dimanche 29 janvier 2017

Prochain article : Rimbaud lecteur des Vagabonds de Mario Proth

Je tombe par hasard sur l'explication et l'histoire filmées récemment du mot "abracadabrantesque" par Alain Rey, lequel fait une série de vidéos assez superficielles à mon goût sur l'origine et l'histoire de plusieurs mots.


Alain Rey s'exprime lui-même bizarrement dans cette vidéo : "Et ce qu'il y a d'assez amusant, c'est que cet adjectif bizarre existait depuis le dix-neuvième siècle, le début du dix-neuvième siècle, et qu'il avait été, croyait-on, immortalisé par Rimbaud." Nous aurions tort de croire que ce mot a été immortalisé par Rimbaud, alors que tel est bien le cas. Alain Rey voulait sans doute dire qu'on a cru à tort que ce mot était une invention de Rimbaud. Mais Alain Rey ne délivre aucune attestation, alors que jusqu'à présent s'il était perceptible que Rimbaud n'était pas un créateur de néologismes son mot "abracadabrantesques" n'en était pas moins la rencontre de deux adjectifs "abracadabrants" et "abracadabresques". Il s'agit d'un doublon que la fusion des suffixes transforme en superlatif. Il restait à démentir que Rimbaud en fût l'inventeur.
Alain Rey fait pour lors la promotion d'une nouvelle publication : "l'Origine et l'Histoire des mots racontées par Alain Rey", ouvrage que dans l'immédiat je ne peux pas consulter. Je n'ai jamais attaché d'importance au travail de ce spécialiste des mots, mais sur internet il semble que ses précédentes publications admettaient le mot comme une création de Rimbaud.
En attendant, une consultation de la page Wikipédia sur le mot "abracadabrantesque" m'a appris qu'une attestation antérieure avait été dénichée non au début du dix-neuvième siècle comme le prétend Alain Rey, mais très peu d'années avant l'occurrence rimbaldienne, à la page 125 d'un livre Les Vagabonds de Mario Proth, auteur du Nord de la France. Ce livre date de 1865. J'ai consulté l'ouvrage sur Gallica et la lecture des extraits, du prologue comme de l'ouvrage proprement dit, tout invite à penser que Rimbaud s'est nourri de cette lecture pour composer une partie de son oeuvre, peut-être le poème "Vagabonds" plus tardif, mais en tout cas les discours des lettres dites "du voyant", sachant que les lettres à Izambard et Demeny de mai et juin 1871 incluent deux versions du poème "aux flots abracadabrantesques". Les bras m'en tombaient. Après une autre recherche, j'ai découvert un article sur internet d'un site nommé "Autour du père Tanguy" où son auteur Bernard Vassor prétend faire tomber le mythe de l'invention rimbaldienne en signalant donc et apparemment pour la première fois qu'une attestation antérieure dans Les Vagabonds de Mario Proth montrait que Rimbaud avait plutôt repris comme d'habitude un mot rarissime qui lui avait beuacoup plu dans le lot de ses lectures les plus variées. Le titre de l'article parodie un autre de Meschonnic "encore une idée reçue". Bernard Vassor n'envisage pas du tout l'importance de l'ouvrage dans son ensemble pour commenter l'oeuvre rimbaldienne, et là il passe vraiment à côté de l'essentiel, mais il souligne quand même les raisons si pas littéraires, au moins "techniques", pour lesquelles nous avons à penser que c'est bien là que Rimbaud a dû prendre son bien (avec juste deux choses à observer : une faute de transcription à relever dans le nom "Proth" et une idée erronée selon laquelle Rimbaud aurait composé "Le Coeur supplicié" à Douai) :

C'est peut-être parce que (Ernest) Mario Prot (1835-1891), journaliste, écrivain était né dans une banlieue de la Ville de Douai (Sin-le-Noble) ville où Arthur Rimbaud séjournait quand il écrivit "Le Coeur supplicié" en mai 1871 (dans une lettre adressée à Georges Izambard, son professeur de rhétorique le 13 mai 1871).
Comme nous pouvons le constater, la date d'édition du roman de Mario Proth est antérieure de 6 ans à la production du texte de Rimbaud.


Notre écrivain serait mort la même année que Rimbaud. Le lien avec Douai est frappant, Rimbaud ayant déjà intéressé Verlaine à la poétesse douaisienne Marceline Desbordes-Valmore. Les arguments sont frappés au coin du bon sens. En 2017, il n'est pas d'autre attestation antérieure de ce mot "abracadabrantesque". Six ans d'écart, un écrivain douaisien, voilà qui rend plausible l'idée d'une filiation directe. Mais l'intérêt c'est de voir que sans arrêt le texte des Vagabonds fait écho avec la production écrite de Rimbaud. Or, les liens ne manquent pas (histoire universelle, intelligence humaine, Rolla, vagabonds juifs-errants, vagabonds littéraires qui seraient Rabelais, Voltaire, le mouvement vie et le repos mort, regard sur l'avenir, etc., etc.), et c'est ce que je vais désormais m'attacher à étayer.

2 commentaires:

  1. Combien sommes-nous là, en ce moment, combien sommes-nous à lire (à cause de vous) sur Gallica "Les vagabonds" ?

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