samedi 25 mars 2017

Les répétitions de mots au sein des sonnets en vers d'une syllabe transcrits en 1871 (article Pommier 5ème partie)



Nous allons comparer les sonnets en vers d’une syllabe contenus dans l’Album zutique avec leurs sources. En termes de réécritures, nous allons être confrontés à la reprise de vers entiers. Autrement dit, la reprise d’un mot équivaudra en général à la reprise du vers lui-même, à quelques aménagements près : ponctuation, conjugaison, accord(s).
Dans son ouvrage La Syllabe et l’écho, Alain Chevrier a inévitablement cité l’ensemble des poèmes en vers d’une syllabe, voire une grande partie des poèmes qui vont intéresser notre étude. Mais il n’a pas lié les vers d’une syllabe d’Amédée Pommier aux performances zutiques, et ce n’est qu’en fonction de l’identité de forme qu’il a entrevu l’importance des sonnets en vers d’une syllabe de Paul de Rességuier et d’Alphonse Daudet. Voici pour le signifier ce qu’il écrit dans son livre au sujet des modèles de référence des sonnets zutiques à vers courts : « La plus grande moisson de sonnets monosyllabiques pousse peu après sur les pages de l’Album zutique. Celui-ci n’était pas destiné à la publication (il ne le sera qu’en 1943), mais certains d’entre eux paraîtront dans des revues. Ces poèmes parodiques et facétieux, souvent grivois, parfois relâchés, ont été écrits dans l’hiver 1871 » (page 355), et « On peut penser que les auteurs de l’Album zutique, à la fin de 1871, ont prolongé dans le même esprit satirique le sonnet monosyllabique d’Alphonse Daudet dans Le Parnassiculet contemporain, et qu’ils n’ignoraient pas celui de Paul de Rességuier, ni l’ouvrage de Louis de Veyrières. Ainsi, dans l’Album zutique, Rimbaud a écrit à la fois un sonnet monosyllabique et un sonnet dissyllabique. » Un rapide commentaire au cas par cas des sonnets monosyllabiques de l’Album zutique se tient dans les limites des pages 355 à 357. Des « Conneries » de Rimbaud, seuls « Cocher ivre » et « Jeune goinfre » sont cités. Aucune mention n’est faite du sonnet « Paris ». Enfin, seul un poème, une « Causerie » de Charles Cros, est rapproché des performances d’Amédée Pommier : « On peut considérer ce poème comme la version encore plus hard de l’idylle d’Amédée Pommier vue plus haut. »
Nous considérons ici les choses différemment. Nous avons signalé à l’attention, en 2009, dans un numéro consacré à Rimbaud de la revue Europe, un extrait d’un article de Verlaine dans la revue L’Art en 1865, où était fortement moqué, citation à l’appui, l’intérêt de Barbey d’Aurevilly pour les vers d’une syllabe d’Amédée Pommier. Nous avons ensuite envisagé les liens parodiques permettant d’établir une continuité entre Barbey d’Aurevilly et Alphonse Daudet, en nous intéressant au suffixe présent dans les titres « Médaillonnets » et « Parnassiculet contemporain ». C’est à cette aune que nous avons prétendu expliquer la raison d’une prolifération de sonnets en vers d’une syllabe dans l’Album zutique. La présente étude va montrer que nous pouvons aller plus loin, en soulignant à quel point les sonnets zutiques réécrivent des passages des poèmes de Pommier et du sonnet d’Alphonse Daudet, ce qui pour l’instant n’a jamais été mené à bien.
Nous ne voulons pas tenir compte ici de la présentation originale des sonnets ou poèmes cités, par exemple les majuscules et même les différences de taille de certains vers pour le sonnet de Rességuier, et nous citons comme modèles de référence aux sonnets en vers d’une syllabe de l’Album zutique quatre textes fondamentaux, le sonnet de Paul de Rességuier justement, deux poèmes en vers d’une syllabe d’Amédée Pommier qui ne sont pas des sonnets et un sonnet d’Alphonse Daudet « Le Martyre de saint Labre ». Nous citerons ensuite les sonnets en vers d’une syllabe de l’Album zutique, avant de citer des compléments tels que « Jeune goinfre », mais aussi nous transcrirons des poèmes antérieurs ou postérieurs à l’Album zutique qui ont leur place dans cette étude. Nous ne nous attarderons pas ici sur les licences orthographiques à la rime d’Amédée Pommier, ni sur sa grammaire allégée qui demanderait une présentation nuancée lourde et peu utile pour l’instant, ni sur les effets métriques de la position à la rime de certains mots, tels les déterminants « La » et « Quelle » dès le sonnet de Paul de Rességuier.
Pour bien montrer qu’il convient de prêter attention à ces liaisons de mots entre poèmes, remarquez d’emblée que « Rose » nom de femme, premier vers et premier mot du poème « Blaise et Rose » d’Amédée Pommier, reprend le nom de fleur qui est le premier mot ou premier vers des tercets du sonnet de Rességuier. En revanche, nous pourrions avoir l’illusion qu’il s’agit de la seule reprise effectuée par Amédée Pommier. Il semble avoir évité de reprendre les rimes en « -ort », la paronomase « Brise » / « Prise », les mots « Close » ou « Frêle », et même le pronom « Elle ». Cependant, celui qui se faisait nommer « le métromane » a repris, involontairement ou non, au poème de Rességuier l’adjectif « Belle » qu’il flanque d’un point d’interrogation (« Quitte- / T-on / Telle / Belle ? »), le déterminant « La » (« A / La / Lutte »), et même le déterminant « Quelle » qu’il fait passer au masculin « Quel » dans « Quel/ Fiel ». Si la forme « prise » n’apparaît pas dans « Blaise et Rose », nous rencontrons tout de même l’infinitif correspondant : « Prendre ». Quant au vers en deux mots « L’a », Pommier s’en est inspiré pour certains de ses vers. Par exemple, « M’est » est une suite pronom et verbe, mais surtout « N’a » reprend la forme « a » telle quelle : « Nulle / Mule / N’a / Cette / Tête- / Là ! », même si dans un cas c’est un auxiliaire et dans l’autre le verbe « avoir » au présent de l’indicatif. Voilà jusqu’à quel point il convient de faire attention.

Le Comte Paul de Rességuier, Sonnet, « Epitaphe, 1562 » :
Fort / Belle, / Elle / Dort. // Sort / Frêle ! / Quelle / Mort ! // Rose / Close / La // Brise / L’a / Prise.

Amédée Pommier, « Blaise et Rose, églogue réaliste, en langage marotique, dédiée à Rabelais (la scène est dans un bois) » :
BLAISE : Rose / Vien !
ROSE : N’ose / Rien !
BLAISE : Jure- / Moi / Pure / Foi.
ROSE : Zeste ! / Peste ! / Reste / Coi.
BLAISE : Une / Brune / Plaît.
ROSE : L’Âge /Sage / Fait. / Chauve, / Sauve- / Toi !
BLAISE : Quoi ? / Même / Vieux, / J’aime / Mieux.
ROSE : Lourde / Bourde ! / Sourde / Suis. / Puis, / L’ange / Saint Fange / Craint. / L’âme / Blâme / Ces / Faits.
BLAISE : Prendre / Dois / Tendre / Voix. / Mainte / Plainte / Feinte / J’oys. / Douce / Mousse / Pousse / Là.
ROSE : Qu’est-ce ? / Cesse. / Laisse / Çà. / Haute / Faute / Cuit. / Prompte / Honte / Suit.
BLAISE : Reine / Mienne. / Très / Près / Toute / Boute- / Toi.
ROSE : Ah ! le / Sale !
BLAISE : Soit ! / Blanche / Main, / Hanche, / Sein, / Donne, / Bonne, / Tout. / Baise / Blaise / D’aise / Fou.
ROSE : Buffle ! / Muffle ! / Ne / Bouge / Ou je / Te / Tape. / Tien, / Chien / Jappe !
BLAISE : Frappe /Bien ! / Chaque / Claque / M’est / Lait. / Braille ! Bail / Coups !
ROSE : Nous / Sommes / Aux / Beaux / Hommes. / Cours, / Basse / Face / D’ours ! / Pire / Mo / Faut / Dire : / Loin, / Groin !
BLAISE : Dis-le / Trois / Mille / Foi. / Raille ! / Piaille ! / A / La / Lutte / Je / Me / Bute. / Je / Ne / Pli / Mie, Quand / Joûte / Coûte / Tant.
ROSE : Traîtres, / Loups. / Maîtres / Saoul ! Orde / Corde / Torde / Vos / Os ! Lâche- / Moi !
BLAISE : Fâche- / Toi. / Prie ; / Crains ; / Crie ; / Geins. / Grince ! / Pince / Fort ! / Grogne ! / Cogne ! / Mord ! / Être / Maître / Veux.
ROSE : Va-je / Rage. / Gueux ! / Bûche ! / Sot ! / Cruche ! / Pot ! / Pire / Sire / Qu’un / Hun ! / Rogue / Dogue !
BLAISE : Ciel ! / Quel / Fiel ! / Diantre ! / Ventre / Bleu ! / Rude / Prude ! / eu ! – Nulle / Mule / N’a / Cette / Tête- / Là ! / Cède…
ROSE : A – L’aide ! – Ah !... / asse / Suis… / Grâce ! / Fuis / Vite ! ….
BLAISE : Quitte / T-on / Telle / Belle ? / Non.
ROSE : Aïe.
BLAISE : Fleur / N’aye /Peur !
ROSE : Piège / Laid ! / Qu’ai-je / Fait ? / Certe, / Perte / C’est. / Homme / Dur / Comme / Mur, / Nue / Vue / Tue- / Moi !
BLAISE : Brame, / Femme ! / Pâme- / Toi !

Amédée Pommier, « Sparte, en style laconique, à Victor Béoland, le savant traducteur d’Apulée » :

Dure / Loi ; / Sûre / Foi ; / Chastes / Mœurs ; / Vastes / Cœurs ; / Mâles / Gars ; / Pâles / Arts ; / Braves / Chauds ; / Graves / Mots ; / Âmes / Blocs ; / Femmes / Rocs ; / Maîtres / Fiers ; / Piètres / Serfs ; / Princes / Gueux ; / Minces / Queux ; / Riches / Faits ; / Chiches / Mets.

[Alphonse Daudet,] Parnassiculet contemporain, « Le martyre de saint Labre, sonnet extrêmement rythmique » :
Labre, / Saint / Glabre, / Teint // Maint / Sabre, / S’cabre, / Geint ! // Pince, / Fer / Clair ! // Grince, / Chair / Mince !

Le poème « Sparte » d’Amédée Pommier ne reprend cette fois aucun mot au sonnet de Paul de Rességuier. En revanche, la pièce satirique de Daudet, tandis qu’elle reprend la forme du sonnet en vers d’une syllabe à Paul de Rességuier, fait volontairement allusion à la série d’impératifs verbaux suivante que nous extrayons de « Blaise et Rose » : « Fâche- / Toi. / Prie ; / Crains ; / Crie ; / Geins. / Grince ! / Pince / Fort ! / Grogne ! / Cogne ! / Mord / […] » A cette aune, Daudet reprend trois mots à ce passage du poème de Pommier : « Geint » reprend « Geins », tandis que « Pince » et « Grince », en construction parallèle dans les tercets de Daudet, reprennent deux verbes qui se succèdent dans la réplique de Blaise. Les consonnes de « Fer » rappellent même celles de « Fort » dans « Pince / Fort ! ». Pour la maigreur de la chair et le motif militaire, Daudet s’inspire sans doute également de « Sparte » et de sa pointe « Chiches / Mets. » Enfin, même si cela peut sembler un détail, voire une coïncidence, le vers 2 de Daudet « Saint » semble venir aussi du poème « Blaise et Rose » : « L’ange / Saint / Fange / Craint », et à proximité justement de cette réplique de Rose le féminin « Mainte » dans la répartie suivante de Blaise (« Mainte / Plainte / Feinte / J’oys ») est repris au masculin par Daudet.
La raison évidente pour laquelle Daudet imite la série des impératifs dans la bouche de Blaise vient de l’article où Verlaine cite un échantillon de la mauvaise poésie de Pommier dans son article de la revue L’Art où il répond au mépris de Barbey d’Aurevilly pour la poésie de Banville.
Citons les choses précisément.
Voici la réplique de Blaise ciblée par Verlaine, puis Daudet :
BLAISE : Fâche- / Toi. / Prie ; / Crains ; / Crie ; / Geins. / Grince ! / Pince / Fort ! / Grogne ! Cogne ! / Mord / Être / Maître / Veux.
Verlaine cite un éloge de la poésie de Pommier par Barbey d’Aurevilly : « Homme étonnant qui n’a besoin que d’une syllabe pour vous enchanter, si vous avez en vous un écho de poète […] » et il offre en « échantillon » la fin de cette réplique de Blaise et le début de la réponse de Rose : « Blaise. – Grogne ! / Cogne ! / Mord ! / Être / Maître / Veux. // Rose. – Va, je / Rage. Gueux ! / Bûche ! / etc. »
Daudet a repris le début de la réplique de Blaise : « Geint ! » est le dernier mot des quatrains, avant que nous n’ayons le parallèle verbal des tercets : « Pince, Fer Clair » face à « Grince, Chair Mince ».
Il faut garder cela à l’esprit, car nous aurons à y revenir à plusieurs reprises dans la suite de notre étude.

Citons maintenant les sonnets en vers d’une syllabe de l’Album zutique !

Série de trois de Léon Valade au recto du feuillet 5, les compositions peuvent être récentes, mais il ne faut pas exclure la possibilité d’un report de trois compositions plus anciennes. Nous pouvons soupçonner que la pratique des sonnets en vers d’une syllabe datait de l’époque de l’Album des Vilains Bonshommes. Le sonnet de Daudet date de 1867. Pourquoi la reprise parodique aurait-elle attendu quatre années ?

Léon Valade, « Eloge de l’Âne », transcription zutique d’octobre 1871 :
Naître / Con [;] / Paître / Son ; // Être / Bon ; / Traître, / Non ! // - Comme / Sur / L’homme // Dur[,] / L’Âne / Plane !.... 

Léon Valade, « Amour maternel », transcription zutique d’octobre 1871 :
Qu’on / Change / Son / Lange. / Mange, / Mon / Bon / Ange. // - Trois / Mois / D’âge !.... - // Sois / Sage : / Bois.

Léon Valade, « Combat naval », transcription zutique d’octobre 1871 :
Mer[,] / Croule ! / Foule / L’air ! // Chair, / Roule / Sous le / Fer ! // L’onde / Ronde / Bout. // - Ombre : / Tout / Sombre…

Un débat pourrait avoir lieu sur la ponctuation du second vers de cet « Eloge de l’Âne ». Depuis Pascal Pia, on adjoint une virgule au mot « Con », c’est ce que fait également Denis Saint-Amand dans sa transcription pour l’édition Garnier-Flammarion de 2016. Pourtant, le fac-similé du manuscrit fait apparaître une surcharge d’encre importante sans qu’il soit facile de trancher. Toutefois, il semble naturel d’envisager que ce cafouillage implique malgré tout un point-virgule. Les vers quatre et six sont ponctués bien lisiblement par des points-virgules très propres cette fois, alors que Pascal Pia, Alain Chevrier et Denis Saint-Amand optent pour la virgule. Or, le point-virgule indiscutable aux vers 4 et 6 a le mérite de souligner la relation à la source qu’est Amédée Pommier, la scansion binaire de « Sparte » évidemment : « Dure / Loi ; / Sûre / Foi ; […] », plutôt que la suite des impératifs de Blaise citée plus haut : « Prie ; / Crie ; / Geins. ». Le mot « Con » est sans doute une manière de reprise des injures échangées par Blaise et Rose, une variante du mot « Sot » par exemple. Le second quatrain « Être / Bon, / Traître, / Non ! » est à l’évidence une démarcation du « Être / Maître / Veux » tiré de la réplique de Blaise que nous avons vue être au cœur des citations de Verlaine, puis Daudet. Valade n’a pas repris le mot « Maître » dans sa rime, mais « Être » et « Traître » viennent directement de « Blaise et Rose » : « (Rose) Traîtres, / Loups. Maîtres / Saouls ! [….] » et « (Blaise) Être / Maître / Veux. » La forme « Bon » reprend le féminin du dialogue de Pommier : « (Blaise) Soit ! Blanche Main, Hanche, Sein, Donne, Bonne, Tout. » L’adverbe « Non » vient également d’une réplique de Blaise : « Quitte / T-on / Telle / Belle ? / Non. » Le passage « - Comme / Sur / L’homme / Dur / […] » appelle plusieurs remarques. Il réécrit une expression de Rose à la fin de son dialogue avec Blaise : « Homme / Dur / Comme / Mur », ce qui signifie une reprise de trois mots de Pommier en quatre vers. Ajoutons que l’adjectif « dur » peut en même temps faire écho avec le premier mot au féminin de « Sparte » : « Dure / Loi ; […] » et, en prime, il s’agit dans le sonnet de Valade d’un rejet d’un tercet à l’autre, ce qui fait songer au cas du déterminant « La » en contre-rejet au vers 11 du sonnet de Paul de Rességuier : « La // Brise / L’a / Prise. » Pourtant, les zutistes ne donnent pas l’impression d’imiter directement le sonnet romantique. L’âne n’est pas mentionné dans nos quatre poèmes sources, à moins de forcer un rapprochement avec les injures animales de Rose : « Buffle », « Mufle », « Chien », « Face / D’ours », « Groin », « Loups », « Rogue / Dogue ». Mais, tout de même, Blaise lui répond qu’elle est une « Mule », tandis que la sentence finale du poème de Valade fait nettement écho aux sentences de Rose : « L’Âge / Sage / Fait » (où « Sage »’oppose en principe à la bêtise de « l’âne »), « L’ange / Saint / Fange / Craint. / L’âme / Blâme / Ces / Faits. » Les mentions « L’âge », « L’âme » et « L’ange » nous rapprochent phonétiquement et graphiquement de la mention « L’âne ». Une recherche complémentaire est à mener, d’autant que Daudet est sans doute lui aussi une cible de cette pièce satirique, le nom « Daudet » prêtant à l’équivoque avec « baudet ».
Nous ne nous attarderons pas ici sur les échos entre « Eloge de l’Âne » et « Amour maternel » : « con » devenant « qu’on », le nom « son » qui devient un déterminant possessif, la reprise du mot « bon ». Nous les signalons tout de même à l’attention, en tant que témoins d’un autre mécanisme créateur.
Valade a à nouveau repris plusieurs mots au dialogue de Pommier. « Bon », « Ange », « âge » et « Sage » ont été impliqués dans le commentaire du sonnet précédent. La forme « Sois » peut se rattacher à l’exclamation « Soit ! » de Blaise, sinon aux conjugaisons diverses de « Être ». Surtout, l’emploi de l’impératif renvoie à nouveau à la série au cœur du conflit Barbey d’Aurevilly-Verlaine-Daudet. Le chiffre « Trois » est repris lui aussi : « (Blaise) Dis-le / Trois / Mille / Fois. » Le pronom « on » est également présent dans une réplique de Blaise : « Quitte- / T-on / Telle / Belle ? » Le sonnet de Léon Valade suit sa propre voie par ailleurs, avec le parallèle des impératifs « Mange » et « Bois », mais là encore nous pouvons songer aux « Chiches / Mets » de « Sparte ». Evidemment, le mot de la fin « Bois » s’explique encore par le contexte de la réunion zutique.
A première vue, le troisième sonnet « Combat naval » ne s’inspire guère des deux poèmes d’Amédée Pommier en vers d’une syllabe. Aucun mot n’en provient, à l’exception possible de « Tout » qui pourrait rappeler « Toute / Boute- / Toi », mais cela n’a rien d’évident. En revanche, Valade a repris cette fois deux mots clefs du sonnet « Le Martyre de saint Labre » : « Chair » et « Fer ». Toutefois, dans son livre La Syllabe et l’écho, Alain Chevrier cite d’autres exemples de poèmes à vers courts. Il peut s’agit de poème où le vers d’une syllabe alterne avec des vers plus longs ou bien de poèmes aux vers de deux ou trois syllabes. Ceci va élargir soudainement notre horizon d’enquête.

Plusieurs poèmes du drame Cromwell devraient retenir notre attention, ce sont des sources précises aux performances de Rességuier ou Pommier. Il conviendrait de citer encore des Odes et ballades, Les Djinns, des poèmes d’Hugo longtemps demeurés inédits. Il conviendrait de citer les romanciers ironiques qui ont proposé eux aussi des suites de vers d’une syllabe ou de citer les poètes qui se sont essayés aux vers de deux ou trois syllabes, mais Alain Chevrier a mentionné un extrait en vers de deux syllabes justement qui nous vient d’Amédée Pommier. Il s’agit d’un extrait du poème « Pan ». Voici cet extrait : « Grand Être / Qu’on sent, / Ô Maître / Puissant, / Roi juste, / Auguste / Et bon, / A l’âme, / Tout clame / Ton nom ! »
Ce qui retient d’emblée l’attention, c’est la mention verbale « clame » que nous retrouvons dans le poème en vers de quatre syllabes de Verlaine « Marine », sans doute un des Poëmes saturniens qui a le mieux justifié le rapprochement railleur de Daudet entre Verlaine et Pommier. Ce verbe « clame » est présent dans le sonnet en vers d’une syllabe de Rimbaud « Cocher ivre », ce que ne relève pas Alain Chevrier qui ne s’intéresse malheureusement qu’aux identités de forme. Or, dans ce poème « Pan », nous croisons pas mal de rimes intéressantes pour notre étude comparative. Voici les deux premiers dizains : « La face / Des cieux, / Espace / Plein d’yeux ; / De l’ombre / Le sombre / Tableau ; La lune / Sur une / Belle eau ; // Ton voile, / Ô nuit ; / L’étoile / Qui luit, / Qui tremble / Et semble / Un pleur, / Que roule / En boule / la fleur ; » qui nous offrent les mentions « ombre », « sombre » et « roule » à l’origine de trois vers de ce « Combat naval » qui semblait ne pas s’inspirer de l’œuvre de Pommier. La forme « Change » du sonnet « Amour maternel » est d’ailleurs à la rime dans les vers dissyllabiques de « Pan » : « Qui change »[.] La forme « roule » revient : « La houle / Qui roule / Sans freins ; / Qui ronfle / Et gonfle / Ses reins ; » tandis que le mot « onde » du « Combat naval » fait son apparition : « Grande onde, /Bassin / Qu’on sonde / En vain ; » sans oublier la suite de mots « Qu’on » devenue le premier vers du sonnet « Amour maternel ». Et à cette aune, puisque « Jeune goinfre » de Rimbaud est aussi un poème en vers de deux syllabes, pourquoi ne pas voir que le second vers de « Jeune goinfre » reprend une rime de « Pan » d’Amédée Pommier : « Casquette / De moire, » face à « Lac pur, / Aux moires / D’azur ; / De l’onde / Qui gronde, / Qui court, / Ecume / Qui fume, / Bruit sourd ; » tandis qu’à proximité la suite « De l’onde / Qui gronde » a tout l’air d’avoir inspiré les vers de Valade : « L’onde / Ronde », par glissement de « gronde » à « ronde ». Même l’idée de présentation de l’habillement du « Jeune goinfre » : « Casquette / De moire, / Quéquette / D’ivoire,  // Toilette / Très noire, » fait écho à telle série de vers : « Fourrure, / Velours, / Parure / De l’ours, » et « Belette / Fluette, / Bison / Dont pousse / La rousse / Toison ; » d’autant que nous retrouvons même la rime en « -ette ».
Nous aurons d’autres éléments à apporter pour préciser le sens des sonnets de Valade, mais notre entreprise s’attache déjà à fixer les réécritures précises et cela précipite déjà un travail d’une étendue assez vaste. Pour « Combat naval », l’idée d’une réécriture à partir de modèles vient de s’enrichir d’éléments neufs.

Léon Valade, « Combat naval », transcription zutique d’octobre 1871 :
Mer[,] / Croule ! / Foule / L’air ! // Chair, / Roule / Sous le / Fer ! // L’onde / Ronde / Bout. // - Ombre : / Tout / Sombre…

Coincé dans un mince espace disponible, le sonnet monosyllabique de Charles Cros contient une mention finale « Ivre » qui a l’air de reprendre la mention finale « Bois » du sonnet « Amour maternel » de Valade, mais aussi qui a l’air d’anticiper le titre « Cocher ivre » de Rimbaud. Il est délicat de dater précisément la transcription de ce sonnet en vers d’une syllabe, Charles Cros l’ayant signé d’un monogramme typique des interventions de 1972, sauf qu’il a rétrospectivement appliqué le monogramme à l’ensemble de ces transcriptions zutiques de 1871. Sans certitude absolue, nous en ferons donc le quatrième sonnet en vers d’une syllabe reporté sur le corps de l’Album zutique. En revanche, il semble significativement placé à côté d’un sonnet « Soleil couchant » de Léon Valade. En effet, en 1874, dans la Revue du monde nouveau, Charles Cros a assuré la publication de trois des sonnets en vers d’une syllabe de Léon Valade, bien qu’il ne l’ait pas mentionné en tant qu’auteur. « Eloge de l’Âne » a été écarté. Il s’agit de « Amour maternel » qui devient « Monologue de l’amour maternel », de « Combat naval » et d’un sonnet que nous évoquerons plus loin « Néant d’après-soupée », pièce réintitulée « Suicide du soupeur blasé » dans la revue de Cros. Les performances de Valade semblent avoir marqué celui-ci.

Charles Cros, « Sur la femme », transcription zutique de 1871 ou 1872.
Ô / Femme, / Flamme, Eau !/ Au / Drame / L’âme / Faut. // Même / Qui / L’aime / S’y / Livre / Ivre.

La performance est particulièrement acrobatique. Certains vers sont de pures voyelles dont trois qui riment entre elles : « Ô », « Eau », « au ». La rime « femme » :: « flamme » a la réputation du cliché. Nous ne commenterons pas ces vers. Retenons que plusieurs vers peuvent être envisagés, même si les coïncidences sont possibles, comme des reprises de vers d’une syllabe de « Blaise et Rose » d’Amédée Pommier : « Femme », « Au », « L’âme », « Faut », « L’aime ».

Le suivant sonnet en vers d’une syllabe que nous avons à citer est le plus beau de la langue française, au moins à égalité avec celui de Paul de Rességuier. Il est de Cabaner et celui-ci a eu le mérite de concurrencer Rességuier dans la recherche d’une élocution naturelle. Son premier vers, l’interjection « Ah ! », tend à confirmer l’idée d’une transcription antérieure du sonnet de Charles Cros, même si le raisonnement sur une influence en sens inverse est toujours possible.

Ernest Cabaner, « Mérat à sa muse » :
Ah ! / Chère, / La / Guerre // Va / Faire / Taire / Ta // Douce / Voix. Vois, // Tout se / Fait / Laid.

Nous observons que Cabaner pratique aussi l’enjambement violent du déterminant entre les quatrains et les tercets, comme Rességuier l’a fait, mais sans doute involontairement, dans son « Epitaphe ». Rességuier était pris par la dynamique binaire de son élocution. Cabaner était parfaitement conscient des jeux à la césure sur déterminant propre à son époque, il savait que l’enjambement du déterminant dans des vers d’une syllabe serait plus audacieux en fonction d’une limite de strrophe, d’où son placement malicieux du possessif « Ta » en fin de second quatrain. A la différence de Rességuier, Cabaner exploite toutefois comme d’autres membres du Cercle du Zutisme un petit abus dans les « e » de fin de vers : « Tout se / Fait / Laid », pratique abusive qui vient de « Blaise et Rose » d’Amédée Pommier et que nous rencontrions déjà dans « Combat naval » : « Roule / Sous le / Fer ! » Il va de soi que Cabaner songe à épingler cette singularité des vers de Pommier. Ses reprises de mots semblent moins sensibles, mais « Ah ! », « La » déterminant, « Faire », « Ta » possessif, « Voix », « Tout (se) » et « Fait » ont bien des correspondants dans les vers d’une syllabe d’Amédée Pommier. Le mot de la fin « Tout se / Fait / Laid » peut entrer en résonance avec certains passages du dialogue des Colifichets : « Nous / Sommes / Aux / Beaux / Hommes » et « Chaque / Claque / M’est / Lait. »
Ernest Cabaner épingle le silence zutique d’Albert Mérat, en signifiant par la même occasion que celui-ci était bien présent aux réunions du Cercle.

Nous passons alors à la parodie « Cocher ivre » de Rimbaud.
Rimbaud a lancé quelques pages auparavant, au verso du feuillet 6, une première série de « Conneries » sur lesquelles nous reviendrons.
Au verso du feuillet 8, il lance une deuxième série qui se limita à un unique sonnet en vers d’une syllabe « Cocher ivre ». Nos rapprochements avec « Combat naval » confortent l’idée très répandue selon laquelle il s’agissait de la troisième « Connerie » qui devait créer un triptyque en réponse à celui de Valade. « Jeune goinfre » devait répondre à « Eloge de l’âne », « Paris » à « Amour maternel » et « Cocher ivre » à « Combat naval ». Nous avons vu que « Combat naval », « Cocher ivre » et « Jeune goinfre » reprennent tous trois des mots, le plus souvent à la rime, de l’œuvre en vers dissyllabiques « Pan » d’Amédée Pommier. Les allusions à Verlaine rapprochent également « Jeune goinfre » et « Cocher ivre », l’un parle d’un « Paul » équivoque dans lequel Verlaine s’est reconnu, l’autre emploie un verbe « Clame » qui sert à justifier Daudet dans sa raillerie du « Martyre de saint Labre » où Verlaine est assimilé au métromane.

Arthur Rimbaud, « Cocher ivre », transcription zutique de 1871.
Pouacre / Boit : / Nacre / Voit : // Âcre / Loi, / Fiacre / Choit ! // Femme / Tombe : Lombe // Saigne : / - Clame ! / Geigne.

Si nous respectons l’exercice, plusieurs mots du sonnet de Rimbaud ont une correspondance dans les poèmes « Blaise et Rose », « Sparte » ou « Pan » d’Amédée Pommier. Le mot « Femme » est sans doute celui sur lequel il est peu évident de prouver quoi que ce soit. En revanche, Rimbaud a voulu faire écho à cette réplique de Blaise que Verlaine a partiellement citée pour railler les goûts de Barbey d’Aurevilly et dont Daudet s’est ensuite servi pour se moquer de Verlaine. Rimbaud a simplement corsé les choses avec un subjonctif aberrant qui épingle les incorrections de langage de tous ces poèmes de Pommier où l’acrobatie triomphe finalement assez peu des contraintes de la grammaire. Les deux derniers vers de « Cocher ivre » sont donc de l’ordre de la citation de vers de Pommier. Nous avons déjà dit ce qu’il en était de « Clame », double allusion à « Marine » de Verlaine et à « Pan » de Pommier, pour justifier l’assimilation de Verlaine à Pommier opérée par le « Martyre de saint Labre » de Daudet. Il va de soi que la justification chez Rimbaud est essentiellement ludique et ne relève pas des motifs haineux de l’auteur provençal. Mais, du coup, la mention « Geigne » a le mérite d’établir une filiation à la suite du « Geins » du dialogue de Pommier et du « Geint » du « sonnet extrêmement rythmique » du Parnassiculet contemporain. Le rythme de « Cocher ivre » a même à voir avec « Le Martyre de saint Labre » dans sa façon de succession verbale désinvolte. « Cocher ivre » a décidément plusieurs sources : « Blaise et Rose », « Le Martyre de saint Labre », « Marine », mais encore « Sparte » de Pommier, puisque « Loi » au vers 6 est la reprise du second vers de ce poème « en style laconique » du métromane, sachant que la forme « Âcre » semble se démarquer de l’adjectif « Dure » du modèle initiale : « Dure / Loi » contre « Âcre / Loi ». Rimbaud a d’ailleurs repris la rime en « -oit » aux mêmes positions, vers 2 et 4 : « Dure / Loi ; / Sûre / Foi ; » « Pouacre / Boit : / Nacre voit ; » à tel point qu’on pourrait se demander si le point-virgule ne serait pas la vraie ponctuation voulue par Rimbaud après « Boit ». Le double point est-il justifié à cet endroit ? Les réécritures de Rimbaud concernent enfin les sonnets de Valade. Le titre « Cocher ivre » et le thème du sonnet font écho à « Combat naval » et à son idée de naufrage, mais le mot du vers 2 « Boit » reprend le mot final du sonnet « Amour maternel ». Le verbe « Voit » est à rapprocher du « Vois » du sonnet de Cabaner pour sa part. Le mot « pouacre » mériterait une enquête, d’autant qu’un poème de Verlaine, supposé plus tardif, mais malgré tout possible contemporain du compagnonnage avec Rimbaud, porte ce mot dans son titre. La mention « Nacre » peut se justifier à partir d’une étude serrée me semble-t-il des poèmes de Pommier, j’y reviendrai, et dans tous les cas le titre « Cocher ivre » vient du poème en alexandrins « Le Progrès » du recueil Colères d’Amédée Pommier, ce sur quoi je reviendrai également. Pommier y parle de « bonne femme un peu soûle, / Qui conduisez le coche où l’humanité roule » et de « postillon ivre / Qui fouaille à tour de bras la bête qu’on lui livre ; » avec dans ce dernier cas un fait troublant la rime finale « ivre », « livre » du sonnet « Sur une femme » de Charles Cros cité plus haut. Précisons encore que « Cocher ivre » figure sur le verso du feuillet 8 et qu’au recto du feuillet 9 les suivantes contributions zutiques d’octobre 1871 sont un « Vieux Coppée » de Valade, le montage de citations de Belmontet « Vieux de la vieille » et un « Vieux Coppée » de Rimbaud au titre interrogateur « Etat de siège ? », où il est encore question d’un « postillon », postillon ayant « une engelure énorme sous son gant ». Or, dans le recueil Colères de Pommier, le poème « Charlatanisme » parle encore de « Remèdes pour les cors et pour les engelures. »
Il existe une énigme sur l’ordre de transcription des trois sonnets « Sur une femme » de Charles Cros, « Mérat à sa Muse » de Cabaner et « Cocher ivre » de Rimbaud, mais d’une part « Cocher ivre » a de nombreux intertextes et d’autre part il existe des liens si minimes soient-ils entre ces trois sonnets. Enfin, nous avons mis en gras et souligné « Geigne », parce que ce mot est une double citation de Pommier et Daudet, une mention en un mot de deux de nos quatre principaux poèmes sources aux vers zutiques d’une syllabe.

Nous avons laissé pour l’instant de côté « Jeune goinfre » autant que « Paris », mais il convient de remarquer que sur la page de transcription de « Cocher ivre », quelques mois plus tard, Germain Nouveau a composé un « Sonnet sur RP », à savoir Raoul Ponchon, aux vers de trois syllabes. En revanche, le même Raoul Ponchon qui ignorait sans doute que le titre « Conneries » renvoyait aux recueils d’Amédée Pommier (colifichets, colères, crâneries) a laissé une parodie de Louis Ratisbonne, sans doute conscient de la source « Le Gourmand » à la première des « Conneries » qu’était « Jeune goinfre ». Le sonnet en vers de trois syllabes de Germain Nouveau réveille aussi notre attention au sujet de la parodie par Rimbaud du recueil Fêtes galantes. Le poème « Fête galante » est en vers de quatre syllabes et sa transcription zutique est difficile à dater, mais à peu près contemporaine de celle des trois sonnets en vers d’une syllabe de Léon Valade. Cela n’est sans doute pas anodin.
Pour l’instant, continuons de citer les poèmes en vers d’une syllabe.
Verlaine, selon l’étude graphologique, nous a livré un sonnet en vers d’une syllabe qui ne vise ni Pommier, ni Daudet, mais l’auteur d’un recueil de Poèmes modernes, François Coppée lui-même, lequel a été croqué dans une sorte de médaillon en forme de tesson antique hérité d’une fouille archéologique.
Verlaine, « Sur un poëte moderne », transcription zutique de 1871.
Quête / Croix ; / Tette / Rois ; // - Tête ? / Bois ! - / - Bête ? / Vois ! - / - Rime ? / Lime ! - / - En / Outre / Jean - / - Foutre.
Les reprises d’Amédée Pommier ne sont guère sensibles. L’âpreté rancunière du poème est sensible, mais avec une maîtrise de l’expression et des idées nouvelles en fait d’audaces dans la pratique du sonnet en vers d’une syllabe. Le « En outre » à cheval sur les tercets et la glissade finale « En outre Jean-foutre » témoigne d’un réel talent. Le reste du sonnet est plus agressif, mais réussi et signifiant. On remarque en particulier la citation du premier quatrain de « Cocher ivre » avec la rime « Bois » :: « Vois » qui en provient.
Il s’agit cette fois d’une rarissime contribution poétique d’un frère de Charles Cros, le sculpteur Henry qui a signé avec une sorte de monogramme. La transcription date-t-elle de 1871 ou de 1872 ? Le monogramme plaide pour 1872, mais pour le reste l’hypothèse de 1871 paraît plus plausible.

Henry Cros, « Invocation synthétique », transcription zutique en 1871 ou 1872.
Flamme, / Luis ; / Âme, / Vis ; // Femme, / Ris ; Gemme, / Dis ; // Chante, / Vante, / Les // Causes / Des / Choses.
Henry Cros nous rapproche d’une veine ésotérique qui concernait plutôt Cabaner et les trois frères Cros, le sonnet « Sur une Femme » même si c’est de manière plus superficielle a une note ésotérique un peu comparable. Le verbe « Luis » est présent dans les vers courts de Pommier me semble-t-il. En tout cas, nous retrouvons des correspondances « Femme », « Âme », mais elles sont prévisibles, sinon « Dis » pour « Dis-le » chez Amédée Pommier.
Pour le verbe « Luis », précisons que dans La Syllabe et l’écho Alain Chevrier cite un poème d’un inconnu dont le texte varie quelque peu, mais qui a le mérite de nous offrir les monosyllabes « L’onde » et « Luit » : « Blonde / Nuit, / L’onde / Fuit ! / Une / Brune / Lune / Luit ! » ou « Une / Lune / Luit / Une / Brune / Hune / Fuit : […] ». La première version est citée par Maxime du Camp dans ses Souvenirs, la seconde par Jules Vinson qui l’aurait apprise du poète Laurent-Pichat. La suite « Une / Brune / Lune » est à rapprocher du début de « Blaise et Rose » : « Une / Brune / Plaît. » Il y a fort à parier que cette scie visait les poèmes d’Amédée Pommier et était connue des zutistes eux-mêmes. Le sonnet d’Henry Cros a un point commun avec le sonnet de Rességuier, et qu’on se rappelle le possessif en fin de quatrain de Cabaner, le contre-rejet du déterminant « Les » à la fin du premier tercet.
Enfin, pour ce qui est des transcriptions zutiques de 1871, il nous reste à mentionner ce « Néant d’après-soupée » où l’orthographe fait songer à une rime par défaut avec « Coppée ». Ce sonnet ferait partie du trio de sonnets en vers d’une syllabe de Valade repris dans la Revue du monde nouveau par Charles Cros, mais sous le titre « Suicide d’un soupeur blasé ». Le poème de Valade reprend nettement le balancement binaire de « Sparte » de Pommier et surtout son mot de la fin avec « Mets ».

Léon Valade, « Néant d’après-soupée », transcription zutique de 1871 (sur un feuillet en partie déchiré)
Titres / Lus ! / Pitres / Vus / Litres / Bus / - Plus / D’huîtres… / Mort ! / Ange / Fort, / Change / Mes / Mets !
Valade reprend les mots « Ange » et surtout « Mets » à Pommier, peut-être le mot « Change » au poème « Pan », mot « change » déjà utilisé dans « Amour maternel ». Les mentions « Mort » et « Fort » témoignent enfin d’un souvenir du modèle initial qu’est l’épitaphe de Paul de Rességuier.
Il nous reste à traiter des contributions en vers d’une syllabe propres à l’année 1872, mais encore de « Jeune goinfre » et « Paris » avec un petit retour sur « Cocher ivre » et « L’Angelot maudit ». Nous parlerons encore de « Fête galante », du « Sonnet sur RP » de Germain Nouveau, et aussi de « Conseils à une petite moumouche », puis d’un prolongement au-delà de l’Album zutique.

Fin de la première partie.