les poèmes en vers "nouvelle manière", il manque l'accès aux fac-similés, Bardel n'ayant pas fourni des liens soit dans son dossier sur les Illuminations, soit dans sa section "Tous les textes". Il faut peut-être consulté ses articles pour aller à la pêche aux précisions, mais on a trois poèmes en vers concernés : "Loin des oiseaux...", "Ô saisons..." et "La rivière de cassis..."
Les aléas font que je suis voué à faire un article à part de mise au point pour le numéro 9 de la revue.
Je propose donc de m'arrêter là, ainsi je reprendrai cela en début de troisième partie quand je ferai une mise au point sur les poèmes en prose ou en vers que la revue La Vogue n'a pas pu publier.
Dans cette dernière partie, je reviendrai sur les mentions allographes qui concernent le manuscrit autographe de "Promontoire"
Cette deuxième partie vous a fait vous confronter à deux 7 au crayon non barrés sur les manuscrits de Rimbaud qui sont clairement allographes, ce qui fragilise encore plus l'idée que le 7 au crayon du côté de la série de 24 pages puisse être de Rimbaud, vous constatez aussi et j'y tenais que les poèmes en vers sont publiés dans un ordre paginé qui ne tient pas compte des recoupements pourtant évidents qui auraient pu être faits au sujet des manuscrits selon qu'ils sont à majuscules ou à minuscules en tête de vers, selon qu'ils ont un titre ou non. On voit bien que les manuscrits ont été aléatoirement mélangés ! Or, c'est le dossier qui était voisin de celui des poèmes en prose au point de se confondre avec lui !
Enfin, pour finir cette deuxième partie en beauté, deuxième partie qui évoque encore le cas des 24 pages, il faut parler aussi de l'écart entre l'ordre de défilement des poèmes dans les numéros de la revue et leur ordre dans la plaquette, ordre dans la plaquette dont remarquer déjà qu'il n'a tenu aucun compte de la pagination des manuscrits, preuve qu'ils ne la considéraient pas comme référence autographe et si tel était le cas c'était justement parce que la pagination était de leur seul fait, afin de faciliter la publication dans la revue.
Or, vous connaissez l'ordre de publication des poèmes dans la plaquette. Il peut être consulté sur le site Gallica de la BNF qui vous en fournit le fac-similé.
Je prends le temps de vous retranscrire l'ordre de défilement des poèmes dans cette plaquette :
Après le Déluge
Barbare
Mystique
Aube
Fleurs
Being Beautous avec fusion sans séparation de "O la face cendrée..."
Antique
Royauté
Enfance I, II, III, IV et V
Vies I, II et III
Ornières
Marine fondu à "Fête d'hiver"
Mouvement avec présentation en italique de poème en vers
Villes (Ce sont des villes...)
Villes (L'acropole officielle...)
Métropolitain
Promontoire avec les erreurs de transcription du document allographe
Scènes
Parade
Ville
Départ
A une Raison
H
Angoisse
Bottom
Veillées I, II et III
Nocturne vulgaire
Matinée d'ivresse
Phrases avec une présentation détonante des textes de la page manuscrite 11 et une fusion aux cinq poèmes brefs de la page 12
Conte
Honte
Vagabonds
"Nous sommes tes grands-parents..."
Chanson de la plus haute Tour
Ouvriers fondu au texte de "Les Ponts"
Ô saisons ! ô châteaux !
Bruxelles (alias Juillet)
Âge d'or
Eternité
"La Rivière de cassis..."
"Loin des oiseaux..."
Michel et Christine
Dévotion
Soir historique
"Qu'est-ce pour nous,..."
Démocratie
Le mélange semble plus ou moins important, mais vous constatez que le dernier poème de la série de 24 pages remonte à la deuxième place : "Barbare", ou bien que les poèmes en vers n'apparaissent que tardivement, phénomène parallèle à ce qu'il s'est passé dans la revue. Le premier poème en vers "nouvelle manière" est "Honte" avec un écho évident avec le titre précédent "Conte" ce qui s'allonge en jeu de consonance avec le "on" du titre suivant "Vagabonds".
Vous constatez que la suite "Mystique", "Aube" et "Fleurs" est maintenue, tandis que la suite "Villes" est créée, mais en évitant de passer aux chiffres romains !
Vous constatez aussi que "Mouvements" est en italique en tant que poème en vers, mais rapproché tout de même de "Marine" malgré la fusion à "Fête d'hiver" qui brouille la pertinence du rapprochement. Notez que dans le numéro 8 de la revue "Mouvement" est publié en tête devant d'autres poèmes en prose, signe qu'il était perçu comme faisant partie du dossier des poèmes en prose et non du dossier des poèmes en vers "nouvelle manière", un argument important pour considérer que les directeurs de la revue avaient conscience que le dossier des poèmes en vers "nouvelle manière" était distinct, puisque sans cela ils auraient rangé sans autre forme de procès le manuscrit de "Mouvement" parmi les vers "nouvelle manière" ! Il y avait donc bien une conscience d'époque que les deux dossiers étaient distincts, et pas seulement à cause de l'opposition vers et proses, puisque "Mouvement" a été publié parmi les poèmes en prose dans le numéro 8 de la revue. C'est un cas comparable à "Tête de faune" quelque part, car comme les rimbaldiens actuels font semblant que "Tête de faune" n'est pas le premier poème en vers "nouvelle manière", ce qu'il est pourtant factuellement, vous avez une revue La Vogue qui a fait un sort à part à "Mouvement", poème dont la publication en plaquette témoigne encore de cette distinction puisque "Mouvement" apparaît longtemps avec un premier poème en vers de 1872 qui est ici "Honte". Cela veut dire que les liasses manuscrites n'étaient pas mélangées l'une à l'autre. Les vers n'étaient pas mélangés aux textes en prose, à tel point que la singularité de "Mouvement" était perceptible et en même temps maintenue par les directeurs de la publication en revue, et aussi en plaquette.
Le remaniement de la plaquette et le traitement à part de "Mouvement" sont très intéressants. Cela donne l'idée que les manuscrits n'étaient pas mélangés, et si la plaquette fournit un ordre différent de la revue c'est que la revue n'avait pas médité outre mesure l'ordre de défilement des poèmes dans les numéros 5 et 6 et a pu suivre un ordre qui était celui de la liasse qui leur était parvenu.
Tout de même, "Après le Déluge" est à chaque fois en poème d'ouverture, et le déplacement de "Barbare" fait penser à des opérations simples de déplacement comme de prendre "Après le Déluge" pour le mettre en tête de la série homogène, comme de prendre l'unique manuscrit avec des copies au recto et au verso pour l'insérer dans la série homogène, en antépénultième position en terme de feuillets. Rappelons qu'avec une transcription au recto et au verso le manuscrit de "Nocturne vulgaire" et "Fête d'hiver" offrait un point de convergence avec les manuscrits de la série homogène, un enchaînement de poèmes distincts, encore que cela ait cafouillé au plan du titre de "Fête d'hiver". En effet, à part "Bottom" et "H", les autres manuscrits de poèmes en prose ou en vers libres modernes publiés par La Vogue correspondent tous à un unique poème au recto d'un feuillet manuscrit : "Promontoire", "Scènes", "Soir historique", "Mouvement", avec une énigme pour "Dévotion" et "Démocratie", sauf que "Dévotion" a une certaine allonge en termes d'alinéas, mais préférons considérer que nous ne savons pas si les deux poèmes tenaient sur un ou deux feuillets manuscrits.
L'unité de la série homogène se défend mieux pour les manuscrits sur un même type de papier. La pagination n'étant pas autographe, on ne peut pas affirmer que "Après le Déluge" et "Nocturne vulgaire"/"Marine"/"Fête d'hiver" occupent une place pensée par Rimbaud. Cela vaut inévitablement pour les feuillets paginés 12 et 18 dont les problèmes ne sont en rien résolus par la critique rimbaldienne. Il y a de quoi s'interroger sur les positions de "Conte" et "Royauté" qui semblent avoir été reportés à ces endroits sur le tard et par opportunité de place disponible pour une transcription.
Le début de la suite homogène paginée offre des cas de feuillets isolés : "Parade" ou bien le trio "Antique", "Being Beauteous" et "Ô la face cendrée..." On peut certes préciser des groupes de poèmes, mais le positionnement de ces groupes a pu varier selon les détenteurs de l'ensemble des manuscrits de 1875 à 1886. Verlaine n'a en rien protesté contre l'ordre de publication, même si le mélange des vers et des proses a dû obligatoirement le faire sursauter. Il n'a pas protesté non plus quant au problème distinct de coiffer les poèmes en vers du titre Illuminations. C'est bien dommage qu'il ne se soit pas exprimé. Je dirais que le mélange des vers et des proses vient clairement de la revue La Vogue qui a dû perdre la main sur la publication du dossier en prose à partir du numéro 7. S'ils n'ont pas perdu la main, en tout cas, il est clair que le mélange a été intentionnel de leur part, puisque nous n'avons que des poèmes en vers "nouvelle manière" dans le numéro 7, puis des successions distinguant encore les dossiers dans les numéros 8 et 9. Je pense que les manuscrits partis et plus tard publiés chez Vanier sont la cause du mélange, mais je n'en sais rien, ce qui reste, c'est que le mélange n'est pas naturel tel qu'il s'est opéré, et donc il ne venait pas de Rimbaud.
Maintenant, je me garderai de dire que les manuscrits en vers "nouvelle manière" ne devaient pas profiter de la publication des poèmes en prose sous un même titre. Je pense que le recueil est à la base celui des poèmes en prose, mais qu'il y a une opportunité à joindre les deux dossiers dont malheureusement nous ne pouvons pas construire l'histoire d'au moins 1878 à 1886, en déterminant qui l'a initié, Rimbaud, Verlaine ou un membre de la revue La Vogue. Contrairement aux rimbaldiens, je préfère avouer que je n'ai pas la réponse à ce sujet.
Pour la pagination, j'ose croire que l'idée d'une composition autographe sent enfin le sapin. Les tenants de la pagination autographe ne peuvent pas indéfiniment lutter avec mauvaise foi contre le bon sens et les convergences qui confirment en cascade que cette pagination fut le fait de la revue La Vogue, puis de Vanier.
Notez que le présent dossier montre d'autres enseignements et éléments de réflexion qui fragilisent l'idée de rigueur de la recherche rimbaldienne du côté de la pagination autographe. Ils défendent une thèse en laissant leurs opposants faire toutes les découvertes de détail intéressantes. Et, pour finir, il existe bien entendu des pistes de réflexion pour contester qu'on puisse bouleverser complètement l'ordre dans lequel les poèmes peuvent être publiés, mais cela s'accompagne d'une réserve très précise de notre part : c'est qu'il est imprudent de penser que parce que Rimbaud fait s'enchaîner plusieurs poèmes il a déjà une idée de l'ordre précis et définitif de ces poèmes dans un recueil. Nous plaidons clairement le projet inabouti, ce qui de toute façon est prouvé par le seul fait que les rimbaldiens admettent que tout n'a pas été paginé, tandis que l'indifférence des éditeurs initiaux est un autre indice fort qu'on ne pouvait pas parler d'un recueil organisé de la part de Rimbaud.
Notez que le présent dossier montre d'autres enseignements et éléments de réflexion qui fragilisent l'idée de rigueur de la recherche rimbaldienne du côté de la pagination autographe. Ils défendent une thèse en laissant leurs opposants faire toutes les découvertes de détail intéressantes. Et, pour finir, il existe bien entendu des pistes de réflexion pour contester qu'on puisse bouleverser complètement l'ordre dans lequel les poèmes peuvent être publiés, mais cela s'accompagne d'une réserve très précise de notre part : c'est qu'il est imprudent de penser que parce que Rimbaud fait s'enchaîner plusieurs poèmes il a déjà une idée de l'ordre précis et définitif de ces poèmes dans un recueil. Nous plaidons clairement le projet inabouti, ce qui de toute façon est prouvé par le seul fait que les rimbaldiens admettent que tout n'a pas été paginé, tandis que l'indifférence des éditeurs initiaux est un autre indice fort qu'on ne pouvait pas parler d'un recueil organisé de la part de Rimbaud.
Je vous laisse pour l'instant à vos planches de salut. Il y aura donc une troisième partie à ce dossier.