dimanche 7 décembre 2025

Dossier graphologique synthétique des Illuminations : partie 2 au-delà des 24 pages

Petit conseil mes lecteurs : je me doute que le rythme de mes publications est soutenu et que vous avez autre chose à faire, mais vous privilégiez en ce moment le dernier article sorti au détriment de l'avant-dernier, alors que l'avant-dernier article est prodigieux et de pleine actualité. Il faut bien évidemment cliquer sur les derniers articles, quitte à ne pas tous les lire en entier. Il faut les sonder un petit peu... je rappelle qu'il suffit de consulter mon blog selon une date que vous vous accordez et de lire sinon consulter alors tout ce j'ai publié depuis votre dernière visite. Je dis quand même en quoi la préface de Murphy est une faillite, ça ne vous intéresse pas d'y aller voir de plus près ?
Bien, revenons au dernier article qui visiblement vous attire plus, la synthèse !
J'ai fourni une première synthèse sur les seules 24 pages avec des enseignements clefs et des enseignements nuancés.
Premier enseignement fondamental : la pagination et l'usage du crayon à bois sont des pratiques éditoriales courantes de l'époque, à tel point que Vanier va paginer les cinq manuscrits inédits en sa possession pour sa propre édition rimbaldienne de 1892, comme nous allons en parler plus bas. Nous avons des preuves d'un emploi du crayon à bois par l'éditeur dans le cas de la signature "Arthur Rimbaud" sur la page 9 du manuscrit, et nous avons aussi une hiérarchie entre encre et crayon à bois dans le repassage à l'encre des chiffres des neuf premières pages. Nous avons aussi plusieurs preuves que, de manière délibérée, les protes de la revue La Vogue écrivaient sur les manuscrits d'un auteur pourtant alors admis encore vivant à l'époque, sur des manuscrits qui ne leur étaient confiés que le temps de la publication. Vous avez les noms des ouvrières sur les manuscrits, plusieurs fois le nombre de lignes qu'elles ont montées, préparées, la mention en bleu "Ezévir" qui fait éhco au même usage du bleu et du rouge par Vanier sur d'un côté les épreuves de son édition rimbaldienne de 1895 (consultable sur le site Gallica de la BNF), d'un autre côté sur l'exemplaire du Reliquaire conservé à la bibliothèque royale l'Albertine de Bruxelles. Vous avez d'autres éléments encore comme la technique de soulignement des titres par des crochets ou des encerclements. Et, ce qui n'est pas des moindres, les rimbaldiens considèrent que même sur l'établissement des textes il y a eu des interventions indues des éditeurs qui auraient eu même biffé de manière indue le deuxième mot "après" pour "Après le Déluge" : "Aussitôt après que..." ou bien ils auraient corrigé erronément "la main de la campagne sur mon épaule" en "la main de la compagne sur mon épaule". Cela entraîne mécaniquement un soupçon légitime pour d'autres parties : on se demande si c'est Rimbaud lui-même ou pas qui a biffé la mention "les" devant le titre désormais admis "Ouvriers", la même page manuscrit exhibant le titre "Les Ponts" avec article, sauf que précisément ce titre-là n'a pas été relevé par la revue La Vogue avec les conséquences que nous savons de fusion de deux textes de poèmes en un. Le problème intéresse aussi tout particulièrement le cas du manuscrit où le titre "Veillée" est modifié en "III". S'appuyant exclusivement sur des préjugés à propos de la pagination originale du feuillet précédent "18/", les rimbaldiens ne se sont pas concentrés sur le filet de séparation qui suit le poème "Veillée", ni sur le changement du titre "Veillée" en "III", alors que c'est ce qu'il y a de plus important à analyser dans le montage de la série "Veillées en trois parties. Nous partons d'une réalité de départ. Rimbaud a conçu une suite de deux poèmes sous le titre au pluriel "Veillées" et il a composé un poème au singulier intitulé "Veillée". Les deux poèmes sous le titre "Veillées" ont pour singularité une attaque avec un mot de la même famille : "C'est le repos éclairé..." et "L'éclairage..." Cela se dilue avec la mention "lampe" à l'attaque du poème "Veillée" au singulier : "La lampe..." Cet écho a été repéré depuis longtemps par André Guyaux qui avait publié une étude sur les "Veillées", mais je ne sais plus si l'article se trouve dans Poétique du fragment, ce que je ne crois pas, ou bien dans Duplicités de Rimbaud, son second livre, ou bien dans un article de revue, ce qui semble correspondre à mon souvenir, et cet article figurerait dans un numéro de revue de la décennie 1981-1990. On peut penser qu'il y a un lien de "Veillée" à "Veillées" I et II, par le titre et par l'écho des attaques des trois poèmes, et en même temps une différence apparaît : "lampe" s'éloignant de "éclairé" et "éclairage". Et en tout cas, malgré cette parenté, il y avait bien un groupe de deux poèmes et un autre poème isolé. Rimbaud aurait supprimé finalement le titre "Veillée" pour le remplacer par un III, imposant de le lire à la suite des deux autres.
Notons que les rimbaldiens pressés d'établir l'existence d'un recueil ordonné par Rimbaud s'intéressent bizarrement assez peu à ce que tout cela implique, puisque cela veut dire que la série "Veillées" est constituée de trois poèmes autonomes où la succession n'a justement pas d'importance en soi. Je rappelle que "Vies" est un seul poème en trois parties non interchangeables, et qu'une même lecture tend à s'imposer pour "Enfance", peut-être aussi pour "Jeunesse", mais l'analyse pourrait ne pas se faire sur le même plan dans ce dernier cas. La suite des trois "Veillées" ne serait qu'un regroupement de trois poèmes qui ont le même titre de départ, une même idée thématique de départ. Et ce problème se pose aussi pour les deux poèmes intitulés "Villes" avec une grosse énigme pour le poème intitulé "Ville" au singulier, puisque la série des trois "Villes" n'a pas abouti.
Il faut déterminer si c'est Rimbaud qui a placé les chiffres I et II pour les poèmes "Villes" au pluriel et qui les a lui-même biffés avant d'y renoncer, suite à un aléa problématique du recopiage des poèmes l'un après l'autre. La transcription "Villes", "Vagabonds", "Villes", a rendu impossible le regroupement, et c'est la preuve que les successions du recopiage ne relèvent pas d'une mûre préparation de l'ordre de défilement des poèmes dans un recueil, puisque c'est à cause de cet ordre de transcription que le poète doit renoncer à rassembler des poèmes, si les "I" et "II" du manuscrit sont bien de lui.
Pour "Veillées", le filet de séparation à la suite de "Veillée" réintitulé "III" serait un argument en faveur d'un remaniement voulu par Rimbaud, ce dont les tenants de la pagination autographe ne semblent pas s'être saisi, mais le problème c'est qu'il faut alors se pencher sur l'encre utilisé. Rimbaud a très bien pu mettre un filet de séparation à la suite d'un poème bref, aux alinéas concis, qui contient qui plus est une ligne de pointillés. Rimbaud signifie clairement que le poème est fini, ce qui semble inutile. Rappelons que s'il le fait, ça peut être quand la suite du manuscrit est encore vierge sans présence de la transcription des poèmes suivants "Aube", "Mystique" et "Fleurs" sur une suite enchaînée de deux feuillets. En toute rigueur, il faut déterminer quand a bien pu être transcrit le filet de séparation. Or, lors du remaniement, une encre plus foncée a été utilisée pour biffer le titre "Veillée" et ensuite pour chapeauter le texte restant d'un chiffre trois romain. Or, le filet de séparation est à l'opposé particulièrement pâlot, ce qui ne colle pas avec l'idée d'un geste participant du remaniement.
Je connais les rimbaldiens. Il y a toujours une explication de derrière les fagots. Rimbaud avait paginé 23 feuillets. La revue s'en est servi, elle a repassé les neuf premières pages, mais en se fondant sur la pagination préexistante au crayon et deux fois à l'encre. Mais bien sûr ! Rimbaud a mis le filet de séparation avec une autre plume et à un autre moment en-dessous de "Veillée", soit avant soit après, peu importe ! le remaniement du titre "Veillée" en "III". Et vivent les pirouettes !
Moi, je vous pointe du doigt les problèmes évidents à traiter avant d'affirmer quoi que ce soit, ce que les rimbaldiens tenants de la pagination autographe n'ont pas fait en toute rigueur.
La preuve, ils ont une théorie selon laquelle les filets de séparation relient plusieurs groupes de poèmes entre eux par-delà les feuillets, alors que le filet de séparation à la suite de "Veillée" ne peut être utilisé pour prouver la série "Veillées" en trois poèmes comme voulue par Rimbaud que si tous les filets de séparation ne sont rien d'autre que des délimitations accentuées du début ou d'une fin de poème, aussi absurde que le geste puisse paraître parfois, geste peut-être conditionné bêtement par les copies antérieures que nous ne connaissons pas, mais dont le feuillet recto et verso paginé 21 et 22 donne une idée.
Mais, dans le meilleur des cas, le remaniement pourrait être de Rimbaud que la pagination ne le serait pas pour autant.
J'en reviens maintenant à la pagination d'ensemble.
Dans la première partie, j'ai expliqué que les feuillets étaient remis par un ou par deux à diverses ouvrières typographes, j'ai oublié de préciser que, ce faisant, cela justifiait l'intérêt de la pagination des manuscrits. La pagination permettait de rendre lisible une consigne, celle de l'ordre à donner aux plaques typographiques constituées.
On constate qu'au-delà des 24 pages, la pagination va reprendre à zéro si on ose dire. Et cette fois, nous aurons des paginations autonomes numéro par numéro au plan de la revue La Vogue. Nous avons une réalité matérielle qui montre que la pagination est un acte considéré comme nécessaire par les protes de la revue, et si la pagination n'a pas continué par la suite 25, etc., cela coïncide avec deux changements avérés. Premièrement, les noms des protes changent et nous passerions même d'une équipe féminine à une équipe masculine. Deuxièmement, nous quittons le terrain de la suite de poèmes en prose sur essentiellement un même type de papier pour passer à la publication des poèmes en prose sur des papiers de formats variés et ils sont cette fois mélangés à la publication des poèmes en vers nouvelle manière de 1872.
On va analyser cela au cas par cas, mais avant il faut donc faire plusieurs remarques. Premièrement, ce changement brutal qui commence à inclure des poèmes en prose c'est un argument pour dire que les poèmes en vers étaient perçus comme faisant partie des poèmes en prose, donc il n'y avait pas de pagination les excluant ! On voit bien que la revue a privilégié la série sur un format continu avant de faire un mélange pensé équilibré des derniers poèmes en prose ou en vers libres modernes ("Mouvement") et les poèmes en vers irréguliers, "Mouvement" pouvant être interprété comme un poème en vers comparables à ceux de 1872 par la revue La Vogue, c'est même probablement ce qu'il s'est passé et osons une hypothèse un peu folle : le manuscrit de "Mouvement" a lui tout seul a pu précipiter l'idée qu'il fallait mélanger les vers et les proses, puisque ce manuscrit avec une transcription volontaire en vers (crochets pour éviter les retours à la ligne) était mélangé aux proses. Les tenants de la pagination autographe ratent là encore un objet d'étude. Mais ce n'est pas tout. Donc, la revue a d'abord tenu compte de la suite plus ou moins homogène, moyennant deux à quatre feuillets intégrés par leur initiative personnelle : les manuscrits de "Après le Déluge", "Nocturne vulgaire", "Marine", "Fête d'hiver", "Veillées I et II" et les cinq poèmes brefs séparés par des croix. La pagination continue s'expliquait par le fait de suivre un dossier plus stable grâce à sa relative uniformité de papier. On passe maintenant à une pagination numéro de revue par numéro de revue. Notons que le dossier de 24 pages coïncide avec deux numéros de revue seulement. En deux numéros, cette suite a été publiée, d'abord pages 1 à 14, ensuite pages 15 à 24. Et on constate que le projet était initialement de les publier moins rapidement, sur trois numéros seulement, nous sommes passés de neuf pages à publier dans le numéro 5 de la revue à 14 pages, puis dix pages ont été publiées dans le numéro suivant, ce qui veut dire qu'on dépassait à nouveau le total initial de neuf pages. Je n'ai pas vérifié sur l'édition originale dans les revues ce que cela faisait en nombre de pages, on le fera plus loin dans cet article.
Et ici il y a une question de bon sens à se poser : pourquoi Rimbaud aurait-il privilégié la pagination d'un ensemble à peu près stable et ignorer complètement la pagination de l'ensemble instable de poèmes transcrits sur des formats variés ? Il aurait mieux fait de paginer l'ensemble instable, puisque l'état stable peut se reconstituer facilement étant donné les suites de transcriptions entre pas mal de feuillets. Il aurait aggravé l'inégalité de traitement entre les deux masses de manuscrits ! J'ajoute que, selon les tenants de la pagination autographe, Rimbaud a eu du papier et du temps pour supprimer deux feuillets initiaux 12 et 18 de la série initiale, de les remplacer par d'autres, et de réécrire à l'encre sur les feuillets de substitution les nouveaux numéros de page, mais aucun temps pour paginer le reste, ni le recopier sur du papier vierge. Rimbaud se serait, pire encore ! accordé le droit de mettre dans la série homogène une transcription au recto et au verso, alors qu'il se l'est interdit pour les 22 autres pages du dossier quasi homogène comme pour les autres manuscrits. Tout cela n'a aucun sens. Rimbaud a bêtement rassemblé ce qu'il pouvait de poèmes différents selon les copies qu'il avait à sa disposition. Mettons qu'il ait considéré un jeu de copies pour lui-même, il n'avait pas de copie plus belle pour "Nocturne vulgaire", "Marine" et "Fête d'hiver". Il ne faut pas chercher plus loin. Et s'il rassemble comme il peut des copies lisibles de poèmes qui peuvent être à plusieurs sur un même feuillet, cela ne plaide pas en faveur d'une ordre établi des poèmes pour un recueil. Rimbaud, à chaque fois, qu'il faisait une copie de l'un de ses poèmes, il avait encore des poèmes à inventer, par exemple. On voit bien sur la série dite homogène qu'il y a des variantes, des passages biffés, des poèmes insérés de force pour profiter d'une place disponible : "Conte" et "Royauté", et surtout des remaniements pour les séries "Villes" et "Veillées" qui n'ont aucun sens si les copies suivent un ordre de recueil préétabli. On ne remanie pas après les copies, sauf si on a bien effectué une séparation individuelle des poèmes feuillet par feuillet. Les remaniements pour "Villes" et "Veillées" sont invraisemblables. Et cela devient de la pure évidence pour les manuscrits non paginés au-delà du groupe de vingt-quatre pages. Rimbaud croyait-il qu'un ordre allait s'imposer naturellement à l'éditeur pour les publier ? le plus amusant, c'est qu'ils ont été publiés mélangés à des poèmes en vers "nouvelle manière" de 1872, alors que les tenants de la pagination autographe sont les plus sensibles, les plus brûlés au troisième degré, quand on leur parle d'inclure les poèmes de 1872 dans le recueil des Illuminations. Une conséquence logique de la théorie de paginations voulues par Rimbaud, c'est que Steve Murphy et Alain Bardel sont finalement acquis à l'idée que les poèmes en vers de 1872 font bien partie du recueil des Illuminations, ce qu'ils nient catégoriquement par ailleurs. Ils tiennent un discours résolument contradictoire.
La pagination en 24 pages de 23 feuillets, en incluant des feuillets qui ne sont pas de la série homogène sur un même papier coïncide avec la délimitation des la publication dans les numéros 5 et 6 de la revue La Vogue où la page 24 est une limite finale. Cette coïncidence n'a pas l'air d'intéresser les tenants de la pagination autographe, elle se rajoute pourtant à une belle série de coïncidences déjà observées, et je rappelle ma synthèse de la première partie en une synthèse plus concise encore. Pages 1 à 9, projet initiale avec repassage à l'encre de la pagination et titres entre crochets, plus mention "Arthur Rimbaud"' au crayon, de la page 10 à 14 aucun titre souligné pas de mention des ouvrières ce qui correspond à la partie augmentée publiée elle aussi dans le numéro 5, pages 15 à 24, indice de reprise de la publication sur la page 15, puis tous les titres sont encerclés. On a une coïncidence parfaite en trois sous-groupes avec la publication dans la revue, et les dix dernières pages nous rapprochent des neuf premières pages prévues, ce qui veut dire que l'ensemble publié correspond à la place disponible dans la revue selon la ligne éditoriale. Il s'agit à nouveau d'une coïncidence dont les tenants de la pagination autographe ne font rien, et s'ils n'en font rien c'est que par pétition de principe ils refusent d'envisager que les ajouts de "Après le Déluge", "Nocturne vulgaire", "Marine" et "Fête d'hiver" sont une part inévitable de l'ajustement de la place disponible en question dans les numéros 5 et 6 de ma revue La Vogue, sans même parler des feuillets 12 et 18, puisque "Après le Déluge" et les trois autres poèmes ne sont pas mis dans la série homogène pour relier des poèmes entre eux, donc rien n'empêchait la revue de mettre "Promontoire" avant la page 14, ni "Scène", ni un autre poème : ils auraient pu augmenter l'espace d'un poème discrètement, et s'ils l'avaient fait, les rimbaldiens clameraient haut et fort que cette insertion a été le fait de Rimbaud lui-même, puisque ce qu'ils admettent sans recul pour "Après le Déluge" ou "Veillées I et II", et ainsi de suite, ils n'ont aucune raison de le contester pour un autre manuscrit. Or, à part à affirmer par pétition de principe que la pagination en 24 pages est autographe, les rimbaldiens ne sauraient exclure que d'autres insertions forcées étaient possibles. Pourquoi les rimbaldiens ne privilégieraient-ils pas la série homogène en considérant que le récit commence par "Enfance", ce que Michel Murat envisage d'ailleurs quelque peu en contradiction avec son admission passive du cas de "Après le Déluge" ? Pourquoi ne même pas envisager qu'au minimum si la série homogène peut être de Rimbaud, le manuscrit de "Nocturne vulgaire", "Marine" et "Fête d'hiver" a été inséré là par caprice de la revue La Vogue ?
On va voir qu'il y a des indices qui invitent justement à envisager de tels remaniements à la marge.
En attendant, reprenons l'analyse livraison par livraison de la revue.
Or, la continuité des publications du numéro 5 au numéro 9 de la revue La Vogue a connu une anomalie importante. Nous n'avons que des poèmes en prose dans les numéros 5 et 6 de la revue, puis nous n'avons que des poèmes en vers "nouvelle manière" dans le numéro 7, avant que nous n'ayons le mélange des poèmes en prose et en vers dans les numéros 8 et 9. Il y a une remarque capitale à introduire ici : la publication des Illuminations a été interrompue après le numéro 6 s'il ne devait s'agit que des poèmes en prose, et elle reprend avec un remaniement d'équipe conforme au témoignage d'époque de Fénéon dans le numéro 8. Il n'y a pas de poèmes en prose dans le numéro 7, mais uniquement quatre poèmes ou ensembles en vers, ce qui affermit encore l'idée que la pagination en 24 pages fut le fait de la première équipe qui, par coïncidence partielle (ça arrive), a suivi le dossier sur un papier de même format, puis les nouvelles paginations et le mélange des proses et des vers fut le fait de la nouvelle équipe, même si pour le mélange des vers et des proses la décision peut venir de l'équipe dirigeante de la revue et non de la nouvelle équipe. La nouvelle équipe pagine en tout cas numéro par numéro de la revue. Les nouvelles publications tiendront en deux volumes, et l'inclusion des poèmes en vers a visiblement permis de compenser l'absence des manuscrits de poèmes en prose qui seront publiés par Vanier ultérieurement. En effet, les poèmes en vers ont permis à la revue d'atteindre à un certain nombre de pages prévues, d'équilibrer les masses en quelques sorte, même si on peut soutenir qu'il aurait suffi de publier dans le seul numéro 8 de la revue les poèmes en prose restants, sauf que la revue devait spéculer sur le fait de récupérer in extremis les cinq manuscrits en prose restants. Encore un argument utilisable contre l'inclusion des poèmes en vers dont se privent les tenants de la pagination autographe, ou s'ils ne s'en privent pas volontairement en tout cas ils se créent des cadres de réflexion qui les empêchent d'y penser.
Après, je n'ai pas tout lu ! Je vous avoue que même le très vieil article de Steve Murphy dans le numéro 1 de la revue Histoires littéraires je ne l'ai pas lu et relu plume en main. Mais, en tout cas, ça ne revient jamais ailleurs, donc même si quelqu'un a déjà avancé cela, ça n'aura pas eu de suites.
Reprenons.
Nous n'avons plus que deux numéros de la revue à analyser et cela ne fait que huit poèmes en prose ou en vers libres modernes à prendre en considération. Ces poèmes tiennent sur encore moins de feuillets manuscrits puisque "Bottom" et "H" sont sur un même feuillet et qu'on ne sait si cela ne concerne pas aussi "Démocratie" et "Dévotion". Notez qu'après cela il n'y a plus que cinq manuscrits en jeu qui seront publiés par Vanier en 1892. En gros, vous avez des tenants de la pagination autographe qui vous expliquent que Rimbaud a eu le temps de mettre en ordre 23 feuillets et de les paginer en 24 pages, étant donné un cas de transcription au recto et au verso, mais ils vous soutiennent que Rimbaud n'a pas eu le temps de paginer douze autres feuillets en douze pages. Il s'agit de la moitié de 24 pages en termes de pages ! Et il se peut qu'il n'y ait que onze feuillets à paginer en réalité, vu qu'on ne sait rien pour "Démocratie" et "Dévotion". Au nom de quoi Rimbaud n'aurait-il pas eu le temps de paginer un tiers du dossier, en sachant que, si, selon les tenants de la pagination autographe, l'ordre de recueil est fixé pour les 24 pages, il faut bien que cet ordre existe aussi dans la tête de Rimbaud pour les onze ou douze autres feuillets. Il ne peut pas avoir composé deux tiers du recueil et se dire qu'il verra bien plus tard comment organiser le dernier tiers, sachant que si ces poèmes doivent être à la fin Rimbaud doit avoir une idée de l'allure d'ensemble qui veut donner à la fin du recueil. Si ces onze ou douze feuillets doivent être les derniers, c'est qu'il y a quelque chose de décidé sur leur ordre de défilement dans le recueil, ça ne peut pas être aléatoire. Cette contradiction, les rimbaldiens ne l'affrontent pas. Ils préfèrent se défausser : comme il n'y a pas de pagination, on ne sait pas l'ordre voulu par Rimbaud, mais au plan du bon sens la conclusion est plutôt que s'il n'y a pas de pagination c'est que rien n'a été décidé au sujet de l'ordonnancement des poèmes dans le recueil, et rien n'a été décidé sur sa fin ! Et si tel est le cas, le doute est bien évidemment légitime sur la prétendue réalité de l'ordre déterminé des poèmes dans la suite de vingt-quatre pages. Ce raisonnement imparable, les rimbaldiens prétendent en faire fi !
Rimbaud voulait publier le recueil de ses poèmes en prose. Grâce à Verlaine, d'autres l'ont fait, il suffit juste ensuite d'enlever les poèmes en vers nouvelle manière sauf "Mouvement" et de conserver ça dans l'ordre de publication originale par-delà deux éditeurs différents, puisque Vanier a pris le relais.
Ce problème béant, les rimbaldiens ne l'affrontent pas pour s'assurer le plaisir d'une édition des poèmes dans un ordre exclusif qui conforte les habitudes mentales. Voilà la réalité.
Dans le numéro 7 de la revue La Vogue, cinq poèmes ou ensembles en vers ont été publiés : "Chanson de la plus haute Tour", "Âge d'or", "Nous sommes tes grands-parents...", "Eternité" et "Qu'est-ce pour nous, mon Cœur,...".
Il y a plusieurs constats intéressants à faire. La série des "Fêtes de la patience" que nous connaissons par les manuscrits en provenance de Jean Richepin, est ici démembrée. Nous n'avons que trois des poèmes sur les quatre, ils ne sont pas publiés dans l'ordre, puisque "Âge d'or" précède "L'Eternité" et pire encore ils sont séparés par un autre très long poème ou ensemble de poèmes "Nous sommes tes grands-parents..." La revue publiera dans un autre numéro "Patience d'un été" qui correspond à "Bannières de mai", mais je voudrais attirer votre attention sur le fait que nous ne pouvons exclure que ce soit la revue La Vogue qui ait détruit l'unité des quatre poèmes et non Rimbaud lui-même. Certes, Rimbaud n'a pas prévenu d'une façon ou d'une autre que les quatre poèmes se suivaient, mais il y a un indice qui montre que la revue n'a pas publié les poèmes dans un ordre établi par Rimbaud, puisque, alors que les manuscrits de poèmes en principe de la série "Fêtes de la patience" conserve des titres et aussi des majuscules en début de vers, les manuscrits de "Nous sommes tes grands-parents..." et "Qu'est-ce..." sont dépourvu du titres avec le choix de conserver des minuscules en début de vers. Il est sensible que dans le lot manuscrit une unité demeure pour les quatre "Fêtes de la patience", puisque leurs manuscrits ont des titres et des majuscules à l'initiale des vers ! On sent que les quatre manuscrits de nouvelles versions des "Fêtes de la patience" ont été copiés d'une certaine façon commune, ce qui oppose leur rédaction à plusieurs cas de transcriptions sans titres et à plus forte raison au groupe de manuscrits avec des minuscules en début de vers : "Mémoire" étant un cas particulier de poème avec des minuscules en tête de vers, mais un titre. Il est clair que la revue La Vogue n'a pas cherché à prendre en considération les indices manuscrits qui auraient justifié certains recoupements, et s'ils ont fait cela pour les poèmes en vers ils ont forcément pu le faire pour les manuscrits des poèmes en prose !
Ce n'est pas tout. Suite à la vente des manuscrits rimbaldiens de la collection de Pierre Bérès, nous pouvons vérifier que les trois pages manuscrites de "Nous sommes tes grands-parents...", version alternative sans titre de "Comédie de la soif", sont paginés 5, 6 et 7 avec un cercle autour des chiffres, pagination faite au crayon, avec un 7 non barré qui coïncide avec le 7 non barré au crayon de la suite de 24 pages de poèmes en prose !
Je rappelle que Jacques Bienvenu a fait remarquer que le 7 à l'encre repassant le 7 au crayon était barré, ce qui n'était pas normal chez Rimbaud qui ne barrait jamais ses 7 à l'époque, ce à quoi il a pu être répliqué que le 7 au crayon n'était pas barré et qu'il avait une valeur initiale en fait de pagination. Ici, nous avons la preuve que dans la revue La Vogue un prote pagine au crayon avec un 7 non barré !
Dans le document suivant, vous pouvez consulter la pagination "3" de l'unique feuillet de "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,...", la pagination "4" pour l'unique feuillet de "Âge d'or", et la pagination 5,6 et 7 pour les trois pages de "Nous sommes tes grands-parents..." :  Cliquer ici pour consulter un extrait du catalogue de la vente Bérès en 2006 de manuscrits rimbaldiens dont "Nous sommes tes grands-parents...", "Âge d'or" et "Qu'est-ce..." publiés tous trois dans le numéro 7 de la revue 'La Vogue' !
Je dois avouer une difficulté ici pour mon analyse, je n'ai pas tous les livres utiles sous la main et je remarque que sur son site Alain Bardel n'énumère pas les poèmes en vers publiés dans le numéro 7 de la revue La Vogue dans le même ordre que la pagination manuscrite le laisse supposer. Pire encore, pour "Nous sommes tes grands-parents..." son lien vers la publication originale renvoie à la plaquette et non pas à la vraie édition originale dans le numéro 7 de la revue. Je ne peux donc pas vérifier au quart de tour l'ordre exact de la publication des cinq poèmes dans le numéro 7 de la revue. En tout cas, cela aggrave le constat. Nous avons d'abord pages 1 et 2 "Chanson de la plus haute Tour", page 3 "Qu'est-ce...", page 4 "Âge d'or" et pages 5 à 7 "Nous sommes tes grands-parents...", puis enfin "Eternité".
Il faudra faire un sort aux manuscrits de vers "seconde manière".
Laissons de côté "Enfer de la soif", doublon pour "Nous sommes tes grands-parents..." non utilisé par la revue La Vogue et dont la provenance est du coup en réalité mal déterminée. Pour le dossier de vers "nouvelle manière" inclus dans les Illuminations, nous avons seulement six ensembles où les initiales de vers sont plutôt en minuscules qu'en majuscules. Cela regroupe "Nous sommes tes grands-parents..." (un ou cinq poèmes en un ?), "Loin des oiseaux...", "La rivière de cassis..." et "A quatre heures du matin..." avec "Mémoire" qui par exception a un titre et "Entends comme brame..." Notons que nous avons donc l'ensemble des poèmes "nouvelle manière" remis à Forain et deux poèmes soupçonnés de leur être contemporain : "Mémoire" dont nous connaissons maintenant une version antérieure "Famille maudite" et "Entends comme brame..." où les rimbaldiens obtus ne veulent pas identifier "en avril" comme un probable indice chronologique de sa période de composition. En revanche, les quatre variantes des quatre poèmes des "Fêtes de la patience" dans ce dossier ont toutes un titre et des attaques de vers en majuscules. Face à cela, nous avons seulement trois autres poèmes qui sont sans titres, mais avec des majuscules en attaque de vers : "Ô saisons !", "Est-elle almée ?" et "Qu'est-ce..." Il reste seulement cinq poèmes comparables à nos quatre "Fêtes de la patience", cinq poèmes avec un titre et des majuscules en tête de vers : "Juillet" dont le titre est mal identifié en "Bruxelles" par la revue, "Honte", "Michel et Christine", "Jeune ménage" et "Fêtes de la faim". Donc, il y a moyen de différencier des séries de transcriptions, ce dont la revue n'a tenu aucun compte lors de ses paginations ! On constate que le démembrement de la série des "Fêtes de la patience" pourrait être accidentel dans la mesure où Rimbaud, justement, n'avait pas pris soin de paginer ses manuscrits !
Je reprendrai l'analyse du contenu du numéro 7 de la revue ultérieurement.
Passons à la suite ! 
Dans le numéro 8 de la revue La Vogue, vous avez une publication successive de "Promontoire", de "Scènes", de "Soir historique", trois poèmes en prose seulement, puis de trois poèmes en vers "nouvelle manière" dans l'ordre suivant : "Michel et Christine", "Juillet" intitulé "Bruxelles" à cause d'une mention en épigraphe, et enfin "Honte". Comme l'a fait remarquer Jacques Bienvenu, le manuscrit autographe de "Promontoire" n'est pas paginé et il est le seul de son cas dans l'ensemble des manuscrits de poèmes en prose appartenant au recueil des Illuminations. Bienvenu a expliqué cela en exhibant la copie allographe de "Promontoire" qui tient sur deux pages avec la pagination 1 et 2. Le manuscrit de "Scènes" porte la page 3 et celui de Soir historique la page 4. Il se trouve que plusieurs des manuscrits supports de la publication originale dans la livraison numéro 8 ont aussi appartenu à Pierre Bérès et ont aussi été mis en vente avec fac-similés de catalogue à l'appui. On peut consulter le fac-similé de "Soir historique" paginé 4 sur le site internet Arthur Rimbaud d'Alain Bardel, on peut consulter les manuscrits autographe et allographes de "Promontoire" sur le blog de Jacques Bienvenu et précisément sur les articles de 2013 et 2025 où il en traite, mais sur le même lien que je vous ai fourni plus haut du catalogue de vente de Pierre Bérès en 2006 vous pouvez consulter la page 1 allographe de "Promontoire", la page 3 de "Scènes", la page 5 de "Michel et Christine", la page 6 de "Juillet" réintitulé "Bruxelles", la page 7 de "Honte" où le 7 au je crois crayon est non barré !
 Passons au numéro 9 de la revue. Sur le site d'Alain Bardel, le fac-similé de "Mouvement" a une pagination illisible, tandis que le lien pour consulter le manuscrit de "Bottom" et "H" est corrompu. Nous n'avons plus aucune trace manuscrite pour les poèmes "Démocratie" et "Dévotion". Pour les poèmes en vers "nouvelle manière", il manque l'accès aux fac-similés, Bardel n'ayant pas fourni des liens soit dans son dossier sur les Illuminations, soit dans sa section "Tous les textes". Il faut peut-être consulté ses articles pour aller à la pêche aux précisions, mais on a trois poèmes en vers concernés : "Loin des oiseaux...", "Ô saisons..." et "La rivière de cassis..."
Les aléas font que je suis voué à faire un article à part de mise au point pour le numéro 9 de la revue.
Je propose donc de m'arrêter là, ainsi je reprendrai cela en début de troisième partie quand je ferai une mise au point sur les poèmes en prose ou en vers que la revue La Vogue n'a pas pu publier.
Dans cette dernière partie, je reviendrai sur les mentions allographes qui concernent le manuscrit autographe de "Promontoire"
Cette deuxième partie vous a fait vous confronter à deux 7 au crayon non barrés sur les manuscrits de Rimbaud qui sont clairement allographes, ce qui fragilise encore plus l'idée que le 7 au crayon du côté de la série de 24 pages puisse être de Rimbaud, vous constatez aussi et j'y tenais que les poèmes en vers sont publiés dans un ordre paginé qui ne tient pas compte des recoupements pourtant évidents qui auraient pu être faits au sujet des manuscrits selon qu'ils sont à majuscules ou à minuscules en tête de vers, selon qu'ils ont un titre ou non. On voit bien que les manuscrits ont été aléatoirement mélangés ! Or, c'est le dossier qui était voisin de celui des poèmes en prose au point de se confondre avec lui !
Enfin, pour finir cette deuxième partie en beauté, deuxième partie qui évoque encore le cas des 24 pages, il faut parler aussi de l'écart entre l'ordre de défilement des poèmes dans les numéros de la revue et leur ordre dans la plaquette, ordre dans la plaquette dont remarquer déjà qu'il n'a tenu aucun compte de la pagination des manuscrits, preuve qu'ils ne la considéraient pas comme référence autographe et si tel était le cas c'était justement parce que la pagination était de leur seul fait, afin de faciliter la publication dans la revue.
Or, vous connaissez l'ordre de publication des poèmes dans la plaquette. Il peut être consulté sur le site Gallica de la BNF qui vous en fournit le fac-similé.
 
Je prends le temps de vous retranscrire l'ordre de défilement des poèmes dans cette plaquette :
 
Après le Déluge
Barbare
Mystique
Aube
Fleurs
Being Beautous avec fusion sans séparation de "O la face cendrée..."
Antique
Royauté
Enfance I, II, III, IV et V
Vies I, II et III
Ornières
Marine fondu à "Fête d'hiver"
Mouvement avec présentation en italique de poème en vers
Villes (Ce sont des villes...)
Villes (L'acropole officielle...)
Métropolitain
Promontoire avec les erreurs de transcription du document allographe
Scènes
Parade
Ville
Départ
A une Raison
H
Angoisse
Bottom
Veillées I, II et III
Nocturne vulgaire
Matinée d'ivresse
Phrases avec une présentation détonante des textes de la page manuscrite 11 et une fusion aux cinq poèmes brefs de la page 12
Conte
Honte
Vagabonds
"Nous sommes tes grands-parents..."
Chanson de la plus haute Tour
Ouvriers fondu au texte de "Les Ponts"
Ô saisons ! ô châteaux !
Bruxelles (alias Juillet)
Âge d'or
Eternité
"La Rivière de cassis..."
"Loin des oiseaux..."
Michel et Christine
Dévotion
Soir historique
"Qu'est-ce pour nous,..."
Démocratie

Le mélange semble plus ou moins important, mais vous constatez que le dernier poème de la série de 24 pages remonte à la deuxième place : "Barbare", ou bien que les poèmes en vers n'apparaissent que tardivement, phénomène parallèle à ce qu'il s'est passé dans la revue. Le premier poème en vers "nouvelle manière" est "Honte" avec un écho évident avec le titre précédent "Conte" ce qui s'allonge en jeu de consonance avec le "on" du titre suivant "Vagabonds".
Vous constatez que la suite "Mystique", "Aube" et "Fleurs" est maintenue, tandis que la suite "Villes" est créée, mais en évitant de passer aux chiffres romains !
Vous constatez aussi que "Mouvements" est en italique en tant que poème en vers, mais rapproché tout de même de "Marine" malgré la fusion à "Fête d'hiver" qui brouille la pertinence du rapprochement. Notez que dans le numéro 8 de la revue "Mouvement" est publié en tête devant d'autres poèmes en prose, signe qu'il était perçu comme faisant partie du dossier des poèmes en prose et non du dossier des poèmes en vers "nouvelle manière", un argument important pour considérer que les directeurs de la revue avaient conscience que le dossier des poèmes en vers "nouvelle manière" était distinct, puisque sans cela ils auraient rangé sans autre forme de procès le manuscrit de "Mouvement" parmi les vers "nouvelle manière" ! Il y avait donc bien une conscience d'époque que les deux dossiers étaient distincts, et pas seulement à cause de l'opposition vers et proses, puisque "Mouvement" a été publié parmi les poèmes en prose dans le numéro 8 de la revue. C'est un cas comparable à "Tête de faune" quelque part, car comme les rimbaldiens actuels font semblant que "Tête de faune" n'est pas le premier poème en vers "nouvelle manière", ce qu'il est pourtant factuellement, vous avez une revue La Vogue qui a fait un sort à part à "Mouvement", poème dont la publication en plaquette témoigne encore de cette distinction puisque "Mouvement" apparaît longtemps avec un premier poème en vers de 1872 qui est ici "Honte". Cela veut dire que les liasses manuscrites n'étaient pas mélangées l'une à l'autre. Les vers n'étaient pas mélangés aux textes en prose, à tel point que la singularité de "Mouvement" était perceptible et en même temps maintenue par les directeurs de la publication en revue, et aussi en plaquette.
Le remaniement de la plaquette et le traitement à part de "Mouvement" sont très intéressants. Cela donne l'idée que les manuscrits n'étaient pas mélangés, et si la plaquette fournit un ordre différent de la revue c'est que la revue n'avait pas médité outre mesure l'ordre de défilement des poèmes dans les numéros 5 et 6 et a pu suivre un ordre qui était celui de la liasse qui leur était parvenu.
Tout de même, "Après le Déluge" est à chaque fois en poème d'ouverture, et le déplacement de "Barbare" fait penser à des opérations simples de déplacement comme de prendre "Après le Déluge" pour le mettre en tête de la série homogène, comme de prendre l'unique manuscrit avec des copies au recto et au verso pour l'insérer dans la série homogène, en antépénultième position en terme de feuillets. Rappelons qu'avec une transcription au recto et au verso le manuscrit de "Nocturne vulgaire" et "Fête d'hiver" offrait un point de convergence avec les manuscrits de la série homogène, un enchaînement de poèmes distincts, encore que cela ait cafouillé au plan du titre de "Fête d'hiver". En effet, à part "Bottom" et "H", les autres manuscrits de poèmes en prose ou en vers libres modernes publiés par La Vogue correspondent tous à un unique poème au recto d'un feuillet manuscrit : "Promontoire", "Scènes", "Soir historique", "Mouvement", avec une énigme pour "Dévotion" et "Démocratie", sauf que "Dévotion" a une certaine allonge en termes d'alinéas, mais préférons considérer que nous ne savons pas si les deux poèmes tenaient sur un ou deux feuillets manuscrits.
L'unité de la série homogène se défend mieux pour les manuscrits sur un même type de papier. La pagination n'étant pas autographe, on ne peut pas affirmer que "Après le Déluge" et "Nocturne vulgaire"/"Marine"/"Fête d'hiver" occupent une place pensée par Rimbaud. Cela vaut inévitablement pour les feuillets paginés 12 et 18 dont les problèmes ne sont en rien résolus par la critique rimbaldienne. Il y a de quoi s'interroger sur les positions de "Conte" et "Royauté" qui semblent avoir été reportés à ces endroits sur le tard et par opportunité de place disponible pour une transcription.
Le début de la suite homogène paginée offre des cas de feuillets isolés : "Parade" ou bien le trio "Antique", "Being Beauteous" et "Ô la face cendrée..." On peut certes préciser des groupes de poèmes, mais le positionnement de ces groupes a pu varier selon les détenteurs de l'ensemble des manuscrits de 1875 à 1886. Verlaine n'a en rien protesté contre l'ordre de publication, même si le mélange des vers et des proses a dû obligatoirement le faire sursauter. Il n'a pas protesté non plus quant au problème distinct de coiffer les poèmes en vers du titre Illuminations. C'est bien dommage qu'il ne se soit pas exprimé. Je dirais que le mélange des vers et des proses vient clairement de la revue La Vogue qui a dû perdre la main sur la publication du dossier en prose à partir du numéro 7. S'ils n'ont pas perdu la main, en tout cas, il est clair que le mélange a été intentionnel de leur part, puisque nous n'avons que des poèmes en vers "nouvelle manière" dans le numéro 7, puis des successions distinguant encore les dossiers dans les numéros 8 et 9. Je pense que les manuscrits partis et plus tard publiés chez Vanier sont la cause du mélange, mais je n'en sais rien, ce qui reste, c'est que le mélange n'est pas naturel tel qu'il s'est opéré, et donc il ne venait pas de Rimbaud.
Maintenant, je me garderai de dire que les manuscrits en vers "nouvelle manière" ne devaient pas profiter de la publication des poèmes en prose sous un même titre. Je pense que le recueil est à la base celui des poèmes en prose, mais qu'il y a une opportunité à joindre les deux dossiers dont malheureusement nous ne pouvons pas construire l'histoire d'au moins 1878 à 1886, en déterminant qui l'a initié, Rimbaud, Verlaine ou un membre de la revue La Vogue. Contrairement aux rimbaldiens, je préfère avouer que je n'ai pas la réponse à ce sujet.
Pour la pagination, j'ose croire que l'idée d'une composition autographe sent enfin le sapin. Les tenants de la pagination autographe ne peuvent pas indéfiniment lutter avec mauvaise foi contre le bon sens et les convergences qui confirment en cascade que cette pagination fut le fait de la revue La Vogue, puis de Vanier.
Notez que le présent dossier montre d'autres enseignements et éléments de réflexion qui fragilisent l'idée de rigueur de la recherche rimbaldienne du côté de la pagination autographe. Ils défendent une thèse en laissant leurs opposants faire toutes les découvertes de détail intéressantes. Et, pour finir, il existe bien entendu des pistes de réflexion pour contester qu'on puisse bouleverser complètement l'ordre dans lequel les poèmes peuvent être publiés, mais cela s'accompagne d'une réserve très précise de notre part : c'est qu'il est imprudent de penser que parce que Rimbaud fait s'enchaîner plusieurs poèmes il a déjà une idée de l'ordre précis et définitif de ces poèmes dans un recueil. Nous plaidons clairement le projet inabouti, ce qui de toute façon est prouvé par le seul fait que les rimbaldiens admettent que tout n'a pas été paginé, tandis que l'indifférence des éditeurs initiaux est un autre indice fort qu'on ne pouvait pas parler d'un recueil organisé de la part de Rimbaud.
Je vous laisse pour l'instant à vos planches de salut. Il y aura donc une troisième partie à ce dossier. 

vendredi 5 décembre 2025

Dossier graphologique synthétique des Illuminations : partie 1 les 24 pages !

Je fournis ici mon dossier graphologique synthétique des Illuminations. Ce dossier implique la prise en considération des feuillets manuscrits au recto et au verso, systématiquement, il implique aussi la prise en considération des manuscrits des poèmes en vers "nouvelle manière" qui ont été publiés avec les poèmes en prose, la confrontation des publications originales en quelques livraisons de revue, puis en plaquette, et même en volume avec le cas Vanier. Je vais faire défiler les manuscrits en fonction de l'ordre des éditions originales dans la revue La Vogue, puis en volume par Vanier.
 
 
 Légende :
 
italique : pour représenter le crayon dans la pagination
gras : les chiffres à l'encre
italique et gras : pour les mentions au crayon repassée à l'encre.
Remarque : il n'est pas évident d'identifier le tracé du crayon sous les chiffres à l'encre des pages 2 et 6, nous considérons le cas comme accessoire. 
# : papier différent du papier de base pour la série homogène.
< et > pour les signes de ce type employés pour dégager les titres.
... : cela signifie la fin de transcription d'un feuillet antérieur et cela en fonction de la pagination. 
. : je mets un point toutes les fois que Rimbaud l'a utilisé à la suite d'une transcription de titre ou de ce qui en fait office.
- : trait allongé qui se substitue au point à la fin d'une transcription de titre.
O : pour un titre encerclé.
"Une matinée..." : mention du début du texte à défaut d'un titre ou d'un substitut de titre.
xxx : mention problématique feuillet paginé 12. Dans le cas de "Ô la face cendrée...", la mention "xxx." ponctuée vaut titre. Même si Rimbaud n'a pas ponctué les croix similaires du feuillet paginé 12, les espacements avant les trois croix, l'usage du même principe invitent  à penser qu'il s'agit de substituts de titres. Trois croix sont découpées au bas du manuscrit, soit le début d'un autre poème, soit les trois croix seraient minimalement interprétées comme l'équivalent de filets de séparation par Rimbaud.
 
Arthur Rimbaud : Mention allographe au crayon au bas de la page manuscrite.
Neuf Elzevir 2 : mention allographe en bleu (comparer avec l'emploi conjoint de l'encre, du crayon, du bleu et du rouge sur les épreuves de l'éditeur Vanier). 
M Grandsire ou 64 lignes : mentions allographes du travail typographique préparatoire.
~~~~ : filet (trait ondulatoire ou droit, court ou long) de délimitation d'un début ou d'une fin de texte.
vvvv vvvv : deux traits ondulatoires identiques à des filets de séparation, mais dont l'usage est visiblement distinct, page 11 pour la transcription en trois parties de "Phrases". 
Remarques : les filets de séparation ne sont pas utilisés systématiquement et appellent des commentaires au cas par cas.
"Après le Déluge", la transcription du poème tient sur un seul feuillet, il reste un léger espace blanc mais peu important. Rimbaud a voulu bien signifier que la transcription était terminée en ajoutant un filet de séparation, considérant qu'on pouvait hésiter sur la conclusion : "ne voudra jamais nous raconter ce qu'elle sait, et que nous ignorons."
Entre la fin de "Enfance V" et "Conte", Rimbaud a utilisé un filet de séparation. La transcription de "Conte" est plus tassée, indice que Rimbaud tient compte de la place disponible, et cela pourrait indiquer que "Conte" est à la suite de "Enfance V" non pas pour ordonner un recueil, mais pour profiter au mieux de la place disponible sur le manuscrit !
"Vies", le filet précède le titre et la transcription. Hypothèse : le filet peut avoir été reporté avant les titres, voire avant les chiffres romains, et correspondre à une opération préalable de différenciation entre les séries "Enfance" et "Vies".
Page 9 : les filets de séparation ont donné l'illusion d'une réunion des deux poèmes "Départ" et "Royauté", ce qui est inexact. Le premier trait sert à séparer la transcription de la fin de "Vies III" de celle de "Départ" qui est transcrit avec la même écriture large. Après la transcription de "Départ", il restait de la place et Rimbaud a reporté la transcription de "Royauté" en tassant son écriture comme il l'a fait pour "Conte". Le filet de séparation sert à marquer que la transcription de "Royauté" est terminée, le poème étant assez concis et la conclusion quelque peu ouverte : "où ils s'avancèrent du côté des jardins de palmes."
 
Premier dossier : les quatorze pages publiées dans le numéro 5 de la revue La Vogue. Le travail préparatoire a été confiée à diverses ouvrières typographes. M. Grandire a préparé le seul feuillet du poème "Après le Délure", "Eugénie" a préparée les pages 2 et 3 qui correspondent à "Enfance" I, II et III. "Wathier" a préparé les pages 4 et 5 où figurent la fin de "Enfance", parties IV et V, et le poème "Conte". "Melle Marie" a eu en charge les pages 6 et 7 qui contiennent "Parade", "Antique", "Being Beauteous" et "Ô la face cendrée...". Me Jeanne s'est occupée des pages 8 et 9 avec "Vies", "Départ" et "Royauté". J'ignore si c'est autre personne qui s'est occupée de la confection de tous les titres. La mention au crayon "Arthur Rimbaud" au bas de la page 9 prouve qu'il était initialement question de publier les seules neuf premières pages dans la revue La Vogue. Des pages 10 à 14, aucun titre de poème n'est souligné, ce qui a eu une conséquence dommageable pour "Ouvriers" et "Les Ponts" avec la perte du titre "Les Ponts" et la fusion anormale des deux poèmes en un seul. J'ajoute une coïncidence qui confirme la preuve que les éditeurs sont passés du projet de publier seulement les neuf premières pages à la publication des quatorze premières pages du numéro 5 de la revue : il n'y a plus aucune mention des ouvrières-typographes ni du nombre de lignes effectuées de la page 10 à la page 14. On pourrait éventuellement minimiser les salissures au verso de la page 9, vu que les feuillets furent distribués deux par deux, parfois un seul pour une ouvrière (cas de "Après le Déluge") et dans la mesure où les photographies fac-similaires ne permettent pas de trancher pour la page 9 s'il s'agit de traces d'encre liées à la préparation des plaques ou non. Il y a quelques autres versos maculés. Toutefois, l'absence de mention des ouvrières-typographes des pages 10 à 14 est un nouvel élément concordant qui prouve que le dossier de 24 pages porte les marques des à-coups de la préparation progressive de la publication dans les numéros 5 et 6 de la revue, ce qui exclut la participation d'Arthur Rimbaud. C'est par une pétition de principe que certains soutiendront que la page 12 numérotée différemment remplace une page 12 initiale. Cette différence s'explique par deux faits concordants / les à-coups de la préparation progressive et la nécessité de bien spécifier la place d'un feuillet qui n'a pas le même format que la plupart des feuillets voisins. Nous observons que les filets de séparation sont absents des pages 13 et 14, comme des pages 6 et 7. Rimbaud n'y recourt pas systématiquement, tout simplement ! Rimbaud a également omis de placer un point après chacun des titres transcrits sur la page 13 : "Ouvriers" et "Les Ponts". Une question est ouverte : qui a biffé le déterminant "les" pour réduire le titre à la mention "Ouvriers" ? Rappelons que pour "Après le Déluge", le mot "après" biffé dans "Aussitôt après que l'idée du Déluge..." est rétabli par les éditeurs qui considèrent qu'il s'agit d'une intervention des ouvriers-typographes de la revue La Vogue.

1]# <Après le Déluge.> ~~~~ M Grandsire Neuf Elzevir 2 
Verso vierge 
 
2] <Enfance.> I II M. Eugénie
Verso vierge 
 
3] III
Verso vierge / tache liquide
 
4] IV V M. Wathier (Walter ?) 64 lignes
Verso vierge
 
5] ... ~~~~ <Conte.> 
Verso vierge 
 
 
6] <Parade-> Melle Marie 54 lignes
Verso vierge : quelques taches sur le coin du manuscrit
 
7] <Antique. <Being Beauteous. xxx. 
Verso vierge
 
8] ~~~~ <Vies. I II Me Jeanne 59 lignes.
Verso vierge 
 
9] III ~~~ <Départ. <Royauté. ~~~  Arthur Rimbaud
 Verso vierge sali, sorte de taches en mini grains. Taches d'encre lors de la préparation des plaques ? 
 
 10] ~~~~ A une Raison- Matinée d'ivresse-
Verso vierge
 
11] ... Phrases.  vvvvv vvvv
Verso vierge pas mal taché, encre des plaques ?
 
12/#  "Une matinée..." xxx xxx xxx xxx xxx(découpé)
Verso vierge 
 
13] Les[biffé] Ouvriers Les Ponts
Verso vierge
 
14] ... Ville. Ornières.
Verso vierge 
 
 Deuxième dossier : les pages 15 à 24, la suite publiée dans le numéro 6 de la revue La Vogue :
 
15] II biffé 0Villes (note : "Villes" est transcrit par-dessus la mention II) 9 n 2 Mme Tavernier (A) 1er 
Verso vierge, mais tache brune, couleur comparable au verso de la page 3, mais la tache n'est pas liquide.
 
16] ... 0Vagabonds. à Villes I biffé
Verso vierge / petite tache de grains noirs.
Note : le cafouillage semble venir de Rimbaud et Nouveau eux-mêmes en 1875. Rimbaud avait pour objectif de faire se succéder les deux poèmes intitulés "Villes" sous un titre unique avec les chiffres I et II, et cela pouvait éventuellement concerner le poème "Ville" où le titre est identique au singulier près. L'erreur a été de copier "Villes I" à la suite de "Vagabonds" qui était à la suite de "Villes" II, ou alors Rimbaud a d'abord transcrit avec Nouveau les textes des poèmes et il se serait emmêlé les pinceaux au moment de reporter des chiffres romains. Toujours est-il que cette anomalie fragilise l'idée d'un recueil dont Rimbaud a méticuleusement travaillé l'ordonnancement !
Je ne sais pas si on peut exclure un remaniement par les protes de la revue La Vogue. Sur la page 15, le II semble avoir été biffé pour placer le titre "Villes", il s'agit donc bien d'une correction rimbaldienne selon moi. 
 
17] ... Mme Wathier (ou Walter) taches sur le coin gauche.
 Verso vierge, quelques taches peu étendues mais appuyées.
 
18/# Traces du texte imprimé de "Veillées" I même et juste avant de la fin de transcription de "Villes" de la page 17. 0 Veillées. I ~~ II~~~
Note : par exception, les traits de séparation ici courts séparent des parties numérotées par des chiffres romains.
 
19] Melle Jeanne [9]7 lignes (?). Veillée. titre biffé et remplacé par "III" ~~~ 0 Mystique. 0 Aube. Qui a fait cette correction ? Soit, il s'agit d'une initiative de la revue La Vogue, soit il s'agit d'une initiative de Rimbaud et à ce moment-là la pagination allographe par les protes de la revue La Vogue aurait respecté une suite de feuillets créées par Rimbaud, la pagination autographe étant exclue.
Filet de séparation après le texte "Veillée." devenu "III", mais il n'est pas de la même encre que le "III" et les traits de biffure. Ce filet de séparation pourrait pourtant servir d'argument à ceux qui pensent que le remaniement en une suite de trois "Veillées" est de Rimbaud, ce que je n'exclus pas, puisque c'est indépendant de la pagination.
Verso vierge avec une belle tache qui semble correspondre décidément à des traces d'encre des ouvrières-typographes.
 
20] ... 0 Fleurs.
Verso vierge
 
21] #recto Mme Grandsire 0 Nocturne vulgaire. Tache d'encre bleue sur le côté droit du recto. ~~~~
Le filet de séparation est tout en bas de la page manuscrite paginée 21] et officiellement recto par la pagination.
22]#verso de la page 21 Transcription non dans le coin supérieur droit, mais dans le coin supérieur gauche du "22". ~~~~ 0 Marine. ~~~~ transcription du poème ~~~~~ Fête d'hiver. ~~~~~
Plusieurs remarques importantes : Mme Grandisre a donc préparé la page 1 avec le feuillet unique pour "Après le Déluge" et puis l'unique feuillet paginé 21 et 22 qui vient en antépénultième manuscrit de la série de 24 pages ! Il n'y a donc aucune absurdité à penser que les manuscrits de "Après le Déluge" ainsi que de la suite "Nocturne vulgaire"/"Marine"/"Fête d'hiver" aient été insérés sur les quasi rebords de la suite manuscrit sur papier homogène ! Le blanc qui fait suite à "Fête d'hiver" invite à penser que le poète a renoncé à profiter du peu de place restant, et permet, mais sans certitude, de confirmer que c'est bien le verso et non le recto initial. Les filets de séparation sont très appuyés et coïncide avec une transcription au recto et au verso, fait exceptionnel sur l'ensemble des manuscrits. Il s'agit d'un ajout par défaut de papier visiblement, et du témoin d'un état antérieur où les transcriptions étaient aussi sévèrement tassées avec des filets de séparation grossiers pour bien visualiser les séparations entre les poèmes. Il va de soi que ces filets de séparation qui sont qui plus est de chaque côté du titre "Marine" en début de page n'ont rien à voir avec les filets de séparation des autres manuscrits. Ici, ils sont systématiques et témoignent d'un ancien été de conservation des poèmes sous forme de copies manuscrites.
Considérer que ces filets définissent des groupements de poèmes par-delà les différences de papier utilisé n'a aucun sens. Les filets de séparation sont employés ici poème après poème qui plus est. Et leur singularité d'emploi coïncide avec le cas unique d'un manuscrit où les copies sont à la fois au recto et au verso.
Autre remarque : "Marine" a des alinéas avec retour à la ligne avant le point, mais la fin de transcription offre un retour à la ligne propre à la prose, nous n'avons pas ici le principe du vers libre tel qu'il est appliqué dans la transcription manuscrite de "Mouvement".
 
23] Melle Marie [2]4 lignes ~~~~ 0 Angoisse. ~~~~ 0 Métropolitain.
Verso vierge
 
24] ~~~~ 0 Barbare trop peu visible le "24" est reporté un e 2e fois dans le coin gauiche du feuillet sur le modèle de la page 22 verso traité par Mme Grandsire. 
Verso transcription biffée avec des variantes du premier paragraphe de "Enfance I" et en-dessous tache d'encre appuyée, où il faut préciser si elle vient de Rimbaud ou des protes de La Vogue, tache qui si elle vient de Rimbaud pourrait expliquer que le texte ait été biffé. 
 
Nos conclusions :
Les 24 pages coïncident avec la publication dans les numéros 5 et 6 de la revue La Vogue. L'emploi du crayon est le fait d'ouvriers typographes sur ce genre de manuscrits, et cela est confirmé par la masse de phénomènes convergents qui révèlent que la revue prévoyait de publier les neuf premières pages, puis a augmenté la part de publication dans le numéro 5 avec le contenu des pages 10 à 14.
La preuve que la pagination vient de la revue La Vogue ne concerne pas du tout les cas particuliers des pages 12 et 18, la preuve se situe à la page 9.
Il est possible que pour la page 18 l'éditeur ait tenu compte d'un remaniement voulu par Rimbaud qui aurait consisté à créer la série "Veillées" I II et III, en renonçant à la séparation initiale entre "Veillées I et II" et "Veillée", titre initial du troisième poème de cette série, mais cela reste à prouver.
Il est possible que la suite des pages 2 à 24 correspondent à l'ordre des feuillets qui sont parvenus à la revue, mais cela est discutable pour la page 1 "Après le Déluge" et pour le feuillet paginé 21 au recto et 22 au verso avec "Nocturne vulgaire"/"Marine"/"Fête d'hiver". Notons que non encerclé sur le feuillet pris en charge par Mme Grandisre le titre "Fête d'hiver" a été oublié comme celui de "Les Ponts" dans le numéro 6 de la revue, ce qui nous a valu la fusion en un poème des textes pourtant si distincts de "Marine" et "Fête d'hiver".
L'insertion du feuillet 12 à la suite de "Phrases" demeure également problématique.
La suite sur papier homogène soulève d'autres questions sur le prétendu ordre du recueil. Les transcriptions de "Conte" et de "Royauté" sont tassées et semblent supposer moins un travail de placement dans un recueil que d'une mise à profit du peu d'espace disponible sur les feuillets. Une question similaire se pose pour les deux "Villes", puisque visiblement Rimbaud aurait voulu faire défiler ces deux poèmes dans l'ordre inverse, ce à quoi la réalité des copies manuscrites l'a amené à renoncer.
Il y a des indices patents sur ces manuscrits de tâtonnements et de difficultés de mise en ordre non surmontées par Rimbaud. Il est visible que par moments la suite des copies se fait au petit bonheur.
Le traitement des filets de séparation est chaotique. Cela s'explique par la singularité du feuillet manuscrit pour les pages 21 et 22. Les filets de séparation n'ont jamais pour objectif de réunir plusieurs poèmes, il s'agit toujours de délimiter le début ou la fin d'un poème ou d'une section d'un poème (Veillée I et II). Malgré tout, dans le cas de "Veillée" réintitulé "III", il y a un cas d'analyse plus compliquée. Le filet de séparation ne s'explique guère, puisque le poète n'y recourt pas pour "Aube", "Mystique" et "Fleurs" qui suivent. Mais vu que ce filet est d'une encre légère et non d'une encre foncée, rien ne permet de dire qu'il va de pair avec ce remaniement, et nous serions dans le cas d'une coïncidence dont on ne saurait tirer parti.
Je rappelle aussi que la preuve de la pagination allographe liée aux convergences de la page 9 est renforcée par les mentions variées inattendues de la page 15 qui correspond à la reprise de publication dans le numéro 6 de la revue, et il faut préciser que la page finale 24 fait aussi partie de la preuve, puisque c'est la fin de transcription pour le numéro 6 de la revue, mais c'est aussi la fin d'une transcription exclusive des poèmes en prose, puisqu'à partir du numéro 7 les vers seront mélangés aux autres poèmes en prose ! Et  cela à partir de paginations nouvelles et autonomes en fonction de chaque numéro de la revue : 7, 8 et 9.
La pagination n'étant pas de la main de Rimbaud, il n'y a donc pas à affirmer que les poèmes "Après le Déluge", "Nocturne vulgaire", "Marine"/"Fête d'hiver" occupent une place voulue par Rimbaud dans l'ordonnancement du recueil, et cela vaut aussi pour les feuillets paginés 12 et 18, même s'il y a des éléments qui permettent un débat au sujet des pages 18 et 19.
Il va de soi que pour la partie homogène la redistribution est limitée par le fait que certains feuillets supposent des regroupements évidents du fait de l'enchaînement de certains textes d'un feuillet à l'autre, ou du fait de l'enchaînement des sections en chiffres romains pour "Enfance" et "Vies".
On peut imaginer que cet ordre se soit maintenu de 1875 à la pagination dans la revue, à cause par exemple de la transcription biffée de "Enfance I", mais rien ne prouve que "Enfance I" biffé était le dernier manuscrit de la série homogène dès 1875, cela a pu varier dans le temps selon les détenteurs des manuscrits. Il faut être humble et reconnaître qu'on n'en sait rien. Je précise que ce serait déjà en soi une coïncidence étonnante que Rimbaud ne se soit planté que pour la transcription du premier alinéa du premier poème et qu'ensuite il n'ait fait aucune autre erreur de ce genre (erreur qui serait la tache d'encre). Surtout, il est imprudent d'affirmer que même dans les cas où les poèmes s'enchaînent sur un même feuillet ou d'un feuillet à l'autre Rimbaud pense clairement à l'ordre de défilement pour un recueil. Je ne le crois pas. "Conte", "Royauté" et "Villes" I et II entrent en tension avec cette thèse, ainsi bien évidemment que l'absence de pagination autographe, totale comme partielle.
 

jeudi 4 décembre 2025

La préface de Steve Murphy, deux phrases !

Je ne peux pas rendre compte pour l'instant de l'exemplaire que j'ai reçu du livre de fac-similés en couleurs des manuscrits des Illuminations, j'ai d'autres priorités, mais je tiens à cibler deux phrases de la préface fournie par Steve Murphy.
A propos de la pagination, voici ce que Murphy écrit : "on admet aujourd'hui l'ordre des 24 premiers feuillets publiés ensemble dans La Vogue".
C'est tout !
Ce n'est pas un libellé scientifique, mais une opinion. Aucun scientifique n'admettra qu'on s'en remette ainsi à un consensus.
Aucun spécialiste du droit ne peut manquer d'observer que l'argument cherche moins à convaincre (appel à la rasion) qu'à persuader (jeu sur les sentiments) au plan rhétorique. Il s'agit d'un argument où on invite le lecteur à s'en remettre en confiance à une autorité. Les gens rompus à l'enseignement de la rhétorique, dans le droit, dans la philosophie, n'accepteront jamais de valider l'argument comme preuve.
Pour un scientifique, un philosophe ou un juriste, l'argument n'est pas recevable.
Il faut ajouter le problème de définition vague du consensus derrière le pronom indéfini "on". Il y a trois sites rimbaldiens dominants sur internet : le mien, celui de Jacques Bienvenu et celui d'Alain Bardel. Deux sur trois n'admettent pas la pagination. On peut dire que les sites internet ne représentent pas le consensus des universitaires, mais au plan de l'édition rimbaldienne André Guyaux dans la collection de La Pléiade a édité les Œuvres complètes d'Arthur Rimbaud et il n'admet pas non plus la pagination comme fiable. André Guyaux a par ailleurs publié un livre Poétique du fragment dans la décennie 1981-1990 où il a déjà fait entendre qu'il ne considérait pas la pagination comme autographe, et les ouvrages étudiant les manuscrits des Illuminations sont rares. Bouillane de Lacoste est le premier et le principal rimbaldien à avoir étudié les manuscrits des poèmes en prose avec des contributions décisives que Guyaux ni Murphy n'ont pu atteindre par la suite. Or, lui non plus n'adhère pas à la thèse de la pagination autographe. Entre les trois principales personnes qui ont fourni des études longues sur les manuscrits des Illuminations, nous retrouvons cette proportion de deux contre un, en faveur de la non pagination autographe. Il est vrai qu'il est question du consensus actuel et Bouillane de Lacoste n'est plus là pour s'exprimer, mais son travail n'a-t-il plus voix au chapitre ? En tout cas, même en retirant Bouillane de Lacoste, il n'y a pas de consensus entre Guyaux et Murphy.
Passons à un autre plan ! Pour qu'il y ait consensus, il faut que les autres rimbaldiens s'expriment sur le sujet. Plusieurs rimbaldiens importants sont décédés : Fongaro, Claisse, Ascione. Certains se sont retirés depuis longtemps, ne lâchant qu'un rarissime article : Jean-Pierre Chambon. D'autres ont des sujets de prédilection et évitent de s'attaquer à un travail sur les manuscrits : Benoît de Cornulier. Quant aux éditions courantes des poésies de Rimbaud, celles de Forestier (collection "Bouquins" chez Robert Laffont, collection "Poésie Gallimard", collection "Folio"), de Jean-Luc Steinmetz chez Garnier-Flammarion (en trois volumes refondus en un seul sans remaniements majeurs), de Pierre Brunel (en plusieurs volumes ou en un seul dans la collection "La Pochothèque"), elles sont toutes antérieures à l'article de 2001 de Steve Murphy où il a été affirmé que la pagination était autographe. Il n'y aurait aucun sens à impliquer leurs éditions dans le consensus ! La seule édition de référence postérieure à 2001 est celle de Guyaux dans la collection "La Pléiade" et elle s'oppose à la pagination autographe.
Enfin, parmi les quelques rimbaldiens qui se sont exprimés en faveur de la pagination autographe, il faut prendre compte de ceux qui ont renoncé à cette conviction. Yves Reboul a pris fait et cause pour cette pagination dans son livre de 2009 Rimbaud dans son temps, au sujet du poème "Barbare" interprété comme une sorte de conclusion ou tout du moins comme formulant un jugement rétrospectif sur d'autres poèmes de l'ensemble. Notons que défenseur de la pagination autographe, Bardel a jugé lui-même absurde la thèse de lecture de Reboul. Reboul ne s'est plus jamais exprimé sur le sujet, et son étude de 2009 est antérieure aux articles de Jacques Bienvenu démentant l'article de Murphy de 2001 sur la pagination autographe. Quant à Michel Murat, il continuait de soutenir la pagination autographe dans sa version augmentée de son livre L'Art de Rimbaud paru en 2013, mais il a changé d'avis dans le Dictionnaire Rimbaud où il concède que la pagination autographe n'est pas prouvée.
Sur deux rimbaldiens connus pour avoir formulé leur adhésion, il n'en reste plus qu'un seul, un sur deux, ça ne fait aucun consensus, et pire encore il y a une évolution en défaveur de cet ordre des feuillets.
Prendre le temps de mentionner tous les rimbaldiens qui auraient formulé leur adhésion est problématique, puisque nous ne pouvons déterminer si la majorité silencieuse n'a pas jugé important de se prononcer ou s'ils n'y croient tout simplement pas.
Qui plus est, avec tous les phénomènes de cooptation universitaire, de brossage dans le sens du poil entre collègues, l'exercice devient rapidement dérisoire.
Il ne le serait pas si massivement les rimbaldiens se prononçaient en faveur de la pagination autographe, ce qu'ils ne font pas, et j'ajoute que la fin de non-recevoir de Murat dans le Dictionnaire Rimbaud a été concertée et validée. Les trois directeurs du Dictionnaire Rimbaud : Alain Vaillant, Yanné Frémy et Adrien Cavallaro ont considéré que Murat pouvait légitimement mettre en doute la thèse de la pagination autographe. L'avant-propos de l'ouvrage précisait clairement qu'il s'agissait de faire un tri dans l'état des recherches rimbaldiennes en 2021.
Ce consensus se résume à deux rimbaldiens : Alain Bardel et Steve Murphy, en l'état actuel de nos connaissances.
Notons qu'en préfaçant ce livre fac-similaire, Murphy est censé apporter la caution du scientifique qui aurait établi la preuve d'un manuscrit confectionné par Rimbaud jusqu'à la pagination. On n'attend pas de lui qu'il rapporte avec distanciation un consensus ou une opinion. Il n'est pas dans son rôle. Ou il se tait sur le sujet ou il consolide son argumentation ancienne, mais il ne peut pas dire évasivement que la majorité des rimbaldiens pensent qu'il a raison, surtout quand en épluchant les écrits des rimbaldiens on se rend compte que ce consensus n'est pas vrai, ou du moins n'existe pas publiquement.
J'ajoute que je vois un autre défaut à la phrase de Steve Murphy : en toute rigueur, il devait écrire qu'il y avait un consensus des experts en études rimbaldiennes sur la pagination autographe, mais pas formuler qu'il y avait une tendance de tous à s'en remettre à l'ordre des feuillets tel qu'il nous est parvenu, ce qui n'est pas du tout le même propos. Oui, les éditeurs publient les poèmes des Illuminations en tenant compte de la pagination, voire des paginations, mais il ne s'agit que d'une conséquence aléatoire de l'histoire des éditions des manuscrits. Ils suivent le modèle initial de publication, celui qui s'est imposé avec le temps. Ils n'ont pas vraiment de marge de manœuvre et personne ne leur en fait un reproche non plus. Le consensus dont parle Murphy n'a aucun sens, ne suppose aucun débat, et il n'implique pas que la pagination soit considérée comme autographe.
Ensuite, je relève cette autre phrase à propos des manuscrits qui ne font pas partie de la suite de 24 pages : "on ne peut inférer un ordre auctorial sûr pour le reste des textes de La Vogue et de l'édition Vanier de 1895". Il y a déjà un vice caché dans l'argumentation, puisque, et les experts en philosophie et en linguistique peuvent le remarquer d'emblée, cette phrase fait une assertion qui passe au premier plan tout en s'appuyant sur une affirmation placée à l'arrière-plan. Si on ne peut rien inférer pour le reste, c'est qu'on sous-entend qu'on peut inférer quelque chose sur les 24 pages". Vous pensez que c'est ce qui a été fait, mais détrompez-vous. La première phrase que j'ai citée de Murphy ne montre pas qu'on puisse inférer quoi que ce soit, mais le consensus exhibé n'est pas sur le même plan. Il y a une acceptation passive de la pagination par les éditeurs des poésies de Rimbaud et par les lecteurs et de l'autre l'impossibilité d'affirmer l'ordre voulu par le poète pour l'ensemble des poèmes qui ne font pas partie des vingt-quatre pages. Cette opposition n'est pas valable. Il est impossible d'inférer l'ordre auctorial tant pour le reste des manuscrits que pour l'ensemble de 24 pages ! Puisque l'acceptation éditoriale passive de l'ordre paginé ne signifie pas la conviction que nous avons affaire à un ordre auctorial. Qui plus est, même si on veut soutenir que le consensus porte sur la pagination comme auctoriale, autographe, il y a un écart entre "on admet" et "on infère".
Notons que, contrairement à Bardel, Murphy ne part pas en croisade pour soutenir que le reste des manuscrits a été publié dans un ordre déterminé par Rimbaud. Ni Murphy ni Bardel ne signalent à l'attention le cas du manuscrit autographe non paginé de "Promontoire", mais nous avons deux thèses très contrastées du coup entre la thèse de Bardel qui parle d'un seul manuscrit des Illuminations, ce qui suppose une minimisation critique du cas des feuillets volants dont les paginations ne relèvent pas d'un système unifié, et la thèse de Murphy que nous n'aurions qu'une partie du recueil dans un état figé ou fixé, concession explosive s'il en est !
Chef d'orchestre des éditions fac-similaires actuelles, Bardel ne peut pas s'appuyer sur une adhésion pleine et entière de Murphy, lequel défend plus que mollement sa propre thèse de la pagination autographe. J'ajoute que, si la gazette Ombres blanches nous invite à nous reporter au site internet Arthur Rimbaud d'Alain Bardel pour des études détaillées de mise au point sur les indices des manuscrits d'un travail auctorial ou non, à part les hypothèses sur la vie de Rimbaud pour les manuscrits en-dehors des 24 pages, Bardel ne fait jamais que reprendre des éléments qui tous étaient déjà dans l'article de 2001 de Steve Murphy dans le numéro 1 de la revue Histoires littéraires : étude sur les "filets de séparation", etc. Il ne s'agit pas d'un débat contradictoire avec des éléments nouveaux, et ces éléments n'ont pas la portée que Bardel prétend leur donner non plus. La thèse de Murphy portait très clairement sur la pagination des 24 pages manuscrites, et c'est ça qui a été contesté avec deux arguments massue.
Murphy lui-même disait qu'il n'y avait pas de milieu, la pagination était soit le fait des éditeurs, soit le fait de Rimbaud seul, cela sans mélange. Or, pour tout ce qui est au-delà de la suite de 24 pages, il n'y a déjà aucune pagination unifiée et il est facile d'identifier des paginations en fonction des éditions originales des poèmes en question. Et le manuscrit autographe de "Promontoire" n'est pas paginé, alors que le manuscrit allographe est paginé 1 et 2, avec la pagination "3" subséquente de "Scènes", comme l'a montré Jacques Bienvenu en janvier 2025 dans un article de son blog Rimbaud ivre. Même le décalage "3" a son importance, puisque la pagination suppose un manuscrit en deux pages de "Promontoire" et non en une seule. C'est le seul manuscrit autographe non paginé, au moins pour l'ensemble publié initialement dans les numéros 5, 6 et 7 de la revue La Vogue. Et la pagination pour le numéro 7 implique des poèmes en vers nouvelle manière.
Pour les 24 pages, je le dis et répète, nous avons une convergence maximale autour de la page 9 qui prouve que la pagination a été conduite par la revue La Vogue.
Initialement, la revue avait prévu de ne publier que le contenu des neuf premières pages. La mention "Arthur Rimbaud" apparaît au bas de la neuvième page et les neuf premiers chiffres de la pagination au crayon ont été repassés à l'encre. On constate que le dos du manuscrit paginé 9 est précisément plus sale, c'est Guyaux qui le faisait déjà remarquer dans Poétique du fragment sans faire le lien comme je l'ai fait avec la mention "Arthur Rimbaud" et le repassage à l'encre des neuf premiers chiffres. La page 9 est déjà le point de convergence des trois faits suivants : verso maculé d'un manuscrit ayant servi d'enveloppe externe, fin du repassage des chiffres de la pagination de un à neuf et mention du nom d'auteur "Arthur Rimbaud". A cela s'ajoute un quatrième fait convergent : la manière de souligner les titres de la page 1 à 9 avec des crochets < et >. Au-delà, les titres ne sont pas soulignés ou ils sont encerclés, ce qui prouve que l'opération de soulignement des titres n'a pas été exécutée d'une seule traite.
En toute rigueur, un rimbaldien ne doit pas se contenter d'étudier les chiffres de la pagination, il doit étudier les convergences entre les indices.
Or, le nom au bas de la page 9 "Arthur Rimbaud", qu'on n'a pas considéré comme autographe que nous sachions et qui n'a aucune raison de venir d'un auteur supposé constitué un recueil tout d'une seule traite, c'est précisément la mention qui clôt la première série des Illuminations publiée dans le numéro 5 de la revue La Vogue. Cette série englobe dans leur ordre la série de poèmes qui va de la page 1 à la page 14 du dossier manuscrit tel qu'il nous est parvenu. Et, justement, on observe que de la page 10 à la page 14, les titres ne sont pas soulignés, mais que le soulignement des titres reprend à partir de la page 15 ! A un moment donné, il faut peut-être arrêter d'être obtus ! Pour démentir que la pagination ait été menée par la revue La Vogue, il faut sans arrêt faire passer des indices pour des coïncidences.
Je précise que Rimbaud avait un système pour indiquer les titres, placer un point après le dernier mot ou signe "xxx." ou allonger la dernière lettre par un trait horizontal. Or, les titres tels qu'ils ont été soulignés n'ont pas tenu compte de ce système, notamment pour le poème bref qui suit "Being Beauteous" : "Ô la face cendrée..." Ils n'ont pas compris que les trois croix faisaient office de titre, et n'ont donc pas identifié le petit point qui suivait ces trois croix. Notons qu'on ne voit pas pourquoi Rimbaud lui-même aurait manqué d'identifier les titres "Les Ponts" ou "Fête d'hiver", vu qu'il connaissait ses poèmes comme personne. Ces deux titres manquent justement dans l'édition de la revue La Vogue, signe que ces titres n'ont pas été identifiés par les protes de la revue La Vogue, et cela peut se comprendre si lors de l'opération on construit séparément les lignes des titres et les textes des poèmes, car tout cela sent le défaut d'assemblage dans une procédure qui n'est pas vraiment celle d'un lecteur. Pour "Les Ponts", aucun titre n'est souligné sur les manuscrits de la page 9 à 14, pour "Fête d'hiver", c'est le seul titre non souligné sur le manuscrit, preuve d'un oubli, et nouvelle preuve que les titres sont soulignés dans la précipitation par les premiers éditeurs.
A cette aune, vous devez prendre en considération aussi que la manière de souligner les titres change significativement dans l'intervalle de la page 9 à la page 10, puis dans l'intervalle de la page 14 à la page 15 !
Vous ne pouvez pas imposer à vos lecteurs témoins de ne prendre en considération qu'un élément après un autre, vous ne pouvez pas vous réjouir qu'ils ne voient pas la preuve par les convergences, parce que vous dispensant de leur en indiquer le déroulé vous vous réjouissez que l'évidence ne leur saute pas aux yeux. Il faut prendre le temps d'une synthèse de ces éléments convergents, quitte à faire un montage de petits extraits fac-similaires qu'on placerait sur deux pages en vis-à-vis.
Ce montage-là mettrait bien la preuve sous les yeux que la pagination des 24 pages vient de la revue La Vogue, même si on omettait de photographier les pages clefs de l'édition originale dans les numéros 5 et 6 de la revue La Vogue.
 
En voilà assez ! Je ferai prochainement un compte rendu de l'ouvrage lui-même, en m'intéressant à la qualité des photographies. Je prévois aussi de faire un tableau de l'évolution de l'ordre des poèmes de la revue La Vogue à l'édition en plaquette, édition qui comportait alors les poèmes en vers "nouvelle manière", parce que cela aussi est intéressant et passe à l'as !
Je terminerai en disant non pas qu'il faut admettre que la pagination n'est pas de Rimbaud, mais qu'il est prouvé qu'aucune pagination des manuscrits des Illuminations n'est de Rimbaud, celle en vingt-quatre pages comprise, et je me contrefiche de savoir si cela fait consensus ou non, encore que cela peut m'inquiéter au sujet de mes contemporains. Seule l'expertise scientifique m'intéresse.

dimanche 30 novembre 2025

Léon-Paul Fargue, du Rimbaud sur le mode mineur ?

Edité le premier décembre, ajout sous les astérisques plus bas ! 
 
Avant l'an 2000, je lisais énormément de recueils de poésies. Je pratiquais des sondages dans les librairies, je lisais les recueils accessibles dans les bibliothèques universitaires. J'achetais aussi des livres, mais à plusieurs reprises j'ai dû m'en défaire étant donné les aléas de l'existence. Le volume de Léon-Paul Fargue Epaisseurs suivi de Vulturne dans la collection Poésie Gallimard m'avait marqué. Je sentais qu'une certaine magie verbale opérait, que cela pouvait coller jusqu'à un certain point avec une forme d'héritage rimbaldien dans le phrasé. Je n'ai pas acheté ce recueil, il s'agit donc d'observations précoces de ma part, entre 1996 et 1998 peut-être. Ce poète n'est pas très connu, il en est bien d'autres qu'on cite avant lui comme références pour la littérature du vingtième siècle. Or, je me suis enfin acheté ce volume pour deux euros et c'est l'occasion d'en parler et d'éprouver mes intuitions.
Je ne lis pas le recueil tout d'une traite. Il y a des recueils que je dévore, d'autres où je suis plus patient. Je prends le temps de les lire. Pour l'instant, j'ai lu le début du recueil Epaisseurs avec le poème liminaire en vers de sept syllabes "Gammes", puis les poésies en prose "La Drogue", "Colère", et je me suis arrêté à la quatrième page de "Mirages".
Pourquoi rendre compte d'une lecture inachevée ? Mais parce que je ne veux pas que mes pensées s'échappent, et mieux parce que je n'ai pas envie de suspendre les réflexions. C'est ainsi que je dois agir si je veux les mener à maturité et ne rien délaisser.
Voici donc mes premières nouvelles impressions. Pour l'instant, je n'ai pas encore retrouvé la vivacité à la lecture que mes souvenirs font entendre. J'imagine que cela peut venir plutôt du second recueil Vulturne ou bien il va y avoir un moment où le récit s'emballe dans "Mirages", mais j'ai deux confirmations. Premièrement, Léon-Paul Fargue sait écrire et il offre le relief d'une écriture dans la continuité de la prose rimbaldienne. Rimbaud est né en 1854, Léon-Paul Fargue en 1876, ce qui fait une génération d'écart. Rimbaud et Fargue partagent du côté de l'écriture en prose une manière d'expression moins lyrique et plus fortement encadrée par une sorte d'élégance qui caractérisait aussi Théophile Gautier et qui a l'air aussi d'une langue élégante favorisée par un enseignement scolaire propre au dix-neuvième siècle. Deuxièmement, Fargue a une maîtrise réelle et spontanée du vocabulaire, ce qui fait que facilement l'intérêt de sa lecture est rehaussé, on se sent en confiance. Enfin, il y a un troisième point qui se confirme, c'est l'influence directe de Rimbaud. Et, pourtant, malgré tous ces éléments favorables, Fargue ne va pas devenir un poète important du vingtième siècle et là c'est peut-être un aspect d'avenir de mon investigation actuelle, puisque je veux pouvoir expliquer ce fait.
Avant de parler des quelques poèmes que j'ai pu lire, je reviens sur la présentation générale de Léon-Paul Fargue. Il s'agit d'un enfant naturel qui n'a pas été reconnu par son père avant l'âge de seize ans, mais ce qui m'intéresse, c'est l'écart d'une génération avec Rimbaud 1854-1876 et l'importance de l'intelligence dans la lignée des Fargue. Colette, née en 1873, est elle aussi très intéressante à comparer avec Rimbaud, d'autant qu'avec la série des Claudine elle fournit des récits de son enfance rebelle et sauvage. Fargue n'a pas le même profil, mais il partage avec Rimbaud un rapport à l'intelligence. Arthur Rimbaud est très différent de son père et, malgré ses livres, ce père n'est sans doute pas le modèle le plus net d'intelligence, mais Rimbaud, différent de son frère aîné Frédéric, était un premier de la classe, du moins dans les matières littéraires, et au plan scientifique, Rimbaud est demeuré assez velléitaire, mais sa vie africaine témoigne assez qu'il aurait aimé accéder à plus de compétences de ce côté-là du monde de l'intelligence. Rimbaud n'a pas été mis sur les rails du monde scientifique et lui-même n'était pas capable de dépasser les premières difficultés. En revanche, il a été mis sur les rails dans le domaine littéraire et là il a su à un moment donné prendre les choses en mains. Léon-Paul Fargue est le fils naturel d'un ingénieur et le petit-fils d'un ingénieur plus réputé encore. Fargue a effectué de brillantes études, mais il a renoncé à être normalien pour pouvoir devenir poète. Il s'intéresse aussi à la peinture et au piano. On dit qu'il a pu suivre les cours de Mallarmé lors d'un passage à Condorcet, mais ce n'est pas très clair, puisque plus tard c'est Henri de Régnier qui l'a introduit ultérieurement aux "mardis" de Mallarmé. J'observe qu'un de ses premiers contacts littéraires n'est autre qu'Alfred Jarry, ce qui pour moi est une fausse note. Il va connaître des musiciens intéressants : Debussy, Satie, Ravel. Au plan littéraire, je suis un peu perplexe : Jarry, Larbaud, Valéry, Tristan Klingsor, etc. Rien de pertinent se dégage. Valéry est un brillant versificateur et a une aura intellectuelle, mais c'est un peu incohérent et ça sent le reportage pour amuser la galerie. Qui plus est, il publie assez peu avant la Première Guerre Mondiale, privilégie la critique d'art et les mondanités.
On mentionne ses publications comme autant d'événements anecdotiques, et la consécration des recueils EpaisseursVulturne et Sous la lampe vient particulièrement tard. Ce sont des recueils de 1928, le poète a plus de trente ans de carrière littéraire derrière lui, et cette reconnaissance vient d'une action solidaire de ses pairs pour le mettre en avant.
J'en viens maintenant aux poèmes que j'ai lu. Le poème en vers de sept syllabes "Gammes" n'est pas mauvais. Il manque toutefois une musicalité ou du moins une capacité à accentuer les rythmes. Toutefois, il y a une maîtrise de la langue qui permet quand même de capter l'attention. Il sait jouer sur la subordonnée relative en "qui" avec un verbe d'une syllabe stable : "Hachures de chair qui dansent", il est à l'aise pour placer un adjectif plus recherché, mais pas évident en soi, qui va bien se marier au débit phrastique : "saut interrogateur", sinon "allure verticale", il sait compléter habilement un nom par un groupe prépositionnel ou une subordonnée relative : "Aux confins de la rumeur" ou "Dans les rues qui se démaillent", et cela s'enchaîne naturellement avec variété et sans devenir prévisible ou forcé. Pourtant, il a des amorces pédantes, surtout quand il veut inventer des mots et qu'il a la maladresse de les énumérer : "Fantômes de caracames, / De fatagins, de marmoses, / [...]". J'aurai du mal à l'expliquer, mais il arrive aussi à mieux gérer la reprise d'une syllabe en tête de deux mots rapproches : "Dans la bouche des boutiques". Je n'ai pas acheté le recueil en Poésie Gallimard de Paul Morand, sinon j'aurais pu vous donner des exemples maladroits et forcés. Fargue est plus subtil et plus souple. Desnos aussi dans Corps et biens fournit des exemples maladroits et forcés, mais forcés par principe qui plus est.
La chute du poème "Gammes" est pleinement réussie : "C'est le nom d'un souvenir / Que mon rêve regardait."
Mais, on passe ensuite à des poèmes en prose. Or, Fargue ne fait pas ici dans le poème en prose concis, il se lance dans des récits en prose de plusieurs pages, et là mon idée c'est que au plan tactique en littérature, mais la tactique pour réussir une œuvre autant que pour plaire au public, il aurait mieux fait de s'en tenir à des poèmes pas trop longs. Il n'a pas le souffle lyrique, il ne met pas assez d'émotion dans ce qu'il écrit, ou il ne met pas assez d'effets de rythme dans son phrasé. Il ne peut que lasser. Il va plaire un temps jusqu'à ce qu'on trouve cela monotone, toujours la même chose. Et l'autre raison pour laquelle il devrait être plus court, c'est qu'un récit long de plusieurs pages qui se veut de la poésie cela suppose un énorme développement, et là on ne le sent pas le développement. On se dit que Fargue rallonge son récit. Ce que je trouve intéressant de constater, c'est que sa poésie devient un peu un emploi du langage pour faire tourner le langage sur lui-même. Il y a une sorte de vacuité qui s'installe et qui ne pardonne pas. On le sent à un moment donné qu'un poète n'a pas vraiment quelque chose à dire. Il gagnerait beaucoup à être plus concis, et notamment celui lui permettrait de mieux se consacrer à valoriser un propos et à créer une dynamique littéraire à partir de ce propos. Il devrait travailler les détails de son propos pour trouver des idées de style, etc. Là, il fait de la copie, il allonge la poésie.
Le poème "La Drogue" m'a mieux plu que le suivant "Colère" où j'ai plus senti les effets de manche, la déperdition des énumérations pour inutilement épater la galerie.
Le début du récit "La Drogue" est très bon :
    Il y avait longtemps que je m'en doutais. J'en étais sûr. Ne l'avais-je pas dit dans deux ou trois conversations ? Avais-je parlé ? Je n'avais pas vu dans leurs yeux qu'ils eussent entendu. Je ne pensais pas à la chose, elle me pensait ; je n'agissais pas, elle m'agissait. [...]
On voit la référence au "On me pense" de Rimbaud, mais la partie la mieux écrite va plus pour moi jusqu'à "entendu", à tel point que je me demande si "Avais-je parlé" n'est pas inspiré du "si je me souviens bien" du début d'Une saison en enfer. La langue de Fargue dans ce récit "La Drogue" est plus proche de celle de Rimbaud dans ses Illuminations. Parfois on pense aussi aux phrases sans verbe de la Saison : "Plus de confiance en la parole, plus de confiance en personne." Mais je tiens à insister sur la plus discrète et solide relation à la prose des Illuminations. Surtout si c'est un peu involontaire :
 
[...] Il me souvenait de certaines périodes ardentes et dissimulées de mon enfance, pleines de rumeurs, de rayons humides et de larmes de plaisir, d'états de colère ou de silence, où le médecin de mes parents discernait de légers troubles, imputables, disait-il,  à mon activité précoce, excédée d'impressions vives, que je n'avais garde de trahir, et qui me criblaient de baisers amers, de la part de quelque merveille implacable comme un coquillage dans une vitrine, l'atlas d'un dictionnaire d'histoire naturelle, un navire en miniature au musée de la marine, ou quelque jouet absurdement riche et que je ne pouvais posséder. [...]
 Passons sur le côté ampoulé de l'amorce : "Il me souvenait..." On a peu d'adjectifs et ici quand on en a ce sont presque des expressions toutes faites "impressions vives", "histoire naturelle" ou bien on a un adjectif précis mais basique : "baisers amers", on a des constructions simples de groupes nominaux : nom préposition et nom : "larmes de plaisir", mais en balance avec une construction nom et adjectif : "rayons humides", et justement on a aussi ces formules binaires peu lyrique : "d'états de colère ou de silence", on a les subordonnées qui ont aussi une résonance d'une certaine époque du style où Rimbaud avait sa place : "et que je ne pouvais posséder", et qui me criblaient de baisers amers", on a la rencontre de "quelque (jouet)" et "absurdement riche". Fargue privilégie des successions de phrases où on repart sur un sujet bref et un verbe. Il y a des juxtapositions de phrases aux amorces verbales comme simples, mais rythmiquement ordonnées : "J'avais mis mes affaires en ordre. Je me hâtais comme un voiturier que la nuit gagne." Ou bien : "Je me suis levé, je suis parti, comme on court jouer, quand on sent la veine." Et dans les deux cas que je viens de citer, même les comparaisons insérées ont une sorte d'aura de nonchalance rimbaldienne. On a tel suspens dans une phrase qui se refuse au lyrisme : "Le prévenu, moutonné, s'est mis à table." Fargue se perd dans le récit, où là il ressemble à la plus grande masse des romanciers avec l'enchaînement narratif des verbes à l'indicatif passé simple, et par moments il se ressaisit : "Son allure devint saccadée, puis onduleuse, sa tête s'ourla d'un liséré bizarre, les bords de son corps, puis le centre, commencèrent à s'éclaircir [...]". J'observe qu'il y a un certain art de la phrase d'allure lacunaire mais précise dans le domaine descriptif, ça aussi ça concerne Rimbaud ou Théophile Gautier. Et là il faudrait tout relire une deuxième fois pour réveiller tout ce que j'ai pensé à la lecture de tout à l'heure, mais je vous donne déjà un peu les bases de mon constat et bien sûr je vous retrouve les indices que Fargue s'appuie aussi sur des citations de Rimbaud pour justifier sa propre écriture, ce qui pour le coup apparaît comme des effets de manche maladroits à mon regard expert : "Ah ! je suis un fantôme occidental actif !" "Colère" se pare d'injonctions rimbaldiennes, et y va de sa petite note ésotérique : "musique muette des nombres". Certaines suites verbales sont très proches de passages rimbaldiens : "les rais s'épointent, les souffles s'attristent, l'uranie s'endort contre vos plaques, vos chevaux de pierre montent dans le ciel, vos larmiers verdissent,...", mais le côté hirsute du vocabulaire dessert mal le projet poétique. A un moment j'ai trouvé "prendre du dos" et non "renversant de ventre" dans un passage où j'étais en train de me dire que définitivement le phrasé de Fargue est plus proche de celui de Rimbaud, alors même qu'il s'inspire des Chants de Maldoror. il y a ensuite un passage sur le regard du pou qui confirme l'influence d'Isidore Ducasse, mais l'influence de Ducasse va être plus intellectuelle, alors qu'au plan grammatical et lexical Fargue n'a aucun mal à se rapprocher de Rimbaud, parce que cela lui est tout simplement naturel. Evidemment, Fargue n'a pas du tout les capacités poétiques de Rimbaud, mais il part de codes stylistiques comparables acquis visiblement dans le cadre scolaire, une sorte de langue littéraire scolaire d'époque mais qui est infra-littéraire, qui peut modeler l'élégance de nombreux écrits non voués à être de la poésie, qui peuvent être de la vulgarisation scientifique ou de la littérature sans prétention, mais Rimbaud, Fargue ou Gautier sont dans ce secteur de déploiement de leur style littéraire en prose. Je le perçois, et il faut que j'arrive à bien poser cela, à mettre une vraie connaissance experte là-dessus avec des mots.
J'ai relevé d'autres allusions voilées à Rimbaud dans les quelques pages lues de Fargue. J'ai des petites idées subtiles, mais je vous ai exposés quelques exemples qui donnent une idée du fonctionnement des poètes du début du vingtième siècle qui tous citent Rimbaud en le singeant, en l'incorporant à leur propos par une petite imitation, par une petite citation qui vient comme donner de l'importance à leur propre déploiement littéraire. Répéter une idée de Rimbaud, c'est comme planter une graine dans sa propre création pour la vivifier. Et ça se fait sur la bande. On va démarquer un passage de Rimbaud auquel le lecteur ne pensera même pas directement, mais d'évidence beaucoup de poètes de la première moitié du vingtième siècle jouaient avec cette astuce. Cela devait contribuer à les rassurer sur eux-mêmes, j'imagine.
 
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Fatigué, j'ai interrompu ma rédaction plus tôt que je ne voulais.
Je donne ici un florilège des allusions les plus nettes à des passages en prose de Rimbaud. Ma lecture inclut les textes suivants de Fargue : "La Drogue", "Colère" et cette fois l'intégralité de "Mirages", pas seulement les quatre premières pages d'introduction.
Dans "La Drogue", j'ai relevé deux échos significatifs. Je cite d'abord l'allusion surprise au "Je est un autre" : "On t'a fait ton pardessus dans un café ? Ne cherche pas, ce n'est pas un autre." Ce passage est suivi immédiatement par le développement sur le pou qui s'inspire des Chants de Maldoror, et c'est à très peu de distance que  nous tombons sur la formule rare "prendre du dos" :
 
[...] Si tu fixes sur la grève un pour de mer entre mille poux de mer, si tu ne le quittes pas des yeux, tu le fascines. Les autres s'en vont, dans un frémissement multiplié, sassés par la peur, lui reste sur place avec son gros oeil. Tu en fais autant pour un insecte dans la campagne. Ton regard lui pèse. Tu peux le voir prendre du dos, cisailler à vide avec ses pinces, [...]
 Loin de la thèse de lecture exclusivement obscène des rimbaldiens, Fargue analyse "prendre du dos" comme le fait de grossir son dos, J'ai déjà cité une occurrence contemporaine de Rimbaud où "prendre du dos" s'employait pour les livres, et plus loin dans le même recueil, dans "Mirages", Fargue écrit ceci : "des livres qui faisaient le gros dos."
De toute évidence, Fargue a effectué une recherche lexicale correcte autour de l'expression rare déployée par Rimbaud dans "Parade".
Dans "Colère", Fargue cite cette fois le mot d'ordre du poème "Vagabonds" des Illuminations : "vous ne pouvez pas trouver la formule[.]"
Je soupçonne que le rapprochement des mots "nègres" et "enfer" au début de "Mirages" est une conséquente mécanique de la lecture de "Mauvais sang", ce que confirmerait la mention "marais" venant de "L'Impossible" : "les grandes dames conquises en mangeant des plats nègres, la virée de l'enfer dans le marais salant du jour[.]"
Fargue à très peu de distance un peu après cite "Matinée d'ivresse" : "mais nous avons foi dans son poème". Et puis, il fond les allusions à "Enfance V" et "Nuit de l'enfer" : "A présent, je suis maître des transformations de force en matière et des réciproques..." Il faut dire que je soupçonne des influences plus ténues des récits de la série "Enfance" de Rimbaud, des "Déserts de l'amour", etc., et je ne cite que ce qui s'impose avec évidence. Vers la fin de "Mirages", je vous donne un exemple de rapprochement troublant, mais qui n'a pas le même statut d'évidence : "Des machines toussent sourdement dans la nuit". J'ai pensé spontanément à "De petits enfants étouffent des malédictions le long des rivières." Pourtant, la construction grammaticale n'a rien à voir. Si j'allonge la citation à cet endroit, je vois une allusion possible à la "mélancolique lessive d'or du couchant" qui se superpose : "La grande fille se fait les ongles, la ménagère lave son deuil. - Des machines toussent sourdement dans la nuit, jusqu'à l'aube [...] jusqu'à l'heure où les eaux tièdes rinceront pour un jour les vitamines." Ces rapprochements sont plus délicats à justifier, mais il est clair qu'il y a de la matière. Je pense aussi à "Enfance V" et aux brumes qui s'assemblent pour cet extrait. Selon moi, Fargue crée sous l'impression forte de passages divers des poésies en prose de Rimbaud. J'ai d'autres idées dans le genre, et évidemment j'ai mis un point d'honneur à mentionner ce qui s'apparente à des quasi citations, à de quasi reprises telles quelles. Parce que si je relève plusieurs faits saillants, c'est que je ne dois pas vraiment me tromper de beaucoup sur les rapprochements plus flous.
En continuant ma lecture de "Mirages", j'ai eu la surprise de constater que j'avais raison sur le mythe de l'intelligence chez Fargue, il mentionne l'intelligence comme acteur, la confronte à la bêtise et son récit se termine sur une évocation du père ingénieur qui vient de la réalité biographique. Je précise aussi qu'il est question de "souvenirs d'enfance" dans "Mirages", ce qui justifie aussi les allusions à la série "Enfance " rimbaldienne au plan de la filiation littéraire que veut établir Fargue.
Il y a un autre passage où l'imitation de Ducasse est très nette, la séquence où Fargue répète à plusieurs reprises l'apostrophe "homme". Et, à ce moment-là, par exception, la prose de Fargue parvient à faire entendre un peu de la note des Chants de Maldoror dans son phrasé.
Pour le plan rimbaldien, Fargue joue donc sur la reprise rythmique des pronoms "Je", "Il" en tête de phrase, sur la juxtaposition de phrases qui commencent par sujet et verbe. Il joue aussi sur des énumérations de segments syllabiques de longueur moyenne, ce qu'on retrouve chez Rimbaud, il y a une longueur rythmique moyenne qui se dégage. Fargue joue à imiter les reprises soudaines par Rimbaud avec des phrases négatives marquées, sans verbe : "Plus de...", etc. Il le fait assez souvent. Il joue avec les injonctions, comme tant d'autres, mais on sent le modèle rimbaldien vu les convergences de style et de thèmes. Il y a un rythme de phrases plus sèches aussi qui apparaît : "Un papier glisse de la table. Le monôme des ombres traverse la chambre." On peut noter que l'emploi de l'article indéfini "un" peut très vite devenir un marqueur de littérature hermétique de tendance rimbaldienne.
Je vais continuer à mener des recherches de cet ordre.
J'ai aussi une réflexion à conduire sur les formes participiales et leurs équivalents adjectivaux, ou bien une réflexion sur les prépositions. Fargue ne va pas correspondre complètement à Rimbaud, mais je pense que j'arrive à m'orienter dans ma recherche au fur et à mesure. L'exercice définitoire s'affine.
Et puis, moi aussi, je peux imiter l'emphase mystique rimbaldienne. Même si ce blog n'a pas le nombre élevé de lecteurs qui mérite son sujet, un seul lecteur suffit pour l'avenir : la transmission a lieu, la poésie est sauvée.