jeudi 27 février 2014

Trip thru hell

Vous voulez un chef-d'oeuvre étrange et obscur de l'histoire du rock. Voici.

Pour le titre Une saison en enfer, je songe assez facilement au rapprochement avec le titre Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand, titre avec lequel joue déjà Hugo dans la préface des Contemplations, recueil de poésies au-dessus de toute Littérature. Le titre Mémoires d'outre-tombe est également corrompu dans le poème Vies, précisément par liaison du titre au mot de la fin "d'outre-tombe". Et le "Je ne beurre pas ma chevelure" va dans le sens de l'allusion à l'oeuvre de l'écrivain Breton.

mercredi 26 février 2014

Temps de parole

"the best of the 3 kings" comme dit un commentaire de ce lien youtube. En effet, Freddie King est juste, quand d'autres grands noms du blues moderne, malgré des titres très forts, sont trop bavards parfois à la guitare comme B.B. King, Albert King et Albert collins.
Pauvre Chuck Berry, c'est une de mes idoles, et je trahis ses sources peu connues, car effectivement plusieurs aspects de son jeu et notamment le solo d'introduction avec ses notes dédoublées ne viennent pas de lui, même s'il fut inventif, ni d'Elmore James. Un bluesman un peu plus jazzy moins connu, mais majeur. Je copie le lien sur Mozilla et je le colle sur cette page amenée par Google Chrome, et hop.

**

Je n'ai plus accès au "bordereau" de connexion avec le lien "nouvel article" sur Mozilla, je passe donc sur Google Chrome.
Dans mon récent article de synthèse, je précise que j'ai oublié de parler du rapprochement avec l'idée de verbe johannique façon hugolienne "Au commencement était le verbe", alors que c'est aussi une dimension importante.
Je n'ai pas encore eu le temps de me concentrer sur Helmholtz, une des idées que j'ai en tête c'est d'explorer l'ultime mention "violet" comme moyen de pousser le jeu plus loin que le bleu, en indiquant la limite de perception des ondes pour l'oeil humain, et au-delà de la limite du champ visuel accordé il y a la vision de Dieu. Mieux vaut ne rien dire de prématuré.

Mon travail sur les Illuminations ou sur Voyelles (je mets des italiques aussi aux titres de poèmes, je préfère) et sa continuation par des études du livre Une saison en enfer débouchent sur l'idée qu'il y a un fonds de discours métaphysique imagé reprenant, mais de manière soit subversive, soit simplement parallèle, des motifs et éléments du christianisme, ce fonds vient de la littérature du dix-neuvième siècle et d'une littérature antique explorée à partir des choix imposés dans les écoles pour l'étude du latin, etc.
En fait de philosophie rimbaldienne, si on peut se permettre ce grand mot, je n'apprécie pas trop les anachronismes. La poésie de Rimbaud est annexée à la réflexion moniste contemporaine ou bien à des sortes d'avatar du concept de révolte issu de la philosophie de l'absurde de Camus, et cela par Bruno Claisse qui est le plus important des commentateurs de Rimbaud du point de vue du sens, devant Steve Murphy ou Yves Reboul, et bien sûr suivent plus loin Benoît de Cornulier (ses analyses étant moins investies) et les autres (moi, ça me fait chier, il y a un principe de modestie qui veut m'interdire de me mettre encore au-dessus, il paraît que le public n'aime pas les prétentieux). Je précise que les "éditeurs" de son oeuvre Pierre Brunel, Louis Forestier, Jean-Luc Steinmetz, Borer (c'est quoi son prénom, Alain?), Claude Jeancolas et André Guyaux ne sont pas parmi les rimbaldiens ayant contribué de manière décisive à la connaissance de l'oeuvre de Rimbaud.
Or, il est clair que la poésie d'Arthur l'adolescent a une formulation dualiste, qu'il ne se pose même pas la question du monisme et du dualisme, et que, dans tous les cas, les philosophes n'ont jamais eux-mêmes réussi à opposer efficacement les notions de monisme et de dualisme.
Les allégories et écritures parodiant quelque peu l'esprit du christianisme sont très intéressantes pour approcher la pensée métaphysique dernière de Rimbaud. On comprend bien que les personnifications renvoient à des principes, en n'excluant pas l'idée de providence.
Dans L'Impossible, Rimbaud dit "Non que je croie la lumière altérée, la forme exténuée, le mouvement égaré..." Cela veut très clairement dire qu'il ne désespère pas du devenir et donc d'une certaine providence. La "lumière altérée", cela s'oppose à une lumière inaltérable, à donc l'esprit des couleurs dans Voyelles et à cette "éternité" qui est la "mer allée avec le soleil", source de lumière, dans un poème qui porte ce nom.
Et cette idée d'éternité renvoie métaphoriquement à l'alchimie. Et je vous laisse méditer pour l'instant sur le contraire de "forme exténuée".
L'impossible est seulement au niveau de notre petit entendement humain, au niveau de notre possible.
Un ami, très porté sur les axes philosophiques, s'est montré sensible au rapprochement entre ce passage et celui d'Alchimie du verbe où Voyelles jouit d'un début de commentaire ou d'explication, et sur le fait qu'on retrouve les termes "lumière", "forme" et "mouvement" dont la réunion est un lieu commun d'une certaine littérature d'idées du dix-neuvième siècle. On songe aux quatre causes d'Aristote par-delà ces mots précis, cet ami m'indique aussi leur présence conjointe dans des passages de Bernardin-de-Saint-Pierre, et nous savons qu'il est question de Paul et Virginie dans au moins un poème de Verlaine composé du temps du compagnonnage avec Rimbaud et des Etudes de la Nature dans le seul débris de cahier de brouillon qui nous soit parvenu du Rimbaud élève. Je rattache cela à ce que j'ai dit dans les paragraphes précédents et je considère que la recherche prend des voies très stimulantes, à condition toutefois, et je suis très sensible à ce problème, de ne pas prêter à Rimbaud un niveau d'érudition et de maturité sur une certaine littérature d'idées ou sur une certaine littérature philosophique.
Il n'est en tout cas pas absurde de présenter une pensée de Rimbaud d'une cohérence aux articulations aussi belles qu'un système philosophique. Les philosophies à système n'ont pas tenu. Leibniz, un des plus grands génies que nous ayons eu, a pas mal perdu son temps dans des recherches inutiles comme l'alchimie, et au plan philosophique sa "Monadologie" refait le coup d'un Platon contre-intuitif, mais pour un résultat qui n'a de valeur qu'en termes d'approche heuristique. La "Monadologie" ne tient absolument pas la route, et ne permet que de montrer aux matérialistes qu'ils ne peuvent pas plus prouver leurs théories que les idéalistes qui proposent des "monadologies" et autres. La dialectique et la phénoménologie (Hegel, puis Husserl) permirent à la philosophie de trouver un nouveau souffle, mais fondamentalement héritant de poètes prédécesseurs on peut penser que la poésie de Rimbaud est habitée par un souffle de conception pré-philosophique qui peut réellement être mis à hauteur non pas de la pensée fouillée des philosophes, mais au moins du socle des grandes lignes directrices d'un quelconque philosophe. Il y a des intuitions subtiles de départ que Rimbaud a sincèrement travaillé à déployer.
De tels échanges productifs me changent en tout du niveau de médiocrité auquel je dois m'en tenir quand je parle de Rimbaud avec les gens, y compris les rimbaldiens.
Normalement, je devais poursuivre une thèse à l'université sur Rimbaud et le romantisme. Le problème, c'est que je me situe à un tel niveau d'exigence que je n'ai pas été en mesure de bâtir un plan rapidement. Le projet a traîné, et le reprendre me paraît impossible, parce qu'à peu près tout le monde veut ma peau.
Ne supportant pas les chipotages débiles du genre "on n'arrivera jamais à un concept de "romantisme" applicable à tout le champ de ceux qui ont été admis dans le courant", j'ai passé du temps carrément à redéfinir le classicisme. Dans la façon de conduire une thèse, je suis unique au monde et ce n'est pas très bien accepté. J'aime bien de mûrir les choses en profondeur et d'aller très loin dans la perspective historique. On en a une sorte d'illustration avec mon article fleuve en ligne "Ecarts métriques d'un Bateau ivre".
J'ai plein de projets concurrents sur Rimbaud, projets en conflit avec le souci de ramener quelque chose dans la gamelle et les envies de profiter d'autres choses, mais je ne prévois pas de cesser d'accorder un temps important à l'étude de l'oeuvre de Rimbaud. Je le fais en plus honnêtement, car je le fais vraiment au service d'une meilleure compréhension de l'auteur.
Après, on me reprochera sans doute de penser à ma pomme dans le cas de certaines colères, mais je ne suis pas d'accord. Déjà, faire le tour du problème qui m'est personnel est déjà révélateur des blocages sociétaux actuels, et je cible dans la foulée l'absurdité qu'il y a à se dire passionné de Rimbaud quand on passe sciemment à côté de certaines choses. La théorie du "zéro conflit" a bon dos. La reconnaissance qu'on a pour mon travail est proche de zéro, sans compter que je n'ai jamais énuméré, sur quinze ans, toutes les petites idées dont on a profité sur mon compte pour tel ou tel détail d'étude dans des articles. Le coup de poignard du livre de Bernard Teyssèdre, le mépris qu'on affiche pour mon étude sur Voyelles, le fait qu'on ait mis entre parenthèses le rôle déclencheur de mon article sur Le Bateau ivre, ça ne passera jamais. Bizarrement, les gens n'ont pas compris que j'étais là pour durer, que j'étais l'avenir pas le passé de la critique rimbaldienne, que j'avais de la ressource pour parfaire ma manière d'écrire et de présenter mes idées, etc., que j'avais des moyens variés pour me faire connaître (internet, et l'éventualité de publications soit comme critique, soit comme écrivain). Et j'ai du mal à croire que leur présent soit tranquillisé, quand on sait que mes idées ne font qu'attendre pour s'imposer avec éclat. On peut me traiter de prétentieux, peu importe, car les instruments de mesure pour apprécier l'évolution de la critique rimbaldienne ces quinze dernières années sont déjà largement à mon avantage. Personne n'arrive à me répondre sur Voyelles : m'ignorer ou me présenter caricaturalement, ce n'est bien sûr pas très intelligent comme façon de faire. Sur la datation non plus, personne n'arrive à contrer l'avalanche de mes arguments. Les prétendus recueils de manuscrits, il en reste pas grand-chose aujourd'hui, et le plus drôle, c'est que j'ai la facétie pourtant de justifier certaines suites dans les poèmes en prose comme l'enchaînement de Matinée d'ivresse et A une Raison (dans l'ordre inverse).
La médiocrité de ce que j'ai en face est très facile à évaluer. J'ai déchiffré un vers de L'Homme juste, mais cela est traité de manière problématique comme une simple conjecture et sans consensus de gens autorisés pas question pour les éditeurs de corriger le vers.
Ce vers n'est pas révisé sur le site d'Alain Bardel, ni dans aucune édition courante. Seuls deux rimbaldiens l'ont admis comme une évidence ou peu s'en faut : Jacques Bienvenu (republication sur son blog) et Benoît de Cornulier (il l'exploite en tant que tel dans son livre récent sur Rimbaud). Yves Reboul, je le sais, est également convaincu, mais le reste, néant. Ou il n'est pas convaincu, ou il reste dans le parfait mutisme.
Je trouve ça inquiétant. Ce n'est pas moi qui suis très intelligent, c'est ce que j'ai en face qui ne tourne pas rond. La confrontation de la solution au manuscrit est déjà suffisante en soi, j'y ai pourtant adjoint une démonstration hors-pair, qu'est-ce qu'il faut de plus ?
Enfin, quelqu'un qui a une solution à un vers tronqué, et qui s'en tient au vers tronqué, je me pose beaucoup de questions quant à son intérêt réel pour Rimbaud. Je ne supporte pas le manque d'intelligence doublé d'un manque d'enthousiasme quand on se prétend passionné.
Sur l'Album zutique, j'ai ramené une moisson d'intertextes et j'ai signalé à l'attention qu'un intertexte probable (un dizain de Coppée pour la rime avec "redingote") nécessitait un complément d'enquête étant donné un problème de date. Cela va au-delà de Bernard Teyssèdre, je trouve que j'ai commenté une partie des poèmes zutiques de Rimbaud en livrant les intertextes précis. Eh bien, ni les intertextes, ni les commentaires des poèmes que j'ai pu faire ne sont pris comme quelque chose d'important. Vous n'avez aucun empressement à en faire état, pas plus que mes remarques sur Voyelles. Pas de mise à jour sur le site internet d'Alain Bardel, pas de mise à jour dans les révisions de quelques éditions courantes, aucun sort dans la révision du livre L'Art de Rimbaud. Même résumer cela en une page, ils s'en contrefichent, mais royalement. Aucun engouement pour la nouvelle "Ce qu'on prend pour une vocation" de Coppée. Rien. Je trouve ça cocasse à l'ère d'internet. A se demander comment les auteurs du dix-huitième siècle réagissaient si vite à des publications littéraires anglaises, pour ne prendre qu'un exemple. Les rimbaldiens dorment d'un sommeil de plomb précisément à l'heure où son oeuvre s'éclaire enfin, alors que toute idée circulait très vite jusqu'aux années soixante. Il n'y a de dynamique qu'institutionnelle, plus rien n'est au service de la diffusion des idées. C'est un blocage qui m'étonne et qui est franchement malsain.
En plus, sur internet, la transmission est immédiate et concerne le monde entier des gens qui, équipés informatiquement et à l'aise dans le bain du monde actuel, s'intéressent à la poésie française. L'anonymat est lui-même possible. Et ce qu'on recueille c'est les faciles débiles d'un ironiste qui se croit un grand maître de la parole capable d'offenser toute susceptibilité de manière décisive. On me répliquera que ma violence jointe à ma connaissance de l'oeuvre fait peur. Mais quand même! Il n'y a pas une tête passionnée, pas un gars qui avec un pseudo peut dire un truc au passage, rien, quoi ? Et vous n'avez à aucun moment d'être des merdes au milieu de merdes, ça me dépasse.
Vous êtes gnangnan et zinzin quand même. Ah oui la vie est courte et il faut du ketchup dans l'assiette, les étoiles c'est bien joli mais on n'ira jamais. Putain mais putain mais putain mais putain...

Vous n'êtes pas fatigués d'avoir toujours du ketchup, moi je n'en achète jamais, ni sauce tomate, je coupe mes oignons, mes tomates, mon ail, je mets à la poêle. Vous achetiez passivement de quoi manger pour dix francs français il y a vingt ans, aujourd'hui vous y mettez sept euros, vous renoncez à acheter ça, ça et ça au fur et à mesure. Ben, la société décline intellectuellement de la même façon. Et de quoi vous parlez d'intéressant à table, de l'excellence de votre stricte observance de ce qui est coté d'excellente médiocrité pour l'image que vous avez à donner ? Mais comment vous a-t-on fabriqué ? Ce n'est pas possible, ce n'est pas naturel d'être comme vous l'êtes !

vendredi 21 février 2014

Alchimie du verbe, à suivre

Je vais faire une pause en ce qui concerne Voyelles. On peut remarquer dans ma synthèse que je traite avec une certaine nonchalance les liens à la théorie des Correspondances ou aux lettres dites "du voyant".
Je suis le premier au monde à avoir donné la signification du sonnet Voyelles, mais il y a maintenant un plan théorique intéressant à traiter sur les pouvoirs que s'attribuait Rimbaud.
Dans Alchimie du verbe, Rimbaud écrit :

    J'inventai la couleur des voyelles ! - A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. - Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rhythmes instinctifs, je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens. Je réservais la traduction.

Au passage, je me demande de qui vient l'initiative de transcrire en italiques les cinq voyelles, de l'éditeur Poot ou de son équipe, de Rimbaud lui-même ? Mais peu importe. Je remarque les transpositions qu'il est possible de faire : "J'inventai la couleurs des voyelles ! - A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert[,]" cela se rapporte au premier vers à un effet de réglage près, l'interversion du U et du O.
Cet autre extrait : "je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens. Je réservais la traduction[,]" se rapporte au vers deux : "Je dirai quelque jours vos naissances latentes" et à l'effet final avec le dévoilement aux sens de la divinité à prendre comme principe, elle est révélée alors par le truchement des "yeux". On remarque bien que "un jour ou l'autre" est la reprise de "quelque jour".
"Ses yeux" est indiscutablement le résultat alchimique, sachant qu'alchimie, mot bien présent dans Voyelles, est reconduit dans le titre de cette section que je cite d'Une saison en enfer, "Alchimie du verbe". Le poème Voyelles est clairement proposé comme un exemple, une illustration de la tentative d'alchimie du verbe. Et précisément dans le commentaire qui est fait de cette tentative, nous avons l'idée d'arriver à "un verbe poétique accessible [...] à tous les sens." Donc, l'explication des "naissances latentes" va de pair avec l'élaboration d'un tel verbe, et le dévoilement divin des "yeux" est un élément de cette aventure
Par ailleurs, le verbe "inventer" revient à deux reprises, et accompagné de l'idée de "rhythmes instinctifs" il est bien valorisé dans son sens de création plutôt que de découverte. L'alchimie du verbe n'est pas une théorie de la connaissance des lettres colorées, elle est une théorie de la pratique.
Maintenant, le passage d'Alchimie du verbe qu'il nous reste à rapprocher de Voyelles devrait donc se rapporter aux associations des vers 2 à 14 et à l'interversion du U et du O au vers 1.
Voici ce passage : "Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne et, avec des rythmes instinctifs, [je me flattai d'inventer un verbe poétique]"
J'ai cité entre crochets la partie qu'inévitablement je suis amené à exploiter à nouveau.
Nous passons des voyelles aux consonnes, ce qui peut s'expliquer soit par souci de complémentarité, soit par une vague idée de statut symbolique distinct, où les consonnes auraient alors plus spécifiquement en charge d'établir du mouvement et de mettre en forme le poème.
Un ami observe la suite "couleurs", "forme", "mouvement" et objectif déclaré et il la rapproche d'un passage de L'Impossible sur lequel j'ai moi-même attiré l'attention dans mes publications : "Non que je croie la lumière altérée, la forme exténuée, le mouvement égaré..." Il songe à un rapprochement avec les quatre causes aristotéliciennes : matière ici lumière, forme, mouvement et cause finale.
Je n'ai pas envie de brûler les étapes et de proposer des explications déclaratives. Chaque chose en son temps.
Il y a maintenant un lien évident entre les lettres dites "du voyant" et Une saison en enfer, et bien sûr tout particulièrement entre ces lettres et "Alchimie du verbe".
Il est évident que l'entreprise déclarée dans les lettres de mai 1871, avec une fébrilité sincère, concerne toute l'histoire de la poésie de Rimbaud, et que, même sans dire qu'Une saison en enfer est un adieu à la Littérature, ce livre de 1873 a une valeur testamentaire réelle, car il se trouve, que cela plaise ou non aux rimbaldiens, qu'il y a une convergence entre le fait que Rimbaud a cessé d'être poète à part entière après le drame de Bruxelles et le fait que ce livre est un retour sur sa pratique poétique passée, retour qui inclut en partie les poèmes en prose, mais d'une sorte qui reste à définir. Les poèmes en prose ont été écrits du milieu de 1872 à la première moitié de 1873, ils annoncent les mutations d'Une saison en enfer tout en portant les marques de l'entreprise du "voyant" lancées depuis 1871, même Une saison en enfer en porte les marques.
Il est certain que dans Alchimie du verbe nous trouvons l'esprit et parfois la lettre des lettres dites "du voyant", mais passés à l'examen autocritique.
Evidemment, on préfère éviter les propos quelque peu extravagants des lettres dites "du voyant".
Il existe pourtant une remarquable analyse de ces lettres par Gérald Schaeffer : ces lettres ont été éditées et commentées isolément par lui en 1975 dans une collection des "Textes littéraires français" chez Droz. Nous sommes face à des des textes depuis bien balisés et sur lesquels nous avons encore des marges de progression. L'autre idée forte est de ne pas chercher chez Rimbaud un savoir théorique, mais la théorie d'une pratique.

Maintenant, je ne peux pas me battre contre toute une société avec de futurs adultes qui en sont à l'ignorance de la grammaire, après des générations déjà sacrifiées en fait de travaux d'écritures pour s'approprier un style, contre toute une société qui se voile la face en inventant des maladies imaginaires comme la dyslexie où elle regroupe sans aucun des choses qui n'ont rien à faire ensemble, contre une société qui ne s'intéresse pas au sens du Bateau ivre ou de Voyelles, contre une société qui préfère à la une des journaux les élucubrations du "A-t-on lu Rimbaud?" de Faurisson, puisque ça a fait la une des journaux à l'époque ce genre de foutaises, contre une société qui reste bloquée sans réaction quand on déchiffre un vers d'un manuscrit L'Homme juste, contre une société qui ne fonctionne qu'aux discours d'autorité, contre une société qui ne veut ni réfléchir ni faire d'effort. Quand je vois le monde tel qu'il est, je me demande comment la Grèce antique et la Renaissance ont été possibles, je me demande pourquoi on fait mine de s'intéresser à la culture dans les écoles, parce que des gens qui s'intéressent au Beau, au Vrai, à la maîtrise éclatante du style, à l'expression d'idées saisissantes, mais il n'y en pas aujourd'hui. J'ai pris l'habitude de traiter le monde avec une parfaite indifférence et je ne vais certainement plus me secouer pour expliquer les secrets de Rimbaud avant tout le monde, je ferai cela comme ça me chante, parce que franchement le monde auquel je m'adresse ne m'inspire que du mépris.

samedi 15 février 2014

Voyelles, synthèse

Une brève synthèse de ma lecture de Voyelles m'est demandée
Voici

Voyelles est un poème qui vient de loin Plusieurs idées qui le sous-tendent sont annoncées dans les lettres dites "du voyant" (penser la lettre A, s'éveille clairon, suprême Savant, etc) et dans Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs, envoi à Banville qui insiste notamment sur la lecture des premiers chapitres d'un Petit traité de poésie française en cours de publication où il est question de rimes qui soient des couleurs, etc C'est aussi un poème dans la continuité des Correspondances : l'atteste la formule "résumant tout, parfums, sons, couleurs" citation en mai 71 d'un vers du sonnet de Baudelaire qui est justement reprise dans le Sonnet des sept nombres de Cabaner en réponse à Rimbaud Mais, il ne faut pas restreindre à tort ce fonds théorique à 14 vers de Baudelaire, l'idée des correspondances est partout dans la poésie des romantiques et des parnassiens, dans les visions cosmiques de Lamartine et Hugo, dans pas mal de poèmes de Léon Dierx (Les Rythmes, Jamais ou autre), etc, etc
Composé d'une seule phrase dans la version manuscrite avec adresse du premier vers, proposition phrastique au second vers et expansion de visions à partir du complément d'objet direct "vos naissances latentes" dans les douze autres vers jusqu'à un effet de décrochement et de mise en perspective finale, Voyelles est une célébration ("voyelles", "je dirai vos naissances latentes", "ses yeux"), un moment de révélation encore mystérieux ("ses yeux") et une promesse de dévoilement complet à venir ("je dirai quelque jour", je suis déjà capable de vous faire deviner "ses yeux")
La promesse est faite dans la proposition principale au vers 2 et le semi-dévoilement engageant fait la pointe du sonnet quand nous passons de l'adresse aux voyelles à la vision des yeux de la divinité
Les voyelles permettent de traiter de propriétés à la fois acoustiques et visuelles L'idée de vibration est présente par mots clefs dans chaque série d'associations : "bombinent", "frissons", "rire", "vibrements", "strideurs", le "Clairon" étant un instrument de musique, et ces vibrations tendent à permettre l'escamotage de l'idée d'un langage articulé, nous avons affaire par exemple à un rire et non à des paroles échangées La relation de "strideurs" à "Silences" invite à penser que l'acoustique est même perçue visuellement, d'où l'idée de lecture calembour que je propose "striures" derrière "strideurs"
Sur le plan visuel, les voyelles sont présentées comme des couleurs Plusieurs images jouent sur la forme majuscule des lettres, mais sans que le caractère systématique ne puisse définitivement être établi Le A n'est pas tellement une mouche vue de haut les ailes repliées, que l'image du corset, de l'abdomen d'une mouche, il est aussi l'image d'un golfe d'ombres, c'est la boucle fermée du A qui importe au symbolisme, suggérant l'idée de matrice Le U se multiplie en oscillations, en vallonnements de pâtis, en rides sur un front Le O est embouchure d'un clairon et image de sphère(s) céleste(s) Ces associations sur la forme des majuscules correspondantes ne fonctionnent pas pour le E et le I du second quatrain, ce qu'aggrave le contraste entre les formes manuscrites et imprimées de ces majuscules Pour justifier des analogies de forme à propos du I majuscule imprimé, il faut proposer plusieurs traitements forcés : pourpre évoquant un tapis rouge déroulé pour un triomphe, trait droit d'un jet de sang, confusion du vertical et de l'horizontal pour des lèvres, d'autant qu'à mon sens le "I" est associé directement à "rire", pas à "lèvres" Pour le E, les choses sont plus compliquées encore
L'important pour Rimbaud, c'est de créer un tout dont la clôture est sensible et qui soit un alphabet de couleurs du monde, base d'un langage universel que les poètes comprennent Des associations librement inventées par Rimbaud vont en exprimer la force symbolique, mais aussi la visée de sens particulière au poème
Il faut considérer ici trois choses : l'idée de voyelles extraites de l'alphabet, la délimitation des couleurs choisies, et la valeur symbolique, mais au plan purement littéraire, des arrières-plans ésotériques donnés au poème, à commencer par l'emploi du mot "alchimie"
Rimbaud énumère les cinq voyelles de l'alphabet et l'interversion ostentatoire du O et du U va permettre de cimenter l'idée de Tout avec un mouvement balayant d'alpha à oméga
Les couleurs sont elles aussi choisies pour former un tout, ce tout est déjà assuré par leur liaison à cinq voyelles, mais les couleurs sont ici rassemblées en deux groupes, l'un du couple contrastif noir/blanc, l'autre des trois couleurs primaires de ce qui va bientôt s'imposer en tant que trichromie additive appliquée à la composition de la lumière : le rouge, le vert et le bleu Le bleu est significativement remplacé par le violet dans le dernier tercet
Le violet est la dernière couleur du spectre solaire pour l'oeil humain et va bien sûr avec l'idée de "suprême" et de mystique du dernier tercet, mais il s'agit aussi d'une mise en tension Les récepteurs de l'oeil humain se répartissent le travail Il en est de trois sortes pour ce qui en est de la captation des ondes rendues ensuite sous forme de couleurs par notre cerveau (cornées contre bâtonnets) Certains sont sensibles aux ondes qui correspondent plutôt au rouge, d'autres aux ondes qui correspondent au vert, d'autres aux ondes qui correspondent plutôt au bleu et violet Derrière les couleurs, il y a bien sûr la question des longueurs d'ondes La théorie s'est maintenue avec quelques modifications au plan des études physiologiques, mais il s'agit alors d'une découverte assez récente qui n'impliquait pas n'importe quels savants de l'époque  Young (lequel a démontré qu'Huyghens avait raison d'envisager la lumière comme onde et non comme corps), Maxwell (très célèbre par ailleurs) et Helmholtz Maxwell a proposé que l'oeil humain était sensible au rouge, au vert et au bleu, et Helmholtz a remplacé le bleu par le violet Helmholtz a aussi étudié l'acoustique, je verrai si je peux tirer un parti de cela ultérieurement Et je fais bien sûr du mot "lumière" une clé du poème derrière les mentions de couleurs
Il me semble qu'il serait assez vain de chercher une théorie des couleurs ou un renvoi à une science pour chaque image du poème, j'observe simplement la composition du premier vers et la variation finale "bleu"-"violet", et je fais assez confiance au bon sens qui fait que cela coïncide avec une découverte récente de première importance Il n'y a pas de lecture intelligente sans cela
Enfin, pour l'alchimie, terme en vedette dans ce poème, mais aussi dans Une saison en enfer, il s'agit d'un motif qui culturellement suppose l'accès à une connaissance de ce qui ne se manifeste pas directement à nous (le latent), la quête d'une sagesse (celle des "grands fronts studieux" du vers où figure le mot "alchimie"), l'accès à une éternité, jeunesse et santé parfaites, dont la transmutation du métal en or ne serait qu'une illustration appliquée à la matière, l'or étant conçu comme la santé du métal
Ces connaissances littéraires de base sont tout à fait suffisantes pour comprendre le poème Comme cela a déjà été fait, on peut envisager qu'au plan alchimique la succession noir, blanc, rouge, n'est pas innocente, scandant trois étapes du processus alchimique : oeuvre au noir, oeuvre au blanc, oeuvre au rouge
Je suis beaucoup plus réticent pour ce qui est d'aller après chercher tout azimut dans de l'érudition alchimique échevelée des éléments qui éclaireraient successivement plusieurs détails du sonnet de Rimbaud, comme la table d'émeraude pour le vert ou comme un livre important d'alchimie nommé "oméga" L'étoffement pour l'étoffement ne me paraît pas bon en soi Je note tout de même que le tercet du U vert est celui de la planète Terre face au tercet du O qui est celui d'un monde d'en haut Le texte de Rimbaud est très clair à ce sujet
D'autres éléments de culture ésotérique peuvent structurer ce sonnet Le Sonnet des sept nombres est explicitement pythagoricien, et nous pouvons voir que Rimbaud exploite à plusieurs reprises le motif de la musique des sphères (Credo in unam, les "vibrements" marins des "cycles" dans Voyelles ou Barbare)

Mais le sens du poème jaillit de la prise en considération des séries d'associations
Il ne s'agit pas d'un poème construisant l'univers à partir de cinq éléments premiers, mais il s'agit d'un poème célébrant cinq éléments premiers comme des facteurs de vie qui permettent de triompher des épreuves

Le A noir est une matrice qui recueille ce qui est utile à la vie, nourriture, ingestion, protection d'une enveloppe C'est une première façon de lutter
Le E blanc, image de pureté, est un avènement qui triomphe de ténèbres et s'affirme
Le I rouge, qui au passage serait le sommet des trois étapes alchimiques, est celui des luttes pour la vie
Le U vert est celui des oscillations de cycles planétaires fondamentaux impliquant la mer, la Nature, les animaux et l'Homme qui triomphe de la vieillesse sous forme collective d'humanité par la transmission du savoir, et même de la sagesse
Le O bleu est celui du jugement dernier et de la révélation divine

Chacune des séries détermine l'idée d'un combat pour la vie, on entend une reprise sonore de vie au vers 9 du poème, ce qui n'a rien d'innocent
En même temps, au début de l'année 1872, Rimbaud songe au martyre des poètes communards avec Paris se repeuple (remanié à cette époque visiblement), Les Mains de Jeanne-Marie
Fermant les yeux et à une lecture communarde de Voyelles, et à un lien entre le sonnet Voyelles et le quatrain "L'Etoile a pleuré rose", Yves Reboul a expliqué pourtant avec raison que le sang versé renvoyait à la Commune dans ce quatrain, seul bémol il associe le "flanc souverain" à la Femme, quand il s'agit d'une vision allégorique de la divinité, mais Yves Reboul ferme à peu près systématiquement les yeux quand il est question de divinité allégorique chez Rimbaud ou Verlaine : l'allégorie de Beams ce serait une figure idéalisée de Rimbaud, autant dire Rimbaud, l'allégorie de Being Beauteous serait phallique, et l'allégorie de Voyelles serait la Femme, tandis que "clairon suprême", etc, seraient de faux indices disséminés là pour tromper le lecteur, raisonnement que je ne comprends pas
Les liens intertextuels sont nombreux et évidents avec Paris se repeuple et Les Mains de Jeanne-Marie, et pas seulement à cause des mots rares "bombinent" et "strideurs"
Le sonnet pour tout lecteur est celui d'un combat pour la vie dans cette célébration, mais par touches une mémoire des communards y est associée, notamment pour A noir (puanteurs cruelles de cadavres à l'air libre), I rouge (colère et ivresses pénitentes) et O bleu (suprême poésie reprise ici à un quatrain de Paris se repeuple), mais des traces en sont disséminées aussi dans le blanc et le vert : "Lances des glaciers fiers" qui donnent l'idée équivoque de "guerriers fiers" ou "vibrements divins des mers virides" qui rappellent la métaphore du peuple mer dans Les Poètes de sept ans, Le Bateau ivre, Le Coeur volé et quantité de poèmes hugoliens

Le A est le corset de mouches qui se nourrissent sur la scène désolante des cadavres, mais aussi des golfes qui recueillent l'ombre dans une mystérieuse élaboration couvée
Le E est le rayonnement de la pureté qui naît dans les vapeurs (le blanc n'étant pas la vapeur elle-même en réalité), sur la toile des tentes de l'humanité nomade, sur le sommet des montagnes enneigées comme sur les pétales des fleurs blanches, le mot romantique de "frissons" est un lieu commun en ce sens
Le I est le sang craché de la lutte ou bien le rire de la beauté à séduire, de la femme à conquérir qui n'est là ni épouse ni mère ni fille dans des cadres conflictuels qui correspondent encore au plan des "puanteurs cruelles" avec la colère qui gronde, avec le sentiment du sacrifice à faire pour assurer le bonheur "ivresses pénitentes"
Le U donne un terme recteur "cycles" et décline cette idée par une vision des vagues marines, d'une Nature verte pleine d'animaux en train de paître, avec l'idée de semence au passage puisque Rimbaud condense acrobatiquement toutes ces idées, avec l'idée d'une vieillesse vaincue par la transmission du savoir et de la sagesse
Le O est celui d'un Jugement dernier dans l'interrogation du ciel insondable, mais pourvoyeur de scènes hugoliennes de révélation, d'autant que ce tercet a pour intertexte La Trompette du jugement, dernier poème de La Légende des siècles de 1859
Tout cela est assez facile à lire spontanément Même si cela n'a pas été fait jusqu'ici, j'ai donné la clé, aux gens de voir s'ils y arrivent

Il faut quand nous lisons se concentrer sur la logique des liaisons, le A noir c'est le corset pas les puanteurs cruelles, etc Il faut chercher à comprendre ce que peuvent être des "ivresses pénitentes"
Il faut aussi faire parler les rimes, les symétries et répétitions d'un texte, ce qui demande un peu de tension à la lecture, un effort

L'ignorance de la trichromie additive et des études physiologiques d'Helmholtz a sans aucun doute énormément nui à la compréhension de ce poème C'est la recherche d'une justification des couleurs qui absorbait les efforts des lecteurs et détournait de connexions pourtant fort accessibles pour la plupart

Il y a encore d'autres choses à dire sur Voyelles, mais je termine sur l'unique rime masculine
Il est évident que les "yeux" amènent l'harmonie finale, et que la sagesse et la science des "fronts studieux" y préparent
L'idée de Rimbaud est d'un suspens harmonique, ce n'est pas compliqué à comprendre qu'il fait attendre la rime masculine
Il s'agit donc visiblement d'un procédé de bouclage
J'ai identifié inévitablement l'allégorie de Voyelles à la Raison, à la Vénus, qui sont mille figures d'un même principe divin auquel adhère Rimbaud par opposition au christianisme, une figure au moins est masculine le Génie
L'allégorie est féminine dans Paris se repeuple (mais restreinte à Paris), dans "L'Etoile a pleuré rose", mais si on joue sur la symbolique du "sexe" des rimes, l'idée serait que les rimes féminines sont du côté des "voyelles" premier mot à la rime et l'unique rime masculine serait l'attente du géniteur derrière les naissances latentes, l'attente de Dieu même qu'appelle la mention "Suprême Clairon", n'en déplaise aux lectures qui proposent le sonnet Voyelles aux revues Gala et Voici en identifiant des yeux de femme (la Femme, une femme aimée ou Marie Daubrun qui a les yeux verts et n'intéresse pas Rimbaud, ni la lutte pour la vie) contre la logique de l'ultime tercet
Le décrochage ultime tend vers le dieu à l'origine de ces "naissances latentes", sinon il n'y a pas lecture du sonnet
Si le "Dieu" est considéré comme masculin, la révélation finale rend parfaitement compréhensible le basculement de féminin des voyelles à masculin du dieu
Est-ce que la lecture doit engager une signification du mode masculin de la rime finale? C'est ce que je me propose d'interroger par la suite
Une réflexion sur les pouvoirs du poète et de la rime en relation avec le traité de Banville m'intéresse également, mais elle est pleine de pièges

vendredi 14 février 2014

Quels sont les plus beaux poèmes de Rimbaud ? Que penser de Poison perdu ?

Ma réponse va être en partie subjective, en partie affaire de goût, c'est certain, mais je ne pense pas que cela soit inintéressant malgré tout
Je précise aussi d'emblée que je ne partage pas du tout le mépris courant pour certains poèmes dits de jeunesse Le poème Les Etrennes des orphelins, dans l'interprétation mièvre que je défends, car je ne suis pas du tout d'accord avec celle proposée par Steve Murphy, est faible du point de vue du métier de versificateur, mais ce n'est déjà pas un mauvais poème en soi, ni dans la composition, ni dans le rythme J'ai toujours déploré qu'on se contentât de considérer Credo in unam comme un centon de citations de romantiques et parnassiens, alors que c'est un poème superbe et personnel J'ai aussi une tendresse évidente pour le Bal des pendus qui est un régal pour la prosodie
Pour ce qui concerne les poèmes de 1870, je tends à considérer que les meilleurs poèmes sont Vénus Anadyomène, Les Effarés, Roman, Le Dormeur du Val, Au Cabaret-Vert et Ma Bohême Conservé, le poème Les Effarés est obligatoirement l'un des plus importants pour l'année 1870

Maintenant, pour ce qui est de l'oeuvre en vers première manière de Rimbaud qui va jusqu'au début de l'année 1872, faute d'une connaissance de certaines oeuvres manquantes, en tout cas Les Veilleurs, je considère très fermement que le plus beau poème est Le Bateau ivre et que deux poèmes dominent par une richesse intrinsèque incomparable : Voyelles et Le Bateau ivre
Je suis scandalisé par les réticences qui ont pu concerner Le Bateau ivre
Avant 2006, ce poème tendait à être catalogué morceau de bravoure pour épater la galerie
Quant à Voyelles, au plan prosodique, il ne s'agit pas du poème le plus agréable à lire, ce qui est inévitable vu ses nombreuses juxtapositions de groupes nominaux, mais ce blog tout spécialement montre bien l'infinie richesse miraculeuse de ce sonnet On peut parler de cathédrale pour sa richesse d'élaboration du sens et je reviendrai sur le contrôle de cette richesse qui fait que ça ne part pas dans tous les sens selon l'investissement que met tel critique pour tel ou tel aspect
J'ai mille fois raison de m'appesantir sur ce chef-d'oeuvre
Préparant un travail sur les lectures de Voyelles, je remarque que l'article d'Yves Reboul revient sur l'exercice imposé d'annoter ce fameux sonnet au détriment d'autres poèmes, et Yves Reboul en cite deux Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs et Mémoire
J'estime clairement que la richesse de Voyelles justifie pleinement ce privilège et les deux poèmes mis en regard sont surtout d'une certaine étendue, ce qui fausse le débat sur quelle importance conférer à chaque pièce, puisque nous entrons là dans l'idée que la quantité de vers hermétiques doit décider de l'étendue des notes à accorder Qui plus, le poème Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs ne semble pas avoir été une création aussi importante pour Rimbaud, vu son absence dans le dossier qu'on dira Verlaine-Forain-Millanvoye
Je considère aussi que les poèmes zutiques sont d'emblée moins importants que les poèmes de ce dossier que je viens de citer
De cette époque, les autres grands poèmes sont selon moi Les Chercheuses de poux, Les Assis, Les Mains de Jeanne-Marie, Le Coeur volé et Tête de faune, et j'allongerais encore avec Paris se repeuple, Les Premières communions, sachant que d'autres poèmes sont encore très forts dans cet ensemble

Pour ce qui concerne les vers "seconde manière", à l'exception de Tête de faune rangé par habitude dans la première "manière", je voudrais prendre le contre-pied de trois consensus
Premièrement, préférer les versions enlaidies des poèmes dans les versions d'Une saison en enfer aux versions de 1872, je considère que c'est une insulte à l'intelligence
Deuxièmement, nous avons le témoignage de Verlaine qui disait ne pas trop aimer ces vers "seconde manière" Son témoignage, lié à l'enquête de Jules Huret si je ne m'abuse, date d'une époque où je suis désolé, mais on peut penser tout ce qu'on veut de la divergence d'approche entre Verlaine et Rimbaud, mais le lecteur ne saurait établir la moindre différence tranchée entre la pratique de Verlaine à la fin de sa vie et celle de Rimbaud en 1872
L'analyse des césures pose à quelques reprises de sérieux problèmes dès les recueils Cellulairement, Sagesse, Jadis et naguère ou Amour, même si cela ne concerne encore qu'une poignée de poèmes
Les vers de neuf syllabes du célèbre poème "Je ne sais pourquoi", je ne vois pas la différence avec Rimbaud en 1872 Le poème "La tristesse, la langueur du corps humain" est moins compliqué, mais reste pas mal retors également en fait de césure
Une partie des poèmes du recueil Parallèlement sont redoutables
Attaquez-vous ne fût-ce qu'à "Les morts que l'on fait saigner"
Malgré une relative stabilité, le recueil Dédicaces offre quelques perles également qui n'ont rien à envier à Bonne pensée du matin et autres, ainsi "Mauvaise, criarde, et ça vaut mieux" ou A un passant ou A Mme J déclaré "en vers libres"
La stabilité métrique des recueils Bonheur et Chansons pour elle est également entamée à quelques reprises, on appréciera les alexandrins isolés dans Chansons pour elle V où j'observe par déduction les césures suivantes

Tout pervertit, tout con+vertit, tous mes desseins

Tout pervertit, tout a+vertit, mes tristes larmes,

Et si je fais l'âne, eh + bien, donne-moi du son!

Je vous laisse apprécier également les difficultés de la pièce XV dans le même recueil

Et je passe sur des difficultés plus locales

La difficile reconnaissance des césures va encore s'aggraver dans le cas des recueils Liturgies intimes et Elégies, bien que ce dernier soit si je ne m'abuse tout en alexandrins
Le dérèglement des rimes est mené parallèlement, et cela s'observe dans Odes en son honneur
Vais-je vous apprendre que dans les recueils suivants, quantité de poèmes pose exactement les mêmes problèmes d'identification des césures que les poèmes de Rimbaud en 1872, et que Verlaine explore plein de défis amusants au sujet des rimes, et qu'il se permet même des vers faux!, choses d'ailleurs déjà observées dans les recueils précédents, mais qui ne cessent de s'intensifier
Les recueils Le Livre posthume, Dans les Limbes, Epigrammes, Invectives, Chair, Biblio-sonnets sont des condensés de défis à la lecture normale des césures
La seule différence, c'est que Verlaine est moins appuyé et que sa progression sur plusieurs décennies permet de cerner une évolution et donc de voir la logique qu'il peut suivre, alors que Rimbaud a fait les choses immédiatement, mais si on prend les poèmes les plus déviants de Verlaine, et même un bon nombre, et qu'on les met à côté des poèmes de Rimbaud, bonne chance à ceux qui vont m'expliquer la différence de principe
On m'excusera par conséquent de prendre avec des pincettes et le mépris de Verlaine, et la critique qu'il fait des abus de Rimbaud en fait de vers libres
Le Verlaine, il est retors

Troisième point sur lequel je prends mes distances, on célèbre pas mal le poème Mémoire / Famille maudite, qui est effectivement très riche, mais j'ai l'impression qu'on le détache comme le poème le plus important, et qu'on en fait même le poème le plus beau parmi les vers "seconde manière"

Même si je suis aussi subjectif qu'un autre pour le coup, moi spontanément ce que j'admire, et à un très haut point c'est Larme et La Rivière de Cassis Au moins pour sa prosodie, le poème Bannières de mai tend à rejoindre les deux précédents dans mon estime
J'admire comme beaucoup de gens Chanson de la plus haute Tour et L'Eternité
Je considère également "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur," comme un grand poème
L'ensemble des poèmes me paraît exceptionnel, je ne serais réservé que quant à "Entends comme brame" ou Âge d'or, ou quelques moments de Comédie de la Soif

Pour ce qui concerne les poèmes en prose, voici la liste des poèmes qui me semblent les plus forts

Vies (considéré par moi comme un seul poème pour des raisons formelles)
A une Raison
Royauté
Matinée d'ivresse
"J'ai tendu des cordes"
Veillées I (peut-être un poème en prose précoce proche dans le temps des Ariettes oubliées de Verlaine de mai-juin 1872)
Aube
Fleurs
Nocturne vulgaire
Marine
Mouvement
Métropolitain
Barbare
Fairy
Génie

Ville et Villes ("L'acropole officielle") peuvent occuper une place aussi dans cet ensemble, ils sont un tour de force poétique

Je n'ai pas cite un poème de la série Enfance, mais je considère cette série comme très riche et les beautés en seront renforcées par une meilleure approche à venir dans les études rimbaldiennes, je pense que la série Enfance est très importante pour la compréhension du génie rimbaldien, c'est le gros morceau qui reste sans doute encore à approcher, je dirais

Je ne vais pas ici chercher à déterminer quelle partie du livre qui a suivi Une saison en enfer sont les plus belles Je vais prendre le livre comme un tout qui est un autre sommet de l'oeuvre de Rimbaud, beaucoup plus que La Chasse spirituelle alias selon moi Les Déserts de l'amour

Le coup de feu tiré par Verlaine à Bruxelles a été traumatisant au point que Rimbaud n'a probablement plus été capable de s'astreindre à la création poétique
Poison perdu serait une sorte d'exception un peu décevante datant du séjour à Paris fin 73, début 74
J'ai souvent estimé que ce poème ne pouvait pas être de Rimbaud, malgré un argument personnel particulier que j'avais très tôt mis à jour qui est la structuration par reprises de certains termes

Je prends ici la version donnée dans l'édition de la Pléiade des oeuvres de Nouveau, sans me préoccuper de considérations philologiques sur les variantes, et l'établissement exact du texte Le texte suivant est probablement erroné, mais cela ne faussera pas mon propos

Des nuits du blond et de la brune
Pas un souvenir n'est resté
Pas une dentelle d'été,
Pas une cravate commune 

Et sur le balcon où le thé
Se prend aux heures de la lune
Il n'est resté de trace, aucune,
Pas un souvenir n'est resté

Seule au coin d'un rideau piquée
Brille une épingle à tête d'or
Comme un gros insecte qui dort

Pointe d'un fin poison trempée,
Je te prends, sois-moi préparée
Aux heures des désirs de mort

Il y a plusieurs répétitions dans ce poème, mais celle que je souligne est assez spécifiquement rimbaldienne

Des répétitions quasi invisibles dont l'intérêt ne s'impose pas clairement à l'esprit structurent la plupart des poèmes de Rimbaud
Autre témoin important, la structure ABB AAB des tercets ne se retrouve que dans un seul sonnet de Musset, mais dans aucune autre oeuvre d'un quelconque poète du dix-neuvième siècle à ma connaissance, à une exception près car plusieurs sonnets du recueil anonyme Avril, mai, juin de Mérat et Valade ont eux aussi cette configuration unique
Un sonnet isolé de Musset, plusieurs d'Avril, mai, juin et le seul Poison perdu ont à leurs tercets le schéma sur deux rimes très précis ABB AAB On voit ce que cela a d'exceptionnel et un indice formel nous rapproche encore une fois du Cercle du Zutisme Il s'agit d'un autre argument qui plaide en faveur d'une attribution du sonnet à Rimbaud qui connaissait le recueil de Mérat et Valade où il a pu trouver des sonnets aux schémas de rimes plus extravagants que ceux de Philoméla de Mendès dont il s'est aussi inspiré (Oraison du soir, les "Immondes") Rimbaud semble avoir repris le titre Tête de faune à celui A une tête de faune d'un sonnet du recueil de Mérat et Valade

Le poème est soit de Rimbaud, soit de Nouveau S'il est de Rimbaud, il date forcément de la période parisienne fin 1873-début 1874
Le 23 septembre 1874, Germain Nouveau a envoyé à Mallarmé une lettre contenant deux poèmes proches et visiblement inspirés de Poison perdu

Au Pays

De la nuit bleue et blanche
Il résulte qu'on aime,
En dansant tout de même
Parce que c'est dimanche

Jean, la lune s'écrème,
A penser qu'on en mange
Et, fausse comme un ange,
La musique est suprême !

Dérubannez, ô notes,
Les mazurkas menées
Autour des foins en bottes

Et qu'il semble à nos joies
Qu'il y ait des années
Qu'on a couché les oies

Plusieurs traits formels du précédent sonnet prouvent un lien étroit avec Poison perdu le rapprochement prosodique des incipit "Des nuits du blond et de la brune" face à "De la nuit bleue et blanche", l'idée d'un sonnet à vers courts octosyllabes dans un cas et ici des vers de six syllabes (et il est permis de penser que Nouveau se rappelle les vers de six syllabes de Paris et plusieurs autres sonnets de l'Album zutique avec des vers d'une, deux ou trois syllabes), enfin le schéma chahuté des rimes où Nouveau se signale à l'attention par un non respect de la règle d'alternance qui interdit d'ouvrir trois rimes à la fois
Le schéma des tercets est ABA CBC On observe deux rimes différentes A et C entre les deux B, faute importante de versification, bien sûr ici délibérée

Janvier

Dans le palais d'Hiver, écoutez bien, c'est l'Aube
Et la Saint-Valentin entrebâillant les portes,
Et, par les escaliers en velours, toutes sortes
D'éveils, soupirs de pas et musiques de robes

L'Enfant, si frêle sous + d'énormes cheveux d'ambre,
Assise au lit, de ses + deux yeux trop grands dévore
Les joujoux monstrueux que la nuit fit éclore
Son âme en fête a par+fumé toute la chambre

La servante, jolie Abyssinienne, rêve
Et s'afflige aux carreaux, car la neige sans trêve
A tué le jardin, que c'est à n'y pas croire !

Et le rire ébloui de l'une ne s'achève
Encore, et l'autre enfant, petite Idole noire,
Se dresse étrangement sur la Saison d'ivoire

"Soupirs de pas", "Assise au lit", "L'Enfant, si frêle sous d'énormes cheveux d'ambre", "toutes sortes / D'éveils", que sais-je encore, il est évident que ce sonnet s'inspire du texte lu des Chercheuses de poux, poème qui n'est pas un sonnet mais qui s'inspire d'un poème Le Jugement de Chérubin du recueil Philoméla de Catulle Mendès que j'ai évoqué plus haut
Les mentions "Janvier" "Hiver" et "Saint-Valentin" font songer à une composition du début de l'année 1874 qui se serait faite en présence de Rimbaud et voilà qui pourrait engager une date plausible de composition pour le sonnet Poison perdu
Pour le deuxième quatrain, j'ai indiqué par le signe + trois césures chahutées On remarque surtout l'enjambement de mot Plusieurs enjambements de mots furent pratiqués de 1861 à 1874, y compris par des poètes obscurs, mais sans doute encore très peu dans un sonnet même
Enfin, on observe le schéma des rimes pour les tercets qui est AAB ABB, une inversion du schéma de Poison perdu qui est ABB AAB dont j'ai spécifié l'extrême rareté

Si Rimbaud a renoncé pratiquement à la poésie et lâché uniquement à Paris le sonnet Poison perdu, cela rendrait compréhensible qu'il soit moins rimbaldien, moins dans la superbe puissance que les chefs-d'oeuvre qui nous sont si chers, qu'il ait eu quelques copies parisiennes, que Nouveau s'en soit largement inspiré dans sa lettre à Mallarmé, voire à d'autres moments de sa vie
Poison perdu pourrait être un poème dépressif, même si nous prenons soin de tenir à l'écart les psychiatres et les psychanalystes dont la valeur scientifique est à mes yeux complètement nulle, mais bon on peut comprendre l'idée d'une dépression avec le regard de la vie ordinaire
Il s'agirait alors aussi d'un bilan à peine indirect de l'expérience avec Verlaine
La concurrence pour l'attribution de ce sonnet est clairement entre soit Rimbaud, soit Nouveau, à l'exclusion de tout autre
En septembre 1874, Nouveau donne des gages à Mallarmé de sa connaissance des préoccupations métriques actuelles des plus audacieux poètes de son époque Il s'agit d'une véritable stratégie de communication

Après ce que je viens de dire, si vous trouvez encore naturel de penser qu'en 1874 Rimbaud composait Aube, Génie, Métropolitain, Ville et éventuellement le mitigé Poison perdu, je ne sais pas comment vous faites, je ne sais pas quelle logique vous suivez, ça me laisse franchement perplexe

Je vous rassure

Je suis toujours là

Crushed Butler - It's my life
The Undertones - Teenage Kicks
The Troggs - I can't control myself
The Wailers - Out of our tree
The Wailers - The Boys from Tacoma Anthology
The Sonics - Strychnine
Screaming Lord Sutch - All black and hairy
The Rezillos - (My Baby does) Good sculptures
The Revillos - Bongo Brain
The Saints - Perfect day
The Sunnyboys - Alone with you
The Sunnyboys - You need a friend
The Stems - She's a monster
The Only Ones - Out there in the night
The Cure - Boys don't cry
DMZ - When I get off
The Real Kids - same (debut album)
MC5 - Kick out the jams (full album)
Sonic Rendezvous Band - City Slang
Patti Smith Group - Easter (album)
Syd Barrett - Efferverscing elephant
Lyres - Help you Ann
The Human Beinz - Nobody but me
The Feelies - Crazy Rhythms (album)
The Strokes - You only live once
The Gories - Nitroglycerine
The Gories - You'll be mine
Oblivians - Mary Lou
The Len Bright Combo - You're gonna screw my head off
The Len Bright Combo - Shirt without a heart
Wreckless Eric - A popsong
Wreckless Eric - Take the cash
The Prisoners - Maybe I was wrong
The Prisoners - Hurricane (french tv)
The Prisoners - till the morning light


French :

Les Coronados - I live the life I love
Les Coronados - Un lustre
Les Coronados - Revanche
Les Coronados - Belle journée
Les Coronados - Elle pleure
Les Coronados - Inutile de dire
Les Coronados - oh oh oh
Les Coronados - "Elle m'attend tous les soirs"
Les Coronados - Chienne de retour
Les Olivensteins - Fier de ne rien faire
Asphalt jungle - Poly magoo
Les Dogs - Nineteen
Les Dogs - Walking shadow
Les Dogs - Sally's eyes
Les Dogs - Boy
Les Dogs - Be my lover
Les Dogs - Secrets
Les Dogs - Cette ville est en enfer
Les Dogs - A different me
Les Dogs - Shakin with Linda

samedi 8 février 2014

Prochain article : Voyelles, masculin / féminin

Rien à voir avec les sottises de la théorie du genre, mais la fin du sonnet Voyelles pose un redoutable problème d'identification : la divinité est-elle un dieu, ce qui justifierait le surgissement de l'ultime rime masculine, les rimes féminines étant sa mise en attente en mode voyelles, ou bien est-elle une allégorie féminine ?

jeudi 6 février 2014

Voyelles, alchimie d'attributs

J'ai déjà insisté sur la forme globale du sonnet dont la proposition centrale est le second vers "Je dirai quelque jour vos naissances latentes", le premier vers est l'apostrophe avec l'instance voyelles et une déclinaison de cinq variables constitutives, tandis que les vers 3 à 14 sont une suite d'illustration des "naissances latentes"
Explicitement, une explication est remise à plus tard, mais la série d'illustrations amène à un léger dévoilement de la figure divine, signe prometteur de l'explication à venir
Dans la succession des associations, les lecteurs oublient l'unité d'ensemble du sonnet, oublient que dans sa version canonique autographe le poème n'est formé que d'une seule phrase, et ils oublient progressivement que tout le poème s'adresse aux voyelles
Le dernier vers est ainsi celui d'un décrochage important de la seconde personne du pluriel "vos naissances latentes" à "Ses Yeux", puisque nous passons d'un hommage aux voyelles vouvoyées à une prise à témoin des voyelles dans un hommage à une tierce personne qui s'inscrit en perspective finale dans le prolongement de la célébration des voyelles, comme le montre la symétrie "O Suprême Clairon" et "O l'Oméga [:::] de Ses Yeux"

Mais, à l'intérieur de cette phrase unique, il y a d'autres rapports prédicatifs assimilables des propositions du type sujet-verbe d'une phrase, ce qui explique d'ailleurs que le lecteur perde de vue le fait que le vers 2 est le noyau de la phrase

5 rapports prédicatifs concernent l'apostrophe du premier vers et ces rapports prédicatifs concernent ensuite la série d'associations des vers 3 à 14

Prenons le premier vers

"A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu"

Qu'est-ce qu'on se représente ou qu'est-ce qu'on comprend à la lecture de cela ?

Première possibilité toute naturelle, un A qui est en noir, et ainsi de suite
Deuxième possibilité, on se représente une couleur diffuse, le noir, perçue abstraitement comme l'équivalent d'un A (comprise comme un A)0
Troisième possibilité, on se représente une équivalence avec d'un côté le A, de l'autre le noir, en présupposant une formule pour les relier sur un plan scientifique supérieur

En fait, que ce soit selon l'état autographe "A noir" ou selon l'état de la copie de la main de Verlaine "A, noir", seule la première possibilité s'impose spontanément à l'esprit
La deuxième possibilité demande de se faire une certaine violence
La troisième possibilité ne fonctionne pas réellement, faute d'une présence dans le poème d'un argument explicite en ce sens, et donc ce n'est même pas une possibilité, juste une hypothèse dans l'absolu qui ne s'applique pas à la lecture de ce poème

Or, des vers 3 à 14, c'est la première possibilité qui est confortée car selon le même principe de liaison nous allons avoir affaire à des formes attributives où la juxtaposition suppose une relation que pourrait expliciter le recours au verbe "être": le A est golfes, le U est cycles, le O est clairon, etc
Petite différence, dans le cas du "A noir", on peut hésiter entre "le A est noir", il a la propriété d'être noir donc, ou "le A est le noir", le A et le noir sont la même chose, j'ai écarté donc "le A est l'équivalent du noir"
Or, le vers 3 confirme que l'idée attributive "le A a la propriété d'être noir" prédomine, puisque nous avons un enchâssement : "le A est corset et le corset est noir", puisque la construction épithétique "noir corset" correspond à la forme attributive "le A est noir" de manière assez inévitable

Maintenant, on peut étudier des vers 3 à 14 la structure attributive des propositions qui se succèdent, en distinguant la relation attributive fondamentale des enrichissements de l'information

La langue n'est jamais précise au point de reproduire exactement ce qu'elle prétend décrire
Outre que les liaisons grammaticales ne sont pas les liaisons atomiques ou moléculaires ou tout ce qu'on veut de la réalité, outre que toute phrase suppose un point de vue sur ce qu'on dit, les phrases sont faites de mots qui par définition sont des généralités L'intérêt du langage, c'est bien d'arriver à généraliser au sein du particulier, au travers du singulier, de l'unique, etc

Une voiture a renversé l'enfant, c'est moins précis que "Une Porsche a renversé le petit garçon" phrase elle-même moins précise que "Une puissante Porsche rouge a renversé le petit Adrien", phrase elle-même moins précise que "Une puissante Porsche rouge a renversé Adrien, le petit garçon de la maison d'en face, sur le parking de la supérette, à l'heure où les gens font leur course", et ainsi de suite sans possibilité de dire "stop!"

A l'école ou au Collège, on impose aux enfants d'identifier le sujet d'une phrase à un groupe nominal :
"Le joueur de l'équipe adverse a marqué un but" On demande contre-intuitivement à l'enfant d'identifier le sujet de l'action au groupe nominal "Le joueur de l'équipe adverse" et non au "joueur"
C'est une erreur
Le sujet de l'action est suffisamment bien délimité par le mot "joueur" qui pourrait aussi bien être appelé le "garçon", etc
La relation elle est d'un sujet "le joueur" à une action "marquer un but"

Car "de l'équipe adverse" ce n'est rien d'autre qu'une précision qu'on pourrait remplacer ou compléter par d'autres : "le grand joueur habillé en violet (de l'équipe adverse)"

Dans le cas de Voyelles, l'analyse logique doit être la même, le A n'est pas une scène avec des mouches éclatantes dont l'abdomen est noir et qui font ceci et cela, mais le A est un corset, et tout le reste ce sont des précisions

Le A (noir) est corset et golfes
On précise que le corset est noir et velu, on précise encore qu'il est celui de mouches éclatantes, puis on a une précision sur ces mouches : elles bombinent dans un endroit sur lequel nous avons aussi des précisions "autour des puanteurs cruelles" Pour les golfes, nous avons aussi des précisions "ils sont remplis d'ombre"
Donc, le A est corset et golfes, et si le A est noir, c'est que le corset l'est lui-même et que les golfes prennent la couleur des ombres qu'ils amassent
Comme il est sensible que les rimbaldiens n'ont tenu aucun compte des éléments de cadre des vers 4 et 8, il est sensible que cette structure attributive n'a pas suffisamment retenu l'attention
Car inévitablement, une fois qu'on comprend que le A est "corset" ou "golfes", il faut se demander les qualités du corset et des golfes qui vont être celles du A, et le mot "corset" impliquait un sens érotique et en même temps supposait bien des propriétés communes avec le mot "golfes" L'idée du A matrice devait découler de cela assez spontanément
Maintenant, dans le cas du "corset", l'information de premier plan n'en finit pas d'être enrichie, ce qui doit inviter le lecteur à réfléchir sur le rapport entre l'information de premier plan, le corset, et les précisions apportées, au lieu de se concentrer sur l'idée qu'il y a un A à percer à jour suite à chaque précision
La question est "que fait ce corset des mouches se tournant vers les puanteurs cruelles"
Nous ne sommes bien sûr pas tous égaux devant la compréhension du sens diffus des images poétiques et cela entraîne des dysfonctionnements logiques dans le traitement de l'information, c'est clairement ce qui peut s'observer dans le cas du célèbre sonnet rimbaldien

Les énoncés ne sont même pas métaphoriques Les énoncés sont souvent brefs dans ce poème, et prenons le cas de "l'énoncé" le plus long

Le A est "noir (adjectif) corset (nom) velu (adjectif) des mouches éclatantes (forme contractée, nom, adjectif qui forme un groupe prépositionnel à fonction de complément du nom) qui (pronom relatif dévoué à la fonction sujet dans la relative) bombinent (verbe) autour des puanteurs cruelles (groupe prépositionnel complément de lieu avec locution prépostionnel autour des, un nom et un adjectif)

Le A (lettre ou nom) est un corset"
Les adjectifs "noir" et "velu" sont des précisions du nom "corset"
Le complément "des mouches éclatantes" est une précision du nom "corset" également
La proposition relative "Qui bombinent autour des puanteurs cruelles" est une précision du nom "mouches" qui entre inévitablement dans les précisions sur le nom "corset" par le fait syntaxique que "dans les mouches éclatantes" est déjà une précision du nom "corset" et par le fait que le "corset" est une partie constitutive de ces "mouches"

La forme "golfes d'ombre" n'est pas aussi richement déterminée, raison de plus pour tirer tout le parti qu'il y a à tirer de la première association fort enrichie "noir corset velu des mouches éclatantes qui bombinent autour des puanteurs cruelles"

Pour le E, cela va donc donner maintenant

Le E est "candeurs", "Lances" et "frissons", voire "rois"
Chacun de ces mots est précisé, "rois" plus pauvrement, puisque nous retournons à "blancs", la mention de couleur attendue
La compréhension du "E" naît de la mise en commun des mentions "candeurs", "Lances", "rois" et "frissons", avec pour nous aider le filtre de certaines précisions complémentaires

Dans le cas du A, on peut penser à une analogie de forme entre le A et le corset (à ceci près que les rimbaldiens songent plus volontiers à une analogie valant pour la mouche les ailes repliées vu d'en haut), entre le A et les golfes
Dans le cas du E, l'analogie est difficile à supposer pour "candeurs" et pour "rois" Pour "frissons", elle est jouable pour l'écriture toute en boucles du manuscrit, pas pour le E imprimé On pourrait penser aussi à étendre cette pertinence aux volutes des vapeurs, mais le mot est en facteur commun à "tentes" qui ne permet pas du tout la même analogie de forme Pour "Lances" une analogie de forme est en partie jouable, mais pose quand même un fameux problème de logique, si on essaie de se représenter le "E imprimé" comme une fourche équivalente de "pointes" sur des glaçons ou des glaciers

L'équivalence E blanc = rois blancs pourrait avoir l'intérêt d'activer les sens symboliques de "blancs", le E blanc est "royauté blanche" ou "rois blancs" donc des rois purs, candides, à l'exclusion d'autres types de rois
J'ai aussi cette idée que les associations du "E blanc" ne seraient qu'à trois termes et "rois blancs", sans que nous ne perdions rien de son intérêt symbolique, voire de sa signification, serait en apposition à "glaciers fiers" avec une réponse en chiasme "fiers" repris dans "rois" et "glaciers" dans "blancs"

La comparaison des versions est intéressante
Je laisse de côté la variation "Lances de glaçons fiers" "plein de strideurs étranges" qui donne ensuite "Lances des glaciers fiers" "plein des strideurs étranges"

Dans la version de la main de Verlaine, mais cette information est confirmée par une biffure du manuscrit autographe, nous n'avions pas "candeurs", mais "frissons", et du coup, le mot "frissons" apparaissait deux fois

Reprenons

Manuscrit autographe

Le E est toutes les candeurs des vapeurs et des tentes
toutes les lances des glaciers fiers
(tous les rois blancs)
tous les frissons d'ombelles

Variante

Le E est toutes les candeurs des vapeurs et des tentes
toutes les lances des glaciers fiers ou rois blancs
tous les frissons d'ombelles

Copie de Verlaine

Le E est tous les frissons des vapeurs, des tentes et des ombelles
toutes les lances de(s) glaçons fiers
(tous les rois blancs)

Variante donc
Le E est tous les frissons des vapeurs, tentes et ombelles
toutes les lances de glaçons fiers ou rois blancs

Et la reprise du mot "frissons" permet alors d'encadrer les associations dirigées par les mots "Lances" et "rois" "Lances" et "rois" sont donc des équivalents potentiels du mot "frissons"
Enfin, le fait de connaître et la copie de Verlaine, et la biffure au vers 5 du manuscrit autographe, nous apprend que le mot "candeurs" est très clairement substituable au mot "frissons" dans la représentation symbolique de Rimbaud pour ce poème

En revanche, la variante du vers 6 déconcerte quelque peu
Si on procède à la même logique, on comprend que les mots "glaçons" et "glaciers" sont équivalents pour le poète, ce qui contrarie nos convictions sur les emplois nettement contrastés de ces deux mots : un glacier n'est pas un glaçon, et en prime nous avons une opposition sensible entre le grand et le petit
Notons toutefois que le choix final jouit d'une prime de pertinence, à savoir le mot "glaciers"

Le terme recteur est "Lances", le E est toutes les lances
Ces lances sont les extrémités fières, donc élancées, orgueil vertical, soit de glaçons, soit de glaciers

On peut imaginer des stalagmites de glaçons à côté d'ombelles, ou bien le basculement de pointes de grands glaciers à l'éclat blanc de petites fleurs

L'idée de lances jaillissant des glaciers est toutefois problématique
Rimbaud n'a encore jamais vu de hauts pics neigeux directement en 1871 ou 1872, mais on peut penser qu'il était conscient du problème
Son idée est visiblement de dire en peu de mots le manteau blanc qui recouvre les pics au sommet des hautes montagnes, et les glaciers ont la fière verticalité que leur confère un flanc de pic de montagne
La comparaison des versions montre qu'il y a bien un petit souci avec les termes employés "glaçons" ou "glaciers", mais l'intention est facile à cerner malgré tout

Si on poursuit l'étude de la structure attributive pour la suite du poème, nous avons le I est la pourpre ou les pourpres (selon les copies manuscrites), le I est sang craché, le I est rire
Puis le U est figure des cycles, figure des vibrements, figure d'une telle paix et figure d'une telle autre paix
Le O est un clairon, le O est aussi des silences, à moins qu'une analyse similaire à celle de "rois blancs" ne suppose que "silences" soit en apposition à "strideurs", le O est rayon
Donc pour le O, deux modèles possibles

Soit, le O est un clairon, des silences, un rayon
Soit le O est un clairon et un rayon
On peut même se montrer plus exigeant : "Le O est un clairon et si je le dis Oméga c'est un rayon"

Je poursuivrai prochainement mon commentaire en fonction de ces structures attributives qui gouvernent des rapports précis entre les mots du poème

Je reviens toutefois sur l'idée d'un rapport entre de nombreuses propositions formulées dans une seule phrase
Mon analyse vient d'identifier la plupart des propositions du poème comme des relations attributives : le A est noir, puis le A est ceci et ceci
Le vers 2 fait inévitablement exception "Je dirai quelque jour vos naissances latentes", c'est la proposition principale du poème, et à cette aune le changement de perspective du vers 14 implique lui aussi une proposition "car vos naissances latentes me découvrent ses yeux"

Mais, j'ai dit que les attributs étaient parfois accompagnés de précisions
Parfois non comme "cycles" ou "pourpre(s)"
Mais la plupart des précisions sont sous la forme d'adjectifs, de compléments du nom
J'ai fait un cas à part pour les précisions de lieux des vers 4 et 8, lieux sous forme d'abstraction d'ailleurs : "puanteurs cruelles", "colère", "ivresses pénitentes"
Or, dans deux cas nous avons des propositions relatives qui offrent le retour d'une construction sujet-verbe
Il y a "qui bombinent" et il y a "Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux"
La variante au passé simple de la copie Verlaine est "Qu'imprima l'alchimie aux doux fronts studieux"
Parlons de copie Rimbaud parallèlement pour bien évacuer l'idée que Verlaine est responsable d'un texte et Rimbaud de l'autre, ce qui est absurde La copie de la main de Rimbaud offre une relative au présent de l'indicatif, ce qui renforce le rapprochement avec "bombinent", et le rapprochement entre les deux propositions relatives et partant les deux images est sans doute parlant et intéressant
Les mouches effectuent un travail alchimique autour des puanteurs cruelles, les fronts marqués par les rides sont l'objet d'une opération alchimique comparable
Si on laisse les Gengoux, Richer, francs-maçons, illuminés, occultistes, etc, dans leurs folies respectives, il est certain que l'emploi métaphorique du mot "alchimie" est courant, banal, en poésie
En me renseignant quelque peu sur l'alchimie, je suis tombé à deux reprises sur le mot "latent" et cela n'a rien d'anormal tant il entre facilement en résonance avec les mots "occulte" et "ésotérique" par exemple, sauf que le latent est ce qui est caché non par la volonté des hommes mais ce qui ne se manifeste pas (suffisamment ou pas du tout) naturellement et demande un effort de dévoilement important par l'esprit humain
Mais l'alchimie est un savoir ésotérique dans la mesure où il s'agit de cacher aux autres ses connaissances, mais aussi l'étude de ce que cache la Nature, donc la prétention à connaître ce qui demeure à l'état latent
Mais je n'ai pas envie de me contenter d'insister sur le fait que la présence dans un même sonnet des mots "alchimie" et "latentes" crée un champ lexical confortant l'idée que la métaphore de l'alchimie est filée le long de cet écrit
Ce qui est intéressant, c'est d'une part que le mot "alchimie" est présent dans le poème et qu'il est rien qu'à ce titre pertinent de faire jouer nos connaissances les plus générales à ce sujet et d'autre part qu'il est visiblement mis en vedette jouissant d'une position clef, à la fois en étant à la fin du premier tercet et en étant présent dans une proposition avec sujet et verbe dans un poème essentiellement dominé par une succession de noms ou groupes nominaux
Et ce mot "alchimie" est associé à un verbe qui convient particulièrement à l'idée d'alphabet, le verbe "imprimer"
Or, l'alchimie n'est pas que la science qui prétend transformer du métal en or, mais le souci de l'alchimie c'est d'atteindre à l'immortalité, trouver le secret de l'éternité
Transmuer en or un métal, cela part de l'idée que l'or est la forme de pleine santé d'un métal
Le secret de la pierre philosophale a à voir avec la fontaine de jouvence

Il est certain que l'alchimie est une sottise en soi, bien qu'elle ait pu occuper un Leibniz ou un Berthelot, d'autres encore
L'auteur du Que sais-je sur L'Alchimie essaie de proposer son sujet de manière attrayante Il parle d'un savoir qu'on ne doit pas divulguer et il avoue en même temps que des tonnes de livres ont été écrits par les alchimistes dont le recensement seul pose encore problème aujourd'hui Il faudrait ne pas le divulguer au profane par peur d'un mauvais emploi comme s'il existait une méthode de discrimination entre initiés sains et initiés malsains Il parle d'un savoir donc secret, mais de tous les écrits qui nous sont parvenus il ne nous dit pas pour quelles et quelles découvertes scientifiques nous devrions être redevables à l'approche alchimique
Et l'auteur nous parle d'un savoir transmis malgré tout par les livres qui se réduit toujours aux mêmes considérations symboliques, aux mêmes billevesées préliminaires
Il est certain bien plutôt que l'alchimie a échoué comme science, qu'elle n'a rien produit de décisif, et que nous ferons désormais autrement confiance aux sciences en tant que telles pour un jour nous proposer la transmutation d'un métal en or, quitte à ce que l'opération soit plus cher que la valeur d'or produite au final, car c'est l'ironie qui pend au nez des chercheurs à ce sujet

Enfin bref, les rimbaldiens ont évidemment très peur quand il est question de Voyelles de parler d'ésotérisme, sauf que l'enveloppe métaphorique du poème le fait, ne fût-ce que par la mention explicite "alchimie"

Qu'offre de plus pertinent le mot "alchimie" pour la compréhension du poème, précisément cette idée d'une quête de la vie éternelle, puisque le mot "alchimie" participe d'une proposition relative qui complète le mot "rides"?
Peu de temps après, Rimbaud compose un poème ou précisément c'est "l'éternité" qui est retrouvée, et dans la section Alchimie du verbe d'Une saison en enfer, le sonnet Voyelles est évoqué et le poème L'Eternité est cité dans une version in extenso

Or, dans mon commentaire du sonnet, voyelle par voyelle, je pose que le A est le corset qui se bat pour la vie dans un décor paradoxal, même chose pour le I
Pour le U, je remarque le calembour "vie" répété au vers 9 par un jeu de reprise accentuée de phonèmes: "vibrements divins des mers virides"
Pour le "O", le motif de la trompette du jugement dernier implique l'idée de vie éternelle
Pour le E, le "blanc" est l'équivalent de la mer allée avec le soleil Les vers 5 et 6 sont caractérisés par la succession positive noir/blanc qui vaut pour la succession nuit si nulle/jour en feu du poème d'aube L'Eternité (je dis cela en tout cas pour la minorité de lecteurs qui m'accordent que le poème L'Eternité avec son allusion à une prière du matin "Nul orietur" est un poème d'aube et non de couchant comme on le dit sans arrêt), une succession noir/blanc qui n'est pas que dans Rimbaud, puisqu'on en trouve des exemples ailleurs, voyez la fin du film Stromboli de Rossellini Ingrid Bergman y joue une femme obligée à la fin de la guerre de trouver un pays où on l'autorise d'aller Refusée en Argentine, elle saisit l'opportunité de se marier avec un habitant d'une île voisine du célèbre volcan, sans savoir qu'elle n'y trouvera pas la vie bourgeoise de femme légère qu'elle a connue jusque-là et dont elle va cacher les zones moins vertueuses à son mari Dès son arrivée, elle maudit cette vie ingrate sur une île minérale aux rochers noirs où on est cruellement plié à la modestie, à la satisfaction de besoins simples, au contentement de ne pas crouler sous le travail à fournir Enceinte, elle finit par s'enfuir à pied en longeant le volcan Les fumées l'asphyxient, la marche l'épuise et sa grossesse aussi Elle s'écroule et s'endort, elle est réveillée par les rayons du soleil, et pour la première fois dans le film admire le spectacle pour lequel elle a toujours manifesté le plus violent mépris, y compris quand son mari le premier jour lui a ouvert la fenêtre pour lui faire admirer la vue Dès ce moment-là, la femme enceinte est acquise à une certaine beauté et prie dans un syncrétisme particulier le volcan de lui donner la force et le courage de vivre là en s'offrant à son futur enfant innocent



Voilà quelle est un peu l'alchimie de Voyelles, ce que plus que jamais aucun rimbaldien ne semble en mesure d'admettre, car ce serait reconnaître que cette lecture n'a jamais été envisagée jusqu'à présent dans les montagnes de publication de tout un chacun et que même elle a été fermement méprisée quand j'ai commencé à la mettre à jour en 2003, et quand je l'ai admirablement consolidée en 2012 et 2013
Après l'alchimie, voilà pour le business