mercredi 12 novembre 2025

Being Beauteous dans Les Mains libres ?

Dans quelques-uns de mes derniers articles, je parlais de titres d’œuvres en prose qui citaient des inventions rimbaldiennes : Le Désert de l'amour de François Mauriac et Quoi ? L'éternité de Marguerite Yourcenar. J'ai hésité à citer un autre ouvrage que je n'ai pas encore lu et sur lequel j'ai encore un doute : A charge d'âme de Romain Gary. Je traiterai de ces trois ouvrages un jour ou l'autre, j'espère. Puis, je me suis lancé dans une idée d'anthologie épurée de recueils poétiques du XXe siècle. J'ai oublié de citer Hélène Dorion dont je ne comprends évidemment pas comment sa poésie peut être mise à côté des poésies de jeunesse de Rimbaud au programme du baccalauréat de français. J'ai parlé de ce qui ressortait avec évidence pour moi, le style proustien de Jaccottet dans le dernier tiers au moins du vingtième siècle, et notamment dans Cahiers de verdure, mais j'ai oublié du coup de citer dans ce même recueil de Jaccottet les passages qui me semblent bien s'inspirer de Rimbaud et notamment de "Mémoire". Et puis, aujourd'hui, j'ai relu le recueil Les Mains libres de Paul Eluard et Man Ray. Je possède plusieurs recueils d'Eluard publiés dans la collection Poésie Gallimard : Capitale de la douleurL'amour la poésieLa Vie immédiateDonner à voir, mais le recueil Les Mains libres est très particulier, puisqu'il s'agit d'un recueil de poèmes qui illustrent des dessins de Man Ray. Le recueil se lit très vite en terrasse avec un petit vin blanc moelleux uby, en prenant le temps de regarder les dessins dont bon nombre sont érotiques et d'autres dans la continuité de Picasso et des peintres liés au courant surréaliste.
Les poèmes sont très courts et objectivement ils ne sont pas très beaux. Ils ont beaucoup de défauts d'un écrit court mal pensé, fait surtout pour épater, avec des tics d'écriture peu réjouissants. Mais la dynamique d'échange entre les dessins et les poèmes est réelle et profite à l'expérience de lecture. Je ne lirais pas les poèmes, ou plutôt je ne relirais pas avec plaisir les poèmes s'il n'y avait l'accompagnement des dessins.
Les dessins ont été composés en premier, c'est Eluard qui, par ses poèmes, vient illustrer, enluminer diront les rimbaldiens, les dessins de Man Ray. Le recueil est composé de deux parties numérotées en chiffres romains, deux parties où nous avons à chaque fois en vis-à-vis une page de dessin et une page avec un poème assez concis. Après ces deux parties I et II, nous avons une section intitulée "Sade" avec deux dessins de Man Ray et deux textes, ici clairement débiles, de Paul Eluard. Les deux dessins de Man Ray sont à peu près identiques, mais il y a des différences. Cependant, le premier semble passer la loupe sur une partie du dessin suivant. Sur le premier dessin, on a un dessin représentant un buste de Sade composé à partir de briques, avec en fond la Bastille. Eluard pond cette daube à côté : "On ne connaît aucun portrait du marquis de Sade, écrivain fantastique et révolutionnaire." Sur la double page suivante, le texte passe à gauche et le dessin refait est un agrandissement de la scène fournie dans le premier dessin. Eluard y parle avec bêtise de la bêtise : "Presque entièrement écrite en prison, l'oeuvre de Sade semble à jamais honnie et interdite. Son apparition au grand jour est au prix de la disparition d'un monde où la bêtise et la lâcheté entraînent toutes les misères." Il a lu Sade ? Il a trouvé les phrases magnifiques ? Il a trouvé que c'était une plume ? Il y a trouvé des perspectives saisissantes ? Enfin, bref !
Nous avons ensuite une section intitulée "Portraits" avec exclusivement des dessins de Man Ray, autrement dit sans illustration par des textes d'Eluard. Picasso, Eluard, Man Ray ou André Breton, "la fermme au bras cassé". et puis nous avons une section finale intitulée "Détail" qui offre quatre agrandissements de détails de quatre dessins contenus dans le recueil.
Avant les deux parties du recueil, nous avons un premier dessin qui suit la page de faux-titre, puis une préface de Paul Eluard qui bien que séparée du dessin liminaire semble s'en inspirer.
Le premier dessin montre une femme géante allongée sur les trois arches restants du médiéval pont d'Avignon avec la tête appuyée contre la chapelle Saint-Bénezet sur laquelle elle pose une main, tandis que ses cheveux ondoyants et longs coulent verticalement pour s'enfoncer dans le Rhône.
La préface est à un moment qui a de la gueule, ce qui me fait penser à la préface d'Henri Michaux à son recueil Epreuves, exorcismes 1940-1944. Je cite la préface d'Eluard :
 
   Le papier, nuit blanche. Et les plages désertes des yeux du rêveur. Le coeur tremble.
   Le dessin de Man Ray : toujours le désir, non le besoin. Pas un duvet, pas un nuage, mais des ailes, des dents, des griffes.
   Il y a autant de merveilles dans un verre de vin que dans le fond de la mer. Il y a plus de merveilles dans une main tendue, avide que dans tout ce qui nous sépare de ce que nous aimons. Ne laissons pas perfectionner, embellir ce qu'on nous oppose.
   Une bouche autour de laquelle la terre tourne.
   Man Ray dessine pour être aimé.
                                                               P. E.
 
  Le discours est assez complaisant et il s'agit clairement de séduction manipulatrice. Je ne suis pas très friand de ce genre d'hypocrisie. Le premier alinéa renvoie pour moi clairement au dessin liminaire que je vous ai décrit. L'amorce est banale, rappelant Mallarmé en moins bien. Il y a une bonne progression paradoxale dans "des ailes, des dents, des griffes", on reconnaît un lieu commun d'Eluard dans "Une bouche autour de laquelle la terre tourne" et on a une bonne comparaison habile entre le verre de vin et le fond de la mer. C'est poétiquement pas mal, malgré quelques défauts, même si ça ne se prétend pas un poème.
Passons aux dessins illustrés de poèmes. Parfois, les titres des poèmes sont dans les dessins, mais en général non. Par commodité, j'utiliserai le titre pour dessins et poèmes. "Fil et aiguille" est un très beau dessin de Man Ray avec une conceptualisation artiste : un fil passe par le chas d'une aiguille et retombe des deux côtés au sol en prenant la forme approximative d'une silhouette de femme, cela sur fond d'un décor avec prairies et montagnes. L'interprétation d'Eluard me paraît à côté de la plaque :
 
Sans fin donner naissance
A des passions sans corps
A des étoiles mortes
Qui endeuillent la vue.
En clair, Eluard s'est concentré sur la suggestion fantomatique de l'aiguille et du fil en se détournant du signifié du paysage qui ne sert plus qu'à justifier le dernier hexasyllabe : "Qui endeuillent la vue."
Je vous épargne un commentaire du texte "La Toile blanche", puisque je ne saurais rendre ici une bonne idée du dessin. Je trouve le poème en vers libres assez poseur pour pas grand-chose :
 
La faim le froid la solitude
Qui se méfient des asiles
 
Du blé fiévreux des morts.
 Le titre "L'Evidence" est inscrit au bas du dessin suivant qui fait inévitablement songer à Picasso. Nous avons un unique oeil et un unique sourcil au milieu de la figure féminine qui n'a pas de contour par elle-même, puisqu'il résulte de l'apposition de fumées d'un côté, de flammes de l'autre, si je comprends bien, sur lesquelles se superposent des mains en suspension qui tendent vers... elle. Il y a un collier serré qui interpelle un peu en-dessous du cou. Le poème d'Eluard est bien tourné, mais là encore ça ne colle pas vraiment aux détails de l'illustration.
Ensuite, nous avons "Château abandonné". Man Ray a représenté trois étages de bâtiments qui n'ont pas l'air d'être le même immeuble, mais Eluard a improvisé une idée plaisante là-dessus :
 
La langue partit la première
Puis ce fut au tour des fenêtres
 
Il n'y eut plus que mort fondée
Sur le silence et sur l'obscurité.
 
Le premier distique me ravit avec la force du second octosyllabe qui complète si joliment le premier.
Je ne vais pas tout vous commenter. Pour "C'est Elle", Eluard reprend le texte écrit en gros sur le dessin pour en faire une anaphore. Les poèmes "Le Désir" et "La Glace cassée" ne sont pas pour leur part des plus inspirés, ni "Objets". "Le Don" l'est nettement plus, mais c'est causé par un dessin de nu.
Viennent ensuite trois superbes dessins de Man Ray : "La Lecture", "L'Aventure" et "L'Angoisse et l'inquiétude". J'aime beaucoup celui de "L'Aventure", sous un fronton triangulaire de temple grecque, une femme en robe ample grecque se couvre le front avec le bras pour se protéger du soleil. Le fronton est en suspension et la femme séparée du monument est à l'endroit où on attendrait une cariatide qui fait angle. Il y a une petite tache obscène à un endroit précis de la jupe qui confirme un peu plus maladroitement une lecture érotique de l'image, mais pour le reste il y aurait encore d'autres beaux détails à commenter tant ce dessin est inspirant.
Pour le poème "La Lecture", je me suis demandé si Eluard avait pensé à l'étonnante variante "pudeur Paris" pour "putain Paris" dans "Paris se repeuple" de Rimbaud :
 
Au centre de Paris
La pudeur rêvassait
 
[...]
 Le poème a des qualités caractéristiques de la manière d'Eluard et se termine sur un dernier vers pensé :
 
Au centre de Paris
La pudeur rêvassait
 
Le bouquet du ciel sans nuages
Dans un vase de maisons noires
 
Quand elle n'a pas le temps
Elle n'en est que plus belle
 
On n'en finit pas d'apprendre
Le ciel ferme la fenêtre
Le soleil cache le plafond.
 Je lis et j'apprécie le poème essentiellement pour lui-même, mais il y a des liens minimalistes avec le dessin de Man Ray qui représente une femme qui lit un livre ou plutôt un ensemble de feuilles qu'elle a dressée à hauteur de son visage, ce qui fait écran. Un oeil est visible sur le côté des feuilles tout de même et on comprend que la lecture est absorbante. Il y a certaines torsions de la représentation du port de tête et de la main, la main pas très belle adopte une allure gracieuse, très recherchée, avec de longs doigts fins. A cause de la broche dans les cheveux et du flou des contours de l'oreille, je me suis demandé si le visage n'était pas un masque. L'idée de pudeur et celle réorientée de "centre" viennent de l'écran des feuilles sur le visage. L'attitude de la lectrice ne me semble pas rêvasseuse néanmoins. La formule "quand elle n'a pas le temps" suppose que la lectrice dresse le texte en refusant de s'intéresser à nous. Le "On n'en finit pas d'apprendre" est encore une autre façon de comprendre le dessin, et là on note l'hétérogénéité maladroite d'Eluard dans les passerelles qu'il établit avec le dessin support de sa création. Dans la relation au dessin, le vers final "Le soleil cache le plafond" prend un autre sens. Le deuxième distique est assez inexplicable quand on le rapporte au dessin, même si "bouquet de ciel sans nuages" est sans doute l'idée du visage qu'on aimerait surprendre. Je préfère lire le poème pour lui-même d'un côté et apprécier le dessin ensuite. Notons qu'en guise de texte Man Ray s'est contenté de triples lignes horizontales disposées en alinéas.
Les dessins "La Lecture" et "L'Aventure" se succèdent en rimant par leurs titres, et on peut aussi derrière leurs apparents contrastes les rapprocher. Les deux femmes tendent à se cacher le visage, même si l'une est autrement à découvert que l'autre. Pour "L'Angoisse et l'inquiétude", deux mains sans corps avec bracelets et bagues pour celle de femme, alliance et ficelle-bracelet pour celle d'homme. Les mains se croisent derrière un pot contenant une plante à longue tige avec une anomalie, la tige est effacée au niveau des mains avec une branche cassée avant de repousser au-dessus et de s'épanouir avec de grandes feuilles tombantes.
Voici le distique d'Eluard qui joue sur une répétition pour le coup rythmique :
 
Purifier raréfier stériliser détruire
Semer multiplier alimenter détruire.
 J'aime beaucoup aussi le dessin et le poème sous le titre "Les Tours du silence". Le poème coquin "J." est assez amusant, il illustre un dessin de femme dont les seins repoussent le chemisier se donnant à voir à côté d'une horloge où il est écrit 3 septembre 1936.
 
Elle se forge son travail
Avec des métaux indolents.
Suit le poème qui donne son titre au recueil "Les Mains libres", mais je trouve le dessin et le distique qui l'accompagne assez faibles d'intérêt.
Puis, nous avons un dessin assez détaillé qui a donné à Eluard l'idée d'un quatrain intitulé "L'Arbre-rose" et où, au dernier vers, on a un bon aperçu des jeux sémantiques propres à ce poète : "La rosée brûle de fleurir."
Un autre ensemble poème et dessin, plus loin, qui m'a marqué, c'est "Le Tournant". Je crois reconnaître le passage du train à Anthéor dans le massif de l'Estérel entre Cannes et Saint-Raphaël. Il y a aussi la route, et une main s'agrippe à la paroi rocheuse révélant la présence d'une personne jouant à se cacher derrière le virage et nous attendant. Le poème d'Eluard me semble complètement manquer le sens du dessin, puisque l'idée serait plutôt que le spectacle à couper le souffle qui se découvre à chaque virage est digne de personnification et de fantasme. Eluard a simplement fourni ceci :
 
J'espère
Ce qui m'est interdit.
 Je suppose que dans une certaine logique collective propre à des artistes liés au surréalisme il n'y a pas eu de concertations, censures, recadrages, dans le travail d'illustration des dessins par des poèmes. J'ai l'impression qu'on joue un peu au cadavre exquis, même si ici Eluard connaît les dessins. Pour moi, il y a des ratés dans l'interprétation des dessins ou des libertés prises qui ne leur rendent pas toujours une pleine justice.
Pour "Nu", le dessin a l'intérêt de figurer deux ailes d'oiseau en lieu et place de seins. Je vais arrêter de commenter, j'estime avoir donné une certaine idée du recueil et de ce que je pense de la rencontre entre les dessins et les poèmes. Je vais quand même faire quelques remarques sur "Rêve" : le dessin représente une zone limite entre en bas une étendue de nature assez petite avec un pont, des chemins et de petits voitures, puis de l'autre côté d'une grande route, on a d'immenses immeubles bien verticaux et modernes, et puis un train en l'air, retourné et sans rails qui semble être propulsé par-dessus les immeubles et qui va atterrir dans le calme paysage. Ce dessin et le poème me font penser à des lectures des premières bandes dessinées américaines. Dans son poème, Eluard, qui semble avoir été déstabilisé dans l'interprétation, a ajouté la tour Eiffel "penchée". Il résout cela en désinvolture avec un dernier vers qui me fait penser encore une fois à une planche connue de bande dessinée précoce américaine avec l'enfant qui tombe à bas du lit :
 
Petit jour
Je rentre

La tour Eiffel est penchée
Les ponts tordus
Tous les signaux crevés
 
Dans ma maison en ruine
Chez moi
Plus un livre
 
Je me déshabille.
 Je recommande aussi la lecture de "La Plage" en regard de son dessin.
J'aime beaucoup le monostiche "L'Attente" qui commente le dessin de deux mains tenant non du fil à coudre, mais des toiles d'araignée : "Je n'ai jamais tenu sa tête dans mes mains." C'est un au-delà du dessin assez fendant.
Le dessin suivant est une suite avec le poème "Des nuages dans les mains".
"Les Tours d'Eliane" est particulièrement obscène dans l'ensemble formé par le dessin et son commentaire de poème.
Mais revenons à "Nu" !
Le dessin représente un être qui peut faire songer à un hermaphrodite puisqu'il a des ailes au lieu de seins. L'androgynie est posée par le poème d'Eluard qui s'intitule "Nu" au masculin.
Vous connaissez le poème "Being Beauteous" de Rimbaud ? Il est suivi par un bref poème sous trois croix séparatrices "Ô la face cendrée...", mais vers 1935-1937 les deux poèmes étaient imprimés comme un seul poème. La séparation des deux n'avait pas été comprise.
C'est pour cela que je pense que le poème suivant avec sa subdivision au moyen d'une unique astérisque est une allusion à cette page des Illuminations réunissant "Being Beauteous" et "Ô la face cendrée..." et je vois même avec l'impératif "Prends" garde", l'androgynie et l'allitération en "t" une allusion à "Antique" qui est dans le voisinage de ces deux poèmes justement.
 
 
                   NU
 
Prends garde on va te prendre ton manteau
Ton lit le tuteur de tes nuits
Ton manteau et ton lit 
Tes prairies blondes et la lueur
Des lèvres que tu aimes
On va t'enlever cette assurance ces ressources
Qui te donnent des ailes
Immobiles
 
Même tes belles larmes.
 
                     *
 
Au pays des figures humaines
On s'apprête à briser ta statue ridicule.
 Il y a un autre cas seulement dans ce recueil où Eluard semble avoir mis deux poèmes courts pour commenter un dessin de Man Ray. Nous avons un dessin un peu à la Picasso, mais sans trop d'absurdités, avec une tête de femme inclinée les yeux fermés un nuage contre la tempe, des cheveux longs et une main levée sur le côté, par-dessus une ligne vague de maisons aux toits ronds avec trois fenêtres qui n'en sont peut-être pas. Je pense que c'est plutôt un dessin des remparts d'Avignon vu de l'intérieur des remparts. et que les fenêtres n'en sont pas ni ne sont des meurtrières, mais des renfoncements dans les murs. Enfin, ce n'est pas clair... Mais le poème s'intitule deux fois "Avignon", puisque nous avons ce titre, un distique, ce titre, un groupe de trois vers libres.
 
                AVIGNON
 
Le calendrier aboli
Nous fûmes seuls au rendez-vous.
 
               AVIGNON
 
Nous ne sommes restés qu'un moment à Avignon
Nous avions hâte d'arriver à l'Isle-sur-Sorgue
Où René Char nous attendait.
 
 Là, le lien au dessin est assez ésotérique et je n'ai pas très bien compris ce qui motivait de penser à Avignon, puisque je pense qu'il y a un dessin des remparts, uniquement par esprit de déduction, sans perdre de vue un lien avec le dessin liminaire qu'Eluard a visiblement sous-exploité du côté de la figure féminine.
Voilà ! cet article plus original vous aura-t-il plu ? Je vais publier d'autres études de l'influence de Rimbaud sur les poètes et écrivains du vingtième siècle. J'ai de la matière.

mardi 11 novembre 2025

Pour une anthologie épurée de recueils de poésies du XXe siècle

Le nom pompeux est lancé. Lançons-nous.
J'essaie de sélectionner ce qu'il y a de meilleur dans la poésie de langue française du vingtième siècle. Le catalogue de la collection Poésie Gallimard va me servir de base de départ.
 
Guillaume Apollinaire devrait être sur le podium, mais il faut l'avouer, ce n'est que pour un seul recueil Alcools. Je n'ai pas du tout la même considération pour Calligrammes et Poèmes à Lou.
 
Louis Aragon a lui aussi de bonnes chances de figurer sur le podium, mais là encore ça se discute. Son principal recueil n'est pas dans la collection Poésie Gallimard : Les Yeux d'Elsa. J'ignore comment il a pu se faire hypnotiser autant par Elsa Triolet, mais Le Fou d'Elsa est indigeste. Je vais bientôt me procurer Elsa, mais sans grande conviction. J'ai aussi Le Crève-coeur et Le Nouveau Crève-coeur. Mais il y a donc quelques recueils importants à trouver ailleurs que dans notre catalogue de départ.
 
Premier joker : Antoni Artaud L'Ombilic des limbes. C'est indigeste, on l'achète dans la mesure où il a eu son heure de gloire, mais bon...
 
Deuxième joker : Yves Bonnefoy, je n'en pense pas grand bien, mais comme il a eu un écho dans les études rimbaldiennes, on fait un effort le volume Poèmes préfacé par Jean Starobinski "De l'immobilité de Douve", etc. Je le répète, ça ne vaut pas tripette.
 
Doit-on acheter un volume d'André Breton ? Non.
 
Troisième joker : Blaise Cendrars. On a désormais ses poésies complètes dans le volume Du coeur du monde au monde entier, mais l'ancienne édition de ses débuts suffit amplement. Il faut connaître pour l'histoire de la poésie "La prose du transsibérien" et "Pâques à New York", après ce que ça vaut, c'est un peu léger.
 
René Char :
Cette fois, on a enfin un poète qui tient le coup sur plusieurs recueils, mais malheureusement il est plus intellectuel que lyrique en poésie. Je recommande tout de même Les Matinaux comme Fureur et Mystère, puis si on aime on poursuit.
 
Doit-on acheter un recueil de Paul Claudel ? Moi, je n'en vois pas l'intérêt.
 
Paul Eluard :
Il y a un certain charme. Capitale de la douleurL'Amour la poésieDonner à voir, ou Les Mains libres avec les dessins qui accompagnent, ou bien La Vie immédiate. Je vais le lire et relire attentivement prochainement, je réserve toujours un peu mon jugement décisif bien sûr.
 
Léon-Paul Fargue : Epaisseurs suivi de Vulturne. Je devrais mettre ça en joker, mais en gros sa prose est une bonne singerie rythmique de la prose rimbaldienne.Il n'est pas poète comme Rimbaud, mais je pense étudier de très près les ressorts prosodiques de ce qu'il a exhibé.
 
Philippe Jaccottet :
 Poète pas mal. Il pose à nouveau le problème qui est celui d'Aragon ou d'Henri Michaux de recueils qui sont à chercher ailleurs que dans la collection Poésie Gallimard. Je voudrais lire les recueils La Semaison II, etc. Je les ai déjà eus dans les mains, mais ça date.En Poésie Gallimard, il me pose problème. Il y a son premier recueil, le plus intéressant qui s'intitule Poésie (1946-1967), c'est celui qui s'apparente le plus à un recueil de poésies. Après, il y a trois volumes un peu particulier : Paysages avec figures absentesA la lumière d'hiver et Cahier de verdure. Il confond la poésie avec une prose raisonneuse, mais je goûte assez bien cette prose malgré tout. Mais je me demande où en sont les spécialistes qui commentent la poésie de Jaccottet. Cahier de verdure ne correspond pas aux sources d'inspiration qu'on signale à l'attention, il s'agit très clairement d'une démarcation du phrasé proustien d'A la recherche du temps perdu, avec un peu plus de correction grammaticale que ce pataud de Proust et finalement une sensibilité rythmique plus aboutie, mais je voudrais travailler là-dessus, parce que pour moi c'est un problème de perception de ce qu'est la poésie qui se joue là, et en même temps j'admets la force prosodique de la prestation. Le style proustien apparaît aussi dans les autres écrits en prose, mais Cahier de verdure est celui qui s'en ressent le plus nettement.
 
Henri Michaux :
Un poète qui pose problème, tout comme Jacques Prévert. Jacques Prévert a de très bons joyaux d'imagination lyrique, mais pour le plaisir de lire ce n'est pas vraiment ça. Henri Michaux pose un problème similaire. Le but en s'intéressant à Michaux, c'est d'éviter de rater une expérience particulière par sectarisme. Moi, je pense que ce n'est pas de la bonne poésie, mais il y a des textes attachants. Evidemment, on retrouve le problème de recueils qui ne sont pas tous en Poésie Gallimard et comme le tout venant je n'ai pas cherché, puisque moi ce qui m'intéresse c'est le XIXe siècle. J'ai plutôt bien aimé Plume suivi de Lointain intérieur. Là, j'ai Epreuves, exorcismes. Alors, sans trouver cela poétique en prosodie, j'aime bien le début. J'aime beaucoup la préface, je ne boude pas la curiosité du un peu grotesque "Immense voix", j'aime bien les deux poèmes encore qui suivent dans leur originalité de taré : "Lazare, tu dors ?" et "Année maudite", mais après ça tombe dans l'ennui avec des effets de manche pas toujours heureux : "oubliant les tenailles de mon mal tenace" dans "Les équilibres singuliers". Ses poèmes à base de néologismes, oui c'est pas mal parce qu'il fallait que ce soit fait, mais à un moment le masque tombe. C'est un peu un frimeur.
 
Joker : Francis Ponge La Rage de l'expression et Le Parti pris des choses. Je n'aime pas vraiment, je lis les poèmes et je comprends plein de finesses, c'est très travaillé, c'est plein d'esprit, mais je me dis à un moment donné que c'est un peu un jeu assez vain. Je me confronte à du bricolage génial, mais du bricolage à la fin.
 
A réexplorer Jacques Réda : je l'ai lu il y a tellement longtemps qu'il faut absolument que je me refasse une opinion sur Les Ruines de Paris ou Amen, Récitatif, La Tourne. Il ne sera pas sur le podium, mais faut que je m'y replonge quand même.
 
Pierre Reverdy :
Il n'est pas parfait, mais j'ai eu beaucoup de plaisir jadis à lire Flaques de verre en Garnier-Flammarion, je l'ai toujours, et en Poésie Gallimard Plupart du temps et Sable mouvant. Mais aujourd'hui que je suis plus exigeant et plus fixé sur les questions de poésie, il faut que je reprenne ça à bras-le-corps. De fait, c'est un poète du vingtième siècle que j'ai lu plus souvent que la plupart des autres.
 
Joker : Saint-John Perse. Il a une certaine cote parmi les lettrés. On est bien dans un bain de poésie. Moi, je ne suis pas dedans. Il me laisse perplexe, je vais reprendre ça, mais je n'en fais pas une priorité. Je pense surtout à Eloges et Anabase.
 
Saint-Pol Roux : La Rose et les épines du chemin. Je n'ai plus ce recueil, mais j'ai plutôt un bon souvenir de ce poète.
 
Victor Segalen : Stèles. C'est assez intéressant dans l'idée, il y a une conduite, ça en vaut la peine. Je l'ai aussi en gros volume chez Robert Laffont avec d'autres textes.
 
Jules Supervielle : ce n'est pas l'expérience la plus intense, mais j'aime bien les deux recueils que je connais de lui Le Forçat innocent et Gravitations.
 
Paul Valéry : le recueil Poésies avec Charmes. On le dit artificiel et qui veut trop en faire, mais moi je trouve qu'il a ce qu'il manque à l'histoire de la poésie du vingtième siècle une maîtrise prosodique époustouflante.
 
Il y a pas mal de jokers, mais que fait Batman ?
Alors, vous allez me demander ce que je pense d'autres poètes. J'ai déjà fait entendre que Prévert me posait problème, même s'il y a des jeux de l'imagination savoureux, faites-vous un joker avec Paroles, mais sinon non je ne vous recommande pas spécialement les poètes suivants : Jacques Audiberti, Georges Bataille, Christian Bobin, Alain Bosquet, Joë Bousquet, Michel Butor, Roger Caillois, Aimé Césaire, François Cheng, Georges-Emmanuel Clancier, Jean Cocteau, Jean-Paul de Dadelsen, René Daumal, Michel Deguy, Robert Desnos, André du Bouchet, Jacques Dupin, Jean Follain, Maurice Fombeure, André Frénaud, Lorand Gaspar, Jean Genet, André Gide, Edouard Glissant, Guy Goffette, Jean Grosjean, Guillevic, André Hardellet, Edmond Jabès, Max Jacob, Ludovic Janvier, Alain jouffroy, Pierre jean Jouve, Patrice de La Tour du Pin, Valéry Larbaud, Michel Leiris, Henry Jean-Marie Levet, Georges Limbour, Pierre Louÿs, Pierre Mac Orlan, Jean-Michel Maulpoix, Gaston Miron, Bernard Noël, Marie Noël, Norge, Benjamin Péret, Georges Perros, André Pieyre de Mandiargues, Catherine Pozzi, Raymond Queneau, Pascal Quignard, Lionel Ray, Denis Roche, Jules Romains, Jacques Roubaud, Claude Roy, Robert Sabatier, André Salmon (je l'ai acheté à nouveau, mais je n'en pense pas moins), Philippe Souplaut, Jude Stéfan, Jean Tardieu, André Velter, Jean-Pierre Verheggen, Louise de Vilmorin.

Il y en a un petit nombre que je n'ai pas lu ou dont je ne me souviens de rien.
J'ai lu aussi Anna de Noailles, Léopold Sedar Senghor, etc., chez d'autres éditeurs, ce n'est pas l'extase non plus. Henri de Régnier, je devrais le lire à cause d'un poème en vers libres avec l'anaphore "je veux" qui m'avait marqué dans le Lagarde et Michard. Paul Morand, j'aime bien sa plume dans un récit Venises qui n'est pas de la poésie, mais je n'ai pas lu ses poèmes. Charles Péguy, c'est un peu répétitif, faudrait que j'essaie vraiment. Maurice Maeterlinck, sa poésie non, mais j'ai eu la surprise de trouver ses pièces de théâtre intéressantes avec une valeur de précurseur sur Beckett, Ionesco et consorts, une intitulé Intérieur je crois. Verhearen, je l'ai laissé dans la poésie du XIXe siècle, c'est pas trop mal. Faudra que je creuse Toulet et Jammes sinon.
Je trouve le bilan accablant. Et en Orphée La Différence, je vous allongerais considérablement la liste des poètes du vingtième siècle que je ne veux pas lire. Actuellement, il y a le poète ouvrier Thierry Metz qu'on nous vend, mais bon je le mets dans la liste au rebut. Houellebecq, pareil. Un jour, on m'a dit qu'il était plus poète que romancier : je n'ai pas répondu.

mercredi 5 novembre 2025

La liberté libre : Rimbaud et la littérature du vingtième siècle

On fait de Rimbaud le père d'une poésie nouvelle, mais en tant que personne qui cherche à comprendre sa poésie je découvre que je me suis plutôt spécialisé dans la lecture de ceux qui l'ont précédé et quand j'essaie de m'en corriger je n'arrive qu'à me dire que j'ai profondément raison.
En ce moment, mon blog connaît une activité remarquable avec tout ce que je révèle sur l'influence de la poétesse Marceline Desbordes-Valmore sur plusieurs poèmes de Rimbaud et Verlaine : les "Ariettes oubliées" I, II et bien sûr IV du recueil Romances sans paroles, "L'Aveu permis" comme source à "Comédie en trois baisers". Je justifie petit à petit l'influence de poèmes de Desbordes-Valmore sur "Larme", en mobilisant le recueil des Poésies inédites, les échos du côté de Verlaine, les poèmes en vers de onze syllabes eux-mêmes et j'ai d'autres développements qui viendront en leur temps et là sur "Bannières de mai", je montre que le renvoi à la romance "C'est moi" cité précisément par Rimbaud au dos de la seconde version connue de ce poème permet de mieux envisager le sens des "Fêtes de la patience" et de la première d'entre elles notamment. Je pensais il y a peu à comparer la clef dans Une saison en enfer et la métaphore de la clef de lecture dans une préface des environs de la décennie 1980 pour un recueil de contes pour enfants, mais je n'ai rien mis en ligne pour l'instant. Je pensais aussi au conte La Reine des neiges d'Andersen dont le récit n'a rien à voir avec le film de Walt Disney et sa chanson ou rengaine radicalement insupportable qui a pu se propager sur les réseaux. Il y a un mot que l'un des personnages est mis au défi d'écrire qui est celui d'éternité. J'ai aussi souligné que le récit des "Etrennes des orphelins" démarquait celui de la petite fille aux allumettes pourtant connu de tous aujourd'hui. Finalement, les goûts affichés dans "Alchimie du verbe" avaient une certaine sincérité. J'ajoute que je développe l'idée que le manuscrit de "Voyelles" remis à Emile Blémont devait, fatalement comme on dit parfois par tic dans les échanges oraux en Belgique, être prévu pour une publication dans la revue La Renaissance littéraire et artistique, et je pense que les "Fêtes de la patience" en mai et juin 1872 étaient la deuxième phase du projet. En effet, la revue va publier sur le tard un poème hivernal qui a un segment en commun avec "La Rivière de Cassis", donc "Voyelles", "Les Corbeaux" et peut-être "Oraison du soir" furent les premiers poèmes confiés à la revue, tandis qu'au retour de Rimbaud en mai, vu que Verlaine était publié pour un, puis un deuxième poème, il semble évident que, malgré l'incident Carjat et les dos qui se tournent, c'était la voie normale pour se faire admettre en tant que poète. Les vers "nouvelle manière" n'ont pas de contenus politiques ou obscènes, du moins rien d'explicite la plupart du temps, et Rimbaud tentait alors de s'imposer par un autre mode de provocation avec la forme des rimes et des vers. Je pense clairement que "Fêtes de la patience" entre en résonance avec le titre de la revue. Et cela conforte ce que j'avance sur "Voyelles", c'est-à-dire une influence maximale jusque-là insoupçonnée d'Armand Silvestre, le protégé de George Sand. Le sonnet "Voyelles" contient une rime "belles"/"ombelles" reprise à un poème du début des Contemplations qui va de pair avec la mention "Suprême Clairon" qui cite à l'envers le "clairon suprême" de "La Trompette du Jugement", poème final du recueil La Légende des siècles de 1859, recueil dont il ne vous aura pas échappé que l'Université le dédaigne dans la mesure où il s'agit de poésies fournissant bien souvent des émerveillements de contes pour enfants. Rimbaud a aussi employé "latentes" à la rime parce que cet adjectif est à la rime dans un poème de Silvestre, l'auteur de "sonnets païens" vantés par George Sand et Rimbaud montre s'être intéressé au second recueil plus actuel de l'auteur toulousain, à savoir le recueil intitulé Les Renaissances, et Rimbaud a dû faire le rapprochement à un moment ou l'autre avec le nom de la future revue La Renaissance littéraire et artistique, puisqu'il était depuis plusieurs mois dans le secret du Coin de table. A propos de "Bannières de mai", je suis allé tout à l'heure lire rapidement le commentaire de Bardel sur son blog, ce qui me permet de calmer mon envie de relire immédiatement l'étude de Bernard Meyer, puis celle de Christophe Bataillé. Je note que pour le deuxième vers Bardel n'est pas sûr de devoir donner raison à la lecture de Meyer, alors que pour moi il est évident que "Meurt un maladif hallali", c'est une inversion alambiquée digne de "hydrolat lacrymal" pour dire la mort du mortifère hiver. Rimbaud souligne le cycle vie et mort en évoquant la mort de la mort pour le dire autrement. Mais, plus loin, à propos du mariage du ciel et de l'onde, Bardel cite en termes méprisants un passage de George Sand, lui préférant Hugo, ce qui n'est pas difficile, mais justement citer Sand c'est citer aussi la marraine d'Armand Silvestre et ça me donne raison sur les liens que j'entrevois entre "Voyelles" et les "Fêtes de la patience" au plan des symboliques mobilisées.
J'ai un peu l'impression de parler dans le vide. Très productif actuellement, je vois que la quantité de lecteurs article par article en pâtit, mais je constate aussi dans le profil des lectures de mes articles que parfois ce que je trouve le plus important ne l'est pas pour mon public, car je constate un tassement pour les articles sur Desbordes-Valmore. Il faut que je trouve un remède au manque d'intelligence de mes lecteurs. Il n'est pas sûr que je trouve, mais le problème est posé. Et puis, j'en reviens au problème de la littérature après Rimbaud.
Rimbaud a inventé le vers libre moderne. Je rappelle que Verlaine parle à deux reprises de vers libres pour les poèmes en vers nouvelle manière et que Philippe Martinon entre le XIXe et le XXe siècle définissait autrement que nous le terme de vers libre. Ceci dit, dans la troisième édition de leur traité de versification paru en 1897, Le Goffic et Thieulin définissent le vers libre à peu près comme on l'a fait tout au long du dix-huitième siècle, même s'ils en précisent l'origine italienne et l'influence sur certains poètes classiques, et ils parlent de l'invention du vers libre moderne véritablement émancipé en citant déjà comme ses deux inventeurs possibles Marie Kryzinska et Gustave Khan. Le débat entre les deux n'a pas attendu le vingtième siècle. En réalité, Gustave Khan a pillé l'idée appliquée par Rimbaud dans "Mouvement", et on peut penser que Kryzinska aussi n'est pas très claire dans cette histoire. Notons que le vers libre moderne a été défini non par Rimbaud, mais par ceux qui l'ont trouvé chez lui et qui l'ont manié selon leur axe de compréhension.
Je ferai un second article sur le traité de Thieulin et Le Goffic, parce que c'est un vrai sujet. Le vers n'a plus aucune mesure syllabique dans ce système moderne, du moins à partir de Kahn et Kryzinska, puisqu'il faut écarter "Mouvement" et "Marine" de Rimbaud. Pour moi, "Mouvement" est le seul poème pensé en vers libres par Rimbaud, sauf que la syllabation compte plus qu'il n'y paraît, "Marine" est proche de "Mouvement" mais n'est pas en vers libres, mais ce n'est pas un sujet à débattre ici.
Et, moi qui ai toujours aimé lire de la poésie, je dois rendre compte ici de ma difficulté à apprécier la poésie en vers libres du vingtième siècle. Je peux lire ces recueils en les empruntant dans des bibliothèques ou bien je pouvais par le passé, quand la poésie se vendait encore, passer du temps à consulter les recueils des collections Poésies Gallimard ou Orphée La Différence, ainsi que de quelques autres éditeurs s'accrochant encore et étalés sur les tables et rayons de la librairie Ombres blanches à Toulouse dans les années 1990, sinon jusqu'en 2010 à peu près. Et le problème, c'est que j'ai très souvent l'impression de lire du charabia, de lire des improvisations débilitantes de gens qui tentent à grand-peine de racoler le lecteur avec des effets de manche, avec l'expression de leur surprise, extase, tristesse devant des choses simples et des mots dérisoirement nus. J'ai l'impression que les retours à la ligne ne riment à rien et que le rythme ne ressemble à rien, et partant ne témoigne d'aucun souffle inspiré. Et ces productions infiniment pédantes publiées abondamment ont certainement contribué à une lassitude et à un manque de foi du public même qui désirait pourtant de la poésie.
Là, j'essaie de voir jusqu'à quel point je peux obtenir un catalogue des poètes et recueils publiés dans la collection Poésie Gallimard parce que je prévois de faire un récapitulatif de tout ce que j'ai lu pour trier le bon grain de l'ivraie et faire un état des lieux. Je me suis par le passé défait d'un grand nombre de mes volumes de poésies du vingtième siècle, les folles intempéries m'y ayant aidé, etc. Depuis peu, j'essaie de me refaire une collection de ce que j'estime en valoir la peine. Ou je donne une nouvelle chance à des recueils que, par le passé, j'avais lu en bibliothèque et qui ne m'avait pas déplu. Avignon me permet un accès intéressant, malgré tout, à de tels ouvrages. Je peux même feuilleter parfois d'un coup quelques dizaines de volumes de la collection Orphée La Différence, et je profite inévitablement de la chute libre du prix des livres d'occasion au format de poche. Là, j'ai entre les mains cinq volumes : Epaisseurs suivi de Vulturne de Léon-Paul Fargue, parce que singeant Rimbaud, même si le contenu est faible, il y a un rythme encore assez bien compris, Capitale de la douleur suivi de L'amour la poésie de Paul Eluéard, Le Crève-Coeur et Le Nouveau Crève-coeur car c'était du Aragon qui me manquait, Carreaux et autres poèmes d'André Salmon, car même si je trouve ce poète médiocre je voulais revenir dessus, Cahier de verdure suivi de Après beaucoup d'années, de Philippe Jaccottet, parce que la prose m'en paraît excellente à partir d'un petit sondage. Je vais continuer de la sorte, je parle des cinq derniers recueils que j'ai achetés, j'en ai d'autres, j'en lis en bibliothèque. J'ai envie de reprendre la main. Mais la contre-partie, c'est qu'il faut vous attendre à ce que je défonce massivement la poésie en vers libres du vingtième siècle, et je précise bien que je consulte quelques pages de nombreux recueils qui me tombent des mains tellement je trouve ça mauvais et risible. Je trouve ça important qu'un rimbaldien aguerri, que quelqu'un qui a des connaissances aussi vastes de la poésie du dix-neuvième siècle exprime le malaise qu'il ressent à la lecture des vers libres et même poèmes en prose du vingtième siècle.
Et si je ne le fais pas aujourd'hui, vous pouvez déjà sentir toute l'ironie du titre de mon présent article quand j'emploie l'expression "liberté libre" en songeant au vers libre et à la poésie en prose des singes qui descendent de Rimbaud.
Dans le recueil d'André Salmon, il y a justement un poème qui s'intitule Arthur Rimbaud et qui commence par une citation de Verlaine : "MORTEL, ANGE et DEMON, poète et baladin," et j'en parlerai dans l'avenir... Rires.
Dans le Dictionnaire Rimbaud dirigé par Vaillant, Frémy et Cavallaro aux éditions Classiques Garnier, j'avais été frappé par la sélection des notices portant sur des écrivains du vingtième siècle. Je trouvais que la sélection était assez aléatoire et que certaines lacunes étaient criantes. Je citais à l'époque l'absence de notice sur François Mauriac, lequel a écrit un roman Le Désert de l'amour dont le titre est un décalque de celui au pluriel de Rimbaud pour un ensemble poétique en prose. Je peux citer aussi Marguerite Yourcenar qui a écrit un livre intitulé Quoi ? L'éternité ! Je n'ai pas encore ce livre, ni La Couronne et la lyre, mais je les possède déjà, tout comme L'Oeuvre au noir et Mémoires d'Hadrien.
Dans le Dictionnaire paru en 2023, voici les auteurs du vingtième siècle qui ont leur notice : Maurras (que je n'ai jamais lu), Louis Aragon, André Breton, Paul Claudel, Léo Ferré, Anatole France (dont je ne comprends pas le rapport avec Rimbaud, que j'ai lu en me forçant), Julien Gracq (sur lequel j'aurais des choses à avancer, mais que je ne trouve pas si mémorable que ça), Max Jacob (lequel détestait Rimbaud et n'est pas un poète si important dans la masse des poètes du début du vingtième siècle), Pierre Jean Jouve, Pierre Michon, Victor Segalen, Paul Valéry, Thomas Bernhard, Jean Cocteau, Le Clézio (je n'ai rien contre, mais bon), Aimé Césaire, Georges Pérec (??? ah oui ! La Disparition...), Pierre Reverdy, Yves Bonnefoy, René Vhar, Michel Deguy (trois notices par Jean-Michel Maulpoix qui est publié en tant que poète dans la collection de Gallimard), Benedetto Croce, Gaston Bachelard (mouais), Albert Camus (je veux bien, mais pour dire quoi ?), Gilles Deleuze (mouais), Martin Heidegger (???), Jean-Paul Sartre (heu ? pour dire quoi ?), Patti Smith (il est vrai que c'est le grand écart entre son intérêt dans le rock et ce qu'elle a à dire sur le poète), et je me rends compte que je n'ai pas relevé de notice sur Antonin Artaud, signe que la référence s'est démonétisée.
Et j'en viens à la question de la prose. Sur la prose aussi, il y a quelque chose à repenser. J'ai une prédilection pour les proses des siècles passés et notamment je lis une grande quantité de romans, récits, d'auteurs du dix-neuvième siècle, à quoi adjoindre la poésie en prose. Or, pour la littérature du vingtième siècle, je dois dire que je me régale à lire des romans du vingtième siècle, mais plutôt avant 1960 en gros, et j'ai des expériences de lecture qui me plaisent pour des romanciers fort obscurs et parfois aussi un plaisir à lire le secteur des romanciers qui jouent avec l'Histoire, et donc soit les expressions du passé, soit l'art consommé des belles descriptions fleuries. Evidemment, ce dernier genre littéraire est plus codifié et moins porteur. Je préfère lire du Hervé Bazin en tout cas que tout ce qu'on monte en épingle par des prix et des recommandations ces cinquante dernières années. Pour moi, il y a clairement eu une rupture qualitative et on nous fait réellement admirer de la pose et du concept bas-de-gamme. J'ai aussi ce ressenti-là avec le théâtre. L'auteur est un peu controversé si j'ai bien compris, mais objectivement j'ai du plaisir à lire La Guerre de Troie n'aura pas lieu ou Electre de Giraudoux, alors que j'ai beaucoup de mal avec les principaux dramaturges du vingtième siècle qu'on encense tous. Même le théâtre des Sartre, Camus, Ionesco, Beckett, Anouilh, Genet et compagnie, j'ai du mal à apprécier leur texte. Je vois bien toutes les finesses littéraires dans Fin de partie et En attendant Godot, mais je ne prends pas de plaisir avec des textes ainsi écrits. Lagarce, oui, il y a un travail, il y a des finesses, mais je ne vis pas pour autant une pleine expérience littéraire. J'ai un manque d'intérêt évident pour toutes ces manières d'écrire. Quand je lis un livre de Marguerite Duras, de temps en temps, je repère des phrases qui sont recherchées, qui ont leur finesse, mais je lis une masse littéraire qui m'assomme. Là, ça ne vient pas que de l'influence de Rimbaud, mais il y a globalement une sorte d'extase littéraire sans règle des phrases trop simples et sans rythme, ou sans vrai rythme, et ça m'ennuie. Et que je sois libre d'oser dire cette infortune.

mardi 4 novembre 2025

Actualités : "Bethesda" et édition fac-similaire des Illuminations

Le samedi 1er novembre 2025, sur son blog Rimbaud ivre, Jacques Bienvenu a mis en ligne un des plus importants articles qu'il ait jamais publiés : "Une information inédite pour les proses évangéliques". Ainsi, le fils de Pierre Petitfils a écrit une biographie de Jésus où il explique qu'en 1871 même des fouilles ont permis d'identifier à Jérusalem la piscine où Jésus est censé avoir accompli un miracle, piscine dont parle Rimbaud dans un texte en prose figurant sur l'un des brouillons connus d'Une saison en enfer. Je n'aurais jamais pensé à consulter ce livre du petit-fils d'un rimbaldien et comme beaucoup de rimbaldiens je n'ai pas donné la priorité à ces proses imitant les évangiles sur lesquelles on a bien du mal à arrêter un titre qui fasse consensus.
Les voies du rimbaldisme ne sont pas impénétrables, mais étonneront toujours.
La découverte même vient ensuite et là nous avions pourtant une amorce, puisque Renan est cité par Rimbaud dans "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" et dans la mesure où Yves Reboul, cité ensuite par Bienvenu, a montré que les proses imitant les évangiles s'inspiraient du livre Vie de Jésus d'Ernest Renan. Le livre de Renan s'inspirait d'un précédent livre allemand qui racontait déjà une vie de Jésus sous une forme plus laïque de personnage historique aux potentialités ordinaires, si je ne m'abuse, et Reboul faisait remarquer que Rimbaud parodiait les tours de Renan qui consistait à transposer le présent dans l'histoire passée de Jésus, avec une transposition de la mentalité protestante anglo-saxonne et avec des théories sur le climat : "L'air léger, etc." Je n'ai pas relu cet article récemment, je cite de mémoire. Il me semble que Bruno Claisse a écrit aussi deux articles sur Rimbaud et Renan, mais je n'en ai jamais lu qu'un seul sur les deux, si je ne me trompe pas d'auteur, et cela ne portait pas sur les proses imitant les Evangiles. J'aimerais toujours pouvoir lire les deux articles, celui que je n'ai pas lu doit faire partie d'un volume consacré principalement à Renan lui-même.
La découverte de Bienvenu, c'est qu'en janvier 1872 Renan a communiqué sur cette découverte (je ne le dis pas plus clairement pour vous laisser vous reporter à l'article de Bienvenu lui-même : cliquer ici pour ce faire ). Mon idée est qu'il y a du coup pas mal de sources à dénicher dans la presse d'époque aux proses souvent dites "contre-évangéliques" de Rimbaud. Il y a des enjeux pour mieux cerner l'époque de composition de ces proses, pour mieux cerner les intentions de Rimbaud qui, pour moi, sont bien sûr satiriques à l'égard tant de Renan que du Christ.
Il y a un unique commentaire pour l'instant en-dessous de l'article, d'un certain Alf, qui pense que ces textes imitant l'Evangile et Une saison en enfer sont mêlés et même à mêler parce que traversés par le même souffle. Il ajoute que l'édition originale d'Une saison en enfer comporte pas mal de pages blanches, "comme si quelque chose avait été retiré ou suspendu". et il ajoute qu'il pense que dans ces deux types de textes littéraires il y a les "mêmes tensions entre foi, révolte et désir de salut."
Je ne le crois pas ainsi.
Pour les pages blanches de l'édition originale d'Une saison en enfer, je ne me suis pas encore penché sur le sujet, et je n'ai plus le souvenir de ce qu'avançait Christophe Bataillé dans un article qui traitait pour partie cette question, mais je vais bientôt m'y pencher vu mon étude sur Bouillane de Lacoste éditeur de Rimbaud, puisque l'édition critique de celui-ci comporte des pages blanches, mais le résultat me semble différent.
En fait, pour moi, la solution pourrait être formulée par le texte même d'Une saison en enfer : même si le texte est imprimé et non manuscrit, il s'agit de feuillets arrachés à un carnet de damné. Je me demande si ce n'est pas le principe qui explique que chaque partie titrée commence au recto d'une nouvelle page et ce qui fait qu'il y a des pages blanches. Il est vrai qu'il y a aussi la question des pages blanches recto et verso. Je dois vérifier, mais en tout cas les pages blanches n'ont rien à voir avec des lacunes bien évidemment.
Ce qui m'intéresserait aussi, c'est un débat plus pointu sur la primauté des transcriptions. Rimbaud a-t-il réutilisé les brouillons d'Une saison en enfer ou bien a-t-il écrit les brouillons de la Saison sur des textes plus anciens eux-mêmes encore quelque peu de l'ordre du brouillon ?
J'ajoute que ces proses rentrent dans le prototype du projet de Photographies du temps passé dont avait parlé Delahaye en ses lointains témoignages. Et là c'est autrement intéressant que de débattre sur la continuité d'esprit toujours relative, toujours justifiée pour partie, toujours réfutable aussi, avec Une saison en enfer.
On retrouve le grand drame du manque de préservation des périodiques du dix-neuvième siècle dans l'intérêt des études littéraires. Depuis assez longtemps, je dis qu'il faut une grande enquête sur les poèmes intitulés "Les Sœurs de charité" dans les périodiques de l'époque, puisque j'en ai déjà rencontré au moins un dans mes recherches.
Nombre de poèmes de Rimbaud réagissent à des sujets d'actualité dans les périodiques de son époque.
Tandis qu'Alf pense que la prose de "Bethesda" est liée à Une saison en enfer, rappelons qu'à un moment donné Bouillane de Lacoste en faisait le premier texte en prose des Illuminations, le nom lui-même de la piscine ayant fait l'objet d'un déchiffrement dont il se félicitait.
Rappelons que dans le cas des "Mains de Jeanne-Marie", Georges Kliebenstein a identifié en deux temps l'origine authentique du nom "Khenghavar" et que cela correspondait également à une actualité de recherches archéologiques préoccupant les contemporains de Rimbaud. Je parle d'une identification en deux temps, parce que l'orthographe de Rimbaud semblait un hapax et que c'est en deux étapes que le critique est remonté jusqu'à l'orthographe de Rimbaud lui-même. Rimbaud n'ayant pas écrit "Bethesda", de deux choses l'une, ou Rimbaud se sert d'une transcription biblique tout simplement ou il a eu accès à un autre texte, mais dans tous les cas une recension des textes d'époque autour de cette découverte et surtout impliquant Renan ne saurait manquer d'intérêt pour les études rimbaldiennes.

Puisqu'il est question de manuscrits, j'en profite pour parler d'édition fac-similaire des Illuminations. Vous le savez, la pagination des manuscrits des poèmes en prose de Rimbaud n'est pas autographe, même si une édition fac-similaire paraissant ce mois-ci va tenter de vous imposer cette idée par intimidation et argument d'autorité.
Or, sur ce sujet, il y a d'autres éléments encore à interroger.
La revue La Vogue a publié les poèmes en vers nouvelle manière dont elle possédait des manuscrits et les a mélangés aux poèmes en prose, et elle les a numérotés. Or, les poèmes en vers ont des écritures bien différenciées. Il y a six manuscrits déponctués avec des initiales minuscules en tête de vers, mais il y a d'autres manuscrits où le formatage de la transcription est normal comme c'est le cas du manuscrit "Patience / D'un été". En fait, il y a une étude à faire sur ces manuscrits pour éprouver si oui ou non l'ordre des feuillets passant dans la main des éditeurs a été bouleversé.
Ensuite, si le but d'une édition fac-similaire est véritablement de permettre aux lecteurs de se faire une idée par soi-même, l'édition fac-similaire devrait comporter, outre les manuscrits des poèmes en vers "nouvelle manière" publiés par La Vogue et Vanier, les versos de ces manuscrits avec une loupe sur les versos maculés, et enfin elle devrait comporter le fac-similé des pages consacrés aux Illuminations dans la revue La Vogue, puis dans Vanier, et j'ajouterais encore qu'une édition fac-similaire de la plaquette des Illuminations en complément serait encore la bienvenue. C'est uniquement avec une telle étendue que l'édition fac-similaire aurait une nouvelle valeur scientifique pour ces manuscrits déjà pas mal connus et étudiés ! Là, tout ce que vous allez vous procurer c'est le bel objet avec l'illusion d'un état figé que certains vous imposeront de considérer comme sacré.
Je pourrais m'amuser à fournir une telle édition fac-similaire sur internet, mais je n'en ai peut-être pas trop le droit.
 
Edité le 05 novembre :
Fait comique, j'ai écrit petit-fils au lieu de fils, fils de Petitfils.
Pour une édition fac-similaire, j'ai oublié de mentionner la version manuscrite allographe de "Promontoire". 

lundi 3 novembre 2025

Bannières de mai : le sang des groseilles !

Le poème "Bannières de mai" est particulièrement intéressant à étudier comme poème de Rimbaud. Il est représentatif du dérèglement des rimes dans la période du printemps et de l'été 1872. Il a le toupet d'être particulièrement charmant, et cela sans profiter pourtant comme "Chanson de la plus haute Tour" et de "L'Eternité" du vers court de cinq syllabes qui précipite une certaine musicalité. Il est aussi le premier d'une série intitulée "Fêtes de la patience" qui doit être rapprochée de "Comédie de la soif", sauf que systématiquement les éditeurs et rimbaldiens opposent la perception de "Comédie de la soif" comme un seul poème subdivisé en petits poèmes de celle des "Fêtes de la patience" envisagées comme une série de quatre poèmes. C'est un poème de rapport à la Nature, ce qui suppose aussi qu'on puisse mieux en délimiter la portée symbolique. Il y a encore d'autres raisons à son intérêt. Il est le seul des quatre poèmes des "Fêtes de la patience" à ne pas être mentionné dans "Alchimie du verbe" et son brouillon correspondant. Certes, "Âge d'or" ne fera pas non plus partie du texte définitif. Et puis, il y a le fait que les "Fêtes de la patience" existent sous forme de doublon manuscrit. Initialement, la revue La Vogue a publié les quatre poèmes connus sous le titre "Fêtes de la patience" au sein du recueil des Illuminations, à partir des manuscrits qu'ils avaient en leur possession, et "Bannières de mai" a alors été publié sous le titre "Patience d'un été". Et comme l'unité des quatre poèmes n'a pas été envisagée par la revue La Vogue il n'y a ni titre alors inconnu "Fêtes de la patience", ni un défilement dans l'ordre canonique actuel. La découverte de la série manuscrite détenue par Jean Richepin a eu une incidence particulière sur les éditions des poésies de Rimbaud, puisque, pour une fois, c'est l'état manuscrit le plus ancien, celui donc qui provient de Richepin, qui a tiré à soi le prestige éditorial. Normalement, les rimbaldiens privilégient les dernières versions mises au point par l'auteur, cas à part de "Alchimie du verbe" et encore ! Mais, ici, l'état le plus ancien est le seul qui fixe un ordre aux quatre poèmes, et comme les rimbaldiens sont obnubilés par l'idée d'empêcher de remuer et voler les poèmes rimbaldiens, ils ont par exception décidés de privilégier les manuscrits de Richepin. Ajoutons que le poème est daté "Mai 1872" et qu'il entre en résonance avec plusieurs autres poèmes datés des mois de mai et juin 1872, au-delà de la série "Fêtes de la patience". Enfin, au dos de l'un des deux manuscrits connus, figure la citation du vers de la romance "C'est moi" de Desbordes-Valmore. Vous voyez que les raisons de s'intéresser à ce poème ne manquent pas.
Commençons par la période de composition. Dans la notice au Dictionnaire Rimbaud de Vaillant, Frémy et Cavallaro aux éditions Classiques Garnier, Yoshikazu Nakaji formule au sujet de "Bannières de mai" un propos que j'ai déjà appliqué à "Comédie de la soif", sinon à "Larme", "Bonne pensée du matin" et "La Rivière de Cassis", mais qui ne me paraît pas pertinent dans le cas de nos quatre poèmes. Pour moi, il est clair que si Forain n'a pas reçu les "Fêtes de la patience" et si "Âge d'or" est daté de juin et non de mai comme les trois précédents, c'est que cette série a été composé à Paris après au moins la composition de tous les manuscrits remis à Forain. Nakaji considère que les quatre "Fêtes de la patience" sont des mises au propre de poèmes qui ont dû être composés avant le retour à Paris, et on comprend la logique du raisonnement vu que ce n'est pas à Paris que Rimbaud peut admirer la Nature avec les tilleuls, les groseilliers, la prairie et ses mouches. Mais Rimbaud a-t-il vu la mer en mars-avril 1872 pour composer "L'Eternité" ? Il n'a aucune raison de reproduire un moment vécu immédiat dans les "Fêtes de la patience". Le poème a été selon toute vraisemblance composé au cours du mois de mai 1872 à Paris.
Rappelons quelques faits. A son retour à Paris, les premiers numéros de la revue La Renaissance littéraire et artistique commencent à paraître. La publication a démarré à la toute fin du mois d'avril, le 27 de mémoire, et le nom de la revue est une référence justement au printemps. Rimbaud va mentionner le mois d'avril dans "Entends comme brame..." et les quatre "Fêtes de la patience" sont à l'évidence des discours qui jouent sur l'idée de renaissance : éternité retrouvée ou avènement d'un temps où les cœurs s'éprennent. Rimbaud avait annoncé à Verlaine qu'il composait des sortes de prières, et ces "Fêtes de la patience" correspondent à des appels au printemps qui se démarquent quelque peu de l'idéologie du titre La Renaissance littéraire et artistique, et on peut à bon droit penser que Rimbaud prévoyait de lancer ces poèmes dans cette revue-là précisément.
En ce sens, je précise que le 18 mai 1872 Verlaine a publié dans la revue La Renaissance littéraire et artistique un poème alors intitulé "Romance sans parole" qui deviendra la première des "Ariettes oubliées" du recueil Romances sans paroles. Le 29 juin, la revue publiera encore sous le titre "Ariette" ce qui deviendra la cinquième des "Ariettes oubliées" dans le recueil de 1874. Et, dans ce dernier, la série des neuf "Ariettes oubliées" est datée de "Mai, juin 1872".
Le poème de Verlaine s'inspire pour de nombreux éléments de la romance "C'est moi" de Marceline Desbordes-Valmore et c'est précisément au dos du manuscrit de "Patience D'un été" que Rimbaud va citer un vers de ce poème-là précisément qui a inspiré le poème publié le 18 mai 1872 : "Prends-y garde, ô ma vie absente !"
Je ne vous apprendrai rien si je vous dis qu'on voit aussi dans ce vers la source probable de la phrase d'Une saison en enfer : "La vraie vie est absente !" Mais aviez-vous remarqué l'idée de "nuit vraie" dans la sixième des "Ariettes oubliées" :
 
Voici que la nuit vraie arrive...
Cependant jamais fatigué
D'être inattentif et naïf
François les bas bleus s'en égaie.
L'idée de cet avènement de la nuit fait penser au refrain des cœurs qui s'éprennent de "Chanson de la plus haute Tour". L'emploi de "fatigué" à la rime rappelle la "fatigue amoureuse" de la première ariette de la série verlainienne, et surtout le couple "inattentif et naïf" paradoxalement complément de "fatigue" : "jamais fatigué / D'être inattentif et naïf" me fait fortement songer à ce que dit Verlaine de Rimbaud qui vira au printemps 1872 dans le naïf et l'exprès trop simple. Dans la sixième des "Ariettes oubliées", Verlaine trahit le système des rimes en surenchérissant sur un jeu de correspondance des cadences masculines et féminines que Banville avait expérimenté dans un poème en distiques de son recueil Stalactites de 1846. Notons que l'autre romance mal rimée parmi les "Ariettes oubliées" est précisément la troisième qui est flanquée en épigraphe d'une phrase attribuée à Rimbaud : "Il pleut doucement sur la ville." Verlaine va pousser le jeu moins loin que Rimbaud et surtout ne pas s'y tenir, mais la convergence est capitale au mois de mai 1872.
On peut éprouver les ressemblances de "Bannières de mai" avec "C'est moi" ou les "Ariettes oubliées".
Le poème de Marceline Desbordes-Valmore est composé de vingt-quatre vers contre vingt-six pour "Bannières de mai". Le mètre exclusif de la pièce rimbaldienne est l'octosyllabe, mais ce vers est utilisé en partie par la poétesse douaisienne dans "C'est moi", et le vers cité par Rimbaud est précisément l'un d'entre eux : "Prends-y garde, ô ma vie absente !" Le vers dominant dans "C'est moi" est plus court, il s'agit de l'hexasyllabe. "C'est moi" est composé de quatre sizains qui sont une juxtaposition d'un groupe de quatre vers de six syllabes et de deux vers de huit syllabes. Le schéma des rimes ABABAB rend indissociables les deux mesures.
Le début du poème de Desbordes-Valmore offre une similitude avec la fin de la première séquence de dix vers du poème rimbaldien :
 
    Si ta marche attristée
    S'égare au fond d'un bois,
    Dans la feuille agitée
    Reconnais-tu ma voix ?
Et dans la fontaine argentée,
Crois-tu me voir quand tu te vois ?
 Il est question d'une personne qui marche en s'égarant dans un bois, tandis que Rimbaud s'imagine sortir et être blessé par un rayon, et dans les deux cas l'action évoquée est hypothétique, introduite par une subordonnée en "si" :
 
Je sors. Si un rayon me blesse
Je succomberai sur la mousse.
L'action de sortir n'est pas sous le régime de l'hypothèse, mais on a le parallèle entre le fait de s'égarer et celui de mourir. Le rapprochement de ces deux vers de Rimbaud est toutefois plus net encore avec la première des "Ariettes oubliées" : "extase langoureuse", "frissons des bois" et "herbe agitée [qui] expire". Le "cri doux" de cette "herbe" correspond quelque peu à un "maladif hallali". Le poème de Verlaine évoque une âme plaintive "Dont s'exhale l'humble antienne", âme qui se confond avec le toi et le moi. C'est très précisément le jeu de la poétesse dans ce vers déjà cité : "Crois-tu me voir quand tu te vois ?" Verlaine a repris la mention verbale "s'exhale" à la romance "C'est moi", et Rimbaud le reprendra à son tour dans le poème "L'Eternité". Le verbe "s'exhaler" suppose une certaine évaporation qui confine à la mort, ce sur quoi joue très clairement la poétesse. Je cite le deuxième sizain qui contient la mention verbale :
 
    Qu'une rose s'effeuille,
    En roulant sur tes pas,
    Si ta pitié la cueille,
    Dis ! ne me plains-tu pas ?
Et de ton sein, qui la recueille,
Mon nom s'exhale-t-il tout bas ?
L'exhalaison est celle d'un nom, mais à sa source il y a une rose qui s'effeuille et qui se fait piétiner, avant d'être recueillie par pitié. Le poème valmorien suit une progression : la feuille agitée correspond à la voix de la poétesse dans le premier sizain et dans le deuxième sizain la description est assez subtile pour que le nom qui s'exhale vienne autant de la feuille recueillie que du cœur de celui à qui est adressé la romance. Dans le troisième sizain, après la voix et le nom, nous avons droit à un bruit qui formule les vœux de la poétesse, mot qui a un arrière-plan amoureux, et le bruit passe alors de la feuille à l'abeille, ce qui coïncide avec le contraste deux par deux des quatre premiers vers de "Bannières de mai" :
 
Aux branches claires des tilleuls
Meurt un maladif hallali.
Mais des chansons spirituelles
Voltigent parmi les groseilles.
 
Notons la variante, grammaticalement plus étonnante, de "Patience D'un été" :
 
Mais des chansons spirituelles
Voltigent partout les groseilles.
 L'analyse grammaticale est totalement différente d'une version à l'autre, puisque dans "Patience / D'un été", si je comprends bien, il faut lire "Mais les groseilles des chansons spirituelles voltigent partout." Notons qu'il n'est pas précisé qui chante dans la première version. Nakaji dans la notice mentionnée plus haut pense qu'il s'agit des oiseaux. Il m'est plus naturel de penser aux insectes qui "voltigent", verbe moins adéquat pour des oiseaux près d'un arbre, comme la "jeune abeille" de la troisième strophe de "C'est moi", tandis que dans "Patience / D'un été", les groseilles sont elles-mêmes les fruits du chant.
Je cite le troisième sizain de "C'est moi" et en même temps le tout dernier qui a lui aussi inspiré la première des ariettes de Verlaine avec "L'eau qui parle en courant", l'énumération et l'emploi du gallicisme "C'est".
 
    Qu'un léger bruit t'éveille,
    T'annonce-t-il mes vœux
    Et si la jeune abeille
    Passe devant tes yeux,
N'entends-tu rien à ton oreille ?
N'entends-tu pas ce que je veux ?
 
 
    La feuille frémissante,
    L'eau qui parle en courant,
    La rose languissante,
    Qui te cherche en mourant ;
Prends-y garde, ô ma vie absente !
C'est moi qui t'appelle en pleurant.
Le titre du poème "C'est moi" est la réponse aux devinettes du poème. Et la poétesse s'identifie aux éléments du décor dont le bruit doit suggérer l'indicible amour. Verlaine a repris le gallicisme, mais il l'a distribué de manière symétrique. Le gallicisme reste énigmatique dans la première strophe sizain et la réponse "C'est moi" est remodelée en fusion "nôtre et mienne" dans le troisième et dernier sizain. Notons aussi que Verlaine a évité l'emploi du mot "cœur", mais a significativement employé son homophone "chœur" pour exprimer le principe de mariage des "petites voix", principe qui est celui même de la romance valmorienne. Verlaine a recouru au cliché romantique "frissons" mais pour reprendre les idées de "feuille agitée", "feuille frémissante" et "rose languissante" : "tous les frissons des bois". Il a repris la rime "pas","tout bas" : "n'est-ce pas ?" remplaçant la question : "ne me plains-tu pas". Il est évident que "L'eau qui parle en courant" est adaptée dans "sous l'eau qui vire, / Le roulis sourd des cailloux." Il est évident que "l'herbe agitée expire" reprend "rose languissante / Qui te cherche en mourant". Verlaine ne reprend pas l'idée des pleurs, mais il la suggère, et puis il va la reprendre dans d'autres des "Ariettes oubliées", notamment dans la quatrième, celle en vers de onze syllabes qui s'inspire directement aussi de poèmes de Desbordes-Valmore.
Je cite le poème de Verlaine, puis nous allons reprendre les rapprochements sous d'autres angles.
 
C'est l'extase langoureuse,
C'est la fatigue amoureuse,
C'est tous les frissons des bois
Parmi l'étreinte des brises,
C'est, vers les ramures grises,
Le chœur des petites voix.
 
Ô le frêle et frais murmure !
Cela gazouille et susurre,
Cela ressemble au cri doux
Que l'herbe agitée expire...
Tu dirais, sous l'eau qui vire,
Le roulis sourd des cailloux.
 
Cette âme qui se lamente
En cette plainte dormante
C'est la nôtre, n'est-ce pas ?
La mienne, dis, et la tienne,
Dont s'exhale l'humble antienne
Par ce tiède soir, tout bas ?
 Verlaine joue sur les allitérations, "frêle et frais murmure" étant à comparer aux assonances de "maladif hallali". Le vers qui commence par la préposition "Parmi" peut se comparer au vers "Voltigent parmi les groseilles" de Rimbaud. Les chanson spirituelles seraient tout à la fois animales et végétales "Parmi l'étreinte des brises" du côté des "ramures grises".
D'évidence, Rimbaud dans "Bannières de mai" fait écho à la première des "Ariettes oubliées" de Verlaine, au poème alors intitulé "Romance sans paroles" et en même temps fait écho à la romance "C'est moi" de la poétesse. Un point subtil qui ne m'a pas échappé : de la romance "C'est moi", Verlaine a repris exclusivement l'hexasyllabe et Rimbaud l'octosyllabe, sorte de partage voulu à partir d'un unique poème de référence qu'eux deux seuls savaient être la clef de leurs créations respectives !
Non, je me trompe par in attention, Verlaine choisit des heptasyllabes inédits, mais mon erreur m'a plu, j'en conserve la mention. 
Le mot "antienne" correspond au pluriel "chansons spirituelles" de Rimbaud. Notons une subtilité dans l'ariette verlainienne, il ne s'agit pas d'identifier le "roulis sourd des cailloux", puisque le poète met à distance cette interprétation : "Tu dirais", mais il est question d'un sentiment de mort voluptueuse et cela apparaît aussi en toutes lettres dans le poème "C'est moi" où figure ce vers qui, d'évidence là encore, est une clef pour "Bannières de mai" : "Qui te cherche en mourant[.]"
Le principe métaphorique de la poétesse repose sur une idée de communion universelle que le poème de Rimbaud tend à quasi expliciter : "L'Azur et l'onde communient", ce qui deviendra "Azur et Onde communient." Notez l'idée d'alpha et oméga dans la continuité de "Voyelles".
Notons que dans le dernier sizain de "C'est moi", nous avons une succession frappante et significative de "en mourant" à "ô ma vie absente".
Dans la logique de la poétesse, la vie absente n'est autre que l'être aimé et la mise en garde concerne cet être aimé qui doit prêter attention à la rose languissante qui le cherche tout en s'étiolant. Au deuxième sizain, cette rose était heureusement prise en pitié.
Verlaine ne se détache pas pleinement de cette métaphore, puisqu'il y a fusion en une seule âme des deux êtres aimés qui se reconnaissent donc dans tous les éléments vocaux suggérés.
Quant à l'idée d'abandon à la mort, elle est reprise par Verlaine et si elle ne semble que suggérée dans la première des "Ariettes oubliées", l'idée de mort sur un mode mineur est explicite dans la deuxième ariette dont je cite le dernier quatrain :
 
Ô mourir de cette mort seulette
Que s'en vont, cher amour qui t'épeures
Balançant jeunes et vieilles heures !
Ô mourir de cette escarpolette !
 
Notons aussi que le verbe quelque peu propre à George Sanbd ("t'epeures") semble un écho au poème alors encore récent intitulé "Tête de faune".
Grâce à ce détour par la romance "C'est moi", les dix premiers vers de "Bannières de mai" sont beaucoup moins déconcertants. J'ajoute que les vers 5 et 6 au centre de cette première séquence du poème correspondent au refrain d'attente de "Chanson de la plus haute Tour" :
 
Que notre sang rien en nos veines
Voici s'enchevêtrer les vignes.
 On y reconnaît l'idée du "temps / où les cœurs s'éprennent". Les groseilles sont à l'image des vignes et du muscle qui fait circuler notre sang, à leur couleur aussi. Et j'en profite pour faire remarquer un écho avec le poème contemporain "La Rivière de cassis", puisque les groseilles sont assez naturelles à rapprocher du fruit qu'est le cassis. J'ajoute à cela que nous avons aussi un rapport entre deux notions opposées : "maladif hallali" contre "Mais que salubre est le vent !"
Je laisse cela de côté pour l'instant.
A la lecture d'ensemble de "Bannières de mai", on comprend aisément que le poète refuse la patience et l'ennui de quelque chose de plus grand et préfère cet appel immédiat, quitte à en mourir. Il y a un refus d'une morale de la réserve face au monde. Le poète ne veut pas se préserver face à la Nature, il consent à ce que les saisons l'usent.
Passons maintenant à un autre sujet qui m'interpelle.
La seconde version manuscrite connue est en réalité la première à avoir été publiée. Le poème a été publié en 1886 sous le titre "Patience d'un été". Avec la connaissance du manuscrit, Steve Murphy et partant les éditeurs récents du poème pensent que le titre du poème est "Patience" et que "D'un été" est un sous-titre.
Je me demande si "Patience" n'est pas le titre toujours de la série de quatre poèmes, mais abrégé en "Patience", le titre de "Bannières de mai" étant alors l'étrange complément du nom instable : "D'un été".
On peut alors comparer le titre lapidaire "Patience" au titre "Faim" dans "Alchimie du verbe", ce serait une réduction équivalente : "Fêtes de la patience"/"Patience" et "Fêtes de la faim".
Notons que les groseilles se récoltent plutôt en juin, voire en juillet qu'en mai, ce qui fait que le titre originel "Bannières de mai" serait un peu contestable, mais pas complètement, et en tout cas il faut écarter l'idée d'une scène vécue en mai et à plus forte raison en avril.
Toutefois, si "Patience" est la réduction du titre "Fêtes de la patience", la série n'est pas maintenue par une copie continue dans les manuscrits de 1886 et les éditeurs de La Vogue ont publié les quatre poèmes séparés par d'autres pièces dans leur recueil des Illuminations. Il me faudrait un peu de temps pour me confronter aux manuscrits en question. Notons que "Patience d'un été" n'a pas suivi le principe d'autres manuscrits où tous les vers commencent par des minuscules et sont en même temps déponctués.
Il y a un véritable avenir pour les études des quatre "Fêtes de la patience". "Bannières de mai" est souvent commenté à partir de l'idée de lumière du printemps tournant à l'été ou à partir de l'idée de mois de Marie ou à partir de l'idée de références, bien sûr déviantes, au discours religieux. Ici, je mets en avant les échanges entre les poèmes de Rimbaud de la même époque et ceux de Rimbaud, et je dégage l'influence tutélaire des romances de Marceline Desbordes-Valmore.
Pour sa part, dans sa notice citée plus haut au poème, Nakaji a envisagé que le passage en prose entre guillemets dans "Alchimie du verbe" correspondait par certains éléments à une version autre de "Bannières de mai".
J'ai aussi dans mon jeu de rapprochements créer une circularité où les poèmes de Verlaine et de Rimbaud se font tellement écho qu'il devient loisible de passer de la première des "Ariettes oubliées" à non seulement "Bannières de mai", mais à "Larme" avec le passage de "tiède soir" à "tiède après-midi", ce qui serait un indice que "Larme" a bien été composé à Paris en mai 1872 et en tout cas après une prise de connaissance du poème "C'est l'extase langoureuse..." de Verlaine, et j'ai osé un rapprochement entre les groseilles et le titre demeuré énigmatique "La Rivière de Cassis", l'identification au sang des victimes de la semaine sanglante n'étant pas clairement satisfaisante pour l'esprit. A noter aussi que "soir charmé" et "crépuscule embaumé" sont des expressions valmoriennes.

mercredi 29 octobre 2025

La Transparence : publier les manuscrits des Illuminations !

Donc vous avez actuellement l'annonce d'un livre d'Alain Bardel préfacé par Steve Murphy qui sera une édition fac-similaire des manuscrits des poèmes des Illuminations. Ce volume va sortir en novembre et sera suivi d'une nouvelle publication de Bardel, une édition critique ou commentée des mêmes Illuminations.
A l'instant même, là je regarde la page d'accueil du site Arthur Rimbaud, le poète du sieur Bardel se disant rimbaldien, et je vois un affichage publicitaire qui renvoie exclusivement aux quatre livres récents du seul Bardel. Pour ce faire, le livre de je ne sais plus quelle autrice chez Honoré Champion a été évacué, alors même qu'il avait été publié plus récemment que les deux livres de Bardel sur Une saison en enfer.
Vous avez une colonne 02/10/2023 le fac-similé d'Une saison en enfer tout à gauche, au centre à gauche une colonne 12/12/2023 Une saison en enfer ou Rimbaud l'Introuvable, au centre à droite une colonne 29/01/2026 Les Illuminations ou Rimbaud l'Obscur, tout à droite une colonne sur le livre à paraître Les Illuminations [Les Manuscrits].
Alors, on a le droit d'exprimer son ego ou de se mettre en avant. On a les publications de 2024 d'autres auteurs qui sont sur une colonne à gauche un peu plus bas, etc., l'auteur fait sa publicité, il aligne en quatre colonnes les publications de sa vie, tout ça, quoi ?
Mais je vais le rendre visible le problème.
Cliquer sur le lien de la colonne annonçant ("A paraître") la publication de l'édition fac-similaire des manuscrits des Illuminations.
Vous avez une grande page qui s'affiche qui appartient au site lui-même et qui, bien que non signée, est rédigée par l'auteur lui-même Alain Bardel.
Au bas de cette page, vous avez un certain nombre de liens qui renvoient à des pages du site avec l'intitulé "Pour approfondir, avec ce site..." Vous avez un ensemble de huit articles sur lesquels Bardel polémique seul, sans Murphy ni d'autres, sur les réfutations à la thèse de la pagination autographe. Et j'ai déjà précisé que dans ces articles Bardel cite le moins possible les principales personnes avec lesquelles il polémique (les personnes auxquelles il répond en les ignorant quelque peu si vous préférez), à savoir moi-même et Jacques Bienvenu.
Notez l'emploi polémique des guillemets, si cela n'est pas évident pour la citation "Les chiffons volants" à propos du témoignage de Fénéon, vous voyez l'écho du titre similaire "Les chiffres non rimbaldiens".
Les photos de l'ouvrage en jettent, une double page avec le vis-à-vis du fac-similé du début de la série "Enfance" et sur la page de gauche le texte imprimé correspondant au feuillet manuscrit. Ce fac-similé a été retenu pour la première de couverture et il correspond au début de la série de la transcription par Rimbaud qu'on peut réunir sur un même type de papier, suite qui n'est pas restée homogène.
On a au bas de la page de gauche quelques références : la publication originale, la localisation du manuscrit et son format.
La page de gauche est numérotée 20, elle doit être précédée par les pages consacrées à "Après le Déluge", ce qui indique que la préface ne doit pas être bien longue et qu'il n'y a pas non plus une longue introduction. Nous sommes face à un ouvrage plutôt iconographique. Je suis curieux du nombre total de pages pour pouvoir estimer s'il a du contenu ou non (les poèmes et les manuscrits je peux les consulter ailleurs). Le prix est de 32 euros. L'ouvrage est publiée par la libraire Ombres blanches, où Bardel a des liens familiaux, où sa femme a déjà exposé, etc. C'est de toute façon une librairie d'exception par son contenu. A Paris, les gens ont mieux uniquement parce qu'ils peuvent se rendre dans plusieurs librairies, mais je ne suis pas sûr qu'ils aient une librairie aussi fournie que celle-là. Elle est vraiment impressionnante et n'a pas d'équivalent à Nice, à Marseille, à Tours, à Montpellier, à Bruxelles, etc.
Moi, mon but est uniquement de lire la préface. J'ignore s'il y a un appareil de notes à la fin du volume. Ce qui m'intéresse, c'est de confronter les manuscrits à un commentaire qui se défende et à des remarques de détails qui peuvent être étayées.
Bardel fournit une accroche rédigée sur deux colonnes et flanquée du titre Pour "relire et poursuivre le travail et le jeu de l'interprétation".
Ce titre contient une citation de la préface de Steve Murphy. Notons que le choix d'inclure l'article "Les" dans le titre vient d'un article de Steve Murphy paru en 2004 : Les Illuminations serait un choix éditorial défendable. Notons qu'il manque le sous-titre anglais Painted plates et que le titre sans article est censé jouer sur la référence à la langue anglaise lui aussi. Je ne me prononce pas trop sur ce changement du titre, je n'ai pas fait le travail nécessaire pour me positionner là-dessus, mais en gros Alain Bardel donne toujours raison à Steve Murphy, et c'est bien le problème de la thèse qu'il défend sur les manuscrits des Illuminations à travers les articles de son site internet.
Jusque-là, rien de grave, il a peut-être raison, il est peut-être sincère.
Mais pourtant rien qu'à ce niveau il y a un premier problème invisible. Murphy invite donc le lecteur à se confronter aux manuscrits pour "relire" mieux, autrement, les poèmes, et pour "poursuivre le travail et le jeu de l'interprétation".
Depuis 2001, l'article de Steve Murphy sur la pagination d'une partie des manuscrits est une religion pour plusieurs rimbaldiens, et Alain Bardel en est le premier sanctificateur. Cette construction intellectuelle a été contestée. Steve Murphy n'a jamais daigné répondre par des contre-arguments à cette contestation. Les arguments de la contestation ont été noyés, non cités directement, minimisés. Dans le Dictionnaire Rimbaud, Michel Murat ne renvoyait qu'à une partie de l'article de Jacques Bienvenu pour réfuter l'idée d'une pagination autographe.
Et pour les rimbaldiens thuriféraires du travail de Murphy, rien de ce que font les autres n'a jamais d'importance.
Bienvenu montre un 7 barré, on va s'en dépatouiller. Bienvenu montre que le témoignage de Fénéon ne date pas de plusieurs décennies après les faits, mais a été publié très peu de temps après la publication originale en 1886 même, ce n'est pas grave, péremptoirement on peut affirmer qu'il ne sait pas de quoi il parle puisqu'il fait croire qu'il s'est occupé de la publication, mais qu'en réalité il n'en serait rien.
On demande aux rimbaldiens de s'expliquer sur le fait que les manuscrits ne soient pas tous réunis par une pagination unique, il y a encore une explication selon laquelle ce n'était pas nécessaire, selon laquelle le poète n'aurait pas eu le temps.
Numéroter de force quelques dizaines de pages manuscrites, sans avoir d'exigences méticuleuses, ça serait trop long...
Je garde deux arguments pour plus tard.
Pour l'instant, ce que je constate, c'est un discours culotté. On n'est pas libre de poursuivre le travail et le jeu de l'interprétation. On nous explique avec fermeté, ironie, dédain et menace d'excommunication que l'analyse définitive des manuscrits a été conduite, et le vrai propos c'est de nous inviter à le reconnaître avec une transparente publication des manuscrits dans tous leurs détails, comme si cette posture permettait de convaincre tout le monde que les réfutations sont nulles et non avenues, puisqu'il est assumé de publier les manuscrits avec les détails qui ont précipité la réfutation de la thèse de la pagination autographe et du recueil ordonné. Et cela se fait avec la complaisance de nombreux rimbaldiens.
Nous sommes non pas invités à poursuivre le travail sur les manuscrits mais à admirer avec soumission les résultats à considérer comme définitifs d'un article publié par Steve Murphy en 2001. Et on sait très bien que pour l'interprétation des textes il faut aussi montrer patte blanche à l'autorité en la matière du comité de lecture de la revue Parade sauvage.
Certes, le jeu et le travail de l'interprétation seront poursuivis, mais puisqu'il s'agit de l'édition fac-similaire des manuscrits, cette publication suppose que la confrontation aux manuscrits va provoquer ce travail et ce jeu. Donc, moi, je veux bien qu'on invite les gens à avoir des idées à partir des manuscrits, mais de 2001 à 2025, tout ce que j'ai vu, c'est un énorme refoulement et d'énormes silences.
Il y a aussi un autre fait important à mentionner. C'est bien beau d'inviter les autres à poursuivre le travail et le jeu de l'interprétation, mais de 2001 à 2025 quand quelqu'un dit quelque chose sur un détail des manuscrits, soit on le rembarre considérant qu'il a tort devant Murphy, soit on anonymise la découverte et on la fait passer dans le domaine du consensus qui évolue sans bruit.
Le premier à avoir commenté "A une Raison" et "Matinée d'ivresse" comme une possible suite de l'un à l'autre texte du récit, c'est moi. Parce que je refuse l'idée que le recueil qui nous est parvenu soit celui prévu et ordonné par Rimbaud, parce que je refuse la pagination autographe, cette idée ne m'appartiendra jamais. Je ne serai jamais cité pour ça. Mais d'autres s'en empareront, parce qu'ils auront la légitimité pour le faire. Prenons les points à la suite des titres. J'ai analysé une divergence entre la présence de ces points et les soulignements des titres sur les manuscrits, ce qui explique que les trois croix à la suite de "Being Beauteous" déterminée comme un substitut de titre par Rimbaud qui les a fait suivre d'un point n'ait pas été identifée comme une séparation nette de deux textes par les éditeurs de La Vogue, puis d'autres, et par Steve Murphy lui-même. André Guyaux, en revanche, a affirmé que c'était un poème bref autonome, mais sans parler de ce point comme je l'ai fait. Est-ce qu'on peut parler de jeu dans un univers où il faut taire les réussites d'André Guyaux, opposant à la thèse de la pagination autographe, taire un argument bon à prendre en soi parce qu'il vient de David Ducoffre, autre opposant à la thèse de la pagination autographe ?
Discrètement, un jour, cet argument pour isoler "Ô la face cendrée..." sera repris. Pour l'instant, il est en attente de fin de polémique vive, comme si les choses avaient la moindre chance d'abonder dans une paisible victoire en faveur du consensus de la pagination autographe. Il faut vraiment être naïf. Mais, au-delà de qui a raison sur la pagination, on constate clairement que selon qui parle les arguments sont pris ou non en considération. Et quand l'argument de l'adversaire est imparable, on ne l'applaudit pas, on l'ignore le temps qu'il faut et on reprend l'argument à son compte, quitte à ne l'attribuer à personne, en l'ayant bien désintoxiqué, surtout quant à la thèse principale qu'on veut soutenir.
C'est ça qui se passe.
Je passe sur l'idée du parcours biographique qui irait de "Enfance" à "Jeunesse". Dire ça, c'est ne rien dire. S'il y a des éléments biographiques dans les poèmes, quel que soit l'ordre de la lecture, ils nous parleront ou du moins ils parleront aux mieux informés, aux plus réceptifs à certaines suggestions.
Parler de fil directeur n'a aucun sens pour soutenir que l'ordre des poèmes dans le recueil est lui-même conçu par l'auteur, ça n'a strictement aucun sens, surtout quand cela s'en limite à un propos évanescent.
J'en viens au paragraphe qui ose parler de "légende". Je cite l'attaque de ce paragraphe d'intimidation : "Une légende rimbaldienne veut que ce ne soit pas Rimbaud lui-même qui ait rangé Les Illuminations dans l'ordre où nous les lisons mais leurs premiers éditeurs de la revue La Vogue en 1886."
La légende est qualifiée de "rimbaldienne", la phrase formule une ineptie, puisque les derniers poèmes de l'ensemble n'ont pas été publiés en 1886 par la revue La Vogue. Mais il ne s'agit pas d'une légende, il s'agit d'un point de débat, et où est le sens du travail et du jeu à déconsidérer le débat en traitant les adversaires d'affabulateurs ?
Face à cela, Bardel oppose un discours qui n'a pas de sens, les poèmes pris un par un sont déjà de Rimbaud, merci la vérité de La Palice, mais l'histoire même de ces textes porterait le "sceau de Rimbaud". L'histoire des manuscrits porte le sceau de Rimbaud ! On parle de "sceau", oui je sais il y a des homophones à déverser sur le sujet.
On comprend la limite dans laquelle cela est asserté, il s'agit d'affirmer comme une évidence la pagination autographe des manuscrits, mais ça se fait par une rhétorique peu confiante en elle-même, par une rhétorique qui préfère l'émotion aux arguments : le poids des mots est mis en avant "Légende", "sceau". Je précise que "la légende rimbaldienne" transforme en nuage l'opposition qui vient de personnes bien réelles, à savoir André Guyaux, Jacques Bienvenu et David Ducoffre qui n'a à l'heure actuelle aucun contact, aucun échange avec les deux personnes précitées. Moi qui trouve ridicule Alain Bauer et qui voit tout ce que cela a d'absurde, malsain et antidémocratique la franc-maçonnerie, j'ai même lu chez un illuminé en commentaire de blog qu'il était évident que la pagination n'était pas de Rimbaud. Il y a des gens d'horizons divers qui ne croient pas à la pagination autographe. Et même qui sont sûrs qu'elle n'est pas autographe sur la base d'arguments sans appel dont on va parler plus bas. Mieux encore, Michel Murat a renoncé progressivement à sa foi en la pagination autographe, ce qui a indigné Alain Bardel qui en a fait état dans ces recensions au sujet d'articles du Dictionnaire Rimbaud dirigé par Vaillant, Frémy et Cavallaro paru aux éditions Classiques Garnier, le retrait n'étant pas pourtant pleinement assumé. On nous invite à un jeu, mais si on ne pense pas avec la maison on mérite l'excommunication. J'ai alors une question cruelle : Rimbaud et ses poèmes font-ils eux-mêmes réellement partie de votre maison ?
Bardel nous annonce la preuve avec un emploi en majesté du singulier dans le paragraphe suivant de son texte promotionnel, qui est un plaidoyer pro domo : "La preuve, il est un endroit privilégié où la trouver." Mais cela tourne en pirouette commerciale : au lieu de nous fournir la preuve, Bardel nous invite à acheter son prochain livre pour espérer la trouver par nous-même.
Du fait qu'il y ait des ensembles numérotés, des faits de "copie continue" d'un manuscrit à l'autre et du fait que certains enchaînements ne soit pas le fait du hasard, Bardel envisage que les preuves relatives de certaines continuités sont la preuve absolue d'une unité infaillible du recueil : "les poèmes [...] ne sont pas enchaînés au hasard", lisez "aucune suite entre poèmes n'est le fait du hasard". Et ça passe en affirmation qu'il y a une "architecture de l’œuvre", ce qui n'a pas été démontré, mais éludé.
Et c'est assez sournois, parce que le livre faisant défiler les manuscrits est considéré comme un fait intangible qui apporte une connaissance en soi : "diffuser cette connaissance auprès du plus large public". Mais il manque la démonstration. Il y a une équivoque à prétendre apporter une connaissance en diffusant les manuscrits dans un état qu'on prétend sans l'avoir prouvé auctorial.
Intellectuellement, ce n'est pas recevable.
Et j'en arrive à un dernier point fâcheux, la fin de cette accroche. Une citation vient de la "notice introductive" qui est si je comprends bien distincte de la préface et puis une citation finale d'une note intitulée "Sur cette édition" qui se trouve je ne sais où dans l'ouvrage. Et là, on apprend que l'édition est pour la première fois en couleurs "pour restituer l'aspect matériel de l'ensemble des feuillets et conserver tout ce qui s'y trouve d'allographe." Les manuscrits sont reproduits à leur taille réelle, nous annonce-t-on, "sans toilettage". Bardel a le culot de parler des "numérotations disparates qui occupent une place centrale dans le débat érudit", alors qu'il ne fait que mépriser le débat, il vient plus haut de parler de "légende rimbaldienne", ce qui veut dire qu'il n'y a pas selon lui un "débat érudit", mais il y a un aréopage d'érudits autour de Murphy et lui qui enseigne au monde l'unité et l'architecture des Illuminations face à l'obscurantisme. Et la publication des manuscrits est un acte de transparence ! Sauf que Bardel énumère des éléments des manuscrits que Murphy ne traitait pas et qui viennent de l'attention des obscurantistes avec leur légende. Guyaux n'avait parlé qu'évasivement des mentions de noms féminins puis masculins, Jacques Bienvenu a mis cela en vedette dans un article de son blog. Sur "Mouvement", Fongaro avait publié un fac-similé du manuscrit en montrant qu'il y avait un mot l'un sur l'autre et que selon lui Rimbaud avait modifié "au delà" en "en delà". Murphy avait plus tard publié un démenti, que c'était l'inverse. On verra si Murphy a raison avec la reproduction colorisée, j'espère. Il y a d'ailleurs plein de points de détail à observer, c'est vrai. Mais si Bardel parle des patronymes, des nombres de lignes, des types de caractères, il le fait parce que Jacques Bienvenu en a parlé, un opposant à la thèse de la pagination autographe. En gros, Bardel récupère l'aubaine en ayant de toute façon aucune considération pour les adversaires. On ramène chez soi ce qui peut l'être. La "mise en évidence des titres", là ça me concerne puisque ça touche à mon fameux argument de la seconde partie de l'article de Bienvenu. Bardel n'a jamais démenti cet argument, parce que visiblement il n'en comprend pas la portée. Au passage, l'édition fac-similaire va-t-elle avoir à coeur de fournir les versos vierges de plusieurs manuscrits, au moins des plus importants, ceux qui sont maculés et bien sûr la version biffée de "Enfance I". Pour "Enfance I", c'est probable, mais pour les versos maculés !
Il y a deux arguments imparables qui prouvent que la pagination n'est pas de Rimbaud.
Il y a plusieurs paginations, mais le manuscrit de "Promontoire" n'est pas paginé, et à sa place le manuscrit allographe de la revue La Vogue l'est. Comme le dit Bienvenu, c'est une preuve par l'absurde qui se suffit à elle-même pour dire que la pagination n'est pas de Rimbaud. Si Rimbaud a paginé son dossier, son manuscrit de "Promontoire" doit être paginé. Cet unique manuscrit non paginé prouve que la pagination vient des éditeurs, argument que sur son site Bardel ne mentionne jamais, ne réfute pas.
Mais les tenants de la pagination autographe peuvent renoncer à toutes les paginations des poèmes au-delà de la sélection initiale des numéros 5 et 6 de la revue La Vogue. Ils se rabattront sur la seule pagination d'un dossier de 24 pages. Il y a donc besoin d'une autre preuve pour ces seules 24 pages, même si on peut s'étonner à bon droit que Rimbaud ait laissé un ensemble à moitié paginé et que les éditeurs aient publié le reste avec de nouvelles numérotations autonomes.
Or, dans l'ensemble des 24 pages, c'est la convergence de la mention "Arthur Rimbaud", des manières divergentes de soulignement des titres, la convergence sur un feuillet de taches maculées, du nom "Arthurt Rimbaud" et d'un double recopiage des numéros au crayon et à l'encre qui prouve que la pagination n'est pas autographe, et les soulignements des titres jouent un rôle décisif dans cette preuve, voyez les crochets autour du titre "Enfance" et songez qu'il faut éplucher ce détail titre par titre pour voir apparaître la preuve en convergence avec les autres éléments manuscrits que je signale à l'attention et bien sûr le rapprochement factuel avec l'édition originale des poèmes dans les numéros 5 et 6 de la revue La Vogue. La preuve se dégage de cet ensemble convergent qu'au grand jamais aucun Murphy, Bardel ou Murat n'a affronté.
Moi, ma transparence me vaut l'invisibilité, mais, rimbaldiens officiels qui me lisez et qui vous sentez invisibles derrière votre retrait opaque, qu'en pensez-vous en votre âme et conscience de tout ce débat d'un côté improductif sur Les Illuminations, et tout de même d'un autre côté très capitalistique dans tous les sens du terme ?