samedi 31 août 2024

De la revue La Parodie à l'Album zutique, un portrait de Daudet pour copie conforme...

Grâce aux interventions de Cyril Balma dans la section de "Commentaires" de ce blog, nous savons que le portrait de Daudet en "petit Chose" au verso du feuillet 3 est la reproduction fidèle d'une caricature d'André Gill qui a été publiée dans la revue La Parodie le 5 décembre 1869, à l'époque de composition des "Etrennes des orphelins", le premier poème en vers français connu de la plume de Rimbaud.




A partir du document disponible sur site Gallica de la BNF, je vous invite à consulter la première page du numéro 16 de la revue pour la semaine "Du 5 au 12 décembre 1869".
Vous avez un petit onglet où vous pouvez faire défiler les pages. Vous avez deux pages non paginées (NP), puis une suite des pages 239 à 250 et enfin deux autres pages non paginées NP. Cliquez sur la première page non paginée.  Vous avez un dessin de personnage avec un long nez et une précision du titre de la revue "La Parodie par Gill". Celui-ci en est le véritable maître d'œuvre. Puis, observez le rectangle qui contient le sommaire du numéro. Vous pouvez remarquer les contributeurs, dont un sous le pseudonyme La Palférine, vous avez deux contributeurs obscurs "A. Lemot" et "Jacques Durand", et puis vous avez deux contributions d'Eugène Vermersch et enfin trois contributions à lui seul d'André Gill, et le fait remarquable c'est la signature abrégée "And. Gill".  Dans l'Album zutique, André Gill a produit deux dizains, le premier attribué à Etienne Carjat au lieu de François Coppée : "(Oh ! n'avoir pas trouvé même...) une rime en elles ?", avec césure devant "même". Cette première contribution au verso du feuillet 7 est signée "A. Gill". Ensuite, au verso du feuillet 26, nous avons une seconde contribution qui est signée "And. G." Et il s'agit d'un dizain parodiant un poème précis de Coppée. Il me suffit de citer les premiers vers des compositions respectives pour que vous en saisissiez le lien :
Il la battait sans fiel, sans motif, sans scrupule. (Dizain zutique d'André Gill)

Il rentrait toujours ivre et battait sa maîtresse. (Premier vers de la pièce "Le Père" des Poèmes modernes de François Coppée)
Précisons que l'Album zutique égrène des mentions de dates : (sortie de Satory de Charles de Sivry, non datée, mais correspondant au 18 octobre au verso du feuillet 9), verso du feuillet 10 "22 Octobre 1871" pour la transcription par Valade d'une parodie très drôle d'Eugène Manuel, recto du feuillet non paginé 12 un avis de passage le 1er 9bre pour premier novembre, recto du feuillet disons 18 Antoine Cros "6 IXbre 1871" pour six novembre, puis date légèrement anormale "Samedi 9 Novembre 71 2h12" par X qui est Valade s'anonymisant, au recto du feuillet 23.
Au recto du feuillet 25, Rimbaud a transcrit sa parodie de Coppée "Les Remembrances du vieillard idiot" et au verso le dizain "Ressouvenir". Il s'agit des dernières contributions zutiques de Rimbaud, tandis que Verlaine a transcrit le dizain "Bouillons-Duval" au recto du feuillet 26.
Et c'est au verso de cette transcription verlaiienne que Gill a apposé son dizain "Il la battait sans fiel..."
Pourquoi est-ce intéressant, me direz-vous ?
Voici !
Le 17 novembre 1871, dans le premier numéro du XIXe siècle, une recension hostile à l'égard de Verlaine rapportait les faits publics, puis privés, suivants :

   Ils sont gentils, les petits poètes du Parnasse contemporain !
   On sait qu'ils étaient tous présents à l'appel, pour la première représentation de l'Abandonnée, de leur frère François Coppée. Nous les avons vus applaudissant avec frénésie la nouvelle pièce du poète qui fut un des familiers de la princesse Mathilde, mais ce n'était que pure hypocrisie. L'un d'entre eux, principal coryphée de la petite église, M..., après s'être fait mal aux mains d'applaudir pendant une soirée, voulut venger son amour-propre froissé en tuant à son retour au logis conjugal sa jeune femme et un nouveau-né. On l'empêcha fort heureusement de commettre ce double crime : mais si M. Coppée remporte prochainement un nouveau succès au théâtre, nous ne répondrons pas de la vie des deux pauvres êtres, condamnés à embellir à perpétuité l'intérieur du Parnassien en question.

Il est clair que les deux pièces "Les Remembrances du vieillard idiot" et "Ressouvenir" furent composées et reportées sur l'Album zutique autour du 17 novembre, un peu avant ou un peu après comment trancher ? mais en liaison avec l'actualité de la première de cette pièce L'Abandonnée. Le scandale provoqué par Verlaine, signalé ici à l'attention, fait songer au mot de l'éditeur Lemerre qui demandait à Verlaine d'enlever la jalousie et la politique de sa vie pour être un homme parfait. D'intuition, on sent que cet enfrefilet joue un rôle dans la fin des contributions zutiques de Rimbaud et Verlaine. Notons que la pièce parodiée par Gill s'intitule "Le Père" et précisément vers le 17 novembre Gill parodie un poème de Coppée qui pourrait s'appliquer aux propos de cet entrefilet sur Verlaine après une première d'une pièce de Coppée, dont le titre "L'Abandonnée" fait écho au défaut de mari et de père du protagoniste masculin. Gill n'a pas fait d'allusion à l'enfant du poème "Le Père", mais on sent que la composition n'est pas neutre. Il reste possible qu'il ne soit là question que d'une malheureuse coïncidence, mais tout de même, c'est assez curieux à constater.
Désormais, il se pose aussi la question de la part de contributions éventuelles de Gill dans le lot de dessins reportés sur l'Album zutique. Qui plus, nous devons dissocier le dessin de Daudet et la mention "Le petit Chose" du sonnet en vers d'une syllabe "A un Caricaturiste".
Mais je voudrais m'attarder sur un autre point important. Le même numéro de la revue La Parodie contient une suite de poèmes parodiant des auteurs du Parnasse contemporain. Cliquez sur le document mis en lien ci-dessus. Vous avez une série "Caprices et variations sur des thèmes parnassiens" par Eugène Vermersch avec une adresse "Aux lecteurs" en prose (page 241), parodie de "François Coupé" à la page 242 avec un poème intitulé "Chérubin" où noter la rime "farouche"/"bouche" entre autres éléments, une parodie d'Armand Silvestre en "Six-Vestes", auteur non oublié par Rimbaud en ses débuts zutiques, parodie intitulée "Les Arabesques" à cheval sur les pages 242 et 243, et il est suivi (non précédé cette fois) par une parodie de Mérat ("Cérat") avec une pièce au titre plus élevé qu'un trou du cul intitulée "Mon âme", les deux premiers rêves avec les mentions à initiale majuscule "Rêve" et "Âme" sont probablement citées en douce par Rimbaud dans les tercets du "Sonnet du Trou du Cul" :
Dans le jardin du Rêve où parmi les clartés
Mon Âme, en robe bleue, à midi, se pavane,
[...]
Les pages 244 à 247 sot consacrées à Daudet par André Gill avec donc notre caricature sur toute la page 244. La suite des parodies de Vermersch reprend à la page 249 seulement, page 248 réservée à une caricature de Michelet. Nous avons un poème IV "Le Clair-obscur" attribué à Malade autrement dit Valade, et un poème V "La Carafe de Clarisse Harlowe" attribué à "Pôle-vers-l'aine" pour Paul Verlaine, avec une préfiguration étonnante du scandale du Sonnet du Trou du Cul et de la relation sulfureuse entre Verlaine et Rimbaud. Notez l'emploi de la préposition "vers" et le recours au mot "aine" qui a son contrepoint en "aisselle" dans une lettre de Rimbaud et qui peut entrer en résonance avec les deux mentions "veine" à la rime dans deux dizains zutiques rimbaldiens.
La page 250 offre une parodie intitulée "Madrigal" de Catulle Mendès et une de Louis Ménard, sorte de Rimbaud républicain de 1848 en tout de même beaucoup moins prononcé.
Et, enfin, dans la revue La Parodie, par exemple à la page 289 du numéro du 2 janvier 1870, nous avons le principe de la fausse signature parodique suivie du vrai nom d'auteur avec la mention "pour copie conforme".
Je cite l'exemple de la revue page 289 :

Berdoulat.
Pour copie conforme :
A. Gill, A. Brun.

C'est exactement la formule de Valade au bas du quatrain "Autres propos du cercle" :

Camille Pelletan.
Pour cop. conf. L. V.

Enfin, notez aussi que le quatrain de Valade reprend la fin du sonnet "Propos du Cercle" où les deux derniers vers sont des propos rapportés de Jacquet et Rimbaud :
(Jacquet) Personne au piano ! C'est fâcheux que l'on perde
                Son temps, Mercier, jouez le Joyeux Viv... (Rimbaud) Ah ! merde !

**

                 Autres propos du cercle

Dans ce taudis sombre où le blond Jacquet se sert de
Tapis infects ainsi que de crachoirs (verrat
Hideux), Valade dit : "Merde !" L'âpre Mérat
Répond : "Merde!" Henri Cros dit : "Merde, merde, merde!"
Notez le même jeu d'entre vers sur une même rime "se sert de / Tapis", "perde / Son temps". Pourquoi citez spécialement Jacquet, on dirait que les deux poèmes font allusion à une réelle scène où Rimbaud aurait coupé la parole à ce Jacquet.
Je dois m'arrêter là, mais Cyril Balma a retrouvé l'extrait que je cherchais, celui où Achille Jacquet dit "Zut".

A suivre...




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