lundi 21 octobre 2024

Brève N°5 : Pelletan encore permet de confirmer le lien Hugo et Silvestre pour "Voyelles" !

- Encore une brève ? Une deuxième de la journée.
- Eh oui !
- Mais vos brèves n'en sont pas, ce sont des articles à part entière. Ils sont assez conséquents et chacune de vos prétendues brèves contient des perles pour faire vivre de réputation un universitaire sur deux ans.
- Tout à fait ! J'y voyais malice dès le départ en intitulant cela des "brèves". Celle-ci est en lien avec la précédente au cas inespéré où vous lisez tout ça dans l'ordre.
Je parlais du premier livre des Contemplations et des pièces liminaires : une préface et un poème.
Le recueil Les Contemplations est composé de six parties appelées "livres". Plus précisément, le recueil, après une préface en prose, est composé de deux grandes parties, l'une intitulée "Autrefois (1830-1843)", l'autre "Aujourd'hui" (1843-14855). Chacune de ces deux parties est composée de trois sous-parties appelées livres. Nous avons trois premiers livres pour la partie "Autrefois" qui sont intitulées : "L'Aurore", "L'âme en fleur", "Les Luttes et les rêves", puis nous avons trois parties pour la partie "Aujourd'hui" qui sont intitulées : "Pauca meae", "En marche" et "Au bord de l'infini". Le poème que je dis liminaire : "Un jour je vis..." est en réalité intégré à la partie intitulée "Autrefois".
J'ai plusieurs éditions des Contemplations, ma première était au Livre de poche avec la magnifique couverture représentant un couchant doré sur un lac brumeux entre les arbres frêles. J'ai celle de Pierre Laforgue en Garnier-Flammarion, et puis sous la main j'ai une plus récente version au Livre de poche de Ludmila Charles-Wurz avec un dessin de Victor Hugo où l'arbre a ses racines qui finissent par rejoindre pour lui faire un cou le squelette ombreux d'une tête de mort.
Sur la table des matières, le poème liminaire est placé avant la section "Autrefois", page 31, le premier poème de la section "Autrefois" commence à la page 35. Mais, dans l'économie du recueil, ce n'est pas ce que je constate. La page de titre "Autrefois" est à la page 29. Le poème liminaire suit à la page 31, et à la page 33 nous avons le titre du premier livre "L'Aurore".
Je n'ai pas le temps de commenter ce point en reliant le titre "Autrefois au passé simple : "Un jour, je vis...", mais j'en fais part à mes lecteurs. Notez que s'il n'y a pas de poème liminaire pour la seconde partie "Aujourd'hui", il y a un petit répondant symétrique dans la mesure où les deux premiers poèmes de la quatrième partie "Pauca meae" sont isolés par la mention de la date "4 septembre 1843" suivie d'une ligne de pointillés.
Les deux premières parties du premier livre "L'Aurore" sont peu différentes l'une de l'autre : "L'Aurore" et "L'âme en fleur".
La première partie "L'Aurore" rassemble vingt-neuf poèmes. Certains poèmes sont sur la création artistique et sur la révolution qu'a été la poésie romantique : V. "A André Chénier", VII. "Réponse à un acte d'accusation", VIII. "Suite", IX. "Le poème éploré se lamente...", XIII. "A propos d'Horace", XX. "A un poète aveugle", XXVI. "Quelques mots à un autre", XXVII "Oui, je suis le rêveur...", XXVIII. "Il faut que le poète...", XIX "Halte en marchant". Il faut y ajouter le poème XVII : "A M. Froment Meurice" sur la fraternité des arts du poète et du ciseleur.
Un grand nombre de poèmes sont pour exprimer le désir amoureux ou la vie heureuse au sein de la Nature : II. "Le poète s'en va dans les champs...", IV. "Le firmament est plein de la vaste clarté...", VI. "La Vie aux champs", X. "A madame D. G. de G.", XI. "Lise", XII. "Vere novo", XIV "A Granville, en 1836", XV. "La Coccinelle", XVI. "Vers 1820", XIX. "Vieille chanson du jeune temps", XXI "Elle était déchaussée...", XXII. "La Fête chez Thérèse".
Evidemment, les thèmes s'interpénètrent dans certains poèmes. Par exemple, "A André Chénier" parle aussi de la Nature pour justifier le mélange du sublime et du grotesque dans le vers, ou bien "A madame D. G. de G." s'adresse à une femme de lettres Delphine Gay de Girardin, et dans la famille on est femme écrivain de mère en fille, tandis que le mari est connu d'importance pour l'histoire de la presse. Je ne vais pas commenter les interpénétrations des thèmes poème par poème. En revanche, je vais faire un sort rapide aux poèmes que je n'ai pas cités. J'ai exclu le premier poème "A ma fille" qui est un enseignement moral paternel d'obédience chrétienne adressé aussi aux lecteurs invités à lire par-dessus l'épaule de Léopoldine. J'ai évité de ranger dans la série sur la Nature le poème "Mes deux filles", le troisième de la section "L'Aurore", mais je ne manque pas de relever que la vision finale des "papillons" a un prolongement dans le poème XII. intitulé "Vere novo". J'ai rangé le poème IV : "Le firmament est plein de la vaste clarté..." dans la section sur la Nature, mais j'insiste sur son lien avec le début et la fin du futur recueil de 1859 La Légende des siècles : "Le Sacre de la femme" et "La Trompette du jugement", ainsi qu'avec le recueil abandonné, mais daté pour l'essentiel de 1854 : La Fin de Satan. Ce poème IV a une réelle importance dans le placement d'un discours métaphysique de poète voyant, ce dont visiblement l'auteur de "Voyelles" a tenu compte. J'ai écarté aussi le poème "Les Oiseaux" de la série émerveillée sur la Nature, puisqu'il s'agit d'un poème où le poète doit apprendre à se résigner à la joie des oiseaux dans l'expérience solennelle du deuil, ce qui se superpose à une remise en cause romantique de l'esprit du classicisme en littérature. J'ai écarté aussi les trois poèmes consécutifs : XXIII "L'Enfance", XXIV "Heureux l'homme, occupé de l'éternel destin...", XXV "Unité", puisqu'il s'agit de poèmes métaphysiques avec des valeurs clefs dans la constitution du recueil. Le poème "L'Enfance" décrit la mort d'une mère contrastant avec la joie insouciante de son enfant de cinq ans, le suivant parle d'un jour qui se fait dans l'âme du poète voyageur accompagnant le lever du soleil en pleine nature et puis "Unité" noue ce thème métaphorique clef de la fleur pleine de rayons qui parle à cette forme de fleur qu'est le soleil.
Je vais m'attarder ici sur les poèmes érotiques. Dans ce premier livre "L'Aurore", sur les vingt-neuf poèmes, l'alexandrin domine. Vingt-trois poèmes sont exclusivement en alexandrins, et cela inclut plusieurs poèmes longs en rimes plates. Nous avons quelques poèmes où domine le vers de dix syllabes avec la césure après la quatrième syllabe. Nous pouvons citer le premier poème : "A ma fille" où le décasyllabe contraste avec des vers conclusifs de trois syllabes pour chaque quatrain. Le recours aux vers courts dans la grande poésie lyrique date de la période 1826-1828 et de l'édition définitive du premier recueil hugolien sous le titre Odes et ballades. Toutefois, Hugo usait des vers courts en tant que procédés tout de même comiques. C'est pour ça qu'il faut vraiment mesurer l'emploi très fin qui est fait du vers de trois syllabes dans ce poème de dédicace qui est quasi à l'ouverture de l'ensemble du recueil des Contemplations. Nous pouvons citer ensuite le poème XII "Lise" qui offre en prime un remarquable jeu de légère altération dans la répétition qui fait un effet de boucle dans le dernier sizain :
Jeunes amours, si vite épanouies,
Vous êtes l'aube et le matin du cœur.
Charmez l'enfant, extases inouïes !
Et, quand le soir vient avec la douleur,
Charmez encor nos âmes éblouies,
Jeunes amours, si vite évanouies.
L'alignement "épanouies", "inouïes", "éblouies" à la rime pour amener la pirouette "évanouies", c'est un coup de génie. C'est délicieux à lire, mais la critique universitaire a déjà assez à faire avec "Harmonie du soir", je ne voudrais pas les déranger. N'oubliez pas de lire en glissant le verbe "vient" après "le soir", un peu comme le verbe "Passe" en début de vers dans "Ophélie" de Rimbaud, à moins, et c'est tout aussi bien, de lire en unité "vient avec la douleur" après l'unité "Et, quand le soir". Vous remarquerez que les treize premiers poèmes de la section "L'Aurore" sont en alexandrins, à deux exceptions près : "A ma fille" et "Lise", mais comme il s'agit de vers de dix syllabes, tous les poèmes sont en vers longs césurés, avec pour seule exception le vers acrobatique de trois syllabes conclusif de quatrains dans le premier poème. Nous arrivons enfin aux poèmes en vers courts : le poème XIV "A Granville, en 1836", XV "La Coccinelle", XVII "A M. Froment Meurice" et XIX "Vieille chanson du jeune temps", quatre poèmes en vers de sept syllabes placés au centre de la section "L'Aurore", puisque les dix derniers poèmes sont exclusivement en alexandrins.
Il n'y a aucun poème en octosyllabes dans la section "L'Aurore".
Citons le début du premier poème en vers de sept syllabes "A Granville, en 1836" :
Voici juin. Le moineau raille
Dans les champs les amoureux ;
[...]
Pelletan semble faire écho à ce poème en remplaçant "juin" par "avril".
Le poème "La Coccinelle" parle de l'occasion ratée de prendre un baiser à une fille peu farouche. Là encore, le lien est permis avec le sonnet de Pelletan. Et si je passe par-delà le poème "A M. Froment Meurice", je ne peux manquer de vous citer en revanche le premier quatrain très significatif de "Vieille chanson du jeune temps" :
Je ne songeais pas à Rose ;
Rose au bois vint avec moi ;
Nous parlions de quelque chose,
Mais je ne sais plus de quoi.
Il s'agit là encore d'un poème sur l'occasion ratée d'un baiser. Je vous le donne en mille. Le titre du poème "Vieille chanson du jeune temps" fait écho au titre du premier recueil d'Armand Silvestre Rimes neuves et vieilles. Je pense que plein d'entre vous trouvaient inutile que je commente la signification pour les "Sonnets païens", et puis donc le troisième des "Sonnets païens" ou "payens", décrit une "Rosa" insensible à l'amour, une vestale, ce qui est l'inversion du présent récit hugolien où c'est le poète qui ne réagit pas, tandis que Rose guette l'occasion de l'amour et n'enterre son désir qu'après l'échec de séduction qu'a été toute la ballade, échec de séduction immédiate du moins.
Je cite les vers d'Hugo, les deux premiers vers du second quatrain sont  à comparer avec la pièce de Silvestre, tandis que les deux suivants sont quelque peu à comparer aux "Réparties de Nina" :
J'étais froid comme les marbres ;
Je marchais à pas distraits ;
Je parlais des fleurs, des arbres ;
Son œil semblait dire : "Après ?"
Je cite aussi ce quatrain :
Rose, droite sur ses hanches,
Leva son beau bras tremblant
Pour prendre une mûre aux branches ;
Je ne vis pas son bras blanc.

Et je mentionne bien sûr la conclusion :
Je ne vis qu'elle était belle
Qu'en sortant des grands bois sourds.
"Soit ! n'y pensons plus !" dit-elle.
Depuis, j'y pense toujours.
Oh ! les pauvres petits francs-maçons ! Le livre de Teyssèdre et Lefrère en prend encore un coup sur la chronologie des contributions zutiques. Oui, le livre Arthur Rimbaud et le foutoir zutique recommandé dans toutes les bonnes loges maçonniques, oui, d'accord, oui, ben voilà ! Ils n'ont pas réussi à me déposséder de mon titre de meilleur spécialiste de l'Album zutique. Je rappelle que Teyssèdre n'était pas tout seul sur son livre, et il a reproduit au moins une coquille de Lefrère avec le premier vers de "La Fête chez Thérèse", poème du livre "L'Aurore" du recueil Les Contemplations : "La chose fut exquise et bien ordonnée", c'est ce que vous lisez dans la biographie Rimbaud chez Fayard en 2001 et dans le livre Arthur Rimbaud et le foutoir zutique, on se demande bien pourquoi la même coquille apparaît d'un ouvrage de Lefrère à un de Teyssèdre, la leçon correcte conduisant à un alexandrin étant : "La chose fut exquise et fort bien ordonnée". Mais, passons ! Donc, Pelletan en écrivant son sonnet en vis-à-vis à la colonne "Sonnet du Trou du Cul" et "Lys" n'ignorait pas que le quatrain "Lys" parodiait le troisième des "sonnets païens", mais il n'ignorait pas non plus que Silvestre s'inspirait de "Vieille chanson du jeune temps" poème en vers de sept syllabes des Contemplations. Vous l'avez compris. Il y a eu des discussions littéraires autour du quatrain "Lys" de Rimbaud comme parodie de Silvestre, discussions qui s'est étendue en commentaires critiques sur les recueils et les poésies de Silvestre, et quelqu'un, pas forcément Pelletan, a fait le lien entre le sonnet de Silvestre et le poème des Contemplations. Il est évident que Pelletan a saisi la balle au bond, mais il ne faut même pas exclure que Rimbaud ait été au courant avant de composer le quatrain "Lys". Nous nous garderons de rien affirmer, l'idée que Rimbaud ait lui-même eu le premier à l'esprit le modèle hugolien aurait vite trop d'emprise sur nos lecteurs.
En tout cas, pour "Voyelles" et "L'Etoile a pleuré rose...", il est certain que Rimbaud connaissait le lien de Victor Hugo à Armand Silvestre...
Maintenant, je rappelle qu'en 1870, si Rimbaud a beaucoup emprunté aux Châtiments, nous avons des emprunts sensibles aux Contemplations, et tout particulièrement au premier livre "L'Aurore". La rime "chaise"/"aise" concerne plusieurs poèmes de cette première partie "L'Aurore". Vous avez la rime "aise"/"chaise" dans le poème VI "La Vie aux champs", et puis en source évidente au poème "Comédie en trois baisers", vous l'avez au premier sizain de "Lise" :
Puis je venais m'asseoir près de sa chaise
Pour lui parler le soir plus à mon aise.
Les sources hugoliennes de "Comédie en trois baisers" sont bien connues des rimbaldiens, ce n'est pas la seule. D'autres passages sont à citer du poème "Lise", il faut prendre en considération encore le poème "La Coccinelle", et au-delà des poèmes en vers de sept syllabes, quand le poème rimbaldien est lui en octosyllabes, il faut citer bien sûr le poème en alexandrins : "Elle était déchaussée..."
Notez au passage un lien subtil chez Hugo entre le poème XVI "Vers 1820" et le poème XXI "Elle était déchaussée..." Le poème "Vers 1820" a un titre farce, puisqu'il permet à Hugo de parler d'un mari trompé sans s'impliquer lui-même comme mari infidèle à la mère de Léopoldine, mais c'est bien d'adultère dont il est question, tandis que "Elle était déchaussée..." parle d'un abandon sexuel sans lendemain.
Les deux poèmes sont placés dans la continuité des poèmes érotiques en vers de sept syllabes vu leurs emplacements respectifs dans le recueil.
Rimbaud s'est certainement inspiré d'autres passages. Notez un fait intéressant. Dans le poème XII "Vere novo", nous avons un franchissement de césure par l'expression "les charmants petits amoureux", ce que malgré les incertitudes et les incompatibilités de traitement je rapproche du titre "Mes petites amoureuses" de Rimbaud.
Je remarque aussi des faits à la rime. Hugo emploie comme son modèle dans Les Tragiques d'Aubigné le mot "comme" à la rime, il pratique aussi la forme "En somme" à la rime dans "Réponse à un acte d'accusation", ce que Rimbaud exploite dans "A la Musique", mais il le lie aussi il faut le dire à sa lecture de Banville comme le manifeste apparemment certains vers de "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" : "- En somme, une Fleur, Romarin..."
Et, pour soutenir que Rimbaud a opéré lui-même le lien entre Hugo et Silvestre, je ne peux manquer de citer ces vers de "Réponse à un acte d'accusation" :
Les matassins, lâchant Pourceaugnac et Cathos,
Poursuivant Dumarsais dans leur hideux bastringue,
Des ondes du Permesse emplirent leur seringue.
C'est quoi déjà le troisième vers de "Lys" ?
L'Aurore vous emplit d'un amour détergent !
Rimbaud remplace la mention "avril" par le titre à la majuscule près du premier des Contemplations et il emploie comme Hugo une forme conjuguée du verbe "emplir".
Et bam !
Il ne faut plus dire "Passionnant", il faut dire : "La vache !"
Evidemment, quant à "Voyelles", le premier livre "L'Aurore" contient plein d'idées sur une lecture de l'univers comme livre, langage, manifestation du verbe divin, suite de lettres à comprendre.
Vous avez le verbe qui finit par l'explication johannique avec des majuscules : "et le Verbe, c'est Dieu", vous avez un poème "A propos d'Horace" dont le dernier vers mentionne la vision d'un alphabet dans la nature : "Ô nature, alphabet des grandes lettres d'ombre !" Vous aurez bien plus tard dans l'économie du recueil les sept lettres d'or du nom "Jéhovah", et il convient de citer les "confuses voix" du poème II qui font écho aux "confuses paroles" des "Correspondances" de Baudelaire, mais parce que Baudelaire reprend un poncif à la rime déjà pratiqué par Hugo dans des recueils comme Les Voix intérieures.
Je n'ai pas les vers en tête, mais le dispositif de voir des rayons chez une femme, chez Dieu, chez le poète surhumain, tout ça est bien évidemment à rapprocher de la construction du sonnet "Voyelles".
Enfin, bref, quoi !

Quelle perte pour l'humanité que les rimbaldiens aient fait obstruction à ma reconnaissance !
Et voui !
Oui, oui, ils m'ont publié, la reconnaissance allait venir, oui oui, il y a des coïncidences dans la vie, oui oui tout le monde est libre de citer les autres comme il veut, selon ses convictions, du moment qu'il n'y ait pas d'impair. Oui oui oui oui, wi wi wi wi, allez tchao.
































Brève N°4 : De Silvestre aux Contemplations dans "Voyelles": "frissons d'ombelles"

Vous l'avez vu dans la Brève N°2 : Rimbaud a composé son quatrain "Lys" à partir du troisième sonnet païen du recueil Rimes neuves et vieilles, et les deux derniers vers de la pièce zutique, sa deuxième moitié donc, sont des réécritures de deux vers de ce poème précis d'Armand Silvestre. Connaissant cela, Pelletan a composé un sonnet sur la même page manuscrite qui reprend lui aussi des éléments au même poème de Silvestre, ce qui veut dire que ce sonnet a été un sujet de discussion entre les zutistes, entre Rimbaud et ses premiers lecteurs parisiens qui vivaient précisément de leurs plumes pour la plupart.
Pelletan a repris la mention "avril" en attaque de vers pour en faire l'attaque de tout le poème, puis il a repris le mot "floraisons" au poème de Silvestre et il l'a repris au vers 10 de son sonnet, le vers 10 étant le vers interne au premier tercet, le mot "floraisons" est au vers 10 dans les deux sonnets. Dans celui de Silvestre, le mot "floraisons" est à la rime avec "frissons" qui précédait au vers 9. Dans le poème de Pelletan, "floraisons" n'est pas à la rime, rime qu'il convient de citer, puisque Pelletan fait rime "arômes" avec "polychrômes" en se permettant une petite corruption orthographique, non obligatoire pourtant pour la rime. Cela me rappelle qu'il existe des accents circonflexes manuscrits un peu étonnants sur les rimes de la copie manuscrite du "Bateau ivre", genre "zônes", mais je ne maîtrise pas le sujet, je passe.
Ce qui est à la rime chez Pelletan, c'est la séquence "floraisons polychrômes", et j'en fais un argument sensible pour souligner que les poésies de Silvestre et ce sonnet de Pelletan sont des sources au sonnet "Voyelles". Et vous avez pu noter que dans "Voyelles" Rimbaud reprend "vibrer" de Pelletan sous la forme "vibrements" mais aussi "frissons" au poème de Silvestre, et j'ai montré par un relevé que "frissons" et "vibrements" n'ont rien d'anodin sous la plume de Rimbaud.
Notons encore que "vibrements" au vers 9 du poème "Voyelles" est symétrique de son premier emploi, au moins en vers, par son inventeur Théophile Gautier au vers 9 d'un sonnet des Poésies de 1830 et symétrique en prime de l'emploi du mot "frissons" à la rime au vers 9 du sonnet païen parodié dans "Lys".
Notons aussi les oppositions entre le premier tercet du sonnet de Silvestre et le premier tercet de "Voyelles" : Rosa ignore ce qui touche sa sandale, quand l'alchimie s'imprime sur les fronts des hommes studieux.
Enfin, j'ai insisté en ce qui concerne le sonnet de Silvestre sur le fait que le passage ayant inspiré une réécriture à Pelletan : "les frissons / Qu'avril nous porte avec ses blanches floraisons;" est réécrit en "frissons d'ombelles" au vers 6 de "Voyelles", les "ombelles" étant des fleurs blanches dans la série des illustrations du "E blanc". Sur la copie faite par Verlaine, on voit que Rimbaud avait essayé un jeu de répétition de "frissons de vapeurs et des tentes" à "frissons d'ombelles", il a essayé en gros un jeu de resserrement en mention, le glissement de l'expression plus longue à l'expression plus concise devait créer un effet sur le lecteur, mais Rimbaud a bien vu que la logique énumérative du poème réduisait à néant la tentative, il a du coup préféré renoncer à cette reprise et a modifié le vers 5 comme suit : "candeurs des vapeurs et des tentes". Toutefois, la survie de la version recopiée par Verlaine permet à la critique littéraire de méditer sur le rapport entre "candeurs" et "frissons", comme sur le rapport entre les tentes et l'idée de toile protectrice formée par la floraison des ombelles.
Pour l'instant, il faut encore chercher qui avant Rimbaud plaçait les mots "latentes" ou "ombelles" à la rime dans un poème. A défaut, ou peut-être pas, je vais vous inviter quand même à relire Les Contemplations de Victor Hugo.
Le quatrième poème de la première section "Aurore" des Contemplations : "Le firmament est plein de la vaste clarté[;]" contient précisément la rime du second quatrain de "Voyelles" : "ombelles"/"belles", dans le même ordre de défilement mais au singulier. Et cela va vous valoir une citation élargie :
Le vent lit à quelqu'un d'invisible un passage
Du poème inouï de la création ;
L'oiseau parle au parfum, la fleur parle au rayon ;
Les pins sur les étangs dressent leur verte ombelle :
Les nids ont chaud ; l'azur trouve la terre belle,
[...]
Vous avez l'idée qu'on peut lire la Nature comme un livre, je dis depuis 2003 que c'est une idée mille fois rebattue dans Les Contemplations et que c'est une source évidente au sonnet "Voyelles". Depuis quelques années, certains rimbaldiens font semblant de ne pas m'avoir lu et s'attribuent des découvertes en rapprochant "Voyelles" de passages des Contemplations.
Mais vous avez dans la foulée un parallèle à faire entre "poème inouï de la création" et "Poème / De la Mer" dans "Le Bateau ivre", et puis "la fleur parle au rayon", c'est le sujet du poème "Stella" dont je rappelais aussi que c'est le poème cité par Rimbaud pour définir le "vu" chez Hugo, et je prétends, parce que je suis intelligent, que dans "Aube", la "fleur qui me dit son nom" est un jeu sur la révélation par la lumière dans le prolongement du "Stella" de Victor Hugo, et vous avez ici même dans la citation plus haut un exemple que Victor Hugo revient sur cette idée.
C'est dans un tel contexte que vous avez la rime "ombelle"/"belle" chez Hugo, rime placée nettement au début du recueil qui plus est.
Et ça ne s'arrête pas là. Nous, aujourd'hui, nous pouvons voir aussi les liens avec La Fin de Satan, ce qui n'était pas possible pour Rimbaud. En revanche, contrairement à Verlaine qui, à la fin de sa vie encore, se plaignait des recueils de l'exil et regrettait le poète lyrique des décennies 1820 et 1830, Baudelaire a écrit dans "Réflexions à propos de quelques-uns de mes contemporains" que Victor Hugo devenait véritablement voyant dans sa poésie de l'exil avec Les Contemplations et La Légende des siècles. Evidemment, débiles mentaux que vous êtes, vous ne lisez pas La Légende des siècles, puisque c'est un ramassis de contes pour enfants avec des combats, du merveilleux et tout un attirail de basse littérature. Vous pardonnez à Homère, pas aux autres. Personnellement, j'adore La Légende des siècles, mais de toute façon même si vous voulez écarter les récits, vous avez des poèmes métaphysiques dans ce recueil (à lire dans sa version de 1859, la seule connue de Rimbaud) et vous avez en particulier le début "Le Sacre de la femme" et puis la fin avec "La Trompette du jugement". Je pourrais citer d'autres poèmes métaphysiques : "Le Satyre", "Pleine mer", "Plein ciel", citer du "Booz endormi", etc., mais ce que je pointe du doigt, c'est que Rimbaud il a compris la métaphysique de Victor Hugo et il sait aussi où elle est bien mise en relief. Le recueil des Châtiments est plus politique, il contient toutes ces considérations métaphysiques, mais elles sont mises au service du projet satirique. Rimbaud, il sait qu'il faut lire "Le Sacre de la femme" ou "La Trompette du jugement" pour bien appréhender la métaphysique hugolienne, et il sait aussi qu'il faut y adjoindre Les Contemplations. Et le poème dont il a extrait la rime "ombelle"/"belle" apparemment, fait le lien avec "Le Sacre de la femme" pour ce qui est de la lumière.
Evidemment, il y aurait d'autres pistes à creuser au sujet de "Voyelles".
Prenez la préface en prose aux Contemplations. Hugo s'inspire de la publication alors toute récente des Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand, ouvrage dont Rimbaud va tirer un parti énorme et en retour le mettre en relief, puisqu'il a réécrit plein de passages de sa "conclusion" pour composer le poème en prose "Vies".
Que vous le vouliez ou non, on a rarement eu des préfaces aussi ambitieuses pour un recueil de poésies. Celle des Contemplations est unique dans l'histoire de la Littérature. L'auteur commence par réclamer le droit d'influer sur l'état d'esprit avant la lecture et dit que son livre doit être lu comme on lirait le livre d'un mort. Il passe un cran au-dessus des audaces de Chateaubriand, puisque la publication n'est pas prévue pour venir après son décès... Cela a plein d'implications. Il parle d'une vie qui a filtré goutte à goutte, puis après avoir indiqué le lien à Chateaubriand en parlant de "Mémoires d'une âme" Hugo parle d'un poète qui sait dépasser l'individualité : insensé qui crois que je ne suis pas toi !" Qu'il y ait pensé avant ou après le 15 mai 1871, Rimbaud ne pouvait ignorer le lien sensible que dessinait cette phrase avec la formule du "Je est un autre" ! Je pense que Rimbaud y avait pensé avant le 15 mai, mais peu importe pour l'instant. Ce qui m'intéresse là, c'est qu'Hugo va définir la vie pour tout homme avec le cumul des expériences où on passe de l'espérance au deuil et où on arrive à la contemplation de Dieu. Moi qui suis intelligent, je le dis depuis le début que c'est évident que les mots communs de "Voyelles" avec "Paris se repeuple" et "Les Mains de Jeanne-Marie" prouvent qu'il faut penser aux morts de la Commune.
Dans "Voyelles", Rimbaud dit à Hugo : "M'y voilà, à la perte des espérances, au deuil des êtres chers. Je ne connaissais pas personnellement tous ces martyrs, mais la répression sanglante de la Commune, voilà qui met un coup d'arrêt à l'idée d'une providence annonçant une ère de progrès. Toi, Hugo, tu la maintiens dans la foi religieuse, mais moi je l'ai mise dans le refus du christianisme et dans Vénus, et je vais te montrer que je lâche pas l'affaire."
C'est ça l'esprit du sonnet "Voyelles" !
Dès cette préface, et dès les premiers poèmes du recueil Les Contemplations, Hugo met en place l'idée du front triste du poète qui recueille ses impressions et qui vieillit face aux épreuves, mais son salut est dans Dieu, et la rime finale de "Voyelles" joue là-dessus bien sûr : "Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux" et "Ô l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !" La fleur parle au rayon, mais le front du poète aussi... Et le silence, le fait d'être muet, tout cela occupe aussi les vers méditatifs du début du recueil hugolien.
Le poème liminaire : "Un jour, je vis..." placé devant la première des six parties des Contemplations, est un magnifique poème en quatre quatrains alternant l'alexandrin et le vers de six syllabes. Vu le jeu de glissement métrique sur le verbe "passer", je vous laisse comparer avec "Ophélie" de Rimbaud. La fin du poème parle de l'homme comme "bateau". Pour diverses raisons, la fin du poème hugolien ne peut pas se rattacher au "Bateau ivre", mais c'est quand même une pièce à verser au dossier.
Le premier quatrain est sublime :
Un jour je vis, debout au bord des flots mouvants,
         Passer, gonflant ses voiles,
Un rapide navire enveloppé de vents
          De vagues et d'étoiles ;
Le second est superbe, épique, quoiqu'il sente un peu la difficulté vaincue dans sa formulation :
Et j'entendis, penché sur l'abîme des cieux,
           Que l'autre abîme touche,
Me parler à l'oreille une voix dont mes yeux
            Ne voyaient pas la bouche :
Le placement du verbe "touche" me fait songer à la difficulté vaincue, mais ça reste d'une ampleur d'écriture souveraine pour parler comme Silvestre et "L'Etoile a pleuré rose...", et vous avez le mot "yeux" à la rime, avec non pas "studieux", mais "cieux". Pourtant, le rapprochement avec "Voyelles" sonne juste. Le sonnet "Voyelles" s'est inspiré de "La Trompette du jugement" avec "Suprême clairon" qui inverse "clairon suprême" en particulier. Or, dans "La Trompette du jugement", il y a la difficulté de voir celui qui tient le clairon, de voir sa main, sa bouche, et dans "Voyelles" la révélation est du seul "rayon" et non des "Yeux" eux-mêmes. Et ici, nous avons l'idée d'une voix avec la problématique du silence cosmique de Dieu, la révélation de la voix étant un dépassement des perceptions communes par le poète, et Rimbaud remplace cela par un effet visuel.
Et justement, je reviens à la préface en prose des Contemplations : le poète dit que les contemplations sont les mémoires d'une âme, un recueil d'impressions qui vont de la naissance à la solitude devant le "clairon de l'abîme".
C'est fou ce que je dois me tromper quant à la compréhension du sonnet "Voyelles" depuis vingt-un ou vingt-deux ans.
Le troisième quatrain définit le poète de Guernesey en gros, l'expression au "triste front" est à la rime, un peu comme "fronts studieux", nous avons le même spectacle d'un bord de mer frappé les flots, et le fait de savoir tirer un enseignement de ces flots.
"Poète, tu fais bien ! Poète au triste front,
          Tu rêves près des ondes,
Et tu tires des mers bien des choses qui sont
           Sous les vagues profondes !
Evidemment, le dernier quatrain ne ressemble pas du tout à du Rimbaud, malgré l'enseignement suivi par Rimbaud de l'être humain considéré comme un bateau :
La mer, c'est le Seigneur, que, misère ou bonheur,
             Tout destin montre et nomme ;
Le vent, c'est le Seigneur ; l'astre, c'est le Seigneur ;
              Le navire, c'est l'homme."
Mer, vent et astres ne sont pas le Seigneur dans "Le Bateau ivre", mais notez tout de même le parallèle toujours sensible avec "Voyelles", le rayon violet de Ses Yeux, c'est...
Vous prenez les premiers poèmes de la section "L'Aurore", c'est un festival de chefs-d'œuvre de la poésie française. Le premier poème "A ma fille", vous avez un discours d'enseignement de la foi chrétienne d'un père à sa fille, vous croyez que c'est des mots tout bêtes et tout simples, et vous vous en tirez en considérant que le paradoxe c'est que la fille est morte avant le père, sauf que, je vous connais, vous passez à côté du maniement stupéfiant du vers de trois syllabes dans des quatrains à base de vers de dix syllabes. Le vers de trois syllabe est anormalement court en poésie, c'est un vers acrobatique rejeté par les classiques, et ici il est employé dans un poème d'émotions fortes, un poème empreint de gravité, mais l'emploi du vers de trois syllabes fait que le poème n'est pas solennel, et les effets conclusifs de ces vers de trois syllabes c'est du jamais vu dans l'histoire de la poésie. Hugo en tire un parti rythmique saisissant.
Meschonnic ? Mais tu lui mets trois claques, c'est un petit con, Meschonnic ! Apprécie l'effet du choix du vers de trois syllabes, et sois un peu plus sensible à ce que tu lis, un peu plus intelligent.
Le second poème justifie un rapprochement avec "Aube" de Rimbaud.
Le troisième poème "Mes deux filles" réécrit des vers de l'un des plus vertigineux des Sonnets pour Hélène de Ronsard. Qui n'a pas lu : "Te regardant assise auprès de ta cousine, Belle comme une aurore et toi comme un soleil..." et se pique d'aimer la poésie ?
Le cinquième poème "A André Chénier" mériterait un commentaire, puisqu'on vous dira que Victor Hugo se moque chant-mé du poète du dix-huitième, alors que Chénier est celui qui a commencé à réassouplir le vers en fin de course du classicisme. Et deux poèmes plus loin, on a "Réponse à un acte d'accusation" et "Suite". Entre-temps, on a le poème VI "La Vie aux champs".
Et vous croyez que Rimbaud s'est dispensé de dialoguer avec le grand recueil lyrique hugolien ?
C'est ça que vous croyez ?
Vous relevez peut-être, et encore je ne sais pas où vous en êtes, la rime "chaise"/"aise" et vous la rapprochez de "Première soirée" pour concéder que Rimbaud a eu des modèles à ses débuts.
OK... D'accord! Super... Je dois vous laisser.

***

David est parti, c'est moi Steve Benoît qui vais vous pondre un truc.
Alors, certainement que Rimbaud reprend la rime "ombelle"/"belle" au poème IV de la section "Aurore" des Contemplations. L'éditeur avait voulu corriger le mot à la rime en "ombrelle", et Hugo avait dû protester. Cette rime avait fait du bruit à l'époque. Editrice du recueil au Livre de poche, Ludmila Charles-Wurts ajoute une note de bas de page au mot "ombelle", note où elle dit ceci :
Terme de botanique - ne dois-tu pas la connaître ? - issu du latin umbella qui veut dire "parasol". Le 6 avril 1856, V. Hugo écrit à P. Meurice pour lui demander le rétablissement de ce mot dans les dernières épreuves du recueil : un correcteur zélé avait écrit "ombrelle", faute grave aux yeux de l'auteur de "Réponse à un acte d'accusation" (I, 7), puisqu'elle remplace le mot propre par un mot figuré.
Voilà, comme ça, vous n'êtes pas obligés de citer l'article ci-dessus, vous pouvez directement citer celui-ci.

vendredi 18 octobre 2024

Brève N°3 : Le monde vibrera...

La présence de "vibrer" et "frisson" dans la poésie de Rimbaud.

"Les Etrennes des orphelins" :
La terre, demie-nue, heureuse de revivre,
A des frissons de joie au baiser du soleil...
Ces deux vers annoncent ceux cités plus loin du poème "Credo in unam". Le contexte scolaire est important pour comprendre qu'il y a une liaison entre les poèmes. Rimbaud écrit des poèmes en vers latins en classe, et ses premiers vers français, plagiat ou non : "Invocation à Vénus", "Les Etrennes des orphelins", "Credo in unam", sont des réappropriation personnelles de travaux scolaires, et notamment faits pendant les cours de latin. Il faut ajouter à cela le décalage de quelques mois qui va du travail exécuté en classe au poème en vers français de Rimbaud, avec pour étape intermédiaire des vers en latin. Donc, au moment où il compose "Les Etrennes des orphelins", le travail scolaire qui donnera "Credo in unam" est déjà sur le métier. A cette aune, l'élection du poète chez Rimbaud n'est pas qu'affaire de reprise de l'idée du voyant aux romantiques, puisque dans ses vers latins Rimbaud traite du motif de l'élection divine du poète selon les modèles des poètes de l'Antiquité, ce que j'ai déjà pointé du doigt, mais que les rimbaldiens ont traité avec leur indifférence coutumière.

Lettre à Banville du 24 mai 1870 qui contient trois poèmes. Le poème "Ophélie" offre deux occurrences du côté des "frissons", mais "Credo in unam" fournit une occurrence autour de "frissons" et deux conjugaisons du verbe "vibrer" ! Le mot "frisson" n'aurait pas déparé les deux quatrains bientôt intitulés "Sensation". Banville est le destinataire des poèmes, Rimbaud le considère clairement comme quelqu'un à qui vont parler les emplois de "frisson" et "vibrer". Le poème "Ophélie", selon le témoignage du professeur Izambard, est né d'un sujet traité en classe en cours de latin, et dans un libellé en latin. Malheureusement, Izambard n'a pas livré le sujet en question. Rimbaud s'inspire directement du poème "Ophélie" d'Henry de Murger, très prisé par Banville. Les rimbaldiens se sont contentés de relier "Ophélie" à Banville, ils ne citent jamais le modèle évident de Rimbaud. C'est LE modèle, il faut arrêter de tourner autour du pot. Enfin, puisque nous songeons à l'unité formée par "Voyelles" et "L'Etoile a pleuré rose...", nous ne pouvons manquer de citer la fin même de la section II du poème "Ophélie" à rapprocher du second vers du quatrain "L'Etoile a pleuré rose..." :
- Un infini terrible égara ton œil bleu !

"Ophélie"

Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
[...]
Quelque nid d'où s'échappe, un léger frisson d'aile :
[...]

"Credo in unam"
Au cou nerveux du dieu frissonnant dans la vague...
Dans "Ophélie", "frissonnants" est un adjectif et dans "Credo in unam" nous avons un participe présent, mais on sent que les deux créations sont liées l'une à l'autre, une sorte de schéma d'époque qui obsède d'un poème à l'autre l'esprit de Rimbaud. Notez qu'on a l'opposition entre la joie d'un avènement solaire et le drame de l'exil nocturne entre les deux emplois.
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini Sourire !
Le monde vibrera comme une immense lyre
Dans le frémissement d'un immense baiser !
J'ai élargi la citation, j'aurais pu citer le vers qui précède : "Splendide, radieuse, au sein des grandes mers," pour les implications de lumière, de lever du soleil sur la mer, pour l'origine marine de la "future Vigueur", etc.
Notez l'emploi du futur, et pensez à la fin de "A une Raison" : "Arrivée de toujours, qui t'en iras partout !" Pensez sans doute aussi aux futurs dans les deux quatrains de "Par les beaux soirs d'été..." Remarquez bien aussi la symétrie des répétitions pour "infini" et "immense" avec bien sûr un emploi du mot "infini" qui complète le rapprochement dressé ci-dessus entre "Ophélie" et "L'Etoile a pleuré rose..."
Le mot "frémissement" est un équivalent du nom "frisson", jusqu'à certains effets des consonnes. J'ai élargi la citation, parce que je voulais mentionner la césure acrobatique, pratique toute neuve pour Rimbaud à l'époque, sur "dans" : "L'Amour infini dans + un infini Sourire !" Cet aspect de psychologisation idéologique des audaces à la césure a son importance. Je voulais aussi que vous soyez sensible à la construction : "jetant sur le vaste Univers" qu'on retrouve quelque peu dans "Paris se repeuple" : "La tête et les deux seins jetés vers l'Avenir", j'ai prévu une grande enquête avec un relevé abondant sur ce motif dans la poésie du dix-neuvième siècle.
Je n'hésite pas à rapprocher la mention au singulier "Monde" de la mention au pluriel "mondes" de "Voyelles". Rimbaud est encore écolier en 1870, et c'est même le travail scolaire qui a fait mûrir le projet du poème "Credo in unam", comme le prouve bien assez la publication officielle de la traduction de Lucrèce "Invocation à Vénus" et un poème en vers latins de Rimbaud publié lui aussi. Donc, "Le Monde vibrera", c'est une allusion à la théorie antique de la "musique des sphères". Rimbaud ne croit pas à ce cliché en tant que tel bien sûr, mais tout de même il en fait un ressort bien pratique à l'expression de sa thèse sur un universel amour.

Je cite aussi de manière élargie le passage contenant l'autre mention verbale de "vibrer" :
- Pourquoi l'azur muet et l'espace insondable ?
Pourquoi les astres d'or fourmillant comme un sable ?
Si l'on montait toujours, que verrait-on là-haut ?
Un Pasteur mène-t-il cet immense troupeau
De mondes cheminant dans l'horreur de l'espace ?
Et tous ces mondes-là, que l'éther vaste embrasse,
Vibrent-ils aux accents d'une éternelle voix ?
Il ne faut pas que la référence antique fasse écran et que "Credo in unam" soit rapproché quasi exclusivement de modèles païens pris à Leconte de Lisle ou à divers parnassiens. Cette séquence de questions vient d'un certain lyrisme chrétien, Lamartine s'inspirant de modèles antérieurs obscurs a donné un nouveau faste cosmique à ce genre d'interrogations métaphysiques. Le modèle de ces vers vient de Lamartine, je rappelle que le mot "Méditations" est lourd de sens dans Méditations poétiques. Victor Hugo va bien évidemment surenchérir sur le procédé à plus d'une occasion, tandis qu'Alfred de Vigny déploie ce motif lui aussi à sa façon et en lui donnant une certaine importance dans sa poésie qui se veut métaphysique elle aussi. La citation élargie permet de rendre plus évident le rapprochement à faire avec la fin de "Voyelles". Nous retrouvons la thèse de l'harmonie musicale des sphères, théorie mystique pythagoricienne qui a eu des conséquences insoupçonnées du côté de Kepler, et j'insiste sur les occurrences de l'adjectif "immense" et du nom pluriel "mondes". Le parallèle interne à "Credo in unam" ne se discute bien sûr pas : "Le Monde vibrera", "ces mondes" "Vibrent-ils", affirme puis interroge Rimbaud. Je rappelle qu'après une mention de "fronts studieux", le dernier tercet de "Voyelles" correspond bien à un regard effaré croisant un regard divin équivalent de l'éternelle voix ici suggérée, avec des "mondes" vus comme un fourmillement lointain de grains de sable : "Silences traversés des mondes et des anges". Le mot "silence" est clef dans le regard mystique porté sur le ciel par Vigny qui se plaint de l'impression de la non intervention et possible non existence de Dieu, par exemple dans "La Mort du loup".
Nous sommes bien dans des thèmes d'époque, et il faudra qu'un jour les rimbaldiens expliquent pourquoi "Credo in unam" est du côté des centons, du pastiche, et pourquoi "Voyelles" et "L'Etoile a pleuré rose.." seraient des imaginations sans précédent.
Il faudra m'expliquer ce blocage intellectuel des rimbaldiens.
Quant à considérer "Voyelles" comme une fumisterie qui met en boîte la poésie des romantiques et des parnassiens, je veux bien, mais pourquoi les rimbaldiens ne disent pas que Rimbaud tourne en dérision la poésie qu'il a pratiquée dans "Credo in unam". L'enthousiasme mis dans les poèmes de 1870 rend tout de même difficilement crédible qu'il soit question d'un simple retournement de veste dans "Voyelles". Il y a de l'humour dans "Voyelles", mais ça ne se résout pas par une thèse de lecture toute simple en mode dérision.
Le sonnet de Pelletan à côté du "Sonnet du Trou du Cul" contient "floraisons polychrômes" et un emploi du verbe "Vibrer" qui est déjà un retournement potache d'emplois tels que ceux de Rimbaud dans "Credo in unam", alors pourquoi Rimbaud serait génial de dérision dans "Voyelles" et pas Pelletan lui-même ?

Dans la version du poème intitulée "Soleil et Chair" remise à Demeny, le second passage cité disparaît avec la mention interrogative : "Vibrent-ils". Seule la mention au futur : "Le monde vibrera" est maintenue, ce qui n'est déjà pas si mal. Nous n'avons aucune autre mention du verbe dans les poèmes remis à Demeny en 1870, pas même dans "Le Forgeron".
Je relève rapidement les mentions du côté des "frissons" :

"Les Reparties de Nina"
Quand tout le bois frissonnant saigne
       Muet d'amour
Nous avons une nouvelle fois la forme "frissonnant", et le parallèle est plus fort avec "Ophélie" qu'avec "Credo in unam" : emploi de l'adjectif, et correspondance sémantique "saules" et "bois". On appréciera aussi le couplage ""frissonnant" et "amour" qui confirme que nous sommes dans la continuité des idées exprimées dans "Credo in unam". L'enjambement et la mise en relief du mot "Muet", couplé à "amour", justifie aussi d'autres rapprochements avec la "voix" tantôt basse tantôt haute dans "Ophélie" selon les versions manuscrites, et ça a du sens aussi pour les "silences" dans "Voyelles", puisque ces "silences" sont savourés.

"Première soirée"
Sur le plancher frissonnaient d'aise
Ses petits pieds, si fins, si fins.
Un emploi sensuel plus passe-partout, mais puisqu'il est question d'érotisme la continuité d'intention dans l'emploi n'en est pas moins manifeste.

"Roman"
Avec de doux frissons, petite et toute blanche...
Emploi en dérision : le mot "frissons" parle à tout le monde. Rien d'anormal à ce que Rimbaud tantôt valorise l'emploi, tantôt le moque.

"Le Forgeron"
Un frisson secoua l'immense populace.
Un emploi épique où la présence complémentaire de l'adjectif "immense" confirme la continuité idéologique avec "Credo in unam".

"Le Dormeur du Val"
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
[...]
L'emploi dans "Le Dormeur du Val" a un tout autre relief quand on songe aux implications du relevé d'ensemble des mots de la famille du verbe "frissonner" dans la poésie rimbaldienne de 1870. Le sonnet est clairement mis en relation avec le discours tenu dans "Soleil et chair" : "Il dort dans le soleil [...]", et cela confirme que la lecture traditionnelle négative du poème n'est pas la bonne.

Un cœur sous une soutane

Aucun emploi de "vibrer", mais six occurrences du côté des "frissons" :
Sur son front chauve frissonnait comme un éclair furtif son dernier cheveu roux : ses yeux émergeaient de sa graisse...
Emploi pour la dérision, mais sur une base positive, ce que confirme la citation rallongée puisqu'on constate que Rimbaud reprend au sonnet "Vénus anadyomène" contemporain, déjà écrit ou en cours quand il écrit sa nouvelle, "émergeaient de sa graisse" une dérision qui contraste avec une naissance de Vénus en gloire.
Il disait cela avec un ton, en fronçant avec un frisson son abdomen proéminent [...]
Il se tut, fit frissonner de haut en bas son abdomen [...]

Nouveaux emplois pour la dérision, mais encore une fois le rapprochement est sensible avec "Credo in unam", puisque ce que dit le supérieur c'est le vers "Vierge enceinte", ce qui donne bien sûr la note comique de la fécondité dans le frisson parcourant l'abdomen proéminent. Ces passages sont à ranger dans les études sur la genèse du poème "Accroupissements", soit dit en passant.
Que ma lyre frissonne et que je bats de l'aile
[...]

Citation d'un poème qui vaut satire d'une certaine poésie facile et qui n'est pas sans épingler Banville. Rimbaud identifie tout de même le danger d'un emploi artificiel de termes de ralliement : "frisson", "vibrer", foi en l'amour, etc.
[...] et à ton menton, brillait un beau signe brun où frissonnaient de beaux poils follets [...]

L'emploi ridicule confirme les emplois plus nobles ailleurs en poésie.
[...] et, sous la table, mes pieds frissonnaient d'aise dans mes chaussures [...]
Inversion de la valeur d'emploi dans "Première soirée". Rimbaud souligne clairement les emplois ridicules, à contre-pied, du poétique "frisson". C'est pour ça qu'on ne peut pas présupposer gratuitement un emploi dépréciatif dans "Voyelles". Rimbaud se réserve d'employer le terme soit positivement, soit négativement. Il ne s'agit pas d'un terme automatiquement négatif dans la bouche de Rimbaud.

Aucun autre emploi de "vibrer" ou "frisson" dans les lettres et poèmes remis à Izambard et Demeny en 1871.
En revanche, un emploi significatif du verbe "frissonner" apparaît dans "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs", poème envoyé par lettre à Banville en août 1871 :
Toujours frissonnent ces fleurs blanches !
Rimbaud va opposer les sujets des frissons chez les poètes. Il combat désormais les frissons des lys, signe d'une évolution partielle depuis "Ophélie".
Le terme "frissons" n'est pas absent du "Bateau ivre", mais l'emploi a un aspect comique déconcertant :
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !
"Les premières communions"

Deux occurrences d'un vers à l'autre (à comparer avec la copie par Verlaine de "Voyelles") :
D'abord le frisson vient, - le lit n'étant pas fade -
Un frisson surhumain qui retourne : "Je meurs..."
Le frisson est qualifié de "surhumain" et nous avons un contexte sexuel torturant lié à l'emploi.

Pour ce qui est de l'ensemble paginé de poèmes première manière recopié la plupart par Verlaine, les emplois ne concernent que "Voyelles"et "Les Mains de Jeanne-Marie" : deux occurrences de "frissons" aux vers 5 et 6, et néologisme inhabituel repris à Gautier "vibrements" au vers 9, puis "Et secouant tous ses frissons" dans "Les Mains de Jeanne-Marie", ce dernier emploi étant proche en idée des deux des "Premières communions", tandis que je dis depuis longtemps que, vu la parenté d'images, on a la preuve d'un lien sur le thème de la Commune entre "Voyelles" et "Les Mains de Jeanne-Marie".
Il faudra qu'un jour les rimbaldiens s'expliquent sur le fait de ne pas avoir vu ce lien communard entre les deux poèmes...

Aucune mention de "vibrer" et "frisson" dans les contributions rimbaldiennes à l'Album zutique.

Le terme "frisson" disparaît de la poésie en vers de Rimbaud, mais le verbe "vibrer" qui reliait comme exclusivement "Credo in unam" et "Voyelles" a deux occurrences décalées dans les vers "nouvelle manière" :

"Jeune ménage"

Où vibrent les gencives des lutins.

"Fêtes de la faim"

Puis, l'humble et vibrant venin
     Des liserons.

Il s'agit d'emplois en dérision. Dans le vers de "Jeune ménage", la césure est après le déterminant "les", ce qui accentue la signification de morsure des "gencives", et je rappelle que la morsure était d'amour dans "Credo in unam" avec des figurations poétiques dont les lutins sont un équivalent comique. Une note importante aussi en ce qui concerne "Fête de la faim", le poème est en vers de sept syllabes, avec quelques strophes où ce vers alterne avec celui de quatre syllabes, ce qui nous rapproche du modèle pris à la "Chanson de Fortunio" de Musset dans "Ce qui retient Nina" et "Mes petites amoureuses", on peut rapprocher pour la rime, l'effet d'enjambement, la note comique : "Des liserons" "Et du mouron", par exemple. Le "venin / Des liserons" renvoie aussi au poison des escargots admiré en silence dans le poème intitulé "Juillet" qui est donc quasi contemporain de "Fêtes de la faim".
En revanche, le verbe "vibrer" n'apparaît pas dans les poèmes en prose, mais nous avons un retour de la famille des "frissons" avec cinq occurrences :

"Being Beauteous"

Et les frissons s'élèvent...

"Promontoire"

L'aube d'or et la soirée frissonnante...

"Soir historique"

Il frisonne au passage...

"H"

Ô terrible frisson des amours novices...

"Fairy"

Pour l'enfance d'Hélène frissonnèrent les fourrures et les ombres,...
Les commentaires nous mèneraient trop loin, vous notez tout de même que l'emploi est littéraire, c'est-à-dire suppose une tradition d'emplois : "L'aube d'or et la soirée frissonnante..."

"Les Déserts de l'amour", les parodies de l'évangile et Une saison en enfer n'offrent aucune occurrence des deux mots.
Prochainement, on va vous proposer d'autres relevés. Pour Victor Hugo, je ne m'en sens pas le courage, il faudrait un échantillonnage représentatif, mais le relevé est à faire pour Lamartine, Verlaine et quelques autres, et j'y inclurai bien évidemment Armand Silvestre.

Note bonus :

Avez-vous remarqué que les rimbaldiens ne font rien des termes rares disséminés dans "Voyelles" ? La mention "pénitentes", l'oxymore "ivresses pénitentes" dans une position centrale pour un sonnet, peu leur en chaut ! Le mot tout de même rare en poésie, qui plus est à la rime, "latentes" ne les retient pas. Je sais qu'à Toulouse il y a une revue du dix-neuvième siècle conservé à la bibliothèque municipale, peut-être Le Monde illustré, qui contient une occurrence "latente" à la rime d'un sonnet, mais dans une publication postérieure à la composition de "Voyelles", peut-être autour de 1878 je ne sais plus. L'adjectif "latentes" est à associer aux réflexions métaphysiques sur ce qu'il peut y avoir de latent en l'homme et en l'univers pour faire advenir un monde d'amour et de progrès. Ce terme "latent" se rencontre dans la littérature d'époque et précisément dans des cadre de réflexion du type de "Credo in unam". Je ne sais pas pourquoi les rimbaldiens n'ont pas percuté. C'est tellement évident.
Le mot "vibrement" est un néologisme de Gautier, on emploie plutôt le nom "vibration". Nous avons l'adjectif "virides". Pourquoi deux emplois de "frissons" dans "Voyelles" si au jugement des rimbaldiens c'est un terme dérisoire qui se passe de commentaires ? Pourquoi l'adjectif "cruelles" ? Pourquoi la mention ramassée au pluriel "cycles" ? Pourquoi le mot "alchimie" mine de rien rarissime sous la plume de Rimbaud, malgré "Alchimie du verbe" ? D'où vient à Rimbaud d'employer "pâtis" dans "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" et "Voyelles" ? Pourquoi "strideurs" commun à "Voyelles" et "Paris se repeuple" ?
Je suis vraiment impressionné par l'incapacité des rimbaldiens à commencer à investiguer sur le sonnet "Voyelles". Je ne comprends pas leurs problèmes.

mercredi 16 octobre 2024

Brève N°2 : secrets paYens, des "floraisons polychromes" aux "Voyelles".

Après la transcription du poème liminaire "Propos du Cercle", les zutistes ont tourné la page et laissé Arthur Rimbaud remplir le verso. Rimbaud a recopié un poème qu'il a composé avec Verlaine, selon une distribution déjà connue de plusieurs Vilains Bonshommes. Verlaine a composé les quatrains, et introduit dans le secret de cette pratique ludique Rimbaud a composé les tercets. Le sonnet est sans doute plus ancien qu'il n'y paraît. Il est reporté après un certain temps inconnu de succès, quelques jours, une semaine ou deux, dans le corps d'un nouvel Album de poètes délurés. Rimbaud recopie le "Sonnet du Trou du Cul" qui est de lui et de Verlaine. Il appose un surtitre "L'idole." avec les techniques de transcription de l'éditeur des parnassiens Alphonse Lemerre : minuscule à l'initiale du nom et point. Puis, il enchaîne avec une création personnelle "Lys". Il s'agit d'un simple quatrain. Cela pourrait témoigner d'une relative paresse, mais donc le quatrain a suffi à Rimbaud pour concentrer tout le sel parodique qu'il avait envie de mêler à sa lecture des vers d'Armand Silvestre. Rimbaud n'a pas pratiqué le recours au surtitre, il s'est contenté de la fausse signature. On observe pourtant des faits graphiques particuliers, puisque Sylvestre ainsi orthographié contient le mot "lys" à l'envers en attaque syllabique de nom. L'orthographe est Silvestre, mais la corruption est amusante puisque le mot "lys" peut aussi s'écrire avec un "i". Or, ce jeu sur le y et sur le i fait allusion à un jeu similaire pratiqué par Armand Silvestre dans non pas le titre de son recueil, mais dans le titre de la section dont Rimbaud a tiré un poème à parodier. Silvestre a composé une section de "Sonnets payens", l'orthographe avec un "y" nous dérobant l'orthographe avec tréma sur un i : "païens". Et cette sectio est emblématique pour Silvestre, puisque sa contribution au second Parnasse contemporain comporte une section intitulée "Nouveaux sonnets païens".
En clair, quand Rimbaud corrompt le nom Silvestre en Sylvestre, il joue avec le nom du poète, mais aussi avec son propos. Il est en train de nous dire que ce Silvestre se prend à bon compte pour un "payen" comme il l'écrit, il se prend pour un dieu sylvestre, et de là il prétendrait nous faire remonter jusqu'à Pan. Les lys vont contraster avec cette prétention faunesque en tant que fleurs distinguées symbole de la royauté. Le jeu avec le Y dans le nom Sylvestre compense bel et bien l'absence de surtitre. Rimbaud épingle le projet de composition de "Sonnets payens" et sa cible correspond donc au premier recueil de Silvestre, intitulé Rimes neuves et vieilles, titre qui est un jeu de mots avec le titre à usage interne "Sonnets payens", puisque c'est d'être païennes que les rimes sont d'un éternel sang neuf et en même temps vieilles d'une tradition venant de la plus haute antiquité.
Enfin, ce jeu sur le "y" au nom "Silvestre" vient du fait que George Sand a préfacé le recueil d'Armand Silvestre. Cette préface nous apprend qu'elle a eu le privilège de lire les épreuves du livre à publier et tellement charmée elle a décidé d'en soutenir la publication par une préface, alors même qu'elle ne connaissait pas l'auteur. En tête de son deuxième recueil paru en 1870, Les Renaissances, Silvestre a mis un remerciement à sa bienfaitrice, ce qui prolonge aussi pour lui la publicité d'un tel patronage. Mais, après sa préface, George Sand a publié deux romans dont le héros est un certain Sylvestre, un héros qui porte le nom du poète qu'elle a préfacé, mais avec l'adjonction d'un "y" qui justifie une lecture étymologique particulière. Le premier roman paru en 1866 s'intitule tout simplement Monsieur Sylvestre. Même si Rimbaud n'a pu manquer de lire des ouvrages de George Sand par lui-même, il est évident qu'il côtoyait tous ceux qui pouvaient lui apporter sur un plateau les éléments intéressants au sujet de cet Armand Silvestre avec lequel il semble avoir échangé lors du dîner des Vilains Bonshommes.
Je n'ai pas encore lu les deux romans en question de George Sand. J'ai lu plusieurs romans de Sand, j'en possède un certain nombre, ainsi que des recueils d'histoires courtes, mais je n'ai pas encore lu ces deux-là. Tant pis ! Il n'est pas certain que Rimbaud les ait lus rapidement entre le 30 septembre de sa rencontre de Silvestre au dîner des Vilains Bonshommes et la transcription de "Lys" sur le corps de l'Album zutique obligatoirement quelques jours avant que Charles de Sivry ne sorte de Satory le 18 octobre et vienne le signifier par une transcription de son cru sur ledit Album. La préface de George Sand contient enfin le calembour "spiritualiste malgré lui" qui vient de Molière et qui justifie quelque peu la présence de modernes "clysopompes", par souvenir des "clystères" présents dans les comédies de Molière à personnages de médecins comme Le Malade imaginaire. Il va de soi que Rimbaud joue sur la tension entre les pôles dualistes du spiritualisme et du matérialisme. Et une des subtilités de la parodie "Lys" de Rimbaud, c'est qu'un matérialisme peut en cacher un autre, puisqu'il est question de retombées financières avec les mentions "argent" et "beurre". Il se trouve qu'Armand Silvestre a fait une bonne affaire en publiant sous un pseudonyme Ludovic Hans deux ouvrages de mépris pour les communards, de critique vive de l'expérience communaliste : Le Comité central et la Commune d'un côté et de l'autre Paris et ses ruines. Verlaine parle précisément d'une bonne affaire que Silvestre a fait avec ces deux livres dans sa correspondance connue pour les mois de juillet§août 1871. Le livre Le Comité central et la Commune est très proche dans l'idée et la forme du livre de Catulle Mendès Les 73 Journées de la Commune. Silvestre rejoint donc Mendès, Lemerre et plusieurs parnassiens hostiles à la Commune. Dierx est à inclure qui publie une plaquette où prédomine l'espoir de revanche contre l'Allemagne, et bien sûr il faut citer François Coppée qui critique la Commune et invite lui aussi à une revanche pour la guerre franco-prussienne. Silvestre a pu paraître sympathique à Rimbaud le 30 septembre, il a été prévenu ensuite, et il sait que Silvestre fait partie donc d'un groupement ennemi, puisque, quand on veut être un poète voyant, les positions défendues dans les ouvrages ont leur importance vitale. Pour le reste, George Sand n'a pas eu tort d'apprécier les vers d'Armand Silvestre. Il a un certain talent, et ils sont particulièrement licencieux, sensuels. Cet aspect-là n'était sans doute pas pour déplaire à Rimbaud.
Toujours est-il qu'il fallait un passage à réécrire pour créer une parodie en quatre vers. Le choix s'est porté sur un sonnet qui est vraiment au début du recueil. Il s'agit du troisième poème seulement du recueil, et du troisième poème de la série "Sonnets payens", aux pages 8 et 9 du recueil.
Je vais citer ce sonnet !

Rosa, l'air est plus doux qui baigne ta poitrine ;
Avril emplit d'odeurs les feuillages ombreux.
- Tout renaît, et le long des sentiers amoureux,
Partout saigne la rose et neige l'aubépine !

La fleur sous les buissons entr'ouvre un œil peureux
Et livre au vent du soir l'ombre de son étamine.
- Tout aime ! - Viens, Rosa, les amants sont heureux
A l'ombre du grand bois qui pend à la colline !

Mais, Rosa la prêtresse ignore les frissons
Qu'avril nous porte avec ses blanches floraisons ;
Jamais les doux gazons n'ont baisé sa sandale.

Des ténèbres du temple elle cherche l'horreur,
Et, du feu qui nous brûle, immobile vestale,
Garde, comme un autel, le tombeau de son cœur.
Pour composer le quatrain "Lys", Rimbaud s'est remémoré certains passages de son poème envoyé à Banville "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs", s'est inspiré aussi de la préface de George Sand et de son calembour "spiritualiste malgré lui" tirant du côté des médecins à clystère de Molière, ce qui nous vaut déjà une grande partie du premier vers, mais il a réécrit le deuxième et le sixième vers de ce sonnet, reprenant au passage l'occurrence rare à la rime : "étamine", l'accordant au pluriel par souci de ne pas rester dans la reprise telle quelle au modèle : "étamines".
Je cite le quatrain de Rimbaud :
Ô lys ! ô balançoirs ! clysopompes d'argent !
Dédaigneux des travaux, dédaigneux des famines,
L'aurore vous emplit d'un amour détergent,
Une douceur de ciel beurre vos étamines !
Je n'exclus pas que le second vers soit inspiré du poème "Le Lys" de Coppée qui est "dédaigneux", et même d'un autre vers de Coppée sur le travail et la famine, mais laissons cela de côté. La rose est remplacée par le motif du lys qui a déjà toute une histoire pour Rimbaud avec "Ophélie", Banville et "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs". Au-delà de George Sand, "clysopompes" reprend "clystères d'extase" au poème envoyé deux mois plus tôt à Banville, et "balançoirs" pourrait corriger l'idée "balançoires" à la rime avec cette orthographe dans toujours le poème envoyé à Banville. La parodie de Silvestre est tranché puisque les deux derniers vers du quatrain de Rimbaud concentrent les réécritures. La mention "L'aurore" se substitue à la mention "avril", ce qui est à la fois simple et subtil. L'aurore correspond à un commencement de la Nature comparable au printemps du mois d'avril, et Rimbaud a pu apprécier que Silvestre sublimait plus d'une fois la valeur mystique de l'aurore. Le sonnet que j'ai cité plus haut développe aussi l'image d'une fleur réveillée par le jour, ce qui fait penser au poème en prose "Aube" des Illuminations, sans qu'il en soit bien sûr la nécessaire source d'inspiration. Le sonnet que Rimbaud a parodié est habilement choisi puisqu'il contient en germe le titre du second recueil Les Renaissances avec la mention "Tout renaît", bientôt prolongée par le cliché "Tout aime" aussi déployé par Hugo et d'autres auparavant. En clair, Rimbaud nous montre qu'il est capable en un quatrain de résumer le propos principal de Silvestre poète sur deux recueils et dans le même mouvement de le noyer d'implications satiriques. L'expression "amour détergent" est particulièrement cinglante. Et le spiritualiste devient bien gras avec son attirance pour le beurre, ici soutenue par l'allusion verbale : "beurre vos étamines."
Je citerai à nouveau ce poème dans une étude sur l'influence de Silvestre sur plusieurs pièces de Rimbaud, et je placerai cela dans une synthèse de relevés opérés sur les œuvres de Silvestre que Rimbaud a pu lire, puis sur des oeuvres que Rimbaud en principe n'a pas lues, mais qui permettent de situer Silvestre par rapport à Lemerre et aux attentes du public dont il pouvait avoir les faveurs, qui permettent aussi de confirmer que Rimbaud a ciblé des constances qui n'ont pas quitté Silvestre de toute sa carrière littéraire.
Mais, je voulais qu'on puisse s'arrêter sur un constat qui passerait inaperçu noyé dans une étude massive sur Silvestre, un constat qui intéresse pourtant en retour les études rimbaldiennes mêmes. Donc, Rimbaud a transcrit en une colonne un sonnet et un quatrain. Je pars du principe qu'il a directement enchaîné avec les transcriptions en une colonne sur la page suivante de deux dizains à la manière de Coppée et d'un monostiche attribué à Louis-Xavier de Ricard. Mais peu importe ici pour cette fois ! Dans la marge gauche, quelque temps plus tard, Pelletan a composé un sonnet "Avril où le ciel est pur..." qui est faussement attribué à Charles Cros, puis Valade a reporté un quatrain. La transcription postérieure de cette colonne est prouvée par le fait que Valade a incurvé son écriture en transcrivant un vers plus long pour éviter le texte "Lys" de Rimbaud.
Dans le jeu de miroir, le poème de Pelletan est censé correspondre au sonnet de Rimbaud et le quatrain de Valade à la parodie qui a été faite d'Armand Silvestre. Or, ce n'est pas du tout ce qui apparaît. Le poème de Valade fait directement référence au sonnet liminaire de la page précédente "Propos du Cercle", son lien avec "Lys" de Rimbaud est assez lâche, mal assumé. Quant au sonnet de Pelletan, sa part obscène peut partiellement s'inscrire en symétrique du "Sonnet du Trou du Cul", mais sa cible parodique Charles Cros et son recours au vers de sept syllabes fait songer à une parodie d'un poème zutique retranscrit plus loin que Cros et Pradelle avait composé ensemble et semble-t-il reporter dans feu l'Album des Vilains Bonshommes en 1869 ou 1870 : "Ventre de jade...", sonnet qui est un blason du corps aussi avec son attaque "Ventre" et donc probablement une parodie ancienne du recueil L'Idole de Mérat. Du coup, le vis-à-vis du sonnet de Pelletan avec la création commune de Rimbaud et Verlaine a du sens. Mais, le poème commence par la mention "Avril..." et contient le mot "floraisons" à la rime. Et là, c'est étonnant de constater que le sonnet païen parodié par Rimbaud contient le mot "floraisons" à la rime, au niveau des tercets lui aussi, qui plus est. La mention "Avril..." en attaque de poème correspond à la mention "Avril..." en attaque de l'un des deux vers réécrits par Rimbaud qui a remplacé la mention de mois par "L'Aurore".
Avril où le ciel est pur,
Où les cadavres verdoient,
Où les gourmes se nettoient,
Où Dieu dit : FUTUATUR,

Avril où ceux qui s'emploient
A tailler des plumes sur
Les registres qui poudroient,
Se cachent derrière un mur,

Je t'aime, car tes arômes,
Tes floraisons polychrômes
Galvanisent tous mes nerfs,

Et font vibrer dans les bouches
Des Cydalises farouches
Les langues des Cabaners.
La série "Sonnets payens" de Silvestre contient elle-même des sonnets en vers courts, du moins en octosyllabes. J'observe la symétrie évidente entre le vers 10 (milieu du premier tercet) du sonnet parodié par "Lys" de Rimbaud et le vers 10 (tout autant milieu de premier tercet) du sonnet de Pelletan : "blanches floraisons" contre "floraisons polychrômes" Le vers 10 du sonnet de Silvestre commence par une mention du mois d'avril également : "Qu'avril nous porte avec ses blanches floraisons;" ce qui veut dire que le premier vers du sonnet de Pelletan : "Avril où le ciel est pur," est inspiré à la fois du vers 2 réécrit par Rimbaud : "Avril emplit d'odeurs les feuillages ombreux[,]" "L'Aurore vous emplit d'un amour détergent[,]" mais aussi par ce vers 10 qui crée dans le sonnet de Silvestre une sorte de boucle de vers 2 à vers 10. Le vers de Pelletan : "Avril où le ciel est pur", reprend l'idée de pureté du lys au quatrain parodique de Rimbaud, tout en étant quelque peu une idée issue de l'expression de Silvestre : "blanches floraisons". Or, pour les floraisons, Pelletan choisit d'en exhiber de multiples couleurs avec une corruption orthographique de l'accent circonflexe, en rime à "arômes" : "floraisons polychrômes".
Cette idée d'un printemps qui apporte des fleurs de multiples couleurs peut parler à Rimbaud. Je rappelle que "Lys" qui parle d'une fleur blanche s'inspire du poème déjà envoyé à Banville en août "Ce qu'on dit au Poète à propos de fleurs" où il est question de passer des lys de couleur blanche à des poèmes blancs, noirs, rouges, verts, bleus et roses. Je considère très clairement que le sonnet de Pelletan avec ses "floraisons polychrômes" fait partie de la genèse du sonnet "Voyelles"... Cela ne s'arrête pas là. Les mots "frissons" et "vibrer" sont des termes clichéïques de la poésie romantique, puis de la poésie parnassienne, et ils expriment une certaine idée religieuse de la Nature divinisée, ce que Rimbaud exploite sous la référence à Vénus dans "Credo in unam". Il ne faut pas les méjuger au nom de leur caractère clichéïque, ils sont des termes de ralliement puissants pour les poètes qui les emploient au dix-neuvième siècle, parmi lesquels Rimbaud et Verlaine eux-mêmes. Or, le verbe "vibrer" est fort significativement déployé par Silvestre dans plusieurs de ses poèmes, notamment au début de son second recueil Les Renaissances, et sous la forme du néologisme de Gautier "vibrements" Rimbaud reprend l'idée dans le sonnet "Voyelles". Pelletan emploie ce verbe vers la toute fin de son sonnet au moment de sa chute humoristique, voire potache.
Je l'ai déjà dit par le passé sur ce blog, je range le sonnet de Pelletan parmi les sources au sonnet "Voyelles" de Rimbaud. Et j'ai déjà dit que "Voyelles" et "L'Etoile a pleuré rose..." s'inspiraient des deux premiers recueils de Silvestre. La nouveauté, c'est que je prouve désormais que Pelletan s'inspire lui-même des poésies de Silvestre, à partir précisément de ce qu'il sait de la parodie de Silvestre par Rimbaud qu'est "Lys".
Si vous êtes intelligents, vous avez compris la portée de cette brève N°2....

A suivre !

lundi 14 octobre 2024

Brève N°1 : Mérat et Verlaine contre Renaud, une rencontre avec Valade ?

Le temps de mettre au point l'article sur Silvestre et Rimbaud, je publie des brèves. Il s'agit de raisonnements que je détache du travail en cours.
Je copie-colle le passage à retirer du travail en cours, je le remanie un peu en article indépendant, et voici le premier exemple ci-dessous. Ce développement est né de ma réflexion sur le fait que Rimbaud n'a jamais mentionné Armand Silvestre avant le quatrain "Lys", pas même dans le panorama parnassien de la lettre à Demeny du 15 mai 1871 :

Rimbaud n'a cité ni Léon Valade, ni Armand Silvestre dans sa lettre à Demeny du 15 mai 1871. Il a, en revanche, cité Joseph Autran et plusieurs poètes obscurs ayant collaboré au second Parnasse contemporain. En mai 1871, le second Parnasse contemporain ne paraissait que par livraisons, n'était pas terminée, sa publication en un volume unique datant en gros des mois de juillet/août 1871 qui ont suivi. Je ne me rappelle plus l'analyse de Yann Mortelette dans ses détails, mais celui-ci a produit une importante étude sous forme de livre au sujet du Parnasse et il avait publié un article sur les auteurs cités par Rimbaud dans sa lettre à Demeny où il sous-entendait que Rimbaud s'était aidé des annonces au dos des livraisons publiées, car il y aurait un certain nombre de poètes que Rimbaud citerait sans les avoir lus, ou en tout cas sans les avoir lus dans les livraisons du second Parnasse contemporain. Je ne me rappelle plus si certains désistements de dernière minute ont pu tromper Rimbaud, en tout cas en ce qui concerne Joseph Autran.
La conclusion qui s'impose, c'est que Rimbaud a conçu une série à partir des noms de poètes annoncés sur les livraisons du second Parnasse contemporain antérieures au 15 mai 1871, et j'y ajoute nécessairement l'ouvrage parnassien collectif de 1869 Sonnets et eaux-fortes puisque Joseph Autran y apporte une contribution qui figure plutôt en tout début d'ouvrage. J'imagine que de 1869 à 1871, le trè jeune Rimbaud à Charleville avait plus facilement accès à des éditions récentes de volumes collectifs de poésies qu'au premier Parnasse contemporain de 1866 qu'il a dû lire chez des connaissances ou en bibliothèque.
Joseph Autran est cité pour le poème "Le Masque" qui figure dans le recueil Sonnets et eaux-fortes. L'augmentation des contributions féminines au Parnasse contemporain est également sensible dans le second numéro :

Aucune femme dans la table de matières du numéro de 1866.
Plusieurs figureront au sommaire du second numéro : Nina de Callias, Mme Blanchecotte, Louise Colet, Louisa Siefert et Mme Auguste Penquer, cinq en tout. Rimbaud ne cite même pas Louisa Siefert, mais je rappelle qu'il l'a citée dans une lettre à Izambard parce que le destinataire avait témoigné s'y intéresser. Il préfère ne pas choisir entre les cinq, il n'a sans doute pas assez de repères, ne les a peut-être pas toutes lues, et la liste étant tout de même désinvolte en partie cela prendrait le contrepied du discours sur l'avenir des femmes en poésie une fois qu'on ne leur donnera plus leur renvoi. Notons que l'intérêt d'Izambard et la présence de ces cinq poétesses permettent de considérer que l'intérêt pour la femme écrivain est d'époque et ne sort pas d'une initiative rimbaldienne spontanée.
Je dis bien que la liste de Rimbaud est désinvolte. Après un Hugo "trop cabochard", notez les abréviations des noms et prénoms pour les "seconds romantiques" : "Lec. de Lisle", abréviation incongrue qui élimine l'audition nobiliaire" comte" pour "Leconte". Un calembour latent "le con de l'isle" plane également ici. Pour Banville et Gautier, nous avons une abréviation pour deux prénoms qui commencent par Dieu : Théodore et Théophile, ce que Rimbaud ramène à deux "Th."
Les abréviations des prénoms sont provocatrices, elles font passer la reconnaissance désirée par Demeny pour un jeu assez bureaucratique contraire à la fraternité des poètes. Les absences de prénoms ne sont pas forcément désinvoltes, on le voit avec la mention de "Baudelaire", mais dans la liste parnassienne la mention des prénoms a tout de même une valeur de promotion. Léon Dierx a quasi seul ce privilège parmi les non-voyants de l'école parnassienne, et il figure tout de même parmi l'élite, les "talents". Les mentions prénom et nom pour "Albert Mérat" et "Paul Verlaine" ne sont pas du tout anodines.
Mais, le premier poète mentionné est précisément "A. Renaud". Rimbaud connaît son recueil Les Nuits persanes, très particulier pour les jeux formels et les vers employés, mais Armand Renaud était un collègue de travail à l'Hôtel de Ville de Valade, Mérat et Verlaine. Rimbaud ne cite pas Valade qui a pourtant contribué aussi régulièrement que Mérat aux deux tomes du Parnasse contemporain et au volume Sonnets et eaux-fortes, c'est le seul des quatre poètes de l'Hôtel de Ville qu'il ne cite pas. Et pourtant, Valade dira dans ses lettres à Claretie et Maître en octobre 1871 qu'il est le saint-Jean-Baptiste sur la rive gauche dans la révélation "christique" de Rimbaud. Comment peut-il écrire qu'il est le premier à avoir découvert Rimbaud s'il n'était même pas là quand Verlaine avec Charles Cros est allé le chercher à la gare à la mi-septembre 1871 ? Valade a-t-il joué un rôle clef auparavant ? Depuis le passage de Rimbaud en février 1871 dans l'atelier d'André Gill ? Verlaine n'est pas très friand de Mérat comme peut le laisser entendre sa correspondance de juillet-août 1871. Pourquoi la liste de Rimbaud va-t-elle de Renaud à Mérat et Verlaine en passant par-dessus vingt-deux autres noms de vingt-quatre autres poètes ? J'ose imaginer une rencontre où on a expliqué à Rimbaud que Renaud était collègue de Mérat, Verlaine et Valade, mais que Renaud n'était pas vraiment intégré au groupe des trois autres, avec en prime le sous-entendu qu'il n'était pas un fort grand poète.
Rimbaud n'avait aucune raison de dire que Mérat était un "voyant", puisqu'il s'agit d'une poésie de savoir-faire sur de petits sujets, il n'y a même pas des ambitions métaphysiques comme c'est le cas pour Dierx, Silvestre et quelques autres, et pour les poètes qui en général passent à la postérité.
Pour moi, c'est évident que Mérat a été associé à Verlaine par complaisance. Rimbaud se faisait une idée de ses futures relations à Paris, tout simplement.
Mais allons plus loin dans l'étude des documents.
Rimbaud ne cite pas les différents poètes parnassiens pour tout à fait évaluer si les nouvelles générations contiennent des poètes capables de s'affirmer en tant que voyants. Rimbaud fustige l'ensemble de poètes parvenus qui écrivent dans le second Parnasse contemporain. Il cite les ressasseurs de la poésie à la Musset, ceux qui cherchent une poésie d'apparat social, et il les oppose à Verlaine, complaisamment flanqué ici de Mérat. Rimbaud admet trois talents : Coppée, Dierx et Sully-Prudhomme. On sait ce qu'il pense réellement des Epreuves du dernier, et seul Dierx semble véritablement estimé. Coppée lui paraît tout de même un talent, preuve qu'il ne le parodie au nom d'une prétendue médiocrité, mais l'auteur du Passant est en cours de désaveu à cause de ses prises de position politiques dans les événements récents.
Rappelons la liste citée par Rimbaud dans sa lettre à Demeny. Il cite vingt-cinq noms pour vingt-sept personnes, et la catégorie "les femmes" en implique indirectement quelques autres. Je cite la liste : A. Renaud, L. Grandet, G. Lafenestre, Coran, Cl. Popelin, Soulary, L. Salles, Marc, Aicard, Theuriet, Autran, Barbier, L. Pichat [corruption par méconnaissance pour le nom composé Laurent-Pichat], Lemoyne, les Deschamps, les Desessarts [corruption désinvolte pour Des Essarts], R. Luzarches, X. de Ricard [encore une corruption désinvolte], C. Mendès, Léon Dierx, Sully-Prudhomme, Coppée, Albert Mérat et Paul Verlaine.
La liste de Rimbaud privilégie bien des esprits au ras des pâquerettes avant de citer Mendès, Dierx et Verlaine. Je ne veux pas dire que Mendès soit plus important ou meilleur que Mérat, mais par les sujets choisis Mendès peut faire mine d'avoir une ambition, ce qui ne ressort pas vraiment des choix de sujets d'Albert Mérat.
En tout cas, sur cette liste conséquente, Silvestre était aussi absent que Mallarmé. Et il valait peut-être mieux ne pas être cité, même s'il est frustrant d'être placé en-dessous de Mérat et Verlaine, que de faire cortège à cette cohorte de poètes morts en mémoire une fois qu'on les a lus (selon Rimbaud).

Voici la liste des contributeurs au premier Parnasse contemporain : Gautier, Banville, Heredia, Leconte de Lisle, Louis Ménard, François Coppée, Auguste Vacquerie, Catulle Mendès, Charles Baudelaire, Léon Dierx, Sully Prudhomme, André Lemoyne, Louis-Xavier de Ricard, Antoni Deschamps, Paul Verlaine, Arsène Houssaye, Léon Valade, Stéphane Mallarmé, Henri Cazalis, Philoxène Boyer, Emmanuel Des Essarts, Emile Deschamps, Albert Mérat, Henry Winter, Armand Renaud, Eugène Lefébure, Edmond Lepelletier, Auguste de Chatillon, Jules Forni, Charles Coran, Eugène Villemin, Robert Luzarche, Alexandre Piedagnel, Auguste Villiers de L'Ilse-Adam, F. Fertiault, Francis Tesson et Alexis Martin. Sont promus par une contribution au bouquet final de sonnets les poètes suivants : Gautier, Banville, Heredia, Leconte de Lisle, Louis Ménard, François Coppée, Catulle Mendès, Charles Baudelaire, Léon Dierx, Sully Prudhomme, Louis-Xavier de Ricard, Antoni Deschamps, Paul Verlaine, Léon Valade, Stéphane Mallarmé, Henri Cazalis et Albert Mérat.
Légende : en gras, les quatre "seconds romantiques" dont l'histoire dit à tort qu'ils sont les premiers parnassiens, les noms soulignés sont cités par Rimbaud le 15 mai, cela met en relief cinq absences étonnantes, puisque Heredia, Ménard, Valade, Mallarmé et Cazalis ont participé au bouquet final de sonnets. Rimbaud ne cite pas non plus les disciples d'Hugo Vacquerie et Boyer, ni Arsène Houssaye, ni Villiers de l'Isle-Adam, ni Auguste de Chatillon qui l'a pourtant intéressé en 1870, Chatillon offrant des sources aux "Effarés" et à "Ma Bohême", en, particulier.
Dois-je le redire autrement ? Dans sa liste à Demeny, si on enlève le quatuor des "seconds romantiques" qui incluait Baudelaire, Rimbaud ne cite pas certains noms clefs. Il ne cite pas le quarante-huitard Louis Ménard qui, toutes proportions gardées, a des points communs avec Rimbaud, il ne cite pas Mallarmé bien sûr, mais il écarte Heredia pourtant mis en valeur par sa place au début parmi les prestigieux Gautier, Banville et Leconte de Lisle. Il ne cite pas Cazalis qui a pourtant l'honneur, tout comme Ménard, de figurer dans le bouquet final de sonnets, bouquet final qui dégage d'évidence les poètes les plus estimés du recueil. Et donc il ne cite pas Valade lui-même. Rimbaud n'a pas daigné citer Vacquerie non plus, ni Philoxène Boyer, alors qu'il aurait pu les mélanger à ceux qu'il moque dans sa liste.
Passons au second Parnasse contemporain. Les deux Deschamps ont participé autant au premier qu'au second numéro du Parnasse contemporain. En revanche, seul Emmanuel des Essarts a participé au premier, Alfred des Essarts venant le rejoindre dans le second volume. Rimbaud nous étonne en ne citant toujours pas Mallarmé ou Villiers de L'Isle-Adam, en ne citant même pas Albert Glatigny qu'il semble pourtant quelque peu affectionné, en ne citant ni Nina de Callias, ni Victor de Laprade, ni Louisa Siefert, ni Charles Cros, ni Sainte-Beuve, ni Ernest d'Hervilly. Il cite toutefois pas mal de poètes d'un intérêt bien dérisoire : Laurent-Pichat, Louis Salles, Gabriel Marc et Léon Grandet, alors qu'il n'a pas cité les noms les plus dérisoires du premier volume de 1866. La surprise vient de la pièce rapportée qu'est Joseph Autran, puisqu'il n'a pas contribué au second Parnasse contemporain. Ce poète, déjà âgé et de l'époque de Gautier et compagnie, participera pourtant au troisième numéro de 1876. A moins d'une lecture de Rimbaud annonçant une contribution d'Autran qui ne s'est pas confirmée, il reste loisible de penser que notre poète a conçu sa liste en s'appuyant également sur le volume Sonnets et eaux-fortes, qui fait partie des publications collectives du Parnasse contemporain et qui date de 1869.
Dans ce volume collectif, Joseph Autran fait partie des premiers contributeurs avec le poème "Le Masque", Armand Silvestre a participé pour sa part avec un sonnet intitulé "Nénuphars".

Voici la liste des contributeurs au second Parnasse contemporain à laquelle j'applique la même légende que ci-dessus pour le volume de 1866 en y ajoutant la couleur bleue pour les gens partageant pour raisons familiales le même nom et un code couleur en rouge pour les femmes : Leconte de Lisle (sans prénom !), Théodore de Banville, Antoni Deschamps, Emile Deschamps, Charles Coran, Catulle Mendès, Nina de Callias, Sully Prudhomme, Paul Verlaine, Eugène Lefébure, Ernest d'Hervilly, Mme Blanchecotte, Henry Rey, Victor de Laprade, Louise Colet, Albert Glatigny, Anatole France, Léon Cladel, Alfred des Essarts, Robert Luzarche, Joséphin Soulary, Armand Silvestre, Laurent-Pichat (sens mention du prénom), Henri Cazalis, Antony Valabrègue, Gabriel Marc, Louisa Siefert, Albert Mérat, Emmanuel des Essarts, Léon Valade, Armand Renaud, François Coppée, André Lemoyne, André Theuriet, Louis-Xavier de Ricard, Jean Aicard, Théophile Gautier, Georges Lafenestre, Alexandre Cosnard, Léon Dierx, Mme Auguste Penquer, Sainte-Beuve, Gustave Pradelle, Léon Grandet, Frédéric Plessis, Charles Robinot-Bertrand, Louis Salles, Charles Cros, Eugène Manuel, Auguste Barbier, Stéphane Mallarmé, Louis Ménard, Claudius Popelin, Edouard Grenier, Villiers de l'Isle-Adam (pas de mention du prénom), José-Maria de Heredia.
Voici la liste (alphabétique!) des contributeurs au recueil Sonnets et eaux-fortes, à l'exclusion bien sûr des illustrateurs et avec toujours la même légende : Jean Aicard, Joseph Autran, Théodore de Banville, Auguste Barbier, Louis Bouilhet, Henri Cazalis, Léon Cladel, François Coppée, Antoni Deschamps, Emile Deschamps, Léon Dierx, Emmanuel des Essarts, Anatole France, Théophile Gautier, Albert Glatigny, Edouard Grenier, José-Maria de Heredia, Ernest d'Hervilly, Arsène Houssaye, Georges Lafenestre, Victor de Laprade, Léon Laurent-Pichat, Leconte de Lisle, André Lemoyne, Robert Luzarche, Gabriel Marc, Judith Mendès, Catulle Mendès, Albert Mérat, Paul Meurice, Claudius Popelin, Armand Renaud, Louis-Xavier de Ricard, Sainte-Beuve, Joséphin Soulary, Sully Prudhomme, Armand Silvestre, André Theuriet, Auguste Vacquerie, Léon Valade, Paul Verlaine, Jean Vireton (pseudonyme pour Catulle Mendès semble-t-il).
 Une seule femme poète a contribué aux Sonnets et eaux-fortes, mais elle ne fait pas partie des cinq contributrices à venir au second Parnasse contemporain. En clair, leur intégration se fait encore à la marge et aucune d'entre elles ne s'impose comme la nouvelle Marceline Desbordes-Valmore. On voit très bien que seul la table des matières permet de mentionner deux "des Essarts", le père Alfred et le fils plus en vue Emmanuel, quoique médiocre. Les frères Deschamps qui ont leurs débuts dans la décennie 1820 en compagnie de Victor Hugo, puis Sainte-Beuve ont participé aux trois volumes parnassiens collectifs. Rimbaud les cite, mais pas Sainte-Beuve. En clair, la notoriété de Sainte-Beuve casserait l'image de parvenus que dessine la liste fournie à Demeny. Le Barbier cité par Rimbaud est d'évidence le célèbre Auguste Barbier, et non son cousin Jules Barbier lié à Offenbach et Gounod. Rimbaud cite Barbier, membre de l'Académie française depuis 1869, comme il cite les frères Deschamps, mais il ne cite pas Sainte-Beuve. En clair, Barbier n'est pas plus que les frères Deschamps un auteur d'une si grande notoriété, malgré les succès de La Curée et des Iambes.
Rimbaud a évité de fournir une liste alphabétique, il n'a pas repris la table des matières des Sonnets et eaux-fortes, mais il a cité les parnassiens dans un certain désordre par rapport à l'ordre de défilement de la table des matières du second Parnasse contemporain. Je suis à peu près convaincu qu'Autran était annoncé sur une livraison. Je remarque dans le cas de Laurent-Pichat la liste alphabétique permettait d'éviter la confusion de la mention Laurent avec un prénom. Il n'est pas rangé au P pour Pichat, mais au L pour Laurent-Pichat.
Rimbaud commence par citer Armand Renaud, il est vrai qu'il a lu Les Nuits persanes et il me semble, de mémoire, qu'il cite aussi en premier Les Nuits persanes parmi les livres d'Izambard qu'il projette de revendre dans une autre lettre. Rimbaud accrochait peut-être plus qu'il ne voulait l'admettre consciemment à la lecture de ce poète, mais, vu que l'hypothèse d'une rencontre préalable de Valade est nourrie d'indices importants, je remarque que Renaud est au milieu de la table des matières du second Parnasse contemporain, ce qui est une évidence pour les Sonnets et eaux-fortes à cause la place de la lettre initiale R de son nom dans l'alphabet, et pourtant, il est le premier cité dans la liste fournie à Demeny. Rimbaud poursuit en mentionnant Léon Grandet, en passant par-dessus douze autres noms. Je vous cite la séquence à nouveau avec toujours son code pour la légende, afin que vous puissiez suivre confortablement : "Armand Renaud, François Coppée, André Lemoyne, André Theuriet, Louis-Xavier de Ricard, Jean AicardThéophile GautierGeorges Lafenestre, Alexandre Cosnard, Léon DierxMme Auguste Penquer, Sainte-Beuve, Gustave Pradelle, Léon Grandet".
Rimbaud passe par-dessus un romantique majeur, plusieurs noms qu'il cite ensuite, et par-dessus Sainte-Beuve. Il est vrai que Rimbaud ne possède que des livraisons éparses et pas la table des matières du volume complet, ce qui pourrait expliquer ces sauts importants. Je vais essayer de mettre la main sur un détail des livraisons prochainement.
Pour le troisième nom, Rimbaud revient en arrière, il cite Georges Lafenestre qui figure précisément parmi l'écart de douze poètes séparant Silvestre et Grandet sur la table des matières. Rimbaud cite ensuite dans cet ordre : Coran, Popelin et Soulary. alors que dans le second Parnasse contemporain Coran sera quasi au début, Soulary au milieu et Popelin tout à la fin. Coran a produit des poèmes en série avec le motif de Ninon, Popelin et Soulary sont connus pour des productions "fordiennes" de sonnets pour dire vite. A cette aune, je pense qu'il ne faut pas s'étonner outre mesure de la propension de Rimbaud à se détacher des tables des matières pour ces trois poètes cités. Rimbaud mentionne ensuite Louis Salles, Gabriel Marc, Jean Aicard et André Theuriet, alors que Louis Salles est en fin d'ouvrage, et que Theuriet passe avant Aicard dans la table des matières finale du second Parnasse contemporain. Le nom Autran nous fait sortir du cadre du second Parnasse contemporain, c'est l'unique exception, puis Rimbaud cite dans cet ordre : Barbier, Laurent-Pichat, Lemoyne, les Deschamps, les Des Essarts, Robert Luzarche et Louis-Xavier de Ricard. Barbier vient à la fin du sommaire, Laurent-Pichat et Lemoyne sont espacés l'un par rapport à l'autre, les frères Deschamps se succèdent en effet l'un à l'autre et sont en début d'ouvrage. En clair, il y a bien une explication naturelle au fait que Rimbaud mentionne les Deschamps avant les Des Essarts : notoriété, âge, contributions aux trois volumes collectifs, mentions successives dans la table des matières du second Parnasse contemporain pour les Deschamps, mise en relief au début de l'ouvrage. Mais, pour le reste, Rimbaud est complètement désordonné. S'inspire-t-il d'un désordre d'un journaliste ? Le plus simple est d'admettre que Rimbaud a créé un ordre à lui, peut-être avec une petite influence déterminable des livraisons qu'il pouvait avoir entre les mains.
Pour la fin de la liste rimbaldienne, il me semble évident qu'elle est coordonné logiquement : Louis-Xavier de Ricard et Catulle Mendès sont les deux fondateurs de la revue parnassiennes, deux meneurs, puis nous avons une sélection des talents : Coppée, Dierx et Sully Prudhomme, puis les deux poètes estimés par Rimbaud, Verlaine, et avec une lourde présomption d'hypocrisie, Albert Mérat. Primé pour Les Chimères, Mérat avait sa place parmi les talents, collègue à l'Hôtel de Ville Rimbaud lui a fourni une promotion indue, spéculant à tort sur l'avenir de ses relations littéraires.
La catégorie "les talents" pose problème, puisque Rimbaud ne cite ni Mallarmé, ni Glatigny, ni Heredia. Rappelons que le célèbre sonnet "Les Conquérants", une source au poème en vers libres "Mouvement" des Illuminations, figure dans Sonnets et eaux-fortes, tandis que Heredia a eu le privilège dans le premier Parnasse contemporain d'être rapproché des maîtres en début d'ouvrage, tandis qu'il ferme le second tome avec un effet de bouclage du "Qaïn" de Leconte de Lisle aux "Conquérants de l'or" de Heredia.
Je pense que Rimbaud ne connaissait pas sur le bout des doigts tous les poètes parnassiens. Le fait qu'il ne mentionne pas Glatigny prouve aussi qu'il a composé sa liste un peu à la hâte. Il ne faut sans doute pas s'arrêter aux oublis. Rimbaud avait forcément constaté la présence valorisée de Mallarmé dans le premier Parnasse contemporain. Certes, Mallarmé n'est pas admis en tant que "voyant", mais il faut aussi considérer que Rimbaud peut avoir un avis réservé sur le génie de Mallarmé.
Il pouvait ne pas avoir de livraison sous la main mentionnant le nom de ce poète, même s'il l'avait découvert dans le premier numéro.
Toujours est-il que de manière troublante, la liste de Rimbaud va d'un refus de Renaud à Verlaine et Mérat, une opposition entre trois collègues de travail de Léon Valade... notre fameux "saint Jean-Baptiste sur la rive gauche".