samedi 2 septembre 2023

Peut-on aller des pleureuses des "ariettes oubliées" à "Larme" ?

Nous sommes partis dans une série d'articles qui peuvent sembler de bien nombreux détours pour parler de "Larme" et d'autres poèmes rimbaldiens en fonction des poésies d'ensemble de Marceline Desbordes-Valmore.
Nous avons une trame qui se dessine. Rimbaud et Verlaine ont commis leurs premiers poèmes en vers de onze syllabes en mai 1872, et cas à part de "La Rivière de Cassis" "Larme" et "Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses..." (4ème des "Ariettes oubliées") ont tous deux pour idée centrale le fait de pleurer, ce que signifie le titre "Larme", ce que signifie aussi l'importance de se reconnaître en tant que pleureuses pardonnées du côté de Verlaine.
Il est clair que Marceline Desbordes-Valmore est l'origine de la trame. Verlaine a écrit des vers de onze syllabes en s'inspirant de la poétesse douaisienne, et c'est évidemment le cas de Rimbaud quand bien même il a choisi une autre césure.
Nous verrons plus tard comment relier "Larme" à certains extraits des poésies de Marceline Desbordes-Valmore. Néanmoins, dans mon dernier article, je citais le poème liminaire du recueil Bouquets et prières en soulignant que le recueil était placé sous le patronage d'une idée de partage des pleurs entre l'autrice et les femmes qui pleurent en ce monde. Verlaine a bien sûr repris l'idée de "pleureuses" qui s'unissent en jouant sur le travestissement féminin de l'exil homosexuel de Rimbaud et Verlaine au sein de leur époque. Mais derrière ce glissement on constate que Marcelinbe Desbordes-Valmore donne une fonction cathartique à la poésie des pleurs si on me permet de formuler ainsi rapidement les choses et on voit qu'elle associe cela à une forme d'exercice de la passion chrétienne. Il va de soi que ni Rimbaud ni le Verlaine ne se reconnaissent dans cette pratique pieuse, mais il la décale. Rimbaud écrivait des poèmes qui étaient des prières tandis que Verlaine avec le bouclage de son poème relaie l'idée du pardon : "Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses..." rencontre au dernier vers "Sans même savoir qu'elles sont pardonnées". En clair, il faut partir des précisions de l'établissement de la poétique de Desbordes-Valmore dans le poème liminaire de Bouquets et prières pour apprécier la logique de démarcation de Verlaine dans ses "Ariettes oubliées", et si ce terme de la "pleureuse" est rédempteur par la poésie chez Verlaine il va de soi que cela encourage à mieux méditer sur les subtilités du poème qui porte le titre "Larme" et se termine par le refus du souci de boire, tandis que la version ultime du poème dans Une saison en enfer confirme que la scène provoque les larmes du poète.
Les pleurs sont importants chez Rimbaud au-delà de l'influence potentielle de Desbordes-Valmore puisque nous avons le "Mai vrai j'ai trop pleuré" du "Bateau ivre" ou les pleurs des "Chercheuses de poux", d'autres scènes encore. Toutefois, "Larme" est clairement en phase avec l'ensemble des "Ariettes oubliées" et du coup avec l'ensemble des poésies de tristesse de Desbordes-Valmore. Nous ne pouvons pas réduire "Larme" à la mention d'un incident, le poète a pleuré, incident qui ferait prendre une décision au poète, avec le pied de nez en sus d'une œuvre hermétique où on se demande si le poète regrette de ne pas avoir bu, méprise le fait de boire, etc. La larme a une valeur poétique plus particulière qu'il faut cerner. Par ailleurs, l'idée symbolique de boire est à plusieurs reprises dans la poésie de Desbordes-Valmore, et j'ai déjà dit qu'elle se rencontrait dans le poème en vers de onze syllabes "Rêve intermittent d'une nuit triste". Je citerai d'autres exemples à l'avenir dont un poème dédié à Auguste Brizeux avec de mémoire le titre "A l'auteur de Marie" où il est question de boire un "rayon d'or" dans une rivière, autrement dit la superposition que nous avons dans le poème "Mémoire" du courant d'or masculin se déplaçant avec le cours d'eau féminin.
Et on sait à quel point le poème "Larme" est intrigant quand le poète se demande ce qu'il a bu dans la rivière et qu'il finit par parler d'une "liqueur d'or, fade et qui fait suer", car tout le monde comprend bien que le poète ne parle ni de l'eau de la rivière elle-même, ni d'une boisson emportée avec lui, mais qu'il suppose s'être servi d'un élément du décor comme gourde pour se saisir dans la jeune Oise de quelque chose de liquide qui était distinct de l'eau même de la rivière.
Mais, pour l'instant, je continue à placer mes pions en partant d'un séjour du côté des ariettes verlainiennes.
Le début des Poésies inédites de 1860 est bien connu de Verlaine puisqu'il le cite et met en avant dans son étude consacrée à la douaisienne dans ses Poètes maudits. Le mot "larmes" au pluriel est à la rime dans le poème liminaire "Une lettre de femme", et il l'est encore dans le troisième poème "Allez en paix", tandis que le second "Jour d'orient" gagnerait à être comparé au poème "L'Eternité". Et lez quatrième poème "Les cloches et les larmes" contient le mot "larmes" toujours au pluriel dans son titre cette fois, mais il contient aussi une des quelques mentions du nom "pleureuse" dans les poésies valmoriennes et enfin il possède un refrain qui intéresse beaucoup la lecture de certaines célèbres "ariettes oubliées" : "Tout pleure, ah mon dieu ! tout pleure." Je citerai ultérieurement des sujets particuliers au verbe "pleurer" dans les poésies valmoriennes en écho au "Il pleure dans mon coeur..." verlainien. En voici un exemple dans le quatrième poème des Poésies inédites :

La cloche pleure le jour
Qui va mourir sur l'église,
Et cette pleureuse assise
Qu'a-t-elle à pleurer ?... L'amour.

Remarquons en passant que la rime "asservie"/"vie" se trouve dans le poème "Allez en paix", sachant que "Chanson de la plus haute Tour" est à ne pas exclure en lien à la transcription "Prends-y garde, ô ma vie absente !"


Alors, on sent qu'on progresse ?



1 commentaire:

  1. Ai-je progressé ? écrivait Rimbaud à Banville en août 1871.
    Quelques remarques.
    La bombe que je lâche en passant dans l'article ci-dessus c'est bien sûr le "rayon d'or" bu à même la rivière dans un poème dédié à Auguste Brizeux par Desbordes-Valmore. Nous en reparlerons.
    "C'est moi" source à la première ariette "C'est l'extase langoureuse",
    approfondissement de la relation sémantique "pleureuses" en exhibant des poèmes clefs à forte teneur de discours éthique et poétique dans les recueils de Valmore, et enfin ce "rayon d'or" à boire superposé à la rivière sont les trois premières mises au point fortes de ma série d'articles.
    J'ai parcouru l'édition GF de Bernadet et le clef concours Atlande de 2007 de Murphy et Kliebenstein, pas un mot sur les pleureuses de Desbordes-Valmore bien qu'il soit dit en passant que les mots entrent en écho. Rien dans Zimmermann.
    Il me faut remettre la main sur l'édition LP de Bivort, sur l'article de Murat dans un colloque Parade sauvage.
    Sur le vers de onze syllabes, le 5-6 de Desbordes-Valmore est déjà pas mal ternaire, et inévitablement quand on ne sait pas qu'on va lire une mesure inédite on hésite entre un décasyllabe 4-6 et un alexandrin 6-6 si on se concentre pour identifier la césure au lieu de lire passivement d'une traite.
    Il est clair que "Larme" joue autrement sur la confusion entre décasyllabe et alexandrin à partir d'un lancement 4-3-4 qui court-circuite le trimètre et donc l'alexandrin, mais qui court-circuite aussi le 4-6.
    Or, Verlaine a produit en 1995 un poème hommage à Desbordes-Valmore en alexandrins, mais avec dès le premier vers une césure tellement estompée qu'on cherche si ce n'est pas un hendécasyllabe.
    Articles et citations à venir.

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