tag:blogger.com,1999:blog-68257119160743584862024-03-18T16:16:07.922-07:00Enluminures (painted plates)Blog autour de la poésie d'Arthur Rimbaud.David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.comBlogger865125tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-80028658374399981422024-03-18T16:15:00.000-07:002024-03-18T16:15:10.630-07:00Annonce de deux articles<div style="text-align: justify;">Bon, dans une époque de sombres crétins, je mets encore des articles en ligne où j'étudie la poésie.</div><div style="text-align: justify;">J'ai aussi des doutes sur mes lecteurs. Les deux articles "Le Voyage mental" ont eu moins de succès que les articles "trois erreurs d'approche d'un tel", etc. L'article sur le schéma narratif avec son titre qui fait réfléchir est dans la même impasse.</div><div style="text-align: justify;">A part ça, j'ai étudié de près deux article sur <i>Une saison en enfer</i>. J'exploite le livre <i>Lectures des </i>Poésies<i> et d'</i>Une saison en enfer<i> de Rimbaud</i>, dirigé par Murphy et paru aux Presses Universitaires, en 2009.</div><div style="text-align: justify;">Un de mes articles y figure. Il est excellent, malgré une partie centrale à corriger sur le poison et Nuit de l'enfer, et encore c'est instructif. Il y a d'ailleurs dans ce volume collectif l'article de Laurent Zimmermann sur le poison qui tout en se maintenant dans une thèse erronée remet bien en cause la thèse du poison baptême ou conversion. Il y a l'article de Pierre Laforgue sur les "damnés de la terre". Et puis, il y a l'article d'Henri Scepi : "Logique de la damnation", dont je vais prochainement rendre compte. Cela fait au moins quatre articles de référence. J'ai laissé mon livre dans une autre pièce, donc je ne sais plus ce que je peux citer d'autre comme bons articles précisément dans ce volume-là, lequel volume n'a que la moitié de ses articles consacrés à <i>Une saison en enfer</i>. Mais, bref, c'est un ouvrage de référence. Puis, il y a un article dont je vais rendre compte, celui de Vincent Vivès sur "l'usage des intensités". Je vais le décortiquer, parce que c'est un article complètement lunaire sous une apparence sérieuse. Le propos tenu se développe de manière suivie et nourrie, comme si c'était sérieux, sauf que les raisonnements sont pleins de failles et les affirmations impromptues, sans aucune justification, créent une patine qui endort efficacement la vigilance, encore que ça reste une lecture très floue malgré tout. Puis, j'ai une super idée qui m'est venue. Le critique littéraire peut jouer aux écrivains qui a des traits de plume, des saillies d'esprit, en rédigeant un article d'étude littéraire. Et il y a une sorte de légitimité qui lui est spontanément accordée, puisqu'il vaut mieux que le critique littéraire sache un tant soit peu lui-même pratiquer la rhétorique et les tours stylistiques des bons écrivains, cela va donner une impression de maîtrise du domaine, si pas du sujet. Puis, si les gens comme moi contestent, on va se retrouver avec l'éternelle blague : quand c'est un poète qui le fait, c'est bien, quand c'est un critique, c'est mal. Je vais donc essayer de montrer que le critique littéraire ne fait pas la même chose qu'un grand écrivain en dépit des apparences. Je vais faire éclater la bulle. Je vois à peu près ce que je dois faire et l'article de Vivès va me servir de galop d'essai, pour après faire quelque chose de plus d'ampleur. Puis, je vais épingler aussi des analyses biaisées. Pour "ça ne veut pas rien dire", Vivès prétend que le sens ne saurait être : "ça veut dire quelque chose", car c'est la double négation qu'il faut commenter, et il part dans une analyse étymologique : "rien" vient du latin <i>res</i>, <i>rem</i>, ce dont on se contrefiche bien pas mal ici, et il finit par ne garder que ce qui est en-dehors de la double négation (drôle de façon de la considérer comme importante) pour retenir "ça veut dire", et là il part dans le vouloir-dire hors-sens des intensités.</div><div style="text-align: justify;">Je vais mettre un peu de temps à rédiger l'article, mais bon je pense qu'il est grand temps de s'attaquer à cette façon d'écrire et de penser.</div><div style="text-align: justify;">Pour "ça ne veut pas rien dire", la double négation s'explique tout simplement par l'idée qu'un propos peut en rapporter un autre. Le professeur dirait : "ça ne veut rien dire", le poète dit : "non", et au lieu d'écrire ça en plusieurs phrases, il envoie à la tête du phrase : "ça ne veut pas rien dire." Autrement dit, il l'anticipe et ne lui laisse pas le temps de se braquer.</div><div style="text-align: justify;">Il faut arrêter les délires interprétatifs, alors que la beauté d'écriture de "ça ne veut pas rien dire" elle est de bon sens dans ce que je viens de préciser.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Pour l'article de Scepi, d'abord, il y a un passage où il dit à peu près ce que je dis : l'histoire est avant tout un récit par les livres d'une histoire officielle avec ses codes, etc. Il cite un peu plus loin les passages sur les souvenirs et met ça en relation avec l'idées des images. Bref, sans s'y confondre, il approche de très près ma propre lecture sur les références nécessairement livresques de l'histoire de France dans "Mauvais sang" et il manque de peu l'élucidation du principe du souvenir.</div><div style="text-align: justify;">Il prend aussi le temps de dire que l'enfer n'est pas celui d'Hadès, mais celui de l'axiologie chrétienne, on pourrait croire à une vérité de La Palice, mais ce n'est pas si anodin que ça de le rappeler.</div><div style="text-align: justify;">Et puis, il prend pour référence le mythe romantique du damné et il précise que, normalement dans le cadre romantique, le damné, qui est par définition voué au mal, incarne un héroïsme qui va modifier la société et qui va être rédempteur. Et Scepi va un peu développer que le cas est différent dans <i>Une saison en enfer</i>, mais à mon sens Scepi n'a pas pris la pleine mesure du contraste entre le modèle romantique rédempteur et le modèle rimbaldien. En effet, je vais encore travailler l'article, mais même si cet article me plaît, j'ai l'impression que mes raisonnements vont plus loin sur la non-correspondance du modèle au héros d'<i>Une saison en enfer</i>. Donc ce sera un article de compte rendu, mais où je vais profiter d'une idée qu'il met en place pour creuser d'une façon mienne ma propre perception de la fin de la damnation. Je ne vais pas renouveler ma lecture qui est déjà très ferme, mais peut-être que je vais trouver le terrain qui permettra de mieux me faire comprendre auprès du public rimbaldien. Je sens qu'il y a un truc à jouer, donc je vais faire ça dans les jours à venir.</div><div style="text-align: justify;">En vérité, j'ai pas mal d'autres boulots en cours, donc ça risque de traîner dix jours, mais j'y attache de l'importance.</div><div style="text-align: justify;">A bientôt !</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Vos devoirs pendant ce temps : lire les articles récents de ce blog que vous avez négligés, manifester contre l'envoi de troupes françaises en Ukraine, participer à une demande de destitution de Macron, écrire publiquement et massivement des articles contre l'emprise des Etats-Unis et la corruptions des dirigeants et partis politiques des pays de l'Union européenne.</div><div style="text-align: justify;">Bye !</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;"><br /></div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-91661050523208054752024-03-16T07:25:00.000-07:002024-03-16T07:25:46.839-07:00Livres en ligne sur les Illuminations !<div style="text-align: justify;">Je n'entre pas dans le débat s'il faut écrire les <i>Illuminations</i> ou <i>Les Illuminations</i>. Je ne serais pas surpris qu'il faille écrire <i>Les Illuminations</i>, mais j'ai pris l'habitude du titre <i>Illuminations</i>.</div><div style="text-align: justify;">En tout cas, je voulais signaler à l'attention que j'ai trouvé deux livres sur <i>Les Illuminations</i> qui peuvent être intégralement consultés sur internet.</div><div style="text-align: justify;">Dans la bibliographie des <i>Illuminations</i>, il y a quelques livres de référence qui étudient à fond le sens de différents poèmes, par opposition à d'autre profils d'ouvrages sur Rimbaud et les <i>Illuminations</i>.</div><div style="text-align: justify;">Les principaux ouvrages recommandés sont les suivants :</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Antoine Fongaro, <i>De la lettre à l'esprit, Pour lire </i><u style="font-style: italic;">Illuminations</u>, Champion, 2004, ouvrage qui regroupe pas mal de publications d'ouvrages antérieurs parus aux presses universitaires de Toulouse le Mirail : Pour lire <u>Illuminations</u>, "Fraguemants" rimbaldiques, Matériaux pour lire Rimbaud et un quatrième dont le nom m'échappe. En revanche, on perd le volume <i>Segments métriques dans la prose d'</i>Illuminations, ce qui est dommage, même si l'étude était partie sur quelques fondements erronés.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Bruno Claisse, <i>Rimbaud ou le dégagement rêvé</i>, Bibliothèque sauvage, 1990, puis <i>Les Illuminations et l'accession au réel</i>, Classiques Garnier, 2012. Quelques articles n'ont pas été recueillis dans ces deux volumes du même auteur.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Pierre Brunel, Eclats de la violence, Corti, 2004.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Yves Reboul, <i>Rimbaud dans son temps</i>, Classiques Garnier, le volume contient quelques articles sur les poèmes en prose.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Après cela, il faut partir à la pêche aux articles dans différentes revues. On a le livre <i>Duplicités de Rimbaud</i> qui se rapproche à peu près d'une collection d'articles commentant certains poèmes, mais on reste quand même en-deçà de l'effort privilégié de l'élucidation du sens. Il existe aussi un livre que je n'ai jamais eu entre les mains, dont je ne connais même pas la couverture, celui d'Albert Henry : <i>Contributions à la lecture de Rimbaud</i>, il est vrai que je n'en attends pas grand-chose. Et puis, enfin, il y a deux livres, l'un réunissait à titre posthume les articles de Sergio Sacchi et l'autre était une suite d'études inédites d'Antoine Raybaud.</div><div style="text-align: justify;">Le livre de Sergio Sacchi, de manière inexplicable, je l'ai téléchargé par hasard au fichier PDF sur internet. Je possédais déjà cet ouvrage, mais il a été détruit, mais c'est après l'avoir téléchargé que je me suis rendu compte de ce ce que c'était. C'est une publication de la Sorbonne, je ne sais pas où je l'ai récupéré, je faisais des opérations à toute vitesse sans faire attention. Je sais que c'est sur le net, et ce n'est pas une version Google books que j'ai.</div><div style="text-align: justify;">Sergio Sacchi, Etudes sur les Illuminations de Rimbaud, Presses de la Sorbonne, 2002.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Et puis, on arrive au volume d'Antoine Raybaud. Je n'arrive pas à le télécharger, mais on peut le consulter sur le site Gallica de la BNF. On tourne les pages de sa mise en ligne en fac-similé. Je suis loin d'être convaincu par ce livre qui a fait du bruit parmi les rimbaldiens à sa sortie. On voit bien que personne ne le cite jamais, un quart de siècle plus tard.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;"><a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3333795z.texteImage">Cliquer ici</a><br /></div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-70199741024662885042024-03-13T05:17:00.000-07:002024-03-13T05:38:24.454-07:00Trois erreurs d'approche de l'essai de Bardel sur Une saison en enfer (éternité, charité et travail)<div style="text-align: justify;">Je poursuis mon analyse d'<i>Une saison en enfer</i>. C'est vraiment mon affaire de l'année 2023-2024, année au sens scolaire on va dire. Et si j'étais dans les conditions optimales pour le faire, imaginez à quel point nous irions loin.</div><div style="text-align: justify;">Je voulais réagir sommairement à trois erreurs d'approche d'Alain Bardel, en identifiant clairement là où le bât blesse, et en dépit des apparences d'une analyse simple de quelques détails cela touche à la compréhension d'ensemble de l'ouvrage rimbaldien.</div><div style="text-align: justify;">Le 08 mars 2024, "tout dernièrement" comme dirait l'autre, Bardel a mis en ligne une étude sur le poème "L'Eternité" dont la vente d'un manuscrit a fait du bruit quelques semaines auparavant. Ce qui est frappant, c'est que Bardel étudie ce poème avec le passage en prose qui l'introduit dans <i>Une saison en enfer</i>. Et, ce qui m'a frappé, c'est qu'au lieu de commenter le poème "L'Eternité" comme décrivant une aube, il a ironisé sur cette lecture pour défendre celle d'un couchant.</div><div style="text-align: justify;">Nous allons voir ce qu'il en est de la séquence en prose introduisant à la lecture du poème dans "Alchimie du verbe", c'est la raison pour laquelle j'inclus ce point dans mon article, mais je voudrais déjà déclarer mon étonnement en regard du poème en vers lui-même.</div><div style="text-align: justify;">Bardel considère donc que son article ponctué de ses remarques personnelles relève du "panorama critique". Il fournit une abondante bibliographie, à l'exclusion bien évidemment de ce que j'ai pu écrire sur internet, cela va de soi. Il ne rassemble que trois lectures fouillées du poème, ce qui est peu, celles de Bernard Meyer, de Christophe Bataillé et d'Antoine Nicolle. Je possède le livre de Bernard Meyer, mais j'ignore tout des deux autres lectures. Bernard Meyer n'est connu que pour ce livre sur Rimbaud paru au milieu des années 1990, auquel il faut ajouter deux ou trois articles d'époque, parus notamment dans la revue <i>Parade sauvage</i> et qui sont des compléments à une étude portant exclusivement sur l'ensemble appelé "Derniers vers". Meyer a le mérite de faire des études méthodiques très poussées et très soignées, mais en se permettant de prendre aucun risque au plan des visées profondes du discours rimbaldien. C'est un excellent livre de mise au point avec des garde-fous, mais on en attend plus d'un commentateur rimbaldien. Puis, il ne maîtrisait pas les questions de forme. Christophe Bataillé a fait pour moi un début assez fracassant avec l'article sur "Roman", ce qui assure à Bataillé d'avoir produit un article de référence sur un poème de Rimbaud. Il est devenu un collaborateur régulier de la revue <i>Parade sauvage</i>. Malheureusement, il n'a plus jamais produit un article aussi marquant que celui sur le poème "Roman" et s'il a fait une thèse sur "Les Déserts de l'amour" je n'ai pas pu la lire et les articles parus depuis par lui ou d'autres ne m'ont pas fait comprendre l'importance de son travail. En fait, parmi les nouveaux rimbaldiens vers le tournant du millénaire, je ne lisais pratiquement que les articles de Christophe Bataillé et Philippe Rocher. Les autres nouveaux rimbaldiens, Frémy compris, ne m'intéressaient pas. Je le dis comme je le pense. Enfin, Antoine Nicolle, est un tout nouveau venu de ces dernières années, je ne le connais pas. Il a fait un article sur "Chant de guerre Parisien", que je n'ai pas eu le temps de lire soigneusement, mais l'ayant lu en diagonale je l'ai trouvé assez costaud.</div><div style="text-align: justify;">Maintenant, j'aimerais que sur ces trois lectures-là précisément, Bardel nous dise qui fait une lecture en fonction de l'aube, qui en fonction du couchant. N'ayant pas lu l'article de 2017 de Bataillé, j'ai essayé de repérer cela en lisant les notes rapidement du panorama critique, et je n'ai pas trouvé, j'ai eu l'impression que l'aube était privilégiée, mais sans certitude. L'étude d'Antoine Nicolle n'est jamais citée par Bardel, soit par respect d'une étude à paraître, soit parce qu'il référence un article qu'il n'a pas encore lu. Mais dans son titre Nicolle parle de l'aube sous le mot "<i>alba</i>". Je ne me souviens pas de la lecture de Meyer. Bref, Bardel dresse un panorama critique qu'il accompagne de notes et il anonymise les critiques rimbaldiens qui prétendent lire une aube dans le poème "L'Eternité" pour affirmer que la lecture d'un couchant vaut mieux. Bardel cite aussi les pages consacrées au poème "L'Eternité" par une quantité élevée de rimbaldiens : Jean-Pierre Richard, Margaret Davies, René Etiemble, Yoshikazu Nakaji, Jean-Paul Corsetti, Albert Henry, Jean-Luc Steinmetz, Michel Murat, Antoine Fongaro, Yann Frémy, Alain Vaillant, Alain Bardel lui-même, Suzanne Bernard, Marcel A. Ruff, Pierre Brunel, Steve Murphy, André Guyaux. Certains sont cités pour plusieurs interventions et je rappelle que Bataillé, Meyer et Nicolle ont un statut différent puisqu'eux fournissent une étude fouillée du poème sous la forme plus contraignante d'un article complet d'une certaine étendue.</div><div style="text-align: justify;">Comment Bardel peut écrire aussi vaguement ceci ?</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>[...L]'image fusionnée de la mer et du soleil correspond, certes, à un point de l'espace mais elle renvoie surtout, pour la plupart des commentateurs, à un moment précis de la journée : l'aube pour certains, le crépuscule pour d'autres. Les exégètes, sur ce point, se divisent en deux parties égales. Ma préférence personnelle va au crépuscule. [...]</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Moi, je veux des noms. Je veux savoir qui dit quoi ! Ce n'est pas difficile de mettre des énumérations entre parenthèses à côté du camp de l'aube et à côté du clan du couchant. On pourrait en plus apprécier une éventuelle évolution dans le temps. Peut-être que dans un lointain passé une lecture primait et que plus récemment la faveur est plus marquée en faveur de la lecture opposée. Si Bardel ne fait pas ça, son panorama critique ressemble à un fourre-tout. Il parle d'une concurrence égale des deux lectures, mais est-ce qu'il a vérifié ? Est-ce que réellement une lecture n'a plus les faveurs de la critique que l'autre ?</div><div style="text-align: justify;">En tout cas, c'est à l'analyse du poème de trancher.</div><div style="text-align: justify;">Et moi, j'attends qu'on m'explique comment on peut soutenir la lecture d'un couchant avec pour chaque quatrain de vers courts du poème un indice flagrant d'une référence à l'élévation du soleil dans le ciel.</div><div style="text-align: justify;">Je laisse de côté le quatrain qui sert de refrain et bouclage au poème, c'est le quatrain qui est lu soit comme une allusion à l'aube, soit comme une allusion au couchant. Admettons que ce quatrain soit plus difficile à déterminer. Mais il y a les autres quatrains.</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i>Âme sentinelle,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Murmurons l'aveu</i></div><div style="text-align: justify;"><i>De la nuit si nulle</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Et du jour en feu.</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Jusqu'à plus ample informé, l'âme sentinelle guettait la lumière et l'éternité dans la nuit et ici le poème s'exprime à l'instant de l'éternité retrouvée, donc à l'instant de jaillissement de la lumière d'éternité. Il y a un double aveu par la nuit et par le jour, mais dans un cadre de couchant la nuit étouffe le jour en feu, ce qui ne cadre pas avec un double aveu de la nuit et du jour. La nuit avoue sa nullité, donc elle ne prend pas l'ascendant. Certes, Bardel peut soutenir que "nuit si nulle" ça ne veut pas dire "la nuit s'annule" au matin, mais le sens du quatrain il est limpide et clair. Nous avons un lever de soleil sur la mer. Et la nuit se réjouit de l'apparition de la lumière. C'est du b.a-ba. Dans "Alchimie du verbe", la nuit est dite "seule". Il est plus logique de parler de "nuit seule" quand elle se retire le matin que quand elle est triomphante le soir.</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i>Des humains suffrages,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Des communs élans,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Là tu te dégages</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Et voles selon.</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Le verbe "dégager" doit vous suggérer le lien avec le poème ultérieur "Génie" qui parle de "dégagement rêvé", et le fait de se dégager en s'envolant, c'est une idée d'élévation de cette éternité. Encore une fois, ça ne cadre pas avec un couchant, mais bien avec le lever du jour. D'ailleurs, l'expression de Rimbaud semble venir tout droit d'un passage du poème "Souvenir" de Musset où il est question de la Lune (ce que j'ai déjà écrit à plusieurs reprises).</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i>Voyez ! la lune monte à travers ces ombrages.</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Ton regard tremble encor, belle reine des nuits ;</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Mais du sombre horizon déjà tu te dégages,</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Et tu t'épanouis.</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Je vous explique ! Rimbaud a écrit un quatrain de vers courts volontairement et partiellement mal rimé, avec une référence à Banville que je ne développerai pas ici, mais on reconnaît la base du quatrain de rimes croisées. Nous avons une rime "suffrages"/"dégages" et une rime approximative, une quasi assonance de syllabes nasalisées : "élans"/"selon". Chez Musset, vous relevez la même rime en "-ages" avec le même mot "dégages" à la rime, et il s'agit dans les deux cas d'une conjugaison à la deuxième personne de l'indicatif. Plus nettement, dans les deux poèmes, c'est la même séquence "tu te dégages" qui est calée à la rime. Et dans l'enchaînement, nous avons un parallèle sensible entre les expressions conclusives des deux poètes : "Et voles selon" contre "Et tu t'épanouis." L'altération de mesure du vers conclusif nous rapproche à une sylabe près des vers de Rimbaud d'ailleurs.</div><div style="text-align: justify;">Oui, il y a des gens assez peu intelligents, assez peu lucides, qui vous diront que les ressemblances n'engagent à rien. ll ne faut pas s'occuper d'eux.</div><div style="text-align: justify;">A partir de ce constat, vous constatez que Musset précise que se dégager se fait par rapport à l'horizon, et il parle d'un deux grands astres visibles depuis la Terre. Rimbaud il parle du soleil qui se dégage à l'horizon. Et pourquoi la mer irait avec le soleil ? Ben tout simplement, on a une image au loin de la mer qui va jusqu'à l'horizon et donc jusqu'au soleil qui apparaît. La variante des <i>Poètes maudits</i>, c'est de toute évidence une erreur du prote, mais il a compris le mouvement : "la mer allée / Avec les soleils". Dans son erreur de transcription, il donne au moins l'idée que la mer semble monter au ciel vers les étoiles.</div><div style="text-align: justify;">Mais même en abandonnant cette coquille, le lien avec "Souvenir" de Musset est éloquent. J'ajoute que le poème parle de "bruyères fleuries", la "bruyère" étant un motif du poème "Larme" sans oublier "Michel et Chrsitine", et nous avons aussi l'idée du "murmure". En effet, dans le poème "L'Eternité", Rimbaud parle du murmure de la nuit et du jour, donc d'un murmure de dimension cosmique. Or, dans la poésie romantique ou autre, nous sommes habitués au murmure de la Nature, Rimbaud hyperbolise cette idée du murmure en quelque sorte, et ce mot "murmure" il figure aussi comme par hasard dans le poème "Souvenir" de Musset, et plutôt vers le début, et notez la mention familière "Les voilà" qui nous rapproche de l'expression de Rimbaud dans son refrain, relevez aussi les mentions du type "Voyez" chez Musset.</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i>Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Et ces pas argentins sur le sable muet,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Ces sentiers amoureux, remplis de causeries,</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Où son bras m'enlaçait,</i></div><div style="text-align: justify;"><i><br /></i></div><div style="text-align: justify;"><i>Les voilà ces sapins à la sombre verdure,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Cette gorge profonde aux nonchalants détours,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Ces sauvages amis, dont l'antique murmure</i></div><div style="text-align: justify;"><i> A bercé mes beaux jours.</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Musset parle de la Lune et du souvenir lié à la mort, Rimbaud parle du Soleil et d'un sentiment d'éternité. Mais l'approche de Rimbaud a à voir avec l'idée d'un souvenir et d'un retour de vie pour l'âme sentinelle qui exprime de la patience. Si l'éternité est retrouvée, c'est qu'elle semblait perdue et qu'elle vivait dans le souvenir, et le poète patientait, attendait son retour. Pour Musset, le souvenir est lui-même le retour de flamme, il en va un peu différemment dans la poème de Rimbaud qui se sert donc du poème de Musset comme modèle, mais pas pour le redire, puisque le sujet est complètement modifié.</div><div style="text-align: justify;">Notez qu'après le quatrain où Musset tutoie la Lune en célébrant son envol, nous avons un quatrain remarquable qui fait étonnamment écho à "communs élans" et "humains suffrages", dans la mesure où on a l'idée de s'arracher au sol :</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i>Ainsi de cette terre, humide encor de pluie,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Sortent, sous tes rayons, tous les parfums du jour :</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Aussi calme, aussi pur, de mon âme attendrie</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Sort mon ancien amour.</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Face à une "âme sentinelle", nous avons une "âme attendrie", et nous observons l'élévation d'un "ancien amour" chez Musset comme chez Rimbaud la révélation d'une éternité qui monte au ciel.</div><div style="text-align: justify;">Musset parle ensuite de chagrins éloignés, d'une régénération en enfant et il parle du temps précisément : "puissance du temps", "légères années", "éternel baiser", "Ne dure qu'un instant", "A chaque pas du Temps", "C'est là qu'est le néant", etc. Musset emploie aussi le mot "étincelle" que Rimbaud utilise dans son introduction en prose au poème dans "Alchimie du verbe". Et Musset reproche à Dante de décrier le poids du souvenir heureux, en lui répliquant qu'il ne faut pas oublier la lumière même si nous sommes dans la nuit !</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i>En est-il donc moins vrai que la lumière existe,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Et faut-il l'oublier du moment qu'il fait nuit ?</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Est-ce bien toi, grande âme immortellement triste,</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Est-ce toi qui l'as dit ?</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Et je vous cite deux quatrains plus loin le passage avec le mot "étincelle" :</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i>Eh quoi ! l'infortuné qui trouve une étincelle</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Dans la cendre brûlante où dorment ses ennuis,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Qui saisit cette flamme et qui fixe sur elle</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Ses regards éblouis ;</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Rimbaud parle lui de vivre "étincelle" de la lumière <i>nature</i> et des "braises de satin"...</div><div style="text-align: justify;">On parlais des expressions "communs élans" et "humains suffrages", voici une interrogation qui va dans ce sens :</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i>Qu'est-ce donc, juste Dieu, que la pensée humaine,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Et qui pourra jamais aimer la vérité,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>[...]</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Musset s'adosse à l'idée religieuse, Rimbaud la parodie en parlant de la Nature comme référent ultime, vérité à la rime fait penser précisément à notre titre "l'éternité". Rimbaud a retrouvé la vérité qui est l'éternité de la Nature en feu. Il vit de la lumière <i>nature</i>, lui !</div><div style="text-align: justify;">Musset parle aussi de la prise à témoin erronée d'un ciel toujours voilé....</div><div style="text-align: justify;">Il parle d'une voix qu'il ne trouvait pas, quand Rimbaud traite d'une éternité retrouvée.</div><div style="text-align: justify;">Je rappelle aussi que ce poème "Souvenir" contient précisément l'hémistiche "O Nature ! ô ma mère !" que cite Rimbaud dans la lettre à Laitou de mai 1873 à Delahaye, moment où composant <i>Une saison en enfer</i> il remanie son poème "L'Eternité" pour l'inclure dans "Alchimie du verbe". L'expression : "O nature ! ô ma mère !" vient des <i>Rêveries du promeneur solitaire</i> de Rousseau sous la plume de Musset, mais ce dont nous sommes certains c'est que Rimbaud fait référence au poème de Musset "Souvenir", l'idée d'une allusion à Rousseau de la part de Rimbaud n'étant plus qu'hypothétique dans les conditions actuelles de détermination des sources.</div><div style="text-align: justify;">Et on arrive aux deux derniers quatrains du poème de Musset, j'ai passé d'autres détails à relever, et on a la mention à la rime "simulacre humain", on a la fixation d'un moment "A cette heure, en ce lieu" et de là l'affirmation d'une réalité d'éternité de l'amour produit par cet instant :</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i>[...]</i></div><div style="text-align: justify;"><i>J'enfouis ce trésor dans mon âme immortelle,</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Et je l'emporte à Dieu !</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Alors, on peut avoir des lectures rimbaldiennes qui vont lire les sarcasmes contre les sources ciblées, mais jamais envisager que Rimbaud pose en mystique en réponse à ses sources critiquées. Moi, il me semble assez évident que dans "Voyelles" ou "L'Eternité" pose en mystique, ça ne veut pas dire que Rimbaud a une croyance mystique, mais pour exprimer ses convictions Rimbaud expose de toute façon des contre-modèles mystiques qui ont une sorte d'aura de sincérité.</div><div style="text-align: justify;">En tout cas, cela fait vingt ans au moins que j'ai la référence du poème "L'Eternité" au poème "Souvenir" de Musset. J'ai dû l'écrire dans un article de <i>Parade sauvage</i>. Je l'ai écrit quantité de fois sur internet. C'est vrai que je n'ai jamais publié d'étude suivie des liens du poème de Rimbaud à cette source.</div><div style="text-align: justify;">Vous voyez bien que Rimbaud parle d'une élévation d'un astre de lumière... Vous sentez aussi tout l'intérêt énorme du poème de Musset pour mieux comprendre les soubassements de la pensée imagée de Rimbaud dans ses "Fêtes de la patience". J'ai des tonnes de choses à dire que je n'ai jamais dites, sachez-le !</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Passons à la suite des quatrains. Je passe sur celui du devoir qui s'exhale des braises de satin, encore que le mot "enfin" signifie la patience pour une apparition, et je passe directement au quatrain suivant :</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i>Là, pas d'espérance,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Nul orietur,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Science avec patience,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Le supplice est sûr.</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Si le poème décrit un couchant, que vient faire l'allusion à une prière du matin "<i>orietur</i>" ? Je passe aussi sur la référence à la "science", référence distincte de son traitement dans <i>Une saison en enfer</i>. Il est clair que "pas d'espérance" et "Nul orietur" sont des oppositions au christianisme. La mer allée avec le soleil, cela n'appartient pas au christianisme, et pied-de-nez en passant au modèle du poème de Musset. En clair, Rimbaud admire une aurore réelle pour nier Dieu.</div><div style="text-align: justify;">Passons maintenant à la lecture par Bardel du passage en prose. Apparemment, la possibilité de recherche du syntagme "azur noir" dans la littérature du XIXe siècle a beaucoup progressé sur internet. Personnellement, je ne connaissais que le syntagme à la fin du roman <i>Spirite</i> de Théophile Gautier et j'avais exploité mais laborieusement le vers hugolien de <i>Chansons des rues et des bois</i> : "Fuis dans l'azur, noir ou vermeil," sauf que dans ce vers "noir" qualifie implicitement Pégase et non l'azur. J'avais aussi remarqué qu'il existait des variantes : "azur sombre", etc., chez Rimbaud, Hugo, etc.</div><div style="text-align: justify;">Bardel signale à l'attention un autre emploi dans la presse de la part de Gautier, ce qui ravive l'intérêt pour les études rimbaldiennes de s'intéresser à la presse. Ceci dit, il faut justifier une lecture par Rimbaud d'un article sur Léon Gozlan de 1866, ce qui ne va pas de soi. Puis, Bardel fait s'effondrer l'idée que Gautier ait inventé le syntagme "azur noir" en relevant deux occurrences bien plus anciennes de Philarètes Chasles, ce qui a des conséquences considérables. Gautier semble avoir repris l'expression à Chasles, lequel Chasles n'est pas inconnu, il est d'ailleurs celui qui rédige l'introduction de la <i>Grammaire</i> que le père Rimbaud avait refilé à son fils et dont la trace s'est perdue. Et l'expression "azur noir" est donc apparue dans la décennie 1830 et a pu avoir une certaine diffusion vu la célébrité de Philarète Chasles. Il reste à mieux déterminer malgré tout la source précise de Rimbaud quand il reprend "azur noir" au début du poème "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" au sein d'une parodie du premier quatrain du "Lac" de Lamartine. En revanche, pour "Alchimie du verbe", Rimbaud n'a pas écrit : "azur noir", il a écrit "l'azur" tout court et il a ajouté "qui est du noir". Déjà, il y a une différence.</div><div style="text-align: justify;">Mais étrangement Bardel qui recense aussi la leçon du brouillon prétend que Rimbaud écrit qu'il fait tomber la nuit dans ce passage en prose, ce qui est plus que manifestement l'inverse de ce qui est dit littéralement :</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;"><blockquote><i> Enfin, ô bonheur, ô raison, j'écartai du ciel l'azur, qui est du noir, et je vécus étincelle d'or de la lumière </i>nature<i>.</i></blockquote></div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Le brouillon offre une variante :</div><div style="text-align: justify;"><blockquote><i> Je crus avoir trouvé raison et bonheur. J'écartais le ciel, l'azur, qui est du noir, et je vivais, étincelle d'or de la lumière </i>nature<i>.</i></blockquote></div><div style="text-align: justify;">Notez qu'à la lecture de ce brouillon, on peut se demander si le texte imprimé ne contient pas des coquilles, puisque nous passons de "J'écartais le ciel, l'azur," à "J'écartai du ciel l'azur". Il y a changement du temps verbal, imparfait contre passé simple de l'indicatif, et nous passons d'une équivalent : "le ciel, l'azur" à un contraste du ciel et de l'azur. La première version a le mérite d'identifier l'azur mensonger qui est du noir au ciel du christianisme. Dans la version imprimée, le ciel est caché par un azur mensonger et le ciel n'est pas donc pas celui de Dieu à écarter, mais le vrai à chercher. Je me garderai bien d'affirmer qu'il y a des coquilles. La correction peut très bien venir du remaniement du texte par Rimbaud. Mais étudier le remaniement est intéressant en soi. Puis, sur le brouillon, l'emploi du verbe "trouvé" renvoie à la mention "retrouvée" du quatrain de refrain du poème, ce qui veut dire que l'éternité a à avoir avec la raison et le bonheur, avec la "fatalité de bonheur", et on a toujours à l'esprit les propos de Musset répliquant à Dante dans "Souvenir". Mais dans les deux versions Rimbaud prétend écarter, physiquement ou en esprit, l'azur qui est du noir pour vivre de la lumière nature. Donc, il écarte la nuit noire et accueille la lumière du jour en feu. Pourquoi Bardel lit-il l'inverse ? A mon avis, c'est le mot "étincelle" qui explique sa lecture. Selon Bardel, le poète écarte l'azur noir autour de lui et la lumière ne le concerne que lui seul avec son petit corps. Je ne suis évidemment pas d'accord avec cette lecture, puisque Rimbaud ne parle pas de lui comme d'une luciole, mais il dit qu'il devient une étincelle en étant nourri de la lumière "nature". Autrement dit, il reflète la lumière.</div><div style="text-align: justify;">Bref, voilà pour la première mise au point.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Au passage, je vous offre un petit bonus sous forme de question : "Avez-vous jamais songé à rapprocher la phrase : "je notais l'inexprimable", du titre <i>Romances sans paroles</i> de Verlaine ? Moi, si, et bien sûr j'implique la mentions "romances" à relative proximité dans "Alchimie du verbe" : "Je disais adieu au monde dans d'espèces de romances".</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Mais passons au problème de la notion de "charité". Je rappelle que suite à l'article de Molino se réclamant d'un article de Steinmetz les rimbaldiens ont pendant un certain temps considéré que la lecture du mot "charité" dans <i>Une saison en enfer</i> ne renvoyait pas <i>stricto sensu</i> à la vertu théologale. C'est grâce à moi évidemment qu'aujourd'hui tous les rimbaldiens, Vaillant et Bardel compris, recommencent à dire qu'il s'agit de la vertu théologale. Le site de Bardel avec ses commentaires datés de différentes époques permet de vérifier qu'il est passé de l'idée d'une "charité" propre à Rimbaud à une acceptation de l'évidente référence à la vertu théologale.</div><div style="text-align: justify;">Mais, il est question de "charité ensorcelée" dans "Vierge folle", d'une revendication de faire partie des "âmes charitables" de la part de l'Epoux infernal dans des propos rapportés par la Vierge folle, et enfin d'une "charité merveilleuse" revendiquée dans "Mauvais sang".</div><div style="text-align: justify;">Pour moi, une "charité ensorcelée", ce n'est rien d'autre qu'un dévoiement de la charité chrétienne. Je n'identifie pas une conception nouvelle de la charité par l'Epoux infernal. C'est la Vierge folle qui s'exprime et pourrait traduire familièrement son propos ainsi : "sa charité est détraquée !" Quand l'Epoux infernal dit de lui qu'il fait partie des "âmes charitables", il faut y voir de la malice, de l'ironie, du gros sel. Et donc il reste l'idée de la "charité merveilleuse".</div><div style="text-align: justify;">Evidemment, mes articles récents ont montré que les rimbaldiens ne considéraient pas le poète comme chrétien avant la conversion forcée de la sixième séquence de "Mauvais sang". J'ai montré que c'était faux. Le poète fait mine de se croire un païen en se comparant à des ancêtres gaulois revendiqués comme ses ancêtres directs, le poète fait mine de ne pas se croire chrétien, alors qu'il a été baptisé au berceau comme le rappelle le début de "Nuit de l'enfer", et j'ai montré que Rimbaud s'affronte à une acculturation chrétienne d'enfance quand il dit : "Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme !" Quand Rimbaud parle de l'histoire, il parle non d'un sujet abstrait sur lequel chacun donne son envie, il parle du récit historique officiel auquel son éducation le soumet.</div><div style="text-align: justify;">Bref, à la quatrième séquence de "Mauvais sang", ça change tout de penser si le poète a déjà une culture chrétienne ou non ! Mais, de toute façon, dans cette séquence, nous avons une citation par le poète prétendument païen du psaume latin "<i>De profundis clamaui</i>" et il dit avoir des élans vers Dieu tant il se sent délaissé. Et donc, quand il parle de "s]a charité merveilleuse", il peut très bien parler de la notion chrétienne et non d'une thèse personnelle de charité propre à un gaulois. D'ailleurs, pourquoi aurait-il une thèse immédiate de la "charité", sans l'avoir cherchée. On n'est pas dans un récit de bilan à la manière de "Alchimie du verbe". Si cette "charité merveilleuse", c'est lui qui l'a inventée, pourquoi il ne nous expose pas ce qu'elle est ? En réalité, il parle de la charité chrétienne. Et la variante du brouillon est là pour nous prouver que cette adjectif "merveilleuse" n'a pas le sens exaltant que lui attribue Bardel, puisque la leçon exclamative du brouillon se superpose à une phrase interrogative non équivoque qui a été biffée : "A quoi servent mon abnégation et ma charité inouïes". Rimbaud quand il s'exclame : "O mon abnégation, ô ma charité inouïes" (avec accord qui passe brutalement) ou "Ô mon abnégation, ô ma charité merveilleuse" (leçon définitive), il ironise sur l'abnégation et la charité chrétiennes. Tout simplement !</div><div style="text-align: justify;">Je rappelle que le poète pour dernière marque de timidité ou innocence est en train de cacher au monde ses dégoûts et ses trahisons. Là, il bave sur l'abnégation et la charité, tout simplement !</div><div style="text-align: justify;">Passons maintenant au motif du travail !</div><div style="text-align: justify;">Dans son essai, Bardel rédige une sous-partie intitulée "La question du travail" qui tient en peu de pages (pages 73-77). Bardel fait remarquer que pour le poète comme pour le nègre le travail est "une servitude que la société nous impose". Puis, Bardel passe immédiatement à la citation du refus du travail exprimé dans la lettre à Izambard du 13 mai 1871 : "Travailler maintenant, jamais, jamais : je suis en grève." MMh ! Et dans la Saison, le meilleur est un sommeil bien ivre sur la grève. Ceci dit, dans la lettre à Izambard, on pourrait presque y lire un jeu de mots : "Je suis en place de Grève où on guillotine les méchants." Dans la lettre à Izambard, le refus du travail immédiat s'explique par la révolte communarde en cours et le poète dit à Izambard qu'il sera un travailleur en poésie, ce qui montre qu'il y a deux relations au travail. Certes, le refus du travail dans la lettre de 1871 est facile à relier au refus exprimé dans la <i>Saison</i>. Dans les deux cas, il s'agit de ne pas se laisser aliéner par une société qu'on réprouve, puisque le travail est la manifestation d'un devoir vis-à-vis de la société.</div><div style="text-align: justify;">Mais, dans sa lecture, Bardel ne relie qu'incidemment le refus du travail à l'attitude du nègre. A aucun moment, Bardel ne cite ce qui amplifie la valeur de cette comparaison, le tout début de "Mauvais sang" où le poète s'attribue un "habillement" comparable à celui des gaulois puis fixe son "horreur de tous les métiers". Bardel ne fait que frôler la vraie dimension du travail dans <i>Une saison en enfer</i>. il n'a pas vu l'implication des enchaînements d'alinéas au début de "Mauvais sang", c'est-à-dire qu'il n'essaie pas de préciser pourquoi tel alinéa suit tel autre. Il faudrait que Rimbaud ait mis des éléments de grammaire qui soudent les rapports des idées les unes aux autres pour qu'il envisage cette perspective. Il y a un manque d'affrontement du lecteur aux liaisons implicites des ellipses et juxtapositions pourtant si caractéristiques de l'écriture de Rimbaud. Il manque sans doute aussi un relevé de toutes les mentions du travail dans <i>Une saison en enfer</i> pour ensuite chercher à cerner comment tout cela se coordonne.</div><div style="text-align: justify;">Voilà, d'autres articles sont à venir, et j'en ferai un tout entier consacré à la notion du travail, reste à savoir quand.</div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-5281058213042011102024-03-12T12:20:00.000-07:002024-03-12T12:20:46.877-07:00Un fac-similé du poème "Démocratie" des Illuminations circulerait avec du texte inédit !<div style="text-align: left;">On le sait ! Les manuscrits de deux poèmes des <i>Illuminations</i> n'ont jamais été retrouvés. Il peut s'agir d'un seul feuillet écrit au recto et au verso ou de deux feuillets pour les poèmes "Dévotion" et "Démocratie".</div><div style="text-align: left;">Or, un fac-similé circule du poème "Démocratie" avec une révélation étonnante. Le poème a une double signature comme à l'époque des contributions zutiques. Nous savions que le poème faisait parler ironiquement un ennemi de Rimbaud grâce à l'encadrement de tout le texte par des guillemets. La nouvelle signature devrait permettre de lever un voile.</div><div style="text-align: left;"><br /></div><div style="text-align: left;"><h3 class="tmp" id="DÉMOCRATIE" style="background-color: white; font-family: sans-serif; font-size: 15.4px; font-weight: normal; letter-spacing: 0.1em; line-height: inherit; margin: 0.3em 0px 0px; overflow: hidden; padding-bottom: 0px; padding-top: 0.5em; text-align: center;"><span class="mw-headline" id="DÉMOCRATIE">DÉMOCRATIE</span></h3><p style="background-color: white; color: #202122; font-family: sans-serif; font-size: 14px; margin: 0.5em 0px; text-align: justify; text-indent: 2em;"><br /></p><p style="background-color: white; color: #202122; font-family: sans-serif; font-size: 14px; margin: 0.5em 0px; text-align: justify; text-indent: 2em;">« Le drapeau va au paysage immonde, et notre patois étouffe le tambour.</p><p style="background-color: white; color: #202122; font-family: sans-serif; font-size: 14px; margin: 0.5em 0px; text-align: justify; text-indent: 2em;">« Aux centres nous alimenterons la plus cynique prostitution. Nous massacrerons les révoltes logiques.</p><p style="background-color: white; color: #202122; font-family: sans-serif; font-size: 14px; margin: 0.5em 0px; text-align: justify; text-indent: 2em;">« Aux pays poivrés et détrempés ! — au service des plus monstrueuses exploitations industrielles ou militaires.</p><p style="background-color: white; color: #202122; font-family: sans-serif; font-size: 14px; margin: 0.5em 0px; text-align: justify; text-indent: 2em;">« Au revoir ici, n’importe où. Conscrits du bon vouloir, nous aurons la philosophie féroce ; ignorants pour la science, roués pour le confort ; la crevaison pour le monde qui va. C’est la vraie marche. En avant, route ! »</p><p style="background-color: white; color: #202122; font-family: sans-serif; font-size: 14px; margin: 0.5em 0px; text-align: right; text-indent: 2em;">Joe B. & Manu Trogneu</p><p style="background-color: white; color: #202122; font-family: sans-serif; font-size: 14px; margin: 0.5em 0px; text-align: right; text-indent: 2em;">Pour copie conforme</p><p style="background-color: white; color: #202122; font-family: sans-serif; font-size: 14px; margin: 0.5em 0px; text-align: right; text-indent: 2em;">Arthur Rimbaud.</p><p style="background-color: white; color: #202122; font-family: sans-serif; font-size: 14px; margin: 0.5em 0px; text-align: justify; text-indent: 2em;"><br /></p><p style="background-color: white; color: #202122; font-family: sans-serif; font-size: 14px; margin: 0.5em 0px; text-align: justify; text-indent: 2em;">Des recherches sont en cours pour déterminer les cibles du poème que sont Joe B. et Manu Trogneu. L'état français est prêt à mettre trois milliards.</p></div><div style="text-align: right;"><br /></div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-6072358942937666412024-03-09T06:21:00.000-08:002024-03-09T06:57:49.449-08:00Le voyage mental dans Une saison en enfer (On ne part pas.)<div style="text-align: justify;">Je poursuis cette étude de longue haleine du voyage mental dans <i>Une saison en enfer</i>. J'ai traité l'unité du récit gaulois païen étendu aux trois premières séquences de "Mauvais sang" dans l'article précédent.</div><div style="text-align: justify;">Je vais maintenant me pencher sur le cas des séquences disjointes 4 et 8 de "Mauvais sang", et donc cet article va être aussi l'occasion de revenir sur le brouillon, et j'ai une raison précise de le faire dans l'optique de mon sujet, parce que nous avons laissé le poète ivre songeant à s'endormir sur la grève "armoricaine", et il y a une liaison importante du texte imprimé définitif, puisque au début de la séquence 4 le poète dit "On ne part pas. Reprenons les chemins d'ici [...]". Cette relance est comparable à celle en début de séquence 3 : "Le sang païen revient." Et ce qui est très intéressant, tout en m'obligeant à faire attention à ce que j'affirme, c'est que ce "On ne part pas" est en contradiction avec la facilité du poète à s'attribuer un voyage en esprit, mais il est aussi absent du brouillon correspondant.</div><div style="text-align: justify;">A la page 116 de son livre <i>Rimbaud l'Introuvable</i>, Alain Bardel commente par une note ce passage : "On ne part pas. - Reprenons les chemins d'ici, chargé de mon vice, [...]". Et il écrit ceci : "on rêve de départ, mais on ne passe pas à l'acte. Constat du caractère purement fantasmatique du développement précédent (le monologue de l'homme fort, du Soldat de fortune.)" Je ne suis pas vraiment d'accord. Le poète ne renonce pas à passer à l'acte, il en décrète l'impossibilité. En réalité, il va réellement partir dans la suite du récit, il se réfugie au "vrai royaume des enfants de Cham" en un instant, autrement dit on a une ellipse d'un voyage en mer de la plage armoricaine à une côte africaine au-delà des pays du Maghreb. Mais, l'expression "On ne part pas" va alors prendre tout son sens, puisque sitôt arrivé parmi les peuples noirs Rimbaud subit un débarquement de blancs qui l'obligent à une vie occidentale pour l'habit, le travail et bien sûr la spiritualité chrétienne.</div><div style="text-align: justify;">Mais, de toute façon, à partir du moment où nous avons compris que Rimbaud ne visite qu'en esprit au moyen des livres les foyers de chaque fils de famille, à partir du moment où le déplacement sur la plage armoricaine n'est qu'une forme mentale de la fuite, il n'est pas absurde que le poète constate que quelque chose coince dans sa tentative de fuite. Puis, changer de civilisation, ce n'est pas simple. Il faut être accepté aussi.</div><div style="text-align: justify;">En clair, ce "On ne part pas" n'est pas une pièce anodine dans la réflexion sur l'importance du voyage mental dans <i>Une saison en enfer</i>.</div><div style="text-align: justify;">Maintenant, ce qui m'intéresse aussi, c'est de profiter de l'état originel du brouillon pour cerner la genèse de la réflexion de Rimbaud.</div><div style="text-align: justify;">Commençons par un effort de transcription de cette prose et précisons aussi les particularités du brouillon. Les éditeurs offrent la lecture du brouillon comme si le texte était présenté comme une prose autonome. Ce n'est pas le cas.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;"><a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10303827h/f4.item.zoom">Cliquer ici pour consulter le fac-similé du manuscrit (site Gallica) en mode "Zoom"</a><br /></div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Le texte tient sur une seule page manuscrite. Le bas du manuscrit laisse apparaître un blanc de fin de transcription, mais le haut du manuscrit n'offre aucun blanc. En revanche, nous avons un émargement qui prouve que le feuillet commence par un nouvel alinéa : "Oui, c'est un vice que j'ai..."</div><div style="text-align: justify;">En clair, même si dans l'absolu, nous ne pouvons pas exclure que Rimbaud anticipe un problème d'économie du papier utilisé, nous avons deux indices convergents qui invitent à penser que le brouillon ne fournit que la fin d'un récit. Il nous manque le début du texte sur un feuillet antérieur. Le premier indice, c'est évidemment l'amorce par une réponse : "Oui, c'est un vice que j'ai..." et le deuxième indice corroborant c'est donc le fait d'écrire tout au haut de la feuille, principe qui s'applique à une suite, mais pas à un début de texte normalement.</div><div style="text-align: justify;">Or, que ce soit un début de récit ou non, de toute façon, il y a un principe de liaison supposé par ce "oui", voire par la tournure grammaticale : "c'est un vice que j'ai..." Il est clair que nous avons affaire à la poursuite d'une réflexion. Et pourtant, cette réflexion ne peut en aucun cas être la suite de la séquence 3 de "Mauvais sang" qui se terminait par le désir de sommeil ivre. A la limite, on pourrait imaginer une liaison à partir du second alinéa de la troisième séquence : "J'attends Dieu avec gourmandise. Je suis de race inférieure de toute éternité." Là, on peut concevoir l'enchaînement : "Oui, c'est un vice que j'ai..."</div><div style="text-align: justify;">On peut envisager que la partie sur la plage armoricaine, le sommeil ivre et du coup le constat d'impossibilité du départ aient été ajoutés. A cette aune, l'ensemble des séquences 1, 2, 3, 4 et 8 ne formaient qu'une des trois histoires dont il était fait état à Delahaye. Ceci dit, j'ai un petit peu de mal à accepter l'idée. D'abord, la partie sur la plage armoricaine contient deux éléments caractérisés de la référence gauloise. Nous avons l'idée de "plage armoricaine", et aussi le réemploi du mot "ancêtres". Je cite et puis j'explique :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote> Me voici sur la plage armoricaine. Que les villes s'allument dans le soir. Ma journée est faite ; je quitte l'Europe. L'air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus me tanneront. Nager, broyer l'herbe, chasser, fumer surtout ; boire des liqueurs fortes comme du métal bouillant, - comme faisaient ces chers ancêtres autour des feux.</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Dans ce paragraphe, il y a un procédé de bouclage avec la reprise du mot "ancêtres" qui figure dans la première phrase de la première séquence de "Mauvais sang" : "J'ai de mes ancêtres gaulois [...]". L'expression "chers ancêtres" désignent ces mêmes gaulois, et on a un rappel en fin du récit païen du lien ancestral. Le mot "ancêtres" n'a pas d'autre occurrence dans le récit des trois premières séquences. Ensuite, la comparaison se fait au sujet de ce désir de "boire des liqueurs fortes comme du métal bouillant", ce qui n'est pas anodin, puisque le poète va précipiter sa "Nuit de l'enfer" en absorbant "une fameuse gorgée de poison" qui lui brûle les entrailles, et le poète se dira que si c'est un tourment c'est parce que ses parents l'ont baptisé : "l'enfer ne peut attaquer les païens". Il y a bien, même si ce n'est pas le sens littéral du texte, l'idée que la "fameuse gorgée de poison" ne ferait pas un tel effet à un gaulois non baptisé. En tout cas, la continuité thématique est évidente et volontaire. Et il est question de quitter l'Europe, donc on est bien dans le cadre où le gaulois ne peut pas être païen en Europe, et il doit s'exiler. Il le fait sur un contre-modèle de Chateaubriand d'ailleurs. Je rappelle que pendant la période révolutionnaire Chateaubriand s'exile et il fait notamment un voyage en Amérique dont il a tiré un livre. Chateaubriand est un breton, et il va de soi que la Bretagne est l'argument principal qui fait envisager l'Armorique comme spécifiquement gaulois, et pour une expression telle que : "L'air marin brûlera mes poumons", on pense facilement aux bretons, même s'il y a la Normandie, Bordeaux, etc. L'Armorique en géographie tend à se limiter de nos jours à la péninsule bretonne à peu près avec la délimitation fluviale de la Seine et de la Loire, alors que dans l'Antiquité l'Armorique s'étend jusqu'à l'estuaire de la Gironde et représente une partie considérable de l'ouest de la France actuelle.</div><div style="text-align: justify;">Mais, justement, puisqu'il est question de référence à la période gauloise antique de confrontation avec les romains, je vous offre une petite citation de <i>La Guerre des Gaules</i> (V, 53) de Jules César où on peut identifier l'idée de "maladresse dans la lutte" et l'idée un peu lâche de ne se soulever que pour piller, en évitant l'affrontement perdant :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>Il apprit notamment de Lucius Roscius, qu'il avait mis à la tête de la treizième légion, que des forces gauloises importantes, appartenant aux cités qu'on nomme armoricaines, s'étaient réunies pour l'attaquer et étaient venues jusqu'à huit miles de son camp, mais qu'à l'annonce de la victoire de César elles s'étaient retirées avec tant de hâte que leur retraite ressemblait à une fuite.</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">L'ouvrage <i>La Guerre des Gaules</i> est subdivisé en plusieurs livres. Le premier livre parle de peuples gaulois courageux, et de premiers affrontements, mais le cinquième livre parle de gaulois de plus en plus habitués aux victoires romaines et les gaulois sont plus volontiers tournés en ridicule, notamment les armoricains. Et on a des passages où les gaulois exterminent une légion par ruse, ce qui n'est pas sans faire penser à l'image de celui qui ne se souleva jamais que pour piller à la manière des loups qui pilleraient une bête qu'ils n'ont pas pour autant tuée. Et avec la plage armoricaine, Rimbaud renforce l'allusion à une puissance romaine coercitive qui vient soumettre les gaulois, ce qui se transpose au présent d'une civilisation chrétienne romaine qui opprime le restant de paganisme et va même l'éradiquer en Afrique subsaharienne.</div><div style="text-align: justify;">Pour toutes ces raisons, j'ai du mal à croire que la fin de la séquence 3 soit un ajout tardif. La suite de la séquence 3 est elle-même fortement attaché à l'ensemble. Le poète prévoit de fuir dans un monde des marges où il pourra se comporter en personnage oisif et brutal, donc en païen. Et nous avons le début de la théorie du masque qui fait croire à une race forte, à un statut d'élu. Surtout, ces alinéas de séquence 3 ne développent pas l'idée du vice, ce qui tend à exclure l'idée que Rimbaud ait seulement raccourci le récit de la séquence 3. Or, il faut bien que le poète vienne d'en toucher un mot si le brouillon se poursuit de la sorte : "Oui, c'est un vice que j'ai..." Rimbaud a-t-il renoncé à une partie antérieure du récit ? L'a-t-il partiellement conservé et replacé autre part ? Telles sont les énigmes.</div><div style="text-align: justify;">Je vais toutefois citer maintenant le brouillon, je vais en essayer ma propre transcription, pour bien chercher à cerner les plus par rapport au texte imprimé définitif. J'utilise une transcription intermédiaire qui est celle de l'édition du centenaire pages 850-851 (<i>Oeuvre-Vie</i> chez Arléa en 1991). Pour une lecture de confort, faites abstraction des parties en rouge qui commentent les remaniements :</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i> Oui c'est un vice que j'ai, qui s'arrête et qui [re]marche avec moi <span style="color: red;">[Rimbaud a réécrit trois mots, on croit déchiffrer : "et qui reprend" en-dessous de "et qui marche", "reprend" est une évidence, mais il y a une réécriture des deux autres mots "et qui", ce qui pose problème. Pire : le décalage de la transcription "marche" fait que le néologisme "remarche" est envisageable comme lecture, mais sans certitude absolue]</span>, et, ma poitrine ouverte, je verrai[s] <span style="color: red;">[les éditeurs transcrivent le conditionnel "verrais", mais personnellement j'identifie un futur de l'indicatif "verrai" : la fin du "i" est identique à celle du "i" de "j'ai" de la ligne précédente. Ceci dit, la lecture au conditionnel a tout de même l'air d'être plus naturelle, le poète ne prévoit pas de s'ouvrir la poitrine que je sache, donc on va privilégier le conditionnel tout de même, c'est l'usage de la plume qui peut expliquer que les "s" de fins de mots soient mangés]</span> un horrible cœur infirme. Dans mon enfance, j'entends [les] <span style="color: red;">[on prétend qu'un "ses" est remplacé par "les", je ne trouve pas ça évident, le r de racines est lui aussi raturé]</span> racines de souffrance jetée[s] <span style="color: red;">[d'après moi, Rimbaud écrivant rapidement à la plume, le "s" est dans l'absolu manquant, mais je remarque l'indice qu'il a voulu en mettre un, il y a un retour brusque du trait vers la gauche à la fin du "e" de "jetée" et à la fin du "e" de "chantée" plus loin. Les rimbaldiens excluent le "s" à cause de la reprise de "souffrance" par "elle", mais l'accord au pluriel doit se faire avec "racines" dans tous les cas, et le manuscrit a l'air d'indiquer que Rimbaud a amorcé sa transcription, voir le cas de "chantée" plus loin où là les éditeurs rimbaldiens mettent bien le "s" du pluriel. Ou alors, je me trompe complètement parce que dans le cas de "chantée", Rimbaud a écrit "ma complaintes chantée", biffé le "ma" remplacé par "les". Allez comprendre pourquoi Rimbaud a écrit initialement "ma complaintes chantée", j'en reparle plus bas] </span>à mon flanc ; aujourd'hui elle <span style="color: red;">["monte" remplacé par]</span> a poussé au ciel, elle <span style="color: red;">(remords de plume immédiat : "me" est remplacé par "est"]</span> est bien plus forte que moi, elle me bat, me traîne, me jette à terre. <span style="color: red;">[Leçon initiale : "me jette à bas", "bas" est remplacé par "terre"].</span></i></div><div style="text-align: justify;"><i> Donc c'est dit renier la joie, éviter le devoir, ne pas porter <span style="color: red;">[les éditeurs prétendent le mot illisible, ce n'est pas vrai, le mot "porter" de l'imprimé est écrit par-dessus un verbe illisible précédent peut-être à terminaison en "ir", d'où le sentiment d'illisibilité des éditeurs]</span> au monde mon dégoût <span style="color: red;">[en réalité, il y a une superposition de deux mots, et dégoût est mis au pluriel "mon dégoûts", ce n'est pas clair]</span> et mes trahisons supérieures. [...] <span style="color: red;">[le mot manquant a une amorce en "imp", j'ai pensé à "impures", "impropres", mais ça ne s'impose, j'indique la direction dans laquelle chercher, l'ordre des lettres est bizarre pour le mot précédent, je déchiffre : "supérieurs suivi d'un e agrandi on dirait, je me trompe peut-être. Avec un peu de patience, ça doit être déchiffrable.]</span> la dernière innocence, la dernière timidité.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Allons, la marche ! le désert, le fardeau, les coups, le malheur, l'ennui, la colère. - l'enfer, la science et les délices de l'esprit et des sens dispersé[s]. <span style="color: red;">["et des sens dispersé" est écrit par-dessus d'autres mots, dont un qui commencerait par un "f" en-dessous de "dispersé"]</span></i></div><div style="text-align: justify;"><i> A quel démon <span style="color: red;">[il y a un ajout au-dessus de la ligne, soit une graphie aberrante "je devrias" pour "je devrais", soit la forme "je suis à ", celle-ci semble s'imposer vu que le "me" est souligné car il disparaîtrait si l'ajout était effectué, il s'agit donc d'une alternative ménagée]</span> me louer ? Quelle bête faut-il adorer ? Dans quel sang faut-il marcher ? Quels cris faut-il pousser ? Quel mensonge faut-il soutenir ? Quelle sainte image faut-il attaquer ? <span style="color: red;">(Remords de plume immédiate, le Q de Quelle est par-dessus un "à" initiale : Rimbaud pensait écrire "A quelle sainte image faut-il s'attaquer ?" L'absence de forme pronominale "s'attaquer" prouve la correction]</span> Quels cœurs faut-il briser ?</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Plutôt, éviter la stupide justice <span style="color: red;">[J'ai du mal à déchiffrer le mot censé remplacer le verbe "éviter", on dirait "s'ôter" quelque chose d'approchant, mais je me méfie de mon hypothèse "s'ôter la main", je n'identifie pas le verbe "s'ôter". Rimbaud aurait prévu d'écrire "éviter la main brutale de la justice", mais le remaniement se fait en même temps que le premier jet, il faut ici une chronologie du remaniement, Rimbaud écrit "éviter la main bruta[le]", il simplifie de "éviter la main brutale de la justice" à "éviter la stupide justice", je ne sais pas à quel moment il a changé de verbe, de "éviter" à une forme illisible pour moi pour l'instant]</span>, j'entendrais les complaintes chantée[s] <span style="color: red;">[Rimbaud a voulu écrire "ma complainte chantée", il a dû écrire "ma complaintes" d'une traite, comme si en même temps qu'il écrivait il passait au pluriel, il a alors biffé le "ma" et l'a remplacé par "les", mais a-t-il écrit "chantée" avant ou après la correction ? Il aurait écrit : "ma complaintes chantée", mais avec un petit signe de remords d'absence du "s" sur "chantée", il aurait ensuite corrigé le "ma" en les, ce qui fait un accord correct avec "complaintes" immédiatement mis au pluriel, mais Rimbaud n'aurait pas trouvé nécessaire de bien mettre le "s" à "chantées", ce qui invite à penser que j'ai raison pour "jetées" plus haut.]</span> <span style="color: red;">[deux mots superposés pour l'instant illisibles, le premier commence par un "a", le second par un "j" peut-être, sans doute à tort la superposition me fait envisager une lecture du genre "agitées", mais je n'y souscris pas. En fait, le mot illisible est une forme participiale au féminin singulier qui se termine par la séquence "-tée", et l'accord se fait avec l'idée initiale : "ma complainte chanté a[...]tée dans les marchés"]</span> <span style="color: red;">["dans les" remplacé par]</span> aux marchés ? Point de popularité, la dure vie, l'abrutissement pur, - et puis soulever d'un poing séché le couvercle du cercueil, s'asseoir et s'étouffer. <span style="color: red;">["Je ne vieillirai pas" biffé et remplacé par]</span> Pas de vieillesse. Point de dangers, <span style="color: red;">["dangers" est par-dessus un mot d'origine qui semblait commencer par "t", on pense sans certitude au mot avoisinant au pluriel ou non "terreur(s)"]</span> la terreur n'est pas française.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Ah ! je suis tellement délaissé, que j'offre à n'importe quelle divine image des élans vers la perfection. Autre marché grotesque.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> O mon abnégation, ô ma charité inouïes. De profundis domine ! je suis bête ? <span style="color: red;">[Leçon initiale interrompue et biffée : "A quoi servent mon abnégation et ma charité inouïes mai[...]" J'imagine que "mai" est le début de "maintenant". Le premier O d'interjection en majuscule accompagné d'un trait biffe toute la partie "A quoi servent", tandis que le second "o" est surimposé au "et" initial, le début de transcription "mai" ligne suivante est barré. Il y a également une rature sur le "De" de "De profundis", et Rimbaud avait d'abord écrit "que je suis bête?, éventuelle présence fantôme initiale d'un "!" Il a biffé le "que" et graissé le point d'interrogation. Vu la leçon finale : "suis-je bête !" ou le point d'exclamation revient, il me semble que la leçon peu naturelle "je suis bête ?" n'était pas du tout arrêtée. Rimbaud voulait éviter l'emphase du "que"]</span></i></div><div style="text-align: justify;"><i> Assez ! Voici la punition[ ] ! <span style="color: red;">[Rimbaud a d'abord écrit : "les punitions" il a remplacé "les" par "la" sans corriger le pluriel à "punitions"]</span> Plus à parler d'innocence. En marche. Oh ! les reins se déplantent, le cœur gronde <span style="color: red;">[deux mots superposés, et j'ai du mal à savoir lequel a été transcrit en premier, on dirait "brule" et "gronde", "brule" sans accent suit de près sur le manuscrit, mais on dirait que "brule" corrige "gronde" et non l'inverse. Dans la version finale on aura "les poumons brûlent, les tempes grondent", le verbe "gronder" ne sera pas associé au coeur finalement]</span>, la poitrine brûle, la tête est battue, la nuit roule dans les yeux, au Soleil.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> <span style="color: red;">["Sais-je où je vais," remplacé par]</span> Où va-t-on [?] <span style="color: red;">[Lacune de ponctuation du manuscrit]</span> A la bataille ?</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Ah ! mon ami ! ma sale jeunesse ! Va !va, <span style="color: red;">[La transcription : "Va..., va" ne me plaît pas, je n'identifie pas trois points de suspension, mais plutôt un point d'exclamation, et le second "va" est un ajout ultérieur qui est inséré de force dans la ligne. Rimbaud aurait écrit : "Va !.. les autres avancent, l'ajout d'un second "va" tendrait à entraîner la suppression des deux points éventuels de suspension qui ne sont même pas cetains]</span> les autres avancent <span style="color: red;">["remuent" biffé]</span> les autel[s] <span style="color: red;">[la forme du "a" est indiscutable dans "autels", il suffit de comparer tous les "a" et les "o" avoisinants pour achever de s'en convaincre, il arrive qu'un "o" ressemble à un "a", mais ici on a l'évidence que le poète marque les contours d'un "a", on n'atteint pas du tout le moment où il y a confusion possible, puisque le "a" est transcrit avec des angles pour donner un aire rectangulaire penché de lettre "a" par opposition à la rondeur des "o", la boucle du "e" est mal formée, mais c'est le cas de tous les "e" voisins, le "s" manque" et la suite "es" pour "armes" est également faiblement marquée, voyez le traitement négligent des "e" dans "les autres avancent", "je me jette", "foulé", etc., et notez que les "i" voisins sont bien ponctués "ami", "bataille", "Sais-je" en amont et "faiblesse", "bêtise", "moi", "pieds", "habituerai" en aval]</span>, les armes.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Oh ! oh[!] c'est la faiblesse, c'est la bêtise, moi ! <span style="color: red;">[Je n'identifie pas de majuscule pour "C'est la faiblesse"]</span></i></div><div style="text-align: justify;"><i> Allons, feu sur moi. Ou je me rends ! <span style="color: red;">[Début illisible surchargé par "Qu'on me"]</span> Qu'on me blesse, je me jette à plat ventre, foulé aux pieds des chevaux.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Ah !</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Je m'y habituerai.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Ah ç[à], je mènerais la vie française, et je suivrais le Sentier de l'honneur. <span style="color: red;">[J'identifie un S majuscule pour ma part. L'erreur d'orthographe "ça" au lieu de "çà" est très courante de la part de Verlaine comme on peut le voir dans sa correspondance. Rimbaud fait la même faute d'orthographe !]</span></i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i><span style="color: red;"></span></i></div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Grâce au brouillon, nous savons que les exclamations "Ô mon abnégation, ô ma charité inouïes" supposent un rejet, un dédain : "A quoi servent..." Nous savons que la leçon "outils" est une coquille pour "autels". Nous avons aussi un point intéressant. Rimbaud fait allusion à la formule attribuée à Napoléon : "Impossible n'est pas français", il la réécrit : "la terreur n'est pas française" avec une allusion à 1793 possible. En tout cas, le modèle de référence est claire, nous avons l'alliance de la religion et d'une idéologie napoléonienne, un peu militaire, même si en 1873 le régime politique a changé et que Rimbaud ne le perd certainement pas de vue. Rimbaud parlait d'une "histoire de la France fille aînée de l'Eglise" dans la seconde séquence de "Mauvais sang". Ici, on peut penser que le texte est prévu pour faire suite à l'état ancien inconnu du récit du gaulois, et il y a une passerelle de l'idée d'une "histoire de la France fille aînée de l'Eglise" aux deux mentions : "la terreur n'est pas française" et "la vie française, le sentier de l'honneur", la mention de la "science" fait office aussi de rappel, et l'idée de l'adjectif "française" suppose un renvoi à l'identification au "gaulois" antérieur à l'empire romain et forcément à la conquête franque. Il y a une opposition conceptuelle entre Gaule et France, le mot France étant défini par une histoire officielle proche de la religion, du mythe de Napoléon, etc. Et on a un renvoi évident à la formule "j'ai horreur de la patrie" du texte définitif. Oui, je sais que je joue de manière vague à attribuer à ce texte de brouillon des renvois à un texte imprimé, ce qui est anachronique puisque le texte imprimé a été remanié postérieurement à ce brouillon, brouillon qui ne peut renvoyer qu'à des textes inconnus, mais bon vous comprenez le raisonnement logique.</div><div style="text-align: justify;">Un point important, que ce soit le brouillon ou le texte décisif, nous avons un renvoi à la phrase de la prose liminaire : "Je me suis armé contre la justice." Nous sommes déjà dans l'injure à la Beauté et tout ce qui s'ensuit. Et justement, dans le brouillon comme dans le texte définitif de la huitième séquence de "Mauvais sang", nous avons l'idée d'une nuit qui roule dans les yeux du poète, et cela malgré la présence du plein soleil. Cela confirme l'idée métaphorique d'une nuit infernale paradoxalement vécue au cours d'un été. Cela confirme le statut métaphorique de cette nuit. Et même on peut dire que l'expression "Un soir" que Rimbaud emploie comme repère temporel pour dire quand il a injurié la Beauté est en réalité comme le début de la chute infernale dont le poète ne se rendrait pas compte.</div><div style="text-align: justify;">Pour moi, les séquences 4 et 8 supposent l'implicite d'une absorption de la fameuse gorgée de poison. Au début de "Nuit de l'enfer", il s'agit d'un acte déjà accompli, d'un acte antérieur. Le poète se plaint dans ce brouillon de "Mauvais sang" et dans les deux séquences qui y correspondent dans la version imprimée de douleurs corporelles qui sont identiques à celles exprimées au début de "Nuit de l'enfer". L'erreur est de croire qu'il s'agit du poison du baptême. Il s'agit plutôt d'un indice implicite que le poète s'est empoisonné. Le poète ne nous dit pas qu'il s'est empoisonné, il nous le dit après.</div><div style="text-align: justify;">La difficulté, c'est que les douleurs ont l'air de correspondre aux punitions, ou à la punition. Ceci dit, ce n'est pas clair. Le poète doit aller marcher et aller au combat comme punition, et cela est anticipé par un sentiment de torture intolérable. On remarque tout de même que les premiers signes de torture viennent du vice qui remue le poète.</div><div style="text-align: justify;">Les rimbaldiens prétendent absurdement identifier ce "vice" à l'onanisme, à l'homosexualité, etc. Il n'est nulle part question dans "Mauvais sang" d'onanisme, de masturbation, d'homosexualité. Il n'est pas question non plus de statut de prolétaire, puisque Rimbaud s'est identifié à un "fils de famille", pas exactement à un ouvrier. Il est évident qu'il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. Le poète dit que si on ouvrait sa poitrine on lui découvrirait un cœur infirme, un organe vicié liée au sang. Ce vice est bien évidemment un renvoi à cette réalité du "mauvais sang" qui fait de notre poète un personnage "de race inférieure". Ce cœur infirme produit du sang païen. Le système métaphorique est clair et limpide. Pourquoi chercher comme vice autre chose que ce que raconte le texte ? C'est complètement débile.</div><div style="text-align: justify;">On voit que le poète en appelle à la religion : "De profundis domine" et plus nettement encore : "Je suis tellement délaissé que j'offre à n'importe quelle divine image des élans vers la perfection". Il faut bien comprendre que le poète n'a fait que se comparer à un ancêtre gaulois pour se dire païen. Et cela confirme superbement ma lecture que la séquence 2 rappelle l'acculturation chrétienne du poète, et donc joue déjà le conflit entre ce que veut être le poète, un païen, et ce que la société le conditionne à être. Les lectures habituelles d'<i>Une saison en enfer</i> font comme si le poète était réellement païen, jusqu'à la conversion qui échoue dans le récit des séquences 5 à 7. Non, le poète révèle d'entrée de jeu qu'il a une acculturation chrétienne.</div><div style="text-align: justify;">Il s'agit même avec ce brouillon de la partie centrale du récit, le poète dit crument le conflit de son aspiration païenne liée à l'âge de raison avec le modèle qu'on veut lui imposer comme idéal, il décrit la douleur de cet affrontement et il sous-entend que le poète bascule en enfer, avec la nuit qui roule dans ses yeux malgré le soleil.</div><div style="text-align: justify;">Le poète a clairement ménagé la liaison avec "Nuit de l'enfer" en conservant à tout pris la position finale des derniers alinéas de ce brouillon, dont les mentions "punition(s)" et "nuit" pénétrant par les yeux. Il a clairement voulu ponctuer son récit par la mention ironique de l'idéal de la "vie française", "sentier de l'honneur". Rimbaud tenait à exprimer un développement sur l'enfance, comme l'attester le brouillon : "Dans mon enfance". Le texte définitif de la séquence 4 de "Mauvais sang" préfère parler de l'âge de raison, à environ sept ans en principe (et on pense au poème "Les Poètes de sept ans" du coup), mais la suite des séquences 5 à 7 débute précisément par la formule : "Encore tout enfant..."</div><div style="text-align: justify;">Rimbaud trouvait prématuré de passer à la relation de la "Nuit de l'enfer", et il a voulu développer son propos, il en a profité pour mimer une fausse conversion et un faux départ en Afrique, ce qui rend l'architecture plus complexe et quelque peu déroutante.</div><div style="text-align: justify;">Les aspects de voyage mental prédominent malgré tout dans le texte de ce brouillon et dans les deux séquences qui y correspondent. La voix qui donne des ordres est anonyme et il ne sera plus jamais question de cet enrôlement forcé. On dirait entre les lignes que le poète s'étant empoisonné il nous manque le récit explicite où il est réformé et conduit à l'hôpital.</div><div style="text-align: justify;">Il faut noter également que le poète dans cette quatrième séquence identifie le "mauvais sang" à un vice et donc le traite négativement, ce qui permet au poète d'entrevoir la conversion. Rimbaud a été mécaniquement forcé de couper le texte de ce brouillon en deux pour y insérer le récit d'une conversion crue sincère mais qui tourne mal pour pouvoir ensuite s'intéresser à la punition et surtout au sentiment de damnation.</div><div style="text-align: justify;">Tout n'est pas facile à déterminer à la lecture, mais avec mon propre travail de déchiffrement du brouillon et les points que je choisis de mettre en relief vous en avez déjà assez pour vous faire une meilleure idée des enjeux de ce texte. J'offre clairement une lecture qui témoigne que ce texte n'est pas si illisible. Loin de là, même ! Quel autre rimbaldien vous offre une lecture confortable qui ne laisse pas à désirer ?</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Bonus : dans les proses parodiant les évangiles qui font cortège aux brouillons de la Saison, je relève des formules qui ont des prolongements dans <i>Une saison en enfer</i>, par exemple : "Là, la richesse universelle permettait bien peu de discussion éclairée." Je relève aussi l'alinéa suivant :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote> Les femmes et les hommes croyaient aux prophètes. Maintenant on croit à l'homme d'état.</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">J'y vois une équivalence avec l'idée qu'on a tout repris avec passage des remèdes de vieilles femmes à la médecine, avec viatique et philosophie, comme j'y vois un parallèle à faire sur l'absence dans les conseils du Christ et un monde de faux élus sous l'apparence d'une race inférieure ayant tout couvert, avec le côté paraître sous son masque d'une race forte en étant "mêlé aux affaires politiques".</div><div style="text-align: justify;"> </div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-4141485239537210012024-03-08T08:06:00.000-08:002024-03-08T08:06:20.785-08:00Le voyage mental d'un païen dans Une saison en enfer !<div style="text-align: justify;">Pour commencer, une petite digression.</div><div style="text-align: justify;">Que dois-je faire ?</div><div style="text-align: justify;">Je n'arrête pas d'aligner des articles d'un intérêt exceptionnel. Tous les articles que je publie récemment développent à chaque fois une idée ou deux idées d'une valeur explicative considérable. Mais je ne laisse pas le temps à mes lecteurs d'en profiter. Normalement, il faudrait laisser le temps à chaque article d'être lu sur une bonne semaine.</div><div style="text-align: justify;">Mais, je ne publie pas des articles courts ou des articles qui peuvent se lire sans concentration, de toute façon. J'ai un petit noyau de lecteurs qui m'est inconnu. Je n'ai aucun échange avec un quelconque rimbaldien actuellement, alors que je sais que je suis lu régulièrement. J'essaie d'imaginer leur façon de lire. Est-ce qu'ils lisent dès qu'il y a un article ? Visiblement, il y a un effet de cet ordre dans l'affichage des vues. Est-ce qu'ils lisent une fournée d'articles en se mettant à jour, par exemple mensuellement. Après tout, en bord d'écran, il y a une scansion mensuelle affichée. On peut imaginer lire mes articles une fois par mois grâce à ce repère. J'imagine bien que les gens ont envie de parfois oublier la critique rimbaldienne. L'idéal serait de mettre au point un site internet avec des articles présentés dans une arborescence qui ne souffre plus du tapis roulant de la succession chronologique des articles propre à ce blog.</div><div style="text-align: justify;">Je ne sais pas trop comment faire autrement. Je peux évidemment publier un livre sur Rimbaud ou bien publier quelques articles, mais les articles seraient publiés dans des revues non spécifiquement rimbaldiennes, donc là le risque de dispersion est grand.</div><div style="text-align: justify;">Il me faut mettre au point un site rimbaldien. La publication d'un livre, je n'aurai personne pour l'appuyer. On le voit, je n'ai pas reçu la moindre proposition pour publier une synthèse de mes découvertes récentes soit sur <i>Une saison en enfer</i>, soit à propos de l'influence des poésies de Desbordes-Valmore sur Rimbaud comme Verlaine.</div><div style="text-align: justify;">Tant pis, pour l'instant, je préfère enchaîner les articles. J'ai une agilité cérébrale évidente. Certes, des gens attendent que je revienne sur Desbordes-Valmore par rapport à "Larme", sur Quinet et Proudhon par rapport à <i>Une saison en enfer</i>, voire sur Dumas fils. Mais, outre que de toute façon ils ne se sont pas exprimés, ce n'est pas comme ça que je fonctionne. Je sais que les perspectives Quinet, Dumas fils et Desbordes-Valmore sont ouvertes, je n'ai pas besoin de tout faire de manière exhaustive pour l'instant, je laisse mûrir. Je repars sur d'autres axes de recherches avec <i>Une saison en enfer</i>. J'ai dégagé l'importance de sources différentes, un peu des historiens, un peu des intellectuels, un peu un dramaturge d'époque Dumas fils, je reviens néanmoins au texte, je le fais parler lui-même, je me sers de ce qui a été publié pour montrer que réellement ma lecture est singulière et non pas courue d'avance. J'ai parlé du style des phrases d'<i>Une saison en enfer</i>. J'ai parlé de la prosodie heurtée, prosaïque, de certaines assonances, allitérations et combinaisons cacophoniques. J'ai une autre idée en tête, c'est de parler de l'humeur de lecture que peut provoquer une certaine façon d'écrire en prose. C'est une idée que j'ai depuis vingt-cinq ans, elle me vient de ma lecture de Baudelaire. Je trouve que sa prose n'est pas belle, n'est pas élégante, mais elle a une redoutable efficacité de pesanteur morale. On se sent imprégné de l'âme de Baudelaire en lisant sa prose, ce qui compense la médiocrité de son style. Pour moi, dans <i>Une saison en enfer</i>, il y a des passages où je trouve l'expression plus mélodramatique, mais en face il y a des passages où la syntaxe du discours crée cette atmosphère intellectuelle qui nous fait nous imprégner plus véritablement des raisonnements de l'auteur. J'aurais envie de transformer cette intuition de lecteur en un ou plusieurs articles expliquant ce qui est la cause de ces sensations à la lecture.</div><div style="text-align: justify;">Aujourd'hui, vous l'avez vu avec le titre de qualité : "Le voyage mental dans <i>Une saison en enfer</i>!" je vais encore une fois m'attaquer à un très gros morceau. Dans <i>Une saison en enfer</i>, nous avons des discours contradictoires du poète avec lui-même, ça je ne sais pas si je vais le traiter dès maintenant, je vais sûrement le garder pour un article à venir, et puis nous avons des projections particulières dans l'espace, par exemple le poète se retrouve d'un coup sur la plage armoricaine ou au vrai royaume des enfants de Cham, et ces projections se font aussi dans le temps avec des changements de décor par le truchement du souvenir.</div><div style="text-align: justify;">Je ne possède pas tous les ouvrages rimbaldiens qui me seraient utiles. J'ai déjà lu par le passé le livre de Bandelier, mais là il m'est inaccessible. J'ai l'édition révisée de <i>L'Art de Rimbaud</i> de Michel Murat avec une partie sur la Saison, mais je ne sais pas où je l'ai rangé, ça fait des mois que je me demande où il est, pareil pour le livre de Yoshikzu Nakaji et ceux de Margaret Davies. Mais peu importe ! Je sens que ce que je vais écrire va être une nouvelle façon méthodique d'approcher ce sujet original : le poète en parlant fait mine de se déplacer comme s'il n'était pas un être humain avec les limitations physiques inhérentes à sa condition. Et l'opposition du présent et du passé prépare aussi le terrain à de prochaines études sur la lutte intérieure du poète entre deux discours.</div><div style="text-align: justify;">Je vais citer les textes et montrer un peu ce qui se passe. Une énumération des différentes formes de pratiques du voyage mental par Rimbaud serait pratique, les exemples seraient classés en fonction de critères. Je pourrai le faire ultérieurement, mais ici je vais lire au fur et à mesure les extraits, et quelque part, cette démarche va avoir son intérêt, parce elle va permettre de cerner la genèse et l'évolution de cette pratique rhétorique du voyage mental, et parce qu'une synthèse priverait aussi le lecteur de vraiment soulever le capot pour voir comment est fait le moteur...</div><div style="text-align: justify;">J'ai hésité quelques minutes si je commençais par "Mauvais sang" ou bien par la prose liminaire. Si je commence par "Mauvais sang", je prends le projet à la racine, parce que je pars de la conviction naturelle que Rimbaud a composé les récits de "Mauvais sang" bien avant la prose liminaire. Je décide de commencer pourtant par la prose liminaire, en demandant à moi-même comme aux lecteurs d'ensuite être à même d'en faire abstraction quand je passe à l'étude de "Mauvais sang". Ce que je veux dire, c'est que quand Rimbaud écrit "Mauvais sang" son idée du rapport au souvenir et au déplacement de l'espace est encore naissante, alors que quand il rédige la prose liminaire tout est maîtrisé, mûr dans son esprit.</div><div style="text-align: justify;">Vous me direz que le livre est entièrement mûri, mais que vous le vouliez ou non "Mauvais sang" garde l'idée d'une fraîcheur d'un début d'application du procédé.</div><div style="text-align: justify;">Maintenant, j'ai l'archet en main, je commence.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">La prose liminaire contient une scène importante de renvoi à un souvenir du passé, il s'agit bien évidemment du premier alinéa, lequel n'est pas compris par l'ensemble des rimbaldiens. La plupart comprennent qu'il est question d'un festin proprement chrétien, mais cette idée est parfois combattue et encore récemment on essaie d'identifier le festin et la beauté à des sphères non chrétiennes, en se laissant duper par la force de comparaisons avec des textes littéraires antérieurs qui passent pour des sources, sauf que on ne peut pas prendre un bout de phrase sans considérer qu'il fait partie d'une logique, et cette logique d'<i>Une saison en enfer</i> suppose une référence chrétienne incompatible avec l'identification de la Beauté à une fleur du Mal de Baudelaire, à une Muse prostituée antique de Vigny, incompatible avec l'identification du festin à un repas païen du côté de Lucrèce, incompatible avec l'image non chrétienne du "festin de la vie" d'un poète maudit du XVIIIe siècle. Malgré tout, même les rimbaldiens qui envisagent le sens chrétien du premier alinéa, ne le comprennent pas pour autant, puisqu'ils croient que le festin correspond à une époque de l'enfance et ne comprennent pas la feinte littéraire sublime (parce que c'est quand même dommage de ne pas voir le trait de génie), en fait "si je me souviens" est une réserve ironique qui prépare le rejet de la phrase : "Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !" Même Murphy et Reboul n'ont jamais écrit pour dire que les rimbaldiens ne comprenaient pas le sens de ce premier alinéa. Même dans des articles de gens qui n'étudient qu'occasionnellement <i>Une saison en enfer</i>, par exemple Christophe Bataillé dans un volume collectif de la <i>Revue des Sciences Humaines</i>, il est dit que ce "festin" est un souvenir d'enfance. Non, mille fois non ! C'est un souvenir culturel de l'éducation chrétienne, et ce souvenir est faux, et rejeté comme faux dès que le poète fait le lien avec la charité qui en serait la clef d'accès. Ce premier alinéa est une des plus belles inventions littéraires d'<i>Une saison en enfer</i>. Vous me direz qu'il y en a plein, mais vous devez comprendre que ce n'est pas une des moindres !</div><div style="text-align: justify;">Au-delà du premier alinéa, on a un récit au passé composé qui énumère des actions passées. Seul le premier alinéa est à démarquer, mais je vais citer quelques alinéas parce qu'en réalité il y a trois autres éléments à prendre encore en considération :</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i> Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. - Et je l'ai trouvée amère. - Et je l'ai injuriée.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Je me suis armé contre la justice.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Je me suis enfui. O sorcières, ô misère, ô haine, c'est à vous que mon trésor a été confié !</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Je parvins à faire s'évanouir dans mon esprit toute l'espérance humaine. [...]</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Quelles peuvent être ces trois éléments à prendre aussi en considération ?</div><div style="text-align: justify;">Le premier élément, c'est la forme "Un soir". Relisez le texte en omettant le premier alinéa : "Un soir,...." et vous ressentez le flou, l'indétermination de la mention "Un soir", alors que dans l'enchaînement des deux premiers alinéas, de "Jadis" à "Un soir", ce flou est moins choquant, car il passe à l'arrière-plan.</div><div style="text-align: justify;">Le deuxième point important à relever, c'est l'exclamation et même l'adresse contenue dans le quatrième alinéa : "O sorcières, ô misère, ô haine, c'est à vous que mon trésor a été confié !" En effet, cette adresse nous sort du récit au passé, le poète s'adresse immédiatement aux sorcières, comme à deux êtres en présence. Le "trésor" dont il est question, c'est tout simplement la vie du poète, l'expression "ma vie" figurait dans le premier alinéa en tant que festin dans un monde d'amour, le poète a soustrait sa vie à cette compagnie pour se tourner vers la haine, contraire des cœurs qui s'ouvrent, et la misère, contraire au festin. Il ne faut pas se mettre martel en tête pour chercher des identifications non portées par le texte. Qu'est-ce que ça peut être le trésor ? Est-ce que c'est une idée philosophique ? Est-ce que, dans la biographie, on a quelque chose qui ressemble à un trésor ? Non, tu te mets une bonne gifle pour te calmer, et tu constates sereinement que le trésor c'est la vie du poète. C'est clair et limpide, la solution est en lecture interne, tu n'as pas à sortir du texte. Et si tu sais prendre ça en compte, tu t'épargneras bien des errances de critiques rimbaldiens.</div><div style="text-align: justify;">Mais, si je souligne cette adresse aux sorcières, à la misère et à la haine (personnellement, je comprends qu'il y a deux sorcières misère et haine, mais franchement, si on lit qu'il y a des sorcières, et aussi la misère et la haine, est-ce que c'est grave ? Est-ce que ça bouleverse la lecture ? Non), si je souligne dis-je ! cette adresse aux sorcières comme un instant de dialogue au présent, c'est que je vois bien évidemment le lien étroit avec l'intervention plus loin au discours direct, avec des propos rapportés entre guillemets, de Satan. Car, finalement, dans la prose liminaire, le poète s'adresse d'abord aux sorcières, misère et haine, puis à Satan. On n'est plus dans la lecture où Satan est si dominé que ça finalement. Les sorcières ajoutent un poids de soufre aux obsessions présentes du poète. Cela suffit par exemple à rompre en visière avec une lecture de la <i>Saison</i> à la manière de Paul Claudel. Certes, Rimbaud pratique le persiflage à l'égard de Satan, mais on ne va pas avoir une lecture où trop nettement le poète dépasse Satan et Dieu, lecture par exemple de Bruno Claisse. La lecture de la Saison part Bruno Claisse, c'est celle qui est de très loin la plus proche de la mienne, mais Claisse il a un côté, j'ai une thèse ferme à exposer et à attribuer à Rimbaud. Claisse va prendre le récit et dire que dedans il y a une vérité philosophique, un enseignement qui ne laisse rien à désirer. Rimbaud a lucidement compris qu'il ne suffit pas de s'opposer à Dieu, il veut être au-delà de l'alternative. Il n'y a ni Dieu, ni diable, pour celui qui ne se laisse pas prendre au discours chrétien. Le poète n'a pas de choix à faire, et il va montrer qu'il l'a compris. A cela s'ajoute de la part de Claisse une théorie sur les illusions de l'esprit qui effectivement correspond à un aspect important de la lecture de la <i>Saison</i>. Mais Claisse n'identifie pas l'ironie finale de "Adieu". Il prend au premier degré l'expression en italique : "<i>posséder la vérité dans une âme et un corps</i>". Il lit moins une œuvre littéraire qu'un exposé philosophique. Et pour moi ça lui fait manquer quelques subtilités du texte poétique, et donc si moi comme Claisse nous allons parler d'un poète qui ne rend en réalité des comptes ni à Satan, ni à Dieu, j'ai quand même ce décalage qui me fait constater que la voix du poème n'est pas Rimbaud exactement, et que Rimbaud a voulu un personnage qui soit encore quelque peu sulfureux. L'oeuvre est dédiée à Satan, et accepter que la lecture est celle d'une voix perfide qui sent le soufre ça permet de ne pas tout lire au premier degré dans "Adieu", ça permet aussi d'admettre que la sortie de l'enfer n'est pas vécue comme la résolution pleine et entière des problèmes. Rimbaud a explicitement voulu qu'il y ait une part d'ombres, de non satisfaisant dans cette sortie de l'enfer. Il ne faut courir à la défense du texte en disant que si la sortie de l'enfer est un peu artificielle, c'est que nous avons tort d'admirer Rimbaud. Non ! Je pense au contraire que Rimbaud considère comme une prouesse d'écriture d'oser cette mise en abîme pour le lecteur qui va se demander si l'écrivain ne se moque pas de nous en mimant une sortie de l'enfer.</div><div style="text-align: justify;">C'est une erreur de voler à la défense de Rimbaud en soutenant que très clairement il maîtrise tout rationnellement à sa sortie de l'enfer. Rimbaud a voulu qu'il y ait du jeu, car il voulait une place d'incertitude pour l'humain, trop humain. Puis, son propos reste sulfureux. Il y a de la malice de sa part dans <i>Une saison en enfer</i>.</div><div style="text-align: justify;">"Rimbaud" peut prendre ses distances avec les sorcières misère et haine, avec Satan, mais la prose liminaire nous montre un poète qui leur parle normalement, qui ne leur crache pas dessus.</div><div style="text-align: justify;">Passons au troisième point, c'est l'expression "dans mon esprit". Rimbaud explique qu'une scène de combat a lieu dans son imaginaire, mais un imaginaire qui exprime une réelle transformation de l'être, un vrai combat de la volonté sur soi, et si ce combat contre l'espérance a lieu dans l'esprit, on devine que les images de la suite supposent le même axe de compréhension. Quand il écrit ce passage avec la mention "dans mon esprit", Rimbaud a probablement écrit la quasi-totalité d'<i>Une saison en enfer</i> et en tout cas les récits de "Mauvais sang" où je relève le passage suivant : "[...] j'ai dans la tête des routes dans les plaines souabes, des vues de Byzance, des remparts de Solyme". Cette phrase avec le groupe prépositionnel "dans la tête" est l'origine de la phrase de la prose liminaire avec le groupe prépositionnel "dans mon esprit". Et justement, comme je l'ai publié en 2009 ou 2010, dans des articles superbement daubés par les rimbaldiens, le premier alinéa de toute la <i>Saison</i> avec l'incise : "si je me souviens bien", s'inspire précisément d'une autre phrase de la même deuxième séquence de "Mauvais sang" : "Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme." Pire encore, cela fait aussi écho à une phrase du même paragraphe :</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i> Je me rappelle l'histoire de la France fille aînée de l'Eglise. [...] j'ai dans la tête des routes dans les plaines souabes [...]</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Ah ! encore : je danse le sabbat dans une rouge clairière, avec des vieilles et des enfants.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme. Je n'en finirais pas de me revoir dans ce passé. [...]</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Nous sommes loin de constater que le prologue sans titre de la <i>Saison</i> serait une manière artificielle de relier les textes entre eux. Vous constatez que dès le départ, dès les premières compositions, le poète s'interroge sur la validité des souvenirs, et sur la validité de souvenirs d'une France chrétienne. Dès le départ, le poète évoquait son décalage en se réclamant du sang païen gaulois, dès le départ il image une danse de sabbat qui aura un prolongement avec les deux quadruples répétitions : "danse, danse, danse, danse", dans la cinquième séquence de "Mauvais sang", et ces vieilles sont l'équivalent de sorcières, bien évidemment. On a des sorcières dans la prose liminaire, le souvenir d'un festin des cœurs charitables est remis en cause "si je me souviens" puis "prouve que j'ai rêvé".</div><div style="text-align: justify;">Je suis désolé, mais les rimbaldiens n'ont rien compris : Bardel, Vaillant, Brunel, Steinmetz, Molino, Guyaux, Nakaji, Frémy, Bandelier, Bataillé, Richter, Murat, Fongaro, tous n'ont rien compris ! Tous, ils n'ont rien compris, vous avez les preuves de ma lecture sous les yeux. Les rapprochements parlent d'eux-mêmes ! J'ai dit que c'était important en 2009 et 2010 dans des articles publiés sur leur terrain et qu'ils référencent, et ils n'en ont tenu aucun compte, strictement aucun ! Pourtant, je développe l'idée et on voit bien que c'est imparable !</div><div style="text-align: justify;">Les rimbaldiens ont accepté passivement que Rimbaud parlait de souvenirs en tant que tels, donc le "festin" ça doit être la lointaine enfance, même si ça ne ressemble à rien d'identifiable.</div><div style="text-align: justify;">Je vais me battre encore combien d'années pour vous faire avoir du bon sens ?</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Voilà pour le voyage mental dans le passé concernant la prose liminaire. Je passe au voyage mental de l'intervention satanique dans la prose liminaire.</div><div style="text-align: justify;">Là encore, les rimbaldiens n'ont rien compris. Je peux citer les mêmes que plus haut : Bardel, Vaillant, Brunel, Steinmetz, Molino, Guyaux, Nakaji, Frémy, Bandelier, Bataillé, Richter, Murat, Fongaro, etc. Et la raison de leur erreur, leur faute pour parler le langage de la damnation, est liée à leur analyse du premier alinéa de toute façon. Ils sont persuadés que seul Satan procure des illusions. Mais, et les piques contre le christianisme, vous en faites quoi ?</div><div style="text-align: justify;">Rimbaud s'effraie de la menace du "dernier couac", autrement dit de la mort. L'inspiration religieuse est de trouver son salut par la charité, ce que le poète rejette de manière particulière. Au lieu de dire "non", il identifie la duperie : ainsi donc, le festin est un faux souvenir qu'on m'a mis dans la tête : "Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !" C'est un des traits littéraires les plus magnifiques d'<i>Une saison en enfer</i> et il est évidemment solidaire du trait de génie du premier alinéa.</div><div style="text-align: justify;">Vous imaginez le néant des études rimbaldiennes au sujet d'<i>Une saison en enfer</i> ? Parce que c'est ça le problème ! Cela fait 25 ans que je les regarde ne pas comprendre la prose liminaire ! Et j'ai publié sur cette prose liminaire, et je suis intervenu dans des discussions privées. Il n'y a rien à faire. Seul truc marrant, invité à la radio et mis au pied du mur pour une lecture linéaire de la prose liminaire, Frémy s'était tout de suite mis à réciter à peu près ma lecture, on trouve ça en vidéo sur Youtube ou en podcast sur une radio genre France Culture.</div><div style="text-align: justify;">Tout est à refaire dans les études rimbaldiennes au sujet d'<i>Une saison en enfer</i>. Le plantage a été général, de toute beauté. C'est du jamais vu dans l'histoire des études littéraires.</div><div style="text-align: justify;">Et je donne le dernier coup de pinceau. Dans les paragraphes que je cite de "Mauvais sang", le poète est en train de se décrire comme un païen, ce qui donne énormément de sens à la mise en doute "si je me souviens" d'un passé de festin sous le régime de la charité ! Il y a un haut niveau de cohérence qui a visiblement échappé aux lecteurs.</div><div style="text-align: justify;">Ce passage de la prose liminaire est intéressant à d'autres égards en tant que voyage mental, puisque la prose liminaire est considérée comme postérieure au discours de la section "Adieu". Le poète met en scène une nouvelle attaque mentale. Satan entre en scène et suffisamment nettement pour que ses propos soient rapportés fidèlement entre guillemets. Et le poète ne répond pas qu'il ne prendra plus de pavots, mais seulement qu'il en a "trop pris" !</div><div style="text-align: justify;">C'est à prendre en considération pour nuancer la qualité de la sortie de l'enfer racontée dans les feuillets du carnet de damné.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Passons maintenant à "Mauvais sang".</div><div style="text-align: justify;">Le poète développe sur trois premières séquences l'idée qu'il a un sang païen. On peut supposer que ces trois premières séquences correspondent à la première des trois histoires évoquées dans la lettre à "Laitou".</div><div style="text-align: justify;">Je vais citer les trois premiers alinéas et le début du quatrième, et ensuite effectuer un premier commentaire.</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i> J'ai de mes ancêtres gaulois l'œil bleu blanc, la cervelle étroite, et la maladresse dans la lutte. Je trouve mon habillement aussi barbare que le leur. Mais je ne beurre pas ma chevelure.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Les Gaulois étaient les écorcheurs de bêtes, les brûleurs d'herbes les plus ineptes de leur temps.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> D'eux, j'ai : l'idolâtrie et l'amour du sacrilège ; - oh ! tous les vices, colère, luxure, - magnifique, la luxure ; - surtout mensonge et paresse.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> J'ai horreur de tous les métiers. [...]</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Le poète expose son problème de but en blanc. On parlait dans le précédent article du caractère inapplicable du schéma narratif dans <i>Une saison en enfer</i>. Je disais que les deux premières étapes du schéma narratif pouvaient s'appliquer aux deux premiers alinéas de la prose liminaire, mais qu'ensuite on avait des péripéties jusqu'au onzième alinéa inclus, puisqu'il n'y avait aucune résolution exprimée et donc aucune des deux étapes : élément résolutif et situation finale. Rimbaud, qui, d'ailleurs, ne connaissait pas la théorie du schéma narratif, a écrit une prose liminaire ouverte pour ménager le suspense et ne pas manger le morceau. Le schéma narratif ne s'appliquait pas à la prose liminaire volontairement ouverte, et je précisais ensuite qu'il ne s'appliquait pas non plus à l'ensemble formé par les feuillets de "Mauvais sang" à "Adieu". Je soulignais que de "L'Eclair" à "Adieu", il y a un mélange indistinct de situation finale qui se dessine et de résolution qui se met en place. Il n'y a pas une succession claire et limpide : résolution, puis situation finale, et ni la résolution, ni la stabilité ne sont clairement acquises à la fin du récit qui se termine par un propos qui a des airs de bravade. Mais, je disais encore que dans le cas de "Mauvais sang", il n'y avait pas les deux premières étapes distinguées d'une situation initiale et d'un élément perturbateur. Rimbaud attaque directement son récit par l'exposition du problème : je suis un païen dans un monde qui se veut chrétien. Le début de récit est particulièrement abrupt : "J'ai de mes ancêtres gaulois [...] / D'eux j'ai [...]". Et même si j'ai soutenu l'évidence qu'une situation initiale peut exprimer le problème à résoudre, - et après tout, les débuts de tragédie "<i>in medias res</i>" n'empêchent pas d'identifier une exposition au premier acte, autrement dit l'équivalent de la situation initiale dans un récit, - il n'en reste pas moins qu'on identifie pas clairement un moment où un élément perturbateur lancerait l'action. Il serait un peu vain de l'identifier au premier alinéa de la deuxième séquence : "Si j'avais des antécédents [...]". Il ne serait pas très pertinent de s'appuyer sur la quatrième séquence où l'injonction : "Reprenons les chemins d'ici," suppose que l'action du récit est déjà pleinement lancée. Pour moi, s'il faut à tout prix appliquer le schéma narratif, il faut parler de confusion des deux premières étapes, la situation initiale se superpose à l'expression de l'élément perturbateur. La première phrase de "Mauvais sang", ou si vous voulez les trois premiers alinéas, lancent l'action dramatique. La première phrase expose le nerf de la guerre !</div><div style="text-align: justify;">C'est comme ça que Rimbaud a conçu son texte. La situation initiale minimale, c'est celle d'un faux souvenir de festin ancien. Donc, ça a même du sens que le poète nous épargne l'expression d'une stabilité originelle. Rimbaud pose un problème immédiat, consusbstantiel. Je donnais un coup de pinceau tout à l'heure en expliquant le lien entre l'ironique "si je me souviens bien" et le fait de se définir comme un païen dans un environnement chrétien. Le poète dit aussi qu'il est de race inférieure de toute éternité, ça aussi ça éclaire d'évidence l'ironie du "si je me souviens bien". Il n'y a pas de réelle situation initiale dans ce texte et pour une bonne raison : l'enjeu de la <i>Saison</i> est de s'affronter à ce mystère silencieux des origines spirituelles de l'Homme, et cela se finit par un rejet. Alors, Rimbaud ne connaissait pas la théorie du schéma narratif, mais justement c'est vraiment intéressant de voir que le texte ressort comme génial en révélant ne pas pouvoir correspondre à ce schéma. Le fait que le schéma ne s'applique pas à <i>Une saison en enfer</i> nous amène à un constat essentiel sur la visée de sens de ce récit.</div><div style="text-align: justify;">Poursuivons par quelques remarques de détail. Vous aurez aussi remarqué l'opposition des temps verbaux entre les trois alinéas. Le premier alinéa est dominé par le présent de l'indicatif : "j'ai", "je trouve", "je ne beurre pas". Le second est à l'imparfait : "Les Gaulois étaient [...]" Le troisième revient au présent de l'indicatif : "D'eux j'ai..."</div><div style="text-align: justify;">C'est intéressant. Les Gaulois sont une image du passé, image imposé plutôt par les livres à l'époque de Rimbaud. Et c'est amusant de constater cette variation présent et passé des temps verbaux sur trois alinéas, parce que ça fait penser à une personne qui se compare à un dessin. Il se regarde en s'identifiant à un Gaulois, puis au deuxième alinéa il nous rappelle ce qu'étaient les Gaulois, c'est un peu comme s'il exhibait des dessins sous nos yeux, et puis il se regarde à nouveau lui-même pour trouver des ressemblances. Ce jeu verbal entre les alinéas exprime superbement l'idée de quelqu'un qui se compare à un modèle avec l'aide d'un dessin et d'un miroir. C'est très différent d'un écrit où le poète ne dirait qu'au présent qu'il descend des Gaulois. Cette variation dans les temps verbaux introduit l'idée que le poète s'arrange avec le modèle, on voit le poète en train de chercher des justifications. C'est vraiment un début très bien écrit que ces trois premiers alinéas.</div><div style="text-align: justify;">J'insiste sur l'importance du mot "barbare" dans le premier alinéa et sur le verbe d'évaluation : "je trouve". La subjectivité du poète est mise en jeu, et ça c'est important. Vous me direz que c'est ironique pour quelqu'un qui voulait atteindre à la poésie objective, mais après tout <i>Une saison en enfer</i> fait le procès de cette prétention...</div><div style="text-align: justify;">Indépendamment du voyage mental dont rend compte cette démarche du poète de se comparer à une image livresque du passé, je tiens à souligner une autre idée de rapprochement avec la prose liminaire. Alors, bien sûr, il y a la mention de vices parmi lesquels certains péchés capitaux : "colère, luxure", et là ça confirme que de "Mauvais sang" à la prose liminaire le lien n'est pas artificiel, on est bien dans une œuvre polie et repolie, mais donc ce lien par les péchés capitaux je l'ai déjà signalé à l'attention plusieurs fois, mais je viens de constater un fait intéressant. Dans la prose liminaire, plus haut, je rappelais le débat sur les sorcières comme un peu stérile : "O sorcières, ô misère, ô haine," est-ce qu'il est important de trancher si les sorcières sont la misère et la haine ou si elles sont distinctes ? Pas vraiment, mais ma préférence va à l'idée que la misère et la haine sont les deux sorcières. Or, ici, on a une construction par la ponctuation qui va dans le sens que misère et haine soient les deux sorcières de la prose liminaire : "oh ! tous les vices, colère, luxure[.]" A la limite, l'énumération de "Mauvais sang" suggère que l'énumération est partielle de misère et haine, et que le poète a abrégé la liste des sorcières. Mais, bref ! Je voulais vous faire partager ce petit constat de rapprochement fait à l'instant.</div><div style="text-align: justify;">Enfin, sans m'en tenir au relevé des marques d'un voyage mental mélangeant certains plans spatiaux ou certaines époques, j'ai cité le début du quatrième alinéa : "J'ai horreur de tous les métiers", parce que je veux fixer votre attention sur un point important. Dès le début de "Mauvais sang", le fait d'être un païen, gaulois, barbare, sauvage, met en-dehors du monde du travail. La représentation est d'ailleurs fausse en ce qui concerne les gaulois, connus pour leurs inventions techniques notamment. Rimbaud associe le fait d'être un païen à un refus du travail et donc du devoir. Cela revient dans le passage des sections 5 à 6 de "Mauvais sang". Le poète se réfugie au "vrai royaume des enfants de Cham", il se réfugie même dans la "danse" (on penserait presque à une fable de La Fontaine) et quand les blancs débarquent pour imposer la civilisation apparaît la nécessité de s'habiller et de travailler. En se comparant aux gaulois, Rimbaud a immédiatement mis l'accent sur l'aspect barbare de son habillement, et une fois posée son identification à un gaulois en trois alinéas le poète a immédiatement exprimé son horreur des métiers.</div><div style="text-align: justify;">Il ne faut pas lire le récit avec nos connaissances de ce qu'est un gaulois, il faut accepter de lire les liaisons que nous imposent Rimbaud, parce qu'à la fin de la lecture il va falloir en retirer la substantifique moelle du discours de Rimbaud. On ne peut pas lire séparément la revendication d'être gaulois, à savoir païen, et le refus du travail. On ne peut pas non plus se contenter de remarquer vaguement la liaison pour la perdre de vue ensuite. Il faut bien comprendre qu'à chaque fois que Rimbaud va prétendre refuser le travail ou le devoir, il va le faire en tant que païen, en tant que gaulois pour ce qui est du modèle le plus précis duquel il se revendique.</div><div style="text-align: justify;">Et c'est alors que nous avons un premier passage étonnant de voyage mental, il convient de le citer ici :</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i> Mais ! qui a fait ma langue perfide tellement, qu'elle ait guidé et sauvegardé jusqu'ici ma paresse ! Sans me servir pour vivre de mon corps, et plus oisif que le crapaud, j'ai vécu partout. Pas une famille d'Europe que je ne connaisse. - J'entends des familles comme la mienne, qui tiennent tout de la déclaration des Droits de l'Homme.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> - J'ai connu chaque fils de famille !</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Ici, nous avons un passage d'expression du voyage mental particulièrement compliqué à cerner. En effet, Rimbaud parle du fils de famille du Tiers-Etat. Or, sous l'Ancien Régime, le Clergé vient des deux autres ordres, et donc le poète en fils de famille revendique une connaissance de tout le monde, à l'exception des nobles qui représentent une composante démographique de toute façon quelque peu marginale, et les gens au pouvoir, Eglise ou politiques ou riches marchands et financiers, viennent souvent de la bourgeoisie qui tient tout aussi au plan juridique de la Déclaration des Droits de l'Homme. Le texte est un peu étrange dans la délimitation des fils de famille. Rimbaud parle-t-il de la jeunesse non encore au travail seulement ? Il dit que sa langue est perfide et il confirme l'idée que le gaulois ne travaille pas, il est adonné au péché de paresse et se sert de ses mensonges pour vivre sans travailler. Vu qu'ensuite le poète se compare à tout fils de famille quel qu'il soit, au lieu de s'inquiéter de la possibilité du poète d'avoir fréquenté tout le monde, on peut se dire que Rimbaud prête à tout un chacun une langue perfide camouflant une paresse, et cette situation privilégiée de paresse convient quelque peu à l'enfance préservée du travail ouvrier ou paysan. Ce serait un peu l'amorce de la dénonciation des faux nègres. En lisant cet alinéa, on pourrait se dire que nous n'avons pas affaire à un individu humain, mais à une sorte d'instance qui est en tout homme. Pourtant, à la lecture, on sent bien que nous avons un individu humain qui parle et raconte ses expériences et ses débats intérieurs. Ce que je comprends quand le poète dit qu'il a "vécu partout" et qu'il connaît chaque fils de famille, c'est une sorte d'inversion forte en gueule où au lieu de dire que le poète comprend à travers lui-même ce que sont tous les gens, il formule cela comme une visite qu'il aurait faite chez tout le monde.</div><div style="text-align: justify;">Je n'ai pas la prétention de maîtriser pleinement ce paragraphe, mais voilà ce que je comprends à sa lecture. Et il s'agit bien évidemment d'un passage à recenser dans les diverses manifestations du voyage mental du poète en enfer. Et cela touche à l'idée de vivre une autre vie de quelqu'un, sujet développé plus loin dans la Saison.</div><div style="text-align: justify;">Je ferai sans doute des lectures de meilleure qualité ultérieurement de ce passage. Une idée est le caractère d'éducation par les livres qui font voir ce que sont les gens dans le monde et en tout cas en France, en Europe, et cette idée est précisément au cœur de la lecture de la suite immédiate du texte, le début de la deuxième séquence de "Mauvais sang", qui confirme bien que dans "J'ai connu chaque fils de famille" il y a bien un voyage mental qui se joue. Pour moi, l'idée, c'est que c'est lié à l'observation et au truchement des livres. C'est ça le non-dit qui fait que ce n'est pas un propos lourdingue.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Je cite maintenant le début de la deuxième séquence :</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i> Si j'avais des antécédents à un point quelconque de l'histoire de France !</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Mais non, rien.</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">La succession des ces deux alinéas brefs est très intéressante. Nous avons un soupir, puis l'expression "Mais non, rien." On peut accepter cette lecture simple, mais il y a aussi comme l'idée qu'en esprit le poète a rapidement passé en revue les possibilités. Il y a comme un voyage mental non-dit entre ces deux alinéas.</div><div style="text-align: justify;">Et on en arrive à ma grande idée superbement daubée par les rimbaldiens que les souvenirs du passé viennent des livres, et donc peuvent être évalués comme vrais ou faux, ce qui est très différent de méditer sur la précision de ses souvenirs. Rimbaud écrit : "Je me rappelle l'histoire de la France fille aînée de l'Eglise" où vous observez la reprise à peu près à l'identique de l'expression "l'histoire de France". Rimbaud voyage mentalement dans l'histoire de France. Mais, l'histoire de France, elle nous vient par les livres. Alors, épargnez-moi que le texte d'un historien rend compte de recherches archéologiques, etc., que l'histoire c'est aussi d'avoir vu telle ville avec ses bâtiments, ses monuments. Non, il ne faut pas aller aussi loin. Certes, il y a les indices, les objets du passé qui sont là pour dire que l'histoire ce n'est pas n'importe quoi ! Mais quand Rimbaud parle de "l'histoire de France", il parle du récit organisé par le pouvoir, organisé par les écoles, par l'église même qui s'impliquait dans l'enseignement. Rimbaud passe d'ailleurs sans transition de "l'histoire de France" à "l'histoire de France fille aînée de l'Eglise", donc il ne parle pas de l'Histoire en général, il parle du cadre idéologique des Histoires de France pour la jeunesse où il y a un discours clairement exprimé de filiation avec l'Eglise. Il faut bien comprendre cette nuance. Si vous lisez le texte, en vous disant : "oui, moi dont la fibre spirituelle est nulle ou peu s'en faut, je pense aussi des gaulois, ceci, cela, et ce sont nos ancêtres, et patati et patata !" Non, Rimbaud, il part de l'idée qu'il a un enseignement, qu'il n'a que celui-là et qu'il doit faire avec. Il n'est pas en train de nous dire qu'il y a des histoires où le christianisme est présent, mais par des historiens qui n'ont pas la foi ou peu s'en faut. De toute façon, Quinet et d'autres sont inclus dans la mesure où ils imaginent que le vrai christianisme va s'affirmer désormais dans l'individualité humaine. Mais, bref, Rimbaud explique une situation d'enfant éduqué par des autorités religieuses. On a appris à Rimbaud une histoire où la religion est prédominante, il éprouve un malaise, et au lieu de dire tout ça est faux et je vous dresse une histoire vraie, il décide de voyager dans ce monde qu'on lui impose, dans ce monde des livres d'Histoire pour en éprouver les failles, pour vérifier s'il a tort ou raison de se rebeller, comme il s'imaginer voyage en chaque fils de famille pour éprouver si la société de son époque est bien celle qu'on lui décrit sur les bancs scolaires.</div><div style="text-align: justify;">Quand on comprend cette articulation-là, la lecture de "Mauvais sang" devient lumineuse, non ?</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">En fin de cette séquence 2, le poète nous offre un dernier voyage mental, un voyage mental encore différent puisque cette fois il s'agit de la mise en tension du sang païen et du discours religieux affermi par son éducation :</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i> La science, la nouvelle noblesse ! Le progrès. Le monde marche ! Pourquoi ne tournerait-il pas ?</i></div><div style="text-align: justify;"><i> C'est la vision des nombres. Nous allons à l'</i>Esprit<i>. C'est très-certain, c'est oracle, ce que je dis. Je comprends, et ne pouvant m'expliquer sans paroles païennes, je voudrais me taire.</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Le premier alinéa mime la réponse candide d'un enfant qu'on éduque : "Pourquoi ne tournerait-il pas", ce monde ? Pourquoi serait-ce évident qu'il y ait un progrès en cours ? Le second alinéa précise que cette question est un retour de flamme du sang païen. Nous aurons la mention : "Le sang païen revient" en début de troisième séquence, et ici nous avons la remarque : "ne pouvant m'expliquer sans paroles païennes". L'interrogation "Pourquoi ne tournerait-il pas ?" est clairement païenne. Quant au mot "Esprit" souligné et flanqué d'une majuscule, il superpose l'idée de Dieu et la sacralisation de la science, c'est la jonction entre "l'histoire de la France fille aînée de l'Eglise" et la "science" comme "nouvelle noblesse". En clair, cet alinéa qui suppose une tension contradictoire chez l'individu poète met en scène la confrontation du discours chrétien reçu, discours reçu comme seul souvenir du passé et comme seule terre de déploiement ("Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme") avec la nature païenne que le poète se revendique par une démarche où il faut imaginer quelque part que Rimbaud écrirait les deux ou trois premières séquences de "Mauvais sang" après avoir pris un livre d'histoire pour enquêter sur son passé et son identité, et Rimbaud il a d'un côté la ligne générale du discours qui affirme qu'il est pris dans le mouvement du christianisme et de la science, et de l'autre il voit des indices, il tombe sur un portrait de gaulois qui n'est pas chrétien, mais qui est son ancêtre, et là tout à coup il se dit qu'il a des affinités avec ce gaulois alors que bizarrement il ne se sent pas complètement en phase avec le discours d'une histoire où le christianisme puis la science font progresser l'humanité. Et du coup, dans "Mauvais sang", on a une tension contradictoire que le poète vit intérieurement, mais c'est moins une tension contradictoire personnellement produite par le poète qu'une tension contradictoire vécue à la lecture des points de divergence du récit de l'histoire de France fille aînée de l'Eglise.</div><div style="text-align: justify;">Alors, après ce que je viens d'écrire, relisez "Mauvais sang" et voyez si c'est toujours pour vous un tissu incompréhensible qui part dans tous les sens.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Et nous en arrivons à la troisième séquence de "Mauvais sang", la dernière de l'histoire du gaulois, car il est clair que le mot "païen" dans "Mauvais sang" est une reprise de l'identification initiale au "gaulois", ce qui justifie de considérer qu'il y a une unité de récit des trois premières séquences. J'en profite aussi pour préciser que, dans "Nuit de l'enfer", le poète dit de ses parents qu'ils ont fait son malheur en le baptisant. Or, dans la lecture que je viens de vous faire des trois premières séquences de "Mauvais sang" vous constatez qu'on a bien un poète baptisé chrétien par ses parents, éduqué chrétiennement à l'histoire de la France fille aînée de l'Eglise, mais ce chrétien a eu le toupet de s'identifier à un gaulois. Il n'est plus païen, notre Rimbaud, ou notre poète en enfer, il est baptisé, mais puisque le gaulois païen est son ancêtre, d'après les livres chrétiens eux-mêmes, le poète s'est ingénument dit que peut-être qu'il était toujours païen et que le christianisme ne faisait que glisser sur lui comme l'eau sur les plumes d'un canard.</div><div style="text-align: justify;">Vous voyez bien qu'il n'y a aucune contradiction dans le discours de Rimbaud. Il est chrétien en tant que baptisé. Les conversions racontées ne sont pas premières dans <i>Une saison en enfer</i>, il s'agit plutôt de considérer qu'un baptisé doit encore se convaincre de la foi, c'est ça la logique au sein des séquences 6 et 7 de "Mauvais sang" et encore dans les appels à Dieu de "Nuit de l'enfer".</div><div style="text-align: justify;">Et vous comprenez aussi que dans la deuxième séquence de "Mauvais sang", toute cette réflexion sur l'histoire de la France fille aînée de l'Eglise, c'est précisément le premier acte de confrontation d'un poète qui se veut libre avec l'éducation forcée, c'est déjà le récit tendu des séquences 5 à 7 où le poète subit un débarquement et le coup de la grâce.</div><div style="text-align: justify;">C'est cette dualité qui est mise en scène au début de la troisième qui poursuit clairement la fin de séquence précédente en reprenant en mention "païen" et "Esprit", et du coup, loin d'être l'expression d'une aspiration spontanée vers Dieu, le début de troisième séquence est une séquelle d'une première conversion forcée par les livres !</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i> Le sang païen revient ! L'Esprit est proche, pourquoi Christ ne m'aide-t-il pas, en donnant à mon âme noblesse et liberté. Hélas ! l'Evangile a passé! l'Evangile ! l'Evangile.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> J'attends Dieu avec gourmandise. Je suis de race inférieure de toute éternité.</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">On lit ce passage comme si le poète était un païen susceptible de se laisser tenter par le christianisme, alors que non c'est un enfant baptisé chrétien qui a la lubie de se croire païen qui est en train de parler. Le mot "lubie" a le tort d'être péjoratif ici, mais il faut bien comprendre que le poète est sous l'influence de l'histoire de la France fille aînée de l'Eglise. Et donc, quand le poète dit : "J'attends Dieu avec gourmandise", mélangeant le désir de foi à un péché capital, il ne faut pas simplement constater qu'il y a un manque de logique et que c'est pour ça que ça ne va pas prendre. Non, le poète est baptisé, il sait parfaitement qu'il est sulfureux de dire attendre Dieu avec gourmandise et d'ailleurs on a un retour du sang païen en trois temps : "l'Evangile a passé", blasphème involontaire ou non de la foi voulue avec gourmandie et puis constat fatal : "Je suis de race inférieure de toute éternité." On est en partie sur une sorte de déception, mais on est surtout sur une revendication. Le poète a identifié que l'Evangile ne le concerne plus vraiment. Il va essayer encore un peu, mais il met le doigt sur un vrai problème. Il sent qu'il est viscéralement païen. L'eau de baptême, elle n'est pas allée sous son crâne. Il n'était même pas prédestinée, il a été baptisé, mais ça n'a pas été un acte de reconnaissance. C'est un acte qui est arrivé, et c'est tout, car lui il est resté étranger au christianisme. Ici, Rimbaud joue sur l'idée que le baptême fait qu'une personne reconnaît son origine chrétienne, alors qu'on est habitués à l'idée que le baptême fait rentrer dans la communauté chrétienne. Rimbaud décale l'idée. Normalement, on est de race inférieure non civilisée parce que malgré notre origine divine sur cette Terre on n'a pas reçu le message, mais une fois qu'on l'aura reçu on reconnaîtra notre origine divine, et en insistant sur l'idée "de toute éternité", Rimbaud nous dit que finalement le baptême échoue et donc la reconnaissance en soi de son origine divine, chrétienne, parce que tout simplement on n'est peut-être pas d'origine chrétienne. Les autres, peut-être, mais soi-même, non !</div><div style="text-align: justify;">Et, du coup, la fin de la séquence 3, est assez intéressante à rapprocher du passage sur l'absence du poète dans les conseils des seigneurs et des représentants du Christ, puisque, faute d'être dans la croyance en son élection auprès de Dieu, le poète considère que la promesse de l'Evangile lui est exclue et il va se chercher une élection d'homme dévalué. Il va s'imaginer en aventurier qui revient et qui est mêlé aux affaires politiques, c'est exactement l'idée d'une personne qui ne croit rien, qui ne croit en aucune valeur, qui n'a aucune spiritualité, et c'est bien une image dévaluée des seigneurs. Evidemment, on peut penser que les seigneurs étaient hypocrites, ne valaient pas mieux que les actuels gouvernants, mais je rappelle que l'image des conseils des seigneurs vient des livres pour notre poète. Et donc, on mesure l'écart entre la solennité, la noblesse des représentants du Christ et l'image assez mesquine des "affaires politiques" pleines de corruptions éhontées. Rimbaud joue bien évidemment sur ce contraste qui est un peu le pendant farcesque de l'opposition entre l'ancien viatique et le nouveau, entre la médecine et les remèdes de bonnes femmes, par exemple, sauf que cette fois les images dépréciatives sont du côté du présent dans ce système de balance.</div><div style="text-align: justify;">L'intérêt évidemment de la troisième section en terme de voyage mental, c'est bien évidemment le fait que le poète imagine des déplacements immédiats dans le monde. Le poète dit : "Me voici sur la plage armoricaine." Dans l'absolu, nous ne sommes pas supposés savoir que le poète parle de Roche, Charleville ou Paris sinon Londres ou Bruxelles. On comprend tout de même que la plage armoricaine est surtout ici une vue de l'esprit comme le poète se voyait dans les plaines souabes en lisant les récits des croisades. D'ailleurs, il me semble évident que, même sans songer anachroniquement à <i>Astérix</i>, il y a une enquête à faire sur l'image gauloise de la côte armoricaine. Rimbaud fait obligatoirement référence ici à un texte qu'il vient de lire de la présence gauloise en Armorique.</div><div style="text-align: justify;">Il ne cite pas innocemment la plage armoricaine.</div><div style="text-align: justify;">En revanche, dans la suite de la séquence, comme le confirme l'emploi verbal du futur de l'indicatif, le poète prend ses distances avec le concept de voyage mental, puisqu'il décrit ses voyages comme des projets et non comme des faits avérés. Il est important toutefois d'en parler, puisqu'il s'agit bien de l'équivalent du voyage mental immédiat, sauf que la grammaire maintient les indices d'une mise à distance de l'imagination : "Je reviendrai [...] on me jugera [...] J'aurai de l'or : je serai oisif et brutal." La fin de la séquence maintient la localisation sur la plage armoricaine : "Le meilleur, c'est un sommeil bien ivre, sur la grève." Nous aurons d'autres moments dans le récit où la localisation semble réelle, notamment le "lit d'hôpital" dans "L'Eclair", mais l'idée est tout de même que c'est la forme minimale du voyage mental. Nous connaissances de la vie de l'auteur nous prouvent ici qu'il s'agit d'une fiction mentale, mais à la lecture du texte aussi nous comprenons que, puisque le poète n'a pas pris la peine de se décrire dans un lieu donné outre-mesure, c'est qu'il y a des représentations fantasmées à l'œuvre dans le récit. La "plage armoricaine" est confirmé deux alinéas plus loin par la mention "grève", mais le poète est en état d'ivresse et plus jamais cette localisation n'aura la moindre pertinence dans le récit. Cela est suffisant pour la considérer comme une représentation mentale avant toute chose.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">J'en ai fini avec les trois séquences du païen. Mon article est déjà long, je vais l'arrêter, et je reprendrai l'analyse pour la suite dans d'autres articles. Au départ, j'avais choisi le titre "Le voyage mental dans Une saison en enfer", j'ai ajouté "d'un païen" pour assurer son autonomie à cet article.</div><div style="text-align: justify;">J'ai encore pas mal de choses à dire, mais je voulais aussi faire une remarque sur le problème des séquences 4 et 8 originellement fondues en une et séparées désormais par l'intercalation des séquences 5 à 7.</div><div style="text-align: justify;">En gros, le récit des séquences 5 à 7 introduit un récit de conversion ratée et "Nuit de l'enfer" a pu porter le titre de "Fausse conversion" parce qu'il est la suite du ratage de la conversion forcée racontée dans les sections 5 à 7 de "Mauvais sang". Or, Rimbaud a démonté un texte originel et il a mis une partie devant le récit de la conversion forcée et l'autre en conclusion de "Mauvais sang" et donc en partie intermédiaire entre la conversion forcée et "Nuit de l'enfer".</div><div style="text-align: justify;">Et il y a une question qui me trotte dans l'esprit. Est-ce qu'il faut penser que Rimbaud a mis la séquence 8 après le récit de conversion des séquences 5 à 7, ou est-ce qu'il faut penser qu'il a mis la séquence 4 avant ce récit de conversion, ou est-ce qu'il faut penser que le récit de conversion des séquences 5 à 7 devait impérativement pousser là où il a poussé au milieu du récit des séquences 4 et 8, en le coupant définitivement en deux ?</div><div style="text-align: justify;">J'ai déjà souligné que le découpage des séquences 4 et 8 correspondait au milieu et à la fin de "Mauvais sang", ce qui veut dire qu'ils ont un rôle structurant important. La séquence 8 semble avoir un caractère conclusif nécessaire, donc il peut être tentant de penser que la section 4 a surtout été placée devant les séquences 5 à 7. Je suis très abstrait, et vous ne comprenez peut-être rien à ce que je dis, mais ce n'est pas grave, je vous laisse méditer, je vous ferai part de mes réflexions plus tard.</div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-69770177689442051172024-03-07T06:56:00.000-08:002024-03-07T14:38:56.737-08:00L'élément perturbateur de saison et le schéma narratif infernal (ils n'existent pas !)<div style="text-align: justify;">A force de lire l'essai de Bardel <i>Rimbaud l'Introuvable</i> en diagonale, je me rends compte qu'un détail curieux m'avait échappé. Bardel applique à <i>Une saison en enfer</i> et plus précisément à la prose liminaire la théorie scolaire du schéma narratif. Il le fait d'une manière étrange, très en-dehors des clous.</div><div style="text-align: justify;">Qu'est le schéma narratif ? J'approche de la cinquantaine et ça ne fait pas partie des enseignements de base que j'ai pu recevoir dans un cadre scolaire, on l'avait à peine effleuré en classe de troisième, mais cet enseignement du schéma narratif s'est rapidement imposé dans les années qui ont suivi. Il prédomine dans l'enseignement de la fin des années 1990 à nos jours, et dans des proportions que vous ne soupçonnez pas. Il allait de pair avec le schéma actantiel, mais celui-ci n'est pratiquement pas enseigné dans les classes.</div><div style="text-align: justify;">Je vais vous présenter tout ça, parce que derrière une apparence simple il y a de gros problèmes. Et ayant été quelques années enseignant en collège et au lycée, en m'étouffant de dégoût, je peux vous dire que c'est comique l'enseignement de la théorie littéraire dans les écoles. Le schéma narratif, même s'il sera souvent relativisé dans les discussions orales que vous pouvez avoir avec des enseignants ou des représentants du rectorat, etc., il est systématiquement enseigné comme un outil d'analyse littéraire de base à chaque rentrée scolaire au collège. Un élève découvre le schéma narratif en classe de sixième, puis quand il passe en classe de cinquième il a des premières heures de cours où le schéma narratif fait partie des révisions imposées et des exercices de remise à flot, et évidemment on rejoue les révisions en classe de quatrième, puis en classe de troisième. Et de temps en temps, quand on étudie un récit, on s'en sert, on fait appliquer le schéma narratif aux élèves. Et tout cela est très mécanique, très stérile, et l'occasion d'éprouver un paradoxe effrayant c'est qu'à force de sacraliser le rapport au schéma narratif les élèves deviennent mauvais, ne le maîtrisent pas réellement.</div><div style="text-align: justify;">Alors, passons au définitions. Des exemples problématiques suivront, puis je citerai le commentaire de Bardel où il mobilise la notion de schéma narratif, et enfin je vais faire une étude de la mise en récit d'<i>Une saison en enfer</i> qui, d'un côté, va montrer les limites de l'outil, mais de l'autre va souligner comment lire l'intrigue d'<i>Une saison en enfer</i>. Cet article est donc une longue digression qui finit par revenir à l'essentiel sur Rimbaud, et une digression qui pose des questions sur des problèmes d'enseignement de la littérature.</div><div style="text-align: justify;">C'est parti !</div><div style="text-align: justify;">Commençons par faire un sort rapide au schéma actantiel. Il s'agit d'une invention du linguiste et sémioticien d'origine lithuanienne Greimas. Greimas est né en Russie et a vécu un certain temps en Lithuanie avant de venir en France, et il a été influencé par Vladimir Propp, qui est célèbre pour son ouvrage <i>Morphologie du conte</i>. Greimas a été influencé par Lévi-Strauss et par Georges Dumézil, l'auteur d'une théorie douteuse de la trifonctionnalité. A en croire Dumézil, les récits indo-européens seraient structurés selon trois fonctions : le domaine du sacré, la fonction guerrière et et celle peu claire peu homogène de production et de reproduction. C'est complètement débile, c'est comme si on théorisait que les histoires se déroulent dans l'espace et dans le temps. Enfin, passons.</div><div style="text-align: justify;">Le schéma actanciel consiste tout bêtement à prendre l'ensemble des personnages et à les classes en fonction de leurs rôles respectifs dans un récit et en fonction bien sûr de leurs relations entre eux. On part d'un héros unique confondu avec le personnage principal, et on classe le reste autour de lui. Puis on définit le rôle du héros, l'objet de sa quête, sauf que dans certains récits le personnage principal est une princesse qui ne peut pas se défendre elle-même et qui va avoir besoin d'un personnage secondaire qui sera le héros lui permettant de s'en sortir. Vous croyez qu'au collège on évite ce cas de figure ? Vous croyez que les professeurs de français réadaptent le schéma actantiel à partir du héros personnage secondaire ? Non, j'étais professeur stagiaire amené à préparer dans une certaine urgence des cours de début d'année, j'ai dû enseigner le modèle actantiel avec un tableau à compléter ensemble en classe. Le héros, c'était la princesse, le personnage qui l'aide, l'adjuvant en jargon, c'était le chevalier, et la quête de la princesse, c'était d'assurer sa survie. Oui, j'ai enseigné quelque chose d'aussi vain, parce que j'ai demandé au professeur qui était mon tuteur les réponses à son tableau ! J'étais gêné !</div><div style="text-align: justify;">Il y a un personnage, il a un objectif, il y a des gens qui l'aident, des gens qui lui créent des problèmes, on met ça en tableau.</div><div style="text-align: justify;">Vous pensez bien que cet enseignement était intenable à long terme dans les classes de collège. Il a à peu près disparu, il me semble. Si la définition du schéma actantiel n'est pas claire (surtout que je n'ai pas parlé non plus de la terminologie farcesque du destinateur émetteur et du destinataire récepteur, vous avez une page <i>Wikipédia</i>. Moi, ce genre d'âneries, très peu pour moi !</div><div style="text-align: justify;">Passons au schéma narratif.</div><div style="text-align: justify;">Les grecs de l'Antiquité (Homère d'alors...) avaient bien évidemment commencé à étudier les logiques des récits, mais nous héritons d'un renouveau théorique du vingtième siècle qui implique Vladimir Propp, Roland Barthes, Joseph Campbell, Northrop Frye, etc. On s'attend à du sérieux. Le schéma narratif semble l'héritage de réflexions internationales conduites par des intellectuels variés.</div><div style="text-align: justify;">En réalité, on se moque de vous.</div><div style="text-align: justify;">Le schéma narratif de base est composé de cinq étapes : la situation initiale, l'élément perturbateur, les péripéties, l'élément de résolution (ou dénouement en langage normal) et la situation finale.</div><div style="text-align: justify;">Vous vous dites que tout cela est élaboré, puisqu'on dénombre pas moins de cinq parties. Heu ? Les symétries des noms devraient vous alerter : une situation initiale et une situation finale, ça n'a pas l'air de dégager des parties qui ont tant que ça leurs spécificités propres. On sent bien que les cinq parties sont les termes obligés d'un unique mouvement. La deuxième étape est une perturbation et la quatrième étape met un terme à cette perturbation. Le schéma narratif ce n'est que constater les limites de l'action dans un récit, et rien d'autre ! Je ne comprends pas pourquoi on ne simplifie pas l'enseignement au collège. Au lieu de leur demander d'identifier les cinq parties du schéma narratif, il suffit qu'il repère l'élément perturbateur et le dénouement. Tout ce qui précède l'élément perturbateur sera d'office la situation initiale, tout ce qui suit le dénouement sera d'office la situation finale, et tout ce qui est entre la première action perturbatrice et la dernière action de dénouement ce sera les péripéties. Le schéma narratif n'est strictement rien d'autre qu'un procédé d'identification du début et de la fin d'une action.</div><div style="text-align: justify;">Si un récit n'a pas de situation finale, c'est tout simplement que le récit se clôt sur la dernière action, sur le dénouement, il n'aura que quatre étapes.</div><div style="text-align: justify;">J'ai été enseignant, je suis bien placé pour savoir que tout le monde expose les cinq étapes du schéma narratif sans avoir le bon sens de comprendre que tout n'est qu'une question de délimiter les étapes 2 et 4. Peut-être que des scientifiques ou des mathématiciens le pourraient, mais dans le monde de l'enseignement du français à part moi je ne connais personne qui fasse le constat.</div><div style="text-align: justify;">C'est inquiétant !</div><div style="text-align: justify;">C'est un faux enseignement élaboré, du coup !</div><div style="text-align: justify;">Mais ce n'est pas tout. Il y a d'autres problèmes derrière. Le schéma narratif ne s'applique en quatre ou cinq étapes (absence ou non de situation finale) qu'aux récits qui suivent la chronologie des événements et qui explosent les choses pour le meilleur confort de lecture.</div><div style="text-align: justify;">La théorie doit prendre en compte les récits qui ne suivent pas l'ordre chronologique des événements. Vous connaissez par exemple le film <i>Lolita</i> de Kubrick qui raconte une scène dramatique conclusive en ouverture, puis on a droit à un immense retour en arrière, l'essentiel du film consistant à raconter comment a pu se produire la scène racontée en ouverture du film.</div><div style="text-align: justify;">Mais il y a d'autres problèmes encore. La situation initiale est définie comme une exposition, nos théoriciens du vingtième siècle ne font que reprendre les enseignements des grecs à ce sujet. Or, vous regardez certaines séries d'actions ou certains films policiers, vous avez dans les premières secondes une action dramatique ou un meurtre même, action ou meurtre qui vont nouer l'action immédiatement et vous allez suivre jusqu'au bout le film, l'histoire, parce que vous avez été intrigué par les premières secondes et que vous voulez savoir comment tout cela va se résoudre. Donc, même la situation initiale n'est pas nécessairement présente dans un récit chronologique. Pourtant, on se dit qu'une situation initiale est plus nécessaire qu'une situation finale, puisque la situation initiale a l'intérêt de poser les bases sur lesquelles une intrigue va se créer, alors que ce qui se passe après le dénouement ce n'est pas si nécessaire de nous le raconter que ça.</div><div style="text-align: justify;">Voici comment sont décrites les cinq étapes du schéma narratif et j'accompagne cela de mes commentaires.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">La situation initiale rassemble les éléments nécessaires à la mise en route du récit et les éléments utiles à la compréhension des actions. Et, dans un récit écrit (par opposition aux films, séries télévisées), le temps employé est en général l'indicatif imparfait. On nous dit que la situation des héros n'évolue pas et reste stable.</div><div style="text-align: justify;">Dès qu'on ouvre le couvercle, ces pseudo-évidences volent en éclats. Dans nombre de récits, les informations viennent en leur temps. Il y a bien des informations de départ qu'on peut rassembler par souci de clarté, d'économie du temps de parole, mais vous avez des récits où les introductions sont détaillés et des récits où les introductions ne s'embarrassent pas de détails. Si l'introduction vous explique qu'un enfant a grandi pour devenir un jeune adulte prêt à des actions héroïques, on ne voit pas en quoi il n'y a aucune évolution. Si l'introduction vous décrit un pays en guerre, où est la stabilité ? Toute l'apparence de bon sens de cette définition de la situation initiale vole rapidement en éclats, très rapidement. L'histoire de Cendrillon, ses années malheureuses, elles sont plutôt dans l'introduction ou plutôt dans les péripéties ?</div><div style="text-align: justify;">Puis, l'expression "mise en route du récit" est problématique, ça veut tout dire et rien dire, surtout dans une théorie qui formule que la mise en route vient de l'étape 2 de l'élément perturbateur. On va revenir sur ce problème de concurrence entre situation initiale et élément perturbateur justement.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">L'élément déclencheur ou perturbateur rompt l'équilibre de la situation initiale. Dans un récit écrit, il est introduit par un connecteur temporel, avec une idée de soudaineté, de rupture : "Un jour", "Soudain", "Ce matin-là", etc. Et au collège, on identifie aussi le passage au passé simple qui s'oppose à l'indicatif imparfait de l'introduction. Bref, en bons animaux dociles, les élèves au collège identifient une expression du type "Un beau jour" et un premier indicatif passé simple. C'est pépère l'enseignement de la littérature au collège. C'est cool !</div><div style="text-align: justify;">Bon, vous prenez le conte d'Andersen "La Princesse au petit pois" qui est enseigné en classe de sixième, qui est présent dans certains manuels scolaires et qui est utilisé pour exercer les élèves au découpage d'un texte en fonction du schéma narratif. L'élément perturbateur, à l'aune du modèle théorique, c'est quand une femme frappe à la porte. On identifie le connecteur temporel et le passage au passé simple, sauf que cela est précédé d'un large paragraphe de situation initiale où, selon les traductions, quelques occurrences d'indicatif passé simple ne sont même pas exclues, mais dans cette situation initiale on apprend que le prince a du mal à trouver une épouse qui lui convienne et veut voyager par le monde pour chercher celle qui lui conviendrait. Personnellement, j'ai l'impression que le problème qui fait l'intrigue c'est plutôt ce besoin de se marier du prince que le fait qu'une femme frappe à la porte. Une fois cette femme entrée dans la maison du prince, elle passe une épreuve pour vérifier qu'elle est bien ce qu'elle prétend être, à savoir une princesse. Mais, ce nouveau problème d'identifier si elle est ou non une princesse n'apparaît qu'après un temps d'échanges. Le fait de frapper à la porte n'est pas une perturbation qui lance l'intrigue. C'est simplement la première action de l'histoire et rien d'autre, action qui est neutre en soi, parce que les théoriciens du schéma narratif et les enseignants de collège ne se posent visiblement pas la question de l'action neutre initiale qui peut lancer un récit. Et surtout, ils ne théorisent pas le problème de concurrence entre une situation initiale qui en décrivant des personnages suggère déjà un problème à résoudre et une action initiale qui, problème ou non, met l'action sur des rails. D'ailleurs, la femme qui frappe à la porte étant une princesse, c'est moins une action perturbatrice qu'une action qui va déjà vers la résolution du problème exposé dans la situation initiale.</div><div style="text-align: justify;">Vous vous rendez compte de ce qu'on enseigne de confus à des élèves de sixième ? ça ne vous pose pas de problème ?</div><div style="text-align: justify;">Parce que ça ne ferait pas sérieux d'avouer aux élèves qu'après des éléments d'exposition on repère la première et la dernière action, on leur enseigne le mensonge selon lequel la première action est une perturbation qui lance l'intrigue, alors que non. Et on leur répète trois fois par an au moins cette thèse de l'élément perturbateur pendant leurs quatre années de collège, et ça revient à l'occasion au lycée, sinon à l'université s'ils font des études de lettres... Et ce n'est pas tout : étant enseignant, j'ai constaté ce fait étrange que l'expression "élément perturbateur" est aussi utilisée pour désigner les élèves qui perturbent les cours, sans même que ce ne soit clairement considéré comme une allusion comique au schéma narratif. Vous imaginez à quoi se réduit le concept d'élément perturbateur dans la tête des élèves avec tout ça ? Vous en avez conscience que les élèves vont créer des récits à partir de ce schéma simpliste et qu'ils vont prendre pour acquis qu'une histoire commence avec une perturbation qui fait désordre. Bravo ! Quel enseignement ! Bravo ! Vous coulez les générations actuelles ! Et ne me dites pas que les théories universitaires sont mal digérées : les théories de Greimas, Frye, Dumézil, Freud, etc., sont controversées, et pas pour rien ! On s'inspire bien sûr d'une théorie de la mise en intrigue propre au théâtre avec les tragédies grecques puis les tragédies françaises classiques, et on applique ça aux contes et récits en prose, alors que pour les tragédies il y avait à tout le moins un débat des créateurs sur la manière de composer. Et encore, ça ne marche pas si bien que ça. La tragédie <i>Horace</i> de Corneille pose un problème d'unité d'action, puisque le problème de base est d'affrontement entre deux familles. Les trois frères Horace ont accepté de combattre contre les trois frères Curiace, alors qu'un Horace est marié à une soeur des Curiace et qu'un Curiace est fiancé à une soeur des Horaces. Un des Horace sort vainqueur du duel, sa soeur injurie les romains par amour pour son Curiace, et Horace la tue. Or, au cinquième acte, le roi intervient pour organiser un procès qui sauve son héros. Certes, ce procès est une suite logique du meurtre de la soeur Horace, mais le procès pour meurtre est tout de même une nouvelle intrigue à part entière. Le même problème se pose pour le drame <i>Hernani</i> de Victor Hugo : au départ, nous avons trois personnages amoureux de la même femme, et l'intrigue change de nature en cours de route parce que, sur un coup de tête, Don Carlos renonce à sa passade amoureuse pour son rôle politique. Il y a clairement une action corrigée en cours de route, l'intrigue est reformulée en d'autres termes. En clair, la théorie du schéma narratif, pas plus que la théorie de l'unité d'action au théâtre, ne s'affronte à l'hétérogénéité d'une suite d'actions où l'intrigue est altérée et se transforme en une autre titre. Je pourrais citer des problèmes de cette nature avec <i>Le Cid</i>. Et surtout, on se rend compte que si Corneille ou Hugo respectaient les exigences de l'unité d'action ou, anachroniquement, du schéma narratif, ils n'auraient pas écrit des chefs-d'oeuvres tels que <i>Hernani</i>, <i>Horace</i> ou <i>Le Cid</i>.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Les péripéties sont donc la suite des actions déclenchées par l'élément perturbateur, et en allant s'inspirer des théories du théâtre on va reprendre le concept de climax, histoire que ce ne soit pas trop trivial, parce que jusqu'à plus ample informé les péripéties ne sont rien d'autre que l'ensemble des actions qui s'enchaînent à l'exception de la première et de la dernière des actions. Il faut arrêter de se moquer du monde. On a des procédés pour donner du relief aux péripéties, pour en rehausser l'intérêt, mais les péripéties en soi c'est un concept qui vaut pas tripette.</div><div style="text-align: justify;">Mais, attention, il y a un piège à étudier séparément les cinq étapes ! Vous avez déjà vu que c'était le cas quand j'ai mis en avant la concurrence possible entre situation initiale et élément perturbateur pour ce qui est d'exposer un problème d'où naît une intrigue.</div><div style="text-align: justify;">Vous allez voir que c'est pareil pour les péripéties. Il faut bien comprendre que le sens donné aux deux étapes "élément perturbateur" et "élément de résolution" a une incidence sur la définition des péripéties. Parce que là, les enseignants, ils sont bien ronflants devant les élèves à dire la situation initiale, c'est ça, l'élément perturbateur, c'est ça, les péripéties, c'est ça, le dénouement ou élément de résolution c'est ça, la situation finale c'est ça, alors même que les termes choisis prouvent que tout cela doit se penser en tant qu'interactions globales. Il n'y a qu'un seul bloc central à considérer : celui des actions avec délimitation de la première action et de la dernière action. Et ce qui éclate comme problème, c'est le problème de l'hétérogénéité. On peut avoir une action simple, un problème est posé et au bout d'une suite d'actions le héros résout son problème, mais très souvent, et c'est facilement le cas des récits qui se veulent riches, nourris, intéressants, élaborés, le premier problème entraîne des actions qui, à un moment donné font basculer l'histoire dans de nouvelles intrigues et partant de là le problème initial peut être résolu en cours de route, sauf qu'il est résolu quand de nouvelles intrigues à résoudre ont vu le jour et imposent donc au héros de poursuivre les actions. C'était un peu ça le problème dans <i>Hernani</i>, <i>Horace</i> ou <i>Le Cid</i>. C'est nettement le cas dans quantité de récits en prose. Prenez un exemple tout bête, le récit de la vie d'un héros. Dans ce cas de figure, l'hétérogénéité ne vient même pas de l'imbrication des actions, mais du fait que l'unité du récit est la vie du personnage et qu'on juxtapose les récits de ses faits d'armes. Certes, on va jusqu'à un certain point relier les actions entre elles, mais cette théorie de la première action qui a sa résolution dans la dernière action du récit, qu'est-ce qu'il en reste ? Et c'est pareil dans les contes de Perrault. Le conte des deux fées, c'est un récit en miroir avec une morale à la clef, et par le monde il existe de très nombreux équivalents de ce récit en miroir. Une fille vertueuse est victime d'une marâtre qui lui préfère sa propre fille pourtant méchante. La fille va puiser de l'eau et rencontre une fée qui demande de l'aide. La fille aide la fée et reçoit une récompense, elle peut créer de l'or. La marâtre envoie sa propre fille pour qu'elle obtienne le même don, sauf que la fille brusque la fée et reçoit une malédiction. Le récit en miroir exclut clairement l'application du schéma narratif, puisque si on l'applique l'élément pertubateur : la demande d'aide de la fée à la gentille fille, n'a rien à voir avec la résolution : la malédiction de la méchante fille.</div><div style="text-align: justify;">En clair, le schéma narratif est une théorie qui repose sur une conception extrêmement sommaire de l'unité des péripéties. Il y a une croyance perverse au déroulement simple d'une intrigue simple et unique.</div><div style="text-align: justify;">Le récit sur les fées, il est enseigné dans les classes de sixième en même temps que le schéma narratif, puisqu'on étudie le genre du conte en sixième, ce que double l'étude du genre de la fable. Et le texte des "Deux fées", il est dans les manuels scolaires.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Passons à l'élément de résolution, ou dénouement : L'élément de résolution met un terme aux actions et conduit à la situation finale.</div><div style="text-align: justify;">Superbes, les définitions ! Telle action suit telle action et conduit à l'action suivante... On l'a vu, l'intrigue peut changer de nature, donc cette formule passe-partout : "met un terme aux actions" avoue sans le dire que c'est la dernière action. Le dénouement est plus pertinent si toutes les actions étaient réellement imbriquées, et il est maximalement pertinent quand il est la réponse à la première action perturbatrice, mais on a mille fois que ce n'était pas toujours le cas.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Situation finale :</div><div style="text-align: justify;">On nous vend une vérité de La Palice : c'est le résultat, autrement dit belle lapalissade la fin du récit ou l'expression d'un retour à la stabilité. On nous vend que, dans un conte, en principe, la situation s'améliore pour les héros (principe de la fin heureuse pour parler normalement comme les gens normaux), mais dans d'autres histoires cela finit mal.</div><div style="text-align: justify;">Au fait, la petite fille aux allumettes, c'est une fin si heureuse que ça ? Elle rejoint sa grand-mère en mourant, c'est quand même un peu ambivalent ?</div><div style="text-align: justify;">En réalité, le dénouement on le comprend en lui-même, on comprend le retour à la stabilité par le caractère de dénouement de la dernière action. On n'en a pas forcément besoin du récit d'une situation finale à cette aune. La situation finale est moins indispensable que la situation initiale dans un récit.</div><div style="text-align: justify;">Personnellement, je perçois plutôt que la situation finale contraste avec le dénouement, dans la mesure où la vie des personnages est hétérogène, et la situation finale permet d'apprécier le fond de vie qui reprend avec ses propres intrigues une fois que le problème qui occupait le cœur du récit s'est dissipé. Pour preuve, les fins de récit où le méchant n'est pas encore vaincu et prépare de nouvelles menaces.</div><div style="text-align: justify;">Puis, il y a des variantes. Je regardais un épisode de la série Starsky et Hutch récemment. Hutch est amoureux d'une femme qui est impliquée contre son gré dans un réseau criminel. Notez que Starsky apparaît tardivement dans l'épisode, il n'y a pas eu de situation initiale pour rappeler qui il est, mais je passe sur cela, ce qui m'intéresse, c'est la fin. Hutch n'a pas à être amoureux, il est en mission pour protéger cette femme, il ne doit pas tout mélanger, mais donc il mélange tout quand même. Dans ce qui correspond au dénouement, nous avons une arrestation qui ne va pas sans bain de sang, la femme perd son frère qui meurt dans ses bras. Les méchants sont arrêtés, l'enquête s'arrête là. Or, la scène suivante, on a Starsky et Hutch qui discutent assis à une table dans une grande serre. Ils parlent de sujets qui n'étaient pas traités dans l'épisode, on a des gags. On comprend entre les lignes que Hutch se refait, d'ailleurs il développe une théorie de l'optimisme, mais on n'a pas le moindre mot sur la femme qu'il aimait, sur son sort après l'arrestation, rien du tout. C'est ça aussi une situation finale.</div><div style="text-align: justify;">Quand j'étais gosse, j'étais toujours frappé par les scènes finales des séries américaines : <i>Agences tous risques</i> ou des dessins animés comme les <i>Mini-pouss</i> ou <i>Les Maîtres de l'univers</i> ou <i>Les Aristochats</i>, on avait une scène finale comparable à celle ici décrite pour Starsky et Hutch, deux personnages qui parlent entre eux, ou une réunion de tous les personnages qui se congratulent et parlent de leurs projets (<i>Agences tous risques</i>). Et on avait droit à une réflexion moralisatrice, un petit proverbe, ou bien à un cours sur l'origine des pizzas et des pâtes (une fin d'épisode des <i>Minipouss</i>). Il y avait toute une approche éducative pour les enfants qui faisaient que de manière pompeuse la situation finale d'épisodes de dessins animés était l'occasion de formuler un petit enseignement moral, ou bien d'expliquer la sécurité routière et les risques d'accidents domestiques (<i>Inspecteur Gadget</i>).On avait aussi des épisodes qui revenaient sur un running gag, par exemple dans un épisode de <i>Chips </i>un des deux héros voulait écrire des romans et à la fin de l'histoire d'enquête criminelle son collègue découvrait des notes où il ne faisait que se moquer de lui, et ça finissait sur cette note mi-figue mi-raison. Ou bien, dans les premiers épisodes de <i>Starsky et Hutch</i>, on avait un running gag parfois, et dans un épisode Hutch voit tout le temps un dalmatien qui s'éclipse à chaque fois avant que Starsky ne le voie. Ce qui est bien fait, c'est que c'est en se baissant vers ce chien que Hutch va éviter une balle qui lui était destinée et que Starsky va voir le chien, et du coup dans la scène finale assez gratuite chez Huggy les bons tuyaux on a un dernier gag avec ce chien où on joue sur le fait que seul Hutch le voyait auparavant et du coup sur l'idée d'ange gardien. Là, c'est une situation finale bien préparée, bien en liaison avec un aspect secondaire de l'intrigue.</div><div style="text-align: justify;">Bref, vous l'avez compris, on est très loin, mais très loin avec de telles ouvertures de la platitude de définition de la situation finale. Vous imaginez qu'on conditionne les jeunes à produire des situations finales stériles ? Le retour à la stabilité !</div><div style="text-align: justify;">Vous sentez la tension entre le modèle théorique et les exemples, exemples tirés de la culture populaire, ou de contes de Perrault qui viennent de traditions orales populaires.</div><div style="text-align: justify;">Ne vous étonnez pas si aujourd'hui vous avez en France des Séjourné-Lavrov, des Macron-Napoléon et des Biden Alzheimer-aigle d'Amérique !</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Bref, Bardel a appliqué donc le concept du schéma narratif à la prose liminaire d'<i>Une saison en enfer</i> en donnant exclusivement de l'importance à la notion d'élément perturbateur.</div><div style="text-align: justify;">Je cite le début de cette thèse (pages 44-45) :</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i> Il est possible de décrire la structure de la </i>Saison<i>, telle, par exemple, que l'illustre et la récapitule le prologue, en utilisant les catégories classiques du </i>schéma narratif<i>, historiquement codifiées par la théorie littéraire à travers l'étude du genre merveilleux. Le verbe "récapitule" s'impose ici parce que l'offrande de son œuvre faite par le narrateur à Satan, au terme du chapitre d'exposition, incite à penser qu'il a été rédigé postérieurement aux autres chapitres. Telle est du moins la fiction qui nous est proposée.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Les sept premiers alinéas de ce prologue sans titre, rédigés dans les temps du passé, constituent ce qu'on appelle traditionnellement la "situation initiale". C'est le récit rétrospectif de la </i>mauvaise vie<i> dévouée aux "sorcières", sous le signe de Satan. Au huitième alinéa, un connecteur temporel ("tout dernièrement") introduit "l'élément perturbateur" : le protagoniste a frôlé la mort ("le dernier </i>couac<i>"). Cet événement ouvre dans son esprit une crise morale (ou "spirituelle" comme préfère la qualifier Rimbaud), un débat intime autour du dilemme : persévérer dans la voie du mal/se convertir "au bien et au bonheur". Les différents chapitres de l'œuvre en représentent les jalons. Quoique l' "action" dont il s'agit ici soit d'une nature tout intérieure, on peut dire que les différents chapitres en sont, en quelque sorte, les "péripéties". [...]</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Le discours de Bardel continue puis, il en vient à parler du "dénouement", je reprend la citation (page 46) :</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;"><i>[...] Enfin, survient le dénouement, déclenché par ce que la théorie appelle l' "élément résolutif". Dans le prologue, cet élément qui met fin à la situation de déséquilibre provoquée initialement par l'élément perturbateur est représenté par la phrase : "Ah ! j'en ai trop pris." Cette formule lapidaire par laquelle le locuteur congédie sa vie passée est l'équivalent des célèbres formules conclusives d' "Alchimie du verbe" et d' "Adieu". Telle qu'on peut l'analyser au dernier chapitre de l'œuvre, il s'agit d'une fin plutôt heureuse qui voit le héros mythique du conte, nouvel Orphée, échapper, victorieux mais seul, à son enfer.</i></div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Je trouve ça hallucinant. Je ne pense pas à l'hallucination simple ou à l'hallucination des mots.</div><div style="text-align: justify;">Bardel applique donc le concept de schéma narratif au prologue, et il y a une pertinence à identifier le problème exposé au huitième alinéa, le poète face à la mort a entrepris quelque chose (je reste volontairement vague).</div><div style="text-align: justify;">Sauf que si vous étudiez la prose liminaire avec les outils de la théorie du schéma narratif, l'élément perturbateur se situe au deuxième alinéa ! Bardel exploite bien l'idée d'outil théorique, il cite un connecteur logique "tout dernièrement", mais moi je vous en cite un autre avec passage de l'imparfait au passé composé (équivalent du passé simple ici).</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i> Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. - Et je l'ai trouvée amère. - Et je l'ai injuriée.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> [...]</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Il est clair que nous avons un premier alinéa de situation initiale suivi d'un alinéa qui correspond au modèle théorique de l'élément perturbateur. Le connecteur logique est "Un soir" pour parler comme un élève docile, et l'indicatif imparfait domine dans le premier alinéa, le passé composé dans le second. Qui plus est, dans un récit, la partie la plus longue, c'est nécessairement celle des péripéties.</div><div style="text-align: justify;">Du coup, il convient d'aller chercher à la fin du texte la dernière action qui correspond à un dénouement, puis il suffit de décréter que ce qui est au-delà de cette ultime action est la situation finale, sauf que Rimbaud ne résout rien du tout, la fin est complètement ouverte, il n'y a ni résolution, ni situation finale.</div><div style="text-align: justify;">La technique d'écriture de Rimbaud est la suivante : vous devinerez la résolution quand vous arriverez à la fin de lecture des feuillets que je détache ici.</div><div style="text-align: justify;">Le schéma narratif ne s'applique donc pas de part en part à la prose liminaire, et si les deux premières étapes peuvent être dégagées, Bardel est en contradiction avec elles.</div><div style="text-align: justify;">Ce n'est pas tout ! Le prologue compte onze alinéas. Bardel identifie l'élément perturbateur au huitième alinéa, et l'élément perturbateur au onzième alinéa. Tout ce qui est entre correspondrait à des péripéties, bonjour la gueule des péripéties ! Excusez-moi d'être grossier, mais voyez vous-même !</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i> Or, tout dernièrement m'étant trouvé sur le point de faire le dernier </i>couac<i> ! j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien où je reprendrais peut-être appétit.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> La charité est cette clef. - Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !</i></div><div style="text-align: justify;"><i> "Tu resteras hyène, etc.," se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots. "Gagne la mort avec tous les angélus, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux."</i></div><div style="text-align: justify;"><i> "Ah ! j'en ai trop pris [...]</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Ah ! c'est rigolo, hein ?</div><div style="text-align: justify;">Notez l'hétérogénéité, le poète a songé à chercher la clef du festin ancien, et la solution c'est de dire à Satan qu'il a trop pris de poison. Bon, évidemment, Bardel est dans la lecture contradictoire où il croit que le festin est une illusion créée par Satan. Non ! Le poète dit que pour ne pas mourir il a songé au festin de concorde, mais il le rejette comme duperie en réalisant que c'est la promesse de la charité chrétienne. Ce que ne comprennent pas les rimbaldiens (Brunel, Vaillant, Bardel, Nakaji, voire Molino, Frémy, etc., etc.), c'est que Satan n'est pas scandalisé par le refus de la charité, il est scandalisé par le refus du "dernier <i>couac</i> !" Moi, l'intrigue que j'identifie, c'est la peur de la mort, les rimbaldiens ils identifient l'illusion satanique de la charité avec récompense <i>post mortem</i>). C'est débile, mais c'est ce qu'ils croient depuis des décennies. Et donc comme un petit comique le poète dit à Satan que finalement il n'en veut plus. Oui, ça résout le problème, ok d'accord !</div><div style="text-align: justify;">Pffh !</div><div style="text-align: justify;">Donc, déjà même en se pliant à la lecture de Satan qui prône la charité, lecture prônée par Bardel et tout l'<i>establishment</i> rimbaldien (bravo ! bravo ! clap clap clap ! en voilà de la poésie à l'émail !), déjà cet ensemble fait ridicule et mesquin.</div><div style="text-align: justify;">Qu'on adopte la lecture contradictoire qui fait consensus ou ma lecture de bon sens qui ne fait pas consensus, de toute façon, dans cette prose liminaire, le premier problème exposé est celui de l'injure à la Beauté. Point ! Bardel en fait fi ! Cela pourrait se comprendre. J'ai énormément insisté sur l'importance du problème formulé dans l'alinéa 8 pour la compréhension d'ensemble du débat à l'œuvre dans la <i>Saison</i>. Mais moi je n'ai pas engagé la théorie du schéma narratif appliquée à la prose liminaire.</div><div style="text-align: justify;">Si je dois l'appliquer, l'élément perturbateur est au second alinéa. Point barre. C'est un résultat scolaire par application mécanique.</div><div style="text-align: justify;">Il n'y a rien à redire à cela.</div><div style="text-align: justify;">Mais ce n'est pas tout. L'élément de résolution, le savoureux, ah non pas savoureux "j'en ai trop pris" est rapproché par Bardel de la "fameuse gorgée de poison" en tête de "Nuit de l'enfer" comme résolution donc à un élément perturbateur, et cette résolution est comparée aux clausules de "Alchimie du verbe" et "Adieu".</div><div style="text-align: justify;">Alors, allons voir ça de plus près !</div><div style="text-align: justify;">Je cite la clausule en deux phrases de "Alchimie du verbe : "Cela s'est passé. Je sais aujourd'hui saluer la beauté." C'est sans appel, ça peut faire un élément de résolution pour le deuxième alinéa d'<i>Une saison en enfer</i>, pas pour le huitième.</div><div style="text-align: justify;">On continue ! Bardel prétend que "j'en ai trop pris" revient à congédier sa vie passée, mais du coup pourquoi l'élément perturbateur correspond-il à cet instant de refus du "dernier couac !" où la mort contraire de la vie monsieur La Palice ! est frôlée ? Plutôt qu'à l'injure à la beauté ? Pourquoi les sept premiers alinéas de la prose liminaire sont-ils une situation initiale stable et non ce que va dépasser le poète ? Et donc Bardel a cité la "gorgée de poison", mais la "gorgée de poison" c'est quoi ? C'est la quête de la clef du festin ancien ou c'est une boisson fournie par Satan qui rend le héros plus maudissable encore ?</div><div style="text-align: justify;">Le poète dit qu'il a songé à rechercher la clef du festin ancien au bout d'un parcours dans un état déjà passablement empoisonné (euphémisme), il rejette aussitôt l'idée du festin ancien, donc Bardel ne peut pas lier la quête du festin ancien du huitième alinéa avec la gorgée de poison, puisque précisément il ne se passe rien. Le poète refuse de boire cette quête. Même en se mettant dans la lecture erronée de Bardel, Vaillant, estampillée revue <i>Parade sauvage</i>, le poète refuse d'obéir à l'injonction de Satan. Alors que dans "Nuit de l'enfer", il se passe quelque chose. On comprend que le "j'ai avalé une fameuse gorgée de poison" ne correspond ni à l'élément perturbateur qui lance la saison infernale dans son ensemble, ni à l'acte que croit bien identifier Bardel dans le huitième alinéa. Le "J'ai avalé une fameuse gorgée de poison" est bien évidemment à rapprocher l'injure à la Beauté et à la fuite qui en découle avec le fait de confier son trésor, à savoir sa vie, à la haine et à la misère. Le poète se reprend face au "dernier <i>couac</i>" donc ça veut bien dire que le poison il en boit avant le huitième alinéa !</div><div style="text-align: justify;">Vous devez commencer à vous en rendre compte que je produis un nombre considérable d'articles qui mettent en pièces de manière renouvelée à chaque fois vos lectures contradictoires d'<i>Une saison en enfer</i> ? Vous le sentez que j'ai mis en pièces les études plus récentes de Nakaji, les études de Brunel, les études de Frémy, celles de Molino, Steinmetz, Vaillant, Bardel, et ainsi de suite ? Faites comme Nuland qui a démissionné discrètement ces jours derniers, il faut quitter le navire, là !</div><div style="text-align: justify;">Vous vous prenez des pelletées de raisonnements logiques qui sont autant de bombes ravageant vos jardins rimbaldiens. L'affaire est pliée à un moment donné, non ? Vous êtes masochistes ?</div><div style="text-align: justify;">Maintenant, la structure du récit doit immédiatement s'intéresser à la suite des feuillets du carnet de damné. L'application du schéma narratif, partiellement applicable à la prose liminaire, devrait se doubler d'un repérage dans les feuillets de "Mauvais sang" à "Adieu". Le schéma narratif appliqué à la seule prose liminaire, ça n'a guère de sens, surtout que ça ne marche pas.</div><div style="text-align: justify;">En fait, Rimbaud, il attaque de but en blanc, la situation initiale expose déjà le problème. La première séquence de "Mauvais sang" expose le problème du sang gaulois païen qui monte à la tête du poète. Du coup, le schéma narratif n'est pas commode à appliquer à l'ensemble du récit, puisque nous n'avons pas une distinction classique entre situation initiale et élément perturbateur dans "Mauvais sang".</div><div style="text-align: justify;">Pour ce qui est de l'élément de résolution et de la situation finale, un report à la section "Adieu" ne permet pas de découvrir une logique limpide du schéma non plus. Il y a une situation finale, si on isole le dernier alinéa, mais ce n'est pas clair. Le récit est foncièrement dissolu. De la section "L'Eclair" à la section en deux parties "Adieu", le poète parle de son refus de la mort et de sa sortie progressive de l'enfer, mais il n'argumente pas, il n'explique pas, il faut deviner ce qui se joue entre les lignes, et puis c'est un peu dans l'effet de progression un peu délicat de parler de résolution. Je refuse la mort dans "L'Eclair", ça y est c'est fini. A la fin de "Matin", il dit aux autres de ne pas maudire la vie, donc ça y est c'est fini, et c'est même la répétition de la révolte contre la mort dans "L'Eclair" : est-ce qu'on a progressé de l'un à l'autre texte ? On constate plutôt un mouvement d'ampleur d'une résolution incroyablement diffuse, résolution allusive non clairement mise sous les yeux du lecteur. C'est ça que pose comme problème la narration d'<i>Une saison en enfer</i>. Le schéma narratif ne s'y applique pas. On ne peut pas clairement parler de dénouement et de situation finale sous la forme de deux parties brèves identifiables. Le dénouement est diffus, et la situation finale est bancale. Je rappelle que jusqu'au dernier alinéa le poète est encore en train de résoudre la question de la "main amie", problème qu'il traite par-dessus la jambe : "Mais que parlais-je de main amie ! Un bel avantage, c'est que je puis rire [...]"</div><div style="text-align: justify;">Le schéma narratif ne s'applique pas au récit d'<i>Une saison en enfer</i> et quand il s'y applique cela ne correspond pas à la lecture de Bardel. Les faits sont là.</div><div style="text-align: justify;">Quant à la prose liminaire, il s'agit d'un récit rétrospectif. Le poète crée un avant-propos qui chronologiquement vient après les feuillets, autrement dit la suite de "Mauvais sang" à "Adieu". Remarquons aussi que Bardel identifie la clausule de "Alchimie du verbe" a une résolution globale, alors que le récit se poursuit par les atermoiements et le sentiment d'impasse d'une section nommée "L'Impossible".</div><div style="text-align: justify;">Dans sa prose liminaire, le problème est celui du second alinéa car le poète ne veut pas mourir et s'en rendre progressivement mieux compte. La solution à chercher n'est pas pour autant la réconciliation avec la Beauté, le problème est de ne pas mourir à cause de cette révolte contre la Beauté. La fin de "Alchimie du verbe" parle d'une expérience de poète qui a mené pratiquement à la mort, et la phrase : "je sais aujourd'hui saluer la beauté" évoque une résolution en effet, mais une résolution partielle, et surtout elle contient un soupçon d'ironie, parce que c'est une invitation à ne pas supposer un retour à la case départ. Le poète n'injurie pas la beauté, mais il ne revient pas à la charité chrétienne. On n'est pas dans l'hommage. On est dans l'apaisement. C'est bien différent.</div><div style="text-align: justify;">Et, justement, l'intérêt de la prose liminaire avec le fait qu'on voit comment le poète réagit <i>a posteriori</i>, après la conclusion formulée dans "Adieu", c'est que du coup quand on lit le récit de "Mauvais sang" à "Adieu" on a précisément un garde-fou contre la lecture au premier degré d'un poète repentant. La prose liminaire nous prévient que le récit est retors, n'est pas franc (pas même envers Satan), n'est pas limpide (facultés descriptives ou instructives) et qu'il sent toujours le soufre, puisque le damné dédie son oeuvre à Satan. Il ne suffit pas de dire que Rimbaud ne croit plus ni à Dieu, ni à Satan, puisqu'il y a bien un refus du christianisme, un refus de Dieu et une provocation dans l'envoi de la prose liminaire.</div><div style="text-align: justify;">On comprend dès lors que "je sais aujourd'hui saluer la beauté" ne vient pas d'un repentant, mais du double jeu d'un damné. C'est une leçon élémentaire que nous pouvons tirer de l'ambivalence morale certaine de la prose liminaire.</div><div style="text-align: justify;">Et, du coup, derrière les aspects chrétiennement édifiants de "Adieu", nous comprenons qu'il y a une lecture ironique à faire par en-dessous de ce prétendu assagissement du poète.</div><div style="text-align: justify;">C'est ça lire sulfureusement <i>Une saison en enfer</i>!</div><div style="text-align: justify;">Evidemment, vous mettrez encore bien des années à accuser le coup que "Il faut être absolument moderne " et "La vision de la justice est le plaisir de Dieu seul" sont des allusions à une plaquette obscure de Tony-Révillon pour s'opposer aux théories du dramaturge à la mode qu'était Dumas fils...</div><div style="text-align: justify;">Eh oui, mais je n'irai jamais sur un plateau radio parler de l'Ukraine avec Enthoven... Mais, bon, je m'en passerai très bien !</div><div style="text-align: justify;">Et alors, vous mettez bout à bout les déclarations de Macron, le New York Times qui parle des douze bases de la CIA en Ukraine, les symboles du régiment Azov, l'explosion de Nordstream et les enquêtes abandonnées, la ruine économique de l'Europe de Bruno Le Maire, les 38 minutes d'écoutes des officiers de l'armée allemande à Singapour qui parlent de sabotages à faire en Russie sans objectif de guerre à la clef, et vous en êtes toujours à penser la même chose du conflit ? Vous renoncez par petits bouts, et le reste vous vous dites pas que ça sent le faux dans les grandes largeurs ? Je ne sais pas, je ne comprends pas vos blocages dans le raisonnement, je trouve que c'est de la bêtise, mais bon... je ne peux rien faire. Pareil pour la lecture d'<i>Une saison en enfer</i> ! Tout cela est bien dommage !</div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-79481610632387805062024-03-04T05:30:00.000-08:002024-03-04T05:49:50.606-08:00"Mauvais sang" : contre les lectures qui ne veulent pas admettre que la référence à l'enfer était dans le projet d'origine !<div style="text-align: justify;">Cet article poursuit le précédent et son titre donne une idée assez claire de l'intérêt de l'article précédent justement.</div><div style="text-align: justify;">Je reprends donc mon combat très ferme contre le livre <i>Une saison en enfer ou Rimbaud l'Introuvable</i> d'Alain Bardel, parce que je considère que l'opinion sur les poésies de Rimbaud résulte non pas d'acquis à partir des travaux les plus pointus, mais à partir de l'influence officielle qu'on va conférer à des lectures consensuelles passe-partout relayées par ceux qui ont une plume s'adressant au tout venant. Les lectures de Bardel reçoivent un soutien extrêmement élevé avec une présence sur un site internet, avec une présence d'arbitre dans les comptes rendus de la revue <i>Parade sauvage</i>, par la publication d'articles à mi-chemin entre l'évaluation des écrits des autres et le développement d'idées personnelles, par le fait qu'il y a des citations d'entregent en tête d'ouvrages rimbaldiens. Il faut que les rimbaldiens arrêtent de croire estimable ce procédé qui consiste à remercier des collègues pour des échanges d'idées, pour des relectures d'articles. On ne met pas en avant des solidarités d'équipe ! Merde !</div><div style="text-align: justify;">Je ne sais pas si j'aurai le temps de le faire, mais j'ai envie de collectionner toutes les fois où au cours de deux décennies, Bardel a formulé son idée sur l'identification du locuteur de la <i>Saison</i> à Rimbaud lui-même, avec une progression constante où on part de l'hésitation à la certitude qu'on peut dire que c'est l'auteur Rimbaud qui parle et pas tellement un truchement de narrateur.</div><div style="text-align: justify;">Bref, bref, bref, bref !</div><div style="text-align: justify;">Je reprends le fil !</div><div style="text-align: justify;">Dans son livre <i>Une saison en enfer ou Rimbaud l'Introuvable</i>, Bardel se permet de repousser la correction de la coquille "outils" par la bonne leçon "autels" du brouillon. Pour discréditer la correction de la coquille, dans le corps du texte, il anonymise les éditeurs qui prennent le parti de la correction "autels" :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>[...] Certains éditeurs récents rétablissent "autels" à la place de "outils", considérant ce dernier mot comme une coquille des typographes8.</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">On veut une liste de ces éditeurs récents. A ma connaissance, seul André Guyaux l'a fait, et il ne l'a pas fait sur l'édition de 2009, il l'a fait sur une révision de l'édition de 2009 des <i>Œuvres complètes</i> d'Arthur Rimbaud dans la collection de la Pléiade. C'est très subtil, il l'a fait sur une édition de 2009 révisée en, je ne sais pas moi, 2014 je crois, quelque chose comme ça. La moindre des choses est de préciser ce statut éditorial tout de même très particulier. Et j'attends d'en savoir plus sur les autres éditions qui adoptent la leçon "autels" dans le texte original d'<i>Une saison en enfer</i>. Je n'en connais aucune, ce qui est normal vu que depuis la révision dans la Pléiade il n'y a pas vraiment eu de nouvelles éditions courantes d'<i>Une saison en enfer</i>, si ce n'est en Poésie Gallimard où la leçon "autels" est envisagée avec plus de sérieux que Bardel et Vaillant dans les notices, mais le texte imprimé maintient "outils" si je ne m'abuse.</div><div style="text-align: justify;">Murphy, Murat, Reboul ou sinon des éditeurs courants comme Steinmetz ou Forestier devraient dire une fois pour toutes que la coquille relève de l'évidence et qu'il faut imprimer "autels" et non "outils". Là, il y a un problème de politique politicienne, et de lâcheté, qui dépasse l'entendement, puisque ça s'étend au déchiffrement des vers de "L'Homme juste" avec les âneries de Marc Dominicy (que je n'ai lues qu'en résumé, je n'allais pas payer pour lire des trucs aussi stupides). Il y a un moment où il faut savoir ce qu'on veut faire de Rimbaud. Et Cavallaro, puisqu'il est intronisé, lui aussi pourrait s'exprimer. Evidemment, si vous dites que la bonne leçon c'est "outils", attendez-vous à ce que je vous tourne en ridicule. Dans cet article-ci et le précédent, quelque part, je mets en place l'idée de lecture avec "autels" sur des bases difficilement contestables.</div><div style="text-align: justify;">En attendant, ma lecture est contestée, et dans la citation plus haut, le 8 désigne la note de bas de page où je suis mentionné dans les termes suivants : "Cette révision a été initialement prônée par David Ducoffre. Cf. 2009, p.-187-197 et le billet du 19/06/2011 sur le blog <i>Rimbaud ivre</i> : rimbaudivre.blogspot./jp/2011/06/le-sabre-et-le-goupillon-une-coquille.html".</div><div style="text-align: justify;">Bardel a cru très avisé le choix "prônée", si pas le mot "billet". Rira bien qui rira le dernier.</div><div style="text-align: justify;">Et donc, j'en reviens à la place de "Mauvais sang" dans l'ensemble de la composition du livre <i>Une saison en enfer</i>. Dans le précédent article, je donnais un bon point sur une note de commentaire du fac-similé par Bardel. Et je maintiens cette bonne note, il est sensible que le portrait au début de "Mauvais sang" est un cliché de récit carrément scolaire. Ce n'est pas parce que nous avons affaire à un écrit génial de Rimbaud qu'il faut s'interdire de voir que c'est cette idée d'approche dans un début de récit représente quelque chose d'extrêmement basique. Je rappelle la note de Bardel : "Les deux premières [sections ou séquences], selon la tradition du genre narratif, dressent le portrait psychologique et social du protagoniste."</div><div style="text-align: justify;">Je citais ce commentaire par opposition à la lecture de Samia Kassab-Charfi dans la notice à "Mauvais sang" du <i>Dictionnaire Rimbaud</i> de 2021 où la mise en intrigue était clairement sous-évaluée.</div><div style="text-align: justify;">Je reviens d'ailleurs sur le sens du premier alinéa de "Mauvais sang" :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote> J'ai de mes ancêtres gaulois l'œil bleu blanc, la cervelle étroite, et la maladresse dans la lutte. Je trouve mon habillement aussi barbare que le leur. Mais je ne beurre pas ma chevelure.</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Les gens se contentent de remarquer qu'il y a un jeu au second degré où Rimbaud passe d'une identification raciale, celle du gaulois, à une appartenance sociale de français qui tient tout de la déclaration des droits de l'homme en 1873. Et on parle d'une critique de ce récit des origines, et j'ai l'impression qu'il y a un peu de battement quand on parle de critique de ce récit des origines, puisque le poète critique le récit quand il s'agit d'en faire un bon français aux origines chrétiennes, mais pas quand il s'agit de se réclamer d'une ascendance gauloise par exemple. Je me demande si la stratégie d'écriture de Rimbaud est bien comprise. Je reprends la lecture du premier alinéa pour qu'on comprenne un peu les subtilités. Rimbaud se réclame des gaulois, il dit qu'il en a hérité un oeil bleu blanc, une certaine forme de faible intelligence et il se compare ensuite pour les habits et la coiffure. Mais une fois qu'on a énuméré cela, on n'a pas tout dit sur la subtilité du premier alinéa. J'ai aussi mis en avant un fait prosodique, le jeu sur les "eu", "e", etc., enchevêtrés à des "b", des "r", avec des cacophonies (au sens de Malherbe) "que le leur", et avec en point de mire la mention "barbare". Le titre "Mauvais sang" est synonyme de "barbare" et se diffuse dans "gaulois", "nègre" et "païen". Donc, le mot "barbare" est capital. Le poète se définit comme un barbare. Il le fait dès le bref premier alinéa et dès la deuxième phrase du récit. Cette subtilité va de soi, mais il faut bien la poser tout de même quand on commente. Mais il y a encore d'autres subtilités, et en tout cas celle-ci. Le concept de race est un concept patrimonial. On a hérité quelque chose d'ancêtres. Et ça peut être des traits physiques distinctifs. Rimbaud ne connaissait pas la génétique, ni l'histoire préhistorique des peuplements de l'Europe. D'ailleurs, à son époque, il n'y a pas l'idée que la préhistoire dure des millions d'années, il y a encore cette conviction que le monde n'est pas très ancien, même si on s'échappe petit à petit du cadre religieux. Or, l'œil bleu blanc, il s'oppose évidemment à la latinité romaine. Je ne suis pas spécialiste des textes latins, mais les latins faisaient déjà remarquer que les gaulois étaient plus souvent roux ou blonds, qu'ils avaient plus souvent les yeux bleus, ça valait pour les gaulois comme pour les germains. Entre le nord de la France et son sud, il y a un contraste dans la proportion des yeux bleus et des yeux bruns ("bruns" est un terme générique chez moi, cela vaut même pour des yeux ou cheveux clairs, je ne dis pas des yeux marron ni des cheveux châtain à la base). Certes, il y a des yeux bleus en Italie, ou sur le pourtour de la Méditerranée, mais en gros Rimbaud se dit que les yeux bleus sont caractéristiques pour l'essentiel des gaulois ou celtes, des slaves et des germaniques, et que s'il y en a en Iran ou en Italie, c'est parce que d'anciens gaulois ou germains ont été assimilés. Rimbaud ne se pose aucune question compliquée à son époque, d'autant qu'il est dans un cadre où l'humanité n'a pas plus que quelques milliers d'années d'existence. Rimbaud se doute bien que c'est plus compliqué que ça, mais de toute façon son texte est écrit en fonction des clichés de son époque : "j'ai les yeux bleus qui prouvent que j'étais un gaulois". Premier démenti, le nom "Rimbaud" a une origine germanique. Bref, Rimbaud joue avec une idée convenue qui a une sorte d'assise d'apparence imparable : "les yeux bleus, ça ne fait pas tellement romain, je dois descendre des gaulois". Rimbaud passe ensuite à une idée contestable, il se prête une "cervelle étroite" et une "maladresse dans la lutte", sortes de tares congénitales. Il joue sur une idée d'atavisme, pour parler comme à son époque, et on perd petit à petit en qualité d'évidence. Ici, il crève les yeux qu'il y a de l'ironie, ce qui n'empêche pas que l'idée de "cervelle étroite" va être avalisée comme repère pour l'ensemble du récit de la Saison. Ensuite, Rimbaud passe à une estimation : "je trouve mon habillement aussi barbare que le leur". Ici, il n'est plus question d'un héritage, il revendique une ressemblance, ce qui n'est plus de l'ordre de l'identification en tant que telle. Et il est à noter que l'emploi du mot "barbare" est réservé à l'estimation subjective et pas à l'identification brute de la première phrase. Enfin, dans la déclinaison, le poète marque une distance au sujet de la "chevelure", avec un effet comique où il se glisse de l'incertitude : dans un sens, le poète est trop lâche pour être barbare au point de beurrer sa chevelure, et dans le sens inverse le poète n'est pas assez vain pour chercher à donner de la parure à ses cheveux.</div><div style="text-align: justify;">Dans ce premier alinéa, Rimbaud parle des gaulois comme de ses ancêtres. Or, si l'idée d'un héritage (génétique) des yeux bleus se défend quelque peu, l'habillement n'est pas une affaire d'héritage de race. Et Rimbaud est bien évidemment conscient du décalage, puisque ce premier alinéa est une forme de persiflage. Pour les yeux bleus, on peut comparer avec d'autres obsessions : "oh tiens, j'ai le nez d'un Bourbon" ou Lamartine qui se pâmait du fait d'avoir un pied égyptien au lieu d'un pied grec (moi aussi, j'ai un pied égyptien, mais je n'y vois pas une origine).</div><div style="text-align: justify;">Et cela prépare le terrain aux développements de la seconde séquence de "Mauvais sang" où l'histoire commune du peuple français devient partie intégrante des individualités. Rimbaud récuse alors le principe de transfert, tout en subissant la limitation de conscience historique : "Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme." Rimbaud ne va pas s'inventer une contre-histoire par rapport aux livres. Il constate que s'il se cherche dans les livres, il sera forcément à la marge. Rimbaud, il se dit que les sorcières, les mendiants, les reîtres pas trop éduqués, c'était des gens comme vous et moi, des ancêtres de tous les fils de famille qui tiennent tout de la déclaration des droits de l'homme, et ces gens-là ne participaient pas aux conseils des élus. Et l'idée dans "Mauvais sang" et dans "L'Impossible", c'est de contester que Rimbaud en tant que fils de famille qui tient tout de la déclaration des droits de l'homme soit enfin installé dans un monde où il a un pouvoir de décision, ce qui évidemment a un sens redoutable en 1873, puisque si le pays se cherche encore une constitution il n'y a plus ni empereur, ni roi, mais une naissante république, et les forces roturières furent déjà actives sous le premier Empire, sous la Restauration, etc. Et Rimbaud, il va y avoir un petit côté réactionnaire à son discours, parce que, après l'épisode des versaillais sous la Commune, il a l'idée d'une spoliation des idéaux républicains, ce qui est d'ailleurs de pleine actualité en 2024 avec le dirigisme financier d'élites corrompues des Etats-Unis et des pays de l'Union européenne. On n'est pas dans de la démocratie directe, c'est le moins qu'on puisse dire. Oh ! putain !</div><div style="text-align: justify;">Je reviens à "Mauvais sang". Dans l'introduction de son livre <i>Rimbaud l'Introuvable</i>, Bardel signale en passant que certains, moi notamment, pensent que l'essentiel de la Saison a été composé avant le drame de juillet. Par exemple, je suis cité pour l'idée selon laquelle Rimbaud a mis à profit son séjour à l'hôpital pour rédiger au propre une partie d'<i>Une saison en enfer</i> et déterminer le choix d'un éditeur local, mais Bardel s'empresse aussi de noter ma concession : "[...] il n'exclut pas que Rimbaud ait 'pu envoyer un complément par courrier en août'." Quelques pages plus loin, Bardel développe l'idée d'une "composition par strates successives" où il commence par citer une thèse qu'André Guyaux a exprimée dans son édition de la Pléiade en 2009 des <i>Oeuvres complètes</i> de Rimbi-Rimbo :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>[...] André Guyaux défend prudemment certes, mais clairement, l'hypothèse selon laquelle "le plan n'a sans doute pris sa forme définitive qu'à la fin de l'été et l'essentiel du travail de rédaction s'est vraisemblablement déroulé, à ce moment, à Roche, à l'écart du monde". Il discerne dans "Vierge folle" l' "implication immédiate" du "psychodrame londonien" et de "son issue tragique à Bruxelles". C'est l'approche la plus traditionnelle de la question. J'en proposerai une sensiblement différente.</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">La remarque sur la prudence de Guyaux a son prix, puisque c'est un moyen de dire que le raisonnement est plus que défendable. Je rappelle que dans mon précédent article j'ai mis en avant un argument saisissant. La légende la Saison propagée par Isabelle Rimbaud et Paterne Berrichon c'est que Rimbaud (Arthur, pas Isabelle !) a écrit <i>Une saison en enfer</i> à Roche au mois d'août. Et Patti Smith a acheté la maison de Roche je crois pour y respirer l'ambiance si j'ai bien compris. Et Bardel et Vaillant, qui bien sûr ne se réclameront pas de Berrichon et de la sœur du poète sont sans s'en rendre compte dans l'exacte filiation de la légende posée par Berrichon et Isabelle. Au fait, ça vous a frappé le petit tour littéraire de la parenthèse : "(Arthur, pas Isabelle)" ? Et donc moi, j'arrive là-dedans et je dis : "Boah ! Patti Smith, elle ne va pas se fâcher si je lui dis qu'elle doit déplacer de quelques mois l'écriture émotive à Roche ?" Oui, en avril, Rimbaud rédigeait le début d'<i>Une saison en enfer</i> à Roche, il développait un plan d'ensemble dans sa tête, l'endroit lui a inspiré des idées sur les paysans, sur le fait d'être hors du monde dans un "triste trou", sur le sentiment de soif et d'horreur... Et la lettre à Delahaye atteste que Rimbaud n'écrit pas froidement, mais qu'il se rend habité par le personnage de fiction, c'est le cas de la quadruple répétition du mot "innocence" brisée par l'occurrence "fléau" ! Rimbaud, pour écrire, se mettait visiblement au niveau émotionnel du personnage.</div><div style="text-align: justify;">Qu'est-ce je rigole de l'écart entre ce que j'arrive à percevoir et le consensus très académique et illusoire des rimbaldiens scolaires ou universitaires !</div><div style="text-align: justify;">Au passage, l'expression "triste trou" a quelque chose du relief heurté des "b", des "r" et des "e" dans le premier alinéa de "Mauvais sang".</div><div style="text-align: justify;">Mais bref, après avoir cité Guyaux, Bardel va passer à sa propre idée. Selon lui, "[l]e livre manifeste, à la lecture, une certaine hétérogénéité." Ce n'est pas faux, mais la phrase veut tout dire et rien dire, on peut exploiter de tant de manières différentes cette idée d'hétérogénéité. Bref, cette phrase met d'accord le lecteur pour subrepticement dans la suite immédiate le prendre par la main et le rendre acquis à l'idée que cette hétérogénéité est celle de la structure même de l'ouvrage : "Bien que Rimbaud ait eu pour souci d'établir des passerelles d'un chapitre à l'autre, par des rappels thématiques, de quasi répétitions parfois, la <i>Saison</i> donne l'impression d'une addition de "petites histoires", liées par un fil directeur assez ténu (la fiction infernale)."</div><div style="text-align: justify;">Je ne suis pas d'accord du tout ! Bardel fait passer les répétitions et les rappels thématiques pour du bricolage de surface pour donner un semblant d'unité, alors que, non, ces répétitions et rappels que très souvent les commentateurs ne relèvent d'ailleurs même pas, prouvent au contraire la très solide architecture d'ensemble. Les répétitions ne sont pas du rafistolage de surface, elles sont la preuve que le poète ne perd à aucun moment de vue son propos. Moi, j'ai déjà massivement commenté des répétitions et reprises sur ce blog pour montrer que si on fait attention on voit une vraie continuité, une vraie homogénéité, là où les commentaires habituels s'embrouillent et hésitent au plan du sens littéral. Bardel ne cite pas les répétitions et les rappels thématiques, il ne fait aucun état de lieux, il affirme en passant que les répétitions et les rappels ne sont que du rafistolage. Et comme la lecture de ce texte pose problème, on admet passivement ce que dit Bardel. Moi, pas ! Et surtout, il y a cette idée que la "fiction infernale" mention d'ailleurs en parenthèse n'est qu'un "fil directeur assez ténu". Vous rigolez ? Le terme "Mauvais sang" implique l'enfer et les défauts qu'il s'accorde sont pour partie une énumération des sept péchés capitaux. Les termes "nègre" et "païen" des premiers titres prévus impliquent l'idée d'enfer. Même si Rimbaud écrit dans "Nuit de l'enfer" que "l'enfer ne peut attaquer les païens", je rappelle que ce n'est qu'une opinion qu'il donne à ce moment-là ! Dans la pensée chrétienne, le païen est voué à l'enfer. Virgile vit en enfer quand il promène Dante, et le paradis lui est interdit. Et de toute façon, la phrase : "l'enfer ne peut attaquer les païens" coordonne la référence à l'enfer et aux païens, sachant que c'est l'unique mention du mot "païen" en-dehors de "Mauvais sang" dans tout le reste du livre <i>Une saison en enfer</i>. Et les six mentions du mot "nègre" dans un même alinéa (sur les sept occurrences du livre dans son ensemble), elles servent à introduire une conversion forcée qui suit immédiatement et donc voue le blanc qui est parti se réfugier au royaume de Cham à l'enfer, puisque sa conversion ne prend toujours pas bien.</div><div style="text-align: justify;">Rimbaud ne nous a laissé aucun texte où il est question d'un nègre ou d'un païen non concerné par l'enfer. Il n'y a rien de cela dans tout le livre <i>Une saison en enfer</i>. J'ai même envie d'ajouter que les mots "païen" et "nègre" n'ont pas été répétés dans plusieurs endroits de la Saison, preuve que les répétitions choisies par Rimbaud ne sont pas du rafistolage, mais bien les indices de ce qui importe pour lui. Et le mot "innocence", c'est une notion morale étroitement liée à la dialectique de l'enfer. Si le poète n'est pas innocent, l'enfer lui tend les bras. Bardel croit que "Mauvais sang" n'est pas un récit conditionné par la "fiction infernale", mais c'est son problème, pas le mien. Ce que dit Bardel est résolument contradictoire avec le contenu de "Mauvais sang", il va vous falloir dix ans encore de débats stériles pour déterminer si la mention des péchés capitaux parmi les défauts du gaulois supposait d'office une "fiction infernale" du projet rimbaldien ? C'est une plaisanterie ! Et c'est cette plaisanterie qui nous vaut la thèse de "composition par strates successives" de Bardel, page 22 de son livre : il y aurait eu un projet de "Livre nègre ou Livre païen" en avril-mai 1873, puis Rimbaud se serait dit qu'il devait passer à un scénario infernal en mai-juin 1873, puis à cause du drame de Bruxelles Rimbaud se serait dit que son récit en cours était l'occasion d'y insérer une mise au point sur ses problèmes existentiels, et là tout y passe : la philosophie pour "L'Impossible", la relation avec Verlaine dans "Vierge folle", l'expérience poétique dans "Alchimie du verbe", le rapport au travail dans "L'Eclair", dont d'ailleurs Bardel ne s'avise pas que seule une partie de "L'Eclair" correspond à cela, toute une partie du récit "L'Eclair" étant clairement du côté d'une structuration d'ensemble du rapport à la fiction infernale. Et Bardel finit sur la nécessité de faire un avant-propos à ce matériel décousu.</div><div style="text-align: justify;">Non, sérieusement, vous ne comprenez pas pourquoi "Vierge folle", sorte de supplique à Dieu (sorte de <i>De profundis clamaui</i>), fait partie de la fiction infernale ? Vous ne comprenez pas le sens de "L'Impossible" dans la fiction infernale ? Vous ne comprenez pas le soufre du récit dans "Alchimie du verbe" avec ce mot même "alchimie" ? C'est une farce, vous vous moquez du monde !</div><div style="text-align: justify;">Mais vous allez souscrire à "ça", à ces choses (comme dirait Verlaine à propos des vers d'Amédée Pommier), jusqu'à quand ?</div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com7tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-2223236029759584382024-03-01T10:44:00.000-08:002024-03-01T10:44:53.868-08:00Lecture de "Mauvais sang" comme un début de "Livre nègre ou livre païen"<div style="text-align: justify;">Dans l'économie du livre <i>Une saison en enfer</i>, la section "Mauvais sang" représente, après le texte liminaire qui sert de prologue, le premier ensemble de feuillets détachés d'un carnet de damné, et cette référence à une sorte de journal intime en fait aussi l'ensemble des premiers écrits chronologiques d'<i>Une saison en enfer</i>. Je ne parle pas de la composition par l'auteur, mais de la composition par le narrateur ou locuteur, autrement dit par le personnage de fiction qui va nous raconter qu'il est de "mauvais sang", qu'il connaît une "Nuit de l'enfer" et ainsi de suite. Pour le dire encore autrement, dans la chronologie fictive du récit, le poète a d'abord composé les feuillets de son carnet de damné, et en principe l'ordre de défilement suit la chronologie de la composition fictive de "Mauvais sang" à "Adieu". Un cas étrange demeure pourtant. Les deux sections "Délires" font retour sur des événements plus anciens et la section "L'Impossible" renoue avec le discours tel qu'il a été laissé en plan à la fin de "Nuit de l'enfer". Il n'est pas impossible que Rimbaud ait composé d'une traite les sections "Mauvais sang", "Nuit de l'enfer" et "L'Impossible" avant d'élaborer les deux sections de "Délires". Ce problème de chronologie est quelque peu insoluble et n'intéresse pas immédiatement notre étude de la section "Mauvais sang", mais cette section suppose elle-même l'intercalation d'un récit nouveau dans un récit antérieur, et nous allons faire une mise au point avant de commencer la lecture de "Mauvais sang", séquence par séquence.</div><div style="text-align: justify;">(<i>Nota bene</i> : contrairement à l'habitude courante, nous allons parler de sections pour les parties de la Saison coiffées d'un titre, et de séquences pour les subdivisions internes. "Mauvais sang" sera appelée une section de l'œuvre, et elle est composée de huit séquences. Nous obligeons les lecteurs habitués à parler des huit sections de "Mauvais sang" à un peu de gymnastique mentale. Il se trouve que les dénominations courantes ne sont jamais interrogées dans leur pertinence d'emploi.)</div><div style="text-align: justify;">Le livre <i>Une saison en enfer</i> est daté "avril-août, 1873" par l'auteur lui-même. Il ne s'agit pas d'une date à partir de laquelle l'œuvre est achevée, l'auteur a daté la période d'ensemble de la composition, les mentions de mois délimitent un début et une fin. Le livre a été commencé en avril et terminé en août, selon cette déclaration.</div><div style="text-align: justify;">La mise sous presse en septembre et une lettre à Delahaye du début du mois de mai 1873 confirment la véracité de l'information exhibée, et le poète n'a aucune raison de mentir, vu que ces datations ne dégagent aucune signification particulière.</div><div style="text-align: justify;">Or, dans la lettre à Delahaye nous apprenons que Rimbaud dit avoir commencé son projet de livre sous le titre encore provisoire de "Livre nègre ou Livre païen". Il prétend avoir inventé trois histoires et qu'il lui en resterait une demi-douzaine à inventer. Les rimbaldiens ont toujours posé de la sorte la réflexion au sujet de ces trois histoires, soit Rimbaud a composé trois parties titrées de l'ensemble du livre <i>Une saison en enfer</i>. Rimbaud aurait composé par exemple "Mauvais sang", "Nuit de l'enfer" et "Alchimie du verbe" et il lui resterait à composer "Vierge folle", "L'Impossible", "L'Eclair", "Matin", "Adieu" et la prose liminaire. Le compte y est, trois plus six, à condition d'assimiler la prose liminaire à l'une des neuf histoires atroces prévues. Comme "Mauvais sang" comprend huit séquences, une autre hypothèse a été émise selon laquelle le poète aurait composé trois des huit histoires de "Mauvais sang", sauf que le projet est d'écrire un livre, ce que "Mauvais sang" ne peut en aucun cas prétendre être. Et il faut ajouter que l'émiettement de "Mauvais sang" en huit séquences ne correspond pas à une suite de huit histoires. La huitième séquence ne donne pas une histoire autonome.</div><div style="text-align: justify;">Surtout, les brouillons détenus par Verlaine qui nous sont parvenus révèlent que, à l'origine, les séquences 4 et 8 de "Mauvais sang" formaient un texte continu. Or, quand il écrit à Delahaye, Rimbaud est à Roche dans la ferme familiale et il y a près d'un mois, sinon trois semaines, qu'il est éloigné de Verlaine. Et Rimbaud n'a sûrement pas envoyé de tels brouillons par lettres à Verlaine. En clair, ces brouillons ont été remis à Verlaine, soit lors des rencontres à Bouillon, en Belgique, ce que les rimbaldiens n'envisagent jamais, alors qu'on peut imaginer que le projet étant avancé Rimbaud abandonne des brouillons devenus inutiles pour lui pour que Verlaine se fasse une idée à tête reposée du projet. Rimbaud a pu également remettre ses brouillons à Verlaine à Londres dans le courant du mois de juin, ou éventuellement à Bruxelles au cours de leurs disputes. Notons que l'hypothèse de brouillons remis à Verlaine en mai a des implications chronologiques considérables puisque les rimbaldiens répugnent à imaginer que l'essentiel de la Saison ait été composée avant le drame de Bruxelles, et même à imaginer qu'en mai Rimbaud ait déjà pu rédiger une première version de "Alchimie du verbe".</div><div style="text-align: justify;">En tout cas, le brouillon remis à Verlaine des séquences 4 et 8 de "Mauvais sang" fondues en une seule est postérieur à la lettre à Delahaye, ce qui veut dire que quand Rimbaud parle à Delahaye de trois histoires atroces déjà composées, il faut renoncer à penser aux huit séquences de "Mauvais sang". Rimbaud désigner certainement comme une histoire l'enchaînement des séquences 4 et 8. On pourrait répliquer soit dit en passant que ce brouillon n'est qu'une partie d'une histoire. Toutefois, dans le décompte, cela nous fait une histoire, qu'elle soit partielle ou non, et surtout les séquences 5 à 7 de "Mauvais sang" qui ont été intercalées deviennent une seconde histoire possible sur les trois que Rimbaud revendique avoir déjà composées auprès de Delahaye et cet ensemble articulé nous donne une idée de longueur d'une histoire. Enfin, les trois premières séquences deviennent naturellement la première histoire probable sur les trois revendiqués par Rimbaud. On touche clairement du doigt l'idée que "Mauvais sang" regroupe précisément les trois histoires dont il était fait état auprès de Delahaye. C'est un fait que la désarticulation des séquences 4 et 8 de "Mauvais sang" permet de dégager trois ensembles : l'ensemble des trois premières séquences, l'ensemble des sections 5 à 7, et l'histoire démembrée ou scindée des séquences 4 et 8. Et, du coup, la section "Nuit de l'enfer" est déjà une quatrième histoire, non encore composée quand Rimbaud parle de son projet dans un courrier à Delahaye.</div><div style="text-align: justify;">J'ai développé l'idée d'une identification de "Mauvais sang" aux trois histoires évoquées auprès de Delahaye, dans mon article de 2009 : "Les ébauches du livre <i>Une saison en enfer</i>". Si les rimbaldiens fixent déjà l'évidence du rapprochement entre "Mauvais sang" et le projet de "Livre nègre ou Livre païen", cela est dû à l'emploi des termes "nègre" et "païen".</div><div style="text-align: justify;">Le mot "nègre" n'a que sept occurrences dans <i>Une saison en enfer</i>. La seule occurrence extérieure à "Mauvais sang" se rencontre dans la section suivante "Nuit de l'enfer" : "Veut-on des chants nègres, des danses de houris ?"</div><div style="text-align: justify;">Notons que les six occurrences de "Mauvais sang" sont réunies en un seul paragraphe, lequel paragraphe désigne encore les nègres sous la périphrase "enfants de Cham", paragraphe que je me dois donc de citer ici :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote> Oui, j'ai les yeux fermés à votre lumière. Je suis une bête, un nègre. Mais je puis être sauvé. Vous êtes de faux nègres, vous maniaques, féroces, avares. Marchand, tu es nègre ; magistrat, tu es nègre ; général, tu es nègre ; empereur, vieille démangeaison, tu es nègre ; tu as bu d'une liqueur non taxée, de la fabrique de Satan. - Ce peuple est inspiré par la fièvre et le cancer. Infirmes et vieillards sont tellement respectables qu'ils demandent à être bouillis. - Le plus malin est de quitter ce continent, où la folie rôde pour pourvoir d'otages ces misérables. J'entre au vrai royaume des enfants de Cham.</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Il y a beaucoup de choses à observer à la loupe dans ce passage. L'attaque : "j'ai" n'est pas sans faire écho à la série similaire où, au début de "Mauvais sang", le poète se compare à un gaulois : "J'ai de mes ancêtres gaulois..." Les termes "gaulois", "bête", "païen", "nègre", "Scandinave" (au sens de viking non encore converti) et "Mongol" sont des équivalents symboliques dans le récit. L'identification à de "faux nègres" concerne le marchant, le magistrat, le général, l'empereur, ainsi que les infirmes et les vieillards en tant qu'envisagés comme des images de la respectabilité. Dans "L'Impossible", le poète va dresser une catégorie de "faux élus" qui "ne sont pas des bénisseurs". Les élus sont placés à proximité d'un rappel de la figure des "marchands" qui composent le monde avec le groupe des "naïfs". Citons le passage en question, passage en question qui permet d'envisager la catégorie des damnés, celle qui ne concerne pas les bêtes, ni les non convertis, mais qui peut intéresser les gaulois, les vikings, les nègres ou les mongols :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote> Hier encore, je soupirais : "Ciel ! sommes-nous assez de damnés ici-bas ! Moi j'ai tant de temps déjà dans leur troupe ! Je les connais tous. Nous nous reconnaissons toujours ; nous nous dégoûtons. La charité nous est inconnue. Mais nous sommes polis ; nos relations avec le monde sont très-convenables !" Est-ce étonnant ? Le monde ! les marchands, les naïfs ! - Nous ne sommes pas déshonorés. - Mais les élus, comment nous recevraient-ils ? Or il y a des gens hargneux et joyeux, de faux élus, puisqu'il nous faut de l'audace ou de l'humilité pour les aborder. Ce sont les seuls élus. Ce ne sont pas des bénisseurs !</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">L'étude de ce nouvel extrait nous ferait dériver rapidement. Nous pouvons comparer l'attaque : "Hier encore..." à celle du début de la cinquième section de "Mauvais sang" : "Encore tout enfant...", cinquième section de "Mauvais sang" qui contient notre paragraphe avec les six occurrences du mot "nègre". Les emplois verbaux sont intéressants à relever également : "connais", "reconnaissons", puisque la suite immédiate du paragraphe d'accès au "vrai royaume des enfants de Cham" joue avec le même emploi verbal :</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i> Connais-je encore la nature ? me connais-je ? - </i>Plus de mots<i>. J'ensevelis les morts dans mon ventre. Cris, tambour, danse, danse, danse, danse ! Je ne vois même pas l'heure où les blancs débarquant, je tomberai au néant.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse !</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">La séance de cannibalisme dansant est évidemment à rapprocher de la proposition "Veut-on des chants nègres, des danses de houris ?" dans "Nuit de l'enfer", mais on apprécie aussi le déplacement sur les objets de la connaissance, de celle de la Nature et de soi à l'identification des victimes d'un sort commun qui provoque le dégoût. Notons aussi que le dégoût pour les compagnons de la troupe justifie la lecture de "Vierge folle" comme récit illusoire de "charité ensorcelée" et de compagnonnage ami. L'Epoux infernal et la Vierge folle sont dégoûtés l'un de l'autre.</div><div style="text-align: justify;">Mais j'en reviens à mon extrait de départ avec les six occurrences du mot "nègre" pour doubler le rapprochement avec la section "L'Impossible". Le poète dit qu'il a "les yeux fermés à [la] lumière" de ceux qui l'exécutent, lumière de la religion chrétienne, ce qui rend assez perfide la comparaison à Jeanne d'Arc de tous ceux qui chantaient dans les supplices des conversions forcées au christianisme. Or, dans "L'Impossible", le poète dit que malgré son abattement il y a une lumière à laquelle il croit toujours : "Non que je croie la lumière altérée, la forme exténuée, le mouvement égaré..." Une lecture d'ensemble du livre doit déterminer s'il s'agit de la même "lumière" que le poète converti finirait tout de même par voir malgré sa révolte ou s'il s'agit d'une lumière opposable.</div><div style="text-align: justify;">Nous n'en sommes pas là, mais nous constatons que l'écriture d'<i>Une saison en enfer</i> est particulièrement concertée avec d'abondants jeux de miroir entre ses parties constitutives. Et l'alinéa sur la lumière non altérée suit immédiatement l'alinéa sur les faux élus. Les rapprochements ne sont pas diffus, nous observons que pour connaître ou la lumière le poète suit l'entrecroisement dialectique faux / vrai et nègre / élu. Tout cela n'est évidemment pas anodin.</div><div style="text-align: justify;">A propos de l'opposition du faux et du vrai, il ne faut pas perdre de vue l'expression "vrai royaume des enfants de Cham" qui s'oppose au faux continent des faux nègres. A ce moment-là, le poète dit qu'il peut "être sauvé". Il rejoint un vrai royaume et fuit le faux, thématique de la vérité qu'on retrouve à la toute fin de la section "Adieu". L'enjeu est bien de posséder la vérité, et le poète peut à tout le moins "rire des vieilles amours mensongères, des couples menteurs". La respectabilité elle-même est un mensonge : "Infirmes et vieillards sont tellement respectables qu'ils demandent à être bouillis." Et on comprend l'enchaînement de "mots" à "morts" dans l'alinéa suivant : "<i>Plus de mots</i>. J'ensevelis les morts dans mon ventre." Le sauvage ne voit pas les faibles comme des gens respectables, mais comme une occasion de repas. Il s'agit même d'éliminer ces indésirables. Et dans ce jeu de miroir, le poète mobilise un jeu de mots qui prépare le terrain au caractère fallacieux de la réponse cannibale : "Le plus malin est de quitter ce continent [...]" Le jeu de mots est d'autant plus certain que "Satan" était le dernier mot de l'avant-dernière phrase : "liqueur non taxée de la fabrique de Satan". Malgré l'opposition vrai / faux, nous avons un affrontement entre deux univers sataniques. La différence fondamentale serait pourtant d'un rapport à la vérité. En effet, l'écriture du paragraphe rimbaldien résonne de façon étrange au sens littéral. Si l'empereur, le général, le marchand et le magistrat sont des nègres, il aurait été plus logique de parler de "faux blancs", l'appellation "faux nègre" n'est pas cohérente, sauf si on comprend que le poète veut dire "nègre trompeur" ou des nègres ne s'assumant pas et jouant un rôle subversif. "Faux nègre" signifie plutôt "nègre déformé", "nègre masqué" dans l'esprit du texte rimbaldien.</div><div style="text-align: justify;">Vu ma comparaison avec le passage sur les "faux élus" de "L'Impossible", je ne peux aussi que souligner un autre rapprochement clef. Au début de "Mauvais sang", dans la deuxième séquence, le poète essaie de s'imaginer un passé lointain dans l'histoire de France, et il dit ne pas se voir "dans les conseils du Christ ; ni dans les conseils des Seigneurs, - représentants du Christ". On comprend que les seigneurs désignent une ancienne institution des élus. L'idée d'assister ou non aux conseils des Seigneurs me fait penser au statut de Joachim du Bellay. C'est un personnage de l'histoire littéraire pour lequel j'ai déjà entendu l'expression "conseils des Seigneurs". L'expression vient plutôt des livres d'Histoire, pas d'une biographie de poète. Or, dans la première séquence de "Mauvais sang", Rimbaud s'identifiait à ceux qui tiennent tout de la déclaration des droits de l'homme, autrement dit à la roture, et cette appartenance justifiait déjà un emploi du verbe "connaître" :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>[...] j'ai vécu partout. Pas une famille d'Europe que je ne connaisse. - J'entends des familles comme la mienne, qui tiennent tout de la déclaration des Droits de l'Homme. - J'ai connu chaque fils de famille !</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Rimbaud ne se limite pas à la France, il étend son propos au continent, à l'Europe. On peut estimer qu'il fait référence aux révolutions de 1848 et à une évolution générale des sociétés occidentales. Le fait de connaître est lié à une idée de vie qui a pu se répandre partout, ce qui annonce quelque peu l'idée de vivre plusieurs vies et de discuter avec les vies d'autres personnes, mais ce qui me frappe, c'est l'emploi verbal du verbe "connaître". Nous avons de nouveau une reprise du verbe dans un court paragraphe, et, alors que le poète joue sur un ajout de préfixe dans "L'Impossible", ici la répétition de ce verbe est masquée par la variation de la conjugaison, mais la variation confirme que le verbe est important en lui-même, une répétition telle quelle serait plus anodine :</div><div style="text-align: justify;"></div><blockquote><div style="text-align: justify;">"Pas une famille d'Europe que je ne connaisse" et "J'ai connu chaque fils de famille !"</div><div style="text-align: justify;">"Connais-je encore la nature ? me connais-je ?"</div><div style="text-align: justify;">"Je les connais tous. Nous nous reconnaissons toujours [...]"</div></blockquote><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;">Toutefois, il y a un sentiment d'étrangeté intéressant qui naît du rapprochement, puisque si on laisse de côté la question de la connaissance de soi et de la nature, nous avons dans un cas une connaissance intime revendiquée de tout fils de famille par le fait de partager la même origine à son privilège nouveau d'affirmation de soi et dans l'autre une identification du même sort de victime entre damnés. La catégorie des damnés ne recoupe pas la catégorie des "fils de famille". Pourtant, le poète dit indifféremment qu'il connaît chacune des deux formes d'existence. Et pourtant, dans le mécanisme de différenciation, il y a l'idée de "nouvelle noblesse" à laquelle le poète en tant que damné ne semble pas avoir eu un réel accès.</div><div style="text-align: justify;">Au bout de notre analyse de l'emploi du mot "nègre" nous constatons que l'appellation "Livre nègre" ne correspond qu'à un court paragraphe de la cinquième séquence de "Mauvais sang", mais ce court paragraphe a des liens étroits avec plusieurs parties de l'œuvre, et ces rapprochements confirment l'unité d'ensemble du propos du livre <i>Une saison en enfer</i>. Mais il faut aller plus loin. Antonyme du mot "nègre", le pluriel "blancs" pour désigner des humains sert à confirmer que le poète joue le rôle d'un réfugié au "vrai royaume des enfants de Cham" tout au long des séquences 6 et 7 de "Mauvais sang", la liaison de reprise : "les blancs débarquant" / "Les blancs débarquent" confirment l'unité narrative des séquences 5 à 7 de "Mauvais sang" et l'arrière-plan du motif du "nègre".</div><div style="text-align: justify;">Ce que je suis en train de vous dire, c'est qu'il existe une seule histoire dans tout le texte d'<i>Une saison en enfer</i> qui corresponde à un projet pouvant porter le nom de "Livre nègre", c'est l'unité des séquences 5 à 7 de "Mauvais sang". Le motif du "nègre" n'apparaît pas dans les quatre premières séquences, ni dans la huitième. Il n'apparaît plus jamais dans l'oeuvre, à l'exception d'une phrase interrogative dans "Nuit de l'enfer". On peut faire une semi-exception en considérant que le mot "esclaves" utilisé notamment dans "Matin" a une résonance particulière.</div><div style="text-align: justify;">En clair, il n'est pas possible que Rimbaud ait parlé à Delahaye d'un projet de "Livre nègre" dont trois histoires étaient déjà écrites sur neuf prévues, si la composition des séquences 5 à 7 de "Mauvais sang" n'était pas déjà en chantier. Or, dans mon article "Les ébauches du livre <i>Une saison en enfer</i>", je faisais remarquer que Rimbaud répétait aussi un autre mot clef, celui d'innocence. Il convient de citer ce passage de la lettre à Delahaye :</div><div style="text-align: justify;"><blockquote><i> Quelle chierie ! et quels monstres d'innocince, ces paysans. Il faut, le soir, faire deux lieues, et plus, pour boire un peu. La mother m'a mis là dans un triste trou. Je ne sais comment en sortir : j'en sortirai pourtant. Je regrette cet atroce Charlestown, l'Univers, la Bibliothè., etc... Je travaille pourtant assez régulièrement ; je fais de petites histoires en prose, titre général : </i>Livre païen<i> ou </i>Livre nègre<i>. C'est bête et innocent. Ô innocence ! innocence ; innocence, innoc... fléau !</i></blockquote></div><div style="text-align: justify;">Le mot "innocence" est associé une première fois au groupe méprisé des "paysans" de la région, le mot est mentionné avec une déformation patoisante de la prononciation : "innocince". L'expression "monstres d'innocince" a aussi une construction sémantique proche de la formule qui suit en reprenant l'idée d'innocence : "C'est bête et innocent", puisque "monstres" correspond quelque peu à "bête". On me dira qu'il ne faut pas confondre le monstrueux et la bêtise, mais le rapprochement est bien justifié par l'idée de naïveté commune, puisque "monstres d'innocince" cible l'idée d'innocence par bêtise (et donc par naïveté extrême). On comprend aussi que Rimbaud s'est nourri du contexte pour donner la note de quelqu'un en enfer dans son récit. Le "pour boire un peu", je le rapproche sans aucune hésitation des passages de "Nuit de l'enfer" : "Je meurs de soif", "Je réclame ! un coup de fourche, une goutte de feu", de l'idée générale de la "fameuse gorgée de poison" et de tel passage encore de "Vierge folle" : "Un peu de fraîcheur [...]".</div><div style="text-align: justify;">La mère qui l'a mis là dans un triste trou, c'est un peu celle qui l'a mis en enfer, et un autre rapprochement vient à l'esprit avec cette phrase de "Nuit de l'enfer" : "Parents, vous avez fait mon malheur et vous avez fait le vôtre. Pauvre innocent ! - L'enfer ne peut attaquer les païens. [...]"</div><div style="text-align: justify;">Nous avons un clair lien biographique autorisé par la lettre à Delahaye, les réflexions sur l'innocence sont liées au fait que la mère de Rimbaud l'ait obligé à travailler dans l'isolement paysan. Nous ne saurons rien des disputes et échanges verbaux entre la mère intransigeante et le fils, mais c'est clairement une source d'inspiration immédiate pour les récits de "Mauvais sang" et de "Nuit de l'enfer".</div><div style="text-align: justify;">Notez que dans la citation que je viens de faire de "Nuit de l'enfer", nous avons la mention du "païen" et la mention du mot "innocence". Nous retrouvons l'idée que le nègre est "bête et innocent" à l'abri de la conversion forcée au christianisme, et que cette sécurité lui confère aussi un droit à la possession de la vérité. Etymologiquement, le mot "païen" est commune au mot "paysan". Les païens étaient les paysans par opposition à la diffusion première du christianisme dans les villes. Rimbaud pratique ici un certain renversement. Il oppose le païen au paysan, mais il rejoint malgré tout les deux idées sous la bannière de l'innocence, sauf que le poète va opposer une innocence païenne à une innocence très différemment conçue, puisque c'est la mère de Rimbaud, montée à la ville, qui envoie son fils à la campagne dans un milieu supposément bien conservé, bien protégé, mais un milieu paysan désormais bien christianisé. Il y a tout un retour paradoxal. Jadis, le paysan inculte n'était pas chrétien et était méprisé à ce titre. Ici, le paysan est christianisé, mais il garde une sorte d'innocence, sans aucun doute toute relative, en étant éloigné de la vie culturelle bouillante des villes. Païen ou chrétien, il est un attardé, et l'innocence est clairement au-delà de son opposition au concept de culpabilité un indice de niaiserie, de vie à l'écart de la connaissance acquise et débattue.</div><div style="text-align: justify;">On le voit, la configuration du texte rimbaldien est compliquée.</div><div style="text-align: justify;">Et ce mot "païen", il est temps d'en relever les occurrences dans <i>Une saison en enfer</i>, comme nous l'avons fait pour le mot "nègre". Nous reviendrons ensuite sur les occurrences des mots "innocence" ou "innocent".</div><div style="text-align: justify;">Le mot "païen" apparaît exclusivement dans "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer", aucune occurrence ne figure dans la prose liminaire ou dans l'une quelconque des sections "Vierge folle", "Alchimie du verbe", "L'Impossible", "L'Eclair", "Matin" et "Adieu". Je ne relève pas non plus de mention du mot "paganisme". Toutefois, une recherche des occurrences de son proche parent étymologique "paysan" s'impose à nous. Le mot "paysan" n'apparaît que dans "Mauvais sang" et la section "Adieu".</div><div style="text-align: justify;">En clair, les preuves s'accumulent : il n'est pas concevable que Rimbaud ait voulu écrire un livre sur les thèmes du païen ou du nègre sans avoir eu une idée de "Mauvais sang", la seule partie d'<i>Une saison en enfer</i> où il soit question de ces deux motifs. Les motifs du païen et du nègre sont absents de tout le reste de l'ouvrage, à l'exception d'allusions secondaires dans "Nuit de l'enfer". Et nous constatons également que "Mauvais sang" correspond au début de l'ouvrage et "Nuit de l'enfer" à sa suite immédiate. On pourrait imaginer que quelqu'un nous réplique que Rimbaud a pu écrire trois histoires avant de penser à insérer le motif alternatif du nègre ou du païen, "Mauvais sang" aurait été écrit après. C'est possible dans l'absolu, mais il faudrait concevoir que Rimbaud ait déjà écrit "Vierge folle" et "Alchimie du verbe" et qu'il songe à leur donner un titre qui ne correspond pas au projet. Rimbaud n'a certainement pas composé "L'Impossible" avant "Mauvais sang", vu les continuités évidentes qui supposent que "L'Impossible" reprend la réflexion en cours lancé dans "Mauvais sang" et reprend aussi la logique de l'esprit perturbé entre raison et folie. Quant aux sections : "L'Eclair", "Matin" et "Adieu", elles sont clairement écrites en fonction du thème du titre final, elles racontent comment le poète sort de l'enfer. Les raisonnements compliqués ne peuvent espérer tenir la route, il est sensible que Rimbaud a commencé par composer trois récits qui sont devenus soit "Mauvais sang", soit "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer", avec un projet initial de plongée en enfer d'une personne se revendiquant païen ou nègre. Sans qu'il ne faille affirmer que le projet a été profondément altéré, il est certain qu'au fur et à mesure de la rédaction le poète a renoncé à rappeler les motifs du païen et du nègre.</div><div style="text-align: justify;">Pour moi, ça ne veut dire qu'une chose. Le projet n'a pas forcément été altéré, mais quand Rimbaud écrit à Delahaye il vient d'inventer un récit où prédominent les références au païen et au nègre. Rimbaud est en train d'exploiter ces ressources, et peut-être qu'en ébullition il se dit que ces notions vont être tout à fait centrales dans la suite, ce qui ne sera finalement pas le cas.</div><div style="text-align: justify;">Je dis bien que le projet n'a pas été forcément altéré. L'unité d'<i>Une saison en enfer</i> est évidente et la liaison entre le motif du païen ou nègre et le motif d'un séjour en enfer auquel il est possible de mettre un terme ne permet pas d'opposer clairement deux projets distincts. Ce que je perçois, c'est que "Alchimie du verbe", récit biographique sur les expérimentations du poète, n'a pas favorisé le développement du motif du nègre ou du païen, le récit de "Vierge folle" sur un "drôle de ménage" non plus et la section "L'Impossible" n'a pas été pensée du point de vue d'un païen ou d'un nègre, mais du point de vue d'un locuteur s'incluant parmi les européens, ce qui est d'ailleurs assez logique, puisque dans l'économie du récit, le poète n'est pas un véritable païen ou nègre, mais un rebelle européen qui a cru pouvoir se réfugier en Afrique subsaharienne en gros. Rimbaud a constaté que le double motif ne s'appliquait pas de manière pertinente à l'ensemble de son récit.</div><div style="text-align: justify;">Un fait frappant à cet égard, c'est d'établir des rapprochements entre "Mauvais sang" et "L'Impossible" qui révèlent une continuité et des contrastes d'un discours réorienté. Dans "Mauvais sang", au passage de la deuxième à la troisième séquence, le poète attribue ses revirements dans le raisonnement à des bouffées de pensées païennes qu'il ne parvient pas à dominer :</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i> [...]</i></div><div style="text-align: justify;"><i> C'est la vision des nombres. Nous allons à l'</i>Esprit<i>. C'est très-certain, c'est oracle, ce que je dis. Je comprends, et ne sachant m'expliquer sans paroles païennes, je voudrais me taire.</i></div><div style="text-align: justify;"><i><br /></i></div><div style="text-align: justify;"><i> ______</i></div><div style="text-align: justify;"><i><br /></i></div><div style="text-align: justify;"><i> Le sang païen revient ! L'Esprit est proche, pourquoi Christ ne m'aide-t-il pas, en donnant à mon âme noblesse et liberté. Hélas ! l'Evangile a passé ! l'Evangile ! l'Evangile.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> [...]</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Cette confusion mentale, qui a des implications ironiques stratégiques, se diffuse dans la suite des propos des sections "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer". A la fin de la quatrième séquence, il n'est pas question de confusion mentale, mais d'une opposition entre la prétention à être "sauvé" admise comme de l'ordre du possible et l'impasse du présent : "Maintenant je suis maudit" qui limite le poète au sommeil ivre sur la grève. Les sections six et sept racontent une conversion forcée au christianisme où le poète sans trop prévenir le lecteur joue sur le basculement entre pensées chrétiennes et pensées païennes. Et dans "Nuit de l'enfer", le récit se complique, à l'instar du discours de la quatrième séquence de "Mauvais sang", entre appel à Dieu et appel à la gorgée infernale, sorte de tiraillement général où le damné a gardé quelque chose du païen qui empêche sa rédemption.</div><div style="text-align: justify;">Dans "L'impossible", l'opposition n'est plus entre pensées chrétiennes et pensées païennes, mais entre raison et un esprit autoritaire, sauf que le principe de basculement est exactement le même :</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i> M'étant retrouvé deux sous de raison - ça passe vite ! - je vois que mes malaises viennent de ne m'être pas figuré assez tôt que nous sommes à l'Occident. Les marais occidentaux ! Non que je croie la lumière altérée, l forme exténuée, le mouvement égaré... Bon ! voici que mon esprit veut absolument se charger de tous les développements qu'a subis l'esprit depuis la fin de l'Orient... Il en veut, mon esprit !</i></div><div style="text-align: justify;"><i> - Mes deux sous de raison sont finis ! - L'esprit est autorité, il veut que je sois en Occident. Il faudrait le faire taire pour conclure comme je voulais.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> [...]</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Alors que le poète voulait se taire à cause des paroles païennes, il est cette fois question de faire taire l'esprit autoritaire. Il y a un renversement des considérations qui s'opèrent, et on peut penser que Rimbaud a considéré que dans ce cadre il ne pouvait se permettre de reprendre telle quelle l'opposition paroles païennes et paroles pieuses de "Mauvais sang". Cette fois, c'est la raison, certes fragile, qui s'oppose en personne à l'esprit autoritaire. Rimbaud s'adresse ensuite à son propre esprit qu'il conseille ou auquel il reproche de dormir. Et la fin de "L'Impossible" confirme clairement que, malgré un refoulement du mot "païen", nous sommes bien dans la continuité des réflexions de "Mauvais sang" :</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i> C'est cette minute d'éveil qui m'a donné la vision de la pureté ! - Par l'esprit on va à Dieu !</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Déchirante infortune !</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Le nom "pureté" correspond d'évidence à la quête de préservation de soi par l'innocence. Le lien de la pureté à Dieu ne signifie pas une acceptation de la parole chrétienne pour autant, comme le souligne la clausule ironique : "Déchirante infortune". La lettre à Delahaye assimilait l'innocence à un fléau qu'on a tort de quêter.</div><div style="text-align: justify;">Je reviens d'ailleurs sur un rapprochement intéressant entre la lettre à Delahaye et la cinquième séquence de "Mauvais sang". Le poète veut fuir le continent pour éviter de verser dans une folie qui le livrerait en otage aux "faux nègres". Il s'agit bien sûr de préserver son innocence et partant un rapport au vrai, "vrai royaume des enfants de Cham". Le passage se finit par quatre mentions du nom "danse" scandé comme si c'était un chant de sauvage :</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;"> <i>Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse !</i></div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Et cette quadruple répétition vient après la formule "les blancs débarquant" et est suivie immédiatement par l'attaque "Les blancs débarquent" de la sixième séquence de "Mauvais sang", les blancs arrivant comme un "fléau" parmi les innocentes danses pour obliger au travail, etc. J'ai toujours été étonné que Rimbaud n'ait pas repris dans son livre le trait pourtant étonnamment littéraire, complexe et puissant dont Delahaye a eu la jouissance exclusive à l'époque :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>[...] C'est bête et innocent. Ô innocence ! innocence ; inoocence, innoc... fléau !</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Tout est parti du constat d'une innocence effarante, monstrueuse même, des paysans proches de la ferme familiale de Roche. Et il peut sembler que c'est leur innocence seule qui soit rejetée dans la lettre à Delahaye. Mais, quand Rimbaud dit de son récit que "C'est bête et innocent !" il parle non de l'innocence des paysans, mais de celle qu'il fixe comme un objectif du poète de "Mauvais sang". En clair, dans "L'Impossible", le poète dit qu'il a eu une vision de la pureté, mais qu'en tant que conditionnée par Dieu il l'a rejetée, et c'est le fait de pouvoir assumer ce rejet qui va permettre la révolte contre la mort et donc la sortie de l'enfer. Rimbaud est très allusif, mais c'est ça qu'il nous dit.</div><div style="text-align: justify;">Partant de là, il va devoir accepter la "réalité rugueuse" en cherchant son "devoir", et là il se dit tel un paysan.</div><div style="text-align: justify;">Le poète refusait d'avoir sa main tel un paysan et à la fin il doit embrasser (donc avec les mains) la réalité rugueuse tel un paysan, et c'est assez intéressant de voir que le motif du "païen" s'efface devant un emploi ironique et amer du mot "paysan". Il va de soi que Rimbaud joue sur l'étymologie commune des mots "paysan" et "païen" et nous voyons à quel point le séjour à Roche, mais pas en août 1873, en avril -mai 1873 a contribué à la genèse du projet du livre <i>Une saison en enfer</i> et a été le lieu probable d'une composition première d'une bonne partie de l'ouvrage : "Mauvais sang" à coup sûr, mais aussi "Nuit de l'enfer", voire "L'impossible", et plusieurs des idées de "Adieu" comme le fait d'être rendu au sol en tant que paysan furent sans aucun doute imaginées avant la lettre à Delahaye, ce qui justifie que Rimbaud parle d'un projet de livre (avec une fin envisagée dans les grandes lignes).</div><div style="text-align: justify;">Difficile de dire à quel point l'ouvrage était avancé avant que Rimbaud ne reparte pour Londres avec Verlaine, mais les rimbaldiens ont beaucoup trop sous-évalué la précocité de la mise en forme générale du projet, tant ils voulaient du mythe biographique concret avec l'incident de juillet qui a suivi.</div><div style="text-align: justify;">Il reste à évoquer les occurrences du mot "innocence". Nous avons trois occurrences dans "Mauvais sang", une seule dans "Nuit de l'enfer" et une seule dans "Alchimie du verbe", le mot est absent de toutes les autres parties de l'ouvrage. Rappelons tout de même que nous avons identifié un équivalent dans le mot "pureté" à la fin de la section "L'Impossible".</div><div style="text-align: justify;">Sur les trois occurrences du mot "innocence" dans "Mauvais sang", deux figurent dans le récit des séquences cinq à sept. Cette histoire est clairement celle qui concentre les motifs de l'innocence et du nègre. En clair, on peut affirmer que Rimbaud vient de composer pour troisième récit l'histoire que forment les séquences cinq à sept de "Mauvais sang" dans l'ouvrage définitif. Enfin, il n'y a que deux mentions de mots de la famille de "païen" dans "Mauvais sang", et ces deux mentions sont à cheval sur les deuxième et troisième séquences, puisque nous relevons "paroles païennes" dans la dernière phrase de la seconde séquence, tandis que nous avons pour lancer la troisième séquence la phrase courte : "Le sang païen revient !" Le motif du païen n'apparaît ainsi pas dans l'histoire des séquences cinq à sept, mais dans le récit des séquences un à trois, puis ponctuellement au début de "Nuit de l'enfer".</div><div style="text-align: justify;">Avec le mot "sang", le lien se fait aussi d'évidence entre le titre "Mauvais sang" et les notions "païen" ou "nègre", le "mauvais sang", c'est le "sang païen", sang païen qui invite à se réfugier au "vrai royaume des enfants de Cham", mais cette quête d'innocence est un leurre, il faudra s'adapter au monde tel qu'il vous est imposé.</div><div style="text-align: justify;">Reprenons la lecture d'ensemble de "Mauvais sang" à la lumière de tout ce que nous avons dégagé.</div><div style="text-align: justify;">Nous pouvons toujours formuler l'idée générale de chacune des huit séquences, mais des regroupements vont naturellement s'imposer. La première séquence est une identification volontaire du poète à un gaulois. La deuxième séquence est une quête d'antécédents dans l'histoire de France. Les deux séquences dressent le portrait revendiqué d'un refus de civilisation par l'enseignement de l'histoire de France. Le poète éprouve sa permanence de gaulois non éduqué et il s'identifie à un héritier de la Révolution française qui va jusqu'à refuser que la partie est jouée et que pouvant accéder à la nouvelle noblesse il n'a plus qu'à se conformer à l'exercice. La troisième séquence décrit la figure d'un laissé-pour-compte. Il n'est pas hostile par principe à l'Evangile, mais le personnage est en train de sombrer dans le désespoir. Certaines autres idées sont passées en revue pendant ces trois séquences, mais il s'agit de trois portraits du poète en sorte de païen, le poète est en marge de la société et en-dehors du christianisme ambiant. Derrière l'absence de foi, le poète est marqué par son inadaptation à la vie sociale. Les deux portraits concernent surtout les deux premières séquences, clairement identifiables, l'une de figuration du poète en gaulois, l'autre de quête vouée à l'échec des antécédents. La troisième séquence ne correspond pas tout à fait à une description, mais au plan narratif elle offre des indices d'une continuité évidente avec les deux premières séquences descriptives. La deuxième séquence commence par un soupir véhiculé par une subordonnée conditionnelle formant un énoncé brisé sans proposition principale : "Si j'avais des antécédents à un point quelconque de l'histoire de France !" Elle prépare clairement l'idée du sommeil de désespoir de l'ivrogne allongé sur la grève. Il y a aussi la conscience de ne pas être aidé par Dieu, tout en formulant une aspiration à la noblesse et à la liberté. Le poète se voit en-dehors des élus comme il le dira encore dans "L'Impossible". Bref, les séquences 1 à 3 ont une unité narrative indéniable. Les séquences 1 et 2 n'ont aucune existence autonome qui permettraient de faire l'hypothèse d'une composition ultérieure de la séquence 3 afin de créer des liens et des transitions entre les autres séquences.</div><div style="text-align: justify;">Le sentiment d'impasse de la troisième séquence permet aussi de préparer la voie à la quatrième séquence qui est celle d'un affrontement au monde d'ici. L'enchaînement est assez naturel entre les parties. La huitième séquence était initialement fondue à la quatrième comme les brouillons connus l'attestent. Entre les sections 4 et 8, nous avons un basculement, celui de la punition. La quatrième section est d'adresse à Dieu, ce qui lui donne une fausse apparence de dialogue, mais le dialogue devient effectif dans la huitième séquence, sauf qu'il est avec un envoyé des élus de la société.</div><div style="text-align: justify;">Le récit des séquences 5 à 7 a été intercalé, et s'il prend la forme nettement d'une petite histoire il faut observer qu'il commence comme un portrait de la vie individuelle du poète cette fois avec des considérations sur l'enfance : "Encore tout enfant [...]". Au plan temporel, il y a une convergence naturelle entre l'enfance d'un peuple gaulois devenu adulte par la foi chrétienne, et l'enfance d'un poète qui n'a pas encore reçu toute l'éducation chrétienne désirée. Mais ici cela va plus loin puisque gaulois ou enfant admirant le forçat il est question d'un refus viscéral de l'enseignement moral.</div><div style="text-align: justify;">Le poète se persuade tout de même qu'il doit maintenir l'innocence, projet qui prendra terme dans la section "L'Impossible" où l'innocence, la pureté et la charité sont définitivement admis comme exclusifs de la pensée chrétienne abhorrée. Je rappelle que la mort est liée à la charité, et dans la section "Adieu" et dans le discours chrétien d'époque comme l'attestent des ouvrages parus en 1872. Le poète déclare refuser la mort à partir de la section "L'Eclair". Alors, évidemment, il peut encore y avoir du débat, mais en gros il n'y a plus une quête métaphysique de l'innocence de la part du poète et comme le confirme la prose liminaire il n'y a aucun retour à la charité chrétienne pour éviter la mort. Il faut donc apprendre à penser tout en nuances le questionnement du poète qui s'écrie : "la charité serait-elle sœur de la mort pour moi ?"</div><div style="text-align: justify;">Pour moi, "Mauvais sang" peut admettre le titre prévu de "Livre nègre ou livre païen", dans la mesure où c'est la partie qui a été composée quand Rimbaud envisageait ces deux titres et même progressait vers eux, puisque je soutiens que Rimbaud vient fort probablement d'écrire comme troisième histoire le récit articulé des séquences cinq à sept de "Mauvais sang" quand il écrit à Delahaye la lettre dite de "Laitou". Et "Mauvais sang" est une expression équivalente aux deux titres "Livre païen ou Livre nègre". C'est la partie qui correspond de manière stable aux deux titres originellement prévus. Ce titre était ménagé à l'écriture de "Nuit de l'enfer", qui minimalement rappelle que le poète s'identifie aux païens et aux nègres : "l'enfer ne peut attaquer les païens" ou "veut-on des chants nègres ?" Rimbaud devait avoir prévu toute une série de sujets à traiter et il avait bien sûr en tête l'idée d'une conversion forcée du païen, conversion qui crée une intrigue et permet la confrontation violente des idées, mais je pense qu'au fur et à mesure du développement Rimbaud a considéré que les motifs du païen et du nègre étaient trop restrictifs. Il a alors opté pour une mise en avant de l'autre grande idée directrice : la condamnation à l'enfer de celui qui ne se laisse pas civiliser.</div><div style="text-align: justify;">Les continuités profondes de la section "L'impossible" avec "Mauvais sang", les échos sensibles de "Vierge folle" avec "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer", l'utilisation de l'image du "paysan" à la fin de "Adieu" et l'importance du rapport à la vérité dans la clausule en italiques ne permettent pas d'affirmer que le projet a évolué au cours de l'écriture. Les lignes générales étaient décidées, mais c'est le fait d'approfondir la matière qui a rendu les titres initiaux impossibles à conserver.</div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com5tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-8997352433821591192024-02-26T11:17:00.000-08:002024-02-26T11:24:23.809-08:00Rimbaldic<div style="text-align: justify;">Dans l'après-midi, j'ai vu la photo du premier char M1-Abrams détruit.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;"><a href="https://www.youtube.com/watch?v=HPfeTBwrGAw">The Exploited - F*ck the USA (but I'm not interested by Nuland, I don't want her chocolate croissants)</a><br /></div><div style="text-align: justify;"><a href="https://www.youtube.com/watch?v=x8jca8ZATfA">The Clash - I'm so bored with the USA</a><br /></div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Le dernier Bukowski se vend comme des petits pains. Première page, lendemain de cuite, le narrateur va à la boulangerie et il demande à la caissière Nuland une chocolatine, elle lui dit : "Je n'ai plus que des croissants, mais je vais vous en faire un !" Elle prend un croissant, elle le coince dans son cul, et elle y dépose le chocolat de l'oncle Sam.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Inquiétant, le discours va-t'en guerre de nos dirigeants, ils sont en train de faire un grand coup médiatique pour préparer les populations à un recrutement en prévision d'affrontements, c'est hallucinant ! Mais bon ils sont bien parvenus à vous imposer le confinement, la vaccination des adultes et des enfants. Je rappelle que, dans un monde, où les gens ont de la dignité, on pouvait concevoir une vaccination expérimentale pour les plus de quarante ans à condition qu'elle ne soit pas imposée aux jeunes. Mais bon... L'intelligence, ce n'est pas le fort des gens de notre époque.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">A part ça, je lis un livre qui a atterri chez moi <i>L'Empire immobile ou le choc des mondes</i> d'Alain Peyrefitte, il y a des avis de différentes personnes à la fin du volume dont ceux de René Etiemble et Claude Roy. En fait, le livre commence avec un propos moralement répugnant de la part de Peyrefitte. Il fait un livre donc sur la rencontre des anglais et des chinois et les conséquences que ça a jusque dans le monde de la fin de vingtième siècle. Certes, il y a eu l'abus avec l'opium, etc. Mais ce con de Peyrefitte, il donne donc dans son prologue l'idée subtile que le millésime 1793 n'est pas qu'une année importante pour la France, puisque en 1793 une ambassade anglaise a eu lieu et a commencé à braquer les chinois, ce qui a structuré un aspect de la géopolitique mondiale jusqu'à nos jours et surtout il déclare que les anglais n'auraient jamais dû refuser le rituel du <i>kotow</i> et de se prosterner neuf fois au sol devant l'empereur de Chine pour se les mettre dans la poche. Quelle laideur morale ce Peyrefitte, quelle lâcheté ! Moi,n je lis ça, je me relève, et je cherche sur chaque mur quelqu'un qui doit rendre des comptes. Il est immonde, Peyrefitte ! De plus, c'est un mécanisme d'humiliation chez les gens qui ont un sentiment de supériorité. Quelle laideur morale ! Et vous avez Etiemble, un prétendu rimbaldien, qui écrit ceci : "Une suprise heureuse [...] Un bilan intelligent [...] Peyrefitte évalue le coût et l'évalue justement [...] On lit ce livre, ce fut mon cas, d'une traite nocturne." Ben, pas moi ! Je ne suis encore qu'à la page 38 tellement l'immoralisme, la bassesse, le vaniteux instinct de supériorité de Peyrefitte me font gerber ! Mais gerber !</div><div style="text-align: justify;">Sinon, en lisant ce livre, je pense à Rimbaud par endroits. J'avais essayé une première fois de lire ce livre il y a une semaine, et donc voilà la citation d'Edmund Burke que je rapproche d'<i>Une saison en enfer</i> : "Je vois près de nous un bouleversement universel qui entraîne dans une ruine commune la religion, la morale, la tradition, le respect de toute autorité - régénération monstrueuse du genre humain, qui le ramènerait à l'état sauvage." La citation ne fait pas partie du livre publié en français en 1790 à ce que je comprends et c'est même une citation traduite apparemment, mais on comprend que le discours de "Mauvais sang" est une réplique à un discours réactionnaire apparu immédiatement au moment de la Révolution pour la désapprouver.</div><div style="text-align: justify;">Il y a aussi les images sur l'infini de la mer qui sont intéressantes à rapprocher de Baudelaire et Rimbaud notamment, genre cette citation de Montesquieu de 1748 : "L'empire de la mer a toujours donné au peuple qui l'ont possédé une fierté naturelle, parce que, se sentant capables d'insulter partout, ils croient que leur pouvoir n'a pas plus de bornes que l'océan." Evidemment, l'orientation du discours de Montesquieu ne se retrouve pas de la sorte dans les poèmes de Rimbaud et Baudelaire. Le premier avertissement de <i>La Chute d'un ange</i> m'a offert aussi un ou deux rapprochements subreptices avec Rimbaud, mais je ne les ai plus en tête.</div><div style="text-align: justify;">A part ça, pour le "travail fleuri de la campagne", il faudra établir un jour tout un historique sur les poèmes de Rimbaud qui mettent en place cette idée, en sachant qu'il faut aussi envisager le déplacement d'une zone d'influences sur Rimbaud d'écrits plus littéraires, soit tirés de l'Antiquité, soit tirés de la poésie en vers de son siècle, à une zone d'influence quelque peu renouvelée où, devenu un prosateur, Rimbaud va se nourrir plus directement d'écrits d'historiens et intellectuels, que ces écrits soient poétiques ou non.</div><div style="text-align: justify;">En tout cas, outre "Sensation", "Soleil et Chair", "Les Poètes de sept ans", etc., il y a un passage au début des "Premières communions" qui retient mon attention. Je n'ai jamais consacré mes forces à un commentaire pointu des "Premières communions". Pourtant, je devrais. C'est un poème saisissant à lire, très particulier, connu par plusieurs manuscrits où étonnamment il n'y a quasi aucune variante, et il y a donc tout ce début sur l'opposition Nature et religion, un ensemble de quelques sizains :</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i>La pierre sent toujours la terre maternelle,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>[...]</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-46690121889007570202024-02-23T06:20:00.000-08:002024-02-23T06:20:41.459-08:00"Dors-tu, ma vie ! ou rêves-tu de moi ?" Une connexion Dumas fils Desbordes-Valmore, Verlaine, Rimbaud ?<div style="text-align: justify;"> Vers septembre 2023, j'ai lancé pas mal d'articles pour montrer que "Larme" de Rimbaud et plusieurs des "Ariettes oubliées" démarquaient des poèmes très précis des poésies de Marceline Desbordes-Valmore. Récemment, j'ai montré l'importance étonnante de la vie littéraire publique de Dumas fils pour comprendre les railleries du livre <i>Une saison en enfer</i>. Non seulement Rimbaud a fait allusion à <i>La Dame aux camélias</i> à la fin de "Alchimie du verbe", avec les mentions "Armand" et "Duval" qui valent preuve, mais j'ai montré qu'il fallait prendre en considération des plaquettes d'époque de trente pages de Dumas fils ou de gens qui lui répliquaient comme Tony Révillon, et c'est assez impressionnant de se rendre compte que la phrase : "La vision de la justice est le plaisir de Dieu seul", fait écho aux ralleries de Révillon sur le côté "moi et Dieu" de Dumas fils qui à la fin d'une de ses plaquettes parlait d'éviter de donner des conseils à Dieu, et cerise sur le gâteau, la phrase ampoulée : "Il faut être absolument moderne", jusqu'à sa forme d'alinéa ramassé, démarque l'alinéa bref de Tony Révillon : "Il faut être de son temps !" Cette phrase est taxée de formule d'hypocrisie de tous les écrivains, et à moins de bâder sur l'emploi de l'adjectif "moderne", il est clair que "Il faut être absolument moderne" n'est rien d'autre qu'une formulation alambiquée pour dire tout simplement : "Il faut être de son temps".</div><div style="text-align: justify;">Donc, Verlaine parlait énormément de Dumas fils au moment même où Rimbaud compose <i>Une saison en enfer</i> en faisant une allusion précise à ce même auteur avec la mention "Armand" et "Duval", cas rare de désignation d'une autre oeuvre dans <i>Une saison en enfer</i>. Il y en a d'autres, par exemple le très limpide : "empereur, vieille démangeaison" qui renvoie à un poème de <i>La Légende des siècles</i> de Victor Hugo de 1859.</div><div style="text-align: justify;">La correspondance de Verlaine est intéressante à lire pour cerner les lectures de Rimbaud à la source d'<i>Une saison en enfer</i>. Nous avons bien sûr aussi les brouillons avec les parodies de textes évangéliques inspirées d'extraits de la <i>Vie de Jésus</i> de Renan. Et donc Verlaine parle de Dumas fils, mais il lit aussi Lamartine et cite dans sa correspondance la <i>Chute d'un ange</i>, sujet qui cadre quelque peu avec les perspectives du projet rimbaldien. On sent qu'il y a une préoccupation thématique d'époque et qu'elle était partagée par Verlaine. Oui, on lit <i>Romances sans paroles</i> et <i>Sagesse</i> on ne se dit pas que Verlaine était lui aussi sur le plan des réflexions propres à <i>Une saison en enfer</i>, mais quand on fouille on trouve : récits en vers diaboliques, projets en prose, quelques poèmes épars. Notez d'ailleurs qu'en 1874 Verlaine va composer et envoyer par courrier une série de dix dizains à la manière de Coppée, dont les premiers poèmes furent sans doute composés en réalité du temps du compagnonnage avec Rimbaud. On y relève un jeu de mots sur Joseph Autran et les autans avec un rejet à l'entrevers : "La montagne", qui fait écho au "Bateau ivre" où l'expression "Poème / De La Mer" rejette à l'entrevers non la montagne, mais la mer, mais en s'appuyant sur une version au singulier d'un titre de recueil de Joseph Autran ! Et le dizain suivant, avec sa chute : "Souvenir des désastres", au-delà de la querelle de ménage qui fait songer au poème en prose rimbaldien "Ouvriers", renvoie à la littérature anticommunarde d'Armand Silvestre, de Théophile Gautier et d'autres <i>Paris et ses ruines</i>, <i>Tableaux du siège</i>.</div><div style="text-align: justify;">Je vous cite le dizain satirique qui cite Autran et suppose à l'évidence une allusion fine à la matière satirique du "Bateau ivre" :</div><div style="text-align: justify;"></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i>Les passages de Choiseul aux odeurs de jadis,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Où sont-ils ? En ce mil-huit-cent-soixante-dix</i></div><div style="text-align: justify;"><i>(Vous souvient-il ? C'était du temps du bon Badingue)</i></div><div style="text-align: justify;"><i>On avait ce tour un peu cuistre qui distingue</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Le Maître, et l'on faisait chacun son acte en vers,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Jours enfuis ! Quels autrans soufflèrent à travers</i></div><div style="text-align: justify;"><i>La montagne ? Le Maître est décore comme une</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Châsse, et n'a pas encor digéré la Commune ;</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Tous sont toqués, et moi qui chantais aux temps chauds,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Je gémis sur la paille humide des cachots.</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;">Vu sa chute, on me dira que le dizain a bien été en 1874 et non du temps de la compagnie avec Rimbaud. Peut-être qu'il n'a pas eu de version antérieure, mais peu importe. Il véhicule des pensées qui étaient ressassées à l'époque. C'est aussi un dizain d'érudition. Vous aurez remarqué qu'il faut une diérèse à "cuistre", ce qui demande un peu de vigilance à la lecture, et en fait on a une double allusion à des vers de Victor Hugo, puisque la césure sur trait d'union après "mil" est une allusion à un vers du drame <i>Cromwell</i> et Hugo parlait de chercher une rime en "-istre" pour un cuistre, autrement dit pour un cul (je n'ai plus la facétie exacte en tête). On a un règlement de compte à l'égard de Leconte de Lisle, censé être un ardent républicain, sauf qu'il touchait une rente du second Empire et a été horripilé par la Commune (tout comme George Sand, etc.). Le rejet de la montagne s'appuie sur une autre astuce hugolienne : "à travers / La montagne", pratiquée souvent à la césure et ici à l'entrevers. Et dans "Le Bateau ivre", Rimbaud a surenchéri sur cette configuration, même si le résultat rythmique est finalement peu discordant à cause de l'ajout de "lorsque" : "Et je voguais ! Lorsqu'à + travers mes liens frêles"... Et enfin, Verlaine nous fait la forme "comme une" à l'entrevers. On sait qu'il attribuait de 1865 à je ne sais quand l'invention des césures chahutées à Baudelaire. Ici, il prend acte des antériorités des vers de théâtre d'Hugo (le trait d'union, à travers), mais aussi de Musset, car la forme féminine "Comme une" vient d'une pièce en vers de Musset qui avait initié le "comme un" de Baudelaire.</div><div style="text-align: justify;">Mais bref, au moment où Rimbaud compose <i>Une saison en enfer</i>, Verlaine fait d'autres citations intéressantes dans sa correspondance. On sait qu'à cause de la mention "Saxe" et du sujet de la damnation, à cause aussi d'une demande par lettre à Delahaye de ce livre, le <i>Faust</i> de Goethe est considérée comme une source possible d'<i>Une saison en enfer</i>, mais il n'y a pas d'étude très assurée sur le sujet, c'est resté à l'état de serpent de mer. Notons que Verlaine cite des vers du <i>Petit Faust</i> du chanteur Hervé, c'est loin d'être la piste de recherche la plus absurde qui soit.</div><div style="text-align: justify;">Enfin, dans une lettre conséquente du 25 juin 1873 à Emile Blémont, où il est déjà question de Dumas fils et de la réaction de Pelletan, Verlaine conseille à son correspondant la lecture des recueils <i>Pleurs</i> et <i>Pauvres fleurs</i> de Marceline Desbordes-Valmore. En gros, les éditions de ces deux recueils sont alors tombées entre les mains de Verlaine qui loge en compagnie de Rimbaud à Londres. L'un ou l'autre a pris ces éditions en France en avril ou mai et les a emmenées à Londres.</div><div style="text-align: justify;">Du coup, au lieu de lire <i>Pleurs</i> et <i>Pauvres fleurs</i> en songeant à une influence sur les vers de Rimbaud et de Verlaine, et notamment sur les vers du printemps 1872, on peut songer à une imprégnation toute fraîche sur l'écriture d'<i>Une saison en enfer</i>.</div><div style="text-align: justify;">Rimbaud avait écrit l'octosyllabe : "Prends-y garde, ô ma vie absente !" sur un manuscrit des <i>Fêtes de la patience</i>, ensemble de quatre poèmes dont les mentions sont privilégiées dans "Alchimie du verbe". C'est dans "Vierge folle" que nous trouvons dans la bouche donc de la Vierge folle elle-même, la phrase la plus proche de ce vers valmorien dans la production rimbaldienne : "La vraie vie est absente."</div><div style="text-align: justify;">Verlaine cite un passage sur la vision d'une abeille pendant le sommeil d'un enfant bercé. Moi, en titre de cet article, j'ai cité un vers significatif du poème "Dors-tu ?"</div><div style="text-align: justify;">Mais, cerise sur le gâteau, le volume <i>Les Pleurs</i> a été préfacé par Alexandre Dumas, le père de Dumas fils, ce qui permet d'imaginer qu'il y a donc une sorte de terrain de jeu littéraire commun à Dumas fils et à Rimbaud sur lequel évidemment le dernier va faire contraster les points de vue et sa supériorité.</div><div style="text-align: justify;">Voilà, j'avance énormément. Je me demande si Yann Frémy aurait apprécié tout ce que je dis de neuf sur <i>Une saison en enfer</i>. J'avançais déjà avant pendant vingt ans, mais je m'occupais surtout d'autres œuvres. Là, c'est l'avalanche de mises au point. Il m'aurait peut-être recontacté pour un ouvrage collectif.</div><div style="text-align: justify;">Bon, effet de mon narcissisme aigu, je vais aller voir si mes derniers articles ont été cité sur le blog du maître d'<i>Une saison en enfer</i>. Boah ! non, je suis fatigué, je vais manger un peu et travailler pour gagner des sous.</div><div style="text-align: justify;">Je voulais vous offrir un petit bonus. J'ai une séquence "-ées" à l'intérieur d'un alexandrin des <i>Fleurs du Mal</i> de Baudelaire, mais dans une édition du vingtième, en Garnier-Flammarion. Je songe bien sûr à "Fêtes de la faim" et je songe aussi à enquêter sur les licences grammaticales qui cachent subrepticement des séquences "ées" corrompues et masquées en "és" pour la mesure du vers, plutôt que de chercher des audaces antérieures éventuelles à Rimbaud. Mais, bon, je dois tout bien vérifier, et je suis fatigué.</div><div style="text-align: justify;">Allez, tchao.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-29427089712803247972024-02-22T05:29:00.000-08:002024-02-22T05:37:23.096-08:00Inventer une langue / Trouver une langue / inventer la couleur des voyelles ; et Rimbaud dans son temps !<div style="text-align: justify;">Plusieurs décennies durant, on a prêté à Rimbaud l'invention du concept de "voyant" pour la poésie, et cela prévalait encore dans les années 1990 quand j'ai découvert et lu Rimbaud pour la première fois. Il s'agissait en réalité d'un lieu commun déjà ancien qui avait repris du service avec les poètes romantiques qui en offraient maintes occurrences. J'ai assisté au refoulement discret de cette notion. Le mot "voyant" est toujours associé à Rimbaud et considéré comme important, mais il n'est plus sa propriété exclusive.</div><div style="text-align: justify;">Or, il reste à baliser les sources pour l'ensemble des considérations de détail des lettres à Izambard et Demeny du 13 et du 15 mai 1871, malgré l'étude importante de 1978 de Gérald Schaeffer. Et puis, il y a cette idée de "trouver une langue", et dans "Alchimie du verbe", on a ce passage étonnant sur l'invention de la couleur des voyelles et sur un réglage de la forme et du mouvement de chaque consonne.</div><div style="text-align: justify;">Certains sont tentés de n'y voir que dérision et caricature dans ce passage de "Alchimie du verbe", et ce manque de sérieux concerne également le sonnet "Voyelles".</div><div style="text-align: justify;">Or, la nouvelle poésie du vingtième siècle, si hermétique, vient surtout de Rimbaud et Mallarmé. Et du coup il me semble capital de souligner que dans une lettre à Cazalis datée de 1864 Mallarmé a écrit des considérations aujourd'hui célèbres sur son désir d'inventer une langue. Cazalis est devenu le poète Jean Lahor et à l'époque, vers 1868 je crois, il a publié sous le nom Henri Cazalis un recueil <i>Melancholia</i> que je n'ai lu qu'une seule fois dans ma vie, tant les exemplaires conservés sont rares sur le territoire français, et le livre n'a pas été scanné et mis à disposition en fac-similé sur le site Gallica de la BNF (parce qu'il leur faudrait mon intelligence pour le faire). J'avais obtenu de faire venir à Toulouse un volume à l'époque, grâce aux prêts entre bibliothèques. Mais c'est Mallarmé qui nous intéresse et surtout cette lettre étant privée Rimbaud ne peut pas l'avoir lue lui-même pour s'en inspirer en 1871, sept ans après, mais au moins la lettre de Mallarmé date de 1864, et on comprend qu'il y a des recherches à effectuer sur le discours des poètes prétendent "inventer une langue", "trouver une langue", et bien évidemment c'est en écho à ces discours que Rimbaud développe ses idées ("trouver une langue") ou formule une caricature insoutenable ("j'inventai la couleur des voyelles", "je fixai des vertiges, je notai l'inexprimable", "je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne".)</div><div style="text-align: justify;">Voilà pour relancer une démarche critique sur "Voyelles", "Alchimie du verbe" et le projet de poète "voyant". Je cite l'extrait célèbre de Mallarmé :</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i>J'ai enfin commencé mon Hérodiade. Avec terreur, car j'invente une langue qui doit nécessairement jaillir d'une poétique très nouvelle, que je pourrai définir en ces deux mots : </i>Peindre, non la chose, mais l'effet qu'elle produit<i>.</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Le vers ne doit donc pas là, se composer de mots, mais d'intentions, et toutes les paroles s'effacer devant la sensation.</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">On a ce choix étonnant du mot "sensation" qui en principe n'est pas le plus indiqué, si ce n'est que du coup il entre bien en écho avec l'emploi du mot "sens" par Rimbaud. On a l'expression "inventer une langue" qui correspond à "trouver une langue" et qui anticipe la réduction partiellement comique : "inventer la couleur des voyelles", puisque inventer la couleur des voyelles est un peu une partie de l'invention d'une langue. On a l'idée de "terreur" qui rejoint le commencement par la fixation de vertiges et le trouble du poète devant ses hallucinations, mot "hallucinations" d'ailleurs présent dans le théâtre d'Alexandre Dumas fils.</div><div style="text-align: justify;">Bref, il y a des passerelles à identifier entre le discours de Mallarmé le 30 octobre 1864 et ceux de Rimbaud en mai 1871 et en 1873.</div><div style="text-align: justify;">C'est une évidence ! L'absence de mention de Mallarmé par Rimbaud le 15 mai 1871 ne doit pas être un empêchement.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Mais, bon, tout le monde s'en fout !</div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-68998307188945800952024-02-20T04:39:00.000-08:002024-02-20T05:01:33.059-08:00Retour sur l'éclairage d'une étude de "Voyelles" par Philippe Rocher<div style="text-align: justify;">En 2021, j'ai rendu compte, et à mon avis un peu rapidement et pas de manière assez mûrie, d'un article de Philippe Rocher sur le poème "Voyelles". Voici un lien pour consulter cette étude que je n'ai même pas relue pour ma part à l'instant, je le ferai plus tard dans la journée, car je veux rester sur mon fil conducteur du jour.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;"><a href="http://paintedplates.blogspot.com/2021/01/recension-un-article-de-philippe-rocher.html">Consulter en cliquant ici "Recension : un article de Philippe Rocher sur 'Voyelles' " (23 janvier 2021)</a><br /></div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Cet article fait nettement allusion à mes propres travaux, je suis cité à maintes reprises, et même la contre-rime "voyelles" - "Yeux" communiquée à Philippe Rocher par Benoît de Cornulier vient de moi, ce que Cornulier a précisé dans l'une ou l'autre de ses publications propres. Rocher suit l'idée de mon article initial "Consonne" de 2003 d'un développement d'une aube au cours du sonnet (je suis passé plutôt sur la référence optique à la trichromie en optique avec Young et Helmholtz). Je pense qu'il existe aussi une connaissance de ce que je pouvais écrire sur le forum Poetes.com, mais cette masse est perdue à jamais, et peu importe.</div><div style="text-align: justify;">J'ai seulement survolé rapidement l'article en quête des mentions du poème "Les Phares" de Baudelaire, mais ce faisant j'ai repéré quelques autres idées, en particulier l'idée d'un passage du microcosme des "mouches" à la dimension Oméga des "mondes", le parallèle se fondant humoristiquement sur le format syllabique "mouches" et "mondes" avec identique consonne initiale.</div><div style="text-align: justify;">Pied-de-nez à ce que dit Bardel dans son essai <i>Une saison en enfer ou Rimbaud l'Introuvable</i>, Rocher ne prend pas acte du début de "Alchimie du verbe" pour tourner en dérision le sens du sonnet "Voyelles" et il écrit ceci :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>[...] Sa mention dans "Alchimie du verbe" indique d'une part que pour Rimbaud "l'histoire d'une de [s]es folies" a été malgré tout suffisamment sérieux, et même s'il y a sans doute une pointe d'ironie ou une forme d'autodérision qui pourrait suggérer le côté illusoire de l'entreprise, l'invention de la couleur des voyelles se situe néanmoins au commencement du récit d'une aventure poétique qui intègre des poèmes de 72/73 et qui contribuera au fait que Rimbaud lui-même finira par "trouver sacré" le "désordre de [s]on esprit". Sous cet angle, le sonnet se situe dans le prolongement des lettres dites "du voyant" (voyelles/voyant) où il s'agissait déjà d'arriver à l'inconnu, de dérèglement des sens, et de devenir "le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, - et le suprême Savant !"</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Notez que dans cette dernière citation, on identifie un lien intéressant avec "<i>Crimen amoris</i>" de Verlaine (ce qui ne veut pas dire que Verlaine a lu telle quelle la lettre à Demeny bien sûr), puisque le "dérèglement des sens" va de concert avec les statuts de "maudit" et de "suprême Savant". Notez aussi l'emploi de l'adjectif "suprême" qui revient dans "Voyelles" et il est accouplé à un mot flanqué d'une majuscule "Savant", tout comme la mention finale "Ses Yeux" sur le manuscrit autographe de "Voyelles", et j'attire bien évidemment l'attention sur le poème "Conte" avec son alinéa de clausule : "La musique savante manque à notre désir."</div><div style="text-align: justify;">Rocher reprend aussi une idée clef de nos propres études sur "Voyelles". La description est en réalité un récit avec une réelle progression narrative. Je cite les passages avec les occurrences "chronologie" et "chronologique" de l'étude de Rocher (respectivement page 423 et page 420) :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>[...] ces images semblent se contaminer l'une l'autre dans le mouvement d'ensemble du sonnet et la chronologie de la lecture. [...]</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>[...] Autant d'oppositions qui ne sont pas seulement ici des contrastes de structure mais sont bien constitutives à la fois du développement chronologique global orienté du sonnet, et de l'idée de totalité également inhérente à l'Alpha et l'Oméga.</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Il y a en revanche une idée qui ne me plaît pas et que je repère dans la note 11 page 422 dans un débat qui va d'une idée de Cornulier à une réappropriation par Rocher. L'idée, c'est qu'à la fin du poème les "Yeux" seraient ceux du poète lui-même, ce que je trouve complètement absurde. Pour Cornulier, les "Yeux" du voyant ou créateur, donc du propagateur du "rayon violet", verraient eux-mêmes les "voyelles colorées". Que les voyelles colorées soient vues par les yeux du voyant, c'est de toute façon une vérité de La Palice, mais que la mention "Ses Yeux" renvoie aux yeux du poète lui-même, c'est ce que ne dit certainement pas le poème, le déterminant "ses" ne renvoie clairement pas au poète lui-même, et on n'a aucun élément pour soutenir que le poète se dépeint en créateur à la troisième personne. Conciliant avec la lecture de Cornulier, Rocher répond ceci :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>J'ajouterai pour ma part que les yeux en question sont à la fois ceux du voyant et ceux de l'aboutissement de sa création poétique à partir des voyelles, et donc aussi les yeux qu'il voit, vus par lui en tant que visions, en un effet miroir qui évoque "la double lumière", les "deux esprits", les "miroirs jumeaux" et "Nous échangerons un éclair unique," de "La Mort des amants" de Baudelaire. [...]</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">La citation de l'échange amoureux sous forme d'un "éclair unique" est intéressante, suggestive. Les deux regards se fondent en un en quelque sorte. Toutefois, la description ne peut s'appliquer ainsi pour "Voyelles".</div><div style="text-align: justify;">Alors, j'explique.</div><div style="text-align: justify;">Dans l'Antiquité grecque, il existe une théorie qui ne fait pas du tout honneur aux grecs, tellement elle est stupide, mais qu'on retrouve chez Platon, Aristote, etc. On ne sait pas toujours clairement où il se situe par rapport à cette théorie, s'il l'emploie de manière métaphorique, de manière passive par tradition, mais à la lecture de quelques extraits on comprend qu'il y a une théorie farfelue du "rayon visuel", c'est-à-dire que les grecs, très peu savants pour le coup, avaient la débilité de penser que l'oeil envoyait je ne sais quelle masse de rayons à l'extérieur, que ces rayons frappaient les objets et se réfléchissaient par retour en ligne droite jusqu'à l'œil émissaire des rayonnements. Cette théorie était débile pour des tonnes de raisons évidentes : problème de la vitesse de la lumière non résolu, mais aggravé par une telle théorie, problème des obstacles, problème de la réfraction, problème de la composition de l'œil, etc. Moi, ils étaient bons pour porter un bonnet d'âne avec une telle théorie. Il y a un moment où il faut arrêter d'être débile. Toujours est-il que cela a mis en place une image poétique du foyer lumineux du regard, et même si par la suite nous sommes passés à un modèle de compréhension de la perception visuelle plus rationnelle ces images ont continué d'être pratiquées, d'autant plus que l'œil est envisagé comme une sorte de fenêtre sur l'âme humaine. On lit les traductions des poètes grecs ou latins, et on ignore la théorie débile du "rayon visuel", mais on est imprégnés par les visées de sens des images du rayon du regard, rayon qui jaillit du regard. Nous sommes conditionnés à penser spontanément que le rayon qui vient d'un regard est en fait un reflet, comme pour les "rayons de la Lune", mais on ne s'y arrête pas, et on jouit des significations "rayon de la Lune" ou "rayon du regard".</div><div style="text-align: justify;">Moi, je ne crois pas deux centièmes de seconde que Rimbaud ait pour objectif de réactiver le sens pseudo-scientifique du "rayon visuel", Rimbaud n'est pas là pour enregistrer la mémoire des erreurs lourdes du passé. Il a rencontré mille fois une telle expression, comme dans le vers de "Péristéris" souvent rapproché du dernier de "Voyelles: "Le rayon d'or qui nage en ses yeux violets". Dans "Péristéris", poème sur un motif de Grèce antique, le poète célèbre une femme qui est plus "chère à [s]es yeux [que] la lumière du ciel", et il convient même de citer le vers qui suit immédiatement :</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i>Le rayon d'or qui nage en ses yeux violets</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Et qui m'a traversé d'une flèche divine.</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">En clair, on a la métaphore du regard érotique, qui prend source dans la théorie du rayon visuel, mais qui ne s'y love pas, nuance capitale. Le rayon part directement de la belle, telle une flèche de Cupidon, et ce rayon est une émanation "divine". Dans la théorie du "rayon visuel", sa débilité est fondamentale si on l'applique aux hommes, on peut observer que qualifier le rayon de "divin" rend la théorie moins problématique, le regard devient lui-même la source de lumière puisque le regard est celui d'une divinité qui crée absolument sa lumière. Dans le cas de "Péristéris", l'idée est galante et on peut minimiser que Leconte de Lisle ait clairement penser à naturaliser la théorie du "rayon visuel" vu l'emploi du verbe "nage", vu que c'est un contexte de transposition galante.</div><div style="text-align: justify;">Dans le cas du dernier vers de "Voyelles", où "violet" ressemble phonétiquement au mot "voyelles" comme l'a fait remarquer Rocher au début de son étude, le rayon est émis aussi par la divinité du coup féminisée, érotisée, divinité qu'on comprend comme l'explication dernière aux "naissances latentes". Pour moi, Rimbaud ne vise pas une restitution de la théorie du rayon visuel, il emploie la métaphore banalisée, la justification <i>in fine</i> de la théorie par le fait que le regard soit celui du créateur divin n'est pas très intéressante intellectuellement.</div><div style="text-align: justify;">Mais, il y a l'idée du regard coup de foudre. D'ailleurs, il est question d'un contexte "plein de strideurs étranges".</div><div style="text-align: justify;">Et donc je rejette dans cette note 11 page 422 l'idée que les "Yeux" désignent ceux du poète lui-même créateur du sonnet, comme je rejette l'idée d'éclair unique en miroir, et, tout en voulant éviter la thèse de la restitution de la théorie du rayon visuel en tant que telle, je maintiens que le "rayon violet" est le seul fait de la déesse féminine, autrement dit de la Vénus qui remplace Dieu dans le système de foi "parnassienne" de Rimbaud, et le poète est récepteur, pas émissaire.</div><div style="text-align: justify;">Passons maintenant au poème "Les Phares" qui va permettre d'appuyer en ce sens.</div><div style="text-align: justify;">Comme je possède une version numérisée de l'article de Philippe Rocher, j'ai pu relever toutes les mentions du poème "Les Phares" par Rocher. Nous avons quatre mentions du poème dans cet article. La première est en fin d'une énumération de poèmes de Baudelaire dans la note 8. La deuxième mention à la page 423 doit impérativement être citée :</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>[...] L'association voyelles/couleurs est alors comme la constitution d'une palette pour des chromatismes sonores et graphiques. Ce rapport avec la peinture se renforce du lien avec "Les Phares" de Baudelaire où la syntaxe non verbale des premiers quatrains est du même type que celle de "Voyelles", avec cette différence toutefois que la lecture du poème baudelairien et des associations entre l'artiste et son œuvre (du type "Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse,) est facilitée pour le lecteur par sa connaissance des œuvres, en dépit du caractère subjectif et souvent surprenant des évocations et des synthèses baudelairiennes.</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Le texte cité est très précis. La méthode d'apposition est identique entre les deux poèmes. Nous avons un terme générateur, soit un nom d'artiste du côté de Baudelaire, soit une lettre voyelle en mention du côté de Rimbaud apposé à plusieurs syntagmes nominaux qui sont autant de descriptions définitoires quelque peu lacunaires mais voulues intensément suggestives. Illustrons cela par des exemples !</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i>Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Oreiller de chair fraîche où l'on ne peut aimer,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Mais où la vie afflue et s'agite sans cesse,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer ;</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i>U, cycles, vibrements des mers virides,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Qu'imprime l'alchimie aux grands fronts studieux ;</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Le nom propre "Rubens" et "U" sont les deux éléments à définir. Ils le sont pas une série d'expressions juxtaposées. Les expressions sont nominales et séparées par des virgules, et c'est une virgule qui sépare aussi soit le "U", soit le nom "Rubens" des énumérations. Nous avons le même procédé de ponctuation, et la séparation entre les séquences recourt au point-virgule, du moins si on s'en tient à la copie autographe de "Voyelles".</div><div style="text-align: justify;">De nombreux éléments lexicaux du poème "Les Phares" se retrouvent dans "Voyelles" et on pourrait parler de prolongements subtils, comme plus haut l'image de la mer pour Rubens après celle du fleuve entre en résonance avec la mer agitée du tercet rimbaldien qui est quelque peu un renforcement de l'idée de "vie" qui "afflue et s'agite sans cesse", et on peut aller loin, avec l'idée d'un "Oreiller de chair fraîche où l'on ne peut aimer" qui aurait à voir avec le charnier des "puanteurs cruelles", mais nous nous en abstiendrons ici. Rocher fait remarquer que la rime "anges"/"étranges" est commune aux deux poèmes, à cause du quatrain sur Delacroix, mais notons aussi que le mot "anges" apparaît dans le quatrain consacré à Léonard de Vinci, anges qui ont un "doux souris", l'adjectif "doux" figurant sur la version recopiée par Verlaine : "doux fronts studieux", et le quatrain de Vinci contient encore la mention "glaciers" qui ne figure pas sur la copie de Verlaine, mais sur l'autographe de "Voyelles" : "Lances des glaciers fiers". Le quatrain de Rembrandt contient la mention très clichéique dans les vers d'époque : "Traversé" couplée au mot "rayon" : "Et d'un rayon d'hiver traversé brusquement". Une partie du poème "Les Phares" ne permet pas de tels rapprochements suggestifs : quatrains sur Puget, Goya, Watteau, Michel-Ange, mais cela importe peu. Pour ce qui est du quatrain de Delacroix, Rocher envisage aussi un lien du rouge et du vert, avec cette vision superposant un "lac de sang" à un "bois de sapins toujours vert", mais je reste sceptique à ce sujet. Pour le même quatrain, j'apprécie bien plutôt le parallèle avec inversion sonore pour la reprise de la rime "étranges"/"anges" : "lac de sang hanté des mauvais anges" et des "fanfares" étranges" qui "Passent" (équivalent de l'emploi de "Traversés" au vers 13 de "Voyelles") comme un "soupir étouffé". Dans "Voyelles", j'insiste depuis longtemps, d'ailleurs depuis l'article "Consonne" de 2023, sur le fait que l'association des voyelles couleurs permet de penser les "strideurs étranges" comme une vision de striures pensées comme du bruit strident de tonnerre.</div><div style="text-align: justify;">Mais, en fait de rapprochement, il y a aussi les trois derniers quatrains du poème "Les Phares", mais avant d'en parler je veux achever ma revue des mentions du poème "Les Phares" par Rocher. J'en étais à la deuxième mention, et j'avais cité tout un extrait. Je disais que le texte cité de Rocher était très précis, puisque d'un côté il fixe une identité de présentation formelle et de l'autre il met en avant des différences. Sur la ressemblance formelle, rappelons que dans l'<i>Album zutique</i>, en s'inspirant quelque peu de revues de ce genre par Amédée Pommier, Rimbaud a conçu un sonnet énumératif, véritable suite pour l'essentiel de groupes nominaux, qui est un peu un modèle avant-coureur du système adopté dans "Voyelles". Mais, Rocher a raison d'identifier le modèle du poème "Les Phares", car dans le sonnet "Paris" nous n'avons pas ce système d'une mention suivie d'une énumération de groupes nominaux définitoires ou descriptifs. Dans "Paris", nous avons des énumérations, pas des mots définis par des énumérations.</div><div style="text-align: justify;">Pour les différences, notons aussi que Baudelaire n'épure pas son modèle, il dénoue un peu dans le cas du quatrain sur "Puget", son nom étant mentionné vers la fin du quatrain, ce qui crée une rupture du modèle et laisse même planer un doute sur l'analyse syntaxique des noms propres dans l'ensemble du poème "Les Phares", puisque la mention "Puget" a une forte allure d'apostrophe.</div><div style="text-align: justify;">Il y a autre chose. Rimbaud ne s'interdit pas les verbes dans des structures subordonnées, subordination qui permettent de conserver l'idée que le poème relève de la juxtaposition nominale et non de l'organisation verbale. Rimbaud arrive plus que Baudelaire à rendre minimales les insertions de verbes et de conjonctions de coordination. La différence est flagrante avec le premier quatrain sur "Rubens" du poème de Baudelaire. Les quatre premiers quatrains du poème "Les Phares" ont tous une subordonnée relative introduite par "où". Rimbaud n'emploie de subordonnées relatives que pour le "A noir" et le "U vert", et il évite l'emploi du "où" locatif pour privilégier des pronoms relatifs moins organisateurs de la vision : "qui bombinent", "qu'imprime l'alchimie". Ils sont organisateurs, mais pas de manière aussi caractérisée que le pronom "où". Baudelaire crée des images très organisés, les éléments énumérés sont disposés les uns par rapport aux autres, Rimbaud privilégie l'émiettement, le dissolu.</div><div style="text-align: justify;">Autre chose à observer. Rimbaud invente-t-il la couleur des voyelles ou invente-t-il les cinq voyelles couleurs de son premier vers ? Quand Rimbaud reprend "A", "E", "I", "U" et "O" pour introduire chaque série de visions, en réalité, il y a une nuance : "A" reprend "A noir", "E" reprend "E blanc", "I" reprend "I rouge", "U" reprend "U vert" et "O" reprend "O bleu". Rocher a l'air d'être sensible à ce problème, vu qu'il écrit ceci dans son article (page 420) :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote> La couleur des voyelles est ainsi déterminante dans cette alchimie, et le choix de ces dernières et de ces évocations associées est alors justifié par une orientation globale plutôt que par des propriétés intrinsèques quelconques (graphiques ou sonores) que Rimbaud aurait attribuées aux voyelles.</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Cela fait écho à ce que je dis dès l'article "Consonne" de 2003 sur "Voyelles", mais il y a ici une zone importante de conflit cérébral à bien cerner. Le concept de "A noir" ne se limite pas une réversibilité des notions "A" et "noir". Le "A noir" n'est ni vraiment la lettre A, ni vraiment la simple couleur noire, le "A noir", c'est comment dire ? c'est le "noir corset velu des mouches éclatantes..." ou bien les "Golfes d'ombre". Il faut sentir qu'il y a un jeu, le "A noir" n'est pas une entité clairement définie, ce n'est pas une lettre qui est noire, ce n'est pas un code où la couleur noire est un A, c'est une métaphysique et ça change tout. Et bien sûr, Rocher s'aligne sur ce que j'ai dit : l'importance des cinq éléments dans le dispositif d'ensemble, alors que les rimbaldiens s'intéressent trop exclusivement à considérer les propriétés intrinsèques de chaque élément.</div><div style="text-align: justify;">Philippe Rocher est visiblement le rimbaldien qui a le mieux compris ou qui est le plus proche de ma perception abstraite des éléments composant la théorie bien sûr ludique du sonnet "Voyelles". Il est le plus proche de ma lecture non terre à terre de l'organisation intellectuelle des voyelles couleurs à l'œuvre dans ce sonnet. Il y a une autre personne qui arrive à un haut degré d'abstraction, mais sinon les études rimbaldiennes de "Voyelles" sont désespérément terre à terre, ou alors elles sont directement de l'ordre de métaphysiques fumeuses sans support s'affrontant rigoureusement à la langue du poème.</div><div style="text-align: justify;">Philippe Rocher cite une troisième fois le poème "Les Phares" dans une note 13 au bas de la page 423 :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>Les liens avec "Les Phares" ne se limitent pas à la syntaxe. Outre l'adresse finale au "Seigneur", il y a aussi le quatrain sur Delacroix où la rime "anges :: étranges" et les "fanfares étranges" succédant à la complémentarité contrastée du "sang" et des "sapins toujours verts" synthétisent l'évolution d'ensemble de "Voyelles" jusqu'au tercet final. [...]</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Je reste sceptique sur le rapprochement pour le rouge et le vert, j'ai soutenu plus haut l'intérêt pour les images autour de la rime commune "anges :: étranges", et maintenant c'est cette "adresse finale au 'Seigneur' qui commence à vouloir retenir toute mon attention.</div><div style="text-align: justify;">Je cite rapidement la quatrième mention du poème "Les Phares", encore une fois dans une note de bas de page, la note 23 page 429, c'est intéressant, mais je ne commente pas, parce que ça se comprend en se lisant et que j'ai déjà traité le sujet plus haut, du moins sous l'angle de la comparaison avec "Les Phares", je voulais seulement citer ce passage par acquit de conscience avant de traiter l'adresse au Seigneur. La note veut préciser qu'entre "A noir" et "A, noir corset", il n'y a pas de répétition en tant que telle, et delà découle une idée plus générale sur la construction prédicative des cinq séries d'associations :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>Cette "répétition" n'en est pas vraiment une, dans la mesure où les modifieurs ont une fonction épithétique de "nature" dans le premier vers (cinq syntagmes nominaux) et une fonction prédicative (indiquée par une virgule) dans les associations imagées des vers suivants. Ce sont ces relations sujets-prédicats qui, pour une bonne part, déterminent, comme dans "Les Phares", les rapports métonymiques et métaphoriques entre les voyelles et les images qui leur sont liées.</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Maintenant, ce qui m'intéresse, c'est de peaufiner la comparaison d'ensemble entre "Les Phares" et le sonnet "Voyelles". Dans "Les Phares", nous avons huit quatrains qui sont autant de séries définitoires sur le même modèle que les vers 3 à 14 de "Voyelles", puis trois quatrains où en quelque sorte le poète reprend la parole organisée pour justifier les huit quatrains précédents. Il n'y a en revanche pas d'ouverture dans le poème de Baudelaire qui attaque directement par la première série. Le sonnet "Voyelles" inverse l'idée, nous avons deux vers d'introduction, et, en vérité, seul le second vers est de reprise en main du sens du poème par la parole explicative du poète : "Je dirai quelque jour vos naissances latentes", c'est la seule phrase verbale du poème, celle tout de même qui organise du coup l'ensemble, tandis que dans "Les Phares" nous avons des phrases sur l'espace de trois quatrains finaux. Et les phrases de Baudelaire sont une explication finale, conclusive, quand la phrase de Rimbaud est une forme d'introduction qui sent la dérobade. Notons tout de même un point de rapprochement entre le vers 2 introductif de Rimbaud et la conclusion de la pièce baudelairienne, puisque "Je dirai quelque jour vos naissances latentes" équivaut à justifier le poème en annonçant rendre un hommage. Je vais citer les trois derniers quatrains du poème "Les Phares" plus bas, donc vous allez pouvoir bientôt faire la comparaison. Je m'empresse de signaler aussi que l'avant-dernier quatrain des "Phares" a l'intérêt, notamment avec la répétition de "mille", d'offrir une amplification d'un "écho" ou "cri" quelque peu comparable aux "strideurs étranges". Je ne peux manque de souligner que le mot "éternité" clôt le poème de Baudelaire, mot qui devient le titre d'un poème de Rimbaud, poème célébrant une aube soit dit en passant, et poème de peu postérieur à la composition de "Voyelles" que les états manuscrits et les rapprochements avec "Les Mains de Jeanne-Marie" invitent à considérer comme datant approximativement du mois de février 1872, quand "L'Eternité" date de mai de la même année. La notion d'éternité implique tout comme la mention à majuscules "Ses Yeux" l'idée du divin, idée déjà appuyée par l'allusion à la trompette du jugement dernier dans "Suprême Clairon" (avec citation hugolienne à la clef). J'ajoute que dans "L'Eternité" nous avons une "âme sentinelle" qui fait écho aussi aux "mille sentinelles" du poème baudelairien.</div><div style="text-align: justify;">Or, si le vers 2 de "Voyelles" fait écho à l'idée d'hommage du témoignage dans les derniers quatrains des "Phares", le dernier tercet de "Voyelles" est finalement l'intégration dans les séries visuelles de l'idée conclusive du poème de Baudelaire que pour sa part il a tenue en-dehors des huit quatrains d'associations d'idées. Au passage, on pourrait comparer "Ses Yeux" à la mention latin "Te Deum".</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i>Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Sont un écho redit par mille labyrinthes ;</i></div><div style="text-align: justify;"><i>C'est pour les cœurs mortels un divin opium !</i></div><div style="text-align: justify;"><i><br /></i></div><div style="text-align: justify;"><i>C'est un cri répété par mille sentinelles,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Un ordre renvoyé par mille porte-voix ;</i></div><div style="text-align: justify;"><i>C'est un phare allumé sur mille citadelles,</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois !</i></div><div style="text-align: justify;"><i><br /></i></div><div style="text-align: justify;"><i>Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Que nous puissions donner de notre dignité</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge</i></div><div style="text-align: justify;"><i>Et vient mourir au bord de votre éternité !</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Visiblement, Hugo et Baudelaire sont les deux poètes que Rimbaud médite le plus attentivement pour composer "Voyelles" et plusieurs autres poèmes de cette époque. Je m'empresse de rappeler que le poème "Les Phares" est à proximité du sonnet "Les Correspondances" dans l'économie du recueil des <i>Fleurs du Mal</i>, version de 1861 ou version de 1868. J'avais déjà donné par le passé sur le forum "poetes.com" aujourd'hui disparu une longue liste d'influences possibles des poèmes de Baudelaire sur "Voyelles" de Rimbaud, bien avant mon article de 2003, et j'avais notamment souligné qu'un nombre considérable de poèmes des <i>Fleurs du Mal</i>, sonnets ou non, se terminaient par une mention saisissante d'un regard, d'yeux.</div><div style="text-align: justify;">Dans "Voyelles", le vers final déplace quelque peu les lignes, puisque au-delà de l'hommage qu'est le poème la divinité pose son regard sur le poète, échange un contact avec lui. Les "phares" dressés par les hommes rendaient témoignage, Rimbaud capte directement la lumière et le regard créateur de la divinité.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;"><i>Nota bene</i> : Cornulier est un excellent rimbaldien, mais il y a des points qui ne passeront jamais : dater absurdement "Juillet" de 1873 ou 1874 au lieu de l'été 1872, imaginer absurdement que les "Yeux" à la fin de "Voyelles" sont ceux du poète lui-même, refuser d'analyser les allusions aux vers dans la prose des <i>Illuminations</i>, ne pas passer d'un coup d'un seul à une lecture métrique forcée des vers de 1872, il est humain, il n'est pas parfait, il ne faut pas avoir peur de le contredire.</div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-27671902395355173772024-02-17T04:34:00.000-08:002024-02-17T07:51:58.142-08:00Vierge folle, retour sur les lectures croisées de Brunel, Vaillant et Bardel<div style="text-align: justify;">Je voulais revenir sur plusieurs points. Dans le prochain numéro de la revue <i>Parade sauvage</i> dont nous pouvons consulter le sommaire, non seulement nous apprenons qu'Alain Vaillant fait partie du comité scientifique de la revue, non seulement nous découvrons qu'Alain Bardel y publie deux articles, non seulement nous découvrons qu'il y figure le compte rendu de deux ouvrages ayant Alain Bardel pour éditeur, non seulement deux comptes rendus sont rédigés par Alain Bardel lui-même, mais un fait complémentaire avait échappé à mon attention : Alain Bardel rend lui-même compte de deux ouvrages sur <i>Une saison en enfer</i>. Et il faut encore ajouter qu'il y a un compte rendu du <i>Dictionnaire Rimbaud</i> codirigé par Alain Vaillant où figurent plusieurs articles d'Alain Bardel, dont celui sur "Voyelles" même.</div><div style="text-align: justify;">C'est du lourd quand on y réfléchit.</div><div style="text-align: justify;">Normalement, les comptes rendus des livres sur <i>Une saison en enfer</i> de Patti Smith, de Yannick Haenel et de Grégoire Beurier auraient dû être confiés à une tierce personne. Vous avez à côté deux comptes rendus de deux livres édités par Bardel, dont un compte rendu d'un essai. Sur les deux articles de Bardel publiés dans la revue, l'un porte sur <i>Une saison en enfer</i> : "Les 150 ans d'<i>Une saison en enfer</i> et le fantôme d'Isabelle Rimbaud". Cette abondance confère une légitimité à Bardel qui n'est pas normale. Pourquoi ne rend-il pas compte de son propre essai tant que nous y sommes ? Puisque, de toute façon, le côtoiement de l'article et des deux comptes rendus sur <i>Une saison en enfer</i> le place en spécialiste exclusif de la revue <i>Parade sauvage</i>. Le compte rendu de l'essai de Bardel peut être signé par Mendél Péladeau-Houle ou Amélie Oudéa-Castéra, la messe est dite.</div><div style="text-align: justify;">J'observe de plus que Yann Frémy, précédent codirecteur de la revue <i>Parade sauvage</i>, a fixé pendant des années un autre statut de spécialiste prédominant sur <i>Une saison en enfer</i> dans le comité rédactionnel de la revue <i>Parade sauvage</i>. Mais, au moins, quand il y avait Yann Frémy, il y avait une diversité de voix qui s'exprimaient. Certes, par en-dessous, Frémy pilotait des choses, mais là ça devient hallucinant. Toute une revue est mise au pas par quelqu'un qui possède déjà comme moyen d'influence son propre site internet, on a une confusion maximale des genres, puisque Bardel fournit à la fois des articles au milieu des travaux de chercheurs et en même temps il arbitre les interprétations par des comptes rendus soit sur son site internet, soit dans la revue. Tout, absolument tout est mis au pas sur <i>Une saison en enfer</i>. Dans le <i>Dictionnaire Rimbaud</i>, on lui a confié l'article sur "Voyelles", le poème par excellence où se joue la difficulté de séparer la réflexion de chercheur et le compte rendu consensuel. On me dira que Bardel n'est pas important malgré la part qu'on lui donne et que je dois passer à autre chose. Moi, en 2023 et 2024, je vois un renforcement d'une influence bizarre, et les rimbaldiens le citent abondamment qui plus est. Alors, on peut voir les choses par l'autre bout de la lorgnette. Si Bardel s'occupe de "Voyelles" et d'<i>Une saison en enfer</i>, c'est que strictement aucun rimbaldien ne se considère compétent pour se risquer à formuler une opinion publique sur ces deux œuvres. Ce n'est pas mal non plus comme révélation ! Je continuerai à souligner ce qui doit l'être.</div><div style="text-align: justify;">Dans les nombreux articles sur <i>Une saison en enfer</i> que je viens de mettre en ligne ces derniers mois, j'ai montré à plus d'une occasion qu'il n'y avait pas de véritable analyse de la signification d'<i>Une saison en enfer</i>. J'ai montré qu'une partie des notes accompagnant le fac-similé de l'édition originale du début de "Alchimie du verbe" étaient de l'ordre de la paraphrase de remplissage. Ainsi, pour : "A moi. L'histoire d'une de mes folies[,]" on ne va pas dire merci pour la glose : "Je prends la parole à mon tour. Voici l'histoire d'une de mes folies."</div><div style="text-align: justify;">Et oui ! quand le poète annonce "l'histoire d'une de [s]es folies", il développe "en effet une 'histoire' ". Oui, une phrase comme : "je croyais à tous les enchantements", "souligne sa tendance à se nourrir d'illusion", La Palice n'aurait pas dit mieux, Rimbaud dira plus loin "se nourrir de mensonge", et oui, cela souligne aussi "sa prédisposition à la 'folie', annoncée par la première phrase du texte, et celle au 'délire' annoncée par le titre." Si un poème s'intitule "Soleils couchants, cela favorisera certainement la phrase de commentaire suivante : cette description de soleils bas qui brillent de diverses couleurs dans le ciel et qui disparaissent à l'horizon correspond à la vision de multiples couchants, comme cela est annoncé dans le titre "Soleils couchants".</div><div style="text-align: justify;">Le livre <i>Une saison en enfer ou Rimbaud l'Introuvable</i> est de 195 pages, mais si j'écarte le fac-similé, les pages blanches, le sommaire, pages de faux-titres, illustrations, la bibliographie, etc., moins de 130 pages, et si j'enlève encore les demi-pages vierges, les graphiques on est à 125 pages environ.</div><div style="text-align: justify;">Sur ces 125 pages, on a des parties dont la rédaction se fonde sur des travaux antérieurs, ce qui réduirait encore la part d'investissement, notamment l'introduction et les notes en vis-à-vis du fac-similé. Si on compare avec les livres de Brunel, Nakaji, Bandelier, Frémy sur <i>Une saison en enfer</i>, on a un spécialiste exclusif d'<i>Une saison en enfer</i> qui n'est pas particulièrement profus. J'ajoute que bien des notes sont le reflet d'une lecture des notes des éditions antérieures. Par exemple, à propos de "l'assomption [du] petit ami", Bardel écrit à la page 142: "C'est évidemment par moquerie à l'égard du pieux Verlaine que Rimbaud lui prête cette idée blasphématoire." Outre que Verlaine n'était pas "pieux" à cette époque et outre qu'il n'y a aucun dégagement des visées de sens du texte (voir plus bas ce que nous nous développons), le terme "blasphématoire" est repris des notes de Jean-Luc Steinmetz dans une au moins de ses éditions en Garnier-Flammarion. J'ai son volume des <i>Œuvres complètes</i> d'Arthur Rimbaud de 2010 <i>sous main</i> et il donne la vue suivante sur le passage de l'assomption : "[...] le terme, quoique doublement impropre, est particulièrement blasphématoire."</div><div style="text-align: justify;">Un autre passage m'a paru étonnant dans l'annotation. C'est à propos du passage suivant de la confidence de la Vierge folle : "D'ailleurs, je ne me le figurais pas avec une autre âme : on voit son Ange, jamais l'Ange d'un autre, - je crois. J'étais dans son âme comme dans un palais qu'on a vidé pour ne pas voir une personne si peu noble que vous : voilà tout." Bardel glose ainsi la première phrase : "Comprendre : avec un autre partenaire que moi." Et plus loin, le commentaire accentue cette orientation forcée de la lecture (injonction à l'impératif "Comprendre") : "[...] elle est faite pour lui et, lui, fait pour elle : 'je ne me le figurais pas avec une autre âme'. Ils sont inséparables, 'dépendants' l'un de l'autre, comme chacun, selon l'enseignement du catéchisme, est inséparable de l'ange gardien qui veille sur lui partout et toujours."</div><div style="text-align: justify;">J'ai été surpris, parce que jamais de ma vie je n'ai lu ainsi la phrase : "je ne me le figurais pas avec une autre âme". Pour moi, le sens littéral exclusif de la phrase est le suivant : "je ne me représentais pas l'Epoux infernal avec une autre âme que celle que je lui voyais." Le verbe "figurer" ne convient pas pour soutenir la lecture de Bardel. Et puis, il y a le double point qui introduit une phrase explicative sur le fait de ne jamais voir l'Ange d'un autre, ce qui se raccorde assez mal avec l'idée qu'elle ne le voyait pas le tromper avec quelqu'un d'autre. Qui plus est, ce passage est à rapprocher de "Conte", ce que je fais depuis trente ans. Dans "Conte", on a un récit sur l'impossibilité de découvrir une autre âme, un autre Ange en soi : "Le Prince était le Génie. Le Génie était le Prince[,]" après un massacre des femmes dans les palais personnels du Prince par le Prince lui-même, qui est noble par définition et tue parce que les femmes et les gens qui le suivent ne sont pas dignes de lui. Il faut ajouter que l'image du palais mériterait des recherches de sources éventuelles. Sans oublier d'évaluer au passage, la vision du "trône" au ciel dans "Bénédiction", l'envol en rejet du monde dans "Elévation" et le décor de "La Vie antérieure", j'en ai une possible dans "Châtiment de l'orgueil" au début des <i>Fleurs du Mal</i> : où l'intelligence du damné était "Temple autrefois vivant, plein d'ordre et d'opulence, / Sous les plafonds duquel tant de pompe avait lui."</div><div style="text-align: justify;">Je me suis demandé d'où venait la lecture terriblement réductrice de Bardel. Je constate que dans l'édition critique d'<i>Une saison en enfer</i> par Pierre Brunel, nous avons une note similaire, mais pour un autre passage de Vierge folle, note un peu mise en relief puisque tout en bas de la page 225 : "l. 115 Il ne connaît personne (d'autre que moi.)" Cela ressemble à s'y méprendre à la glose bardélienne, sauf que si on se reporte à la ligne 115 de l'édition critique il ne s'agit pas du tout du même passage : "Ah ! je n'ai jamais été jalouse de lui. Il ne me quittera pas, je crois." On dirait que de manière impropre Bardel s'est inspiré de cette note et l'a reportée à un autre passage.</div><div style="text-align: justify;">Dans le cas de "Vierge folle", j'ai déjà souligné que la lecture biographique déroulée était au ras des pâquerettes. Il est acquis que Rimbaud est un génie de la poésie, donc on va identifier simplement des références biographiques dans "Vierge folle" et n'y voir que des railleries de mauvais couple. Voilà ce qu'en fait de haute poésie, on nous donne à comprendre : "Rimbaud en veut à Verlaine d'avoir la foi, il ne peut plus l'aimer, il se moque de lui et se casse", ou : "Rimbaud se plaint de ne pas trouver une âme qui lui corresponde, il est difficile, le Rimbaud ! Il ne se prend pas pour de la merde !"</div><div style="text-align: justify;">Pour le passage sur l'assomption, la seule lecture envisagée, c'est que Rimbaud se moquerait encore et encore de la religiosité de Verlaine. La "Vierge folle" dont il est affirmé qu'elle est Verlaine sans reste parle toujours au premier degré, elle est incapable d'ironie : "Un jour peut-être il disparaîtra merveilleusement ; mais il faut que je sache, s'il doit remonter à un ciel, que je voie un peu l'assomption de mon petit ami !" L'adverbe "merveilleusement" doit nous mettre la puce à l'oreille. Tout au long de son récit, la Vierge folle a exprimé avoir des doutes sur les pouvoirs magiques de l'Epoux infernal, voire sur ses prétentions à posséder l'omniscience : "Il feignait d'être éclairé sur tout", "tout le décor, dont en esprit, il s'entourait", "comme il aurait voulu le créer pour lui", "des secrets pour <i>changer la vie</i> ? Non, il ne fait qu'en chercher", "Il ne me rendait pas meilleur", "Il l'a faite vingt fois, cette promesse d'amant. C'était aussi frivole que moi lui disant : "Je te comprends." Et ça continue : "Il veut vivre somnambule", "Ou je me réveillerai, et les lois et les mœurs auront changé", "grâce à son pouvoir magique", "Il ne peut pas", "S'il était moins sauvage, nous serions sauvés !"</div><div style="text-align: justify;">J'ai une impression similaire avec le poème "Le Voyage" qui clôt <i>Les Fleurs du Mal</i>. Apparemment, je suis le seul au monde à percevoir l'ironie amère du dernier quatrain. On est dans la même configuration, exactement la même. Dans "Le Voyage", le poète toujours lassé de l'ici se propose systématiquement de relancer un nouveau voyage, et à chaque fois il est déçu, et en toute fin de poème il se fixe un dernier voyage, dernier puisque c'est la fin de l'ouvrage et c'est le suicide. Et ce suicide va se faire dans l'optique de découvrir du nouveau, de l'inconnu. Et comme tous les autres voyages appartenaient au passé, et celui-ci par le suicide appartient au futur on a des lecteurs de Baudelaire qui lisent ça au premier degré. Il en a tellement marre qu'il veut découvrir le nouveau par-delà la mort, alors que, normalement, le bon lecteur c'est celui qui prend la mesure de l'instabilité du récit. Baudelaire a passé son temps dans l'écriture des 144 alexandrins du "Voyage" à nous dire que le projet toujours relancé de découvrir du nouveau a toujours été déçu. Donc, au lieu de simplement dire que Baudelaire manifeste avec crânerie l'idée hyperbolique de se tuer pour voir s'il y a du nouveau dans un autre monde (ce qu'au passage il n'a pas fait au plan biographique et qui suffit à mettre la puce à l'oreille), il faut y voir un quatrain de pure amertume. Je croyais que c'était une lecture normale des lecteurs de Baudelaire et je me suis rendu compte que pas du tout. Je lis les annotations, les commentaires, ils sont tous à dire que cette quête de nouveau dans l'inconnu est le mot d'ordre. Mais, c'est le mot d'ordre dès le premier vers du "Voyage", et au bout du parcours on en tire une leçon d'exhaustion, non ? Je ne sais pas ! Je ne vous comprends pas bien.</div><div style="text-align: justify;">Ici, dans "Vierge folle", il n'y a pas la revue complète des cas, mais on retrouve la pointe cime ironique du "Voyage", du moins si vous lisez "Le Voyage" comme je le fais moi, et pas comme les autres, puisque quand je lis le dernier quatrain du "Voyage", il y a un pari sur l'au-delà, mais avec un fort sentiment que c'est plutôt la fin de tout voyage. C'est pareil dans le récit de la "Vierge folle", l'Epoux infernal est décrit comme cherchant à s'évader à tout prix de la réalité, et la Vierge folle se demande pourquoi. Et il est question de la mort qui fait repentir, dans la bouche même de l'Epoux infernal : "Parfois, il parle, en une façon de patois attendri, de la mort qui fait repentir". Il parle aussi des "départs qui déchirent les cœurs". Et bientôt, la Vierge folle nous apprend qu'il menace de la quitter. Elle appréhende avec effroi cette perte. Alors, certes, tout au long du récit, il y a une instabilité où à la fois elle croit en la magie de l'Epoux infernal, et en même temps elle s'en défie, exprime des doutes. Mais, à la fin du récit, on a des rimbaldiens qui gomment cette instabilité fondamentale de la lecture, comme les baudelairiens gomment l'amertume des constats d'échecs à la lecture des quatrains finaux suicidaires des <i>Fleurs du Mal</i>. Certes, dans son esprit confus, la Vierge folle peut bien espérer voir son Epoux infernal monter au ciel et confirmer ainsi la réalité des pouvoirs dont il a fait miroiter la possession devant elle, mais bien sûr qu'elle a des doutes et de la rancune aussi. Le récit est de repentance, il est adressé au "Seigneur" et c'est au Seigneur qu'elle parle de l'Epoux infernal. Comme dirait Bardel, les mentions à la troisième personne "il" ou "mon petit ami", etc., montrent que la Vierge folle parle au Seigneur du début à la fin de sa confession, comme si l'Epoux infernal n'était pas là. Et moi, j'ajoute, parce que je vais quand même un peu plus loin dans l'évidence de base, je précise qu'elle semble avoir parlé sans se rendre compte que l'Epoux infernal a tout entendu, elle ne le croyait pas présent, mais il espionnait. Il faudra que je vérifie si jamais un rimbaldien a fait remarquer cette configuration d'espionnage. Il n'y a aucun mérite à le mettre à jour, mais je me demande carrément si ça a jamais été fait.</div><div style="text-align: justify;">Enfin, bref ! La Vierge folle a des doutes tout au long de son récit, donc on peut quand même considérer qu'avec les mentions "peut-être" et "merveilleusement" elle ironise sur le pouvoir de l'Epoux infernal. De plus, elle a peur foncièrement de le perdre, ce qui veut dire que le désir d'assister à son assomption est contradictoire. Quand la Vierge folle penche du côté du pôle Epoux infernal, elle exprime un désir de présence, de compagnie : "Tout de suite, je me pressentais, lui parti, en proie au vertige, précipitée dans l'ombre la plus affreuse : la mort." Cette attirance est décrite au passé, et à présent elle se confesse à Dieu et rejette l'Epoux infernal. Mettons qu'elle soit hypocrite, le simple fait que son discours soit adressé à Dieu suppose qu'elle ne va pas manger le morceau en lui disant que décidément elle renonce à être sauvée par le Seigneur et replonge. Il es malgré toutt évident qu'avec l'Epoux divin comme confident elle ironise sur une mort permettant à l'Epoux infernal de monter au ciel. Oui, il y a un peu des deux, elle est confuse, mais quand même le sens ironique doit primer. Tout le contexte porte à ce constat. Et ce n'est pas tout. Elle emploie le mot "assomption" qui convient à l'enlèvement de Marie par les anges. Or, elle venait de décrire dans des propos rapportés entre guillemets, donc bien mis en relief, bien sacrés d'importance, que l'Epoux infernal lui reprochait de la faire mourir en abusant de sa charité. Et cela dans une identification à une prostituée Marguerite Gautier peinte en Marie se sacrifiant d'amour dans <i>La Dame aux camélias</i>. La Vierge folle a passé son temps à expliquer que l'Epoux infernal avait une "charité" comme "ensorcelée", elle a expliqué ses anomalies de raisonnement où il se disait "charitable", mais frivolement pour la confiner dans un "paradis de tristesse". Il lui annonce qu'il veut l'abandonner pour aller en aider d'autres, autrement dit pour aller voir ailleurs si on se met à la lecture de Bardel et de Brunel, et elle n'aurait pas de rancune. Evidemment qu'il y a de l'ironie à la fin de la confession. Evidemment qu'elle sait mettre un petit coup de griffe ! C'était un coup de griffe aussi violent quand elle disait qu'il ne faisait que chercher des moyens de changer la vie.</div><div style="text-align: justify;">Pourquoi faire de la Vierge folle un personnage dont l'analyse est à encéphalogramme plat ?</div><div style="text-align: justify;">J'ai pris la peine de vérifier les études de Brunel dans son édition critique de 1987 et dans ses notes pour l'édition du centenaire "Œuvre-Vie". Et, en fait, Brunel ne décèle lui non plus aucune ironie dans la réplique finale de la "Vierge folle" : "Si la Vierge demande à voir l'assomption de son petit ami, c'est parce qu'elle voudrait s'en assurer. Elle est de ceux qui, comme Thomas, ont besoin de voir pour croire." Brunel n'aurait pas ajouté l'allusion à saint Thomas, le commentaire ne serait rien d'autre qu'une paraphrase du sens littéral. Il paraît que c'est mal de proposer de la paraphrase en guise de commentaire. Moi, je constate que des écrits critiques de référence s'en contentent et ne vont pas plus loin. Quant à l'allusion à saint Thomas, est-ce qu'elle a sa place ici ? Est-ce que le propos de l'Epoux infernal en nous offrant la copie du discours qu'il a entendu veut reprocher à la Vierge folle ce manque de foi à la saint Thomas ? Non ! Certes, ça l'arrangerait et il peut donner du "avec votre confiance seulement, je serai content", mais on voit bien que la visée de sens de "Vierge folle" n'est pas du tout de cet ordre-là. Dans l'édition du centenaire, la note lacunaire fournie par Brunel ne s'accompagne pas d'une prise de position précise, à défaut cela équivaut à une acceptation de lire au premier degré les propos de la "Vierge folle" : "L'assomption est l'enlèvement de la Vierge au ciel par les anges."</div><div style="text-align: justify;">Alors, il y a d'autres passages où je n'accepte pas comme évidentes les lectures fournies par Bardel, Brunel et Vaillant. Pour la variation verbale : "Je suis veuve, j'étais veuve", non la Vierge folle ne parle pas d'un côté de l'Epoux divin, de l'autre de l'Epoux infernal, comme le soutenait Brunel en 1987. Et il ne s'agit pas non plus d'un cafouillage de Verlaine qui ne saurait plus où il en est dans son ménage avec Mathilde, comme l'écrit Bardel. Vaillant en 2023 soutient que c'est "un écho aux <i>Mémoires d'un veuf</i>" (page 86), titre d'un livre de Verlaine qui date de 1886, quand <i>Une saison en enfer</i> date de 1873. Et dans son édition des <i>Œuvres complètes</i> en Garnier-Flammarion, Steinmetz nous offre une note sidérante, puisqu'il donne une information de qualité, avant de tout rabattre contradictoirement sur Verlaine (Note 1, page 359) :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>[...] dans plusieurs poèmes de 1872, Rimbaud parle de veuvages ou de veuve, notamment dans "Vies II" et la "Chanson de la plus haute Tour", où l'on rencontre aussi l'expression "la si pauvre âme" (présentée ici comme une citation). Ces termes appartiennent évidemment au vocabulaire verlainien, repris et souvent moqué par Rimbaud.</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Le commentaire de Steinmetz n'aura de valeur que s'il fournit des occurrences verlainiennes antérieures à Rimbaud, non ? Et encore, les exemples rimbaldiens continueraient de faire contrepoids.</div><div style="text-align: justify;">Je passe à ma lecture du changement verbal de "Je suis veuve" à "J'étais veuve", lecture que je croyais faite par tout le monde spontanément, je ne faisais pas attention à ce qu'écrivaient les rimbaldiens à ce sujet.</div><div style="text-align: justify;">Je mets en contexte : la Vierge folle s'adresse à l'Epoux divin, elle le sollicite à l'instant même "Un peu de fraîcheur" et enchaîne par cette fameuse variation : "Je suis veuve... - J'étais veuve..." Je n'ai plus le nom de la figure de style en tête, mais il s'agit d'une ressaisie. Et la suite du texte permet de n'avoir aucun doute sur la signification : "j'ai été bien sérieuse jadis, et je ne suis pas née pour devenir squelette". Elle dit qu'elle est perdue, mais qu'elle n'est pas perdue à jamais. Elle ne sera veuve que si tout retour à Dieu est mort. Or, elle s'adresse à lui, implorante ! Je suis veuve Dieu, puisque je me suis perdue, ah non, je travaille au rachat de mes péchés, je laisse la pourriture derrière moi, je ne veux plus être veuve, je ne le suis plus ! La lecture n'a rien d'extraordinaire. C'est du b.a-ba.</div><div style="text-align: justify;">Je ne savais même pas que cette variation était incomprise des rimbaldiens. J'ai cru rêver quand j'ai lu les explications tour à tour de Brunel, de Steinmetz, de Vaillant et de Bardel.</div><div style="text-align: justify;">Revenons enfin sur la problématique d'identification de la "Vierge folle". Voici ce qu'écrivait Brunel dans l'édition du Centenaire, vu que nous avons alors droit à une belle page de présentation du problème. Il y a "trois catégories" de "commentaires" : "1) Les interprétations biographiques qui font de Rimbaud l'Epoux infernal et de Verlaine la Vierge folle". Suzanne Bernard, Yves Bonnefoy et Jean-Luc Steinmetz sont cités comme trois tenants de cette lecture, lecture en réalité majoritaire qui aurait pu être associée à d'autres noms de la critique rimbaldienne. Brunel concède son importance : "[...] ces interprétations biographiques conservent tout leur crédit[,]" "2) Les interprétations symboliques." Brunel cite "Marcel-A. Ruff (1968), approuvé par Antoine Adam (1972)" et "la Vierge folle serait 'l'âme du premier Rimbaud, soumise et tournée vers Dieu, mais qui, comme dans la parabole, n'avait pas la réserve d'huile suffisante, et qui est maintenant entraînée par le Rimbaud libéré, devenu pour elle l'Epoux infernal". Il me faudrait lire directement les écrits de Ruff et d'Adam. Brunel ajoute cette remarque : "Ce type d'interprétation avait été inaugurée en 1931 par Raymond Clauzel." J'ignore tout de cette dernière référence. Notons que dans la présentation concise de cette thèse fournie par Brunel on voit tout de suite le problème. Le récit ne parle pas du tout d'un manque de quelque chose équivalent à l'huile de la Vierge folle et ne met pas du tout en scène un premier Rimbaud face à un Rimbaud libéré. Cette deuxième thèse de lecture crée un système étranger à la composition rimbaldienne pour lui apporter le sens souhaité, ce qui n'est pas une démarche recevable. Avant de citer la troisième catégorie fournie par Bardel, j'ajoute une remarque étrange de Steinmetz dans son édition des <i>Oeuvres complètes</i>. Steinmetz rattache cette deuxième thèse à Claudel, mais de manière peu cohérente. En réalité, Steinmetz prend prétexte de la mention de cette thèse pour citer un passage de Claudel et il enchaîne comme si le passage de Claudel était la source de cette thèse (page 359) :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>[...] Certains croient qu'il s'agit de Rimbaud en lutte contre lui-même : en somme, u ndialogue entre Animus et Anima, pour reprendre la parabole inventée par Claudel dans ses "Réflexions et propositions sur le vers français" [...] "pour faire comprendre certaines poésies d'Arthur Rimbaud". Toutefois, il est plutôt admis que la viege folle représente le faible Verlaine et que l'époux infernal est Rimbaud en personne. Le débat du texte semble le prouver.</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Je reviens à la note de Brunel, page 421 de l'édition du centenaire : "3) Les interprétations narratologiques qui 'cherchent des liens internes, une structure intratextuelle du récit, avec la conviction que, même si le texte donne quelque éclaircissement sur la personnalité et la pensée de l'auteur, ce ne serait qu'à la suite de la logique qui règne à l'intérieur du texte' (Y. Nakaji, 1987), ou qui font observer que la Vierge folle, comme l'Epoux infernal, ressemble au narrateur du début (D. Bandelier, 1988)." Et Brunel ajoute : "Il paraît prudent de n'exclure aucune de ces hypothèses pour éclairer un texte aux significations multiples."</div><div style="text-align: justify;">Admirez au passage que Bandelier ait fait remarquer que la Vierge folle ressemblait au "narrateur du début" !</div><div style="text-align: justify;">Pour moi, la lecture symbolique de Ruff et Adam peut être abandonnée, elle n'est pas assez étayée, elle ne s'affronte pas suffisamment au texte et elle est en tension contradictoire avec le texte lui-même. Je pense qu'on peut l'abandonner. Mais, Brunel souligne l'existence d'une troisième catégorie qui, elle, peut légitimement faire cortège à la thèse de lecture biographique. Cette troisième catégorie est lestée de mots qui sentent l'approche structuraliste démonétisée : "narratologiques" et "intratextuelle", mais il n'en reste pas moins que le sens d'un texte doit être produit par le texte lui-même, et non pas par les apports extérieurs des commentaires, les éléments biographiques étant des apports extérieurs au texte en tant que tels. Bandelier a effectivement proposé une étude résolument structuraliste, étonnamment indifférente à la signification. Le cas est différent pour la thèse de Nakaji où de vraies interrogations sont posées sur la signification d'<i>Une saison en enfer</i>. Et pour éviter le renvoi de cette catégorie au structuralisme, je m'empresse de parler des allusions à Alexandre Dumas fils. Dans son édition critique, Brunel fait deux allusions à <i>La Dame aux camélias</i> et puis une troisième au moment d'identifier le renvoi à "Armand Duval" dans les propos de l'Epoux infernal, et Brunel dit étrangement qu'il a bien fait à deux autres reprises de faire des rapprochements avec <i>La Dame aux camélias</i>, vu que maintenant il relève une allusion directe à ce roman adapté ensuite au théâtre. Et Brunel répète dans son édition critique de 1987 comme dans l'édition du centenaire de 14991 que l'adaptation théâtrale a été jouée à Londres en juin 1873, au plus près de l'époque de composition du récit intitulé "Vierge folle". Or, la référence à Dumas fils était connue depuis longtemps et c'est parce qu'il la connaissait que Brunel a pensé à faire deux autres rapprochements à la lecture de "Vierge folle".</div><div style="text-align: justify;">Mais, ce que moi je veux mettre en avant, c'est que comme Verlaine à cette époque s'intéressait de près aux pièces de Dumas fils Rimbaud a trouvé là un sujet de réflexion sur l'homme et la femme dont il a voulu traiter avec sa pensée propre dans un ouvrage de poète voyant. Au plan du courrier de Verlaine, il s'agissait de pièces de théâtre que celui-ci avait la possibilité de voir et qui étaient un plus intéressantes que les autres. Les grandes pièces de théâtre françaises du troisième quart du dix-neuvième siècle, en-dehors de celles inédites de Victor Hugo du <i>Théâtre en liberté</i>, quelles sont-elles ? Dumas fils s'intéresse au problème de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, au châtiment de l'adultère, à sauver la famille, la morale, etc., selon des vues siennes, etc. Rimbaud ne parle pas d'homosexualité dans <i>Une saison en enfer</i>. Les tenants de cette lecture (Vaillant, Bardel) admettent que le seul argument est la forme masculine du mot "compagnon" pour introduire le discours de la Vierge folle. Or, en 1867, Verlaine a publié dans la revue <i>Le Hanneton</i> un récit intitulé "Le Poteau" où on pourrait croire qu'il parle de Rimbaud de manière cryptée : condamnation par contumace pour un meurtre par enlèvement et vie à Charlestown aux Etats-Unis, alors que non la nouvelle a été publiée telle quelle avant la rencontre entre Rimbaud et Verlaine, et dans cette nouvelle la femme enlevée est nommée "compagnon". On me soutiendra que c'est la preuve que Verlaine veut faire entendre que son récit parle d'homosexualité. Mais bon il y a un moment il faut dire halte à la mauvaise foi.</div><div style="text-align: justify;">Cette prétendue preuve étant fragilisée, je reviens sur le sujet. Il est clair que Rimbaud a connu une expérience de couple avec Verlaine et qu'il en rend compte quelque peu dans "Vierge folle", mais il n'en rend pas compte scrupuleusement et de manière fouillée. Il a choisi des aspects qu'il a mis en avant et pas d'autres. Le récit de "Vierge folle" n'a rien à voir avec la lecture d'une biographie de Rimbaud et de Verlaine pour la période 1871-1873. On voit bien que les recoupements sont partiels. Rimbaud se sert d'un matériau biographique, il a certainement envie aussi d'épingler des considérations biographiques, mais il ne fait pas du biographique le tout de son récit.</div><div style="text-align: justify;">Face à Rimbaud, Verlaine, plus d'une fois, va mettre en récit et en poésie l'idée d'une relation de deux hommes, se dressant dans leur vie de couple singulière face à la société réprobatrice : "roman de vivre à deux hommes", etc. Le récit des <i>Romances sans paroles</i> se nourrit du triangle amoureux biographique vécu par Verlaine avec d'un côté son épouse et de l'autre Rimbaud, et il contient plusieurs allusions cryptées ou fines à l'homosexualité. Mais, dans le cas du récit <i>Une saison en enfer</i>, nous n'avons rien de tel. Rimbaud ne fournit pas les indices d'une lecture codée en ce sens. Il faut ajouter que le problème de l'homosexualité face à la société, c'est un problème de discrimination ou d'acceptation. Or, le propos de Rimbaud dans plusieurs poèmes en prose des <i>Illuminations</i> ou dans <i>Une saison en enfer</i>, c'est de parler de la vérité en amour des couples qui se forment. Il n'y a aucune raison logique d'opposer l'homosexualité à l'hétérosexualité. Cela n'a strictement aucun sens. Et si tel était le cas, la majorité des lecteurs ne se sentirait pas concernée. Ce serait même risible : le problème de Rimbaud à avoir une relation épanouie avec Verlaine, mais ça n'a pas d'intérêt littéraire. Les gens vont lire ça et dire : "Mais c'est votre problème, on s'en fout !" Il est évident que Rimbaud parle d'amour au sens général. Il n'a aucune raison de remplacer l'image habituelle du couple homme et femme. Ce serait contre-productif.</div><div style="text-align: justify;">Sinon, avec les idées d'un Epoux infernal trop "sauvage" et la remise en cause de la "morale", outre qu'il y a à dire sur les pièces moralisatrices et voulues paradoxalement édifiantes de Dumas fils, il y a un vieux motif révolutionnaire derrière. Je ne peux pas m'empêcher de penser aux phrases du réactionnaire Burke sur la Révolution française : la victoire du sauvage contre la civilisation, un renversement de la morale. Je n'ai pas les citations sous la main, mais ce serait bien de les faire, parce que ça a beaucoup de sens par rapport au discours de notre poète de "mauvais sang" qui tient tout de la "déclaration des droits de l'homme".</div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-43749275747873367362024-02-12T17:12:00.000-08:002024-02-12T17:18:15.767-08:00Mais qui est l'Epoux infernal par rapport à la Vierge folle ?<div style="text-align: justify;">Tout à l'heure, en librairie, je suis tombé sur la biographie de Jeancolas sur Rimbaud. J'ai feuilleté, parcouru quelques paragraphes, et j'ai trouvé ça bien affligeant. A l'époque où il a publié son livre, ça passait encore, mais il devient criant qu'on ne peut pas laisser passer des réflexions sur Rimbaud dans un tel état. Et puis, j'ai très vite repéré le discours tenu sur <i>Une saison en enfer</i> et Jeancolas ménage la chèvre et le chou. L'Epoux infernal c'est un peu Rimbaud, la Vierge folle c'est un peu Verlaine, mais ce serait réducteur jusqu'à l'autobiographique de n'y voir que cela, et donc c'est aussi deux allégories de l'âme. Bref, Jeancolas fait une petite place pour accueillir la thèse de lecture si décriée de Marcel Ruff suivi par Antoine Adam. Le truc, c'est que comme on sent qu'il y a un problème d'alternative, on tend à se rabattre sur la seule alternative qui ait été clairement proposée, ou il s'agit du couple biographique des deux poètes ou il s'agit d'un débat allégorique entre deux formes de l'âme du poète. Pour moi, le second terme de l'alternative ne tient pas. L'Epoux infernal est identifiable au poète qui prend la parole dans "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer", et dans "Mauvais sang" il y a une conversion forcée qui échoue, mais prend un certain temps (sections 5 à 7) et avant même cette conversion forcée nous avons l'expression d'élans vers Dieu (section), élans vers Dieu que nous retrouvons dans "Nuit de l'enfer", signe que la conversion a échoué, mais n'a pas été révoquée à la fin de "Mauvais sang". Quant à expliquer pourquoi le brouillon correspondant à "Nuit de l'enfer" s'intitule "Fausse conversion", c'est une sacrée énigme rimbaldienne que personne ne semble désireux de mettre en lumière. Moi, quand je lis <i>Une saison en enfer</i>, je me dis qu'on peut à la limite parler de "fausse conversion" pour les sections 5 à 7 de "Mauvais sang", mais pour "Nuit de l'enfer" ça pose un problème énorme, problème jadis résolu par l'idée que le poison était le baptême, sauf que visiblement tout le monde tend à dire que nous en sommes revenus de cette hypothèse de lecture.</div><div style="text-align: justify;">Alors, je ne vais pas traiter pour l'instant des problèmes de lecture posés par "Nuit de l'enfer". Ce que j'ai posé, c'est que l'époux infernal a déjà des élans vers Dieu et avant sa conversion forcée au royaume des enfants de Cham et pendant la "Nuit de l'enfer". La Vierge folle tient un discours de repentance plus prononcé, mais les deux êtres damnés sont beaucoup plus similaires qu'on a voulu nous le dire dans le comportement. </div><div style="text-align: justify;">Dans l'essai <i>Une saison en enfer ou Rimbaud l'Introuvable</i>, Alain Bardel soutient que la Vierge folle est un prête-nom pour Verlaine, tandis que l'Epoux infernal représente la figure fantasmée de Rimbaud, et il nous soutient que le travestissement homosexuel est confirmé par le recours au mot "compagnon" qui est masculin. Dans son essai paru un ou deux mois plus tôt, Alain Vaillant dit exactement la même chose.</div><div style="text-align: justify;">Or, voici le début de "Vierge folle" :</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i> Ecoutons la confession d'un compagnon d'enfer :</i></div><div style="text-align: justify;"><i> " O divin Epoux, mon Seigneur, ne refusez pas la confession de la plus triste de vos servantes. Je suis perdue. Je suis soule. Je suis impure. Quelle vie !</i></div><div style="text-align: justify;"><i> "[...]"</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Si Rimbaud joue sur le masculin du mot "compagnon", comment se fait-il que bien que clairement au courant des lectures de Bardel et Vaillant je ne ressente aucune gêne à passer du premier au second alinéa. L'attaque est directe avec l'apostrophe : "O divin Epoux". J'ai lu tant de fois ce passage que je sais qu'elle s'adresse à un Epoux qui doit être le sien. Et quand je lis "servantes", je ne ressens pas une contradiction immédiate avec "compagnon d'enfer", et d'ailleurs depuis centre trente ans la plupart des lecteurs ne sont pas embarrassés par le glissement de "compagnon" à "la plus triste de vos servantes" d'un alinéa à l'autre. C'est par d'autres arguments que les gens ont considéré que la Vierge folle désignait Verlaine, et c'est un argument récent - qu'on croit subtil parce que grammatical - qui fait dire que "compagnon" est une astuce pour identifier un travestissement. Je ne ressens pas cette astuce à la lecture, elle n'est pas sensible. Peut-être que Rimbaud écrit mal ? En tout, c'est la conclusion d'Alain Bardel et d'Alain Vaillant, puisqu'ils expliquent ce truc comme simple mais non compris de la quasi-totalité des lecteurs.</div><div style="text-align: justify;">Pour moi, le mot "compagne" avait un sens proche d'épouse, "compagnon" est un terme volontairement neutre, un terme choisi à dessein, mais pas à des fins de signifier l'homosexualité par la bande.</div><div style="text-align: justify;">Puis, j'observe une symétrie qu'il faut savoir apprécier en tant que telle. La Vierge folle se sent au fond du monde et tellement délaissée qu'elle est prête à des élans vers Dieu, tout comme le poète le disait pour lui-même à la quatrième section de "Mauvais sang". Et dans cette symétrie, l'Epoux infernal va être pour la Vierge folle l'équivalent de ce qu'est Satan pour le poète de "Nuit de l'enfer". Satan réagit surtout verbalement dans la prose liminaire et dans "Nuit de l'enfer", ici l'Epoux infernal bat sa proie comme un mari brutal.</div><div style="text-align: justify;">Les schémas de la repentance ne sont pas identiques. Le poète de "Mauvais sang" s'y est soumis de mauvaise grâce, il a fui l'Europe avant de subir une conversion forcée. Il va tenir un certain temps un discours de converti qu'il va prétendre sincère, sauf que celui-ci va être miné assez rapidement. Dans le cas de la "Vierge folle", certaines faiblesses de damnée se font remarquer, mais la repentance est plus constante. Il y a un discours plus ferme pour en finir avec l'Epoux infernal. Certains commentaires, dont ceux de Bardel et Vaillant, insistent sur le glissement de "confession" à "confidence", ils y voient le signe d'une dévaluation de la confession. Toutefois, le mot "confession" est dans la bouche de l'Epoux infernal, pas dans la bouche de la "Vierge folle", ce qui fait que le contraste des deux mots "confession" et "confidence" n'est peut-être pas si pertinent qu'on veut bien le vendre.</div><div style="text-align: justify;">Malgré ses faiblesses, la Vierge folle est constante dans son récit. L'autre peut la "battre maintenant", elle veut revenir vers l'Epoux divin. A la fin du récit, elle parle bien sûr de sa volonté de voir l'assomption de son petit ami, mais il ne faut pas perdre de vue que l'ironie fuse de tous côtés. On repère avec évidence l'encadrement ironique de la part de l'Epoux infernal : "Ecoutons la confession d'un compagnon d'enfer" et "Drôle de ménage !" Toutefois, l'ironie de la mention "Drôle de ménage" l'implique également, il y a de l'autodérision dans cette clausule. Ce n'est pas que de l'ironie sur la conception du ménage que se faisait la Vierge folle à être dans sa compagnie.</div><div style="text-align: justify;">Mais il y a un autre fait d'ironie important.</div><div style="text-align: justify;">La "Vierge folle" a ironisé sur les prétentions de l'Epoux infernal à "changer la vie". Et, pourtant, à la fin du récit, elle formule le souhait de vérifier en y assistant si son petit ami en disparaissant connaîtra une assomption. Dans son commentaire, note en marge de ce passage de son édition fac-similaire (page 142), Bardel soutient que "c'est évidemment à l'égard du pieux Verlaine que Rimbaud lui prête [à la Vierge folle qui se doit d'être Verlaine] cette idée blasphématoire". Et Bardel rappelle que l'assomption correspond à l'enlèvement de la Vierge Marie par les anges. Mais, donc, Bardel ne conçoit pas une seconde que la "Vierge folle" puisse se moquer des prétentions magiques de l'Epoux infernal, alors qu'elle nous a donné une idée sans détour. Vaillant fait à peu près la même lecture, et donc il y a aussi l'argument que Marie est un personnage féminin alors qu'ici c'est l'Epoux infernal qui va connaître l'assomption et non la Vierge folle. Mais pourquoi la Vierge folle dit-elle que l'Epoux infernal en disparaissant va peut-être connaître une assomption ? Ce faisant, si elle est sincère, elle fragilise son acte de contrition. En réalité, elle vient de citer des propos de l'Epoux infernal qui lui ont fait très mal : "Tu me feras mourir comme il a fait mourir cette femme. C'est notre sort, à nous, cœurs charitables..." La Vierge folle réplique précisément à cette remarque désobligeante de la part de l'Epoux infernal, il me semble, non ? Et dans cette phrase de l'Epoux infernal, c'est là que nous avons explicitement l'identification de l'Epoux infernal à un rôle féminin, et qui plus est à un rôle féminin exerçant la charité. Pour moi, il ne faut pas lire les réflexions de la Vierge folle au premier degré, elle se moque de l'Epoux infernal avec cette histoire d'assomption d'une Marie, en réalité une femme damnée, une courtisane à la Marguerite Gautier tirée de <i>La Dame aux camélias</i>. Mais Alexandre Dumas fils, il a joué la comédie de la prostituée mariale. On aura ça avec Maupassant, on a eu la pitié pour les prostituées de Victor Hugo et autres romantiques. Plaindre les saintes prostituées, c'est un peu motif qui fait très dix-neuvième siècle. La Vierge folle est précisément une femme perdue repentante qui pour échapper à la damnation entend se mettre en coupe réglée avec Dieu et en finir avec l'Epoux infernal qui la tire du côté de la damnation. Et voilà que l'Epoux infernal se fait passer pour celui qui exerce la charité, ce qui est en contradiction flagrante avec l'ensemble du discours tenu par la Vierge folle tout au long de sa confession-confidence. S'il est charitable, en quoi damne-t-il la Vierge folle ? Elle fait évidemment de l'ironie en disant que peut-être s'il disparaît il connaîtra une assomption.</div><div style="text-align: justify;">Et j'en arrive à un autre élément problématique. Vers le début de sa prise de parole, la Vierge folle dit de l'Epoux infernal qu'il est "celui qui a perdu les vierges folles". En note à ce passage du fac-similé (page 134), Bardel rappelle que, dans l'Evangile selon saint Matthieu les "vierges folles" "représentent le mauvais chrétien", car elles ne se sont pas préparées "par une vie conforme aux préceptes de la morale et de la religion", puis il précise un écart important : dans la parabole, l'égarement des "vierges folles" n'est pas imputé directement à Satan. Est-ce qu'il est si important de relever cette différence ? Pas tellement. Mais, ce que n'affronte pas Bardel, c'est la difficulté posée par ce passage à une lecture biographique pure et simple. En effet, au plan biographique, que sont ces vierges folles que Rimbaud aurait transformées en femmes perdues avant d'entraîner Verlaine ? On peut négocier la difficulté, en considérant que la caractérisation en Epoux infernal et donc en démon transcende forcément le portrait biographique de Rimbaud, puisque c'est une sorte de vision du Mal par-delà la réalité biographique. Pourtant, Bardel ramène tout à la question suivante : Verlaine se compare-t-il à un amas de prostituées ?</div><div style="text-align: justify;">On voit bien que la lecture biographique de Bardel force l'interprétation du texte à plus d'un endroit. Ici, il s'agit plutôt d'un point aveugle : que seraient les vierges folles déjà perdues par Rimbaud si la lecture est résolument biographique ? Et pour l'assomption, Bardel n'accorde aucun crédit d'ironie à la parole de la Vierge folle. En surface, on peut de toute façon sauver la lecture biographique, il suffit d'admettre qu'elle aussi est ironique à la fin de son récit et il suffit d'admettre une transcendance fantasmée de Rimbaud en démon. C'est ce que je fais spontanément à la lecture, mais ce qui se dégage c'est que non seulement Bardel et Vaillant prônent une lecture biographique, mais il s'agit d'une lecture à charge contre Verlaine où la subtilité disparaît complètement. Ce dont il est question dans "Vierge folle", c'est d'une idée d'accès à la vie éternelle rédemptrice du côté de la Vierge folle et son discours jette un éclairage cru sur les illusions du contre-modèle que prétend opposer l'Epoux infernal. Et obnubilé par le déchiffrement biographique, Bardel passe visiblement à côté des propos, à côté du sens du discours tenu par la Vierge folle, à côté de la signification critique de la clausule : "Drôle de ménage !"</div><div style="text-align: justify;">J'ajoute que, comme il y a une allusion à <i>La Dame aux camélias</i> d'Alexandre Dumas fils avec les mentions "Armand" et "Duval", il faut songer qu'en 1873 Dumas fils est d'actualité dans la mesure où dans le prolongement de pièces de théâtre sur les thèmes des amours déchus (prostitution, adultère, etc.), Dumas fils participe au débat politique sur les droits de la femme mariée qui doivent être égaux à ceux de l'époux. Dumas fils ne se contente pas d'élaborer des intrigues de théâtre, il développe des thèses qu'il fait exposer crûment sur scène par certains des personnages, et Dumas fils commence en 1872 à publier des essais qu'il croit d'un philosophe. Citer Dumas fils n'est pas anodin. L'auteur est justement en train d'intéresser fortement Verlaine qui cite en particulier deux pièces <i>Les Idées de Mme Aubray</i> et <i>La Princesse Georges</i>. Il n'a pas encore lu <i>La Femme de Claude</i> qui fait aussi parler, et il aurait pu citer la pièce plus ancienne <i>L'Ami des femmes</i>. Or, il faut remarquer que la pièce <i>Les Idées de Mme Aubray</i> contient des passages qui sont repris dans des études critiques publiées dans la presse d'époque de 1867 à 1872, passages qui sont également repris dans l'anthologie de textes de Dumas fils qu'est le volume <i>La Question de la Femme</i> publié par une association féministe en 1872. Et à ces passages souvent cités, amplifiés de réputation, il faut ajouter qu'il y a l'idée que madame Aubray étant veuve elle considère que son mari est présent dans toutes choses, et même dans son fils, pour se rappeler à elle, que les autres assimilent à un ange. On a précisément des idées de voix de l'au-delà des maris dans les récits diaboliques en vers composés par Verlaine et si ce n'est pas dans le cas dans "Vierge folle", on a quand même des idées d'échanges sur d'autres vies des gens dans "Alchimie du verbe" et dans "Vierge folle" on a au contraire un discours ironique sur les prétentions magiques de l'Epoux infernal jusqu'à une disparition qui pourrait être pure et simple à défaut d'assomption. Car, si la Vierge folle assistait à l'assomption de son petit ami, elle pourrait se mettre dans la peau d'une Mme Aubray finalement.</div><div style="text-align: justify;">Pour moi, le récit "Vierge folle" ne consiste pas à dire que le poète a du mal à trouver une âme sœur parmi les hommes. Ce n'est pas du tout ça le propos ! Je pense que c'est plus sérieux que ça, largement plus sérieux que ça !</div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-84728207222918317422024-02-09T05:32:00.000-08:002024-02-09T05:34:39.398-08:00Verlaine parlant de Dumas fils au moment où Rimbaud compose la Saison<div style="text-align: justify;"> A la fin de "Vierge folle", l'Epoux infernal fait une allusion indirecte au personnage masculin principal de <i>La Dame aux camélias</i> :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote> - Tu vois cet élégant jeune homme, entrant dans la belle et calme maison : il s'appelle Duval, Dufour, Armand, Maurice, que sais-je ? Une femme s'est dévouée à aimer ce méchant idiot : elle est morte, c'est certes une sainte au ciel, à présent. Tu me feras mourir comme il a fait mourir cette femme. C'est notre sort à nous, cœurs charitables..."</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Armand Duval est le nom de l'amant de la courtisane Marguerite Gautier dans le roman <i>La Dame aux camélias</i> d'Alexandre Dumas fils. Il s'agit d'un classique secondaire de la littérature française, ce qui fait que le lecteur de 2023 peut se rendre dans une librairie pour faire l'achat du roman en question et ensuite le lire et éprouver la finesse d'allusion de Rimbaud dans le passage cité ci-dessus. Nous savons par ailleurs qu'il s'agit d'un roman à succès des débuts littéraires d'Alexandre Dumas fils qui transpose pour partie son vécu. Armand Duval est une représentation de l'auteur lui-même, d'où la symétrie des noms "Dumas" et "Duval", et l'identique initiale en "A" pour "Armand" et "Alexandre", la suite graphique "and" favorisant nettement le rapprochement. Avec le relief de la préposition "Du", les noms "Duval" et "Dumas" favorisent les jeux de mots, ce que Rimbaud prolonge ici avec le nom "Dufour". Notons que Rimbaud ne cite pas le héros de <i>La Dame aux camélias</i>, puisqu'il en fragmente l'identité : "Duval, Dufour, Armand, Maurice". Personne pour l'instant n'a identifié un "Maurice Dufour". L'emploi du prénom Maurice demeure gratuit en l'état de nos connaissances. Le glissement de "Duval" à "Dufour" a toutefois un aspect comique qui ressort. Une interprétation que les rimbaldiens ne déduisent pas du texte, mais qui me semble pourtant s'imposer, c'est le mépris de Rimbaud pour Dumas fils, puisque le personnage qui pourrait s'appeler "Armand" "Duval" est traité de "méchant idiot", il est vu aussi comme la cause de la mort d'une femme au cœur charitable.</div><div style="text-align: justify;">Les rimbaldiens se contentent d'identifier une allusion à l'histoire de <i>La Dame aux camélias</i> sans impliquer une critique directe de Dumas fils. Par ailleurs, il faut rappeler que Dumas fils, à l'époque, composait essentiellement des drames pour le théâtre, et son roman <i>La Dame aux camélias</i> date de 1848 et a été adapté pour le théâtre par Dumas lui-même à partir de février 1852. Et cette pièce a eu elle aussi un énorme succès. Rares sont les éditions courantes actuelles qui offrent le texte de la pièce à la suite du roman. De nos jours, c'est surtout le roman qui est édité au format de poche. C'est suite au succès de la pièce que, en 1853, Verdi a immédiatement composé sur ce sujet l'opéra <i>La Traviata</i> dont, même sans le savoir vous avez dû entendre certains airs dans votre vie, comme c'est souvent le cas avec les opéras de Verdi.</div><div style="text-align: justify;">Des romans, contes et nouvelles de Dumas fils, il n'est guère resté que <i>La Dame aux camélias</i>. il existe aussi une curiosité pour l'année 1866, <i>L'Affaire Clémenceau, mémoire de l'accusé</i>, ouvrage qui ne parle bien sûr pas du personnage qui allait devenir historique à partir de la Commune. Le théâtre de Dumas fils est tombé en désuétude, mais il connaissait du vivant de l'auteur un relatif succès. On cite principalement <i>Le Fils naturel</i> et <i>Un père prodigue</i>, mais vu les enjeux de "Vierge folle" empressons-nous de souligner une série sur l'image de la femme : <i>La Dame aux camélias</i> de 1852, l'origine des tendances du théâtre de Dumas fils, <i>Diane de Lys</i>, autre adaptation d'un récit en prose, <i>L'Ami des femmes</i>, <i>Les Idées de Mme Aubray</i>, <i>La Princesse Georges</i>, <i>La Femme de Claude</i>, et en collaboration nous avons encore <i>Le Supplice d'une femme</i> et <i>Héloïse Paranquet</i>. Le titre <i>La Princesse Georges</i> fait penser au nom de plume de la romancière George Sand qui couvait précisément Dumas fils et qui a également collaboré avec lui dans l'écriture d'une pièce en 1864 <i>Le Marquis de Villemer</i>.</div><div style="text-align: justify;">Après les événements de <i>L'Année terrible</i>, Dumas fils va produire un certain nombre d'essais, certains tardifs ne peuvent avoir été connus de Rimbaud, comme <i>La Question du divorce</i> en 1880, mais en 1872 nous avons deux ouvrages, d'un côté <i>L'Homme-Femme</i> et de l'autre <i>La Question de la Femme</i>, ce dernier ouvrage publié par une association féministe est un recueil de citations tirés des publications antérieures de Dumas fils.</div><div style="text-align: justify;">Enfin, Dumas fils a publié des réactions à chaud au lendemain de la Commune où il a injurié copieusement les insurgés vaincus. Le texte le plus célèbre a été publié en juin 1871 même dans la presse <i>Le Monde illustré</i> avant une édition en plaquette de trente pages <i>Lettre sur les choses du jour</i> et une seconde plaquette de trente pages a été publié au début de l'année 1872 <i>Nouvelle lettre sur les choses du jour</i>. Ces deux lettres ont entraîné la réaction de Tony Révillon, un proche du Clémenceau personnage historique, qui a lui-même publié une plaquette en réponse aux deux lettres de Dumas fils. J'ignore si Tony Révillon est parent avec le musicien communard Ferdinand Révillon, qui lui était un ami personnel de Verlaine (lettre du 17 juillet 1869 à Nina de Callias qui parle de la "femme charmante" de Ferdinand Révillon. Toutefois, le fils de Tony Révillon se réclamera de Camille Pelletan, un zutiste qui était proche de Victor Hugo à la fin de l'année 1871.</div><div style="text-align: justify;">Pour l'instant, les rimbaldiens n'allaient pas plus loin que la célébrité de <i>La Dame aux camélias</i> et comme l'adaptation théâtrale allait être jouée à Londres en juin 1873 cela n'encourageait pas à chercher un autre prétexte à l'allusion fine de Rimbaud.</div><div style="text-align: justify;">Et c'est là que la coïncidence de la représentation londonienne a fermé la voie à une recherche plus prometteuse.</div><div style="text-align: justify;">Verlaine parle très peu de Dumas fils dans la correspondance qui nous est parvenue de lui, mais il le fait à deux reprises en mai et juin 1873 même, c'est-à-dire avant la représentation théâtrale londonienne et au moment même où Rimbaud compose <i>Une saison en enfer</i>. Rimbaud a commencé <i>Une saison en enfer</i> en avril 1873 selon les données fiables que nous possédons (lettre "Laitou" à Delahaye et datation fournie pour le livre lui-même). Le 16 mai 1873, Verlaine qui dans d'autres courriers d'époque, dit qu'il compose alors énormément de vers, étale ses projets dans une lettre à Edmond Lepelletier et il écrit ceci :</div><div style="text-align: justify;"><blockquote><i>[...] Je fourmille d'idées, de vues nouvelles, de projets vraiment beaux. - Je fais un drame en prose, je te l'ai dit, </i>Mme Aubin<i>. - Un </i>cocu sublime<i> (pas à la manière de Jacques, le mien est un </i>moderne<i> extrêmement malin et qui rendra des points à tous les aigrefins de ce con de Dumafisse. [...]</i></blockquote></div><div style="text-align: justify;">Je cite d'après la transcription de Pakenham de son tome I de la <i>Correspondance générale</i> de Verlaine (page 313). Verlaine semble avoir oublié de refermer la parenthèse.</div><div style="text-align: justify;">Remarquez qu'il y a une corruption du nom "Dumas" qui devient "Dumafisse", via l'habitude de l'appeler "Dumas fils". Remarquez aussi que Dumas fils est traité de "con". Je disais que dans "Vierge folle", l'expression "méchant idiot" épinglait nécessairement l'auteur suggéré par les mentions "Armand" et "Duval". Sur son courrier, Verlaine a souligné "cocu sublime", mais aussi l'adjectif "moderne". D'ailleurs, il y aurait un lot de citations à faire remonter du courrier de Verlaine pour les premiers mois de l'année 1873, tant ils entrent en résonance avec certains propos d'<i>Une saison en enfer</i> : "Ma santé est toute détraquée", "tout dernièrement", "Je suis <i>mourant</i> de chagrin, de maladie, d'ennui, d'abandon", "Je suis en proie à la sottise et à l'avidité la plus grossièrement féroces : tout cela m'a tué", "ma vie est bien finie maintenant", "Me sentant plus malade qu'à l'ordinaire et craignant que ce ne fût la crise inévitablement rapprochée <i>de la fin</i>", "lettre d'adieux à mes vrais amis", "les forces me manquèrent", "ma pauvre existence damnée", "je me sentais positivement crever", "me sauver cette fois, non d'une claquaison prochaine, mais d'une crise qui eût certes été mortelle dans la solitude", "j'ai bien besoin de témoignages amicaux", "L'heure me presse et d'ailleurs ma faiblesse est extrême", "on m'a cassé ma vie", "il y aura pour moi mains et mains, et il importe que je sache d'avance celles que je ne serrerai pas", "à Namur, où par parenthèse j'ai cru mourir encore une fois de je ne sais quelle attaque cérébrale", "je m'ennuie atrocement", etc., etc. D'ailleurs, la phrase "Je fais un drame en prose" a de quoi résonner avec la lettre de Rimbaud à Delahaye des jours qui suivent.</div><div style="text-align: justify;">Le drame en prose n'est autre que <i>Madame Aubin</i>. Le titre ressemble à une allusion au titre de Dumas fils <i>Les Idées de Mme Aubray</i>. Le problème, c'est que la gestation de <i>Madame Aubin</i> fut longue. La pièce ne fut publiée qu'en 1886 dans le volume <i>Louise Leclercq</i>. L'incarcération a dû mettre le projet en berne. Cette pièce <i>Mme Aubin</i> n'en demeure pas moins un témoignage importante pour tenter de cerner les préoccupations de Verlaine et Rimbaud dans les premiers mois de l'année 1873. Verlaine revendiquant la composition de nombreux vers, il faut évidemment songer aussi aux fameux récits diaboliques dont il n'est pas crédible qu'ils aient pu être intégralement composés lors des premiers mois d'incarcération.</div><div style="text-align: justify;">Mais venons-en à la deuxième mention de Dumas fils dans une lettre de Verlaine. Il s'agit d'une lettre à Emile Blémont cette fois, lettre très longue datée du "Mardi Midi 25 juin 73". Dans très peu de jours, Verlaine abandonnera Rimbaud à Londres et partira pour Bruxelles avec les suites que nous savons. La date du 25 juin permet aussi de penser que la représentation londonienne de <i>La Dame aux camélias</i> est d'actualité pour Rimbaud et Verlaine. En tout cas, Verlaine parmi les sujets divers qu'il aborde conteste l'opinion formulée par Camille Pelletan sur les idées de Dumas fils dans la revue <i>La Renaissance littéraire et artistique</i> dirigée précisément par Blémont. Je cite l'extrait en question :</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i> Nous avons ici deux troupes françaises. L'une à </i>Princess Theatre<i>, Desclée, etc., l'autre à </i>St-James theatre<i>, les artistes de l'Alcazar de Bruxelles. J'y vais presque tous les soirs que je n'ai pas de leçons. Les billets pleuvent. Hier, avoir revu pour la 10e fois au moins les </i>Cent Vierges<i>. Que c'est drôle ! - C'est des colons qui n'ont pas de femmes. On leur en envoie. Quatre d'entre elles, dont 2 hommes déguisés, s'insurgent et </i>soufflettent<i> leurs maris obligatoires. Sur ce, Sir Plupersonn, le Gouverneur de l'Ile Verte, s'exclame : "Ces dames, on les envoie ici pour accomplir le plus saint des devoirs, et leur première besogne est de </i>calotter<i> leurs maris !"</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Je ne suis pas de l'avis de Pelletan sur Dumas fils. Et l'</i>Homme-femme<i> n'est pas si apocalyptique que ça, - bien que je ne sois pas disposé à suivre le "Tue-là !" qui est là pour la vente. - Mais, vrai, </i>Mme Aubray<i>, la </i>Princesse George<i>, c'est très fort et très neuf. Je ne connais pas encore la </i>Femme de Claude<i>. Mme Desclée va, j'espère, la jouer.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Mon drame est fait - dans ma tête. Mon roman aussi. Mon prochain volume de vers, L'Ile [...] aussi.</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Verlaine cite le titre abrégé "<i>Mme Aubray</i>", juste avant de parler de son drame déjà fait dans sa tête, ce qui confirme l'idée que le théâtre de Dumas fils a à voir avec la genèse de <i>Mme Aubin</i>. Le nom "George" n'a pas de "s" final, influence possible de la romancière Sand. Verlaine n'a pas eu accès à une édition du théâtre complet de Dumas fils, semble-t-il, il ne connaît pas encore <i>La Femme de Claude</i>. Il va tous les soirs disponibles voir la même troupe théâtrale française et cela implique de revoir plusieurs fois certaines pièces dont <i>Les Cent vierges</i> qu'il apprécie en particulier. Notons que Rimbaud doit souvent l'accompagner à ce moment-là. Quand Verlaine dit apprendre l'anglais en lisant tout Poe, tout Swinburne et des recueils de chansons populaires, on songe aussi qu'il s'agit de lectures communes avec Rimbaud (le Robertson mentionné est en revanche l'auteur d'une méthode pour apprendre l'anglais, je ne crois pas qu'il soit question d'un écrivain réaliste plus obscur). Dans la lettre à Lepelletier, l'allusion à Dumafisse était suivie précisément d'une allusion aux représentations londoniennes des <i>Cent Vierges</i> et de <i>Mme Angot</i>. Il est clair que ces pièces populaires tombées dans l'oubli devraient intéresser les rimbaldiens et les verlainiens.</div><div style="text-align: justify;">Et donc Verlaine dit ne pas être d'accord avec un article de Camille Pelletan sur l'essai de 1872 <i>L'Homme-femme</i> d'Alexandre Dumas fils. Camille Pelletan est en liaison avec Tony Révillon, premier point important à souligner. Verlaine dit un désaccord sur lequel il faudrait se pencher, mais pour cela il faudrait d'abord que je lise pour en rendre compte l'article de Pelletan, surtout qu'après la formule "ce con de Dumafisse" il faut se garder de penser à une admiration au premier degré de la part de Verlaine. Rimbaud, vu le texte de "Vierge folle", n'est sans doute pas admiratif en tout cas. Dumas fils a tenu des propos d'une violence extrême sur les communards, et notamment sur des gens exécutés sommairement (le sieur Cerisier) et sur les femmes (les femelles de la Commune ressemblent à des femmes quand elles sont mortes). Dumas fils quand il écrit qu'il faut tuer ceux qui ne sont pas d'accord avec le bon peuple et qu'il publie cela en juin 1871 même valide les actes versaillais de la Semaine sanglante. Il y a un problème béant posé par Dumas fils. Rimbaud ne l'ignore certainement pas. Notons tout de même que, pour sa part, Verlaine se détache de la réprobation politique pour admirer le côté artiste et drôle avec <i>Mme Aubray</i> et <i>La Princesse Georges</i>, tout en se disant supérieur à Dumas fils dans les idées et conceptions.</div><div style="text-align: justify;">Verlaine minimise la perception du côté apocalyptique de l'essai olé-olé de Dumas fils et il épingle le côté racoleur de l'idéologie du "Tue-la". Je n'ai pas encore rendu compte du texte L'Homme-femme, mais il s'agit d'une réponse à un texte de presse de M. de Ideville qui posait la question si le mari avait le droit de tuer sa femme adultère, en liaison avec des faits divers récents dont un concernant un certain monsieur Dubourg, et cela rejoint l'idée de la fin de "Vierge folle" qu'Armand Duval a tué un coeur charitable dans <i>La Dame aux camélias</i>, coeur charitable toutefois d'une prostituée de luxe. Et nous avons un chassé-croisé où la Vierge folle occupe bien qu'elle soit une femme perdue, le rôle d'Armand Duval qui pourrait causer la mort de l'Epoux infernal en jouant abusivement de sa charité et de son dévouement.</div><div style="text-align: justify;">Ces citations du courrier de Verlaine étant faites, il y a clairement une importante analyse à fournir avec des documents désormais bien délimités pour éclairer les intentions de Rimbaud quand il compose "Vierge folle", mais encore quand à la fin de "Adieu" dans <i>Une saison en enfer</i> il joue ainsi avec l'hypocrisie, le mensonge de la société, pour réécrire la leçon hypocrite des écrivains livrée par Révillon : "Il faut être de son temps" en "Il faut être absolument moderne" et pour prendre le contrepied de Dumas fils qui dit se dispenser de conseiller Dieu qui sait ce qu'il a à faire, ce qu'épinglait Révillon dans sa réponse, pour dire "La vision de la justice est le plaisir de Dieu seul." Il n'est plus question d'un Rimbaud qui avoue l'impuissance humaine, mais il est question d'un persiflage où Rimbaud jouant l'humilité humilie l'orgueil de Dumas fils qui prétend savoir ce qu'est la morale, ce qu'est la politique bien entendue où la semaine sanglante devient un acte irréprochable.</div><div style="text-align: justify;">Donc, prochainement, compte rendu du livre <i>L'Homme-femme</i>, puis de l'article de Pelletan, puis d'au moins les pièces <i>Les Idées de Mme Aubray</i> et <i>La Princesse Georges</i>, et puis on fera <i>Mme Aubin</i> et <i>Les Cent vierges</i> et <i>Mme Angot</i>.</div><div style="text-align: justify;">Il y a un nombre conséquent de lectures à faire. Et je n'oublie pas la liaison entre l'image de la sainte au ciel et l'ironie sur l'assomption (mariale) de l'Epoux infernal.</div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com3tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-78164505190223710642024-02-08T09:11:00.000-08:002024-02-08T09:14:06.083-08:00Une lettre sur les choses du jour (juin 1871) de Dumas fils<div style="text-align: justify;">En juin 1871, Alexandre Dumas fils écrit, à chaud, une lettre pour célébrer Thiers, dénoncer la Commune, donner son opinion sur les devoirs et intérêts de la France, sur les causes de la guerre franco-prussienne, où il se fait dorer la pilule en s'attribuant une prescience des événements dont témoigneraient certaines de ces préfaces rédigées sous le Second Empire, par exemple en 1868.</div><div style="text-align: justify;">Cette lettre est célèbre, sans que nous le sachions, puisque c'est d'elle que viennent plusieurs citations injurieuses de Dumas fils à propos des communards et de leurs femmes, citations qu'on retrouve dans le livre de Paul Lidsky de 1970 environ <i>Les écrivains contre la Commune</i>.</div><div style="text-align: justify;">Il s'agit d'une lettre publiée sous forme de plaquette, elle n'est pas très longue, seulement 31 pages adressées au docteur Henri Favre, page 1, avec la date finale du 6 juin 1871 en bas de la page 31, ce qui dit bien à quel point le texte violent a été composé sans aucun recul. J'ai voulu avoir accès au document original, j'ai évité une compilation plus tardive que j'ai pu glaner sur le site Gallica de la BNF et j'ai opté pour une consultation de la plaquette de 1871 même sur GoogleBooks. J'ai pu y lire le texte en intégralité.</div><div><div style="text-align: justify;">Pour l'essentiel, il n'y a pas pour moi une ample provision d'extraits à citer en rapport avec <i>Une saison en enfer</i>. C'est assez dingue, parce que cette plaquette a provoqué la réaction d'Antoine Révillon dit "Tony" qui a publié une plaquette aussi mince et où j'ai identifié deux passages qui ont tout l'air d'être des sources directes d'<i>Une saison en enfer</i>. L'alinéa : "Il faut être de son temps|,]" offre un rapprochement particulièrement saisissant avec "Il faut être absolument moderne."</div><div style="text-align: justify;">Ici, dans cette lettre de Dumas fils, il n'y a rien qui s'impose d'évidence. Tout de même, vers la fin de la plaquette, mon sentiment de devoir citer ce document remonte un peu. Ce document est un témoignage, donc il faut le lire pour se plonger ensuite dans une lecture mieux contextualisée d'<i>Une saison en enfer</i>, mais vers la fin de la plaquette je commence à trouver que les propos de Dumas sur l'oisiveté et le travail prennent vraiment un relief particulier qui force le rapprochement avec certains passages de la "Saison". La revendication d'oisiveté dans la <i>Saison</i> est plus subtile à comprendre il me semble après la lecture de la lettre de juin 1871 de Dumas fils. J'estime donc qu'un petit article à part n'est pas voler votre temps. Et, du coup, même si ce que je qualifie de source concerne plutôt le traitement de l'oisiveté et la valeur du travail, je vais signaler à l'attention d'autres petits éléments suggestifs.</div><div style="text-align: justify;">La lettre commence par du "Cher ami," ce qu'on peut mettre en tension avec le "pas une main amie" de la Saison. La lettre est adressée au docteur Henri Favre. D'après mes recherches, il est né à Poitiers en 1827 et mort en 1916. Il était à la fois docteur en médecine et écrivain. Les trois oeuvres qui lui sont attribuées dans la banque de données de la BNF sont plus tardives : un <i>Balzac et le temps présent</i> en 1888, et un <i>Au pays de l'occulte, les coffrets de famille</i> en 1905, avec tout de même en 1872 le volume <i>La Bible, les Trois Testaments, examen méthodique, fonctionnel, distributif et pratique de la Bible</i>. Il avait une correspondance avec George Sand également. Dans une lettre datée de Nohant du 30 août 1872, George Sand se dit surprise qu'avec son accord Alexandre Dumas fils se soit attribué les thèses de son livre récent sur la Bible pour les claironner à son nom. George Sand veut avoir son propre mot à dire sur l'homme et la femme, et elle n'est pas d'accord avec les idées de Favre et Dumas fils, d'autant que Sand considère que le débat prend des proportions où les propos finissent par se couvrir d'interprétations excessives.</div><div style="text-align: justify;">Quant à la lettre datée du 6 juin 1871, il se trouve qu'elle a été publiée à partir du 17 juin dans la revue <i>Le Monde illustré</i>, l'organe de presse qui publiait des articles de Paul de Saint-Victor, une nouvelle fournée de dizains de <i>Promenades et intérieurs</i> de Coppée, des pré-originales du recueil des <i>Humbles</i>, etc.</div><div style="text-align: justify;">Pour l'instant, je n'en sais pas beaucoup plus sur le docteur Henri Favre, mais ça rejoint le portrait grinçant fait par Tony Révillon dans sa "réponse" où Dumas est décrit comme à la fois catholique et physiologiste, disciple de Desbaroles. Charles Cros a épinglé de la sorte Dumas fils et le docteur Henri Favre dans son article sur "L'Eglise des Totalistes" dans sa <i>Revue du monde nouveau</i> en 1874 :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>[...] Nous avons tout lieu de croire que le promoteur de ce terrible mouvement n'est autre que l'égérie mâle de M. Alexandre Dumas fils, la nymphe qui se nomme Henri Favre.</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Cet article intéresse l'histoire de l'<i>Album zutique</i>, puisqu'il cite les trois sonnets zutiques de Valade "Monologue de l'amour maternel", "Combat naval" et "Suicide du soupeur blasé".</div><div style="text-align: justify;">Intéressons-nous plutôt à la lettre. Dumas fils revient de Versailles où il est allé voir ce qu'il y avait à voir selon lui, il chante son admiration pour un Thiers en nouveau César : "il a vu, il a su, il a prévu", et il se chante lui-même en nouveau Thiers : "J'avais su, j'avais vu, j'avais prévu."</div><div style="text-align: justify;">Pour parler du présent et de l'avenir, il se fonde sur les "prédictions" de sa préface à sa pièce <i>Le Fils naturel</i> de 1868. On y lit du Victor Hugo : les institutions s'écroulent, un vent nouveau fait s'effondrer les vérités d'autrefois. On peut relever une métaphore des "nuits de l'âme" lourdement justifiée : "qui a ses jours et ses nuits comme les mondes physiques". Je peux bien citer cela, puisque nous avons une nuit de l'âme dans <i>Une saison en enfer</i>. Dumas fils poursuit avec la métaphore hugolienne de la lumière dont il faut voir qu'elle n'est pas couchant, mais aurore. Puis, Dumas fils se prévaut d'une réponse quelques mois plus tard au journal <i>Le Gaulois</i> où superbe de prescience il annonce que dans deux ans on ne s'intéressera pas aux livres et aux comédies, mais le drame sera dans la rue et à la Chambre. Il écrivait : "La littérature est finie, l'action commence." Et, en décembre 1869, dans sa préface à <i>L'Ami des femmes</i>, Dumas fils parlait de profils féminins qui annonçaient la catastrophe et donc l'écroulement d'une société avec l'invasion finale des barbares, des étrangers et de la populace, mais pour préparer la reconstitution par le religieux et le politique. Il faut avouer que Dumas fils est passablement taré.</div><div style="text-align: justify;">Et je cite un passage de cette préface citée en juin 1871, passage qui aura sa reprise à la toute fin de la lettre elle-même ! Il s'adresse aux femmes déchues qu'il invite à se ressaisir et clame :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>[...] Les temps prédits sont proches. Dieu a de nouveau prévenu Noé. Il va falloir être avec les hommes dans le déluge, ou avec l'Homme dans l'arche.</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Le motif de l'arche est présent dans les poèmes en prose des <i>Illuminations</i>, on ne perd rien à opérer ici le rapprochement.</div><div style="text-align: justify;">Dumas fils a donc des éléments troublants qui lui permettent de faire l'intéressant en juin 1871 et il frime en accompagnant cela d'injures pour les communards, le sang encore tout chaud de la semaine sanglante circulant dans l'atmosphère ambiante :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>[...] j'ai vu passer au-dessous de moi cette série de désastres qui commencent à M. Leboeuf et qui finissent, s'ils sont finis, au sieur Cerisier, délégué de la Commune, présentement fusillé dans un égout qu'il a sali.</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Dumas précise que la Prusse a vaincu par des coups en traître et qu'il ne faudra peut-être pas dix ans pour voir la revanche. En flaubertien, il bave sur tout ce qu'il a vu à Versailles et sur la "population molle, incolore et huileuse" qui "tache" tout ce qu'elle touche. Comme en pur flaubertien, Dumas fils voit la bêtise partout et déteste tout groupe, il critique la foule agressive qui vient harceler les prisonniers communards, ce dont Tony Révillon le félicite en passant dans sa réponse, mais bon, on a déjà eu le sieur Cerisier qui fusillé a sali l'égout, et on aura le célèbre mot sur les femmes de la Commune plus loin. Innocents ou non, de toute façon, les "prisonniers" sont tous "stupides et hagards". Flaubert sait un peu plus arrondir les formes.</div><div style="text-align: justify;">Dumas fils salue en revanche avec le mot sans ironie de "Prud'hommes sensibles les soldats, les marins, les fantassins et gendarmes qui ont massacré des dizaines de milliers de Parisiens, pour, selon les dires de Dumas fils, nous éviter d'être prussiens. Je n'ai pas compris le raisonnement, mais bon... Puis, c'est quoi être prussien ? Pratiquer la semaine sanglante et la célébrer, c'est pas être prussien ou un truc plus sonore encore ? Dumas fils enchaîne, il rappelle la destruction de la maison de Thiers et passe à son éloge. En passant, on a une dénonciation de la République de 1793 à 1871 en passant par 1848 : "le mot république s'étant déshonoré pour la troisième fois avec son concubinage avec la Commune". La République est traitée de "fausse couche perpétuelle de la France". Et ça passe en portrait-charge connu de Courbet : "De quel accouplement fabuleux d'une limace et d'un paon, de quelles antithèses génésiaques, de quel suintement sébacé peut avoir été générée, par exemple, cette chose qu'on appelle Gustave Courbet ? Sous quelle cloche, à l'aide de quel fumier, par suite de quelle mixture de vin, de bière, de mucus corrosif et d'œdème flatulent a pu pousser cette courge sonore et poilue, ce ventre esthétique, cette incarnation du Moi imbécile et impuissant ?" Je remarque que la mention du "Moi" est décidément à l'honneur à l'époque de la colonne Vendôme, colonne que Dumas fils venait quelques pages auparavant d'évoquer dans sa lettre expansive que Thiers avait célébré le César moderne dans vingt volumes plus solides et durables que la colonne Vendôme elle-même.</div><div style="text-align: justify;">La logique d'enchaînement des paragraphes n'est plus très claire dans la lettre visiblement improvisée par Dumas fils. Il passe à une charge de Paschal Grousset, épingle Pipe-en-bois en passant. Et il termine par son mot sur les "femelles" de la Commune : "Nous ne dirons rien de leurs femelles, par respect pour les femmes à qui elles ressemblent - quand elles sont mortes." Le texte est daté du 6 juin 1871 et publié dans la presse à partir du 17 juin. La semaine sanglante est encore toute récente.</div><div style="text-align: justify;">Dumas fils méprise à la fois le roi et les peuples qui selon lui prouvent ne jamais rien apprendre des désastres passés. Dumas fils souhaite tout de même la République, c'est juste qu'il faut bien cracher dessus et sur ses thuriféraires. Alors, le blasé passe en revue les fictions de la liberté de la presse, du suffrage universel, il en veut, son esprit ! S'il en a un ! Et il tape sur la fiction de la nation en disant que trente-sept millions sont soumis à l'humeur de "cent cinquante mille Parisiens toujours mécontents".</div><div style="text-align: justify;">Et Dumas fils justifie ainsi que la capitale soit assiégée et que la province regarde le drame avec dédain, disant : "Tire-toi de là comme tu pourras !"</div><div style="text-align: justify;">Dumas fils daube la Monarchie de Juillet, seul Napoléon III trouve grâce à ses yeux. Et il crache son venin tant qu'il peut. Il défend Trochu et Thiers. Il faut dire qu'en fait d'argumentation la technique rhétorique est particulièrement évasive et fuyante. C'est surtout un exposé de rancœurs et de convictions bidouillées. On peut concevoir que Dumas fils ne pense pas trop de mal de la dictature du second Empire et qu'il y voie des aspects positifs, mais on a tout de même des propos inacceptables : pour dénoncer l'absence de fraternité, il reproche la mort de cent otages et jamais ne prend en considération les massacres de la semaine sanglante, et quand il en parle il s'en sert complaisamment pour en remettre une couche dans l'injure.</div><div style="text-align: justify;">Dumas fils ironise sur le désir des français de remettre sur le trône les familles dynastiques qui ont été chassées. Le principe n'est pas très cohérent, puisqu'il joue sur les divisions politiques internes. C'est une façon un peu facile d'attribuer une humeur contradictoire au peuple français pour mieux le mépriser. Il crache ensuite sur l'idée de l'homme providentiel qui sauverait la France, ce qui est contradictoire avec son bonapartisme. On arrive à l'idée que cet homme ça doit être nous-même, et il y a un rejet de la formule de l'Homme-Ange pour se prendre en charge soi-même :</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i> "Il nous faut un homme !"</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Ne le cherchez donc pas si loin, cet homme, vous l'avez tous sous la main. Cet homme, - c'est vous, - c'est moi, - c'est chacun de nous. Soyons chacun un homme, et l'homme providentiel, le grand homme que l'on finit toujours par renverser et par maudire devient complètement inutile.</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Le raisonnement n'a ni queue ni tête, puisqu'on ne voit pas en quoi en se prenant en charge pour être homme et en se détournant de la monarchie, des républicains et des hommes providentiels, on fait de la saine politique dans un pays. Il n'y a aucun début de logique suivie dans le propos.</div><div style="text-align: justify;">Mais, cela est rattrapé par la logique du bon peuple qui doit ne pas vouloir laisser faire le mauvais peuple, logique partisane non avouée qui n'a encore une fois aucun sens politique, sauf à prôner l'extermination du point de vue adverse, et justement tout au long des dernières pages Dumas fils appelle aux meurtres de ceux qui s'opposent à son parti du "bon peuple", justification de fait de la Semaine sanglante.</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>[...] l'armée a sauvé la France ! Vive la France ! Vive l'armée ! [...]</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">C'est plus Dumas fils qu'il faut l'appeler, c'est Dumas fils de ..., ou Dumas cloaque de lui-même !</div><div style="text-align: justify;">Et il ne s'arrête pas là, je vous laisse apprécier la suite :</div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i> Il y a d'un côté :</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Les gens qui possèdent,</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Les gens qui travaillent,</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Les gens qui savent.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Il y a de l'autre côté :</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Les gens qui ne possèdent pas,</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Les gens qui ne travaillent pas,</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Les gens qui ne savent pas.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Il faut que les gens qui possèdent viennent en aide, par tous les moyens possibles, à ceux qui ne possèdent pas ;</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Il faut que ceux qui travaillent fassent travailler ceux qui ne travaillent pas ou les exterminent impitoyablement s'ils s'y refusent. L'oisif doit disparaître du monde.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Il faut que ceux qui savent renseignent, instruisent, élèvent ceux qui ne savent pas, et, en attendant, les subordonnent, au nom du droit, de la justice, de la nature et de la société, parce que celui qui ne sait pas, quelle que soit la raison de son ignorance, est inférieur et doit être soumis à celui qui sait.</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Il est clairement question d'exterminer ceux qui ne plient pas. Il y a refus des opinions contradictoires. Il y a une harmonisation factice d'un groupe méritoire idéalisé qui travaille, possède et sait. Il y a l'idée de gens inférieurs par leur ignorance. On imagine bien tout le parti à tirer d'un tel passage pour commenter plusieurs passages de la Saison : l'oisiveté du crapaud, le refus du travail, l'association du travail et de l'habit à la conversion forcée, l'idée des méchants et des fainéants dont les cadavres s'abattent sur le cœur des autres, les bons élus qui travaillent honnêtement.</div><div style="text-align: justify;">Et indifférent aux contradictions que cela suppose, Dumas fils dit que cela vaut pour le collectif et qu'il faut encore faire émerger l'Individu. L'individu "n'existe pas en France", soutient Dumas. Nous avons besoin de guides, et songeons à L'Eclair et à Mauvais sang de Rimbaud, prêtre, professeur, sergent de ville, empereur.</div><div style="text-align: justify;">Selon Dumas, il faut que nous sachions en nous-même qu'il y a "une patrie, une société, une religion, une morale, une liberté et une conscience, qu'il faut être prêt à défendre <i>soi-même</i> à n'importe quel prix et en n'importe quel lieu."</div><div style="text-align: justify;">Et là Rimbaud il a "horreur de la patrie" et on sent à lire ces propos malsains de Dumas fils que Rimbaud n'est peut-être pas si à côté de la plaque à dire que "La morale est la faiblesse de la cervelle" dans "Alchimie du verbe", puisqu'on lui impose la religion du cancre Dumas fils. Mot d'époque, Dumas fils dit qu'il ne faut plus ergoter et parle de ne plus attendre un Homme Ange :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote> Il ne s'agit donc plus d'ergoter, de discuter, de philosopher, d'analyser, de s'en remettre aux autres et d'attendre un Homme Ange ; il s'agit, car l'épreuve est décisive et nous sommes tous plus ou moins atteints dans nos profondeurs, il s'agit de nous dégager de nos habitudes, de nos mœurs, de nos facilités, de nos conventions d'hier, de remonter aux sources primitives de la véritable humanité, [...]</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Je pense au poème "Conte" avec le Génie miroir du Prince et le défaut éternel de la "musique savante". Je précise que je rapproche depuis longtemps le récit "Conte" du passage de "Vierge folle" sur le palais vidé et le fait de ne jamais voir l'Ange d'un autre. On pourrait rire ici du propos de Dumas fils, c'est même naturel, quand après ses diatribes contre les insurgés sauvages il parle de nous dégager de nos habitudes, verbe rimbaldien à la clef, puis de nos moeurs, de nos conventions d'hier, etc., sauf que dans la suite immédiate il affirme que la véritable humanité accepte un Dieu, avec morale, société, famille et solidarité humaine. Solidarité qui exclut la compassion pour les victimes de la Semaine sanglante, puisque les ennemis doivent être exterminés.</div><div style="text-align: justify;">Car Dumas fils appelle son monde idéal de ses oeux termine bien en disant : "et mort à tous ceux qui ne voudront pas que cela soit, fussent-ils nos frères ! fussent-ils nos fils !"</div><div style="text-align: justify;">Et pour on ne sait quelle raison, si ce monde advient, dans dix ans l'Alsace et la Lorraine sont reprises. Allez chercher un lien logique là-dedans ?</div><div style="text-align: justify;">Peu importe le régime, république, roi ou empereur, il faut une nation forte qui sait ce qu'elle veut. Tout le monde au travail et que les autres entendent ce bruit que la France se transforme et se libère ! Et Dumas fils prévient les réflexions du genre "la science ne va pas assez vite" avec l'alinéa et ses interrogations rhétoriques, puisque Dumas ne nous demande que dix ans :</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote> C'est trop difficile ? c'est trop long ?</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Et je vous cite le dernier paragraphe imagé :</div><div style="text-align: justify;"><blockquote><i> Vous ne vous sentez plus la volonté nécessaire, vous aimez mieux compter encore sur les Abeilles ou sur le Coq, sur l'Aigle ou sur les Lys ? Alors, c'est le déluge, je vous en préviens, et, </i>nous qui sommes dans l'arche<i>, nous n'avons plus qu'à vous regarder nager - et mourir.</i></blockquote></div><div style="text-align: justify;">Nager et mourir, c'est la pensée du "Bateau ivre", il ne sera pas sur l'arche.</div></div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-8680611397118561312024-02-07T03:34:00.000-08:002024-02-07T03:41:47.106-08:00"Il faut être de son temps" / Il faut être absolument moderne."<div style="text-align: justify;">Je lis les uns après les autres les ouvrages autour des débats du jour d'Alexandre Dumas fils. Je mettrai en ligne une étude sur les textes de l'auteur de <i>La Dame aux camélias</i>. Je voulais lire ce matin l'article de Pelletan, mais l'accès à mon volume relié de la revue <i>La Renaissance littéraire et artistique</i> m'a semblé prendre devoir prendre un tour un peu trop acrobatique. J'attendrai encore un peu.</div><div style="text-align: justify;">Et puis, je me suis lancé dans la lecture de la réponse de Tony Révillon à Dumas fils. Voici son titre : <i>Lettre sur les choses du jour, réponse à M. Alexandre Dumas fils</i>. Il s'agit d'une plaquette de 32 pages, et il n'y a pas 32 pages de contenu. Son prix était de 1 franc comme une certaine "Saison" et elle date de 1872, j'en précise la maison d'édition : "Imprimerie nouvelle, association ouvrière". J'ai téléchargé ce document sur le site Gallica de la BNF. La lettre va des pages 5 à 24 du document.</div><div style="text-align: justify;">Il me semble que Verlaine a fréquenté quelque peu Tony Révillon avant la Commune, à moins que je ne fasse une confusion. En tout cas, Tony Révillon est rattaché à Camille Pelletan et à Georges Clémenceau. Et Verlaine s'est intéressé à un article de Camille Pelletan du 18 février 1873 au sujet du même débat sur les "choses du jour" lancé par Dumas fils et auquel Tony Révillon répond ici.</div><div style="text-align: justify;">Tony Révillon est diplomate, il passe un peu de pommade à Dumas fils "Vous êtes un esprit curieux", etc., mais les critiques sont vives. Révillon, de son vrai prénom Antoine, qualifie Dumas fils de "Catholique et physiologiste", ce qui ne va pas aller sans une certaine ironie : "lyrique comme un prophète et railleur comme un auteur de parodies". Derrière cela, il y a une forte préoccupation du succès parisien à atteindre. Et Tony Révillon précise qu'il a lu les deux lettres d'actualité de Dumas fils et qu'il se propose d'y répliquer.</div><div style="text-align: justify;">Tout au long de ces vingt pages, personne n'a de raison <i>a priori</i> de songer à faire le moindre rapprochement avec <i>Une saison en enfer</i> de Rimbaud, mais nous avons une amorce avec l'allusion à <i>La Dame aux camélias</i> à la fin de "Vierge folle", allusion qui parle de faire mourir un personnage qui plus est. Dans le roman déjà ancien de Dumas fils adapté en pièce de théâtre, la courtisane phtisique est morte en se retirant pour protéger la réputation bourgeoise de son amant "Armand Duval". Il s'agit d'une transposition du vécu d'Alexandre Dumas fils lui-même. Armand reflète le prénom Alexandre et Duval fait plus encore écho au nom "Dumas". Marguerite Gautier, la courtisane, semble porter le même nom qu'un écrivain prénommé Théophile, mais je remarque qu'il y a une sorte de lien tissé avec le nom de femme mariée de la courtisane. Alphonsine Duplessis, connue sous l'appellation "Marie Duplessis", a épousé un de ses amants, le comte Edouard de Perregaux, la dernière syllabe du nom devenant la première du nom donné au personnage de fiction.</div><div style="text-align: justify;">Il va de soi que dans "Vierge folle" Rimbaud poursuit le motif des dérivations comiques de "Duval" à "Dufour", l'ironie d'allusion à l'expression "faire un four" n'est pas à exclure. Il faut noter que Dufour fait écho au nom de personnage victime d'adultère "Dubourg" évoqué par Dumas fils lui-même. A propos de l'expression : "la belle et calme maison", outre qu'elle a des implications satiriques et politiques évidentes, on peut envisager une autre allusion fine au nom "Dumas". Pour le recours au prénom "Maurice", je n'ai pas encore trouvé de raison astucieuse à ce choix.</div><div style="text-align: justify;">Mais, peu importe !</div><div style="text-align: justify;">Tony Révillon réagit contre la haine de la Commune de Dumas fils et il épingle son admiration pour Thiers. Cela nous éloigne vraiment du texte "Vierge folle" lui-même et du débat sur l'adultère. Pourtant, soudain, deux passages me ramènent brutalement à <i>Une saison en enfer</i>.</div><div style="text-align: justify;">Le premier passage est offert en titre au présent article.</div><div style="text-align: justify;">Tony Révillon commence par expliquer que Dumas fils cherche à avoir ce qui manque aux artistes un certain esprit d'ordre. Puis il rit sur sa prétention à se mettre à part avec Dieu. Dumas fils dit : "Dieu et moi" comme son père disait : "Hugo, Lamartine et moi !" Et puis Dumas fils a tout de même dénoncé avec raison "l'indignité politique de l'homme de lettres" qui ne profite pas de sa capacité à "s'occuper des choses de son pays et de son temps." Je n'avais pas remarqué que les écrivains du dix-neuvième siècle ne s'occupaient pas de politique et d'actualité, mais je fais avec le raisonnement sarcastique de Tony Révillon. Et donc Révillon dit à Dumas fils que même s'il choisit les dix hommes de lettres dont la position et le talent font le plus autorité il n'y en aura aucun qui aura assez d'indépendance et de dignité pour qu'il soit légitime de se régler sur lui. Ils vont solliciter la croix d'honneur d'un gouvernement qu'il méprise ou, pour entrer à l'Académie, les suffrages de gens auxquels ils sont opposés d'opinions. Ils transigent tous et tous quêtent des pensions et des dîners qui les compromettent. Et pour la suite immédiate du raisonnement (de peu d'intérêt je vous l'accorde), je vous cite le texte lui-même avec sa disposition alinéaire !</div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i> [...]</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Que si on les interrogeait, tous répondraient la même chose :</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Il faut être de son temps !</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Il faut être de son temps veut dire qu'après s'être illustré par ses œuvres, il est permis de s'abaisser par ses actes ; cela veut dire encore que, pour faire ses orges dans le champ, il est permis de ménager le fermier, et que, dans une société basée sur les aristocraties, le talent serait bien sot de ne pas jouir des mêmes privilèges que la noblesse héréditaire et l'argent.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Cependant les jeunes gens sur qui ces exemples descendent se demandent si les vers des poëtes, les maximes des philosophes, les récits des historiens ne sont pas des mensonges. L'étude des lettres leur avait inspiré l'amour du beau et du bien, la haine et le mépris du succès injuste. A défaut des lettres, ils avaient les admirations et les colères généreuses propres aux jeunes âmes. Ils s'étaient faits des dieux des grands écrivains contemporains. [...]</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Je remarque que la phrase "Il faut être de son temps !" est isolée dans un alinéa, tout comme la formule rimbaldienne de la fin de "Adieu" : "Il faut être absolument moderne", sachant que "moderne" fait de l'expression rimbaldienne une formule hyperbolique synonyme de "Il faut être de son temps !" Le mot "moderne" entre aussi en résonance avec l'idée de "grands écrivains contemporains". Et ma citation permet certains recoupement avec le tout début de la prose liminaire d'<i>Une saison en enfer</i>, tandis que nous avons un développement conséquent dans les deux textes sur le mensonge.</div><div style="text-align: justify;">Ajoutons un point de comparaison qui risque de passer inaperçu. Révillon fait dire à dix plumes de talent : "Il faut être de son temps !" Or, dans <i>Une saison en enfer</i>, on a une plume qui dénonçant une société mensongère, assume de dire le mot de Révillon : "Il faut être absolument moderne."</div><div style="text-align: justify;">La fin de la première partie du raisonnement de Tony Révillon se termine par une considération sur la vanité des écrivains à être écouté pour leurs idées d'enfants, et la deuxième partie s'attaque au fait que Révillon a éprouvé toutes les peines du monde en lisant les deux lettres de Dumas fils à y trouver un "sens général", et je confirme que ce problème se pose réellement à la lecture des considérations philosophiques vaporeuses du fils de mousquetaire.</div><div style="text-align: justify;">Après une revue rapide sur Thiers et Gambetta, Tony Révillon brocarde la haine de Dumas fils pour la Commune. Révillon cite alors des passages des deux lettres de Dumas fils, une sur "l'Homme-Ange" et une sur "l'Elu" et on pense à l'idée d'ange à voir dans "Vierge folle" et à l'idée des élus dans "L'Impossible". Je cite ces deux passages, mais ce n'est pas le deuxième passage de Tony Révillon qui m'a frappé, il s'agit de citations de Dumas fils sur lesquels j'aurai à revenir dans des articles ultérieurs :</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i>Il ne s'agit plus de s'en remettre aux autres et d'attendre un Homme-Ange. Cet homme, vous l'avez tous sous la main ; c'est vous, c'est moi, c'st chacun de nous.</i></div><div style="text-align: justify;"><i><br /></i></div><div style="text-align: justify;"><i>Le Précurseur est là, bien visible ; l'Elu est en marche !</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Je passe plus vite sur la suite immédiate. Dumas fils défend une morale, et alors que par passé il souhaitait que la société soit réformée, il veut désormais défendre le cadre en bon bourgeois. Et Révillon explique que si avant 1789 la naissance était tout, désormais cela est remplacé par le "mérite personnel", sauf que le concept est dévoyé par l'étalon qu'est la richesse. Celui qui s'est enrichi a un mérite personnel, celui qui est né de parents riches a eu une meilleure éducation. A tous les coups, la richesse s'impose comme mérite personnel. Naturellement, soucieux de ses intérêts et de son monde à préserver, le riche est juste-milieu, gallican, etc. Les emplois sont ouverts à tous, mais il faut payer pour l'instruction. Tel est le système. Et derrière son moralisme, Dumas fils n'est qu'un artistocrate viager dont la politique a pour nom l'égoïsme. Les pauvres n'ont qu'à s'enrichir pour faire instruire leurs fils, et s'ils sont "trop pressés" l'Etat n'a qu'à en faire une hécatombe. On pense aux passages de "L'Eclair" : la science ne va pas assez vite pour nous, les cadavres des méchants et des fainéants qui tombent sur le cœur des autres. Je me doute bien que vous vous dites qu'à un moment donné je brode mes rapprochements, puisqu'ils ne sont pas assez fermes. Vous avez tout de même les signes sensibles de développements d'époque aux expressions similaires. Ce serait quand même étonnant que Rimbaud n'ait pas écrit <i>Une saison en enfer</i> sous l'imprégnation de telles lectures propres à son époque, et donc il est temps de passer à la partie numérotée III de la lettre de Révillon. Je ne peux résister à citer la phrase suivante : "l'avenir appartient aux barbares, et le pouvoir aux chefs d'armées, aux empereurs." Tony Révillon parle d'admettre la Révolution, de ne pas supposer d'infaillibilité politique et religieuse des anciennes institutions. La morale devrait pouvoir se passer de la révélation ! Il s'agit d'atteindre à un "renouvellement, avec une idée de la justice supérieure à celle du catholicisme et de la monarchie." Nous ne sommes pas dans la réplique de Rimbaud : "la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul", quelques lignes avant : "Il faut être absolument moderne."</div><div style="text-align: justify;">Et je cite la suite immédiate telle quelle, qui inclut une citation de Proudhon qui renvoie encore une fois au couple "justice" et "beauté" placé en repoussoir dans la prose liminaire d'<i>Une saison en enfer</i>.</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i> Quant à l'idéal, rappelez-vous ce que disait Proudhon :</i></div><div style="text-align: justify;"><i> "La religion a pris pour elle la mission de la femme, qui est de porter l'homme à la justice par l'attrait de la beauté."</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Dans la femme, vous voyez, vous, le dernier culte de l'homme dégénéré, la dernière formule de son idéal obscurci. C'est déjà quelque chose que ce dernier culte et que cette dernière formule.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Cherchez bien, vous qui êtes un chercheur. Affranchissez la femme de son esclavage, relevez-la de son abaissement, rendez-lui sa véritable destinée, et vous arriverez comme nous à voir dans la famille l'unique religion. [...]</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"><i></i></div><div style="text-align: justify;">Et Révillon finit sur la Commune et le rejet d'un tiers-état ouvrier instruit et non corrompu par la politique.</div><div style="text-align: justify;">Certes, Rimbaud n'a pas passé son temps à reprendre le texte de Révillon, mais les amorces sont dingues quand on y pense : l'isolement alinéaire de "Il faut être de son temps !" complètement revisité par Rimbaud, le couple justice et beauté entre les mains de la religion, et plusieurs éléments de réflexion qui ne sont pas repris tels quels par Rimbaud, mais qui font écho, parce que pris dans un lit de réflexions communes d'époque.</div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com6tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-13390136637032503212024-02-05T04:00:00.000-08:002024-02-05T04:00:10.412-08:00Une saison en enfer : le chemin parcouru<div style="text-align: justify;">Je n'arrive pas à trouver le site officiel des <i>Amis de Rimbaud</i> sur internet pour envoyer un article en vue du prochain numéro de la revue <i>Rimbaud vivant</i>. Du moins, je tombe sur des sites anciens qui ne m'ont pas l'air de correspondre à des sites à jours actuels. Je n'arrive même pas à trouver un écho d'une publication d'un numéro de la revue à la fin de l'année 2023. Le dernier numéro date de la fin de l'année 2022. Il me faudra peut-être publier dans une revue non rimbaldienne. Ce n'est pas évident. Certaines revues publient essentiellement en fonction de thèmes, donc il faudrait sélectionner une revue qui prévoit de traiter un sujet compatible avec un article, ou alors il faut carrément essayer de publier dans une revue où les articles sont automatiquement libres et divers de la part des auteurs, mais je me demande à quel point ça se passe par cooptation.</div><div style="text-align: justify;">Je vais essayer de faire une synthèse de ce que j'ai à dire sur <i>Une saison en enfer</i>. J'ai déjà eu une influence importante ces quinze dernières années. Par mes discussions privées avec des rimbaldiens, par mes interventions sur le net, par mes articles, j'ai eu une influence décisive sur des points précis de la prose liminaire. C'est grâce à moi qu'on cesse petit à petit de rapporter la Beauté de la prose liminaire à deux poèmes de Baudelaire, d'ailleurs opposables entre eux : le sonnet "La Beauté" et "Hymne à la beauté". C'est aussi grâce à moi que cesse une volonté de dire que la métaphore du "festin" ne renvoie pas au christianisme. Pourtant, c'est une bataille qui est rendue très rude. Michel Murat soulignait que la métaphore du "festin" est plus volontiers d'origine romaine antique que chrétienne, et il faut penser au poète Gilbert, etc. La mise en avant très forte de passages des poésies de Vigny avec Homère mettant la Muse sur ses genoux servait aussi à affirmer qu'il était question de la beauté des poètes et non de religion dans <i>Une saison en enfer</i>. Je ne comprenais pas comment un texte aussi saturé de renvois à la religion pouvait être réinterprété de la sorte, mais j'ai dû me battre en mode souterrain. Si aujourd'hui Vaillant, Bardel et d'autres soutiennent clairement qu'il est question de religion au début de la prose liminaire, c'est grâce à mon travail méconnu de sape, mais travail attesté par des sources écrites.</div><div style="text-align: justify;">C'est moi qui ai le premier sifflé la fin de la récré en soulignant la cohérence interne des éléments mis en place dans la prose liminaire. C'est moi qui ai dit qu'il n'était pas possible que la Beauté soit baudelairienne et le festin païen, à partir du moment où la Beauté va de pair avec la justice, à partir du moment où son rejet amer s'accompagne d'un combat contre les vertus théologales que sont l'espérance et la charité, combat mené du côté des péchés capitaux mentionnés dans la prose liminaire et détaillés partiellement au début de "Mauvais sang". Et c'est grâce à moi aussi qu'il a été mis un terme à l'idée que la charité dont il était question était une notion laïque personnelle à Rimbaud, selon les vues de Jean-Luc Steinmetz puis de Jean Molino, alors que c'était une claire mention de la vertu théologale. Je me suis adressé directement à Bardel sur ce sujet. Je rappelle qu'il y a eu par le passé des échanges sur le forum public "mag4.net", je rappelle aussi qu'il y a eu un forum public "poetes.com" où certaines de mes antériorités pourraient remonter, par exemple l'intertexte de Leconte de Lisle dans "Soir historique", c'est là qu'il a été publié pour la première fois bien avant la publication de l'article de Claisse, dont je répète que c'est moi qui lui ai fourni, même s'il ne m'a pas cité. J'ai écrit des articles sur <i>Une saison en enfer</i> dans deux des principaux volumes collectifs admis de référence sur <i>Une saison en enfer</i>. Grâce à cela, j'ai gagné la bataille qui permet d'affirmer qu'il est question de la charité comme vertu théologale dans <i>Une saison en enfer</i>. Quant au problème de la charité particulière à l'Epoux infernal, vous voyez que j'ai fourni récemment des éléments de réponse, j'ai montré que la Vierge folle décrivait avec une relative lucidité une charité dysfonctionnelle où on observait certaines inversions : paradis de tristesse et non paradis de l'oubli de tout le malheur (je cite bien sûr un autre passage de la Saison), frivolité de la relation et cela des deux côtés (Vierge folle frivole à dire "je te comprends", promesse tout aussi frivole de l'Epoux infernal de ne pas l'abandonner). Sur le rapport de la charité à la mort, j'ai fait depuis longtemps le lien avec "Les Soeurs de charité", j'ai mis en avant que l'acceptation de la mort pour ceux qui pratiquent la charité c'est aussi une notion chrétienne, puisque le chrétien a confiance dans la vie éternelle, et j'ai mis en avant des citations où la mort va de pair avec la charité. J'ai des nouvelles mises au point qui se préparent.</div><div style="text-align: justify;">Sur la prose liminaire, je l'ai déjà souvent répété, mais j'ai fait une mise au point imparable sur l'intervention de Satan dans la prose liminaire.</div><div style="text-align: justify;">J'ai montré que le rejet de la charité comme clef était immédiat avec la phrase : "Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !" Beaucoup de lecteurs partageaient cette lecture, mais on voit que beaucoup d'autres non et que cela continue en 2023 avec une édition en Poésie Gallimard. J'ai montré que les rimbaldiens n'arrivaient pas à comprendre que Satan ne reprochait pas la prétention d'avoir rêvé, mais reprochait le refus de la mort, du "dernier couac", et j'ai dégagé le jeu de mots par inversion : "perds la vie" dans "Gagne la mort", j'ai expliqué que c'était ça tout naturellement le pouvoir d'illusion des "aimables pavots". J'ai opposé les illusions des pavots au rêve chrétien du festin ancien.</div><div style="text-align: justify;">Bardel, Vaillant, les éditeurs de la Saison en Poésie Gallimard en 2023 n'ont pas encore compris tout ça, donc je dois impérativement faire un article, mais bon vous l'avez compris la victoire interprétative est mienne. Ils sont incapables de gérer leurs contradictions face à l'assaut de mes démentis clairs et nets.</div><div style="text-align: justify;">Et, bien sûr, j'ai souligné que le "festin" n'a jamais existé et qu'il n'est même pas un souvenir de l'enfance. Il va de soi que le "festin" n'est pas une image de l'enfance heureuse.</div><div style="text-align: justify;">J'ai souligné une idée très forte qui malheureusement est passée inaperçue dans mes articles de 2009 et 2010, c'est que le statut de souvenir vient d'une éducation culturelle par les livres et par la religion qui transcende les expériences individuelles pour donner une image d'origine chrétienne de la société des hommes, cette idée décidément subtile, puisque les rimbaldiens n'ont pas l'intelligence de s'en saisir, alors que je la croyais très accessible, cette idée donc intéresse la lecture du rejet du festin comme faux souvenir et l'idée d'un poète qui n'arrive pas à se projeter dans le passé au-delà de cette terre-ci et du christianisme.</div><div style="text-align: justify;">J'ai apporté à l'établissement du texte, en débusquant la coquille "outils" pour la bonne lecture "autels". J'ai apporté de redoutables arguments pour justifier la lecture elliptique : "j'ai toujours été race inférieure" : "Tu resteras hyène", "tu es nègre", "c'est oracle", "La richesse a toujours été bien public", etc., alors qu'elle était en cours d'abandon. Je souligne l'anomalie de la correction : "Après, la domesticité même trop loin" avec le verbe "mène". J'ai souligné grâce au brouillon que la phrase : "je sais aujourd'hui saluer la beauté", signifie que le poète sait saluer la beauté avec dédain, sans s'étouffer de rage passionnelle, et non que le poète sait désormais apprécier le prix des peintures et poésies modernes. C'est moi qui ai montré que la fin du brouillon correspondant était un teste de formulations concurrentes pour faire une clausule et non des propos enchaînés.</div><div style="text-align: justify;">C'est moi qui ai souligné qu'il était absurde de chercher à expliquer le "vice" de "Mauvais sang" par la biographie, alors qu'il est clair que "vice" renvoie aux implications du titre lui-même "Mauvais sang", vérité de bon sens que continuent d'ignorer superbement les rimbaldiens.</div><div style="text-align: justify;">C'est moi qui aujourd'hui invitent les rimbaldiens à ne pas oublier qu'en 1987 Pierre Brunel soulignaient de manière intéressante la possible lecture par Rimbaud de livres de Proudhon. Je viens de souligner l'importance des livres de Quinet, où j'ai repéré le concept de "cervelle étroite", mais appliqué aux germains, le concept aussi de femmes qui ne sont plus d'accord avec nous, etc., avec désir de "position assurée". J'ai expliqué le lien de "l'enfer des femmes" avec "l'enfer de la caresse" et les caresses des hommes parasites. J'ai sublimement rapproché "Il faut être absolument moderne" de la phrase de "Ville" où j'ai sublimement souligné la valeur définitionnelle du verbe "croire" : "crue moderne", et j'ai déroulé le fil. J'ai fait un rapprochement de folie avec la phrase de "Mauvais" sur la science avec le viatique pour l'âme et le corps.</div><div style="text-align: justify;">Depuis des années, je signale qu'il est aberrant de vouloir faire passer pour moniste une formulation dualiste. Depuis des années, j'indique que "la vérité dans une âme et un corps", c'est un peu comme l'esprit sain dans un corps sain". Il va de soi que les deux vont de pair à cette aune. La vérité est une harmonie pour le corps et l'esprit, mais tout récemment j'ai ébranlé le monde des rimbaldiens qui ne va plus savoir où se mettre, puisque la phrase finale en italique qui bien sûr renvoie au mystère de l'eucharistie n'est pas une phrase que Rimbaud reprend tout à fait à son compte, c'est bien une citation chrétienne, et la subtilité en contexte c'est de la tourner contre la société chrétienne mensongère. C'est l'attaque finale par le rire et le dernier sursaut étonnant d'arrogance du livre <i>Une saison en enfer</i>.</div><div style="text-align: justify;">J'ai commencé à expliquer le début de "Alchimie du verbe" avec un bon sens qui a jusqu'à présent manqué aux rimbaldiens. Il va de soi que les bonnes idées des poètes ne viennent pas des actes poétiques. Il y a un jeu intellectuel à se dire "voyant", à attribuer à la poésie un pouvoir visionnaire. Quand Hugo, Rimbaud, Ronsard, etc., parlent du monde de manière brillante, ils doivent cela à des lectures et à des réflexions, mais pas au travail de mise en forme poétique. C'est du pur bon sens, on le savait dès le départ. Pourquoi on a joué à faire comme si... ? Il est évident que "je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne", c'est un grossissement caricatural qu'il y a derrière, mais j'ai quand même souligné que Rimbaud a réellement travaillé sur l'étrangeté des effets immédiats de la poésie, il a cherché à tâtons ce que ça pouvait bien être. "Voyelles" est une expérience en ce sens, puisque le fait de juxtaposer les éléments au lieu de les organiser en phrases qui dégagent les lignes de compréhension c'est assumer de s'en remettre aux pouvoirs de suggestion de l'élaboration poétique. Les poèmes de 1872, pour lesquels Verlaine parle d'exprès trop-simple, de fausse naïveté, sont bien évidemment eux aussi des expériences de poésie limite. Cela ne fait aucun doute.</div><div style="text-align: justify;">A propos de "Vierge folle", j'ai montré qu'il n'y avait aucune parodie du style de Verlaine, puisque le style de la "Vierge folle" est identique à celui déployé dans "Mauvais sang", "Nuit de l'enfer", etc. J'ai montré que le sujet n'est pas du tout l'homosexualité, sujet trivial en soi, il est bien question d'un changement général de la société avec une idée du problème d'asservissement des femmes. Verlaine a surtout servi de prétexte à élaborer une image du féminin. J'ai montré que la Vierge folle face à l'Epoux infernal était un peu comme l'enfant par rapport au forçat intraitable. J'ai montré que les propos de la Vierge folle mettaient en place un discours très important sur l'illusion que se faisait l'Epoux infernal à propos de ses pouvoirs, et qu'elle pointait du doigt l'énorme problème d'une volonté de fuir la réalité en dressant un barrage d'illusions par l'esprit.</div><div style="text-align: justify;">J'ai montré que l'enfance est vue aussi comme le moment où l'imagination est prétexte à des frustrations, promesses, convictions imaginaires.</div><div style="text-align: justify;">J'ai souligné aussi la nature fictionnelle de la datation "avril-août, 1873", et en ce moment j'essaie de préciser l'évocation de <i>La Dame aux camélias</i> en ciblant un débat d'époque sur l'inégalité de traitement entre hommes et femmes qui fait que la société pardonne volontiers à l'homme cocufié de tuer sa femme, débat de pleine actualité en 1872.</div><div style="text-align: justify;">D'autres idées importantes se mettent en place petit à petit. On a l'idée du travail qui est à raccorder étroitement aux notions de Beauté, justice, charité et festin, et l'opposition de la nature avec le "travail fleuri de la campane", ce qui va de pair avec la phrase : "la nature pourrait s'ennuyer peut-être"! Et il y a cette idée forte que je souligne que le trésor confié à la misère et à la haine, c'est la vie du poète lui-même parce que l'amertume ressentie face à la Beauté vient d'une conception de la vie comme trop immense pour être encadrée par la Beauté, la justice et le festin. Le fait de voir la mer comme consolatrice est liée à cette idée d'immensité de soi, le désir d'avoir plusieurs autres vies est aussi lié au sentiment d'immensité de son propre être.</div><div style="text-align: justify;">Tout ça se met en place et on arrive à une lecture d'<i>Une saison en enfer</i> qui est très loin des incertitudes nombreuses que partagent et entretiennent les rimbaldiens.</div><div style="text-align: justify;">Et je ne vous parle pas encore de la dialectique force et faiblesse.</div><div style="text-align: justify;">Bref, là, en quelques mois, on vit une révolution profonde dans la compréhension à se faire du livre <i>Une saison en enfer</i>.</div><div style="text-align: justify;">Dans les siècles à venir, on lire <i>Une saison en enfer</i> comme une oeuvre majeure de l'histoire de la Littérature, moins belle que certains poèmes en vers du même auteur, moins belle que les poèmes en prose des <i>Illuminations</i>, mais désormais son sens sera compris et ce qui va être relayé c'est le discours que je tiens sur ce blog et qui n'a qu'un statut résiduel de parole confidentielle dans le monde des rimbaldiens. Evidemment, je suis lu par quelques-uns des pontes. Donc, après l'<i>Album zutique</i>, voilà j'ai éclairé la lecture d'<i>Une saison en enfer</i> d'une manière décisive qui ne sera plus à faire. On peut me voler mes idées, mais en termes de vécu tout le plaisir de la recherche a été pour moi encore une fois !</div><div style="text-align: justify;">Et voui !</div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-90812444784883627632024-02-02T08:38:00.000-08:002024-02-02T08:38:04.385-08:00Pour une relecture de Vierge folle (partie 2/2)<div style="text-align: justify;">Le rythme des articles est soutenu, mais l'intérêt pour vous c'est qu'on a une lecture complète d'<i>Une saison en enfer</i> qui se fait jour comme jamais.</div><div style="text-align: justify;">Dans la première partie, j'ai cité des extraits de lettres de Verlaine d'avril à juillet 1873, un peu au-delà même de son incarcération pour montrer l'inanité du portrait d'un Verlaine tout de contrition religieuse en "Vierge folle". Selon son propre témoignage, Verlaine n'a eu la révélation religieuse qu'en juin 1874. Dans son édition critique de 1987, Pierre Brunel précise que Verlaine n'a été incarcéré à la prison de Mons qu'à partir du 25 octobre 1873, quand les livres d'<i>Une saison en enfer</i> viennent d'être imprimés, et c'est dans cette prison que Verlaine s'est converti suite à l'influence de l'abbé Descamps qui le visitait. Et c'est en novembre que Verlaine va composer des "Cantiques à Marie". En citant ces courriers de Verlaine, j'ai attiré l'attention sur un fil rouge du côté de Dumas fils qui revient dans les échanges, qui est un modèle repoussoir pour certains écrits en cours de Verlaine, et il est question d'un renvoi à un article de Pelletan dans la revue <i>La Renaissance littéraire et artistique</i>, ainsi que d'un pamphlet <i>L'Homme-femme</i>. Je me pencherai ultérieurement sur ces pistes jusqu'ici ignorées complètement des rimbaldiens. Il est connu qu'à la fin de "Vierge folle", nous avons une allusion au héros de <i>La Dame aux camélias</i> dans l'énumération suivante : "[...] il s'appelle Duval, Dufour, Armand, Maurice, que sais-je ?" Armand Duval est le jeune bourgeois, amant de Marguerite Gautier, dans le roman de Dumas fils. Phtisique, elle fait le sacrifice de son amour et meurt. Dans "Vierge folle", la logique est si pas inversée, différente. C'est l'Epoux infernal qui prétend risquer la mort à cause de son dévouement pour la Vierge folle.</div><div style="text-align: justify;">A ma connaissance, personne n'a jamais signalé à l'attention l'intérêt d'époque de Verlaine pour un débat sur les couples romanesques dans les récits de Dumas fils.</div><div style="text-align: justify;">Il faudrait voir ce qu'en disent les critiques verlainiens dans la mesure où ça intéresse notamment la composition non seulement de <i>Madame Aubain</i>, mais des récits diaboliques "La Grâce", "L'Impénitence finale", etc. Steve Murphy a créé à côté de la revue <i>Parade sauvage</i> une <i>Revue Verlaine</i> et si Murphy n'a jamais réellement publié d'articles forts sur <i>Une saison en enfer</i> Yann Frémy auteur d'une thèse sur la Saison a été directeur de ces deux revues à la fois. Je me rends compte très tardivement de ce lien, mais on voit encore une fois que, malgré le nombre de gens qui publient sur Rimbaud et Verlaine, en communiquant entre eux, il y a des faits visibles qui bizarrement sont passés inaperçus.</div><div style="text-align: justify;">Revenons-en pour l'instant à notre idée. Il y a eu il y a environ cinquante ans un débat qui a tourné court entre deux thèses de lecture sur "Vierge folle". Il y a ceux qui reconnaissent des allusions biographiques à Rimbaud et Verlaine dans le récit, et il y a ceux, peu nombreux, qui ont adhéré à l'idée de Ruff qu'il était question d'une double allégorie opposant l'âme religieuse originelle de Rimbaud à son âme démoniaque. La lecture de Ruff signifiait une volonté de ne pas se laisser enfermer dans la lecture biographique et elle a été suivie par Antoine Adam, l'éditeur de Rimbaud dans la collection de la Pléiade vers 1972. Face à cette alternative, certains ont préféré ne pas choisir et ménager un mélange des deux hypothèses, c'est le cas de Margaret Davies (article de 1973 et livre de 1975), puis de Pierre Brunel en 1987. La thèse des deux âmes a facilement été ridiculisée, vu les détails triviaux de la relation entre les deux personnages. Le problème, c'est que, du coup, après quelques décennies d'atermoiements d'une lecture partiellement biographique acceptée, nous sommes passés en 2023 à une lecture biographique outrancière (Bardel, Vaillant). Vaillant pose non seulement que la Vierge folle représente Verlaine dans le premier des deux "Délires", mais il affirme aussi que Satan dans la prose liminaire est une figuration de Verlaine, soutenant l'idée incongrue qu'un même être biographique peut ainsi passer de bourreau à victime dans le récit. Citons même précisément le texte (page 85 de son essai) : "[...] la mise en scène infernale est une fiction allégorique, orchestrée par le poète, où chacun, selon les moments du récit, peut être tour à tour Satan et victime de Satan." Personnellement, j'identifie Satan à Satan et la Vierge folle à la Vierge folle, selon un principe de lecture non contradictoire, et si je consens à identifier des allusions au profil de Verlaine dans la "Vierge folle", je ne vois aucune allusion à Verlaine dans la figure de Satan, strictement aucune. Satan et la Vierge folle sont deux personnages nettement distincts du récit. L'idée de reconnaître Verlaine dans Satan, ça ne me vient pas à l'idée, et si quelqu'un me la soumet, je renverse l'idée dans la poubelle, voilà tout.</div><div style="text-align: justify;">Sans preuves, les lectures de Vaillant et Bardel affirment que Rimbaud parodie la religiosité fade de Verlaine. A partir du moment où Verlaine s'est converti rapidement ensuite en prison, il suffit de considérer que Rimbaud a eu la primeur de ses premières manifestations, les preuves sont inutiles. Le même problème chronologique se pose pour le terme de "veuve", puisqu'il ne suffit pas de relever des mentions tardives de la part de Verlaine du terme "veuf". Verlaine a lu <i>Une saison en enfer</i> en octobre ou novembre 1873. Il faudrait attester que Verlaine parlait de lui comme un veuf avant cette date, et encore vu sa relation avec Rimbaud depuis septembre 1871 ce ne serait pas automatiquement suffisant pour attribuer une influence de Verlaine sur Rimbaud dans l'emploi du mot "veuf". Pire, l'origine de cet emploi un peu spécial pourrait venir du père et de la mère d'Arthur. La mère d'Arthur se faisait passer pour veuve...</div><div style="text-align: justify;">Une lecture biographique suivie de "Vierge folle" n'est même pas la pointe extrême des lectures de Bardel et Vaillant, puisqu'il est présupposé que "Vierge folle" est une charge agressive contre Verlaine. Bardel est convaincu que si Rimbaud a dédicacé un exemplaire d'<i>Une saison en enfer</i> c'est pour jouir de l'avis de rupture cinglant qu'il croit déceler dans les dernières lignes de "Adieu", puisque le poète se décrit seul, sans main amie, libre de rire des "vieilles amours mensongères".</div><div style="text-align: justify;">Il faut absolument rompre en visière avec les lectures de Vaillant et Bardel, tant elles font dire au livre tant de choses qui lui sont bien étrangères.</div><div style="text-align: justify;">J'ai notamment insisté sur le fait que la lecture biographique et à charge contre Verlaine faisait manquer les visées de sens réelles du récit. La Vierge folle est comme le poète de "Mauvais sang" au fond du monde. Délaissée, elle a des élans vers n'importe quelle divine image, ici elle souhaite retourner vers Dieu, mais c'est aussi un mouvement du poète de "Mauvais sang" qui demande sa pitié à Dieu à la fin de "Nuit de l'enfer". Tout comme le poète de la Saison a une foi qui se corrompt sans qu'il s'en aperçoive dans les sections 6 et 7 de "Mauvais sang", la Vierge folle passe insensiblement de la confession de la repentante à une confidence où ses intentions sont assez mal arrêtées. Tout comme le poète "encore enfant" admirait le "forçat intraitable", la Vierge folle admire l'Epoux infernal. Il ne faut pas opposer les personnages de la Vierge folle et de l'Epoux infernal. Par définition, la Vierge folle est elle aussi une âme damnée. Il ne faut pas le perdre de vue. Elle prétend revenir à Dieu, mais même si la parabole de l'Evangile selon saint Mathieu est très éloignée du texte de la Saison je rappelle que les vierges folles sont rejetées de la noce : Dieu leur dit, je ne vous connais pas. Leur faute était pourtant de simple imprévoyance. C'est le fameux principe du "vous ne connaissez ni le jour, ni l'heure", autrement dit il faut être prêt à tout instant. C'est pour cela que la Vierge folle modifie son propos : "Je suis veuve" en "J'étais veuve". Bardel y voit un dérisoire cafouillage sur les temps verbaux qui n'apporte rien pour le sens, et Brunel imaginait en 1987 que la Vierge folle dit qu'elle est veuve de l'Epoux infernal alors qu'elle l'était déjà de l'Epoux divin. Non, pas du tout ! Elle est dans la repentance, elle dit "Je suis veuve" ce qui signifie qu'elle se reproche son absence au festin de noces avec l'Epoux divin, mais elle veut que ce soit réparable, elle dit comiquement qu'elle n'est pas née pour devenir squelette, et quand elle dit : "J'étais veuve", c'est une autre forme comique de refus de la réalité de sa damnation. Elle croit sa rédemption possible en tout cas.</div><div style="text-align: justify;">J'ai dans la première partie de mon article rendu compte d'une moitié des pages de notes d'Alain Bardel, notes en vis-à-vis du fac-similé, et j'ai mis en avant que Bardel prétendait identifier une critique de la charité chrétienne dans le caractère grotesque des actes de charité de la Vierge folle et de l'Epoux infernal. Je ne suis évidemment pas d'accord avec cette lecture très facile à contester. Il va de soi que les objections du chrétien à cette lecture sont toutes prêtes et imparables. Ce n'est pas les actes de charité de la Vierge folle et de l'Epoux infernal qui posent problème, c'est le manque de vraie charité des deux personnages, c'est la Vierge folle et l'Epoux infernal eux-mêmes qui sont le problème ici.</div><div style="text-align: justify;">Qui plus est, comme cela était prévisible, dès qu'il y a un acte de charité et de bonté dans le récit, c'est une concession morale faite à Dieu dans la lecture des critiques rimbaldiens. Certes, la prose liminaire et le début de "Mauvais sang" tiennent des propos particulièrement radicaux, mais il faut évidemment apprécier le décalage entre la charité bien entendue et une espèce de charité qui a des vices dans ses principes. Petit à petit, on se rend compte qu'on peut dégager précisément des éléments problématiques dans les conceptions de l'Epoux infernal. Ce qui est très intéressant dans la conception du récit, c'est que la Vierge folle est plus à même de dénoncer les mensonges de l'Epoux infernal. L'Epoux infernal veut fuir la réalité avec un tel degré d'obsession qu'il a besoin du discours d'autrui pour sentir toute la crudité de sa folie. Ici, il relaie le discours de la "Vierge folle", il consent à relayer la critique qui est faite de lui. Et dans "Drôle de ménage !" il ne critique pas les lubies uniquement de la "Vierge folle", il juge le couple lui-même, le ménage, et admettant la part de critique de son propre cas il peut alors passer à l'autocritique qu'est "Alchimie du verbe".</div><div style="text-align: justify;">C'est plutôt comme ça qu'il faut voir l'implication du discours rapporté de la "Vierge folle". <i>Une saison en enfer</i>, c'est un écrit de mise au point sur soi (le narrateur, certes représentant de l'auteur) et la pièce rapportée sert à s'analyser soi-même. On n'est pas dans de la copie pour régler des comptes. Dire du mal de Verlaine dans un langage travesti n'a aucun sens au plan de la conception du livre <i>Une saison en enfer</i>. Il y a bien des allusions biographiques à Verlaine dans "Vierge folle", mais tout est ramené à une autocritique du poète lui-même, à une autocritique de Rimbaud lui-même. C'est pour cela que, même s'il est piquant pour lui de reconnaître des allusions à sa personne dans "Vierge folle", Verlaine ne s'est pas indigné contre ce récit. Il s'est indigné contre le discours de "Vagabonds" où sifflait à ses oreilles sans aucun doute l'expression "chagrin idiot", mais jamais contre "Vierge folle". Et je le répète, "Vierge folle" contient de nombreux éléments qui permettent d'identifier tantôt le poète de "Mauvais sang", tantôt Rimbaud lui-même, mais quasi aucun qui permette d'identifier Verlaine. La religiosité n'est pas verlainienne, le style n'est pas verlainien, ou alors "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer" sont du Verlaine aussi. Le veuvage ne renvoie pas à Mathilde, et ainsi de suite. Quand on identifie une allusion à Verlaine, c'est toujours indirectement parce qu'on identifie Rimbaud. L'Epoux infernal n'était encore qu'un enfant, donc c'est Rimbaud, donc on peut identifier la Vierge folle à Verlaine. Je suis désolé, mais ce n'est pas ce qu'on nous vend. On identifie Verlaine uniquement parce que d'abord on identifie Rimbaud ! L'Epoux infernal est charitable avec la Vierge folle, on peut identifier Verlaine qui parle du dévouement de son ami dans ses lettres. Il est question de s'enivrer dans des bouges, c'est l'affaire des deux, pas du seul Verlaine. L'Epoux infernal joue à se cacher et à jaillir sur Verlaine pour l'épouvanter, on reconnaît les jeux de Rimbaud. Les frères Cros témoignaient en ce sens avec les mutilations, etc. Verlaine n'est pas caractérisé dans le récit, mais Rimbaud l'est.</div><div style="text-align: justify;">Les rimbaldiens prétendent que Rimbaud parodie pour s'en moquer la religiosité mièvre et faible de Verlaine, sauf que c'est contradictoire avec le fait que les mêmes rimbaldiens commentent les effusions similaires du poète dans "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer".</div><div style="text-align: justify;">J'ai parlé de psychologie de comptoir pour les lectures de Bardel et de Vaillant. J'ai épinglé des allusions complètement imaginaires à la plaquette <i>Les Amies</i>. A propos de l'expression "chargée du mépris des plus méprisables coeurs," qui a un sens de renchérissement assez évident : "méprisée par ceux-là même qui sont les plus méprisables, c'est dire si on touche le fond...", Alain Vaillant, qui adopte un principe de lecture identique, prend le mot "mépris" pour évoquer une arrière-plan contextuel que le texte ne cautionne en rien (page 87) :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>Il lui est maintenant tout "permis", puisqu'elle est "chargé du mépris des plus méprisables cœurs" : l'allusion semble transparente à la procédure de séparation engagée par sa femme Mathilde, et plus généralement à l'hostilité de sa belle-famille, dont Rimbaud lui-même avait été directement la cible. [...]</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Il faut se pincer tant on croit rêver de lire une analyse pareille.</div><div style="text-align: justify;">Dans la foulée, Vaillant soutient que l'expression : "Je suis veuve" est la preuve que Verlaine n'a pas attendu d'écrire <i>Mémoires d'un veuf</i> sorti en 1886 pour utiliser l'expression. Pour rappel, les attestations du mot "veuf" par Verlaine pour évoquer la ruine de son ménage datent au plus tôt de 1882, d'après Pierre Brunel qui en rend compte dans son édition critique de 1987. L'(objection est traitée comme sans importance nullement aucune. Vaillant et Bardel font passer leur lecture en France. Je rappelle que dans la recension du livre de Bardel est déjà rédigée pour figurer dans le prochain volume de la revue <i>Parade sauvage</i> qui va paraître sous peu en ce début d'année 2024. La recension est faite par un rimbaldien de l'ombre apparemment : Mendel Péladeau-Houle, inconnu pour moi au bataillon. Alain Vaillant fait partie des dix-sept rimbaldiens officiellement recensés dans le comité critique, sachant que parmi ces dix-sept noms nous avons des personnes décédées : Yann Frémy, Bruno Claisse, des gens inactifs au plan de la relecture des articles dont les mentions sont purement honorifiques : Anne-Emmanuelle Berger, Jean-Luc Steinmetz, Thierry Méranger, Mario Richter, Yoshikazu Nakaji, Marc Dominicy, certains ne se prononceront que sur leur domaine de spécialité : Benoît de Cornulier, et plusieurs noms ne sont pas des universitaires influents : Christophe Bataillé, Philippe Rocher, Samia Kassab-Charfi. Je ne pense pas non plus que Pierre Brunel et Michel Murat soient si impliqués dans le comité scientifique. Seth Whidden était l'ancien codirecteur de la revue. Peut-être qu'Alain Vaillant lui-même n'a pas plus de rôle, mais on constate qu'il a une réelle présence éditoriale et de meneur de projets collectifs rimbaldiens. Il reste Steve Murphy comme impliqué et les deux rédacteurs en chef Robert Saint Clair et Denis Saint-Amand. Quant à Alain Bardel, non seulement il publie régulièrement dans la revue, mais il est plusieurs fois en charge de rédiger des comptes rendus, et dans le volume 34 à paraître il publie un article dans la section "hommage", un deuxième article dans la section "Varia" et il rédige deux comptes rendus (à proximité donc du compte rendu qui est fait de son propre essai).</div><div style="text-align: justify;">J'attends évidemment avec impatience, mais ça risque d'être long, les fins de non-recevoir des contributeurs de la revue <i>Parade sauvage</i> aux deux essais d'Alain Vaillant et d'Alain Bardel. Qui va avoir le courage de le faire ? Sera-ce en 2025 ou plus tard encore ?</div><div style="text-align: justify;">Reprenons la lecture de "Vierge folle" maintenant.</div><div style="text-align: justify;">Bardel et Vaillant font remarquer un enchâssement particulier : le poète fait parler la Vierge folle qui va faire parler l'Epoux infernal. Les lectures étant biographiques, les critiques vont surtout mettre en avant que, dans les propos de l'Epoux infernal, on reconnaît un "résumé désordonné de 'Mauvais sang' " (Vaillant page 89 de son essai), ils vont commenter le texte de la "Vierge folle" en fonction de connaissances biographiques sur Rimbaud et Verlaine, en fonction éventuellement de la production littéraire de Rimbaud au-delà d'<i>Une saison en enfer</i>. Puis, au sujet des actes de charité, j'ai déjà fait remarquer que Bardel y voyait une satire de la charité chrétienne, alors qu'il s'agit plutôt d'un exercice décalé de "charité ensorcelée". On ne peut pas prendre deux damnés et commenter les travers de leurs actes charitables pour critiquer la charité chrétienne, ce n'est pas une façon logique de procéder.</div><div style="text-align: justify;">Dans sa lecture, Vaillant envisage une description méprisante de Verlaine par Rimbaud, mais ménage l'idée inverse que cette Vierge folle est tout de même touchante dans sa détresse (p. 90) :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>[...] Il est bien possible qu'il faille voir une intention malicieuse de Rimbaud dans cette manière insistante de souligner la faiblesse d'âme de Verlaine. Mais cela n'empêche pas de trouver touchante la fragilité avouée de cette "Vierge folle" [...]</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Je relève les modalisations de l'énoncé : "Il est bien possible", "faille". La lecture est certaine ou elle n'est pas certaine ? Il y a de la raillerie et de l'admiration à la fois, faut-il croire. Il est affirmé qu'il est question de "l'âme de Verlaine" en tout cas. La raillerie ne tient pas vu que dans les autres parties du récit le poète met en scène sa propre fragilité comme je l'ai déjà dit. Vaillant soutient aussi que le récit est farci de références à l'homosexualité, ce qui ne tient pourtant qu'à une seule chose l'identification de Verlaine à la Vierge folle. En-dehors de ça, il n'y a rien sur l'homosexualité dans ce texte. D'ailleurs, le poète parle du problème de la vérité de l'amour, problème pour lequel la Vierge folle n'est pas à la hauteur. Elle n'est ni une compagne au sens fort, ni un ami ou un amie, elle est un "compagnon d'enfer", ce qui doit être même un peu en-dessous du "compagnon", puisque le poète disait ne pas avoir un seul compagnon dans "Mauvais sang". C'est un "Drôle de ménage", donc un faux ménage. Et jusqu'à la conclusion, le poète va demeurer sans "main amie", sans découverte du bonheur amoureux à deux. Et le poète dénonce cette insatisfaction en considérant que les femmes elles-mêmes devraient changer, ce qui veut dire que le poète envisage de se mettre en couple avec une femme si celle-ci connaît la transformation intérieure nécessaire qui agréerait au poète. Par conséquent, Rimbaud parle bien de changer l'idée de l'amour en un sens général, et non pas en un sens homosexuel. Certes, Verlaine a écrit plusieurs poèmes où, lui, en revanche, parle de la singularité d'une relation homosexuelle avec Rimbaud, mais ce dernier n'adopte pas cette optique dans ses écrits. Il va falloir se lever pour identifier une revendication de l'homosexualité dans <i>Une saison en enfer</i>. La parodie de <i>L'Idole</i> d'Albert Mérat, oui, là il y a un discours, une revendication de l'homosexualité, mais dans <i>Une saison en enfer</i> je ne vois que des interprétations forcées en ce sens.</div><div style="text-align: justify;">Et on le voit le travers de la lecture biographisante. Si la Vierge folle est Verlaine, le récit ne peut que parler d'homosexualité d'un couple. Et quand, dans "Adieu", il est question de "l'enfer des femmes", les rimbaldiens vont exclure que pour partie il y ait une référence à la "Vierge folle", sous son forme ironique à l'intention de Verlaine. Même s'il s'inspire pour partie de Verlaine, Rimbaud a pensé la "Vierge folle" en tant que femme, en tant que femme perdue, déchue, prostituée. Il a développé en récit l'idée qu'il se faisait d'une soumission toute féminine selon son époque à un être aimé. Le fait qu'il s'inspire de Verlaine est l'indice que le profil n'est pas si spécifiquement féminin, mais dans la lettre du 15 mai 1871 et dans "Les Premières communions", et dans "Les Soeurs de charité", Rimbaud formule très clairement l'idée d'une aliénation sociale des femmes. Il n'est pas misogyne, mais il pense que les femmes ont une alinéation générale qui n'a pas, au moins à un même degré, une contrepartie chez les hommes.</div><div style="text-align: justify;">L'explication biographique par Verlaine escamote toute cette dimension sensible du discours de Rimbaud. Il faut d'ailleurs aussi préciser qu'<i>Une saison en enfer</i> est un texte politiquement déconcertant pour les rimbaldiens. Rimbaud a adhéré à la Commune, certains vont l'affadir à une figure de socialiste du genre de ce que nous avons de nos jours, ce qui n'est pas défendable, et Macron qui vient du parti socialiste montre à quel point cette idée est fallacieuse. Certains voient Rimbaud en extrême-gauche marxiste, moi pas, je le vois plus en extrême-gauche libertaire, mais avec <i>Une saison en enfer</i> on a des aspects plus compliqués qui se révèlent, on a droit à des amorces de discours réactionnaires contre le progrès, contre l'idéal de la nation, signe au passage qu'il ne voterait pas le parti socialiste de nos jours. Dans <i>Une saison en enfer</i>, on a droit à un Rimbaud qui pense le genre humain plutôt comme mauvais, il finit seul. On touche vraiment du doigt la complexité politique de l'auteur Rimbaud. Pour moi, il reste bien évidemment un communard, et il reste bien évidemment un anticlérical particulièrement virulent. Rimbaud, tu lui disais qu'il croit à Dieu, il te mettait sans doute une tarte, sauf si t'étais vraiment trop balèze pour lui, parce que je ne pense pas non plus qu'il était surprenant de courage. Mais Rimbaud est demeuré bigot jusqu'en 1868. Delahaye le décrit comme réagissant contre les actes sacrilèges avant 1868, Rimbaud vient d'un milieu paysan catholique qui a imprégné sa personnalité, il écrit des vers latins au prince impérial en 1868. Il s'est jeté pleinement ensuite dans un appel à un républicanisme révolutionnaire, mais il a évidemment une approche personnelle de la réalité politique. Et en ce qui concerne la religion, je dirais que sur son mode de maîtrise de sa raison il est foncièrement athée, mais en deça c'est un être frustré qui avait des attentes. Dans sa vie africaine, Rimbaud écrit à sa mère que ce monde est le seul, qu'il n'y a pas d'au-delà, il cherche évidemment à dominer le contre-discours de sa mère, mais il y a aussi là l'indice réelle d'une fêlure. Il y a un espoir de vie éternelle qui ne s'est jamais résorbé en lui. Il ne croit pas en Dieu, il est dégoûté par le discours religieux, mais, quelque part, l'attente d'une autre vie ne lui déplaît pas. Evidemment, il ne lâche pas la bride à cette pulsion profonde, le rejet de cette idée prédomine, et la composition d'<i>Une saison en enfer</i> reflète cette forme de rejet, la conforte, mais il joue avec les troubles des élans spirituels frustrés tout au long du récit. Et ça c'est compliqué à admettre si on veut être un lecteur athée pour qui l'affaire est entendue. Rimbaud dirait sans doute lui-même que l'affaire est entendue, mais il a écrit un ouvrage sur son immense frustration en réalité.</div><div style="text-align: justify;">Et la partie sur "Vierge folle", quand on dépasse l'enfermement dans la lecture charge contre Verlaine, on voit que c'est une étape non négligeable de la mise au point qui permet au poète de passer à l'acceptation, certes amère, mais nécessaire, de la réalité telle qu'elle est.</div><div style="text-align: justify;">Les poètes jouent à s'imaginer des voyants. Du moins à certaines époques de l'histoire de l'humanité. Dans le cadre de la littérature française, l'idée du poète mage a eu un premier succès au XVIe siècle avec le mouvement de la Renaissance et surtout avec les poésies de Ronsard, et il y a eu un bon prolongement du fait des guerres de religion avec les poèmes engagés catholiques de Ronsard et protestants d'Agrippa d'Aubigné. Il faut dire toutefois que pour Ronsard, du Bellay et même Aubigné et autres la figure de mage du poète est clairement une construction rhétorique. Cette figure du poète mage est revenue au dix-neuvième siècle avec le romantisme, et cela englobe le romantisme, le mouvement du Parnasse et des poètes difficilement classables tels que Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Corbière, Ducasse et Mallarmé. Baudelaire disait bien qu'il était encore dans l'époque du mouvement romantique, l'échec des <i>Burgraves</i> n'étant qu'un effet de réaction lasse face à la mode, et Rimbaud est bien évidemment un romantique tardif. Normalement, tout le monde comprend spontanément que les discours de voyant de Lamartine, Hugo, Vigny, ne sont que de la pose rhétorique. On sait bien que si intelligence il y a dans leurs poèmes ça ne vient pas des facultés poétiques en tant que telles. La pose de voyant permet surtout de magnifier un discours. Enfin, moi qui ne suis pas débile, j'identifie ça au quart de tour. C'est du bon sens. Rimbaud pose problème avec sa lettre du 15 mai 1871, parce qu'il semble l'exception, celui qui y croit au contraire des autres. Il va de soi que Rimbaud a très bien compris qu'il y avait de la pose chez Lamartine, Hugo, Baudelaire, Leconte de Lisle, Banville, etc., mais il a entrevu une efficacité étrange et trouble de la parole poétique, et il s'est dit qu'il allait trouver la formule de cette efficacité au-delà de la pose. Le livre <i>Une saison en enfer</i> est un compte rendu d'échec de cette expérience, avec évidemment une exagération critique puisque Rimbaud lui-même ne s'était pas interdit de poser lui aussi pour partie au plan rhétorique.</div><div style="text-align: justify;">Alors, ne nous embourbons pas dans une complexité d'analyse terrifiante, mais dans le discours de la "Vierge folle", il ne faut pas se contenter de voir que la vie d'aventures des livres d'enfance annonce l'intérêt pour la littérature populaire dans "Alchimie du verbe", il faut bien évidemment identifier le processus de fascination qui fait que le lecteur avec son âme d'enfant va s'enferrer à désirer comme récompense les fastes des aventures littéraires. Il va lire un récit fantastique et y voir des promesses, et fixer des attentes. C'est ça qu'il faut mettre en avant dans l'analyse. La Vierge folle après avoir parlé de sa situation, décrit l'Epoux infernal, rapporte ses propos, donne un aperçu de ses idées. Elle critique sans détour l'écart entre les prétentions de l'Epoux infernal et la réalité des productions. Elle voit que l'Epoux infernal ne s'évade de la réalité qu'en esprit, qu'il ne fait que chercher des moyens de "changer la vie". Autrement dit, constatons qu'il faut changer la vie, l'Epoux infernal fait comme si ce constat allait de pair avec une solution. Si je trouve que la vie doit changer, c'est que j'ai déjà le comportement adéquat de la vie modifiée : c'est ainsi que semble penser l'Epoux infernal. Or, la Vierge folle est le témoin de l'écart entre le constat et la solution. Le poète veut changer la vie, sans identifier ce qui change en lui, mais elle elle le voit, et surtout elle ne se ment pas à elle-même, elle a des attentes de la part de l'Epoux infernal qui ne sont pas comblées. Elle identifie clairement ce que l'Epoux infernal n'est pas capable d'admettre spontanément avec autant de limpidité.</div><div style="text-align: justify;">La Vierge folle rapporte aussi très clairement tout un dispositif qui montre pourquoi la charité de l'Epoux infernal n'est pas chrétienne. Non seulement il y a le rappel de la sauvagerie de "Mauvais sang" et de certains alinéas de la prose liminaire, mais il y a un cadre de "paradis de tristesse" avec un "ciel sombre". Donc, la charité aboutit à un décor qui n'est pas celui du festin chrétien. Il faut donc analyser que les décalages dans les actes font une charité distincte de celle demandée par Dieu.</div><div style="text-align: justify;">Et je peux souligner des principes métaphoriques plus précis qui sont disséminés dans l'ensemble de la Saison. Dans "Mauvais sang", quand les blancs débarquent au royaume de Cham, le poète subit une conversion forcée qui arrive à avoir de l'effet sur lui, et il est question de travailler et de s'habiller. Le travail est souvent contesté dans <i>Une saison en enfer</i>, mais vous remarquerez que le travail est non pas un des éléments du "bonheur établi" des chrétiens, il y a aussi l'idée que le travail et l'habillement participent du rendement de la charité bien ordonnée du monde de justice, de Beauté, etc. J'en veux pour preuve que pour le forçat intraitable, Rimbaud parle du "travail fleuri de la campagne" et plus loin dans "Mauvais sang" quand il subit les pressions du monde du "bonheur établi" et se réfugie du côté de l'Afrique il se pose la question : "connais-je encore la nature ?" Dans "Vierges folle", nous avons une allusion au travail qui a certes une connotation sexuelle à proximité de la "pénétrante caresse", mais il faut bien voir que c'est la revendication d'un travail du couple concurrent du travail du monde de la charité : "Bien émus, nous travaillions ensemble". J'ai vraiment l'impression que tout ce dispositif conceptuel n'est pas compris, ni pris en considération par les commentateurs d'<i>Une saison en enfer</i>. La Vierge folle anticipe des aspects du récit de "Alchimie du verbe" avec l'enfoncement dans la tristesse, l'appel aux voyages et on retrouve l'idée de devenir fort exprimée déjà par le poète dans "Mauvais sang". Donc, au lieu d'identifier des allusions biographiques, au lieu de disserter sur le fait que Verlaine ne serait pas à la hauteur du projet rimbaldien, il faut peut-être déjà considérer que l'échec de la Vierge folle est une illustration par une autre personne de l'échec du poète dans "Alchimie du verbe". On a quand même des phrases savoureuses qui ont du sens : "Ou je me réveillerai, et les lois et les mœurs auront changé." Nous avons aussi de nouvelles phrases étranges, comme dans "Mauvais sang" le poète s'interrogeait : "Faiblesse ou force, te voilà c'est la force !" nous avons une curieuse expression de la part de la "Vierge folle" : "Aucune autre âme n'aurait assez de force, - force de désespoir ! - pour la supporter !" Les rimbaldiens font comme si cette dialectique force et faiblesse n'était pas importante à la compréhension du livre <i>Une saison en enfer</i>. Moi, je trouve que c'est capital, j'ai un dossier de notes avec des relevés, je transformerai ça en article. Ce que je constate, c'est que Bardel et Vaillant ne commentent pas ces passages si essentiels à la compréhension d'ensemble d'<i>Une saison en enfer</i>. On préfère souligner des hypothèses selon lesquelles la Vierge folle se plaint en se disant "veuve" d'avoir brisé son ménage officiel de bonheur établi avec Mathilde, alors que ça ne rentre pas dans les perspectives fascinantes de lecture d'ensemble du livre <i>Une saison en enfer</i>...</div><div style="text-align: justify;">Je ne suis pas d'accord non plus avec la lecture par Bardel des passages "on voit son Ange, jamais l'Ange d'un autre" ou "je ne le voyais pas avec une autre âme" (Bardel glose ainsi : "je ne le voyais pas avec une autre que moi").</div><div style="text-align: justify;">Je ne suis pas d'accord, parce que j'ai une lecture métaphysique de "Vierge folle" et pas une lecture biographique portant sur des problèmes mesquins.</div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-72238805387806165292024-02-01T14:16:00.000-08:002024-02-01T14:16:10.311-08:00Pour une relecture de "Vierge folle" !!! (partie 1 / 2)<div style="text-align: justify;">Il est toujours intéressant de réagir après des publications d'autres personnes. A la base, nous lisons tous les œuvres de Rimbaud avec les mêmes annotations des éditions courantes. Tous nous sentons bien que la Vierge folle a hérité de quelque chose de Verlaine, comme il apparaît avec évidence qu'il faut identifier l'Epoux infernal au poète qui a tenu le discours de la section "Mauvais sang". A peu près tous, du moins depuis que le rejet de l'hypothèse a fait son lit, nous méprisons l'idée de considérer que la Vierge folle et l'Epoux infernal soient un duo allégorique représentant une dualité d'âme de Rimbaud. Jusqu'ici, je le croyais, personne ne faisait du récit de "Vierge folle" un témoignage biographique pur et simple sur la relation de Rimbaud avec Verlaine.</div><div style="text-align: justify;">Tout a basculé avec les publications quasi simultanées des essais d'Alain Vaillant et d'Alain Bardel. Pour moi, l'intérêt, c'est que maintenant qu'ils ont explicité leurs positions, qu'ils ont détaillé une argumentation, je vais pouvoir donner d'une côté une contre-argumentation où on ne viendra pas me dire : "Oui, mais, on les prenait déjà en compte ces nuances-là, il n'empêche qu'on a bien raison de penser ce qu'on pense, on est nuancés de toute façon, bien sûr, mais on a envie de dire notre thèse, c'est ça qui est important !" et d'un autre côté je vais développer une lecture dont on ne viendra pas non plus me dire qu'elle va de soi, puisqu'elle ne transparaît nullement dans les deux ouvrages en question.</div><div style="text-align: justify;">C'est parti, je commence par exposer la thèse adverse. Je commence par le livre d'Alain Bardel. Le texte fac-similaire de l'édition originale de "Vierge folle" est donné des pages impaires 133 à 143 de son livre et nous avons plusieurs notes au fil du texte qui sont données des pages paires 132 à 142. Cela nous fait six pages de notes. Je ne vais me concentrer que sur les notes d'identification de la Vierge folle à Verlaine, mais avant même cette identification la première note identifie le narrateur à une figuration de l'auteur lui-même, ce qui permettrait de rendre plus manifeste l'ironie du récit. Je ne comprends pas très bien la logique, mais c'est bien ce que Bardel soutient (page 132) :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>[...] Ce meneur de jeu est une représentation de l'auteur lui-même. Donner une certaine consistance à cette figure du narrateur permet à Rimbaud de matérialiser sous la forme d'un quasi-personnage l'attitude ironique, la distance qui sont les siennes.</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Comme mes réserves pourraient ne pas être bien comprises ou senties, j'explique de quoi il retourne. Le récit <i>Une saison en enfer</i> est un recueil de pages écrites sur un carnet de damné précédé d'un texte de présentation qui se termine en envoi retors à Satan. Pour l'ensemble des sections, c'est le poète damné qui parle et la section "Vierge folle" constitue l'exception. Toutefois, le poète manifeste sa présence, il a recueilli la parole de la "Vierge folle" dans ses écrits. Il introduit cet apport extérieur par le premier alinéa : "Ecoutons la confession d'un compagnon d'enfer : [...]" et on apprécie la dimension orale apportée par le verbe "Ecoutons". Et à la fin de cette confession, le poète fait une espèce de commentaire laconique qui vaut conclusion : "Drôle de ménage !"</div><div style="text-align: justify;">On pourrait croire que je ne peux qu'être d'accord avec ce qu'en dit Bardel, sauf que son commentaire suppose une ironie et une distance du narrateur à l'encontre de la Vierge folle seule, ce qui est contradictoire avec la mention "Drôle de ménage" qui implique le narrateur lui-même. Ensuite, Bardel même s'il ménage la distinction narrateur et auteur pose que le narrateur est une "représentation de l'auteur" et cela développe la thèse d'un récit biographique à charge contre Verlaine.</div><div style="text-align: justify;">Je pense que vous comprenez la tension entre mes impressions et la lecture de Bardel, et tout cela va devenir toujours plus clair dans la suite de cette étude.</div><div style="text-align: justify;">L'identification de la "Vierge folle" à Verlaine commence avec la troisième et dernière note de la page 132, mais cette note est énorme, elle fait la moitié de la page, et surtout l'identification est biaisée par une démarche progressive problématique.</div><div style="text-align: justify;">Je commence par citer l'extrait en gras qui correspond à la partie du texte de "Vierge folle" commentée par cette note : "Ô divin Epoux, mon Seigneur, ne refusez pas la confession de la plus triste de vos servantes." Il s'agit des premières paroles rapportées de la Vierge folle. Bardel n'en dit rien, mais cette phrase flatte les tenants d'une identification brute à Verlaine avec la mise en avant de la très grande tristesse personnelle, le lyrisme ému, la prière de retour vers Dieu, la repentance. Le problème, c'est qu'entre avril et août 1873 nous n'avons aucune attestation d'un retour de Verlaine vers la foi chrétienne. Au contraire, il met au point des récits diaboliques en vers dont Rimbaud possède des versions manuscrites. Il suffit de lire pour la période avril-août 1873 les passages de la <i>Correspondance générale</i> de Verlaine éditée par Pakenham pour se faire une idée des préoccupations religieuses ou non de Verlaine... Je remarque qu'en avril Verlaine, de passage en Belgique, écrit à Félix Régamey qu'il "pioche l'Anglais comme un nègre", ce qui fait étrangement écho au fait que c'est précisément ce mois-là, une fois revenu chez les siens, que Rimbaud va commencer à rédiger les histories d'un "Livre nègre" ou "païen". Verlaine ne parle pas dans cette lettre de religion, mais d'un cabaret et de "promenades à pied", ainsi que de ses projets avec des "vers en masse". Le 18 avril 1873, la mère de Verlaine, qui attend le retour de son fils, écrit une lettre qui parle des fatigues et malheurs du "ménage en dislocation". Elle se plaint de s'être déjà rendue trois fois à Bruxelles et une fois à Londres, et espère que Paul sera enfin "raisonnable" et qu'il va se conduire en "homme sérieux".</div><div style="text-align: justify;">Le 22 avril 1873, Verlaine écrit à Blémont de Jéhonville. Il dit qu'il revient à l'instant d'une "petite excursion <i>prudente</i> vers Sedan", il dit ne voit que de loin en loin "l'ami à qui [il a] voué toute [s]on affection et qui [la lui] rend si bien". Verlaine dit qu'il "travaille beaucoup" sur son projet de recueil, à savoir les <i>Romances sans paroles</i>, et sur un "recueil de tous [ses]vers [...] inédits". Et la parenthèse offre une énumération éloquente : "sonnets, vieux poèmes saturniens, vers politiques et quelques obscénités". Il prévoit de faire "imprimer" tout cela "à Bruxelles" "avec une énorme préface où il [va] tape[r] sur beaucoup de choses et de gens." On peut verser au dossier qu'il rappelle qu'il a failli mourir deux fois et que la première fois "à Londres" il a "dû [s]on salut" à sa mère et au "dévouement de Rimbaud, revenu tout exprès de Charleville." Cela est plaisamment suivi par un "Tout récemment" en attaque de phrase pour évoquer le deuxième risque de mort : "Tout récemment, en Belgique même, à Namur, j'ai eu comme une espèce d'attaque cérébrale dont je ne suis sorti sauf que par de l'eau sédative en masse." Namur est dangereuse aux poètes, ce n'est pas en sortant de l'église Saint-Loup que Baudelaire a eu sa première attaque ? Moi, c'est la ville où je suis né, je suis immunisé, tout comme Henri Michaux et Félix Ravaisson. Dans cette lettre à Blémont, Verlaine envoie les poèmes "<i>A poor young shepherd</i>" et "<i>the Child Wife</i>". On ne peut pas parler de religiosité douce pour ces poèmes. Loin de là. En <i>post-scriptum</i>, Verlaine évoque un "drame en prose" et un "grand roman intime". Et la parenthèse ajoute "(rien d'autobiographique : - fi, l'horreur !)" Le rejet de l'autobiographique en tant que tel est intéressant à noter, même si c'est un peu retors au vu des <i>Romances sans paroles</i>, avis contre l'autobiographique brut que Rimbaud partageait probablement. Le "drame en prose" serait <i>Madame Aubin</i> selon Pakenham et cela va de soi puisque Verlaine annonce "<i>Mme Aubin</i>" comme un "drame en prose" dans sa lettre à Lepelletier du 16 mai 1873, tandis que le roman intime semble n'avoir jamais eu de suite.</div><div style="text-align: justify;">Un jeudi du milieu du mois de mai, Verlaine écrit une lettre à l'ami de Rimbaud qu'est Delahaye où il figure le juron textuel suivant : "Mais nom de Dieu de bordel !" Marivaux, Voltaire et Sterne sont corrompus en Marinel, Voltomphe et Sperme. Au passage, cela peut laisser entendre que Rimbaud les a lus lui aussi de son côté.</div><div style="text-align: justify;">Dans une lettre du lendemain vendredi 16 mai, Verlaine parle de son procès à Lepelletier, mais aussi de "<i>Mme Aubin</i>" avec un commentaire où il épingle l'auteur de <i>La Dame aux camélias</i> : "Un <i>cocu sublime </i>(pas à la manière de Jacques, le mien est un <i>moderne</i> extrêmement malin et qui rendra des points à tous les aigrefins de ce con de Dumafisse." Je rappelle qu'une adaptation théâtrale du roman <i>La Dame aux camélias</i> allait être représentée à Londres en juin 1873, tandis que Rimbaud cite le prénom et le nom du personnage principal masculin du roman à la fin de "Vierge folle". Verlaine prétend aussi compléter un "opéra-bouffe 18e siècle, commencé il y a 2 ou 3 ans avec Sivry." Et pour la musique il évoque <i>Les Cent vierges</i> et <i>Mme Angot</i>. Pakenham précise que Verlaine a vu dix fois l'opérette-bouffe <i>Les Cent vierges</i> à Londres, opérette créée à Bruxelles le 16 mars 1872. <i>La Fille de Madame Angot</i> est une création à succès récente du 4 décembre 1872. Verlaine parle aussi d'un recueil de sonnets où il reprendrait la plaquette <i>Les Amies</i> dont il demande une copie à Lepelletier s'il l'a. Il prévoit aussi une préface à son recueil projeté depuis quelque temps <i>Les Vaincus</i>. Et enfin, il envoit une version du poème de luxure "Invocations" réputé pour ses rapprochements avec d'un côté la prose liminaire d'<i>Une saison en enfer</i> et de l'autre "Jeunesse II" des <i>Illuminations</i>. Je passe sur les dessins d'époque autour des rendez-vous de Bouillon, je passe sur la lettre à Rimbaud du 18 mai 1873. Le 19 mai 1873, Verlaine indique qu'il tient énormément à la "dédicace à Rimbaud" pour son recueil à venir des <i>Romances sans paroles</i>. Il y est à nouveau question du "dévouement" d'Arthur. Le 23 mai, au même Lepelletier, Verlaine explique qu'il en a assez des "vers chiés comme en pleurant" et des "tartines à la Lamartine", même s'il concède à celui-ci des "choses inouïes de beauté". Il cite <i>La Chute d'un Ange</i>. Verlaine s'excuse aussi de fréquenter Andrieu et Vermersch sous prétexte qu'il les connaissait "avant la politique".</div><div style="text-align: justify;">Dans une lettre de Londres du 25 juin 1873, Verlaine précise avoir vu dix fois <i>Les Cent vierges</i>, mais il y a aussi un passage à nouveau sur Dumas fils :</div><div style="text-align: justify;"><blockquote><i> Je ne suis pas de l'avis de Pelletan sur Dumas fils. Et l'Homme-femme n'est pas si apocalyptique que ç[a], - bien que je ne sois pas disposé à suivre le "Tue-la !" qui est là pour la vente. - Mais, vrai, </i>Mme Aubray<i>, la </i>Princesse George<i>, c'est très fort et très neuf. Je ne connais pas encore la </i>Femme de Claude<i>. Mme Desclée va, j'espère, la jouer.</i></blockquote></div><div style="text-align: justify;">Dans une lettre au même Blémont du 21 juin, Verlaine précisait qu'il ne lisait plus les journaux français et ne rien savoir de ce qui se passe à Paris. Il fait allusion ici à un article de Pelletan dans la revue <i>La Renaissance littéraire et artistique</i> qui date du 8 février 1873, un compte rendu de <i>La Femme de Claude</i>, le pamphlet <i>L'Homme-femme</i> date de 1872. Verlaine recommande aussi le 25 juin à Lepelletier de lire les recueils <i>Pleurs</i> et <i>Pauvres fleurs</i> de Desbordes-Valmore citant un extrait du poème "Dormeuse" sous le titre pour moi volontairement corrompu "Berceuse".</div><div style="text-align: justify;">Je passe sur la lettre de Verlaine du 3 juillet où il demande à Rimbaud de le pardonner pour sa "pingrerie" et pour le fait de le laisser en plan, il prétend se suicider s'il ne retape pas son ménage. Les lettres en retour de Rimbaud sont autrement larmoyantes et proches du lyrisme de la "Vierge folle" si on veut tenter cette voie. En juillet, incarcéré après le drame de Bruxelles, Verlaine écrit plusieurs lettres à Victor Hugo et il n'y est pas question de religion non plus. Rappelons que la justice a saisi un poème de Verlaine intitulé "Le Bon disciple" qui est particulièrement blasphématoire. Arrêtons-là. On l'a compris. Quelque chose cloche dans l'affirmation selon laquelle Rimbaud imiterait la religiosité toute de plaintes mièvres de Verlaine.</div><div style="text-align: justify;">Nous observons que ces courriers véhiculent des éléments exploitables pour commenter <i>Une saison en enfer</i>, ce dont les rimbaldiens n'ont rien fait. Il y a plusieurs allusions à Dumas fils, un renvoi à un article de Pelletan que Rimbaud a dû lire lui aussi. Il y a une idée de travestissement aussi possible dans ces références, éventuellement utile à une compréhension de "Vierge folle", cela reste à creuser. En attendant, voici ce qu'affirme sans crier gare Bardel à propos du "compagnon d'enfer" "Vierge folle" (page 132) :</div><div style="text-align: justify;"><blockquote><i>[...] Le "compagnon d'enfer" annoncé à l'</i>incipit<i> se transforme aussitôt en un personnage féminin. Cette "servante" du "Seigneur" dissimule donc un homme. Le procédé force le trait de la satire religieuse et crée une équivoque sexuelle. Le dialogue de la "Vierge folle" avec le "divin Epoux" constitue une parodie de cette littérature mystique où l'âme humaine est représentée par le partenaire féminin du couple et où l'amant représente Dieu. [...]</i></blockquote></div><div style="text-align: justify;">Les affirmations sont péremptoires. "Compagne"' est-il le synonyme féminin strict de "compagnon" ? Pas tout à fait ! Certes, le féminin peut désigner une âme qui veut communier avec Dieu métaphorisé en pôle masculin, mais le commentaire ne s'impose que s'il est acquis que la "Vierge folle" est en réalité un homme qui parle en s'imaginant en femme. Mais, surtout, Bardel développe ses convictions sur une certitude ici non rappelée que les propos rapportés de la "Vierge folle" imitent le style verlainien. Or, la section "Vierge folle" est la suite narrative immédiate de "Nuit de l'enfer". Je vous cite la fin de "Nuit de l'enfer" pour vous donner une idée de l'absence de contraste entre l'Epoux infernal et la Vierge folle :</div><div style="text-align: justify;"></div><blockquote><div style="text-align: justify;"> <i>Ah ! remonter à la vie ! Jeter les yeux sur nos difformités. Et ce poison, ce baiser mille fois maudit ! Ma faiblesse, la cruauté du monde ! Mon Dieu, pitié, cachez-moi, je me tiens trop mal ! - Je suis caché et je ne le suis pas.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> C'est le feu qui se relève avec son damné.</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Je lis bien : "Mon Dieu, pitié, cachez-moi, je me tiens trop mal !" Je crois que ça se passe de commentaire. Il est vrai que dans "Nuit de l'enfer" il y a un mouvement de balancier, mais on peut aussi proposer un florilège des phrases de contrition du poète dans "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer". Je pourrais citer des extraits notamment des sections 6 et 7 de "Mauvais sang" jusqu'au travestissement d'ailleurs avec ceci : "Comme je deviens vieille fille, à manque du courage d'aimer la mort !"</div><div style="text-align: justify;">Bardel se permet d'affirmer qu'il y a une probable allusion à la "bigoterie de Verlaine" : "Plus tard je connaîtrai le divin Epoux ! Je suis née soumise à lui. L'autre peut me battre maintenant." Rimbaud battait-il Verlaine ? En tout cas, Verlaine battait sa femme. Puis, comment harmoniser avec la thèse de Bardel que le narrateur, qui serait l'auteur en représentation, s'accorde du "Mon Dieu, pitié, cachez-moi, je me tiens trop mal" ? Comment harmoniser cela avec les passages de "Mauvais sang" où le poète est surpris par le "coup de la grâce" et se lance dans un discours similaire à la "Vierge folle" : "L'ennui n'est plus mon amour", "le repentir me sera épargné", "Vais-je être enlevé comme un enfant, pour jouer au paradis dans l'oubli de tout le malheur !", "Le monde est bon", "J'aimerai mes frères". Et comme il est question de dénoncer la frivolité d'une relation dans "Vierge folle" : "C'était aussi frivole...", il est question de l'abandon des "goûts frivoles" dans cette partie particulière de "Mauvais sang".</div><div style="text-align: justify;">Sans donner l'impression de soupçonner ces difficultés, Bardel affirme encore péremptoirement que Rimbaud "tourne en ridicule la foi naïve de son ex-compagnon", "foi naïve" non attestée au plan biographique avant 1874 ! Et Bardel affirme que Rimbaud serait une sorte d'homosexuel misogyne (misogynie non constatée dans les écrits de Rimbaud) qui s'amuserait à traiter avec dédain d'une "relation homosexuelle" en peignant le partenaire sous les "traits d'une femme". Barde lcroit voir une allusion fine à la plaquette <i>Les Amies</i> :</div><div style="text-align: justify;"><blockquote><i>[</i>Rimbaud<i>] s'amuse à le montrer hésitant sur le sexe de ses ami(e)s : "Ô mes amies !.... non, pas mes amies...", malicieuse allusion aussi au recueil de poèmes saphiques de Verlaine intitulé </i>Les Amies<i>.</i></blockquote></div><div style="text-align: justify;">Bardel nous dépeint un Rimbaud en plein revirement homophobe !?</div><div style="text-align: justify;">En tout cas, il suffit de mettre en contexte la citation pour voir que ce n'est pas du tout de cela qu'il est question :</div><div style="text-align: justify;"><i></i><blockquote><i> "A présent, je suis au fond du monde ! O mes amies !... non, pas mes amies !... Jamais délires ni tortures semblables... Est-ce bête !</i></blockquote></div><div style="text-align: justify;">En revanche, le rapprochement avec "Mauvais sang" est autrement sensible. Non seulement "Est-ce bête !" rappelle le "suis-je bête !" de la section 4, mais ce rappel est solidaire d'un autre parallélisme sensible avec le "De profundis domine" qui précède la mention "suis-je bête". Et ça va plus loin encore, puisque la phrase "je suis au fond du monde" est le rappel de plusieurs phrases du poète dans "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer" : "Maintenant, je suis maudit", "mon vice [...] me renverse, me traîne", "je suis tellement délaissé", "De profundis domine", "je tomberai au néant", "Mais l'horloge ne sera pas arrivée à ne plus sonner que l'heure de la pure douleur", "l'air de l'enfer ne souffre pas les hymnes", "Je me crois en enfer, donc j'y suis", "que je tombe au néant", "le diable est au clocher, à cette heure" (variante sur l'horloge ne sonnant plus que l'heure de la pure douleur bien évidemment), "l'horloge de la vie s'est arrêtée tout à l'heure" (équivalent temporel et... funèbre du bas du monde), "Je ne suis plus au monde" (phrase qui suit immédiatement et qui confirme), "La théologie est sérieuse, l'enfer est certainement <i>en bas</i> - et le ciel en haut" (phrase qui justifie les prolongements de mon énumération), "Décidément, nous sommes hors du monde. Plus aucun son.", appel aux soirs, aux matins, aux nuits, aux jours, car le poète est bien au fond du monde avec une nuit qui a roulé dans ses yeux "par ce soleil" à la fin de "Mauvais sang"., ce qui débouche sur l'idée d'une multiplication des enfers, sur la vision du "tombeau", "horreur de l'horreur".</div><div style="text-align: justify;">Bardel oppose la Vierge folle et l'Epoux infernal au mépris de parallélismes plus qu'évidents.</div><div style="text-align: justify;">Pour les notes de la page 134, je passe sur l'interrogation benoîte selon laquelle Verlaine s'accuserait de ressembler aux vierges folles selon Vigny, c'est-à-dire des prostituées. En revanche, il aurait été pertinent de mettre en parallèle : "Je suis esclave de l'Epoux infernal" avec "Je suis esclave de mon baptême" dans "Nuit de l'enfer". Il y a plusieurs fois l'idée de soumission forcée à Dieu dans <i>Une saison en enfer</i>, ce qui suppose une critique latente, mais ici on a un parallélisme intéressant. La Vierge folle est partagée entre deux époux, entre Dieu et l'Epoux infernal. Et il est question aussi de soumission à l'Epoux infernal. C'est intéressant, parce que cela dresse une concurrence de deux modèles et en même temps par le jeu du miroir une critique est amorcée du pouvoir de l'Epoux infernal. Puis, le parallélisme permet de souligner aussi la dynamique des êtres égarés. Dans la section 4 de "Mauvais sang", le poète se sent tellement délaissé qu'il est prêt à des élans vers n'importe quelle divine image. Au plan de la lecture, c'est plus intéressant que de déterminer si oui ou non Rimbaud parle directement de sa vie avec Verlaine. Quand je lis, j'aime bien d'avoir des idées. Je ne suis pas très friand de ce que les anglais appellent des "easter eggs". "Oui, là, dans ce film, il y a une allusion à tel autre film. Si tu réfléchis bien, le personnage c'est un rappel de Mickey et tu verras que la femme c'est Minnie." Ce rapport à l'art ne m'intéresse pas du tout. Je ne m'intéresse qu'à ce qui est pertinent. La phrase : "La vraie vie est absente" renvoie d'évidence à Rimbaud, à "Mauvais sang", à son intérêt pour les poésies de Desbordes-Valmore qu'il a communiqué à Verlaine. La "Vierge folle" s'écrie : "Je suis veuve" et se reprend : "j'étais veuve". On comprend la logique de repentance et de dépassement. C'est une idée de veuvage vis-à-vis de Dieu, certainement pas vis-à-vis de l'Epoux infernal duquel elle n'est pas encore séparée d'après sa confession. Bardel prétend que c'est une façon pour Verlaine de dire qu'il est veuf de Mathilde et que Rimbaud a envie de le lui faire dire sans raison dans "Vierge folle". Pourtant, on voit clairement qu'il n'est pas question de Mathilde dans l'économie du récit. Il est question de Dieu face à l'Epoux infernal. Mathilde n'est pas la rivale ici de l'Epoux infernal. Bardel considère que la Vierge folle "s'embrouille dans les temps verbaux", alors qu'il me semble que la quasi totalité des lecteurs ont forcément compris qu'il s'agit d'une ressaisie du propos : "Je suis veuve, non je ne dois pas dire ça, j'étais veuve", et il est évident que le lecteur doit faire l'effort de chercher de qui la Vierge folle était veuve. Il ne s'agit pas de l'Epoux infernal, il s'agit donc du divin Epoux. Le divin Epoux n'était pas mort, mais la Vierge folle le considérait comme perdu pour elle. C'est l'mploi particulier du mot "veuvage" que Verlaine aura vis-à-vis de Mathilde, sauf qu'ici ça concerne Dieu. Nous sommes dans un discours de contrition et de repentance où la nécessité de revenir à l'Epoux divin est explicitement affirmée dès le début de la confession. Il ne faut pas chercher plus loin.</div><div style="text-align: justify;">De manière biaisée, Bardel prétend que la Vierge folle reproche à l'Epoux infernal de l'avoir entraînée avec lui au fond du monde. Cette idée fait de Verlaine une sorte d'Eloa dans la thèse de lecture soutenue. Toutefois, la Vierge folle, même si elle développe le discours selon lequel elle a été séduite par l'Epoux infernal, ne reproche pas directement à celui-ci de l'avoir entraînée au fond du monde. Elle s'applique des reproches à elle-même, et quand elle dit qu'elle est au fond du monde, elle le dit simplement et lapidairement comme le faisait le poète de "Mauvais sang". On ne peut pas arranger le commentaire en disant qu'elle se plaint d'être au fond du monde à cause d'un autre.</div><div style="text-align: justify;">Après, on peut lever le pied sur l'analyse des notes de commentaires puisqu'on s'intéresse à des descriptions de l'Epoux infernal qui favorisent clairement l'identification tantôt à Rimbaud, tantôt au locuteur de "Mauvais sang", etc. Notons tout de même un travers. Puisque le poète dit : "Je n'aime pas les femmes", Bardel prétend y voir une dénonciation de la sexualité dominante. Outre que, pour identifier des allusions biographiques, Bardel construit une lecture peu cohérente, où la revendication à l'homosexualité se mélange à une satire homophobe, il n'y a aucune logique textuelle clairement établie permettant d'affirmer le passage de "je n'aime pas les femmes" à une revendication de l'homosexualité. Rimbaud, pour des raisons qui lui sont propres, ne parle pas d'homosexualité dans <i>Une saison en enfer</i>. On pourrait dire que "je n'aime pas les femmes" est tout de même une suggestion en ce sens, mais je rappelle que Verlaine ne voulait pas donner de l'argent à Rimbaud, parce qu'il allait voir les prostituées avec. Le propos de Rimbaud n'est pas d'opposer l'amour des femmes et l'amour entre hommes, puisque ce n'est déjà pas acté par ce que nous avons comme indices de sa vie sexuelle par les documents.</div><div style="text-align: justify;">Il y a une obstination des rimbaldiens à vouloir que Rimbaud parle de l'homosexualité en prônant le nouvel amour, etc., et en réalité cette thèse de lecture ne fonctionne pas du tout. La Vierge folle rapporte le désir du poète de faire des femmes de "bonnes camarades", nous avons les signes au contraire d'un désir de la relation au monde féminin.</div><div style="text-align: justify;">Sans aucun recul, Bardel écrit Verlaine dans ses commentaire au lieu de la "Vierge folle" (page 136) :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>[...] En avouant, à travers la voix de Verlaine, la coexistence en lui de mouvements charitables et d'un fond de méchanceté, Rimbaud dénonce l'hypocrisie d'un certain type d'apitoiements sur les misères du prochain. C'est en réalité la critique de la "charité chrétienne" qui commence dans ces lignes.</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Si on adopte la thèse de lecture de Bardel identifiant Verlaine à la Vierge folle et Rimbaud à l'Epoux infernal au plan d'un récit à charge, on a droit à une analyse où le texte de Rimbaud n'a aucune construction, les phrases du texte sont le prétexte à des analyses psychologiques des critiques rimbaldiens qui, du coup, ne font qu'exprimer leur brio. Normalement, c'est les mérites qu'il faut faire ressortir en étudiant la composition littéraire. Je ne vais pas citer toutes les considérations psychologiques prêtées au texte par Bardel, mais je ne peux qu'épingler l'idée d'une critique de la "charité chrétienne" dans les propos suivants de "Vierge folle", puisque c'est justement la description du modèle inversé qu'est la charité entre la femme perdue et le Démon. L'Epoux infernal se comporte comme le poète de la prose liminaire qui se jetait sur tout espérance et qui narguait les fléaux pour se faire tuer : "[...] il se poste dans des rues ou dans des maisons, pour m'épouvanter mortellement". Nous avons une allusion à la lutte avec l'archange, mais entre la femme perdue et le démon : "je luttais avec lui !" L'Epoux infernal parle des malheureux, le discours de la charité pour autrui se fait jour, sauf qu'il est question d'une vie de deux êtres maudits isolés. L'Epoux infernal prétend aller aider d'autres personnes, il fait la promesse de ne pas abandonner la Vierge folle mais de manière frivole. Bref, il faut se méfier et éviter d'identifier purement et simplement une pratique de la charité chrétienne dans les actes et propos de l'Epoux infernal. La Vierge folle décrit clairement un paradis de la tristesse au ciel sombre. Evidemment, si on lit bêtement la compassion exprimée pour les malheureux comme de la charité chrétienne, on ne va pas aller loin dans l'opposition de l'Epoux infernal au message chrétien.</div><div style="text-align: justify;">Bardel fait tout de même remarquer que la Vierge folle dénonce la mystification, mais sans en tirer la conséquence que la critique n'est donc pas de la charité chrétienne en tant que telle.</div><div style="text-align: justify;">Et ce que manque Alain Bardel, et partant Alain Vaillant, c'est que la Vierge folle critique la prétention un pouvoir magique pour changer la vie. Elle nous explique clairement que la fausseté de cette charité ensorcelée vient de ce que l'Epoux infernal refuse la réalité et cherche à lui échapper par des visions imaginaires de son esprit. Elle parle d'un "décor" qu'il se fait "en esprit" et qu'elle "voyait" elle aussi. Elle dénonce la supercherie de son "pouvoir magique" pour "changer la vie". Cela prépare clairement à la lecture de "Alchimie du verbe", elle parle même de la magie de la vie d'aventures des livres pour enfants, on ne peut pas lier plus clairement les deux "Délires" entre eux, et vous comprenez aussi l'ironie du début de "Matin" : "N'eus-je pas <i>une fois</i>, une jeunesse aimable, héroïque, fabuleuse [...]". Il convient d'ailleurs de comparer la "Vierge folle" appréciant les tours de l'Epoux infernal avec le souvenir du poète dans "Mauvais sang" quand "Encore tout enfant" il "admirai[t] le forçat intraitable". Il s'agitt encore d'un parallélisme important entre la "Vierge folle" et le poète de "Mauvais sang" que les rimbaldiens déterminés à voir un portrait-charge de Verlaine dans "Vierge folle" ne peuvent pas voir. Certes, moi aussi, j'identifie des allusions à la relation de Rimbaud et Verlaine dans "Vierge folle", mais vous voyez bien le problème immense posé par l'approche biographique brute de Bardel et de Vaillant. Ils passent complètement à côté des visées de sens du texte, complètement !</div><div style="text-align: justify;">Cet article devient long, je vais le suspendre ici pour l'instant.</div><div style="text-align: justify;">Je développerai une deuxième partie.</div><div style="text-align: justify;">Je vous laisse méditer sur ce que j'ai dit du modèle d'inversion de la "charité ensorcelée", parce que les implications vont loin pour la compréhension d'ensemble d'<i>Une saison en enfer</i>.</div><div style="text-align: justify;">J'ai encore plein de mises au point à faire.</div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-12580419424211601602024-02-01T08:18:00.000-08:002024-02-01T08:18:13.992-08:00Le sens du livre "Une saison en enfer" : progressons dans la force et la charité !<div style="text-align: justify;">Je vais proposer une série de mises au point pour permettre une avancée décisive dans la compréhension du livre <i>Une saison en enfer</i>. J'en profite pour émettre un avis critique : je préfère le style de la prose des <i>Illuminations</i> à celle d'<i>Une saison en enfer</i> qui a pour moi de nombreux défauts de manque d'aboutissement, de manque de maturité. Il n'en reste pas moins qu'il s'agit là d'un écrit du plus haut intérêt poétique et intellectuel.</div><div style="text-align: justify;">Pour commencer, il faut établir le texte. Je vais citer un extrait de la "Note sur le texte" d'André Guyaux, pages 925 et 926 de son édition des <i>Œuvres complètes</i> d'Arthur Rimbaud, puisque maladroitement dans son essai <i>Une saison en enfer ou Rimbaud l'Introuvable</i> Alain Bardel vient d'en faire en 2023 le point de départ absolu de la réflexion sur les coquilles. Je citerai ensuite d'autres passages de l'édition de La Pléiade d'André Guyaux, j'évoquerai aussi le texte révisé de l'édition, je citerai quelques passages de 2023 de Bardel, de 1987 de l'édition critique de Pierre Brunel, de l'édition du centenaire <i>Oeuvre-Vie</i> de 1991, et enfin j'ajouterai à cela quelques repérages personnels.</div><div style="text-align: justify;">Je commence donc par citer l'extrait suivant (p. 925-926) de la "Note sur le texte" d'André Guyaux :</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote style="text-align: left;"><div style="text-align: justify;"><i>[...] Certaines particularités de l'impression, le nombre de points de suspension par exemple, témoignent d'une fidélité au manuscrit ou d'une intervention de l'auteur. Rimbaud a-t-il corrigé des épreuves ? [...] Ces particularités ont été respectées.</i></div><div style="text-align: justify;"><i> Outre les cas habituels de modernisation de l'ancienne orthographe (</i>rhythme<i>, </i>poëte<i>, trait d'union près </i>très<i>), les quelques fautes d'impression de l'édition originale ont été corrigées : "le clef du festin" (p. 245); "Cette inspiration prouve que que" (p. 245) ; "la domesticité même trop loin" corrigé en "mène trop loin" (p. 247) ; "j'ai toujours été race inférieure" (p. 248) corrigé en "de race inférieure" sur le modèle de "Je suis de race inférieure" (p. 249) et de "Je suis de race lointaine" (p. 260) ; "les chansons populaires arrangés" (p. 248) ; "des femmes [...] dont moi, j'aurai pu faire de bonnes camarades", corrigé en "j'aurais" (p. 260) ; "partout le corps" corrigé en "par tout le corps" (p. 260) ; "puisser" corrigé en "puiser" (p. 280).</i></div></blockquote><div style="text-align: justify;">Il y a ensuite un paragraphe sur l'usage des guillemets, notamment dans "Vierge folle", mais pas des guillemets ouvrants de la prose liminaire. Nous y reviendrons. Guyaux est assez vague quand il mentionne des particularités. Il s'agit si je comprends bien de la typographie, de la taille des caractères, des traits ou étoiles de séparation dans le texte, et bien sûr de la ponctuation. Guyaux prétend que l'imprimeur a été fidèle au manuscrit, mais c'est impossible à vérifier puisque nous n'avons aucune connaissance du manuscrit, à moins de mobiliser les brouillons qui nous sont parvenus. En réalité, là encore, il est question des anciennes règles de ponctuation. De nos jours, on n'écrit pas plusieurs points après la forme abrégée : "etc.", puisqu'il s'agit d'un pléonasme. Rimbaud, comme ses contemporains, ignorait que c'était un pléonasme, il n'y prêtait aucune attention. C'est une norme moderne de limiter le nombre de points de suspension. Les premiers textes imprimés de Belmontet dans la presse toulousaine ont le même caractère chaotique en fait de points de suspension que les manuscrits de 1870 de Rimbaud, et je ne parierais pas comme Guyaux le fait que l'éditeur a compté scrupuleusement des suites de sept, huit, neuf ou six points de suspension, il a respecté cela approximativement, sans plus. Certes, le contraste des nombres de points de suspension permet au poète un léger moyen d'insistance, mais rien là de bien intéressant.</div><div style="text-align: justify;">L'établissement du texte au plan des mots et de la grammaire est le plus important. Attaquons cela.</div><div style="text-align: justify;">Ce texte affirme une liste de coquilles et les corrections adéquates, et c'est sur cette base que Bardel a établi sa propre annotation pour l'édition fac-similaire.</div><div style="text-align: justify;">Guyaux et Bardel ont pour point commun de formuler comme allant de soi la correction de "Après la domesticité même trop loin" en "Après la domesticité mène trop loin", ce qui n'est pas recevable.</div><div style="text-align: justify;">Dans son édition fac-similaire, voici la liste des corrections fournies par Bardel :</div><div style="text-align: justify;">"la clef" au lieu de "le clef", "prouve que" au lieu de "prouve que que"</div><div style="text-align: justify;">Comme Guyaux, Bardel ne signale pas comme coquille les guillemets ouvrants anormaux du début de la prose liminaire : " "Jadis..."</div><div style="text-align: justify;">Guyayx n'a pas relevé ce problème dans sa "Note sur le texte", pas même dans le paragraphe conséquent consacré aux guillemets. En revanche, à la page 927, Guyaux écrit ceci en commentaire à la prose liminaire :</div><div style="text-align: justify;"><blockquote><i>[...] un </i>envoi<i> qui s'ouvre sur des guillemets que l'auteur ou l'imprimeur n'a pas refermés et qui donnent à l'œuvre l'impulsion de l'oralité.</i></blockquote></div><div style="text-align: justify;">Ce qu'écrit Guyaux n'est pas recevable. Personnellement, je ne ressens aucune "impulsion de l'oralité" provoquée par de tels guillemets, strictement aucune. Ensuite, Guyaux met sur le même plan l'initiative d'auteur et l'éventualité d'une coquille de l'imprimeur "l'auteur ou l'imprimeur" pour finir par résorber cela en invention de style "l'impulsion de l'oralité", mais l'imprimeur ne peut pas être admis dans l'alternative. Si l'imprimeur n'a pas refermé les guillemets, il ne s'agit pas d'un effet de style. Surtout, comme Christophe Bataillé l'a montré, les publications juridiques faisaient que beaucoup de plaquettes commençaient pas des guillemets. L'erreur de l'imprimeur n'est pas d'avoir oublié de refermer les guillemets, mais plutôt d'avoir oublié d'enlever les guillemets initiaux d'un travail précédent. Par ailleurs, l'envoi à Satan ne concerne pas toute la prose liminaire, puisqu'il est introduit à la troisième personne : "se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots"... A moins de les placer pour le seul premier alinéa, ces guillemets n'ont rien à faire dans le texte.</div><div style="text-align: justify;">Mais reprenons le relevé des coquilles signalées à l'attention dans l'édition fac-similaire de Bardel.</div><div style="text-align: justify;">Pour "Mauvais sang", Bardel s'aligne donc sur la pseudo évidence de Guyaux et d'autres : "même" corrigé par "mène". Puis tout comme Guyaux, Bardel considère que "chansons populaires arrangés" doit être corrigé en "chansons populaires arrangées". Nous avons vu dans la citation plus haut que Guyaux ne citait que ce court extrait du texte : "chansons populaires arrangés" qui donnait l'idée d'une faute d'orthographe évidente. En réalité, il faut vérifier si une coordination avec un mot au masculin n'est pas possible dans la phrase. Or, c'est le cas : "les remèdes de bonnes femmes et les chansons populaires arrangés". Bardel a tout de même envisagé le problème, il note (p. 114) : "Le masculin pluriel serait grammaticalement acceptable mais, quand on sait l'intérêt de Rimbaud pour les "espèces de romances" ("Alchimie du verbe"), on comprend mieux l'accord avec "chansons populaires"."</div><div style="text-align: justify;">Je ne comprends rien au raisonnement de Bardel. En quoi l'intérêt de l'auteur pour les "espèces de romances" justifie-t-il d'accorder plus volontiers "arrangé[ ]" avec les seules "chansons populaires" à l'exclusion des "remèdes" ? C'est incompréhensible. De plus, si le prote n'est pas assez attentif et qu'on lui prête quelques bêtises, il faut tout de même remarquer qu'il aurait ignoré la liaison immédiate et facile "chansons populaires arrangées" pour une forme d'accord plus élaborée : "les remèdes de bonnes femmes et les chansons populaires arrangés". Je préfère suspendre mon jugement plutôt que de dire sans enquête qu'il y a ici une coquille. Je m'y pencherai à une autre occasion.</div><div style="text-align: justify;">Par inadvertance, Bardel n'a pas reporté la coquille "j'ai toujours été race inférieure" en bas de page, mais il affirme que c'en est une dans l'annotation. Pire encore, Bardel effectue mécaniquement la correction "j'ai toujours été de race inférieure" dès qu'il cite le texte sans spécifier qu'il corrige le texte, comme s'il n'en était pas pleinement conscient. Pour plaider sa correction, Guyaux a donné deux exemples : "Je suis de race inférieure de toute éternité" et "Je suis de race lointaine". Toutefois, je lui oppose le passage de la prose liminaire : "Tu resteras hyène". Je relève d'autres tours elliptiques : "retour des pays chauds" dans "Mauvais sang" au lieu d'une forme avec préposition "de retour des pays chauds". Je relève l'expression : "Ma vie ne fut que folies douces". Je relève aussi : "c'est oracle ce que je dis".</div><div style="text-align: justify;">Faisons une liste :</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Tu resteras hyène, etc. (prose liminaire ou envoi)</div><div style="text-align: justify;">[J]ai toujours été race inférieure. (Mauvais sang, section 2)</div><div style="text-align: justify;">Ma race ne se souleva jamais que pour piller : tels les loups à la bête qu'ils n'ont pas tuée. (Mauvais sang, section 2 / <i>Nota bene</i> : phrase que ni Guyaux ni Bardel ne relèvent comme affligée d'une possible coquille. Sans oser dire qu'il y a ici une coquille, voici la note donnée par Pierre Brunel dans l'édition du centenaire "<i>Œuvre-Vie</i>" : "Construction elliptique, dont le sens n'est pas parfaitement clair."</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Dans un même paragraphe de toujours la même section 2 de "Mauvais sang", j'observe les trois formes suivantes que, faute de prendre le temps d'une analyse, j'appellerai trois appositions, vu que l'analyse en constituants détachés n'est pas connue de tous : "J'aurais fait, manant, [...]", "Je suis assis, lépreux, [...]", "Plus tard, reître, j'aurais bivaqué [...]"</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">C'est très certain, c'est oracle, ce que je dis. (Mauvais sang, section 2)</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">J'observe une vraie concentration pour la seule section 2, ce qui m'invite à être convaincu qu'il n'y a pas la moindre coquille dans "j'ai toujours été race inférieure", alors que je sens qu'il y a un problème de lisibilité évident pour "tels les loups à la bête qu'ils n'ont pas tuée."</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Je suis de race inférieure de toute éternité. (Mauvais sang, section 3)</div><div style="text-align: justify;">Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds. (Mauvais sang, section 3).</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">J'ai hésité à inclure : "en donnant à mon âme noblesse et liberté" (Mauvais sang, section 3).</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">En clair, il existe une tendance stylistique qui justifie l'écriture "j'ai toujours été race inférieure" sachant que l'énoncé n'est pas problématique au plan du sens. En revanche, Guyaux, Bardel et d'autres ne considèrent pas comme problématiques les passages "retour des pays chauds" et "tels les loups à la bête qu'ils n'ont pas tuée". J'ai toujours lu ainsi ces deux passages, je suis habitué à trouver fort en gueule le tour "tels les loups à la bête qu'ils n'ont pas tuée", mais pour l'analyse grammaticale je repasserai sans doute, et pour "retour des pays chauds" ça aussi c'est fort en gueule, mais qui à part Rimbaud a pratiqué ce tour. Je crois l'avoir déjà rencontré, mais c'est bien vague dans mon esprit, je ne suis pas sûr que ce ne soit pas une mode initiée par le texte ainsi imprimé d'Une saison en enfer. Je pense que c'est un fait exprès de la part de Rimbaud, du genre de "c'est oracle, ce que je dis". Pourquoi Guyaux et Bardel corrigent d'évidence : "j'ai toujours été de race inférieure" et ne disent pas un mot de "les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds" ? C'est quoi la hiérarchie grammaticale supposée qui justifie de corriger un passage et non l'autre ?</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Guyaux relevait aussi : "je suis de race lointaine" dans "Vierge folle" pour justifier sa correction, mais j'ai cité de nombreux passages elliptiques de la prose liminaire et de "Mauvais sang". On voit bien que l'argument de la coquille ne s'impose pas pour "j'ai toujours été race inférieure", et on sent que les tours elliptiques sont plus particulièrement prégnants dans le cas de "Mauvais sang".</div><div style="text-align: justify;">Mais je ne suis même pas au bout de la section "Mauvais sang" et je peux encore ajouter cette suite : "Marchand, tu es nègre ; magistrat, tu es nègre ; général, tu es nègre ; empereur, tu es nègre" (Mauvais sang, section 5) et à la section 6 je peux ajouter un passage qui s'articule sur la même conjugaison verbale "avoir été" que l'exemple débattu : "j'ai toujours été race inférieure", puisque nous avons : "La richesse a toujours été bien public." Pas de "un bien public" ou "du bien public" !</div><div style="text-align: justify;">Je vais ici introduire une idée à laquelle personne ne pense jamais ! A l'époque de Rimbaud, le livre de Darwin sur l'évolution des espèces est encore tout récent (1859), ses traductions en français j'ignore de quand elles datent. Darwin est cité par Quinet dans des ouvrages récents probablement lus par Rimbaud, mais ce que je veux pointer du doigt, c'est que l'idée que l'homme descende du singe, ou si vous préférer de primates regroupant les hommes et les singes n'est pas un lieu commun à l'époque de Rimbaud. Quand celui-ci se voit des ancêtres gaulois ou scandinaves, il se réclame des marges de l'humanité en termes d'origines, parce que tout simplement il n'y a pas encore une pente naturelle à penser qu'avant d'être homme on a été des sortes de singes, de primates. Quand Rimbaud se réclame des gaulois, il n'est pas dans notre appareil conceptuel actuel où l'homme a été australopithèque auparavant. Et donc pour lui, être gaulois, c'est se définir au plus près possible à son époque de la vie animale. Et du coup je vous ajoute à la liste le "suis-je bête"' de la quatrième section de "Mauvais sang", sachant que sur le brouillon nous avons l'ordre des mots : "je suis bête !"</div><div style="text-align: justify;">Rimbaud évoque l'état de bête en étant hors du monde ou au plus bas du monde, réflexion identique chez la Vierge folle dont Bardel et Vaillant prétendent à tort l'opposer complètement à Rimbaud en tant que figuration de la mièvrerie verlainienne. Et dans Alchimie du verbe il y a l'aspiration du fou ancien alchimiste à l'état de chenille ou de taupe, bêtes innocentes selon ses vues en esprit.</div><div style="text-align: justify;">Nègre, gaulois, scandinaves sont des états sauvages de l'être humain selon les thèses bien sûr ambiantes à l'époque, et Rimbaud s'en sert pour se sortir du cadre humain et se réclamer de la nature en tant que bêtes refusant la civilisation, le fait de s'habiller, de travailler, etc.</div><div style="text-align: justify;">Rimbaud vante l'oisiveté de son corps au début de "Mauvais sang", se comparant à un crapaux.. Lorsque réfugié au royaume des enfants de Cham il est contraint de se convertir, il est aussi contraint de s'habiller, de travailler, et avant cette fuite chez les enfants de Cham , le poète sur la plage armoricaine s'imagine devenir un être de "race forte" par le port d'un masque "retour des pays chauds". Il prétend devenir un de ces "féroces infirmes. Il sera alors à la fois "oisif et brutal", la brutalité rompant quelque peu avec l'absence de recours à son corps pour vivre.</div><div style="text-align: justify;">Guyaux rappelle, note 4 au texte "Mauvais sang" page 928, que le passage de "Mauvais sang" section 3 : "Me voici sur la plage armoricaine. Que le villes s'allument dans le soir. Ma journée est faite ; je quitte l'Europe. L'air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus me tanneront[,]" a été cité par Verlaine dans <i>Les Poètes maudits</i> en 1883 avec le commentaire suivant : "Tout cela est très bien et l'homme a tenu parole. L'homme en M. Rimbaud est libre". En effet, très souvent, ce passage est célébré comme une sorte d'anticipation de la vie ultérieure du poète, sauf que c'est Verlaine lui-même qui, à une époque où le texte <i>Une saison en enfer</i> était encore inédit, a mis en place cette liaison biographique anticipatoire qui bien évidemment n'était pas voulue ni consciente de la part de Rimbaud. En réalité, Rimbaud met en scène le colon guerrier et sauvage. Toutefois, il y a des liaisons internes à opérer dans <i>Une saison en enfer</i> même. Quand, le poète dit qu'il sera "mêlé aux affaires politiques" et donc "sauvé", il y a un renvoi évident à des passages antérieurs de "Mauvais sang". La phrase : "je serai oisif et brutal" renvoi à l'idée que le poète à la langue perfide "a vécu partout" en étant "plus oisif que le crapaud". A l'origine, c'est la langue perfide qui a "guidé et sauvegardé" la "paresse" initiale du poète de "Mauvais sang". Puis, bien qu'ayant "vécu partout" au point de connaître la vie de "chaque fils de famille" en esprit, le poète était absent au cours des siècles passés des "conseils du Christ", mais aussi des "conseils des Seigneurs" qualifiés aussitôt de "représentants du Christs". Désormais, la "race inférieure a tout couvert", la "nation et la science". Le christianisme est une déclaration de la science actuelle comme il est précisé dans "L'Impossible" sauf qu'il y a en place des élus qui ne sont pas des bénisseurs. En étant de retour des pays chauds, le poète pourrait trouver une voie d'accès aux "affaires politiques" et être sauvé. Et on retrouve l'idée de "nouvelle noblesse". La science est la "nouvelle noblesse", mais elle est détenue par des maîtres pourvoyeurs. Le peuple reçoit le train, les rails, les gares et les bateaux à vapeur, des élus. Le colonisateur peut faire partie des maîtres et conquérants. Etre "oisif et brutal" quand on participe de la colonisation, c'est être fort et participer aux "nobles ambitions."</div><div style="text-align: justify;">Il est clair que "j'ai toujours été race inférieure de toute éternité" fait à écho à "Tu resteras hyène", "tu es nègre", etc. Il s'agit d'un tour elliptique voulu pour signifier un état rageur de bête sauvage non civilisée et dans le cas de "tu es nègre" le discours se fait démystificateur.</div><div style="text-align: justify;">Je me suis éloigné du projet initial de faire la comparaison des listes des coquilles de Guyaux et Bardel.</div><div style="text-align: justify;">Pour "Mauvais sang", les listes sont less mêmes toutefois.</div><div style="text-align: justify;">En revanche, Bardel relève des coquilles que Guyaux ne mentionnent pas dans sa "Note sur le texte", puisque avec raison Bardel signale l'absence d'accent pour l'interjection "çà", faute de français extrêmement courante, d'autant que peu de gens identifient "çà" comme équivalent de "là" : "Ah çà" doit corriger "Ah ça ! l'horloge de la vie..." dans "Nuit de l'enfer". La faute est tout de même corrigée dans l'édition de Guyaux, il a seulement omis de la signaler à l'attention. Bardel supprimer aussi l'accent sur "eut" dans tel extrait de "Vierge folle" ainsi imprimé : "Jamais homme n'eût pareil voeu". Il est normal de corriger en : "Jamais homme n'eut pareil voeu." La faute est mécaniquement corrigée dans l'édition de La Pléiade. Bardel reprend également toutes les corrections envisagées par Guyaux : "puiser" pour "puisser", "j'aurais pu faire" pour "j'aurai pu faire" et "par tout le corps" pour "partout le corps". Je suis acquis à toutes ces corrections, y compris "par tout le corps", même si à la marge on peut envisager plutôt la lacune d'un mot : "partout sur le corps".</div><div style="text-align: justify;">Evidemment, dans sa révision de l'édition des <i>Oeuvres complètes</i> d'Arthur Rimbaud, André Guyaux a corrigé le texte d'<i>Une saison en enfer</i> en remplaçant "outils" par "autels", et Bardel fait écho à cette correction.</div><div style="text-align: justify;">De manière tendancieuse, Vaillant et Bardel prétendent tous deux en 2023 qu'il n'est pas certain qu'il soit bien écrit "autels" et non "outils" sur le manuscrit du brouillon correspondant. Toutes les transcriptions des brouillons ont toujours porté le mot "autels", sa lisibilité sur le manuscrit n'a jamais été objet de débat.</div><div style="text-align: justify;">Bref, pour l'instant, ce qui pose problème, c'est l'accord "arrangés" ou "arrangées" insuffisamment argumenté par les éditeurs, puis il manque une analyse suivie de "tels les loups à la bête qu'ils n'ont pas tuée" et éventuellement de "retour des pays chauds". La prétendue coquille "j'ai toujours été race inférieure" n'est pas du tout évidente, les arguments plaident clairement en faveur du maintien du tour elliptique.</div><div style="text-align: justify;">L'acceptation des guillemets ouvrants au début de la prose liminaire est un aveu de faiblesse dérisoire des rimbaldiens et l'explication par l'oralité est irrecevable.</div><div style="text-align: justify;">Pour rappel historique, une autre coquille était suspectée à propos de l'expression "le coup de la grâce". L'idée de coquille était contestée avec un début de justesse au nom du calembour, mais Michel Murat a montré que l'expression existait telle quelle dans le langage de la religion. Ce qu'on croyait une anomalie venait d'un défaut d'érudition.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Je voulais continuer cet article par un relevé des phrases ou alinéas commençant par "je" pour attirer l'attention sur le style d'écriture d'<i>Une saison en enfer</i>, style très relâché sur certains plans.</div><div style="text-align: justify;">Je vais garder cela pour une autre occasion, j'ai un carnet de notes avec des relevés, j'ai mis sur le brouillon des petits paragraphes de commentaires. Je développerai ça une autre fois. J'ai pensé à inclure les brouillons dans les relevés.</div><div style="text-align: justify;">Vous verrez ça plus tard. J'ai aussi relevé les mentions "pourtant" dans <i>Une saison en enfer</i>, histoire d'interroger l'emploi du "pourtant" dans la lettre à Delahaye.</div><div style="text-align: justify;">Allez, tout ça, ce n'est pas pour aujourd'hui.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Je voudrais signaler à l'attention dans les plus brefs délais certaines autres liaisons.</div><div style="text-align: justify;">Tout à l'heure, je mettais en relation les passages de "Mauvais sang" sur l'état oisif de crapaud et l'oisiveté du brutal de retour des pays chauds. Il se trouve que je voulais souligner un couple binaire stylisé de la part de Rimbaud dans : "guidé et sauvegardé jusqu'ici ma paresse". Nous avons un couple binaire avec rime finale en "-dé", et cela s'augmente du soutien dans les syllabes précédentes du "g": "guidé", "[...]gardé". J'ai déjà soulevé ce sujet des couples de mots qui riment entre eux dans la Saison : "propreté"/"santé", "l'orgie et la camaraderies", "hargneux et joyeux". Rimbaud emploie une grammaire tellement rudimentaire que certains peuvent passer inaperçus comme précisément un couple de verbe du premier groupe au participe passé. Parmi les plus discrets, j'ai relevé : "protégée et aimée par lui" dans "Vierge folle". Or, ici, l'intérêt rebondit, car le couple "guidé" et "sauvegardé" attire naturellement l'attention sur la partie "sauve" du mot "sauvegardé". Vous voyez tout de suite l'intérêt pour le rapprochement avec le "retour des pays chauds" : "Je serai oisif et brutal [...] je serai mêlé aux affaire politiques. Sauvé[,]" contre "Plus oisif que le crapaud" et "sauvegardé jusqu'ici ma paresse."</div><div style="text-align: justify;">Et ce n'est pas tout.</div><div style="text-align: justify;">Je cite le paragraphe de la fin de première section de "Mauvais sang" afin de vous montrer un autre rapprochement à partir de lui, mais aussi afin d'en faire le point de départ d'une réflexion élucidant une importante difficulté de lecture :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote> Mais ! qui a fait ma langue perfide tellement, qu'elle ait guidé et sauvegardé jusqu'ici ma paresse ? Sans me servir pour vivre même de mon corps, et plus oisif que le crapaud, j'ai vécu partout. Pas une famille d'Europe que je ne connaisse. - J'entends des familles comme la mienne, qui tiennent tout de la déclaration des Droits de l'Homme. - J'ai connu chaque fils de famille !</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Ce que je veux souligner, c'est le passage de paresse à vie. Il est question non pas de sauver la vie, mais de sauver la paresse, et dans la suite de l'alinéa, nous avons deux mentions de mots de la famille lexicale du mot "vie" : "vivre" et une forme conjugué de vivre : "vécu". La première mention est prise dans une sorte de je dirais définition de la paresse : "sans me servir pour vivre même de mon corps". Notez que si on songe au couple âme et corps, le poète est en train de nous dire que minimalement on a besoin du corps pour vivre. L'âme peut végéter, mais pas le corps. Malgré cette paresse qui a exclu le recours au corps, le poète dit avoir "vécu partout" et connaître chaque fils de famille.</div><div style="text-align: justify;">On pourrait se dire que ce n'est pas le poète qui parle, mais le principe du mauvais sang, sauf que c'est immédiatement contredit. Le poète dit bien que lui aussi a une famille : "comme la mienne". Le poète est clairement un fils de famille parmi d'autres. Il peut connaître du coup chaque fils de famille par comparaison, mais c'est un peu court. En réalité, c'est la perfidie du mensonge qui donne accès à cette connaissance. Selon quelles modalités ?</div><div style="text-align: justify;">Eh bien pour moi, contrairement à ce que soutiennent désormais les rimbaldiens à travers les ouvrages de 2023 de Vaillant et Bardel, qui sont des autorités officielles de la revue <i>Parade sauvage</i>, dans "Vierge folle", la vierge folle offre un nombre considérable de points communs avec le poète époux infernal de mauvais sang et elle donne toutes les clefs pour interpréter le pouvoir magique que se prête l'époux infernal, elle met à nu ce que l'autre voudrait nous taire.</div><div style="text-align: justify;">Il y a une relecture complète à faire de "Vierge folle", j'ai mon carnet de notes, je vais m'y atteler.</div><div style="text-align: justify;">Je ne vais pas le faire maintenant, ça va arriver dans les prochains jours.</div><div style="text-align: justify;">Mais, dans le rapprochement que j'effectue entre le crapaud oisif qui connaît chaque fils de famille, le poète absent des conseils des Seigneurs, représentants du Christ et le poète ivre qui veut quitter l'Europe dans l'espoir de revenir avec un masque qui le mêlera à la politique, je relève deux autres points majeurs. D'abord, il aura le masque d'une race forte tout en étant de race inférieure. Il y a donc l'idée d'une imposture des élus, et l'idée, provisoirement assumée dans la section 3 de "Mauvais sang" que la force consiste à faire partir des élus de la nouvelle noblesse, et cette d'un être de race inférieure paraissant de race forte en étant mêlé aux affaires politiques annonce clairement la série de dénonciations : "tu es nègre" deux sections plus loin, et le discours sur les "faux élus" dans "L'Impossible".</div><div style="text-align: justify;">J'ai toute une étude à faire des relevés des mentions "force" et "faiblesse" ou de leurs parents lexicaux : "forçat". J'ai des idées très précises à formuler, on verra ça bientôt, j'ai aussi des idées précises sur "connais-je la nature" et sur "le travail fleuri de la campagne". J'ai pas mal de choses à dire sur l'horloge, l'enfer et la nuit dans la section "Nuit de l'enfer", ça va arriver aussi prochainement. J'ai une idée sur "raison" contre "chant raisonnable", et puis entre autres détails j'ai aussi un début d'organisation des idées à exprimer au sujet du rapport entre charité et mort. La mise en relation de la mort et de la charité ne concerne pas qu'un alinéa de la prose liminaire et un alinéa de la fin de "Adieu", il y a d'autres éléments à relever. Et puis, en ce qui concerne l'idée de "charité ensorcelée", il y a tout un développement précis de la "Vierge folle" qui doit être bien digéré en tant que tel. Il y a tout une mise en place d'une charité pratiquée par l'Epoux infernal qui donne accès à un paradis de tristesse au ciel sombre avec la dérision d'une frivolité des propos tenus : Le "Je te comprends" de la Vierge folle ou la promesse par l'Epoux infernal de ne pas abandonner la Vierge folle.</div><div style="text-align: justify;">Il faut bien poser les choses, et on va s'y atteler.</div><div style="text-align: justify;">A bientôt !</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-63267911527488192432024-01-30T07:58:00.000-08:002024-01-30T07:58:50.772-08:00Parlons légende, parlons du "Cahier de Douai", l'édition GF de Steinmetz et Scepi<div style="text-align: justify;"> Cette année, au programme de français du Bac, nous avons un recueil imaginaire de Rimbaud intitulé par les rimbaldiens "Cahier de Douai", et énormément d'ouvrages parascolaires sont publiés qui offrent donc le recueil dans un mince volume avec un petit appareil de commentaires adaptés au public lycéen, mais nous avons aussi droit à une édition volumineuse de 180 pages qui date de mai 2023 chez Garnier-Flammarion par Jean-Luc Steinmetz et Henri Scepi au prix fixe de trois euros. On parle d'une édition avec dossier. Jean-Luc Steinmetz a très peu publié d'articles sur Rimbaud, il a surtout publié des livres où il brode des impressions, ce qui n'est pas la même chose. Il est l'éditeur des oeuvres de Rimbaud en Garnier-Flammarion depuis 1989. En 1989-1990, il a fourni une édition qui a été de référence en trois volumes, un volume pour les Poésies en vers réguliers, un volume pour les poésies en vers irréguliers sous le titre apocryphe "Vers nouveaux" et pour le livre <i>Une saison en enfer</i>, puis un volume pour les <i>Illuminations</i>. Récemment, il y a eu une refonte en un seul volume intitulé <i>Oeuvres complètes</i>, mais sans réelle mise à jour du discours critique, et nous avons donc maintenant ce volume à part en collaboration avec Henri Scepi.</div><div style="text-align: justify;">Le recueil imaginaire de Rimbaud est flanqué de deux titres avec des tailles de caractères différentes. En gros, le titre "Cahier de Douai", et en plus petit le titre "Recueil Demeny". Vu que l'ensemble ne forme pas un cahier, ce sont des feuillets volants, le titre "Recueil Demeny" a pourtant plus de légitimité.</div><div style="text-align: justify;">La présentation du prétendu recueil est fournie par Jean-Luc Steinmetz, tandis que les notes et le dossier sont le fait d'Henri Scepi.</div><div style="text-align: justify;">Steinmetz commence par dire que les multiples visages que nous prêtons à un Rimbaud envisagé au plan biographique ont l'inconvénient de "recouvrir la réalité de son parcours d'écrivain, si bref et pourtant si varié." Le problème, c'est que le prétendu recueil "Cahier de Douai" est une imposture intellectuelle qui pour le coup recouvre précisément la réalité du parcours d'écrivain de Rimbaud. L'introduction est pour le moins maladroite.</div><div style="text-align: justify;">Pour représenter la poésie de Rimbaud, Steinmetz cite "Le Bateau ivre" en l'affublant du qualificatif "symbolique", ce qui est une allusion voilée au mot de Verlaine : "symbolique, à coup sûr pas symboliste". Je ne sais pas si le public lycéen, enseignants compris, comprendra le rejet impliqué du symbolisme par cette formule : "ce grand poème symbolique où s'expriment son originalité sans égale et son désir de liberté infinie." Au plan didactique, il y a comme un petit problème dans l'écriture de cette présentation.</div><div style="text-align: justify;">Steinmetz brode un discours banal sur les problèmes d'établissement d'un corpus non établi par l'auteur lui-même, puis il enchaîne en prétendant qu'au contraire ce que nous avons sous la main a été voulu tel par Rimbaud : "Proposer l'étude de ce qui constitue probablement le premier ensemble voulu par Rimbaud [...]", sauf que l'affirmation contient son aveu de faiblesse dans la hideur pleine et entière de l'adverbe "probablement". Les enseignants sont censés montrer la maîtrise du raisonnement à leurs élèves. On va bien rigoler en les voyant singer le raisonnement : "oui, c'est un recueil de Rimbaud, puisqu'il est probable selon l'opinion autorisée de personnes qui publient régulièrement sur le sujet..." - Mais, c'est un recueil ou pas ? - Oui ! - Un recueil voulu par Rimbaud ? - Probablement !</div><div style="text-align: justify;">Et nageant en eaux troubles, Steinmetz nous pond encore un propos ambigu où sans dire que Rimbaud est un symbolisme, on en fait un précurseur revendiqué : "ceux qui, demain, allaient devenir les symbolistes (dont certains se réclameront de Rimbaud.)" Mais, comme dirait Hugo : "arrêtez de m'annoncer les symbolistes, publiez-les plutôt ! S'ils sont géniaux, mais abandonnez Rimbaud, Mallarmé et Verlaine, et parlez-nous des symbolistes ! Allez, des noms ! Quel est le meilleur poète symboliste ? Et le deuxième ? Et le troisième ? C'est qui ? c'est qui ? Des noms, des noms ! Et après les noms, des œuvres à lire ! C'est quoi le plus beau recueil de la poésie symboliste ? Vos noms, là, ils ont fait quoi comme recueils ? Pourquoi on les trouve jamais en librairie ?"</div><div style="text-align: justify;">Areuh, areuh ! le symbolisme, areuh aureuh ! le symbolisme ! Areuh areuh ! Et du laid chaud dans mon biberon !</div><div style="text-align: justify;">Dans une note de bas de page à cheval sur les troisième et quatrième pages de la présentation, nous avons une nouvelle affirmation sortie d'un chapeau : "[Du second <i>Parnasse contemporain</i>, n]ous disposons de fascicules des première, deuxième et quatrième livraisons annotées par Rimbaud." Ah ouais, ces livraisons appartenaient bien à Rimbaud ? Vous avez les preuves ? Et l'écriture de Rimbaud est attestée ? Vous avez pensé à faire une étude graphologique ? C'est admis par les rimbaldiens, ces annotations. Pas par moi en tout cas. Il n'existe aucun consensus critique pour attribuer ces annotations à Rimbaud, et surtout des réserves se sont exprimées à ce sujet.</div><div style="text-align: justify;">Et on soupçonne Rimbaud d'en avoir volé en librairie. Rimbaud pratiquait le vol à l'étalage selon certains. Mais qui sont les accusateurs et les témoins ? Rimbaud n'est plus là pour se défendre. Moi, je n'y crois pas à ces histoires de vol. Sa mère l'aurait accueilli avec des taloches, et un vendeur familier tu le voles une fois pas deux ! On donne encore dans la légende.</div><div style="text-align: justify;">Steinmetz soutient que Rimbaud cherche tous les moyens de se faire publier. Ah bon ? Oui, après les honneurs des bulletins académiques, il cherche à faire publier des poèmes dans la presse, en tout cas "Les Etrennes des orphelins" et "Trois baisers", il y aura "Le Rêve de Bismarck", en tant que prose dans un organe de presse local. Et alors ? On peut en tirer des conclusions sur la comète ? Il envoie une lettre à Banville avec trois poèmes, là c'est plus ambitieux, mais dans cette lettre Rimbaud sollicite l'impossible : être publié dans la dernière livraison du <i>Parnasse contemporain</i>. L'humour à comprendre, c'est que d'un côté il y a l'humilité, je viendrais en dernier, et de l'autre le retour de l'humilité en orgueil par la position conclusive dans un recueil collectif, il fixerait le "credo" des poètes. Effectivement, il a cherché à faire partie des livraisons du <i>Parnasse contemporain</i>, et il a échoué. Ceci dit, la demande de publication relève quelque peu de l'implicite. Il y a le propos humoristique osé, mais ce que souhaite avant tout Rimbaud c'est un début de mise en avant dans une publication dans une revue. Il vise le plus gros pour avoir le minimum. Pourquoi enseigner aux lycéens à devenir des débiles mentaux qui ne savent plus identifier le premier et le deuxième degré dans un discours ? Oui, Rimbaud essaie aussi d'approcher le monde du journalisme, mais notons qu'il ne le fait qu'à partir d'une situation politique trouble. Il ne le fait pas avant la guerre, ni avant la fin de l'école. Il le fait en septembre 1870, en pleine guerre, quand le régime impérial est tombé, quand sa région est menacée par les mouvements des armées qui s'affrontent, quand l'école ne rouvre pas encore. Il fuit le domicile maternel et cherche du travail lors de sa fugue en Belgique, on ne peut pas assimiler cela à une simple volonté de faire du journalisme pour publier ses poèmes dans la foulée. La présentation de Steinmetz est encore une fois biaisée.</div><div style="text-align: justify;">Et parce que c'est un brodeur ! Steinmetz réactive l'idée que certains poèmes remis à Demeny s'inspirent d'images caricaturales vues même pas sur le marché, mais dans la presse. C'est la légende du sonnet "L'Eclatante victoire de Sarrebruck", alors même que Murphy, qui a publié une étude suivie du poème, a montré l'inanité du lien proposé entre le contenu du sonnet et une prétendue image qui aurait pu lui servir d'inspiration. Ce rejet a plutôt été acté dans la communauté rimbaldienne. Ici, les lycéens ne pourront se faire aucune idée, puisqu'il n'y a aucune précision pour éprouver l'affirmation. Les journaux contiennent des images de caricaturistes qui ont pu influencer certains des textes de Rimbaud. Mais, bien sûr ! Oui, je pense que ça concerne "Vénus anadyomène", "Le Dormeur du Val", "La Maline", "Ma Bohême",... Meuh oui meuh oui !</div><div style="text-align: justify;">C'(est sûr qu'on va faire des générations qui voteront Macron ou son successeur Attal ! l'avenir est d'écrire un livre : Macron, l'héritier de Rimbaud, le rimbaldisme en marche !</div><div style="text-align: justify;">Les gens nés dans les décennies 1930, 1940 ou 1950, mais c'est des dieux de l'éducation ! Des dieux, vous dis-je !</div><div style="text-align: justify;">Tu m'étonnes qu'on n'ait pas de grands écrivains de nos jours ! Ils ont fait un beau travail de sape !</div><div style="text-align: justify;">Alors, on arrive au petit Izambard, le petit Izambard ! Qu'est-ce qu'il nous vaut, le petit Izambard ! Vous permettez que je l'appelle le petit Izambard ? Eh bien le petit Izambard, il est introduit comme ayant "une écoute attentive et un regard critique des plus utiles". Heu ? Au fait, les premiers poèmes latins primés de Rimbaud, Izambard il était déjà dans le coup ? Je ne crois pas. Il n'était pas là, Izambard ! Tu parles qu'il est lucide avec une écoute attentif. Izambard, c'est un coq en pâte qui arrive là-dedans, rien d'autre ! On lui a dit que Rimbaud c'était le prodige à estimer, alors oui il fréquente Rimbaud, sauf qu'Izambard, on le sait, par ses écrits ultérieurs, qu'il n'a jamais cru que Rimbaud était un grand poète.</div><div style="text-align: justify;">Allez, passons ! Ce n'est pas le plus grave dans les affirmations sans fondement. C'est juste qu'il ne faut pas perdre de vue qu'Izambard il joue un rôle dans cette relation qui n'est pas sans une logique d'amour-propre derrière. Ce n'est pas du tout, le professeur qui a une révélation. Oui, il y a une relation un peu intime qui a un peu changé la donne, mais il faut se garder des illusions rétrospectives. Puis, en fait de "lucidité", je rappelle qu'Izambard suppliait Rimbaud de ne pas produire des pièces osées. Il était scandalisé par "Vénus anadyomène", <i>Un cœur sous une soutane</i>, méprisant à l'égard du "Coeur supplicié"', et si Rimbaud l'avait écouté jamais nous n'aurions eu "Accroupissements", "Les Assis", etc. Je pose le constat quand même !</div><div style="text-align: justify;">Et parce que c'est un brodeur ! Steinmetz soutient que Rimbaud nous parle de ses "premières amours", juste après avoir évoqué la lettre de Banville, celle qui contient, vous savez ? du printemps, sauf que c'est précisément à côté de ces textes envoyés à Banville que sont "Sensation" (alors sans titre), "Credo in unam" et "Ophélie" que "Rimbaud conçoit aussi des poèmes plus personnels relatant ses premières amours, notoirement féminines et fictives [...]." Heu ? Heu ? "Ophélie" est écarté des amours fictives, mais à en croire Steinmetz Rimbaud parle de ses "premières amours" réelles ou fictives, non seulement dans "A la Musique", "Au cabaret-vert", "Rêvé pour l'hiver" et "La Maline", mais aussi dans "Roman" et "Ce qui retient Nina"...</div><div style="text-align: justify;">Quel brillant lecteur, ce Steinmetz !</div><div style="text-align: justify;">Alors, on passe à Delahaye dont les souvenirs auraient été "trop injustement contestés". Ben quand même, oui, il y a des contestations sur lesquels on peut revenir, mais d'autres non. Il mentait tout de même un peu le Delahaye, mais bon...</div><div style="text-align: justify;">Oui, il faut savoir faire la part des choses !</div><div style="text-align: justify;">On cite enfin Léon Deverrière, "autre enseignant de Charleville". Ah là oui, c'est la grande lacune du rimbaldisme de ne pas l'avoir coincé à l'époque pour lui faire cracher d'éventuels manuscrits.</div><div style="text-align: justify;">Steinmetz affirme aussi sans preuve que "Bal des pendus" date du printemps 1870 et non de septembre, ce qui s'oppose tout de même à la lecture post-Sedan envisagée par Steve Murphy, mais bon je suis moi-même tenté de penser que "Bal des pendus" date réellement d'une telle époque, alors je me contente de signaler que ça manque seulement de preuves.</div><div style="text-align: justify;">Et Steinmetz, parce qu'il écrit en poète improvisé ! nous sort une formule alambiquée à la page 10 : Rimbaud veut faire partie de l'élite des poètes, mais "l'Histoire le rattrape (à supposer qu'il ait jamais pris du retard sur elle)." Heu ? L'Histoire le rattrape, à supposer qu'il ait jamais pris du retard sur elle ? C'est hallucinant à méditer ces deux bouts de phrase mis ensemble ! L'Histoire le rattrape, mais il n'était pas derrière elle. OK, d'accord ! C'est un peu loufoque comme raisonnement, mais bon ! On en a vu d'autres !</div><div style="text-align: justify;">Au fait, s'il n'y avait pas eu la guerre, Rimbaud serait retourné à l'école pour deux ans. Il serait monté à Paris et aurait rencontré le milieu des poètes, Verlaine, tout ça, en septembre 1873... Oui, Paris vaut bien une bouteille et avec des si on met la capitale dans une messe, oui !</div><div style="text-align: justify;">Boah ! il connaissait Bretagne, un pote à Verlaine, il y aurait eu une autre histoire...</div><div style="text-align: justify;">Il ne serait pas plus simple de dire que Rimbaud voulait publier précocement comme un adulte. C'est surtout ça qui se profile. Il a fait publier "Les Etrennes des orphelins" et "Trois baisers", et entre-temps, il a essayé de placer trois poèmes dans des revues parisiennes en sollicitant le soutien de Banville. C'est certain qu'il aurait travaillé à se faire publier régulièrement dans des revues, préparant le terrain à une consécration ultérieure avec un recueil. Mais c'est tout ce qu'on peut dire, il faut arrêter les plans sur la comète. Au contraire, c'est la guerre qui va accélérer ses démarches, d'ailleurs infructueuses, auprès des journaux belges, auprès du <i>Progrès des Ardennes</i>, auprès des parisiens en mars 1871, auprès du <i>Nord-Est</i>. Non, le paradoxe, c'est plutôt qu'une fois à Paris Rimbaud ne va rien publier toute une année durant, rien de septembre 1871 à septembre 1872, jusqu'aux "Corbeaux", alors que cela avait été si rapide pour "Les Etrennes des orphelins" et "Trois baisers". Ce n'est pas l'Histoire qui a empêché Rimbaud de publier, c'est les plumes de la presse parisienne qui vont faire barrage, à moins que, d'accord avec des proches tels que Verlaine, Rimbaud ait initialement consenti à patienter quelques mois, ce qui est étrange vu qu'il demeurait une bouche à nourrir.</div><div style="text-align: justify;">Page 11, nous avons une synthèse biographique de la première fugue de Rimbaud. Je note une étrangeté du raisonnement à propos de l'incarcération à Mazas : les nouvelles des événements filtraient à travers les murs de la prison, et aurait appris à Rimbaud la défaite de Sedan, puis "quelques jours plus tard" le 4 septembre, la proclamation de la République. Heu ? ce n'est pas très logique ? Les nouvelles de Sedan arrivent de loin, celles de Paris viennent de tout près. La chute de Sedan, c'est le 2 septembre et la proclamation de la République le 4 septembre. Rimbaud a pu apprendre la chute de Sedan le 3 septembre et il a forcément été au courant de la proclamation de la République le 4 septembre même, à la limite en ne considérant cela encore que comme une rumeur, mais il a pu apprendre les deux événements en même temps, ou bien à un jour d'écart, éventuellement à deux jours d'écart, mais certainement pas dans l'espace de "quelques jours".</div><div style="text-align: justify;">Il est dit que Rimbaud n'est resté à Douai en septembre qu'une dizaine de jours. Heu ? Pourquoi on a deux poèmes datés du 22 et du 29 septembre 1870 "Les Effarés" et "Roman", dont le dernier avec un clair ancrage douaisien dans la description, puisqu'il est question d'une ville brassicole ? On a aussi une réunion rue d'Esquerchin dans la dernière dizaine du mois de septembre 1870. Cette délimitation de dix jours, ce n'est pas très clair.</div><div style="text-align: justify;">Et puis, on nous place le fait que Demeny était "copropriétaire de la Librairie Artistique" à Paris, et que cela importait beaucoup à Rimbaud en septembre 1870.</div><div style="text-align: justify;">En septembre 1870, Rimbaud n'avait pas encore écrit "Les Effarés" et "Roman" puisque datés des 22 et 29 septembre sur les manuscrits. Selon la thèse des dix jours de Steinmetz, "Roman" n'a pas été composé à Douai par Rimbaud, mais à Charleville. Désolé de prendre au mot les affirmations qui nous sont balancées ! On ne sait pas s'il a déjà écrit "Rages de Césars" avec incendie du cigare et pensée pour Saint-Cloud. Il n'a pas encore les sept sonnets dits du cycle belge d'octobre 1870. En clair, quand Izambard met Rimbaud en relation avec Demeny, d'abord c'est le fruit du hasard de la situation concrète, et ensuite Rimbaud a à peine composé la moitié des vingt-deux poèmes qui vont former le prétendu "Cahier de Douai" ! Puis, cet ensemble thématiquement hétéroclite de vingt-deux poèmes est de toute façon assez léger pour faire un recueil. Et donc, Rimbaud, c'est un mec qui pense recueil : "Ah oui, vous êtes copropriétaire d'une maison d'édition, ah oui, j'ai trois poèmes, on peut faire une plaquette tout de suite, tout de suite ? Je fais une crise cardiaque si vous me la refusez !"</div><div style="text-align: justify;">Je n'arrive pas à comprendre votre manque de recul... ça m'échappe complètement !</div><div style="text-align: justify;">Et Steinmetz ne se gêne pas pour confondre les contextes en écrivant ceci : "Pour cette raison précise sans doute ["la copropriété, la copropriété, <i>man</i> ! La copropriété !"], il se met en devoir de recopier un certain nombre de ses poèmes et d'en former un recueil présentable."</div><div style="text-align: justify;">Les rimbaldiens, ils n'ont pas l'air de connaître la vie. De toute façon, déjà, Steinmetz confond les contextes, puisque la stratégie d'écriture de Steinmetz c'est de dire que Rimbaud sitôt faite la connaissance de Demeny recopie ses poèmes, sauf que Rimbaud rencontre Demeny avant la mi-septembre 1871 en gros. D'ici à la fin octobre 1870, Rimbaud va repartir à Charleville, fuguer une nouvelle fois, essayer de trouver un emploi à Charleroi, séjourner à Bruxelles, revenir à Douai, et pendant ce temps il compose plein de nouveaux poèmes, la moitié environ de ce qui a été remis à Demeny en septembre-octobre 1870.</div><div style="text-align: justify;">En lisant la suite, on se rend compte que Steinmetz suppose que Rimbaud a recopié le tout du premier ensemble à l'exclusion des sept sonnets d'octobre dits du cycle belge. Mais on n'en sait rien si Rimbaud a recopié le premier ensemble plutôt en septembre. "Roman" est daté du 29 septembre, ce qui est contradictoire avec les dix jours de séjour prêtés par Steinmetz pour le mois de septembre. La datation doit être faite au cas par cas pour les feuillets volants distincts du cycle belge de toute façon.</div><div style="text-align: justify;">Et puis, si Rimbaud avait trouvé un emploi à Charleroi, il aurait envoyé les manuscrits des nouvelles créations à Demeny par la poste ? Je ne sais pas, je pose la question ? Rimbaud, il écrit des poèmes, c'est bien pour être lu. Il ne peut pas tout simplement être content d'avoir un lecteur à Douai. Il écrit un poème en deux ou trois exemplaires tout simplement, et il remet un jeu d'exemplaires à Demeny. Rimbaud, il n'arrive pas entre la poire et le dessert pour dire à Demeny : "allez, allez, s'il te plaît, s'il te plaît, s'il te plaît, j'ai le manuscrit, je te donne deux minutes pour le lire, s'il te plaît, s'il te plaît, ah attention, ne renverse pas de la confiture dessus, s'il te plaît, s'il te plaît, lis le <i>manusse</i> unique, s'il te plaît, s'il te plaît ?"</div><div style="text-align: justify;">Je me demande dans quelle réalité parallèle peuvent bien vivre les rimbaldiens, l'Education Nationale, les universitaires, pour ne pas comprendre ces choses de la vie ? Je ne sais pas ! En octobre 1870, Rimbaud s'est rabattu sur Douai, faute de trouver une issue belge, oui ou non ? Je ne sais pas, je pose la question ?</div><div style="text-align: justify;">Et on arrive à la farce habituelle, une sous-partie intitulée : "La Constitution du Recueil Demeny" qui refait un galop d'histoire de l'année 1870 sous l'angle de la naissance de Rimbaud à la poésie, et puis nous arrivons à la légende de la création d'un recueil remis entre les mains de Demeny, copropriétaire de la Librairie Artistique, nom de Dieu ! En douce, pardon ! avec douceur, Steinmetz remplace le grand titre de grand caractère "Cahier de Douai" par celui de "Recueil Demeny". Et regardez comme c'est divinement dit : "La constitution du recueil dit <i>Demeny</i>, du nom de celui à qui furent confiées ces pages volantes, fut organisée - on le présume - en deux temps qui correspondent aux séjours successifs qu'il fit à Douai, comme nous l'avons décrit plus haut." Je ne commenterai pas le vague subtil de "comme nous l'avons décrit plus haut". Laissez-vous subjuguer par la magie verbale de Steinmetz. Moi, j'aurais dit : "on le hume", mais Steinmetz il sait écrire, et il choisit de dire : "on le présume" ! Il n'y a rien à redire à cela, c'est mieux d'écrire "on le présume" que le "on le hume". Et puis, imaginez si Steinmetz avait gardé le vrai titre, toutes nos pensées en eussent été bouleversées : "La constitution du dit Cahier de Douai, pour appeler d'un terme noble ces feuilles volantes..." Non, il a évité l'impair ! Quelle classe ! Bon, il y a un tour de passe-passe qui interroge un peu sur la sincérité de l'écriture, mais les lycéens et les farceurs qui leur servent d'enseignants n'y verront que du feu.</div><div style="text-align: justify;">Je passe sur les billevesées d'un recopiage de poèmes sus par coeur par Rimbaud. La moitié des poèmes furent composés en septembre-octobre 1870, donc Rimbaud ne les connaissait pas par coeur. L'autre moitié, si Rimbaud devait en connaître des versions par coeur, sauf qu'il les modifiait au fur et à mesure.</div><div style="text-align: justify;">Bref, il ne les modifie pas en les recopiant par coeur... Ujn peu de bon sens !</div><div style="text-align: justify;">Steinmetz cite une lettre de Rimbaud à Demeny de juin 1871 où il est question de "tous les vers" confiés, comme si c'était une preuve de l'existence du recueil. Oui, un seul vers vient à manquer, et le recueil est dépeuplé, mais là il dit bien "tous les vers", c'est un recueil, c'est incontestable !</div><div style="text-align: justify;">Oui, j'en ai marre de lire des conneries pareilles !</div><div style="text-align: justify;">Et on passe à la troisième idée pour les lycéens que Rimbaud devait être un "précurseur incontesté du symbolisme". Mais, va les lire tes poètes symbolistes, Steinmetz, mais publie-les. Faéis-nous sonner Klingsor, mais oui ! Que tes ongles griffus jouent de la vielle avec Vielé-Griffin, mais oui ! Vas-y, remet au goût du jour Stuart Merrill, Ephraïm Mikhael, Jean Moréas. Et pourquoi pas, oui ! j'ose, Rodolphe Darzens ! Mais oui, vas-y, publie-les nous, qu'on en parle, qu'on en fasse des revues universitaires, des poètes symbolistes ! Trop de Saint-Pol-Roux, trop de Francis Jammes et d'henri de Régnier ? Pourquoi Apollinaire et Valéry toujours devant ? Pourquoi Reverdy, pourquoi René Char, pourquoi Supervielle ? Mais merde quoi ! J'en pleure ! Oh putain, mon gros Toulet, mon gros Verhearen, mois je veux du Gustave qui tient sur ses deux Kahn... J'en rêve la nuit ! Mais René Ghil, mais merde, pourquoi, mais pourquoi on ne peut pas acheter sa poésie, merde, bouhouhouhouh ! Marie Krysinska, et pas toujours Marie Curie ! Rodenbach et Maeterlinck. Des belges ! Putain, des symbolistes belges, ça me donne la frite !</div><div style="text-align: justify;">En fait, j'ai mal à la tête depuis ce matin, ce n'est pas en écrivant cet article et en lisant de la merde que ça va passer.</div><div style="text-align: justify;">Je ferai une suite et je soulignerai en quels termes Scepî parle du prétendu recueil dans la partie dossier et notes.</div><div style="text-align: justify;">Et je vous parlerai des ouvrages parascolaires. On va en parler de la position conclusive de tel sonnet pour Pierre Brunel et du coup pour les éditions parascolaires en 2023, on va en parler.</div><div style="text-align: justify;">En attendant, je crache sur ce titre : "Cahier de Douai" comme je crache sur ce titre : "Recueil Demeny" : Rik peuh !</div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-74027476128934888872024-01-25T11:50:00.000-08:002024-01-25T12:47:47.225-08:00Voix du fou et voix du sage dans "Alchimie du verbe", mise à l'épreuve d'une idée de Bardel<div style="text-align: justify;">Dans son livre <i>Une saison en enfer ou Rimbaud l'introuvable</i>, Alain Bardel formule une thèse qui semble son principal apport original de chercheur au sujet du livre rimbaldien. Rimbaud change de voix dans <i>Une saison en enfer</i>, ce qui contribue à en rendre la lecture difficile, et Bardel semble donner l'impression d'avoir une méthode pour distinguer les voix entre elles au fur et à mesure du récit. Cette idée bénéficiait déjà d'une étude à part sur son site internet "Arthur Rimbaud, le poète", je ne la retrouve pas à l'instant, mais peu importe, je vais faire avec les données de son essai. Puis, cette idée est liée au titre de son essai "Rimbaud l'Introuvable". Bardel ne fait pas que commenter le texte ici, il donne une thèse de lecture avec des indices généraux ou avec une méthode transversale. Je rappelle que son livre ne fournit pas un commentaire suivi partie par partie. Nous avons un essai général avec une introduction sur la genèse du projet, puis l'essai va étudier trois thèmes présents dans la Saison : la littérature, le travail et la vie affective, et en préalable à cela nous avons une étude préliminaire pour développer la thèse d'un labyrinthe de l'énonciation à aborder méthodiquement.</div><div style="text-align: justify;">Il est question d'oralité et de flux de conscience, et je reviendrai une autre fois sur ces idées, en me concentrant plutôt sur les modèles antérieurs à Rimbaud, par exemple le discours confus d'Elias dans la nouvelle de 1868 de Catulle Mendès flanquée du titre de genre "Etude".</div><div style="text-align: justify;">Et donc à la page 34, j'arrive sur le terrain des multiples voix qui se contredisent dans <i>Une saison en enfer</i>. Bardel a choisi d'illustrer son propos par des commentaires tirés de "Alchimie du verbe", de "L'Impossible" et de la section 7 de "Mauvais sang".</div><div style="text-align: justify;">Dans le cas de "Alchimie du verbe", le seul qui va nous intéresser aujourd'hui, Bardel pose que deux vois parlent en alternance, une voix du sage et une voix du fou. C'est une évidence pour tout lecteur qu'il y a un locuteur revenu de son expérience qui parle de son passé comme d'une folie, et inévitablement nous identifions un discours de fou au sein du témoignage. Mais, peut-on parler d'une alternance réelle de deux voix comme le fait Bardel ? C'est ce que nous allons mettre à l'épreuve. Notons que Bardel commence lui-même par préciser que "Alchimie du verbe" est le récit du livre où l'énonciation est la plus classique et la moins déroutante :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote> Le chapitre "Alchimie du verbe" est celui qui présente le système énonciatif le plus - relativement - classique et le moins - relativement - déroutant pour le lecteur. C'est aussi le seul qui corresponde aux caractéristiques d'un texte narratif, telles qu'on les observe, par exemple, dans une autobiographie.</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Si tel est le cas, que va nous apporter comme enseignement le discours de Bardel sur l'alternance voix du sage et voix du fou ?</div><div style="text-align: justify;">Comme c'était prévisible, Bardel identifie un récit au passé où c'est essentiellement la "voix du sage" (la voix du présent de l'écriture) qui s'exprime, puisque Bardel constate inévitablement que pour l'essentiel les folies sont enchâssées dans un témoignage qui rapporte les faits avec une mise à distance, qui les juge. Il va de soi que la voix du fou ne peut correspondre qu'à des énoncés où le narrateur va faire comme s'il était encore pris dans la folie. Dès qu'il y a un élément de distance critique, le témoignage est le fait de la voix de celui qui désavoue, condamne, remet en place en même temps qu'il nous dévoile un acte insensé ou une pensée folle du passé. Bardel décrit des indices évidents pour montrer que c'est la voix qui juge de manière négative qui prend la parole dans certains énoncés. C'est un peu la partie de la réflexion qui est courue d'avance. Je vais directement me pencher sur ce que dit Bardel de l'émergence d'une voix du fou. Cette voix est avant tout perceptible dans les poèmes insérés. Bon, là, l'évidence est sans intérêt en soi, il convient simplement d'élargir cela à deux citations prises dans la prose : d'abord la citation d'une partie du premier vers de "Voyelles", ensuite les propos rapportés entre guillemets sur le général invité à bombarder la ville. On n'apprend toujours rien, on fait simplement un relevé précis. Mais Bardel parle encore d'un passage subrepticement accordé à la voix du fou, et il en donne un exemple avec le paragraphe sur les "autres vies". La première phrase emploie un verbe modalisateur (sembler) qui met à distance : "A chaque être, plusieurs <i>autres</i> vies me semblaient dues." La suite du paragraphe est considérée comme un flashback et Bardel mentionne le passage au présent de l'indicatif : "Ce monsieur ne sait ce qu'il fait : il est un ange[,]" ou : "Cette famille est une nichée de chiens."</div><div style="text-align: justify;">Il n'y a pas grand-chose à redire à ce cas, mais en relisant "Alchimie du verbe" je considère qu'on ne peut pas systématiser les remarques sur les indices. Et, d'ailleurs, la dernière phrase de ce paragraphe est au passé simple et pourtant elle est formulée sans distance critique : "je causai tout haut avec un moment d'une de leurs autres vies." Enfin, j'ai quand même des réserves sur le fait que Bardel dise que la voix du fou prenne le dessus dans "Alchimie du verbe", car au contraire l'absence de distance critique s'appuie sur le confort pour le lecteur qu'il sait faire le départ entre la voix du fou et la voix du sage.</div><div style="text-align: justify;">Je dois ajouter une précision. Non seulement les phrases comportant un indice de critique ou jugement sont assurées par la voix du présent de l'écriture, mais il faut aussi inclure les phrases qui décrivent des faits du passés non suspects d'étrangeté. Les seules phrases qu'on peut attribuer au fou sont celles qui font part d'une idée en principe folle, mais sans aucun mode de mise à distance. Je conseille d'ailleurs de ne pas proposer des études opposant les deux voix, seul le relevé des phrases étranges a de l'intérêt pour l'analyse.</div><div style="text-align: justify;">Je vais donc citer l'intégralité des passages en prose de "Alchimie du verbe". J'ai souligné en jaune les passages que je considérais comme émergence de la voix du fou. J'ai supprimé les poèmes en vers mentionnés et j'ai souligné quelques répétitions de mots sur lesquelles je vais effectuer quelques remarques. J'ai aussi transcrit "moderne" en rouge pour le débat sur le correct établissement du texte, puisque, personnellement, je ne vois pas clairement pourquoi "modernes" n'est pas accordé au pluriel avec à la fois "peinture" et "poésie".</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Citation des passages en prose dans "Alchimie du verbe" :</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;"><p class="MsoNormalCxSpFirst" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";">A moi. <span style="color: #ed7d31; mso-themecolor: accent2;">L’histoire</span> d’une de mes folies.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";">Depuis longtemps je me vantais de posséder
tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la <span style="color: #ed7d31; mso-themecolor: accent2;">peinture</span> et de la <span style="color: #ed7d31; mso-themecolor: accent2;">poésie</span> <span style="color: red;">moderne</span>.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";">J’aimais les <span style="color: #ed7d31; mso-themecolor: accent2;">peintures</span> idiotes, dessus de portes, décors,
toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la
littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans
de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, <u>opéras <span style="color: #00b050;">vieux</span></u>, refrains niais, <span style="color: #ed7d31; mso-themecolor: accent2;">rhythmes</span> naïfs.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";">Je rêvais croisades, voyages de
découvertes dont on n’a pas de relations, républiques sans <span style="color: #ed7d31; mso-themecolor: accent2;">histoires</span>, guerres de
religion étouffées, révolutions de mœurs, déplacements de races et de
continents : je croyais à tous les <span style="color: #00b050;">enchantements</span>.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="background: yellow; font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman"; mso-highlight: yellow;">J’<span style="color: #ed7d31; mso-themecolor: accent2;">inventai</span> la couleur des
voyelles !</span><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";"> – <i>A</i>
noir, <i>E</i> blanc, <i>I</i> rouge, <i>O</i> bleu, <i>U</i> vert. – <span style="background: yellow; mso-highlight: yellow;">Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne</span>,
et, avec des <span style="color: #ed7d31; mso-themecolor: accent2;">rhythmes</span>
instinctifs, je me flattai d’<span style="color: #ed7d31; mso-themecolor: accent2;">inventer</span>
un <u><span style="color: #00b050;">verbe</span> <span style="color: #ed7d31; mso-themecolor: accent2;">poétique</span></u> accessible, un jour ou l’autre, à
tous les sens. Je réservais la traduction.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";">Ce fut d’abord une étude. <span style="background: yellow; mso-highlight: yellow;">J’écrivais des silences, des
nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges</span>.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";"> </span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";">**<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";"> </span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";">La <span style="color: #00b050;">vieillerie</span>
<u><span style="color: #ed7d31; mso-themecolor: accent2;">poétique</span></u> avait
une bonne part dans mon alchimie du <u><span style="color: #00b050;">verbe</span></u>.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";">Je m’habituai à <span style="color: #ed7d31; mso-themecolor: accent2;">l’hallucination</span> simple : je voyais
très-franchement une mosquée à la place d’une usine, une école de tambours
faite par des <span style="color: #00b050;">anges</span>, des calèches sur les
routes du ciel, un salon au fond d’un lac ; les monstres, les mystères ;
un titre de vaudeville dressait des épouvantes devant moi.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";">Puis j’expliquai mes sophismes magiques
avec <span style="color: #ed7d31; mso-themecolor: accent2;">l’hallucination</span>
des mots !<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";">Je finis par trouver sacré le désordre
de mon esprit. J’étais oisif, en proie à une lourde <span style="color: #00b050;">fièvre</span> :
j’enviais la félicité des bêtes, - les chenilles, <span style="background: yellow; mso-highlight: yellow;">qui représentent l’innocence des limbes</span>, les
taupes, <span style="background: yellow; mso-highlight: yellow;">le sommeil de la
virginité !</span><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";">Mon caractère s’aigrissait. Je disais
adieu au monde dans d’espèces de romances : […]<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";"> </span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";">**<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";"> </span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";">J’aimai le désert, les vergers brûlés,
les boutiques fanées, les boissons tiédies. Je me traînais dans les ruelles
puantes et, les yeux fermés, je m’offrais au soleil, dieu de feu.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="background: yellow; font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman"; mso-highlight: yellow;">« Général,
s’il reste un vieux canon sur tes remparts en ruines, bombarde-nous avec des
blocs de terre sèche. Aux glaces des magasins splendides ! dans les salons !
Fais manger sa poussière à la ville. Oxyde les gargouilles. Emplis les boudoirs
de poudre de rubis brûlante… »</span><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="background: yellow; font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman"; mso-highlight: yellow;">Oh !
le moucheron enivré à la pissotière de l’auberge, amoureux de la bourrache, et
que dissout un rayon !</span><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";"> </span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";">**<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";"> </span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="background: yellow; font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman"; mso-highlight: yellow;">Enfin,
ô bonheur, ô raison,</span><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";"> <span style="background: yellow; mso-highlight: yellow;">j’écartai du ciel l’azur, qui est du noir, et je vécus,
étincelle d’or de la lumière <i>nature</i>.</span><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";">De joie, je prenais une expression
bouffonne et égarée au possible : […]<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";"> </span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";">**<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";"> </span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="background: yellow; font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman"; mso-highlight: yellow;">Je
devins un <u>opéra</u> fabul<u>eux</u></span><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";"> : <span style="background: yellow; mso-highlight: yellow;">je vis</span> que tous les êtres ont une fatalité de
bonheur : l’action n’est pas la vie, mais une façon de gâcher quelque
force, un énervement. <span style="background: yellow; mso-highlight: yellow;">La
morale est la faiblesse de la cervelle.</span><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";">A chaque être, plusieurs <i>autres</i> vies me semblaient <span style="color: #ed7d31; mso-themecolor: accent2;">dues</span>. <span style="background: yellow; mso-highlight: yellow;">Ce monsieur ne sait ce qu’il
fait : il est un ange. Cette famille est une nichée de chiens.</span> Devant
plusieurs hommes, <span style="background: yellow; mso-highlight: yellow;">je
causai tout haut</span> avec un moment d’une de leurs autres vies. <span style="background: yellow; mso-highlight: yellow;">– Ainsi, j’ai aimé un porc.</span><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="background: aqua; font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman"; mso-highlight: aqua;">Aucun
des sophismes de la folie, - la folie qu’on enferme, - n’a été oublié par moi :
je pourrais les redire tous, je tiens le système.</span><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";">Ma santé fut menacée. La terreur
venait. Je tombais dans des sommeils de plusieurs jours, et, levé, je continuais
les rêves les plus tristes. J’étais mûr pour le trépas, et par une route de
dangers ma faiblesse me menait aux confins du monde et de la Cimmérie, patrie
de l’ombre et des tourbillons.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";">Je <span style="color: #ed7d31; mso-themecolor: accent2;">dus</span> voyager, distraire les <span style="color: #00b050;">enchantements</span> assemblés sur mon cerveau. Sur la
mer, que j’aimais comme si elle eût <span style="color: #ed7d31; mso-themecolor: accent2;">dû</span> me laver d’une souillure, je voyais se lever la croix
consolatrice. J’avais été damné par l’arc-en-ciel. <span style="color: #ed7d31; mso-themecolor: accent2;">Le Bonheur</span> était ma fatalité, mon remords, mon
ver : ma vie serait toujours trop immense pour être dévouée à la force et
à la <span style="color: #00b050;">beauté</span>.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="color: #ed7d31; font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman"; mso-themecolor: accent2;">Le
Bonheur </span><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";">! Sa dent, douce à la mort, m’avertissait
au chant du coq, - <i>ad matutinum</i>, au <i>Christus venit</i>, - dans les plus sombres
villes : […]<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";"> </span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";">**<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";"> </span></p>
<p class="MsoNormalCxSpMiddle" style="line-height: normal; text-indent: 42.55pt;"><span style="font-family: "Garamond",serif; font-size: 12pt; mso-bidi-font-family: "Times New Roman";">Cela s’est passé. Je sais aujourd’hui
saluer la <span style="color: #00b050;">beauté</span>.<o:p></o:p></span></p></div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Fait remarquable, il n'y a aucune réelle émergence de la voix du fou dans les deux premières parties en prose. J'ai souligné en jaune : "J'inventai la couleur des voyelles", "je réglai..." et "J'écrivais...", parce qu'il s'agit de passages sans mise à distance critique et parce que si deux citations sont au passé simple, l'autre est à l'imparfait. Ce n'est pas la voix du fou qui parle, c'est la voix du présent qui se dispense de critiquer.</div><div style="text-align: justify;">Dans le deuxième passage en prose, je cite une proposition relative à l'indicatif présent : "qui réprésentent l'innocence des limbes" et du coup le syntagme nominal qui suppose l'ellipse du même verbe : "le sommeil de la virginité". La voix du présent prend en charge des affirmations tout de même étranges.</div><div style="text-align: justify;">Ces cas sur les deux premiers passages en prose ne sont pas trop importants à prendre en considération sans doute. En revanche, dans le troisième extrait en prose, nous avons un propos rapporté que j'ai mis en jaune, mais il est sur le même plan du passé que les poèmes cités (j'aurais pu souligner en jaune la quasi citation du premier vers de "Voyelles"), et ce qui est impressionnant, c'est que ce discours rapporté le cède à une exclamation qui vaut pour le temps présent de l'écriture puisque non mise entre guillemets. Et c'est un fait assez troublant. Il y a une continuité de pensée de l'un à l'autre discours. Le moucheron dissout dans l'ambiance peu hygiénique de la pissotière est en parfaite correspondance avec le projet de bombarder de blocs de terre sèche les magasins splendides, les salons, de faire manger sa poussière à la ville... Il serait un peu court de dire que l'interjection "oh !" exprime une réprobation. On sent plutôt un relent dans l'instant présent, en même temps qu'une dérision.</div><div style="text-align: justify;">Et c'est précisément à partir de ce moment-là que le poète va laisser passer les idées de folies sans aucune distance critique, puisqu'après la citation d'un poème, le poète dit qu'il a écarté l'azur du ciel, sans dire si c'était une illusion, une simple prétention.</div><div style="text-align: justify;">Il va pourtant de soi que le lecteur identifie la folie et qu'il y a une connivence avec le narrateur qui se moque de son moi passé.</div><div style="text-align: justify;">Passons alors à un nouveau segment en prose qui commence par la phrase : "Je devins un opéra fabuleux", opéra reprend l'idée des "opéras vieux" qui allaient avec des "refrains niais". Il s'agit donc visiblement de mimer la niaiserie. Notez la rime entre "opéras vieux" et "opéra fabuleux". La phrase suivante est introduite aussi par un passé simple : "je vis que", tandis que les verbes de la subordonnée sont au présent de l'indicatif, mais il s'agit de mentionner des sortes de vérités de la connaissance : "l'action n'est pas la vie..." La phrase : "La morale est la faiblesse de la cervelle[,]" est détachée, séparée, mais on comprend qu'il s'agit d'un extrait de foi ancienne.</div><div style="text-align: justify;">La voix de la folie prend-elle le dessus ? La question se pose évidemment. Nous avons évoqué l'image du moucheron comme relent. Au passage, la bourrache n'est pas n'importe quelle plante, puisqu'il semble s'agir d'une plante qui était utilisée au Moyen Âge dans les armées pour donner du courage face à la mort. C'était aussi une plante censé donner du courage aux amoureux, et puis une plante aphrodisiaque.</div><div style="text-align: justify;">Nous avons ensuite le paragraphe cité en exemple par Bardel et que j'ai déjà commenté, mais ce qui m'intéresse en contexte c'est que nous enchaînons avec un paragraphe très particulier. Le poète dénonce sa folie passé jusque-là, et ici il se vante d'avoir conservé le système mis au point quand il était fou, et on voit que l'opposition voix du sage / voix du fou est problématique, puisque c'est bien la voix réprobatrice du présent à l'égard de la folie, mais sa prétention à détenir le système est-elle sage ?</div><div style="text-align: justify;">Sur toute la suite du texte, il n'y a plus aucune émergence de la voix folle du passé, le témoignage étant parfaitement encadré par les indices d'une distance critique.</div><div style="text-align: justify;">Dans cette étude, aucun procédé grammatical ne permet de distinguer automatiquement les deux voix. Il y a toujours nécessité de recourir à une appréciation intime au cas par cas.</div><div style="text-align: justify;">On constate également que le narrateur perd le contrôle à deux moments. Premièrement, quand il évoque le désir de destruction avec l'image du "moucheron" qui permet alors de glisser à une fusion de l'être dans la lumière et la nature. Deuxièmement, quand il prétend détenir le système de production des folies, sauf que cette prétention-là est résolument assumée tout en maintenant la distance avec le passé : "je pourrais les redire tous"... C'est un point de prétention du passé qui n'est pas dénoncé, renié.</div><div style="text-align: justify;">On aboutit donc à un résultat plus nuancé et moins net que celui envisagé par Bardel finalement, bien que dans l'opération nous avons minimisé l'importance de l'émergence de la voix du fou pour la plupart des passages. Il suffit de considérer que le narrateur ne ressent pas le besoin de fixer sa distance critique, le lecteur doit comprendre naturellement. En revanche, il se joue quelque chose quand il affirme détenir le système et il y a aussi un flottement réel dans l'image du moucheron, même si après pour l'azur écarté la dérision est signifiée après coup avec "De joie, je prenais une expression bouffonne et égarée au possible".</div><div style="text-align: justify;">Il y aurait peut-être des choses à dire sur la ponctuation et l'usage des doubles points. Remarquez que j'ai pris la peine de souligner la reprise "enchantements". Elle peut passer inaperçue vu que nous passons du début de la section à sa fin, mais précisément cet écho entre le début et la fin impose d'y faire attention au plan de l'analyse critique.</div><div style="text-align: justify;">Je n'ai pas souligné toutes les répétitions, j'ai même oublié de souligner la deuxième mention "ange" alors que j'ai mis en vert la première.</div><div style="text-align: justify;">Je vous laisse apprécier par vous-même ces soulignements.</div><div style="text-align: justify;">Je me permets tout de même d'insister sur certains rapprochements à effectuer. J'ai souligné plusieurs emplois du verbe "devoir" dans un même passage en prose de "Alchimie du verbe" : "A chaque être, plusieurs <i>autres</i> vies me semblaient dues" et dans un même paragraphe : "Je dus voyager", "elle eût dû me laver d'une souillure".</div><div style="text-align: justify;">Il m'arrive souvent de me demander si "Vagabonds" ne serait pas un poème initialement prévu pour <i>Une saison en enfer</i>, mais réarrangé en poème en prose indépendant. Dans les poèmes en prose des <i>Illuminations</i>, les répétitions de mots ont une organisation sensible, ce qui n'est pas vraiment le cas dans "Vagabonds" où je relève à peine la reprise du mot "frère" de "Pitoyable frère" à "pauvre frère". Or, "Vagabonds" décrit des moments symétriques à ceux du passage en question de "Alchimie du verbe". Le poète se vante de créer de nouvelles fleurs, d'inventer la couleur des voyelles, dans la Saison, et dans "Vagabonds" les "fantômes du futur luxe nocturne" ravalé ensuite à une "distraction vaguement hygiénique" qui fait songer à une fantaisie masturbatoire assez vaine, masturbation au sens métaphorique puisqu'il s'agit ici d'imaginations creuses. Mais, surtout, l'état de folie est celui cette fois du compagnon avec son "songe de chagrin idiot" qui correspond à l'état de déperdition du poète dans "Alchimie du verbe" qui poursuivait (au sens de continuer mécaniquement) les "rêves les plus tristes". Le verbe "devoir" ainsi conjugué avec sa forte voyelle en "u" se retrouve à l'attaque du poème : "Que d'atroces veillées je lui dus !"</div><div style="text-align: justify;">Notons aussi que le mot "idiot" est commun à "peintures idiotes" et "chagrin idiot".</div><div style="text-align: justify;">Je ne m'attarde pas sur ce rapprochement pour l'instant et je m'empresse d'en signaler un autre.</div><div style="text-align: justify;">Les scènes de "Alchimie du verbe" ne décrivent pas le moment où le poète a pris conscience du risque de mourir par un "dernier <i>couac</i>", mais ils développent très clairement les alinéas qui suivent le rejet de la beauté. Il est clair que la phrase : "ma vie serait toujours trop immense pour être dévouée à la force et à la beauté[,]" fait écho au rejet de la Beauté comme étant amère et au fait de s'armer contre la "justice" qui mobilise la force des fléaux et des bourreaux. Du coup, l'idée d'une vie dévouée à autre chose que la force et la beauté confirme que cette vie est le trésor confié aux sorcières haines et misère, et en même temps cette vie est qualifiée de "trop immense" ce qui confirme qu'elle soit estimée comme trésor dont la Beauté et la justice sont indignes, et ce qui permet de comprendre les "<i>autres</i> vies" comme des déversoirs d'immensité.</div><div style="text-align: justify;">Et j'ajoute qu'il y a une articulation forte à cerner avec le passage où le poète dit qu'il va demeurer "avare comme la mer" ! C'est plus fort encore, vu que du coup ça permet le rapprochement net avec le poète qui se vantant d'avoir tous les talents parle de ne pas répandre son trésor, donc sa vie, et dit en même temps sa compétence d'alchimiste : je ferai de l'or !"</div><div style="text-align: justify;">Pour montrer que ces liens manquent aux études rimbaldiennes, il me suffit de citer la note de Bardel pour "je suis mille fois le plus riche, soyons avare comme la mer", sachant que "riche" fait écho au désir de réduire en poussière brûlante les richesses des splendides magasins :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote>L'auteur précise son principe d'écriture : succession d'images mentales décousues, supposées être des "hallucinations" [...] mais il ne nous révèlera rien de ce qui est important [...] Pour ne pas rendre jaloux ses collègues voyants ?</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Quand on songe à la vie comme trésor immense expliquant la révolte contre la Beauté on comprend l'insuffisance du commentaire effectué ici.</div><div style="text-align: justify;">Je veux manger, donc je vais arrêter de commenter les citations du critique commentant des passages rimbaldiens ici.</div><div style="text-align: justify;">Le poète était mûr pour le trépas, il est bien confirmé que cela se passait avant le risque du "dernier <i>couac</i>". Et l'image de la boue est bien exhibée dans "Alchimie du verbe" comme un moyen d'attaquer l'ordre établi et ses richesses, les blocs de terre sèche sur les salons et les magasins sont l'équivalent de l'image du poète qui se faisant sécher dans la boue est une vision sale insupportable à la société.</div><div style="text-align: justify;">Je n'ai pas remarqué que les rimbaldiens s'empressaient de signaler à l'attention ces genres de liaisons, ces reprises qui précisent le sens du discours rimbaldien dans sa prose liminaire.</div><div style="text-align: justify;">A bientôt pour une suite, je suppose !</div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-6825711916074358486.post-82488781465172669712024-01-22T01:26:00.000-08:002024-01-22T01:57:25.452-08:00"Il faut être absolument moderne" et "posséder la vérité dans une âme et un corps", j'investigue !<div style="text-align: justify;">Quand j'étais étudiant, que j'étais déjà à fond dans les poèmes de Rimbaud mais que je n'avais encore rien publié comme article, j'ai fait la rencontre de la phrase : "Il faut être absolument moderne", comme slogan de la vie courante à deux occasions. Je reprends volontairement le mot "slogan" à l'étude de Meschonnic, mais je ne la connaissais pas encore. La première occasion, c'était dans les rues de Toulouse, il y avait un magasin d'objets de décoration intérieure, et il y avait un tableau accroché au mur d'un portrait de Rimbaud avec la phrase citée ainsi : "Il faut être résolument moderne." L'erreur de la citation me frappait, et à l'époque il n'y avait pas internet (1995-1999). J'ai rencontré depuis l'origine de la citation avec l'adverbe "résolument", mais j'ai déjà oublié d'où ça venait. Je sais juste que c'est une erreur qui vient de loin, ce n'est pas l'artisan qui s'est trompé. Là, une recherche sur Google me fait tomber sur plusieurs emplois erronés avec le mot "résolument", mais pas sur la source. Je suis convaincu que j'avais repéré une source vraiment du début du vingtième siècle, proche des réflexions littéraires rimbaldiennes, c'est con de ne pas l'avoir noté, mais tant pis. J'ai autre chose à faire que d'essayer de la retrouver. La deuxième occasion, c'est qu'un ami passait des concours de la fonction publique et que cette phrase faisait partie de la panoplie du discours "jeuniste" et avait été le point de départ d'une, je crois, sorte de dissertation dans un concours. Et la phrase était prise au premier degré. Or, cette phrase pose un problème linguistique que moi et mon ami nous étions amusés à soulever en échangeant ensemble. L'idée linguistique, c'est que face à un terme aussi fort que "absolu", le terme "moderne" contient l'idée contraire de relativité. Dire : "Il faut être absolument moderne", c'est comme "il faut être absolument relatif", et c'est absurde, c'est un non-sens. J'avais d'ailleurs fait un relevé des emplois par Rimbaud des mots des familles "mode" ou "moderne" pour étendre la réflexion. Malheureusement, il y avait un problème que moi et mon ami avions fini par envisager c'est que ce n'était pas si simple que ça. L'adverbe "absolument" dans son emploi tel quel ne supposait pas automatiquement l'anéantissement du "relatif" contenu par "moderne". Le plus simple était d'ailleurs d'envisager que si "absolument" ne voulait pas dire "résolument" il n'était pas employé dans son sens littéral, mais dans une sorte de sens hyperbolique : "Il faut être pleinement moderne", "il faut être le plus moderne possible". La notion d'absolu n'était pas le maître mot de l'emploi de l'adverbe "absolument", le terme était un peu hyperbolique, un peu métaphorique, un peu familièrement galvaudé comme dans "Il faut être vachement moderne" si je puis dire.</div><div style="text-align: justify;">Et donc j'ai laissé tomber ce sujet.</div><div style="text-align: justify;">Pourtant, ce qui se passait d'étonnant, c'est qu'au même moment les rimbaldiens s'y intéressaient. Quelques années auparavant, Jean-Pierre Bobillot avait publié un article sur "Il faut être absolument moderne[,]" où il est question de Meschonnic, et surtout à partir de l'année 2000, Bruno Claisse a commencé à publier des articles sur les poésies de Rimbaud où il était tout le temps question d'Henri Meschonnic et de ses thèses sur le rythme, et à la marge Claisse parlait lui aussi de la phrase : "Il faut être absolument moderne", à la lumière du livre de Meschonnic. Ce livre date de 1988 et s'intitule <i>Modernité modernité</i>.</div><div style="text-align: justify;">La thèse de Meschonnic a aussi un aspect linguistique, puisqu'il souligne que "Il faut" n'est pas "je dois". Il souligne une nécessité extérieure à la volonté du sujet. Cependant, il faut aussi avouer que partant de l'opposition entre "il faut" et "je dois" Meschonnic affirme un peu vite que les deux lectures sont opposables. La lecture "il faut..." comme contrainte sur le sujet ne va pas de soi pour autant. Et d'ailleurs, Bruno Claisse, quand il va publier sur cette phrase, part de l'idée que Meschonnic s'est quelque peu trompé et finalement Claisse développe l'idée d'une acceptation amère de la modernité qui n'est pas l'idée initiale de Meschonnic.</div><div style="text-align: justify;">Là, je résume tout cela selon mon ressenti, comme on dit, je ferai les mises au point plus tard, je raconte mon segment de vie dans tout ça pour bien poser les choses, pour qu'on voie comment ce slogan vit en société. Evidemment, Meschonnic lui il a retiré le slogan à la modernié, la phrase de Rimbaud est ironique, et basta !</div><div style="text-align: justify;">Et avant la relecture en acceptation amère par Claisse, il y a eu d'autres réflexions sur cette phrase par d'autres rimbaldiens. Yann Frémy avait du mal avec l'idée de Meschonnic, mais je n'ai pas vraiment lu attentivement ce qu'il a publié. Je voulais le faire, mais les années ont passé, et je ne l'ai jamais fait.</div><div style="text-align: justify;">Bref, il est temps d'y revenir.</div><div style="text-align: justify;">Pour l'instant, cet article est improvisé en même temps que je fais un relevé, mais j'ai deux idées fortes à faire remonter : c'est un extrait de "Mauvais sang" sur le "viatique" et un extrait de "Ville" sur l'évacuation de tout monument de superstition.</div><div style="text-align: justify;">Allez, on y va !</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">La seconde section de "Adieu" utilise de manière paradoxale l'adjectif "nouveau". Dans la première section, le poète avoue son échec dans l'invention personnelle du nouveau : "nouvelles fleurs", "nouveaux astres", "nouvelles chairs", "nouvelles langues", il a "cru", il a "essayé", mais il a échoué, et il doit enterrer tout ça. Malgré tout, il y a bien une "heure nouvelle", ce qui a un sens fort. Le poète sort de l'enfer, donc une "heure nouvelle", c'est vraiment un départ sur de nouvelles bases. Mais il s'agit d'un départ sur un constat amer "très-sévère". Et cette heure nouvelle est clairement associée à un triomphe personnel : "la victoire m'est acquise". Et c'est dans ce contexte que va surgir la phrase : "Il faut être absolument moderne."</div><div style="text-align: justify;">Donc, précisons comment cette phrase intervient. Et, pour cela, au lieu de seulement commenter phrase par phrase la seconde section de "Adieu", constatons aussi qu'il y a une composition en paragraphes ou alinéas.</div><div style="text-align: justify;">Le premier paragraphe prend acte d'une leçon amère : "Oui l'heure nouvelle est au moins très-sévère."</div><div style="text-align: justify;">Le deuxième paragraphe correspond à un mouvement de balancier. Si je n'analysais que le sens des phrases, nous passerions insensiblement de la phrase parlant à la victoire à la phrase imaginant la possibilité de se venger :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote> Car je puis dire que la victoire m'est acquise : les grincements de dents, les soupirs empestés se modèrent. Tous les souvenirs immondes s'effacent. Mes derniers regrets détalent, - des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes. - Damnés, si je me vengeais !</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Je trouve intéressant de souligner l'unité du paragraphe, parce que la vengeance est alors comprise non comme l'expression de détresse à un moment très-sévère, mais bien comme la jouissance de revanche du vainqueur. Enfin, c'est un peu compliqué, vu que si le poète se vengeait ce ne serait plus l'heure nouvelle. Se venger, ce serait retourner en enfer. On sent un petit flottement interprétatif. Avec le double point, on comprend que la victoire est dans le recul des "soupirs empestés" et des "grincements de dents". Rimbaud cite la Bible avec "les grincements de dents", cela confirme que Pierre Brunel a raison d'identifier une référence au plan de la prose liminaire à un festin de l'évangile selon saint Mathieu, puisque ceux qui refusent d'aller au festin sont condamnés aux "grincements de dents" de l'enfer. Notez aussi que, parmi les "regrets" qui "détalent", il y a les "jalousies" pour les "amis de la mort". Or, depuis la section "L'Eclair", le poète a dit se révolter contre la mort et c'est à partir de là qu'il voit une lumière de vie pour sortir de l'enfer avec la section "Matin" et la concrétisation dans la seconde section de "Adieu" de ce mouvement libératoire. Il va de soi aussi que Rimbaud exploite le sens métaphorique du mot "arriérés" face à l'idée d'heure nouvelle et de sortie de l'enfer. Et donc, empli d'un sentiment de triomphe, le poète passe tout de même à se venger. La victoire donne l'ivresse d'un désir de revanche en quelque sorte, mais en réalité se venger ce serait une rechute, et ce qui prouve que la victoire est acquise c'est que le poète ne va pas céder à ce sentiment. Et pour ne pas céder à ce sentiment de vengeance, le mot d'ordre va être précisément cette formule : "Il faut être absolument moderne" où on sent encore une fois le contrepoint métaphorique avec le mot "arriérés". Cette phrase fait alinéa à elle seule, mais l'articulation entre les aliénas est capitale. La formule : "Il faut être absolument moderne", est calée entre la fin de paragraphe : "Damnés, si je me vengeais !" et l'attaque du suivant : "Point de cantiques : tenir le pas gagné."</div><div style="text-align: justify;">Si on laisse de côté : "Point de cantiques", nous avons l'idée qu'être absolument moderne c'est "tenir le pas gagné" et donc ne pas se venger, car se venger n'est pas le signe d'un grand vainqueur.</div><div style="text-align: justify;">Je laisse de côté "Point de cantiques" me contentant de faire remarquer que les cantiques sont des chants de remerciement à Dieu et qu'il y a une construction en boucle du paragraphe de "Point de cantiques" à la célèbre phrase : "la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul."</div><div style="text-align: justify;">Donc, Rimbaud tient le pas gagné, mais ne l'enrobe pas d'un discours de mage en gros.</div><div style="text-align: justify;">En clair, si le poète chantait un cantique, il jouerait au mage ou à l'ange, il se nourrirait aussi de mensonge, puisque si "la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul" il ne pourra pas développer les idées fortes de son cantique. Il ne pourra pas dire "merci à Dieu de m'avoir sauvé parce que tu penses ceci, cela, et tatati et tatata." C'est ça l'idée.</div><div style="text-align: justify;">Le poète se contente d'aspirer à la vigueur et à la tendresse réelle, et il retrouve l'idéal de patience. Voilà pour l'avant-dernier alinéa. Puis, nous basculons dans l'alinéa final, et on a à nouveau un mouvement de balancier entre alinéas, puisque nous venons de parler d'un poète ouvert à la tendresse réelle, et l'ultime alinéa tourne en dérision l'idée de "main amie".</div><div style="text-align: justify;">Il faut comprendre qu'on ne peut pas prendre n'importe quel main pour de la "tendresse réelle". Il y a une restriction qui participe de la sévérité de l'heure nouvelle. Il n'y a pas qu'une désillusion sur soi, il y a l'acceptation de la cruauté du monde avec sa réalité rugueuse.</div><div style="text-align: justify;">Et Rimbaud ou le poète si vous préférez ne dit pas qu'il va posséder la vérité, mais il choisit le mot "loisible". En clair, il dit simplement qu'il est dans un état favorable à l'accueil en soi de la vérité. Les rimbaldiens négligent ce mot "loisible", ils affirment que le poète se fixe pour objectif de trouver la vérité, de s'en emparer, et je suis très réservé là-dessus. Il vient de dire que "la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul", donc pour moi l poète ne veut pas se nourrir de mensonge, veut rester dans la vérité, sans pour autant pratiquer une débauche d'énergie pour découvrir la vérité. Il y a une connaissance sur la justice à laquelle il renonce, et je trouve que le mot "loisible" nous avertit clairement des limites de l'ambition actuelle du poète. Il n'est pas en train de nous dire qu'il va arriver lui à la vérité, il dit que lui est dans de meilleures dispositions que nous pour y accéder. Ce n'est pas le même discours.</div><div style="text-align: justify;">Et justement, croire atteindre la vérité, par exemple de Dieu, c'est justement ce qu'il a dénoncé comme mensonge, donc pour moi les rimbaldiens sont sur une pente interprétative qui confine au contresens.</div><div style="text-align: justify;">Je passe sur le pluriel d'implication : "armés d'une ardente patience", qui suppose que le "nous" ne désigne pas que le "Je". Je ne peux pas tout traiter à la fois.</div><div style="text-align: justify;">J'ai expliqué la liaison pour "l'enfer des femmes" au-delà de "Vierge folle" à l'enfer de la caresse et aux caresses parasites des bonshommes, j'ai expliqué que "posséder la vérité dans une âme et un corps" c'est une formule dualiste chrétienne qui permet de donner une chute ironique à <i>Une saison en enfer</i>, puisque la citation chrétienne, étant faite contre la société chrétienne, vaut rejet du christianisme. C'est ça le rire final contre les "vieilles amours mensongères".</div><div style="text-align: justify;">Je rappelle d'ailleurs un paradoxe de composition d'<i>Une saison en enfer</i>. Il y a une résolution qui se fait dès la prose liminaire, mais qui, du coup, ne concerne pas du tout la fin "Adieu" du récit. C'est dans la prose liminaire que le poète comprend que le festin n'a jamais existé, qu'il n'a fait qu'en rêver, puisqu'il est lié à l'exercice de la charité. Dans "Adieu", le poète a toujours une perception vague du "festin" ancien et il n'a toujours pas compris son lien avec la "charité". Dans "Adieu", les "souvenirs immondes" reculent, mais dans la prose liminaire le faux souvenir chrétien disparaît lui complètement. On a bien la preuve d'un emploi antichrétien de la formule chrétienne : "posséder la vérité dans une âme et un corps".</div><div style="text-align: justify;">C'est assez unique dans l'histoire de la littérature de relire le début de l'ouvrage comme la suite chronologique et la mise au point au-delà de la dernière page. C'est très particulier, mais cela a été réellement bien médité par Rimbaud.</div><div style="text-align: justify;">Or, il reste un peu à creuser ce que c'est qu'être moderne, parce qu'en l'état nous avons une lecture où nous constatons qu'être absolument moderne c'est ne pas se venger et ne pas composer de cantiques, mais est-ce que c'est ça que signifie "moderne" ?</div><div style="text-align: justify;">C'est pour cela qu'une citation du poème "Ville" des <i>Illuminations</i> s'impose fortement à mon esprit :</div><div style="text-align: justify;"><i></i></div><blockquote><div style="text-align: justify;"><i> Je suis un éphémère et point trop mécontent citoyen d'une ville crue moderne parce que tout goût connu a été éludé dans les ameublements et l'extérieur des maisons aussi bien que dans le plan de la ville. Ici vous ne signaleriez les traces d'aucun monument de superstition. La morale et la langue sont réduites à leur plus simple expression, enfin ! [...]</i></div><div style="text-align: justify;"></div></blockquote><div style="text-align: justify;">En clair, la modernité est vue ici par ceux qui ont fait évoluer l'architecture urbaine anglaise comme un moyen de supprimer les références culturelles au passé, la modernité est une forme de table rase dans l'expression artistique. Rimbaud dénonce tout de même une fausse définition de la modernité : "crue moderne" dit-il. En clair, il ne suffit pas de supprimer toute référence à un goût connu pour être moderne. En revanche, la deuxième phrase n'est pas sous le coup du reproche de fausse croyance en la modernité et elle contient l'idée essentielle d'une absence de renvoi à la superstition ! C'est exactement ce que nous avons dans le "Il faut être absolument moderne" de "Adieu", puisqu'il est articulé à un refus de la superstition : "Point de cantiques" ! J'ai cité également la phrase sur la réduction de la morale et de la langue à leur plus simple expression pour deux raisons. Première raison : la morale est souvent rejetée comme étant la faiblesse de la cervelle dans la Saison ("Alchimie du verbe"), tandis que la langue est aussi un sujet subrepticement traité avec les passages discrets de "Mauvais sang" ("quelle langue parlais-je ?") et de "Adieu" ("de nouvelles langues"). La deuxième raison, c'est que la formule "plus simple expression" va de pair avec l'idée de "tenir le pas gagné" sans l'enrober de "cantiques".</div><div style="text-align: justify;">Voilà donc la piste d'investigation la plus sérieuse pour définir ce que c'est qu'être "absolument moderne", et on retrouve mon idée forte que non seulement "être absolument moderne" va du côté d'un refus de l'enrobage du mensonge, mais que le poète cherche plutôt un état compatible avec la vérité (loisible) qu'à se donner les moyens d'y orgueilleusement accéder. Le moderne est un moyen d'évacuation et de réduction (je cite le mot "réduite" de "Ville"), et non pas un accès royal à l'abondance.</div><div style="text-align: justify;">Et j'en arrive à mon autre citation clef dans "Mauvais sang".</div><div style="text-align: justify;">Dans la deuxième section de "Mauvais sang", le poète dit que s'il a des souvenirs du passé il n'arrive pas à s'y représenter pour autant, il ne sait même pas quelle langue il parlait, alors même qu'il se voit danser avec des sorcières ou "bivaqué" lors de certaines guerres ou être présent en terre sainte lors des croisades. Il constate qu'il est un bête "fils de famille" du dix-neuvième siècle dont le néant aurait pris fin avec la "déclaration des droits de l'homme". Il n'est plus une bête, il est devenu un homme en quelque sorte, et dans cette table rase encore récente tout fils de famille est identique à lui. Et le credo est la science. Et là il faut faire attention, parce que la ville anglaise était "crue moderne", mais il y avait encore à faire, et dans "Mauvais sang" le poète va critiquer la notion de "science" et finalement l'envisager comme une nouvelle superstition, ce qui sera confirmé dans "L'Eclair" où le statut de religion n'est pas anodinement fixé par l'expression "Tout le monde".</div><div style="text-align: justify;">Et ce qui fait que nous pouvons dire que nous visons juste dans notre rapprochement avec "Il faut être absolument moderne", c'est que Rimbaud se moque de ce que la science a à apporter pour l'âme et pour le corps, le double lieu de la vérité à posséder. Je cite l'extrait clef de "Mauvais sang" :</div><div style="text-align: justify;"><i><blockquote> Oh ! la science ! On a tout repris. Pour le corps et pour l'âme, - le viatique, - on a la médecine et la philosophie, - les remèdes de bonnes femmes et les chansons populaires arrangés. [...]</blockquote></i></div><div style="text-align: justify;">Pour l'instant, je n'ai pas d'avis s'il y a coquille ou non ("arrangés" ou "arrangées"), je ne vais pas m'imposer de certitude spontanément, ce n'est pas le sujet ici. Le mot "viatique" a un sens chrétien fort, c'est l'extrême-onction, c'est la communion donnée à quelqu'un en danger de mort. On, retrouve l'idée du tas "d'âmes et de corps morts <i>et qui seront jugés</i>" (première section de "Adieu") et l'idée de "<i>posséder la vérité dans une âme et un corps</i>", au bout d'une réflexion où sortir de l'enfer c'est refuser la mort. La science est la nouvelle superstition qui réarrange un discours mensonger sur le sens de la vie dressé en vérité divine, qui réarrange aussi un discours mensonger sur la vie éternelle du corps et de l'âme. La philosophie est le nouvel accès à une éternité de l'âme, la médecine sauve les corps. Alors, certes, la médecine sur les corps, cela ne s'entend pas comme accès à une vie éternelle, mais il y a l'idée d'une fausse musique. Traiter médicalement un corps peut finalement donner autant d'illusions sur sa bonne santé que les vieux remèdes superstitieux d'autrefois. Il y a un effet guérissant et apaisant, et on croit le tour joué. C'est encore plus flagrant dans la prétention à la sagesse pour l'âme. Et dans "L'Impossible", qui est nettement un texte écrit dans le prolongement de "Mauvais sang", nous avons bien la raillerie à l'encontre des "philosophes" qui en réalité nous vendent de la pensée occidentale en chute libre avec des apories du genre "ameublez-vous un Orient si c'est ça votre désir !" J'ai écrit : "ameublez" pour citer "Ville" à nouveau bien sûr !</div><div style="text-align: justify;">Le "Pourquoi ne tournerait-il pas ?" de "Mauvais sang" est intéressant à rapprocher de la formule : "Tenir le pas gagné !" qu'on rapproche plus spontanément de "le monde marche". Le poète va marcher, mais il ne va pas dire "le monde marche", il va simplement marcher, parce que s'il disait que le monde marche il prendrait le risque d'être contredit par l'alternative selon laquelle il pourrait bien tourner.</div><div style="text-align: justify;">La modernité serait donc d'accepter la réalité immédiate de la science, mais pas le discours qui la fait passer pour une providence pleine de promesses divines.</div><div style="text-align: justify;">Voilà, cette étude est un peu improvisée, mais on sent bien que je vais quelque part, que je ramène des citations clefs non exploitées jusqu'à présent dans les commentaires de "Adieu" si je ne m'abuse.</div><div style="text-align: justify;">Je rappelle que dans "L'Impossible", il y a aussi la phrase : "Pourquoi un monde moderne si de pareils poisons s'inventent ?" J'avais prévu de traiter de ces poisons comme de superstitions qui font que la modernité échoue parfois à être la critique des illusions du passé qu'elle prétend être.</div><div style="text-align: justify;">Je reviendrai sur tout ça.</div><div style="text-align: justify;">***</div><div style="text-align: justify;">J'ai d'autres sujets en vue. Comparer le poème "Antique" à plusieurs passages des poésies d'Horace, à plusieurs des <i>Odes</i> en tout cas.</div><div style="text-align: justify;">Je dois aussi enfin refaire ce sujet ancien que j'avais traité étudiant antérieurement à toute publication d'article, c'est les sources du poème "Nocturne vulgaire" du côté de Baudelaire et Vigny. Pour "Corbillard de mon sommeil", Rimbaud s'inspire de "Horreur sympathique" et de "Rêve parisien" notamment, d'un autre poème dont le titre m'échappe, tandis que "panneaux bombés" figure dans "Le Beau navire". Je devrai réactiver tout ça.</div><div style="text-align: justify;">Puis, j'ai d'autres sujets comme toujours, sur la métrique des vers de 1872, sur les répétitions de mots. Je dois reprendre sur l'influence de Desbordes-Valmore. Je dois faire une lecture de "Accroupissements" en fonction de "Un voyage à Cythère", et j'ai encore des tonnes et des tonnes de sujets laissés en plan.</div><div style="text-align: justify;">Bye.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Petite note :</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Pour "posséder la vérité dans une âme et un corps", même si esprit et âme sont des concepts distincts, le rapprochement avec "esprit sain dans un corps sain" a du sens, cela n'est pas un rapprochement contradictoire. En revanche, quand les rimbaldiens disent que Rimbaud critique le dualisme de l'esprit et du corps dans "posséder la vérité dans une âme et un corps", outre qu'il est absurde de ne pas admettre que l'énoncé est en soi dualiste dans sa formulation, l'écart conceptuel entre "esprit" et "âme" est problématique, parce que cette fois le mot "esprit" utilisé par les rimbaldiens leur fait faire des développements que ne suppose pas le mot "âme". Les rimbaldiens vont dire que la vérité s'adresse plutôt à l'esprit qu'au corps chez les chrétiens, sachant qu'on joue de manière confuse sur le fait que c'est aussi l'impression de bon sens la mieux partagée du monde. Le corps ne s'occupe pas de posséder une vérité que nous sachions. La vérité est intellectuelle ou n'est pas. Bref, les rimbaldiens jouent au sous-entendu : Rimbaud est tellement génial qu'il entrevoit une notion de vérité applicable au corps. Bref, si oui, il y a une vérité du corps, ce sera dans une conformité comportementale à une vérité de sens pour l'esprit. Mais, Rimbaud, s'il avait voulu contester le dualisme, il n'aurait pas employé le mot "âme", il aurait employé le mot "esprit", parce que le mot "esprit" est ontologiquement plus neutre, plus "réduit", que le mot "âme" qui est lui très enrobé de conceptions superstitieuses.</div><div style="text-align: justify;">Rimbaud ne combat pas le dualisme, il dit : "la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul." La phrase finale d'<i>Une saison en enfer</i>, elle est clairement dualiste, mais, après, elle est ironique, ce qui veut dire que Rimbaud ne s'engage pas particulièrement à croire au mot "âme". Il fait avec le langage tel qu'il lui parvient.</div>David Ducoffrehttp://www.blogger.com/profile/11857014836500885270noreply@blogger.com8